Décaler le regard, changer l’angle d’écoute. Nous pouvons marcher dans une forêt en prenant conscience que nous écoutons la forêt. Nous pouvons également marcher dans une forêt en prenant conscience que la forêt nous écoute.
Le fait que j’écoute la forêt autant que cette dernière m’écoute remet en perspective des modes de perceptions et de nouvelles approches en miroirs.
J’ai transposé le cadre de ce postulat pour le penser également en milieu urbain, ou ailleurs, de façon à, dans un premier temps, poser des questions de postures, imaginer des possibles, avant que de les expérimenter.
J’en resterai ici au stade du questionnement, l’expérimentation étant en gestation.
Écoutant d’une ville, à la foie écoutée et écoutante.
Mais pour quelles raisons une ville, tout comme une forêt, ou d’autres lieux, m’écouteraient-ils ?
Certainement pas parce que j’y parlerais plus fort que tout autre habitant, promeneur, oiseau, plus fort même qu’un puissant orage. Ce serai là une bien fâcheuse manière d’être et de se faire entendre, pour le moins inécoutable, inentendable, indéfendable. Une surenchère qui violenterait l’écoute comme les choses écoutées.
Une ville ou une forêt m’écouteraient-elles parce que ma pensée, ma réflexion, mon discours, ma façon de marcher et d’écouter, seraient plus affinés, plus intelligents que d’autres ? Très présomptueux cher ego ! Surtout si l’on pense qu’un raisonnement vaniteusement égocentré rend plutôt sourd que réceptif à nos milieu de vie. Là encore, argument irrecevable.
Pourtant, je persiste à croire qu’en écoutant, nous sommes, réciproquement écoutés, entendus, non pas forcément par des seuls personnages, animaux, mais par des lieux traversés, habités, esprits-oreilles de la forêt comme de la ville, d’une rivière, d’une montagne, d’un océan…
N’y voyons pas là un délire paranoïaque, une écoute surveillante, totalitaire, omniprésente, liberticide, qu’il faudrait fuir et contrer par une furtivité damasonienne, mais plutôt une forme de réciprocité sensorielle positive car bienveillante.
Pensons une auricularité aller-retour, comme une forme d’aménité altruiste, écho-logique en quelque sorte.
Imaginons des écoutes partagées, en miroir, intrinsèquement omniprésentes depuis… la nuit des temps.
Considérons que l’espace acoustique ambiant, souvent inentendu, négligé, si ce n’est malmené, accueille en son giron tympanesque, à partir du moment où on se met à l’écouter, nos rêves les plus fous, nos utopies les plus joliment sonores.
Poussons plus loin le bouchon, jusqu’à envisager que d’innombrables musiques inouïes, nous sont susurrées si on sait les percevoir, les accueillir, en retour de nos envies de trouver des équilibres harmonieux, là où le chaos, la cacophonie, le brouhaha s’installent. Une forêt, et même une ville, nous proposant des oasis sonores apaisants, où il fait bon écouter, échanger, rêvasser…
Prenons le cas d’un musicien tendant une oreille curieuse, et qui serait écouté en retour, gratifié de mélodies inouïes; un architecte de formes d’habitats jamais vus, et un paysagiste, un philosophe, un soignant, un gardien de parc public, un enseignant, un cuisinier… Autant d’oreilles écoutantes écoutées, inspirées, respectueuses et respectées. Don contre don maussien.
Caressons l’utopie que l’écoutant écouté échange, avec les forêts, rivières et villes, et tous les êtres et choses, vivants ou non, des pensées magiques, où le frisson de l’émotion nous garderait de folles démesures possédantes.
Puissions nous faire que l’écoute réciproque nous fasse encore rêver, et construire des lendemains qui chantent plus qu’ils ne déchantent.
Plus je triture l’idée et l’expérience du, ou des paysages sonores, moins je suis sûr d’être en mesure de le le, ou de les définir correctement.
Néanmoins, je pense que l’approche des points d’ouïe spatio-temporels, comme des conjonctions corrélées, où les sciences, la philosophie et l’artistique se rencontrent, en fait des terrains féconds.
Ce sont là des lieux potentiels, où l’on peut imaginer et construire des espaces expérientiels, voire des modèles de paysages sonores plus ou moins crédibles et viables, et surtout écoutables et habitables.
Laissons les sons vifs L’écoute révélatrice, rêve et lectrice En inter-positions Super-positions Jusqu’à positions En frottis de flots flux d’improbables rangs contre tricoter avec Des arbres, des marbres Des forêts, des faux rets Des sentiers, des chantiers Des mots, des maux Des campagnes, des compagnes Des abeilles, des oreilles Des prisons, des frisons Des rivières, des litières Des lectures, des luxures Des rythmes des myrthes Des marches, démarches Des rires, décrire Des cités, cécités Des ports, des forts Des livres, des vivres Des hôpitaux, dés aussitôt Des images, des mixages Des corps, décors Des danses, des denses Des pluies, des ouïes Des pierres, des paupières Des comptoirs, des pouvoirs Des photos, des photons Des récits, des récifs Des chaos, des cachots Des vins, des vains Des folies, des phobies Des publics, des déclics Des machines, des échines Des étoiles, des étioles Des oiseaux, des appeaux Des enfants, des infants Des voyages, des voilages Des marchés, démarchés Des teintures, des tentures Des collines, des coulines Des lumières, des lanières Des ruelles, des cruelles Des odeurs, des horreurs Des buissons, des bruits-sons Des châteaux, des chats tôt Des murmures, des morsures Des anions, des actions Des nuits noires, des rasoirs Des rochers, des ruchers Des couloirs, des mouroirs Des lignes, des signes Des méandres des esclandres Des bancs, des rangs Des sons, des sangs Des perspectives, des prospectives Des landes, des bandes Des cloches, des croches Des écrans, des écrins Des dangers, des donjons Des regards, des égards Des insectes, des infects Des odeurs, des moqueurs Des fêtes, des faits Des orages, des otages Des sorcières, des cornières Des tempêtes, des enquêtes Des repas, des replats Des frictions, des fictions Et tout ce qui ne coule pas de soi Qui ne coule pas de source De source avérée De source altérée L’oreille s’apprête au jeux de l’ouïe Qui s’y frotte ses piques Des mots, démos Avoir le dernier…
La beauté d’un paysage passe aussi par les oreilles
Vers une esthétique des paysages sonores, les musiques des lieux
Des créations et installations audiopaysagères…
La recherche de points d’ouïe et d’acoustiques remarquables…
Le son qui soigne et prend soin
Prendre soin de la chose écoutée, de l’écoute et de l’écoutant
Prêter l’oreille et porter attention
le silence et le calme comme des droits fondamentaux
L’audiothérapie et le paysage, des oasis sonores
Des paysages sensibles ressourçants…
Le son qui aménage
Les outils et législations, cartes de bruit, zones calmes, trames blanches…
Des parcours d’écoute, marches sensibles et mobilités douces
De l’acoustique à l’esthétique, de la sonométrie à l’approche qualitative, de la norme au plaisir, du confort à la signature sonore…
Le son qui mémorise et valorise
La préservation des espaces sonores fragiles, des langues et dialectes, des signaux sonores qualitatifs, des traditions et savoir-faire sonores, inventaires des sites auriculaires remarquables*…
Le son qui questionne la pluralité et le complexité
Le paysage est d’une approche complexe, le sonore en est une constituante.
Le son n’est pas seulement une esthétique ou une nuisance, il s’envisage comme une façon de penser éthique, écosophique, philosophique, politique, poétique…
Ce copieux article, rédigé par Max Neuhaus en 1991, et corrigé en 1993, montre une nouvelle facette du travail de l’artiste. Ce dernier se glisse dans la peau d’un designer sonore, repensant des « sons utiles » sous formes de sirènes d’alarmes, tout à la fois esthétiques, fonctionnels et plus efficacement sécurisants. Comme à son habitude, Max Neuhaus nous décrit méticuleusement tout le processus de création de ce projet, mettant en avant tant ses heureux aboutissements que ces nombreux freins, voire échecs. Un panel de questions singulières sont soulevées, touchant aussi bien les problème techniques de dispositifs à tester et à faire approuver, les financements, marchés, pressions commerciales et politiques, modes de pensées à ébranler, égos à ménager… De même sont posés ici des problématiques de fond, qui convoquent à la fois le statut de l’artiste concepteur sonore et ses marges, et du son lui-même, entre œuvre esthétique et objet fonctionnel. Un débat somme toute assez dans le monde du design, mais assez original à cette époque, en tous cas en ce qui concerne l’objet son. D’ou sur le terrain, une série d’incompréhensions, de retards, de freins et de résistances, d’espoirs et de désillusions, aux confins des arts, du design et de l’écologie sonore…
Sirènes
En 1978, je ai décidé de tenter d’améliorer les signaux sonores équipant les véhicules d’urgence. Je suppose qu’une des premières questions qui vient à l’esprit de chacun, est de savoir pourquoi un artiste, même s’il est créateur sonore, est tenté de s’écarter du monde de la culture, plutôt rassurant pour lui, pour aller concevoir de sons à destination des voitures de police, ambulances, et camions de pompiers. En fait, pour moi ce fut un passage assez naturel, comme une sorte de défi somme toute assez logique à relever.
Au regard de nombreux problèmes urbains, les sirènes pouvaient sembler un objet d’assez peu d’importance, mais pour ma part, je ne le pense pas du tout. La bande sonore d’un un bon exemple de l’impact que le son peut avoir sur la façon dont nous percevons l’environnement, agissons en conséquence. Par exemple, deux pistes sonores différentes, appliquées à une même scène cinématographique, peuvent créer des scénari quasiment opposés, évoquer des émotions très différentes et contrastées.
Pour revenir à notre sujet, lorsque l’on considère l’évolution des sons d’alerte, notamment sur des véhicules d’urgence, nous constatonsqu’elle est liée à l’histoire, à la volonté et aux savoir-faire de l’homme à façonner des sons ambiants. A New York, au siècle dernier, les pompiers tiraient eux-mêmes des charriots à bras transportant des pompes et des échelles, tandis que l’un d’eux ait à l’avant, en criant et en soufflant dans une trompette pour avertir du passage et de la priorité du convoi. Au XXe siècle, la sirène mécanique a été inventée. Ses sonorités, avec de longs glissendi, étaient associées également à des sons d’alertes prévenant attaques aériennes pendant la guerre. Cette sirène à main était montée sur le charriot des pompiers, et activée manuellement, à l’aide d’une manivelle.
Lorsque les véhicules de pompiers furent motorisés, quelqu’un a eu l’idée de mettre un de sifflet à l’extrémité du tuyau d’échappement, et de laisser les gazs d’échappement du moteur activer eux-même la sirène. Cela produisait une sorte de cri, un hululement tellement horrible à entendre, qu’il a finalement été abandonné. Avec l’arrivée de l’électricité, la sirène mécanique a elle-même été motorisée. Le conducteur l‘actionnait grâce une pédale sur le plancher du véhicule, la mettant en marche ou l’arrêtant selon les besoins. Dans les années 1960, il était ainsi devenu facile d’émettre ponctuellement des sons d’alertes assez puissants. En regardant l’histoire de ces dispositifs, il devient clair que les sons eux-mêmes n‘ont jamais réellement été pensés et de. Ils sont, au contraire, un résultat assez malheureux de ce qui pourraient être mis en branle pour faire de grands bruits peu maîtrisés. Pourtant, avec l’introduction de la sirène électroniques, un changement fondamental s‘est produit. Pour la première fois les possibilités sonores devenaient quasiment illimitées. On détenait là une technique pour synthétiser, pour concevoir n’importe quel son. Mais, au lieu de rechercher de nouvelles sonorités plus pertinentes, on s’est contenter de copier, d’imiter d’anciennes sirènes, avec des sonorités électroniques qui ont désormais équipé les véhicules.
Il se avère que ces sons possédaient de nombreux inconvénients, le principal étant qu’ils étaient quasiment impossibles à localiser. D’un commun accord, les gens disaient qu’ils ne percevaient pas, ou peu, qu’ils ne localisaient pas un son de sirène qui venait dans leur . Il était impossible de localiser un son qui devenait de plus en plus prégnant lorsqu’il s’approchait, et ainsi de nombreux conducteurs s’arrêtaient tout simplement en bloquant le trafic jusqu’à ce qu’ils comprennent ce quelle manœuvre effectuer. D’autres ignoraient totalement l‘alerte sonore jusqu’à ce qu’ils se retrouvent nez à nez avec un véhicule de pompier, ce qui pouvait parfois provoquer des accidents mortels. Évidemment, il ne suffit pas d’informer les conducteurs qu’il y a une voiture de police qui circule quelque part dans la ville, il faut leurs fournir des informations plus précises quand à son positionnement et sa trajectoire, pour qu’il puissent anticiper des manœuvres.
A New York, la caractéristique la plus remarquable de sirènes étaitde provoquer une sorte d’ambiance proche de d‘hystérie sonore. La police et les pompiers, constatant que les alertes sonores étaient en fait peu efficaces, ont demandé à ce que l’on fabrique de sons plus puissants, donc plus agressifs. Ils ont ainsi contribué à atteindreun point de saturation sonore à la limite du supportable. Et pourtant, cela ne fonctionnait toujours pas mieux !
Si, en Europe comme dans le reste du Monde, des sons plus mélodieux semblent avoir été choisis instinctivement comme signaux d’alerte, c’est peut-être grâce à des interventions de musiciens non designers, suggérant des idées à des ingénieurs responsables des travaux effectués avec les constructeurs de sirènes. Sans doute aurait-il fallu se laisser plus porter par une inspiration créatrice que beaucoup de designers sonores ont jusque là totalement oublié de convoquer. Les sons européens partagent d’ailleurs les mêmes problèmes fonctionnels que ceux des sirènes américaines, ils sont également très difficiles à localiser dans l’espace urbain.
Il est intéressant de noter cependant, que les sonorités des sirènes européennes pourraient bientôt être remplacées par celles venant d’Amérique. En effet, vu la propagation des émissions américaines présentant des flics traditionnels, émissions très largement diffusées à la télévision dans les autres pays, notamment européens, chaque policier à Paris ou à Bombay peut désormais comme un super flic à la Kojack. Le son hurlant de se voiture de police fonçant dans les rues de New-York constitue une part importante de son image de marque. J’ai récemment vu et entendu en France, en Italie ou en Espagne, des tests de voitures de polices équipées avec les sirènes américaines ! Ces dernières, New-yorkaises à la base, deviennent une sorte son-type archétypal, symbolique et reconnu dans le monde entier. ils constituent des exemples sonores emblématiques comme une sorte d’image représentative, commune à tous.
Il ne est pas nécessaire d‘effaroucher les gens pour ‘attirer leur attention. Je pense qu’il est tout à fait envisageable de concevoir un ensemble de signaux sonores facilement identifiables et localisables,ans pour autant écrire des sons trop agressives ou trop quelconques.
Au début des années quatre-vingt, ces idées en tête, je ai commencé à approcher les institutions et personnes concernées. Tout d’abord le bureau du maire, avec lequel j’ai organisé une réunion avec les directeurs des structures new-yorkaises impliquées. Ils furent de prime abord très sceptiques. Comme beaucoup, les responsables de ces départements étaient intimement convaincus que les sons d’alarmes étaient les seuls pertinents, incontournables, qu’ils constituaient ce que l’on pouvait faire de mieux en la matière. La première pierre d’achoppement fut donc les convaincre que l’on pouvait chercher ailleurs dans le registre des sonorités, que l’on pouvait en construire de nature très différente.
En fait, les services e police étaient si sceptiques qu’ils n’ont même pas répondu à l’invitation. Au lieu de cela, ils m’ont appelé à mon studio, plus tard cet après-midi, et convié à leur siège. L’injonction fut que, si je ne venais pas, ils viendraient me chercher ! Quand je suis arrivé, après une brève discussion sur mes tickets de stationnement impayés, accueil destiné à « me mettre dans un bon état d’esprit », ils ont commencé une sorte d’interrogatoire et de sermon assez virulents : les artistes n’étaient pas, d’après eux, censés plaisanter avec le Département de la police de New York, même s’ils ont des relations avec l’Hôtel De Ville.
Au bout du , il s »est avéré que l’entretien fut plus productif que son amorce ne l‘avait laissé envisager. Bien que, par la Police New-yorkaise, ils pensaient avoir pratiquement tout les cas de figures ou individus bizarres dans la vie, je ne pense pas qu’ils aient jamais d’artiste vraiment entêté pour défendre ses projets avant moi. Après trois heures d‘âpre discussion, j‘ai quitté les lieux, encadré de deux voitures de police. Ils se sont alors dits volontaires pour fournir au projet toute l’aide et les moyens dont ils disposeraient. Ils n‘étaient pas dupes, réalisant que cela pourrait sans doute changer le quotidien de leur vie professionnelle. Ils m‘ont également flanqué d’un détective pour me tenir à œil. J‘ai alors réalisé que ce projet n‘allait pas être des plus simple !
Envisager de sons supposait que ces deniers ne pouvaient être conçus sur le papier. Il y avait trop d’inconnu pour être en mesure de les imaginer virtuellement. J’étais donc fermement décidé à travailler sur des situations de terrain les plus proches que possible de la réalité, en extérieur avec des outils de synthèse sonore modulables, pour produire des sons les plus réalistes que possible équipant des voitures en mouvement. C’était une logistique lourde assez complexe techniquement, nécessitant le tournage d’un petit film maquette in situ. Il me faudrait également disposer d’un certain temps. D’après mon estimation, j’avais envisagé huit semaines de travail en l’extérieur. Il était clair qu’il me faudrait également trouver un budget pour cela..
Être un artiste n’était pas forcément la position la plus favorable. La communauté scientifique n’était pas intéressée par mon projet. Ils se sentaient bousculés dans leurs idées, par un artiste qui refusait fermement de penser que la puissance sonore était l’une des seules valeurs fiables. Mon propre milieu, celui des producteurs artistiques, se désistait toujours, prétextant pas que ce projet n’était pas dans leur domaine de compétence. Voilà pour l’état des lieux, en ce qui concerne en tous cas la théorique relation autour des collaborations et interactions art/science.
En 1981, j’avais réuni assez peu d’argent, mais juste assez en tous cas pour m’attirer de sérieux ennuis. Dans une volonté de contrer le manque d’imagination, le manque d’audace, j’ai décidé de foncer, même sans l’argent nécessaire, pour prouver le bien fondé de mes idées. J’étais persuadé que quelqu’un allait finalement me venir en aide. J’ai alors improvisé un dispositif mobile et, en utilisant les voitures empruntées à la police, réussi à mettre en place une expérimentation sur un terrain d’aviation abandonné à Brooklyn. Je n’avais pas franchement assez de temps disponible pour pousser assez loin l’expérience, mais je pensais que, si nous avions pu tourné un petit film vidéo durant cette approche in situ, je réussirai au moins à démontrer l’importance, la portée, de ce que nous avions commencé de mettre en place. Hélas, cela n’a pas du tout fonctionné comme je l’avais espéré. Personne n’a vraiment ni soutenu le projet. J’avais épuisé toutes mes ressources financières, sans autre appui, et les gens semblaient très surpris du fait que je n’avais pas encore réussi à terminer le moindre nouveau son de sirènes.
Je suis revenu vers des activités artistes plus « classiques », me promettant de rester dans une conduite plus sage à l’avenir. En 1988, j’ai été chargé de réaliser une œuvre sonore à Aspen, dans le Colorado, et de faire une intervention à la Conférence Internationale sur l’innovation créatrice, qui ce tenait là-bas. J’ai alors trouvé un site idyllique, un bosquet de grands pins, s’étendant jusqu’à une colline au bord d’une rivière à fort courant. Je fus très intéressé par les sonorités de la rivière: une texture sonore comme une nappe a priori assez puissante et stable, mais qui, en fait, présentait constamment de nombreuses évolutions, de fines variations. J’ai composé une autre texture sonore très subtile, dans la pinède environnante, afin de faire écho à la rivière. Les deux sons étaient complètement différents, mais mixés à l’écoute lorsque vous marchiez entre le cours d’eau et la forêt vous ne pourriez jamais dire où se produisaient les changements, les variations, les passages de l’une à l’autre des ambiances. C’était très réussi et assez beau.
On avait donc supposé que je parlerais de ce travail lors de ma conférence. Au lieu de cela, j’avais décidé d’aborder à nouveau le sujet concernant mes recherches autour des sirènes. Les gens qui m’accueillaient faisaient partie d’un organisme international dont le souci était principalement l’architecture, la construction et la planification urbaine. Son approche était essentiellement, uniquement visuelle. Cet organisme me semblait une sorte de service public susceptible de s’intéresser à l’amélioration de certaines qualités de vie.
Bien qu’il y ait beaucoup de discussions autour des notions de civisme, il était clair que je ne pouvais pas facilement m’aventurer, avec mes arguments sur la création sonore, dans des sujets concernant « l’amélioration du monde ». A cette époque, en Amérique, le discours de fond tournait désespérément autour d’une sacro-sainte économie. Bien que l’introduction d’une nouvelle sirène ne soit pas un sujet aisé pour facilement de l’argent, le marché n’étant pas immense, et avec un chiffre d’affaire qui pourrait prendre beaucoup de temps avant de se développer, il me semblait que je tenais néanmoins des arguments suffisamment convaincants avec mon projet, financièrement parlant, pour pas commettre une nouvelle grosse erreur d’appréciation.
J’ai donc décrit mon projet, ses problématiques et contraintes, développé des arguments commerciaux, puis littéralement enfoncé le clou en diffusant un simulation auditive réaliste d’un camion de pompiers de New York semblant rugir, toute sirènes dehors, au milieu-même du public. Cette démonstration a fait son effet et a eu finalement les résultats escomptés. J’ai en effet trouvé un bailleur de fonds. Heureusement, ce dernier était assez ouvert sur ce genre de pari. Je me suis donc trouvé, exactement dix ans après l’amorce de ce que je pensais être au départ un projet simple, avec les moyens effectifs de le mener à bien !
J’ai choisi un site près de la mer de Salton, dans le désert californien, pour y travailler deux mois durant. Ses routes pavées ont été largement testées, permettant aux voitures sonorisées par des sirènes, de voyager à des vitesses modérées. Ce site était isolé, éloigné d’environ 40 km de toute habitation. Bien que j’espérais concevoir une série de sons destinés à améliorer le confort acoustique, le cadre de vie des habitants, le processus de fabrication et les expérimentations lors de leurs conceptions pouvaient se révéler très désagréables, voire d’une grande nuisance sonore pour les riverains. Il y a en effet une grande différence entre aller volontairement à un récital de piano, pour son plaisir, et subir les répétitions quotidiennes d’un pianiste voisin, travaillant quotidiennement les mêmes traits..
En tout cas, j’ai senti qu’ici, ma première tâche était de me pencher sur des problèmes les problèmes liés à la sécurité. Il fallait faire un bon son, qui soit donc efficace en matière de sécurité, chose que j’expérimentais in situ.
Cette semaine, j’ai commencé à réfléchir sur le sujet. il s’est d’ailleurs produit un tragique accident dans les environs de Los Angeles. Deux voitures de police, arrivant à vive allure pour répondre à une même urgence, venant de deux directions opposées, sans se voir, sont entrées en collision, tuant ainsi sept personnes. Un comble ! La première question que l’on puisse se poser, est de comprendre pourquoi, même s’ils ne pouvaient se voir, ils n’ont pas entendu l’autre arriver ? En y réfléchissant, la réponse semble évidente. Si vous vous trouvez dans une voiture de police avec une sirène hurlante au-dessus de votre tête, la seule chose que vous puissiez entendre est votre propre alarme. Tous les autres sons sont complètement couverts, masqués par cette dernière.
Les citadins disent qu’ils ne peuvent pas dire d’où vient le son de la sirène avant qu’ils n’aient vu le véhicule. Pourtant, nous sommes nés dotés d’une capacité auditive très performante pour localiser les sources sonores à l’oreille. Ce dernier a probablement évolué, peut-être s’est-ol émoussé, à partir du moment où nous ne vivions plus dans d’hostiles forêts, habitats où localiser les dangers à l’oreille était une question de vie et de la mort. Pourquoi connaissons nous aujourd’hui-nous de vraies difficultés à localiser des sons, pourtant puissants, nous informant de certains dangers dans la ville? La réponse réside dans la nature-même de ces sons. Rien de comparable à ces sonorité n’a jamais existé dans la nature!
Tout d’abord, l’environnement sonore très réverbérant de la ville contemporaine se comporte comme un véritable espace acoustique qui serait recouverts de miroirs sonores. Plus vous introduisez et produisez des sons dans la ville, plus vous obtenez des effets « déroutants ». Il devient alors clair que, pour réduire la confusion ambiante des réflexions, la diffusion sonore doit être rigoureusement maîtrisée, à la fois sur les côtés et vers le haut. Il faut également émettre le son là où il est absolument nécessaire, tout en le réduisant dans des endroits où il ne s’impose pas, voire devient gênant, sinon dangereux, ceci dans la mesure du possible. À bien des égards, un son devrait être pensé comme une lumière.
Toutefois, une rapide analyse des systèmes de haut-parleurs utilisés par la plupart des sirènes m’a montré que ces dispositifs étaient plutôt pensés pour leur aspect visuel que pour leurs qualités et performances acoustiques. L’une des ambiances sonore les plus courantes a même été promue comme un «jet Scoop », et crée pour imiter l’envol d’un avion de combat, je suppose pour donner au policier le sentiment qu’il était un pilote de chasse. Cette conception était tout fait inutile, voire nuisible, de par son manque de contrôle pour diffuser et de projeter correctement le son. Ces modèles de sirènes, qui utilisaient des cornes directionnelles, avaient en fait leur axe mal orienté avec leurs longs tubes verticaux, de sorte que les sons étaient propagés vers le haut plutôt qu’en destination des usagers de la rue, alors qu’ils auraient dus être dirigés de préférence vers l’avant. Ces haut-parleurs auraient pu tout aussi bien été montés dans « le bon sens », acoustiquement plus logique et efficace, mais leurs aspects esthétiques n’aurait pas été aussi agréable.
Il me semblait que les systèmes d’alarmes actuels avaient tous pris le parti de la puissance sonore avant tout – plus il y a de son, et plus il arrose large, mieux il est considéré. En faisant cela, les constructeurs ont, à l’encontre de toute logique, ôté au son sa capacité de transmettre des informations lisibles. Une grande partie du son est non seulement totalement inutile, mais lorsqu’il est mis en branle, il ajoute en fait de la confusion à la situation. Pourtant, le principal objectif devrait être d’informer clairement les gens en cas de danger. Une de mes principales idées, lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, était justement de de transmettre un maximum d’informations, qui seraient contenues dans les sons-mêmes et véhiculées par ces derniers. Il ne s’agissait pas d’apprendre aux gens à distinguer de nouvelles formes d’alarmes sonores, mais plus simplement qu’ils puissent « lire » intuitivement les alertes ambiantes, par le biais d’une sorte personnage sonore communiquant,pour tenter de donner une métaphore significative.
La signification du message d’une sirène, pour les piétons et les automobilistes, diffère, voire se trouve altérée selon l’endroit d’où arrive la sirène, et d’où se trouve l’auditeur. Il faut savoir précisément où se situe la source sonore, si elle vient vers moi, si elle s’éloigne… Si elle se approche, vient-elle de la gauche de la droite, de devant ou de derrière? Pourquoi alors ne pas chercher à clarifier la situation par le son lui-même? J’ai compris que le type hyper directionnel d’un pavillon de haut-parleur employé, possédait une caractéristique intéressante que je pourrais utiliser pour réaliser mon dessein. Les sons les plus aigus étant les plus directionnels, les plus faciles à diriger et à focaliser, les basses fréquences sont plus faibles, et projetés dans toutes les directions, alors que les fréquences plus hautes se focalisent en un faisceau plus directif plus concentré, à la trajectoire précise. Réfléchissant à cela, je pouvais alors concevoir pour la voiture différents sons, positionnés dans plusieurs plans, de côté, devant, derrière… Je pourrais ainsi donner à la voiture une sorte de forme, de volume sonore, au sens architectural du terme. Les sons au volume élevé marquent généralement un caractère plus urgent que les plus faibles, je pourrais donc construire cette image/volume sonore de sorte qu’il reflète le danger différemment selon les circonstances. J’envisageais de diffuser de la voiture une sonorité évoquant plus le danger lorsque vous vous trouviez devant elle que sur le côté, ou derrière.
J’ai entamé la construction de certains timbres, hauts-parleurs métalliques, avec des fréquences aigües, très incisives. Placé sur les côtés de la voiture, vous entendiez plutôt des sons graves, aux harmonies assez tempérées. Lorsque la voiture se dirigeait vers vous frontalement, des sons plus aigus et agressifs vous mettaient en garde contre l’imminence d’un plus grand danger potentiel. Si vous vous trouviez dans un rayon proche, trop proche, face à la voiture, le son se faisait encore plus violent. Intéressant principe!
Un des principes de base de la psychologie humaine semble être d’ignorer à la longue les situations stationnaires et de mieux réagir au stimuli des changements. Tous les conducteurs de véhicules d’urgence avec qui j’ai échangé m’ont parlé de leur technique, de leur « truc »,qui consiste souvent à moduler les sons, les rythmes,différemment, avant d’aborder une intersection dangereuse, pour recapter une attention qui se serait un brin relâché à l’écoute d’un continuum sonore. Il ne s’agit pas dans ce cas de jouer sur le type de sons utilisés, mais plutôt d’introduire un changement dans l’utilisation du son, des modulations, pour attirer d’avantage l’attention des passants. Une voiture qui posséderait une image sonore modulable, conçue comme celle que j’étais en train de mettre en place, et qui aurait à se faufilerait à travers les flux automobile surbains, serait en capacité de produire des sons différents selon les circonstances. Cela lui donnerait une vraie valeur ajoutée, avérée par les expérimentations, qui permettrait de capter plus facilement, plus efficacement, l’attention des piétons comme des automobilistes.
Ayant décidé de concevoir des sortes de salves sonores espacées, la question était qui se posait alors était de définir le temps optimum séparant ces rafales soniques. Il l’est apparu assez rapidement que le facteur important n‘était finalement pas le temps, le rythme, mais plutôt la distance à laquelle on écoutait, liée à la vitesse du véhicule. Un son s’éteint assez rapidement à l’oreille lorsque sa source prend de la distance, il était donc nécessaire de respecter une distance relativement courte, dans le parcours de la voiture, entre les salves sonores, peu importe à quelle vitesse la voiture se déplacerait. Alors, pourquoi ne pas lier l’intervalle temporelle au facteur distance ? De cette façon, logiquement, quelle que soit la vitesse de la voiture, les sons seraient toujours diffusés à une distance optimale: plus la voiture allait vite, plus les sons seraient denses, nombreux, rapprochés. Il fallait mettre en œuvre toute l’énergie sonore nécessaire, mais pas plus qu‘il était utile d’en dépenser. Il y avait aussi le fait que plus une voiture roulerait vite, plus elle sonnerait en annonçant un danger, une urgence, comme il était logique et prudent de le faire. On faisait là d’une pierre deux coups ! Une situation des plus intéressantes à explorer !
Spaced sound bursts at an optimum distance irregardless of speed, Siren Project, Drawing #1, 1991
Bien que la recherche sur une sorte d’éclatement rythmique du son, dont la diffusion serait au maximum maîtrisée spatialement, avait beaucoup fait progresser sa localisation, je pensais que ce n’était pas encore suffisamment abouti pour être vraiment satisfaisant. Dans des villes très denses où se trouvent de nombreux immeubles de grande hauteur, les ambiances acoustiques sont devenues extrêmement complexes. Le verre est d’ailleurs un bon, trop bon, réflecteur sonore, à tel point que des réverbérations trompeuses peuvent nous induire en erreur par des effets « trompe-l’oreille », en entendant le son là où il n’est pas en réalité. Il fallait donc être en mesure de situer à l’écouteprécisément l’emplacement d’une voiture, même si ses sources sonores étaient plus ou moins brouillées par des bâtiments, si on voulait que le système soit efficace. Il restait pour cela encore beaucoup à faire !
Une des raisons pour laquelle j’ai choisi, comme un site de travail, cet endroit particulier qu’est le désert près de la mer de Stalton en Californie fut qu‘une route y traversait un canyon aux parois abruptes, avec une double courbe en ‘S’. L’acoustique reproduisait étonnamment celle des grandes avenues de Manhattan, tout en étant encore plus complexe. La topologie du canyon produit en effet certains échos et réverbérations des plus déroutants que j‘aie jamais écoutés. Si je parvenais à y créer un prototype de son efficace, aisément localisable, que je pourrais suivre à l’oreille tout au long de ce canyon, je serais alors en mesure de travailler n’importe où avec des dispositifs similaires.
J’ai commencé par me poster au milieu de la double «S», alors que mon assistant conduisait la voiture équipée de sirènes, en parcourant le canyon dans les deux sens, d’une extrémité à l’autre. J‘ai modifié et amélioré les sons à chaque passage et les ai écouté pour les comparer dans leur pertinence. Quand je trouvais une sonorité que je pouvais suivre plus aisément suivre à l’oreille que d’autres, je testais des variations pour comment je pouvais encore l’améliorer. Peu à peu, j‘ai ainsi commencé à obtenir ce que je cherchais, à savoir sur quelles typologies sonores je travaillerai désormais. Après plusieurs semaines, j‘avais développé une série de sons qui pouvaient être localisés et facilement à l’écoute. On pouvait entendre clairement où se situait la voiture dans le canyon, mais il restait par contre très difficile de dire se si elle venait vers nous où si elle s’éloignait. Les deux sens de circulation se confondaient acoustiquement. De toute évidence, il me manquait encore un élément très important de l’information pour que mon système soit opérationnel. J‘ai alors réalisé que je n’avais équipé que la partie avant de la voiture, une demi image sonore en quelque sorte, incomplète. J’ai donc monté une autre sirène à l’arrière du véhicule, et lui ai composé des motifs sonores assez différents de ceux diffusés l’avant.
J‘ai demander à mon assistant d’effectuer de petits parcours concentriques, dans différents endroits du canyon, avec la voiture équipée de sons avants et arrière. Ce fut un moment assez merveilleux. Je pouvait facilement différencier l’avant puis l’arrière de la voiture alors celle-ci tournait, et ce à presque deux kilomètres, dans ce véritable labyrinthe acoustique !
Aural images of hidden cars, Siren Project, Drawing #4, 1991
A cette étape du travail, il était maintenant temps de commencer à définir un véritable corpus sonore. Cette volonté de re-capter l’attention par des interconnections sonores exigeait de travailler sur toute une série de sons. Dés lors, tant qu‘à faire de créer des modèles différents, pourquoi ne pas leurs donner des significations plus précises ? Un ensemble gradué de différents degrés d’urgence semblait nécessaire pour proposer au conducteur, pompier, ambulancier,de nouvelles possibilités – métaphoriquement parlant, une sorte d’accélérateur ou de frein, de ralentisseur acoustiques pour ainsi dire. Durant la genèse de ces indices sonores singuliers, j‘ai commencé à travailler sur les sons qui évoquaient le « moins urgent »: une petite « décharge sonore »liée à la vitesse de déplacement, à la position du véhicule, plus aigue à l’avant de la voiture (danger imminent), plus grave à l’arrière(danger s’éloignant). J‘ai composé les sons pour les sirènes avant de sorte que leurs apparitions soient illustrées par une tonalité spécifique, et pensé comment ils s‘effaceraient à l’écoute,dans une sorte de boucle-cycle sonore assez complexe dans sa timbralité. Cettebouclecomprenait également de hautes fréquences lumineuses qui étaient, simultanément aux sons, projetée à l’avant de la voiture, comme une nouvelle couche d’information délimitant acoustiquement une zone de danger sonore que j’ai déjà évoqué précédemment.
Sound burst patterns, Pitch contour, amplitude and tone color over time, Siren Project, Drawing #2, 1991
Le pattern sonore que j’ai élaboré ensuite a été construit autour de deux émergences sonores différentes, se succédant rapidement – La sirène avant proposait un mouvement sonore ascendant, du grave vers l’aigu, alors que celle de l’arrière, à l’opposé, descendait de l’aigu vers le grave, simultanément. Pour la troisième alerte, celle avertissant des situations les plus dangereuses, urgentes, J‘ai composé une sorte de balayage de fréquences, de glissendo, en distinguant à l‘avant de l’arrière par des motifs opposés – l’enceinte avant effectuait un balayage vers le haut, celle à l’arrière vers le bas.
A cette époque, je en avais assez de parler « avec des cailloux dans ma bouche » comme Démosthène. Je voulais tester les sons in situ dans une vraie ville ! Sous l prétexte de réaliser un , j’ai demandé la permission d’opérer durant plusieurs soirées dans un quartier du centre-ville d’Oakland. En fait, même pour une bonne cause, de renforcer la sécurité urbaine dans les rues de la ville, cette opération avérée impossible, face à une bureaucratie tatillonne, alors que vous pourriez pratiquement assassiner n’importe qui, n’importe où, si vous faite une belle publicité pour la ville dans . La collaboration avec des agents de la police locale et des pompiers en repos, en tant que chauffeurs, dans un imbroglio administratif, a fait comprendre aux institutions que nous faisions plus que tourner un simple film, et qu’ils ne savaient pas trop quoi et comment faire à ce sujet. Les policiers en service eux, ont soutenus ceux qui conduisaient les voitures.
Une autre raison concernant l’emploi de vrais pilotes de véhicules d’urgence était qu’il me fallait recueillir leurs réactions, discuter avec eux autour de l’utilisation in situ ces nouvelles sonorité. Ces personnes avaient en effet une longue expérience au quotidien de l’usage des sirènes et en quelque sorte, leur propre vie en dépendait. Ils ont été très impressionnés d’être enfin en mesure d’entendre les sirènes des autres véhicules. Ils ont également apporté quelques nouveaux paramètres à prendre en . Lors des interventions d’urgence, sirène actionnée, ils utilisent très souvent leurs radios interne pour recevoir ds instructions. Avec les nouvelles sirènes, ils pouvaient pour la première fois entendre clairement les messages de leurs radios. Ils ont également parlé d’une diminution de leur propre niveau de stress, grâce à ces nouveaux sons. Pour ma part, j’étais également extrêmement rassuré de constater qu’il était beaucoup plus facile de suivre les sons à la trace, à l’oreille, dans une ville, que dans mon canyon tortueux.
j’ai passé beaucoup de temps à expliquer des aspects fonctionnels des sons d’alerte. Aussi importants soient-ils, leur aspect esthétique est tout aussi importante. Qu’en est-il vraiment du caractère esthétique des sons d’alarme ? Dans les sociétés primitives, l’autorité a été souvent affirmée et représentée par des sorciers portant un costume qui évoquait la puissance et la peur: le sorcier était vêtu comme un véritable monstre. Visuellement, aujourd’hui, notre représentation de l’autorité a beaucoup évolué. Nous n’habillons plus nos policiers comme des monstres terrorisants (quoique que). Pourquoi devrions nous alors encore penser que notre représentation de l’espace sonore devrait à des représentations monstrueuses, dans une idée de pouvoir ? Acoustiquement, nous sommes toujours à l’âge de pierre ! Nous pensons encore que la voiture de police doit incarner l’Autorité, se mettant ainsi en scène comme un objet menaçant. Pourtant, si nous l’avions imaginé et construit dans un aspect aussi négatif que cela, nous serions tentés de ne pas le prendre au sérieux, d’en rire. L’avertissement d’une sirène traversant une ville reste très ciblée, très personnelle, subjective, en tous cas pour le plus grand nombre qui ne sont pas directement concernés. Son effet (ou non effet) sur des passants non impliquées, nous pose la question de savoir quelle influence ont, ou n’ont pas, ces signaux d’alerte dans l’espace public. Les sons de la sirène ne sont pas vraiment quantifiables, évaluables, nous pouvons précisément mesurer leur impact sur l’ensemble de la population. Mais finalement, peu importe, Il nous reste possible de concevoir des sons à la fois puissants et informatifs, et surtout qui ne constituent pas eux-même de nouveaux dangers urbains ?
Les sons que j’ai testés à Oakland sont de véritables esquisses sonores de ce qu’ils pourraient être au final. En en éprouvant les aspects fonctionnels, je voulais également prendre en compte leurs qualités esthétiques, culturels. Par exemple le fait qu’ils nous paraissent familier à l’oreille, qu’ils nous évoquent la sonnerie d’une cloche, sans être pour autant ni trop banals, trop quelconques, ni trop stressants. Ils peuvent en fait être quasi agréables, ni plus, ni moins que leur efficacité ne l’exige. Je qualifierais même l’un d’eux de beau. Je voulais démontrer qu’on pouvait faire se garer les gens, libérer le passage pour les véhicules d’urgences sans pour autant les menacer d’une façon trop autoritaire, terrorisante. Je suis d’ailleurs content de vous affirmer que cela est possible. Bien qu’aucuns de ces sons n’aient jamais été entendus auparavant, qu’ils ne soient donc pas identifiés comme des signaux d’alerte et que l’essai dans l’espace public n’ai pas été annoncé publiquement, toutes les voitures que nous avons croisées se sont rangées sans hésitation sur le bas-côté de la route.
La prochaine question qui se pose dés lors est de savoir comment mettre en œuvre pratiquement ces nouvelles idées sur le terrain. Comment les vendre, équiper des véhicules de pompiers, des ambulances. On pourrait penser que cela s’avéreraitchose facile, du fait notamment qu’il s’agisse d’une proposition pouvant contribuer à sauver des vies humaines et à améliorer les conditions de vie en milieu urbain. Cependant, les institutions de tutelle qui gèrent le parc automobile des véhicules d’urgence sont contraintes à appliquer des procédures d’achat très strictes. Ces dernières impliquent des appels d’offres relatifs aux marchés publiques, des contrats de très cadrés et bien, d’autres réglementations et procédures administratives. Une structure industrielle et commerciale spécifique devrait quasiment être créée de toutes pièces,pour fabriquer, distribuer et et la maintenance des sirènes. De plus les concepts ont dû être protégés par des dépôts de brevets de protection intellectuelle,pris en charge par un fabricant spécifique.
L’office des brevets Américain a hélas les mêmes préconçus sur la chose sonore que la plupart des gens. L’idée qu’un son puisse construire quelque chose d’utile pour la société n’était pas encore, tant s’en faut, dans l’air du temps. Un brevet, par définition, dépose en générale de nouvelles idées sur des conceptions d’objets ou de dispositifs matériels, tangibles. Ma proposition de fabriquer de nouvelles sonorités impactant la circulation, les modes de déplacements de véhicules d’urgence dans la ville,les a beaucoup questionné, laissé assez septiques sur la crédibilité de l’affaire. Il s’agissait là d’une première dans le monde de la propriété intellectuelle, personne n‘avait jamais fait breveter un son auparavant. Deux ans après la fin de l’expérimentation de mes dispositifs sonores, le 30 Avril 1991, l’Office des brevets des États-Unis a enfin reconnu le procédé et publié le brevet no 5,012,221, donnant ainsi une existence légal et un droit de propriété à quarante-six méthodes visant à l’intégration de sons d’alerte sur des véhicules d’urgence.
On pourrait donc penser que le plus dur était fait. Quel constructeur de sirènes ne profiterait pas de l’occasion offerte par un produit original, produit qui pourrait donner un nouvel essor à ses productions et lui ouvrir un marché inédit ? Malheureusement, le monde ne fonctionne pas de cette façon là face à de concepts. Les idées nouvelles, celles qui nécessitent un changement assez radical dans la façon de penser, de fabriquer quelque chose d’aussi immatériel qu’un « son d’utilité publique », vont généralement à l’encontre la pensée commune. Ces idées là, si jamais elles se réalisent un jour, demandent beaucoup de temps avant que d’être vraiment acceptées.
Les fabricants et vendeurs de sirènes insistent lourdement sur le fait que les conducteurs de voitures de police, de pompiers et d’ambulances tiennent à conserver leurs sons désagréablement forts, afin de renforcer leur image de pouvoir dominant exercé sur l’espace public. Selon les cas, cela peut être vrai, comme ne pas l’être !. En 1989, le Département de Police de New York m’a commandé une série de nouvelles alertes sonores, pour les comparer aux modèles existants dans dans une de leur circonscription. Dans les faits, aucun fabricant de sirènes n’a jusqu’à aujourd’hui montré le moindre intérêt à réaliser une série de prototypes qu’ils pourraient eux-même tester.Les fabricants et distributeurs n’ont en fait aucune envie de bousculer le ronronnement de leurs habitudes commerciales. Ils se contentent de conserver les produits traditionnels, année après année, sans chercher de nouvelles modes de pensées ou d’action, pour rester dans les petits papiers des chefs de police, ceux qui aiment se présenter tels des pilotes d’avions de chasse, avec des images sonores façon guerre de l’espace. Dans une société régie par l’aveuglement d’une mentalité trop mercantile, un «produit», qui remettrait en cause les habitudes bien enracinées des acheteurs potentiels, est tenu comme un objet parfaitement inutile.
Derrière cette forme de léthargie, se pose bien entendu aussi la question de l’argent. Le marché des nouvelles sirènes n’est pas énorme. De plus, il ne se renouvelle pas rapidement. Généralement, lorsqu’un véhicule est remplacé, une ancienne sirène est tout simplement réinstallée dans ce dernier. Fabriquer une nouvelle alarme demande un de départ, pour la concevoir, la produire et la distribuer, et même avec une part de marché potentiellement accrue, cela ne fera pas du constructeur un . Le gouvernement de son côté n’exige pas que les sirènes deviennent plus efficaces et plus sécurisantes, alors les fabricants font pression pour imposer leurs produits à ceux qui sont censés les réglementer. Il n’y a pas non plus de pression de la société civile, du fait que le public ne connaisse pas l’existence de meilleurs alternatives.
Les sons d’une sirène traversant une ville constituent les événements sonores des plus prégnants dans la vie quotidienne. Dans les grands centres urbains, à l’habitat très dense, de tels événements sonores se produisent habituellement plus d’une centaine par jour ! Dans des villes comme New York, les sons de sirènes sont quasiment omniprésentes. Une meilleure gestion de ces signaux sonores pourrait, non seulement épargner des vies humaines, mais aussi, au regard de la densification de la population mondiale urbaine, contribuer à long terme à rendre les cités plus vivables.
Bien que vous puissiez mener un cheval au ruisseau, vous ne pouvez jamais le forcer à boire !
Max Neuhaus, 1991 (with addenda in 1993)
Originally published in Kunst + Museum Journaal (Amsterdam) . 4, no. 6 (1993).
Tout geste de création sonore s’inscrivant dans un espace public modifie généralement ce dernier en lui ajoutant une couche audible supplémentaire. L’artiste utilise ainsi tout un panel de système ou de dispositifs, amplifications électroacoustiques, installations acoustique ou non, interactions numériques, pour installer des sons destinés à être entendus par un (large) public. Que ces sons soient composés in situ ou non, plus ou moins en relation avec l’espace investi, ou totalement déconnectés du terrain, l’auditeur se verra proposer une scène acoustique qui modifiera généralement très sensiblement l’espace d’écoute, jusqu’à parfois le phagocyter en imposant on hégémonie qui recouvrira l’essentiel de l’ambiance préexistante.
Les lieux sont ainsi grandement chamboulés, et parfois relativement malmenés, ainsi d’ailleurs que l’oreille des visiteurs par effet boule de neige.
Ce choix artistique peut cependant, dans une ponctualité événementielle, être assumé et pertinent, s’il ne s’impose pas sur des durées déraisonnable, voire nuisibles pour l’environnement et surtout ses propres habitants, humains ou non.
Le choix du ménagement des lieux
Si les lieux sont souvent sujets d’aménagement, y compris parfois sonore, pour le meilleur et pour le pire, nous parlerons ici de ménagement de l’espace public. Ménager un lieu, c’est tout d’abord en respecter ses qualités intrinsèques, ses équilibres, ou toutefois ne pas les amplifier, voire en ajouter de nouvelles. Dans le meilleur des cas, il faut également le garder relativement protégé de toute invasion acoustique trop prégnante, en tentent de rester dans des situations où l’écoute ne devienne pas trop fatiguante, où la parole et le dialogue puissent s’exercer sans trop hausser le ton, ou les surenchères pour se faire entendre malgré tout n’amènent pas un trop grand brouhaha urbain.
Le ménagement c’est le respect du site, mais sans doute surtout de ses résidents. Cette posture ne voulant pas pour autant dire qu’il faille tomber dans un immobilisme sclérosant, ou le territoire serait plus figé qu’un muséum d’histoire naturelle (à l’ancienne), sous prétexte de la garder dans son intégrité sécurisante et sans relief. On peut penser pour cela une façon de percevoir différemment le terrain, ses ambiances, de décaler ou d’amplifier les expériences sensorielles, plutôt que de chercher à modifier ou à asservir le territoire via des expériences sonores trop présentes en puissance et en durée.
Modifier les perceptions des lieux, façon Max Neuhaus
Je reprendrai ici trois exemple d ‘interventions sonores plutôt douces de l’artiste MaxNeuhaus dont je pense que les actions autant que les propos illustrent la posture respectueuse qu’avait l’artiste, à la fois des sites et des écoutants potentiels.
Le premier exemple, sans doute pour moi un des plus emblématiques, est celui des soundwalks, ou promenades sonores, auxquelles il avait donné en sont temps nommées du nom évocateur de « Listen ». Rappelons que, dans l’esprit de John Cage qu’il admirait profondément, Max Neuhaus avait parmi ces objectifs artistiques, de faire sortir la musique des sacro-saints lieux de concert, pour aller l’offrir à un maximum de public. L’espace public, la ville, les rues se posaient donc comme un théâtre sonore des plus pertinents pour ce faire, à une époque où la chose n’était pas encore si courante que cela. Donc, au lieu de ramener dans les lieux de nouvelles sonorités, fussent-elles musicales, pourquoi ne pas envisager les ambiances sonores urbaines comme LA ou LES Musiques des lieux, qui se suffiraient donc à elles-mêmes comme installation in situ, à condition de les révéler comme telles. Sitôt dit sitôt fait, Un groupe de promeneurs écoutants était emmené au travers des lieux judicieusement choisis pour la diversité des sources sonore et des acoustiques ambiantes, comme un parcours qui offrait un concert de sons « naturels », sans autre adjonction de sonorités exogènes. Pour renforcer l’immersion, ou garder les visiteurs dans un état d’attention optimum, le mot « Listen » était tamponné sur leurs mains, leurs rappelant ainsi tout au long du parcours la motivation de cette déambulation. Max Neuhaus a ainsi proposé su plusieurs années à partir de 1966, de nombreuses marches, d’usines en parcs, de places en gares, dans le but de partager dans sons sans forcément chercher à en établir une hiérarchie dans leur valeur esthétique, avec un public le plus nombreux que possible, et de préférence non averti, et tout en respectant l’intégrité territoriale puisque c’est juste son écoute qui installait des des sons in situ. Une façon d’axer l’attention sur la perception auditives sans modifier l’environnement initial qui fonctionne encore parfaitement un demi -siècle plus tard !
La deuxième œuvre de Max Neuhaus à laquelle je ferai référence ici est son fameux Time Square, installé à l’embranchement d’une grand carrefour de New York, à proximité de Broadway en 1977. Toujours dans l’idée de toucher un maximum d’auditeurs hors lieux dédiés à l’art, l’artiste utilise une « chambre acoustique » constituée par un espace d’aération souterrain du métro, recouvert d’une grille donnant sur un passage piéton. Utilisant les fréquences de résonances du lieux, et se servant de cette cavité comme une chambre de réverbération, Max Neuhaus fera entendre son installation dont le son s’échappera par la grille d’aération, en jouant sur des sonorités qui se distingueront de l’acoustique ambiante sans pour autant s’impose dans le le lieu, ou s’y frotter de façon véhémente. Les piétons, confrontés de façon inopinée à l’œuvre, sentent qu’il se passe quelque chose, que l’ambiance n’est plus tout à fait la même que l’ordinaire, sans toutefois parvenir à dire en quoi consiste ce changement. Ils ne se doutent pas un instant qu’ils sont en fait postés sur une installation artistique. C’est bien encore une fois dans le décalage de la perception plutôt que dans une transformation radicale de l’espace de diffusion que se crée un nouveau paysage sonore qui se déploie très discrètement à l’oreilles des promeneurs, sans faire violence à l’espace public, mais plutôt en le questionnant délicatement. Il s’agit là de jouer sur un effet de surprise en colorant légèrement l’espace pour désorienter l’oreille du passant qui va se demander pourquoi il n’entend plus le lieu comme d’habitude, qu’est ce qui a vraiment changé. Jeu autour de la perception et de la psycho-acoustique. Et si le passant n’est pas un habitué des lieu, sans doute se demandera t-il pourquoi l’ambiance acoustique est si étrange en cet endroit précis, ambiance que l’on ne retrouvera pas sur d’autres grilles ‘aération du métro new-yorkais.
Je prendrai un troisième et dernier exemple, toujours tiré de l’importante production artistique de Max Neuhaus, pour continuer d’argumenter ces recherches perceptives, qui touchent au final plus le contexte paysager que l’œuvre elle-même, lesquelles œuvre se matérialisant comme une installation et diffusion de compositions sonores dans des espaces donnés. Ici, max Neuhaus ira encore cueillir le public dans un lieu inhabituel pour des installations artistiques : Les piscines. Lorsque l’on parle d’immersion, ou de bain sonore, quoi de plus naturel que de le proposer à des écoutants plongés dans des masses d’eau. Précisons ici que ce travail, réalisé lui aussi sur une série de lieux différents et sur plusieurs années, a été réalisé bien en amont de celui des concerts aquatiques de Michel Redolfi, tout début des années 70. En fonction des bassins de piscine, lMax Neuhaus installait des sifflets immergés, donc uniquement écoutables sous l’eau, les Water Whistle Series. Toujours dans cette volonté de modifier la perception des lieux, ici dans un milieu aquatique inhabituel, sans forcément faire subir à ces derniers d’importantes et radicales transformations.
Ces trois types lieux, une ville où l’on déambule, un square au centre de New-York et des piscines sont ont été des terrains d’expérimentations sonores tout indiquées pour que Max Neuhaus puisse exercer son art, tout en finesse, sans même imposer l’œuvre d’art comme une œuvre d’art à proprement parler, je veux dire en tous cas dans la perception qu’en avait le public. Nus sommes ii dans une approche qui non seulement ménage les lieux, mais où le statut même de l’artiste omniscient s’efface pur laisser la part belle au seul paysage sonore. Il faut ici faire en sorte que le visiteur involontaire soit interpelé par une anomalie, plutôt esthétique, sans qu’il sache vraiment qui en est l’auteur, même si un cartel vient au final le renseigner sur le dispositif et son auteur.
Dans une société de plus en plus urbanisée, et dans des villes de plus en plus densifiées, Max Neuhaus prône une modération qui donne à entendre, sans rentrer dans un jeu de surenchère à qui parlera le plus fort, le paysage sonore lui-même, et c’est sans doute un des aspects des plus remarquables dans ces jeux de perceptions décalées.
Points d’ouïe et Paysages sonores à portée d’oreilles
« Le silence est dehors »
Franchir un nouveau PAS
Installer le silence pour installer l’écoute pour installer le paysage sonore
Le silence est habité partageable révélateur fédérateur ouïssible
La parole disparait le geste invite le corps joue, performatif la lenteur s’installe
Le paysage alors se fait entendre
« Dedans dehors et entre »
Projet décloisonnant in/out
Dedans/Dehors, cet axe, ce mouvement est induit par son propre énoncé. C’est la volonté de faire bouger des sonorités, des paysages, des ambiances, entre les murs, entre les personnes, à l’extérieur et à l’intérieur d’espaces a priori Oh combien cloisonnés.
C’est le désir de faire naviguer des ambiances auriculaires, via des passages aller-retours, des fenêtres ouvertes, des passe-murailles symboliques. Et ce au travers la construction de paysages sonores, substrats incontournables de mon travail, ceux-là même qui contribuent à ouvrir des espaces relativement, voire très fermés.
Considérer les bancs publics comme des installations urbaines qui nous permettent d’écouter la ville, ou ailleurs, autrement. D’effectuer des parcours d’écoute en solitaire, en duo, à plusieurs… Des bancs comme un cheminement tramé in situ, un maillage cartographié de Points d’ouïe, d’affûts proposant des postures en focales, en arrêts sur sons… Des lieux où se poser, rencontrer, se frotter à des endroits parfois surprenants, pour ne pas dire Desartsonnants.
« Inaugurations de Points d’ouïe »
Cérémonies officielles autant que sonores
« Akoustiks trans-posées »
Acoustiques auriculaires
Enregistrer, comme des signatures sonores, des acoustiques architecturales remarquables, notamment par leurs réverbérations (églises, passages couverts, usines désaffectées…) Les (ré)installer hors leurs murs, avec des dispositifs ad hoc, dans d’autres espaces, leux de monstration et d’audition. Agrandir les lieux par des perceptions sonores, décaler des écoutes en jouant sur des écritures ambiantales, via les Akoustiks Trans-Posées. Désorienter les relations entre les choses vues et les choses entendues… Jouer avec des espèces d’espaces, sonores, les frontières sensibles…
Et bien d’autres actions sur mesures, cousues mains, autour de partitions marchécoutées, de paysages sonores nocturnes, d’écosophie écoutante, de résidences d’écritures audio-paysagères, workshops et groupes de travail…
Desartsonnants cherche lieux d’accueil sonophiles, sonifères, sonophages, festivals curieux de la feuille et autres terrains de bonnes ententes.
Écrire avec des sons Une plume de roseau vibrante au vent Roseaux penchants Roseaux pensant Et puis sifflotant Un filet d’air extirpé du vent Juste assez ténu Pour caresser les frondaisons Que l’on croyait inatteignables Les frémir au le vent Pour prendre du large Écumer les bouillonnements Surfer sur les crêtes moussues Jusqu’au sable des dunes érodées Crissements doux Matière qui glisse Et coule sous les pieds instables Quand le ressac sape Creusant jusqu’à notre équilibre Plus fragile que prévu Ressac effaçant les potentiels signes plagiaires Messages aux cœurs noyés Châteaux effondrés presque sans bruit Les grains roulent néanmoins Abrasifs et crissants Sans marées perceptibles Et puis des rires plongeant Des volatiles moqueurs Braillards jusqu’à l’agacement De tous leurs cris sans relâche Tchekhov l’avait senti La liberté n’est pas toujours là où on pense l’entendre Les rieuses ont fui la guerre Les canons par dessus mer Tonnent trop violents Le silence de l’amer Se tait sans faire de vagues Sans même agiter le roseau Comme une grande mouette muette Le bec cerclé de barbelés L’air n’y entrera plus Silence demeure Les sons peinent à s’y écrire Ou bien ils se récrient englués Sous des chapes d’où plus rien ne s’échappe Sourds écroulements sans pitié Garder l’oreille par-dessus Chercher l’air salvateur La bouffée nourricière Le filet de vent frais Qui, sans attiser les feux frissonnera les grands trembles Élancements fragiles au pied des rives Leurs branchages montant pourtant Vers les trouées de ciel aspirant Là où respire encore le vent Quoiqu’il charroye de remugles De cris inentendus D’agonies inaudibles Les sons s’éteignent Faute de les écrire Ou pire encore Faute de les dire Ou pire encore Faute de les les entendre.
Une approche à nouveau désartsonnante, contée par un montage audio.
A l’origine, de belles productions de Radio Grésivaudan qui, comme chaque année, couvre le Festival de l’Arpenteur, micros aux aguets, pour des interviews, paysages, créations sonores… Le tout avec beaucoup de talent, de poésie, d’humour et de bonne humeur.
Desartsonnants se réapproprie ici ces beaux moments radiophoniques. Il les redécoupe, remonte, remixe, pour raconter une histoire à sa façon, très égocentrée. Une histoire de son passage au festival, de sa belle aventure avec l’équipe, les détenus d’Aiton, Dedans/Dehors, avec les enfants, et encore, d’autres histoires, au gré de paroles échangées ou entendues au détour d’un chemin, d’une place, d’une école, d’un bivouac au cœur du village…
Grand merci à Jessica, Louna, Marine, Ismaël… pour leur gentillesse et savoir-faire de conteurs.euses radiophoniques.
DedanS/DehorS, cet axe, ce mouvement induit par son propre énoncé, n’était pas, pour moi, pensé initialement comme un projet spécifique, une problématique en soi, conduisant vers une ligne d’actions à destination de ce que l’on nomme des publics empêchés, ou captifs.
C’est au fil d’expériences, d’interventions auxquelles j’ai été convié, ou que j’ai initiées, (Maison des Aveugles à Lyon, prison des des Baumettes à Marseille, ESAT Lyon, Hôpital Psychiatrique du Vinatier à Bron, Centrale pénitentiaire d’Aiton…), qu’a émergé progressivement, et peut-être même s’est imposée l’idée de faire circuler des sons Dedans/Dehors.
De là est venue cette volonté faire bouger des sonorités, des paysages, des ambiances, entre les murs, entre les personnes, à l’extérieur et à l’intérieur d’espaces a priori Oh combien cloisonnés.
De là est né le désir de faire naviguer des ambiances auriculaires, via des passages aller-retour, des fenêtres ouvertes, des passe-murailles symboliques. Et ce au travers la construction de paysages sonores, substrats incontournables de mon travail, ceux-là même qui contribuent à ouvrir des espaces relativement, voire très fermés.
En tout premier lieu, le dedans peut être celui du soi-même, de l’intime, une pensée personnelle, qui pourront trouver résonance, écho vers l’extérieur, en étant partagés vers différents dehors, dont celui l’autre, comme une altérité bienveillante.
Et puis ce sont aussi ces échanges, transferts, superpositions d’ambiances, d’acoustiques, de récits sonores, de lieux à lieux, transports d’écoutants à écoutants.
C’est donc au travers des paysages sonores, à la fois préexistants, mais aussi (re)construits de toutes pièces, de concert, comme des espaces/médias de représentation, que les univers sonores sont pensés pour élargir les lieux de vie en y circulant en interne – externe.
De par leur approche esthétique, ils se révèlent intéressants voire beaux à écouter comme une musique des lieux, qui plus est fréquemment décontextualisée, donc dépaysante, hors-les-murs.us
Par une approche écologique, ils sont intrinsèquement fragiles, fugaces, éphémères et, marqueurs sensibles, nous révèlent des espaces saturés comme des espaces en voie de paupérisation, de désertification, sans compter tous les entre-deux fluctuants.
Quant à l’approche sociétale, elle nous permet d’envisager, via la recherche de belles écoutes, des façons de mieux vivre ensemble, de mieux entendre et de mieux s’entendre, si ce n’est de construire avec les sons. De construire de façon ouverte et décloisonnante, cela va de soi !
Ces approches convoquent des façons de faire, d’écouter, de déambuler, de se poster, de capter, d’enregistrer, d’assembler, de (re)composer des récits sonores, via notamment les outils et techniques du multimédia…
Le ou les récits construits, se pose alors la question de la restitution, de la diffusion, du partage, du comment faire entrer et sortir, aller vers un public le plus large que possible, dedans, dehors…
La radiophonie, les installations, dans et/ou hors-les-murs, les écoutes collectives, sont autant de mise en situation, de mise en écoute, portant et valorisant les projets d’écriture sonore autant indoor qu’outdoor.
Des croisements avec différentes pratiques, non comme des faire-valoir de la création sonore, mais comme des moyens d’enrichir les propositions de contrepoints féconds, où sons, images fixes ou animées, corps en mouvement, créations plastiques, textes… contribuent à écrire les histoires inouïes.
Les partenariats avec des festivals, lieux culturels, espaces publics, lieux de recherche, structures d’aménagement du territoire, sont des éléments clé dans la volonté de travailler des espaces auriculaires et sociaux les plus ouverts que possible…
Les espaces et structures où faire se croiser des résonances Dedans/Dehors sont au final assez nombreux : Hôpitaux, établissements psychiatriques, prisons, centres d’hébergement pour personnes handicapées, ESAT, EHPAD, établissements médicaux divers, mais aussi centres d’arts et galeries, entreprises et commerces…
Beaucoup de lieux, plus ou moins circonscrits dans des espaces géographiques, des bâtiments, des secteurs d’activité, ont intrinsèquement un dedans et un dehors. Mais ils aussi des couloirs, des sas et espaces intermédiaires, qui ne demandent qu’à communiquer, développer des porosités et circulations vivifiantes, en réponse aux dangers des enfermements et isolements sclérosants.
Le paysage sonore, parmi d’autres univers sensibles, favorise, autant que faire se peut, une circulation auriculaire passe-muraille, voire passe-frontière, dans les murs et hors-les-murs, prônant des espaces sociaux ouverts et respectueux.
Pour une oreille curieuse ouverte, décloisonnée, une écoute en mouvement
Dedans/dehors, chronique, parcours, festival et création sonore.
Il s’agit d’un projet construit autour du paysage sonore « Dedans/dehors », avec des détenus de la Centrale pénitentiaire d’Aiton (74), l’équipe du SPIP etScènes Obliques – Festival de l’arpenteur aux Adrets (38).
Nous nous rencontrons une première fois, avec une vingtaine de personnes internées inscrites, et le service SPIP, pour présenter le projet à Aiton. Qu’est-ce qu’un paysage sonore ? Comment et pourquoi l’écouter, voire le créer ? Quels sont les sons récurrents, emblématiques de l’univers carcéral ? Leurs fonctions d’alerte, d’information, de communication… ? Quels sons nous parviennent du « dehors » ? Ce que l’on aimerait (plus) entendre, ceux qui nous gênent… ? Qu’aimerait-on raconter dans le style d’une création sonore radiophonique ?
Nous écoutons des exemples, les interrogeons, commentons… Le débat est alerte, l’envie de faire est de la partie, le projet est bien lancé semble t-il…
Au final, huit détenus participeront à 5 journées d’ateliers dans les murs.
Certains d’entre eux se verront accordée une permission encadrée lors du festival de l’Arpenteur, pour à la fois concevoir in situ un parcours sonores, présenter leur création, et participer à diverses tâches de bénévolat, mais aussi assister à des spectacles. L’enjeu n’est pas mince.
Durant cinq jours, nous allons créer notre petite histoire sonore. Que raconter, avec quels sons ? Comment les enregistrer, les réécouter, les sélectionner, les monter et mixer ? Le contenu, la forme et l’esthétique s’écriront collectivement.
La proposition sera, après échanges et concertations, de raconter, par une forme courte, quelques minutes type pastille radiophonique, l’intérieur d’une prison, sans pathos ni édulcorisation, pour la donner à entendre à l’extérieur, hors-le-murs dira t-on justement ici. Entre réalité et imaginaire…
Force est de reconnaitre que la matière sonore ne manque pas en milieu carcéral, voire est parfois envahissante, si ce n’est impressionnante pour qui met les pieds, et les oreilles, dans une prison pour la première fois.
Clés, verrous, portes qui claquent, voix, cris et appels, bips et messages d’API (Appareil de Protection Individuelle) informant des mouvements et blocages, omniprésence des télévisions, bips des portiques, salle de sport, cour de promenades, avec ses fréquentes frictions… le tout dans un univers archi bétonné et réverbérant à souhait, voire bien plus qu’il ne le faudrait.
La matière sonore est donc abondante. Reste à la capter, à l’enregistrer, en regard de toutes les contraintes sécuritaires, les blocages fréquents, et autres aléas, ne serait que concernant le matériel autorisé à entrer dans les murs. Avec un peu de souplesse et de fair-play, on s’adapte assez vite à toutes ces contraintes, emmenant les détenus enregistrer par petits groupes alors que d’autres travaillent au montage sonore en atelier. Pour cela, l’appui des équipes du SPIP (Service Pénitentiaire en Insertion Probatoire) et du coordinateur culturel est essentiel.
Bon en mal en, nous avons réussi à collecter pratiquement tous les sons envisagés, c’est à dire un large panel.
L’envie d’inclure des petits textes lus, des voix, les voix des co-auteurs, se fait rapidement sentir. Deux ateliers d’écriture se mettent en place spontanément, où chacun écrit une ou plusieurs courtes phrases. Pour les enregistrer, on procède de manière oulipienne. Chacun tire au sort un numéro correspondant à une phrase et la lit, à sa façon, après avoir fait quelques essais de micro.
L’écriture sonore est très discutée, chacun étant force de proposition, et aucun ne s’en priva ! Une belle énergie, une dynamique qui vous laissaient, moi en tous cas, un peu KO en fin de journée, mais l’immense plaisir de faire à fond, ensemble, restant un beau levier créatif.
Bien sûr, au fil des proposition, il fallut faire des choix, garder entre nous certaines paroles et histoires intimes, sans censurer pour autant, mais en protégeant des valeurs humaines, individuelles et collectives, question d’éthique. L’intimité aidant, certaines paroles et histoires entendues, souvent avec un réalisme sans concession, marqueront sans doute longtemps encore ma mémoire, dans cette aventure collective. C’est évidemment, pour l’artiste intervenant, quelque chose à laquelle il faut s’attendre, voire se préparer, pour construire un récit, sans trop y laisser des plumes, dans un cadre d’enfermement pas toujours de tout repos. Néanmoins, à la prochaine sollicitation de ce genre, j’y réponds affirmativement, et j’y courre, sans hésiter une seule seconde.
Cette petite digression personnelle refermée, revenons à notre histoire « Dedans/Dehors ».
En cinq jours, l’histoire se boucla, 3’40 environ, légèrement moins que le fameux silence de John Cage. Presque une semaine pour mettre en forme une toute petite durée audible, cela peut paraître énorme, on est bien loin des podcasts industriels à la chaine ! Et pourtant, entre les contraintes internes, et surtout le grand débat collectif, toujours de mise, l’écriture avance au rythmes des idées, Oh combien foisonnantes. La parole circule librement entre nous, cela fait partie du projet. Il restera d’ailleurs, un peu plus tard, à peaufiner le montage et mixage hors-les-murs.
Un verdict se fait attendre quand à la permission. Tous ont bien sûr très envie de sortir des murs, ne serait-ce que pour une seule journée. Après discussion avec le Juge d’Application des Peines, à laquelle je ne participa pas, si ce n’est pour transmettre indirectement, via l’équipe SPIP, ma grande satisfaction devant l’engagement et la « bonne conduite » de tous, le nombre de personnes et conditions de sorties furent connues.
Trois détenus passeraient trois jours entier sur le festival. Trois une seule journée, et deux ne seraient hélas pas des nôtres.
Le « Grand jour » arrive, enfin, tant attendu. !
Dés que les trois premiers détenus arrivent, nous nous rendons sur le site, superbe écrin montagnard, pour repérer un parcours auriculaire, et en imaginer sa mise en scène, et en écoute, et comment installer notre conte via une série de minis enceintes disposées de façon éphémère sur le cheminement. Le choix de parcours se révèle simple. Une sente descendant en sous-bois jusqu’à un ruisseau, puis se bouclant pour remonter vers le départ du parcours est jugée idéale, dans la variété de ses sons et paysages visuels, la marchabilité et les possibilités d’expérimenter des postures d’écoute avec un public d’une vingtaine de personnes, sur trois balades.
Ce même premier soir, nous sommes invités, à présenter notre création devant le public d’un sympathique cabaret de plein-air. Il faut pour cela un autre atelier d’écriture afin de savoir comment présenter, en quelques mots, notre histoire sonore au public. Pas si simple qu’il n’y parait, toujours en collectif. L’après-midi est en partie consacrée à des tâches bénévoles avec l’équipe du festival, dans la joie et la bonne humeur, et aussi à s’entrainer à lire ce fameux texte, en l’ayant dans l’idéal appris par cœur. Chose qui est jugée un poil risquée, le papier lu restant plus rassurant pour ce baptême public; et ce malgré les avatars d’une lumière de projecteurs à contre-jour et le trac de nos compères devant le public. Modestement, je pense pouvoir dire que l’histoire de ces gaillards, visiblement très intimidés, a ému le public, entre sa drôlerie et néanmoins ces paroles d’enfermement dans leur sensibilité palpable à fleur de peau.
Le lendemain, les trois compères suivent, dans une randonnées bien pentue, le formidable orchestre de la Tournée des refuges, un collectif de musiciens.ennes à géométrie variable, lesquels.elles vont, à pied, portant leurs propres instruments, dont une contrebasse à cordes, de refuge en refuge. Ils donneront chaque soir, à chaque étape, hors lieux conventionnels, des concerts d’une qualité musicale époustouflante. Un ensemble aussi virtuose que sympathique, et qui plus est sportif d’assez haute volée, ou randonnée ! Bref, durant cette journée entre rando et musique, nos compères d’Aiton trouveront mille choses à faire, et surtout à discuter de plein-air, hors-les-murs, avec les co-marcheurs, l’insertion/réinsertion faisant pleinement partie des objectifs de ces rencontres festivalières. Et ils joueront le jeu avec un immense plaisir qui se lit sur leurs visages épanouis.
Au troisième jour, trois autres détenus arrivent. Nous serons donc six, en cette dernière journée avec eux, pour encadrer deux parcours d’écoute, un le matin avec un centre de loisir, et l’autre l’après-midi avec un grand public. Je ferai hélas seul la troisième, mes acolytes devant rentrer à la Centrale en fin de journée.
Marche lente, écoute, jeux avec des objets longues-ouïe confèrent à la première partie du parcours une approche sonore bucolique, voire écologique, ludique, de mise chez Desartsonnants. Même si au début, les détenus peinent à comprendre pourquoi marcher si lentement, s’arrêter sans « faire de bruit », installer une écoute qui leur semble manquer de sons (rapportés) et de mouvements. Bientôt, ils rentreront dans la lenteur, qui au sortir d’une prison n’est pas si évidente à vivre. La deuxième partie du parcours opère une bascule d’ambiance assez radicale. Les sons de notre histoire sont installés sur un petit cheminement, amenant le Dedans carcéral dans le Dehors montagnard de, façon décalée et pour certains.aines un brin desartsonnante. Les détenus expliquent le travail, la démarche, et répondent volontiers aux questions du public. La première balade étant avec de jeunes enfants, ils (les détenus) n’osent pas trop dire d’où ils viennent, parlant d’un chez eux évasif. Je leur demande alors où est donc ce chez eux, et ils répondent clairement »la prison », ce qui visiblement ne dérange absolument pas le jeune public qui leur pose des questions pertinentes et sans barrière aucune sur les sons entendus.
La promenade suivante, tout public, sera du même ordre, et avec la même belle implication des compères d’Aiton, même si, malheureusement, je dû faire le derniers parcours sans eux.
Forte émotion lors de leur départ qui me serre encore la gorge lorsque que je l’évoque. En leur souhaitant un retour à la liberté sans top d’embûches.
Dedans/Dehors, en écoute
Avec la participation, les sons et les voix de : Sylvain, Isham, Mohamed, Feysal, Cédric, Anthony, Damien, Cyril, Kamel (coordinateur culturel SPIP) et Gilles (rédacteur et bidouilleur sonore), et la précieuse aide de toute l’équipe SPIP, Dedans ET Dehors.
Ainsi que la formidable équipe de l’Arpenteur, son professionnalisme et la qualité de son accueil plein de bienveillance, sans compter les gens du village, des alentours, mes très sympatiques hébergeurs, les enfants, institutrices de l’école des Adrets, ceux et animateurs du Centre de loisir, et toutes les belles rencontres ou retrouvailles lors de mon séjour…
Notes : Cet article fait suite à un précédent posté sur ce même blog Point d’ouïe, festival de l’arpenteur Dedans/Dehors, en développant, de façon plus détaillée et explicite, l’ensemble de cette action culturelle dans et hors-les murs.
Des montagnes de sons, de beaux moments, de rencontres, d’expériences, d’échanges, de fêtes partagées, de découvertes, de surprises, de rires et de sourires complices, émotions comprises…
Des moments où la marche malmène les genoux, mais ravit les oreilles.
Le bonheur d’avoir vécu d’intenses moments, avec l’incroyable énergie de mes complices détenus, insasiables faiseurs de son de la centrale pénitentière d’Aiton, dedans, puis dehors.
Aitonnement garanti…
Leurs sourires et leur énergie communicative, extériorisée si je puis dire, leur envie de croquer la vie du dehors à fond, à pleines oreilles, et d’aller vers l’autre avec des jaillissements débordant de générosité.
Leur élan pour se sentir et être comme les autres, ni plus ni moins.
La construction d’un PAS collectif en marche, où leurs paroles racontent les murs, dedans, de façon à amoindrir, au contact d’autrui, dehors, leur chape d’isolement.
La rencontre pleine de fraicheur avec des enfants, au travers l’écoute partagée.
Et la boule qui serre la gorge, les yeux qui s’embuent, au moment de se quitter. Leurs paroles encore, mercis sans fard, qui vous retournent comme une crêpe.
L’espoir qu’ils trouveront des chemins apaisés.
La rencontre émouvante de femmes artistes ayant fui l’Afghanistan. Leur résistance pour rester debout, créer, envers et contre tout.
Un échange à deux voix, stimulant, croisant, via l’ornithologie, les parcours sonores, les sons captés, puis composés, des paysages sonores multiples… Et un public curieux.
Entre coups de fraîcheur à nuit tombée, et coups de soleil au mitan du jour.
Entre dedans et dehors.
Entre et au centre de plein de choses, qui résonnent et font déjà traces, de celles que l’ont devine profondes et tenaces.
La fin du séjour est là, avec l’estompement des larges espaces lumineux, des reliefs invitants.
La redescente qui clôt une aventure humaine aussi pentue que revigorante.
Vient alors l’envie de repartir bien vite vers d’autres rencontres sonomadiques, envie d’arpenteur lobe trotters.
L’approche du paysage sonore Dedans/Dehors croise questionne et irrigue régulièrement mes récentes, voire très récentes expériences d’écoutes partagées.
Comment les espaces fermés, empêchés dit-on, et ceux plus « ouverts », trouvent-ils des endroits communs, où circulent les sons, les paroles, la vie collective, les sociabilités… ?
Comment l’entend-t-on, le décrypte-t-on, voire le donnons-nous à entendre ?
Comment les rythmicités sonores quotidiennes donnent-elles des repères-rythmes de vie ?
Comment l’acoustique des lieux favorisent-t-il ou brouillent-ils les communications ?
Comment la parole et les sons circulants, envers et contre tout, peuvent contribuer à construire un paysage auriculaire humainement plus « vivable » ?
Comment les sons extérieurs ouvrent-ils des espaces de liberté là où, pour différentes raisons, la privation de cette dernière pose des barrières tant physiques que psychiques ?
Comment s’invente-ton des histoires, y compris sonores, permettant de résister, tant bien que mal, à des contraintes « enfermantes »?
Comment mettre en récit, collectivement, sans pathos, en laissant un imaginaire du Dedans/Dehors se développer, des expériences de vie et paysages singuliers ? A portée d’oreilles.
Et tant d’autres questions qui se posent, et parfois trouvent des amorces de réponses, au fil des expériences humaines.
Paysages à portée d’oreilles – Hôpital psychiatrique du Vinatier – La ferme du vinatier – CFMI Lyon2 – Porter la parole
Le travail avec un foyer de vie permanent pour aveugles, souvent porteurs d’handicaps associés, celui avec des jeunes travailleurs en ESAT (Établissement ou Service d’Aide par le Travail), la rencontre récente avec un EHPAD, les projets avec des patients d’un centre psychiatrique et de jeunes musiciens, avec les détenus de deux centrales pénitentiaires, l’aventure à distance des « Sons à ma fenêtre » – échanges via internet de paysages entendus de chez soi durant le premier confinement… Autant d’expériences qui, ces dernières années, ces derniers jours, questionnent et alimentent l’écriture et l’expérience de terrain, intrinsèquement polyphoniques, de paysages sonores partagés Dedans/Dehors.
Workshop Desartsonnants, autour des relations architecture/paysage sonore, accueilli par GFI Universty, École Polytechnique Supérieure d’Architecture de Sousse.
Février 2022
Lieux d’exploration, la Médina de Sousse et ses alentours, ainsi que celle de Kairouan
Nous arpentons, avec les enseignants et les étudiants, la Médina de Sousse. Tout d’abord à oreilles nues, puis micros en main.
On m’accompagne également dans une visite de la médina de Kairouan. Deux sites, des atmosphères, des ambiances auriculaires, sensorielles, singulières.
Les étudiants, utilisant les sons captés in situ, mais aussi des modes d’expression relatifs à leur formation architecturale (cartes mentales, relevés axionomiques, croquis, maquettes, textes…), réalisent une carte postale sonore thématique. Il s’agit de narrer, en quelques minutes, via une création sonore accompagnée de documents annexes réalisés pour la circonstance, un moment, un espace de vie, des activités, des ressentis… Professions, parcours, acoustiques, voix, les thématiques et fils rouges narratifs sont aussi nombreux que peuvent l’être les modes de rendus, de représentations.
Pour ma part, je décide de me plier aussi au jeu.
Pensant de prime abord composer deux petites séquences sonores, plutôt du type field recording (enregistrement de terrain) figuratifs, l’une de Sousse et l’autre de Kairouan, j’opterai au final pour une pièce unique, mixant les ambiances des deux médinas et de leurs alentours.
Fiction donc, même si les sons restent plutôt bruts, le montage fait naitre un improbable récit, une narration empruntant à deux espaces-temps, remodelés via mon imaginaire.
Il ne faut jamais croire ce que nous content les faiseurs d’ambiances, fussent-elles sonores. Comme de nombreux paysages, au sens large du terme, le réel, ou supposé tel, joue avec l’écriture fictionnelle, dans des jeux de trompe-l’oreille assumés. Ici, deux médinas composent un espace hybride, à la fois plus réel et plus imaginaire qu’il n’y parait de prime écoute.
Des escaliers, ruelles, méandres labyrinthiques
des passages couverts, semi-ouverts, fermés
une collection de réverbérations et d’espaces acoustiques
des tintements, martèlements, claquements
des paroles enjouées, cris et rires
des scooters et autres deux roues pétaradants dans les ruelles sinueuses
une pompe électrique qui grésille derrière une fenêtre
la mer grondante au loin
les appels à la prière et lectures coraniques collectives
les oiseaux en cages, suspendues au-dessus des échoppes
des métiers à tisser à mains et leurs rythmes claquants
des odeurs aussi, cuirs, tissus, métaux travaillés, fruits, épices, poissons…
Des ambiances pour moi jouissives dans leur joyeux dépaysement…
Autant de matières à tisser, comme un tapis à motifs colorés et entremêlés, formes métaphoriques modestement empruntées au savoir-faire local.
Médinas et hors-les murs, façon patchwork, prolongeant ma mémoire, souvent capricieuse et infidèle, toujours prête à inventer, boucher des trous. Une manière parmi d’autres pour faire un micro-récit de ce voyage haut en couleurs sonores, sous le généreux soleil méditerranéen.
En écoute
Médinas en écoute (écoute au casque conseillée)
Merci à tous les enseignants et personnel de l’Université, à mon très sympathique guide chauffeur, aux étudiants et étudiantes pour leur curiosité et engagements dans des chemins inhabituels, à mon amie Souad Mani pour cette belle promenade nocturne, ces riches échanges, et à toutes les personnes croisées ici et là, au détour d’une parole ou d’un sourire…
Suite à une masterclass donnée au Conservatoire de Pantin (Ile de France), avec des étudiants en musique électroacoustique, dans la classe de Marco Marini et Jonathan Prager.
Cette Masterclass était entamée par un PAS -Parcours Audio sensible, dans les franges de la ville, poursuivie par une rencontre – échange autour du paysage sonore, sous ses aspects esthétiques, écosophiques et sociétaux.
S’ensuivent de riches échanges avec les étudiants.es, dont voici, ci-dessous, les textes de retours.
Lire des retours encourageants est toujours, pour l’artiste intervenant, avec ses propres doutes et questionnements, une forte stimulation, pour creuser encore et en corps, l’écoute à fleur de tympan, et de terrain.
Paysages sonores en chantier, scènes auriculaires, réactivées, outdoor
Inaugurations de Points d’ouïe
Faire, officiellement, la fête aux sons, dans un cérémonial d’écoute in situ
PAS – Parcours Audio Sensibles en duo d’écoute
Parcourir, écouter, deviser, amasser et collecter des Points de vue et Points d’ouïe de concert, récits dialogués de ville(s) et d’ailleurs…
PAS – Parcours Audio Sensibles partagés
Parcours d’écoute(s), thématiques ou non, écritures/lectures contextualisées, collectives, participatives…
Bancs d’écoute(s)
Parcours ou one shot, à deux ou en groupe, les bancs comme points d’ouïe, objets et postes d’écoute, de rencontre, d’échange, d’installations, espaces de sociabilités auriculaires bien assises…
En éc(h)ogestation
Scènes d’écoutes installées
Parcours d’écoute urbains ou non, visites d’installations sonores à ciel ouvert, à 360°, mises en scène et en situation de Points d’ouïe à oreilles nues, espaces dé-concertants et Desartsonnants…
Et tant de choses à imaginer et installer sur place, avec vous, les autres…
Il se trouve que, par le plus grand des hasards, deux jours d’affilée, j’ai participé, à différents titres, à des marches nous conduisant, ou longeant de grands périphériques urbains.
La première de ces marches était même dédiée au périphérique lui-même, objet d’étude, d’arpentage, d’expérimentation collective, de création.
Entre écoutes, regards, et approches kinesthésiques, au pas à pas, se sont dessinés des similitudes, des croisements, des échos, résonances… Ce qui alimentera ici un texte s’appuyant au final sur une série de mots-clés communs aux deux pérégrinations; voire les reliant, faisant contrepoint
Une première action, écrite et guidée par l’artiste et ami genevois Cyril Bron, accueillie par l’institut d’Art contemporain de villeurbanne, nous fera, en deux étapes journalières,suivre le périphérique urbain à hauteur de Villeurbanne. Marches parfois assez physiques, dans des terrains plus ou moins accidentés, voire turbulents.
Je ne ferai que la première étape et la rencontre débriefing, étant retenu le deuxième jour par une autre marche intervention que cette fois-ci, j’encadrerai. Ce qui participera à construire en miroir ces deux approches pédo-périphériques entremêlées.
La deuxième, le lendemain, plus courte, plus urbaine, que j’encadrerai, se fera dans le cadre d’une masterclass avec un groupe d’étudiants en musique électroacoustique du Conservatoire de Pantin. Cette déambulation servira d’échauffement pour l’oreille, avant de présenter mon travail autour des notions de paysages sonores partagés. Comme une suite à la précédente, au départ non pensée comme telle, elle nous fera longer des espaces périphériques de la ville de Pantin, présentant fortuitement d’assez fortes résonances avec celle de la veille.
Les topologies, aménagements, ambiances, rythmes et actions collectives, contribueront sans aucun doute à tisser des liens sensibles, sensoriels, physiques, entre ces deux parcours, géographiquement éloignés, que rien ne semblait au départ vouloir mettre en relation.
Lisières et périphéries
La périphérie, initialement, est une ligne circulaire définissant les contours, les limites, les lisières d’un périmètre, d’un territoire. Ici d’une ville ou d’une communauté urbaine.
Marcher le périphérique, le suivre, c’est se tenir au bord, aux bords ou aux abords de la ville, parfois, souvent, loin de son centre.
La lisière coud deux espaces, les rassemble, ou tente de le faire, marque la sortie ou l’entrée d’une forêt; imaginons la traversée initiatique, façon roman médiéval, comme de mythiques portes et barrières , des passages
Nous sommes des marcheurs excentrés, à Pantin ou Villeurbanne, loin des rues piétonnes et commerçantes, des espaces et zones d’activités maîtrisées par un aménagement ad hoc.
Nous sommes des marcheurs longeant un territoire plutôt dévolu aux voitures, camions, parfois trains…
Nous sommes en transit dans des lieux improbables
Nous sommes en lisière(s), ce qui nous permet parfois de passer au dehors, ou d’être dans des emprises, espaces-tampons dedans/dehors, hors des limites clairement marquées.
Nous sommes dans des espaces interstitiels, des entre-deux, des zones délaissées, presque non-lieux, mais bien existants physiquement.
L’appel des lisières peut être celui qui refuse l’enfermement jusqu’à (outre)passer les frontières de ce qui contrôle, contraint, la marche dans les murs-limites du politiquement correct
Hésitations entre l’entrer et le sortir, ou bien le zigzaguer en inter-zones, dont celle du dehors dirait Damasio, une façon de quitter ou de résister, symboliquement e/ou physiquement, à un ordre urbanistique bien établi, tout tracé.
Une façon peut-être de braver l’interdit, en marchant dans une succession de pas de côté.
Aventure et dépaysement
Et c’est là que survient l’aventure.
Celle qui nous emmène vers l’imprévu, ou nous amène de l’imprévu, hors de la normalité protégeant les marcheurs de trottoirs bien balisés.
L’aventure au bout du chemin, et même pendant.
Soudain, une grille nous empêche de passer.
Franchissement si c’est possible, ou contournement, détour, changement de trajectoire.
Partir à l’aventure, le périphérique comme une marge – marche ponctué d’incertitudes.
Un sentier qui sort de ceux battus, qui nous emmène dans un ailleurs, tout proche, bien que rarement emprunté.
Et puis il y a le dépaysement.
Ce qui nous fait littéralement changer de pays, au sens figuré du terme, qui nous met horde, qui nous met hors de…
Sentier qui nous invite ailleurs, exotisme à portée de pieds. On découvre des espaces ignorés, avec tout l’étonnement de se trouver là; là où les sens sont revigorés par des espaces sauvages, qu’il nous faut dompter pour les traverser, sans vraiment les apprivoiser. Espaces qui résistent au marcheur, au groupe.
Et c’est le fait de porter attention à cet infraordinaire, à cette joyeuse trivialité buissonnante, qui justement nous dépayse.Le dépaysement, voyage en France, tel que le dépeint Jean-christophe Bailly, nous l’avons là, dans ces enchevêtrements végétaux, ces arrières-cours d’usines, ces lotissements à peine traversés, contournés, ces ponts qui grondent sur nos têtes, ces murs et barrières de
sécurité longées…
Il nous faut accepter la ville comme espace non conforme à ce que nous pratiquons habituellement, jouer de l’encanaillement dans des périurbanités frichardes, formes d’urbex en plein-air.
Inconfort et attention
Toute marche risque de nous placer en situation inconfortable.
Et nous acceptons implicitement, tacitement, ce risque.
Sur la durée, l’inconfort s’invite de façon quasi inévitable à la randonnée, ce qui d’ailleurs nous fait d’autant plus apprécier les moments confortables, réconfortants, qui s’ensuivront.
Longueur, dénivelés, obstacles, terrains parsemé de racines invisibles, jonchés d’objets incongrus, broussailles épineuses, espaces bruyants, pollués, et parfois météos capricieuses, heureusement clémentes dans les marches citées, autant de cailloux dans la chaussure qui font pester le marcheur.
Le périphérique n’y fait pas exception, tant s’en faut.
Quitter le macadam et les chemins bien aplanis, bien marchant, nous fait sortir de notre zone de confort, pour employer une expression consacrée.
Il faut adapter notre avancée, accepter les aléas d’un terrain, au départ non dédié à la”promenade” d’un groupe, avec des personnes qui le déchiffrent, et non pas défrichent, à l’avenant.
La ville buissonière offre son lot de petits désagréments qui, paradoxalement, rendent le cheminement plus attrayant, moins attendu sans doute.
Quitter le confortable est excitant, voire jouissif.
De plus, dans des passages plus ou moins difficiles, le groupe se soude. Il convoque et active une solidarité qui nous fera tendre la main vers l’autre, l’aider à grimper ou à descendre un passage pentu, écarter les ronces, signaler les obstacles, trous…
Les marcheurs portent dès lors attention à leurs voisins, s’entraident, partagent leurs inconforts respectifs pour mieux les endurer ensemble.
Bien sûr il faut ici relativiser ces inconforts, volontairement subis, acceptés, en toute sécurité dirais-je, comme faisant partie du jeu.
Nous sommes ici loin d’inconforts, et le mot est faible, de grandes détresses liées à des marches forcées, migrations, exils, expatriations, fuites…
Ce constat me permet d’ailleurs de faire une transition vers des marginalités excluantes, croisées dans ces déambulations périphériques.
Marginalités, exclusions, violences
Arpenter un périphérique n’est pas vraiment bisounours.
On rencontre des personnes que le centre ville rejette, ne voudrait pas voir dans certains quartiers, des exclus des systèmes sociaux, des hors les clous.
SDF, réfugiés, migrants, sans papier, trafiquants, prostitution, toute une frange sociale qui, pour différentes raisons, vive, survit, voire travaillent aux marges de la cité.
Des matelas et abris de fortune, solitaires ou en campements bidonvilles, sous des ponts obscurs, humides, bruyants, des réchauds et chaises éventrées, barbecues non festifs, autant de traces et de présences Oh combien précaires et fragiles.
Une mendicité dans une atmosphère archi polluée, des conditions sanitaires effroyables, des territoires de prostitutions et deal se cotoient, le marcheur périurbain se trouve confronté à des réalités sociales et sanitaires extrêmes…
Le périphérique est souvent l’envers d’un décor urbain socialement correct, policé, enfin presque.
Parler de conditions inhospitalières, à villeurbanne, à Pantin, et dans beaucoup de villes du monde, est un faible mot, un doux euphémisme qui cache des conditions de vie pour le moins insalubres, des milieux que gangrènent violences et insécurités.
Lorsque Pérec parle d’espaces inhabitables, on est ici dans ce qui devrait l’être, et qui pourtant sert de refuge de fortune à des “habitants” en grande détresse. Des espaces délaissés, occupés tant bien que mal, et plutôt mal, de débrouille en débrouille, par des personnes elles aussi délaissées, en rupture, en fuite, en exil…
Parcourir un périphérique c’est, loin des jolis petits oiseaux, des vertes prairies et fleurettes printanières, à l’opposé de clichés édulcorés, se frotter à ces rencontres, à ces situations hélas quasi incontournables, dans beaucoup de pays, même des plus a priori nantis, qui nous mettent pour le moins mal à l’aise, en tous cas en ce qui me concerne
Les périphs’ ne sont pas que terrain de jeux prétextes et contextes à des encanaillements ludiques, ils nous jettent à la gueule ce que les centres villes, et en amont ce que le système politique et social, à bien du mal à accepter, dans sa bien pensance
Nos expériences traversantes peuvent alors nous paraître puériles, voire indécentes, si ce n’est le fait qu’elles nous frottent à ce que nous ne voulons nous-même pas toujours regarder en face.
Murs, ponts, béton, l’urbanisme périphérique
Le gris béton contraste avec les espaces végétaux en friches verdoyantes.
Il y a là une esthétique paradoxale du sauvage, et le règne de la fonctionnalité bétonnée et goudronnée, espaces qui s’interpénètrent sans vergogne.
Il convient de se déplacer vite, contourner, protéger du regard, du bruit, entrer, sortir, relier, dans toutes les contraintes fonctionnelles des villes lisières traversées…
Et pourtant cette austérité a sa propre esthétique, une froideur aseptisée, qui néanmoins peut attirer l’œil du marcheur, du photographe, austérité rigoureuse, post Corbu, en béton banché…
Il y a des géométries, des lignes dynamiques, des modules, des rythmes, des motifs et des répétitions verticales et horizontales, des volumes récurrents, des couleurs grises béton… Des signatures spatiales.
Et ce, de pays en pays, de villes en villes, de périphs en périphs. Antananarivo, Tunis, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Lyon, Paris, Pantin, Charleroi, Lisbonne, Montréal… Partout je les ai rencontrées, longées, marchées parfois, ces omniprésentes ambiances périurbaines, cette architecture minérale, ces paysages fonctionnels, ces boulevards de ceinture et autres rings.
A tel point que l’on peut imaginer un envahissement mondial, sans doute dans un chantier déjà grandement avancé, une métastase tentaculaire, des villes exponentiellement monstrueuses, sillonnées de serpents bétonnés aux mille ramifications;.. Une dystopie de périphéries mangées par les centres, et inversement.
Des fosses aux voitures rugissantes encadrées et canalisées dans des couloirs-guides, parsemés d’entrées et de sorties permettant de quitter ou de rejoindre ces terrains de batailles motorisées.
Des alternances de cloisonnements aveugles, et des ouvertures ouvrant des fenêtres sur villes, des échappées sur zones industrielles, des murs de protection d’où s’ouvrent des brèches paysagères, respirations pour le regard qui s’échappe.
Il y a des kilomètres de murs anti-bruit, à l’efficacité plus que douteuse, déroulés en frontières, bonne conscience des aménageurs.
Le périphérique est une forme d’esthétique froidement et urbanistiquement signée, ponts au-dessus, fosses au-dessous, murs, clôtures et barrières sur les côtés; une géométrie du cloisonnement qui parfois ne manque pas de charme, avec des murs surfaces/supports pour grapheurs excentrés.
Des terrains d’explorations nous font découvrir des envers du décor urbain bien policé… En terrains bien peu lissés.
Des espaces rhizomes et pylônes, où les horizontalités et verticalités font rythmes.
L’herbe des talus de Jacques Réda, celle qui pousse dans les interstices du béton et du macadam, comme un récit fleurissant, celle qui raconte la ville dans ses extrémités, et surtout ses marges, ses franges, sans concession, mais non dénuées de poésie déroutante.
Être dérouté, c’est bien ici quitter les routes “normales”, fréquentables, pour emprunter, sans pour autant être à l’abri d’un habitacle motorisé, des cheminements où le béton côtoie le végétal, l’animal, et parfois l’humain, pour le meilleur et pour le pire. Des architectures de lignes et de courbes chaotiques, et justement déroutantes, en tous cas pour le piéton qui s’y aventure.
Bruit de fond, émergences et effets de masque
Les deux derniers chapitres, dont celui-ci, nous ramèneront vers des paysages plutôt sonores, ceux habituels à Desartsonnants, ceux traversés de l’oreille, aux endroits et moments où les ambiances auriculaires reviennent sur le devant de la scène.
Bien entendu, si je puis dire, les périphéries étant surtout pensées et aménagées pour la voiture (et ses chauffeurs), les rumeurs obsédantes, drones, bruits de fond et autres soniques nappes y sont hyper présents.
Bien trop au goût de beaucoup.
On se trouve là au cœur de magmas acoustiquement informels, d’où n’émergent que peu d’informations, de repères, de marqueurs spatio-temporels, pour le promeneur noyé de bruits ambiants, atmosphère trop immersive pour le peu.
Espace de saturation audio indéterminé, dépotoir acoustique où sont rejetées à l’extérieur des centres villes toutes les pollutions sonores trop nuisibles, physiquement comme psychologiquement, nous ne sommes pas dans des zones de confort auditif.
L’oreille s’y perd, s’y engloutit, et en souffre bien souvent.
Ceci dit, on ne peut ignorer en amont, ces zones d’inconfort, voire de malaise, en s’aventurant dans de tels terrains.
Je dirais même que celà fait partie du jeu, et qu’il faut accepter et assumer ces territoires auriculairement turbulents, en toute connaissance de cause, avec même la jouissance d’une performance déstabilisante.
Le moteur à explosion, malgré l’apparition de la progressive motorisation électrique, règne de façon hégémonique, écrasant de son rouleau compresseur la plupart des “petits” sons alentours, en incapacité de lutter avec lui.
Dans les deux promenades prises en exemples ici, j’ai bien noté, et les dires de participants me l’ont confirmé, les gènes, stress, parfois angoisses, vécus par certains marcheurs dans des endroits particulièrement saturés.
Même si par moments, nous retrouvions des espaces plus protégés, presque apaisés, avec la possibilité de se parler sans trop hausser la voix, et de ré-entendre de fines émergences sonores, notamment des oiseaux, bienvenus à ces endroits-là.
De ces zones de marasme acoustique, émergent en effet des sons venant briser le continuum, sirènes, pépiements, voix… Tout est affaire d’échelle, de plan, d’effets acoustiques, mais aussi de focalisation de l’écoute, de l’écoutant, sur tel ou tel objet sonore.
Si, dans ces flux/flots, l’oreille, qui dit-on, n’a pas de paupières, peut être malmenée, dans des zones d’inconfort pour reprendre des constats déjà énoncés, elle n’est pourtant pas que passivement asservie et résignée.
Outre le fait qu’elle puisse modifier, de façon inconsciente, très rapidement, des propriétés physiques, telles que des tensions ou relâchements des tympans pour amplifier ou amortir la puissance de certaines vibrations, de produire plus de cérumen pour protéger sa mécanique interne, notre cerveau convoque une série de filtres auditifs, neuro-perceptifs, ad hoc.
On masque, on gomme, on atténue, on transforme, on tend l’oreille vers, on se détourne, selon les circonstances, les situations, les stimuli, et nos états de sensibilité, de fatigue, mais aussi de curiosité du moment
Les lieux saturés de background bruyant se prêtent tout particulièrement à de nombreuses adaptations psycho-sensorielles, comme des boucliers filtrants, ou des entonnoirs amplificateurs.
L’imagination, la feinte du détournement, sont parmi de ces processus protecteurs.
Dans la traversée villeurbannaise, une marcheuse, habituée aux périples forestiers dans des atmosphères plutôt apaisées, nous raconte la gène, le stress, éprouvés lors du début de la marche, placée dans une situation très inhabituelle pour elle. Puis elle relate comment, dans sa tête, ce grand flux automobile, cette marée sonore intrusive s’est progressivement transformée en une mer chuintante, de fait beaucoup plus amène.
D’acceptations en rejets, les promeneurs et les promeneuses, qu’ils ou elles soient adeptes des rave party tonitruantes ou des espaces naturels calmes, acceptent souvent un dépaysement recherché, en marche, avec une forme de radicalité performative…
C’est en partant d’espaces souvent discontinus, ponctués de flux et de coupures, que nous allons pouvoir envisager dans la dernière partie de ce texte, les notions de rythmique périphérique.
Rythmes, entre flux, cadences et scansions
Marcher un, ou des périphériques, c’est se faire happer par et dans un flux spatio-temporel. C’est se frotter à celui de la marche, et en même temps suivre celui du périphérique lui-même, matérialisé notamment par la circulation des voitures le sillonnant.
Aller d’un point à un autre, explorer, avancer, convoquent des gestes fluants, traçant dans l’espace une zone/trajet en forme de continuum.
C’est ce qu’écrit la persistance de la marche, l’avancement pas à pas, envers et contre tout.
L’action déambulante rassemble un groupe de marcheurs ré-unis par cette trame, qui pour autant n’est ni linéaire, ni rythmiquement stable.
Nous sommes loin de la scansion métronomique du pas militaire, cadencé, mesuré à 120 à la noire, le pas redoublé dit-on.
il y a des allures, différentes et changeantes.
Des vitesses contraintes par des tas de facteurs que le terrain et le groupe imposent.
Sols accidentés, broussailleux, encombrés, passages délicats, pentes et talus, conditions météos, allures et formes physiques des participants.Il faut attendre les flâneurs ou les plus lents, s’entraider, contourner… bref, autant de variations de tempi, parfois d’improvisations nécessaires au cheminement et à ses aléas.
Dans ce néanmoins flux, entre les scansions régulières d’un pas sur un trottoir permettant une marche aisée, quasi mérique, et les hésitations non métronomiques d’enjambées entravées d’obstacles, les cadences s’adaptent.
La marche est faite de variations, voire d’improvisations qui lui confèrent un statut “musical”, dans l’écriture et la lecture de durées, de sons et de silences, de progressions et de coupures.
Il y a des breaks, cassures façon jazz qui permettent d’aller parfois ailleurs, ou autrement, Un ou des pas de côté de plus.
Il y a des cadences dans l’écriture musicale “classique”, à la fois harmoniques et rythmiques, qui sont tour à tour suspensives, en pauses, ou conclusives, marquant la fin d’une “action sonore”, dans son écriture comme dans son interprétation.
Pour filer une métaphore musicale, le paysage marché, comme une histoire en déroulé sonore, rythmique en tous cas, se ponctue, par choix ou contraintes aléatoires, de pauses, ralentissements, accélérations, des formes de points d’orgue (point de vue ou point d’ouïe).
Et ce n’est pas un long fleuve tranquille.
On peut également penser ici la déambulation périurbaine sous l’angle du Rhuthmos grec. La considérer en mesure temporelle, à l’éclairage de la rythmologie inspirée entre autres de la Rythmanalyse de Lefebvre.
Dans cette posture, nous vivons et expérimentons le terrain périphérique comme des corps méditatifs, philosophiques et poétiques, mais aussi sociales et politiques, tentant de mieux comprendre, de mieux se plonger dans des espaces urbains, aux marges de ce que l’on arpente habituellement.
Cette dernière approche, audio-rythmologique, pourrait faire l’objet d’un développement beaucoup plus profond et argumenté, qui n’est pas de mise ici, mais qui questionne quotidiennement le promeneur écoutant que je suis.
Conclusion en forme d’entre-deux
Ces marches, aux lisières de la cité, avec les différentes approches et postures qu’elles m’ont inspirées, sont souvent en balancement vers des pôles entre-deux.
Confort et inconfort, sécurité et aventure, exotisme et trivialité, itinéraires et détours, avancées et blocages, esthétiques et “laideurs”, socialités et exclusions, calme et tintamarre, doux rêve et cruelle réalité…
On pourrait encore allonger encore et encore une liste-énumération rabelaisienne de ces dualités.
Dualités non pas antinomiques, mais plutôt aux polarités mouvantes, et aux positions d’entre-d’eux fluctuantes.
Les positionnements, les réponses, ne sont pas, tant s’en faut, toujours claires et définitives, A l’image de territoires aux frontières et ambiances incertaines.
Être à la fois dans une sorte de terrain de jeu et dans des espaces où sociabilités, écologie, aménagements, vivabilités, sont souvent chahutées, dans des lectures hétérotopies foucaldiennes, fonctionnelles et symboliques, restent une expérience des plus questionnantes et enrichissantes.
Merci àCyril Bronpour la proposition et l’organisation marchée du périphérique villeurbannais,
à l’équipe de l’institut d’Art contemporain de villeurbanne qui à accueilli cette démarche et organisé des espaces de rencontres et de dialogue entre les différents participants
à Marco Marini et l’équipe du conservatoire de Pantin, aux étudiants musiciens qui ont portée sur le terrain une oreille aussi musicale que sociale.
Un PAS – Parcours Audio Sensible n’est pas une finalité en soi.
C’est toujours un pas de côté, un chemin de travers, un meta-topos, ou vers…
C’est l’arpentage, l’exploration, l’expérimentation d’un lieu, un parcours de l’oreille pour lire et écrire des espaces acoustiques, auriculaires, comme autant de possibles paysages sonores singuliers.
C’est prendre un bout d’espace-temps par le petit ou le grand bout de l’oreillette et y pratiquer des jeux de l’ouïe.
C’est un dépaysement, tout près, à portée d’oreilles.
C’est embrayer un projet, une idée, ou bien les ponctuer de points d’ouïe, voire les conclure. Avant que d’entreprendre de nouveaux PAS vers d’autres écoutes, d’autres lieux, d’autres rencontres, d’autres problématiques.
C’est suivre, récolter, fabriquer, agencer, des traces et des atmosphères, souvent structurantes, souvent déjà présentes, intrinsèquement inscrites sur le terrain.
C’est jouer à traverser, à explorer, à découvrir :
un quartier, une rue, une place, une ville, des passages, impasses, escaliers, bancs publics
une forêt, un parc
un site montagneux, une vallée, un bord de mer
une cité, une périphérie, de nuit, entre chiens et chats, à l’aube
un cours d’eau, des fontaines, des lacs
des acoustiques remarquables, des espaces réverbérés, dépliés, démultipliés
des points d’ouïe en panoramiques surplombants, en belvédères acoustiques
des espaces underground, souterrains, intimes et canailles
une gare, un port, un aéroport
des friches ou zones industrielles
des marchés, des hypermarchés
des lieux hybrides, indéfinissables
un réseau d’espaces tricotés et tricotables à l’infini
C’est marchécouter avec beaucoup de personnes, familles, curieux de l’oreille, enfants, étudiants, politiques, chercheurs, riverains et voisins, étudiants, tout en échanges polyphoniques.
C’est entendre et construire une rythmologie kinesthésique et sonore, entre flux, cadences, scansions, cassures…
C’est entendre des systèmes sociaux, politiques, culturels
des espaces genrés, ou non
des quartiers en construction, destruction, en requalification, des espaces de gentrification, des entre-deux délaissés, quasi invisibles et plus encore inaudibles
des moments de vie sociale, des manifestations et fêtes en espace public, des instants de liesse et de tensions, d’expressions politiques, artistiques…
des espaces marqués par des migrations, immigrations, exils, fragilités, précarités, marginalités
des espaces de saturation et ou de paupérisation acoustique et sociale
des aménités humaines et paysagères…
la vie de tous les jours, souvent inouïe car souvent in-écoutée.
Faire un PAS, c’est souvent être à la croisée des chemins.
Se tenir à des carrefours, des jonctions, où construire avec des amis.es qui marchent, dessinent, gravent, modélisent, performent, écrivent, sculptent, photographient, installent, codent, dansent, construisent en sons, lumières, matières, textes…
Façons de croiser plein de choses que l’on a envie de dire à plusieurs voix.
Un PAS, collectif ou solitaire, n’est pas une finalité en soi.
C’est l’opportunité de repenser nos lieux de vie, de transit, de rencontres, comme autant d’histoires fragiles qui nous font voir et entendre le quotidien décalé, même a minima, de son propre quotidien.
C’est avoir des choses à dire, et les dire, sans doute autrement, sans discours politiques, en détournant, parfois très légèrement, nos visions trop souvent blasées.
La surprise, la rencontre, le dépaysement sensoriel, kinesthésique, interrogent toujours, et parfois là où ça fait mal, mais pour travailler sur ce qui fait, ou pourrait faire du bien.
Un PAS n’est pas une finalité en soi. C’est un prétexte, une occasion, une opportunité, une ouverture, l’attente d’expériences inédites, inouïes, une avancée vers…
Place Bellevue – Lyon 4e – Point d’ouïe panoramique remarquable
Je travaille actuellement autour d’espaces que l’on pourrait qualifier « d’oasis sonores », généralement en milieu urbain, mais pas forcément.
L’oasis sonore c’est, pour moi, un lieu ou une zone calme, acoustiquement intéressant, où l’on peut faire une pause, se délasser, parler sans élever la voix, écouter (de belles choses) sans tendre l’oreille; un espace ni saturé ni paupérisé, bref, où l’on peut bien s’entendre, dans tous les sens, ou l’essence du terme…
Ayant mon camp de base à Lyon, j’expérimente pour l’instant ce type d’espaces dans cette ville, mais également lors de déplacements, ici ou là.
Cet article écrit à titre d’exemple, s’appuyant donc géographiquement sur la seule ville de Lyon, non pas qu’elle ait l’apanage de posséder ce genre de lieux, mais qu’il m’y est plus facile de débuter une forme de recensement, à titre d’expérience de terrain.
Je vous livre donc ici, non pas une méthodologie, elle est en chantier, mais une série de coups de cœur, issus de “coups d’oreilles”, d’expériences sensibles plutôt instinctives. Ces dernières étant néanmoins appuyées sur mes nombreuses balades et errances urbaines, oreilles aux aguets.
Ces exemples, brièvement commentés, et ce de façon très personnelle, ne sont donc pas, tant s’en faut, exhaustifs. Ils peuvent appuyer, ou être irrigués par un travail de terrain servant d’appui à des expériences, des installations d’écoute, projets éducatifs, des écritures audio-paysagèress, des inventaires, inaugurations et autres festivités collectives, aménagements…
Traboules et cours intérieures
Commençons par un type de lieux emblématiques à Lyon, lestraboules, notamment celles des pentes de la Croix-Rousse, quartiers des canuts, et celles des cours intérieures Renaissance, situées dans le Vieux Lyon, rue Saint-Jean et avoisinantes.
Il ne faut pas hésiter à pousser des portes, qui cachent souvent de petites perles acoustiques, et visuelles, de vrais oasis sonores.
Des espaces acoustiquement privilégiés, refermés, à l’abri des zones circulantes pour ce qui est des pentes. Des acoustiques minérales, réverbérantes à souhait. Des séries de passages ouverts/fermés, de couloirs en escaliers, de courettes en passages couverts, avec une énorme variétés d’ambiances, des porosités dedans dehors, intimes extimes en été, fenêtres ouvertes… Mille petites histoires pour l’oreille séduite.
Essayer de descendre, ou de monter pour les plus courageux.ses, la célèbre Cour des Voraces, et prenez le temps de l’écouter lentement, attentivement, de faire des poses sur les différentes terrasses, de vous poster dans les escaliers, de naviguer dans les espaces, d’y lire un texte à haute voix… Il m’est arrivé de passer plusieurs heures, avec des groupes, dans ce seul espace, moments magiques !
un conseil toutefois, si vous les parcourez en groupe, veillez à respecter la quiétude des lieux et la tranquillité de leurs résidents, ce qui n’est hélas pas toujours le cas et à malheureusement conduit à la privatisation de certains lieux aujourd’hui devenus inaccessibles.
Autres types de lieux que j’adore, les cloîtres et les églises.
Lyon ayant un passé historique où l’église, depuis longtemps déjà, tient une place des plus importantes dans le pouvoir ecclésiastiques, beaucoup de quartiers possèdent des cloîtres, certains intacts d’autres non.
Citons par exemple la cour intérieure du jardin des Beaux-Arts, Palais Saint-Pierre place des terreaux, petit bijou de calme que les lyonnais adorent en été pour grignoter tranquillement, à tel point que les places assises s’y font chères à midi, autour du glougloutement de la fontaine et des oiseaux qui piaillent à qui mieux mieux.D’autres sont superbes, mais hélas, entre le sécuritaire et le sanitaire, de moins en moins accessibles; ceux par exemple des Augustins à l’ancienne Martinière Terreaux, du CNSMD, avec ses jardins en terrasses… Notons, à l’extrémité de la rue de la Vieille,
dans le 1er,le cloître, ou Clos Saint-Benoît, surprenant lieux qu’il faut dénicher au bout d’un parking intérieur dissimulé dans un recoin urbain.
Côté églises, ou cathédrales, basilique, il n’y a que l’embarras du choix. petites et intimes ou monumentales, ce sont des lieux où en dehors de toute considération religieuse, j’aime me ressourcer l’oreilles dans la quiétude de ses épais murs et de toutes ses micros sonorités joliment réverbérées. Quand l’acoustique n’est pas saccagée par une Muzac religieuse nous pourrissant l’écoute de chants grégoriens et autres polyphonies envahissantes.
De la majestueuse cathédrale Saint-Jean à la basilique romane Saint-Martin d’Ainay, en passant par la basilique Saint-Bonaventure, l’église Saint Polycarpe, Fourvière (dont sa crypte) et autres édifices plus modestes, la collection et la diversité de réverbérations apaisées est à même de satisfaire et de réjouir l’oreille la plus exigeante et gourmande. Des espaces de pauses lors de déambulations dans lesquels, là encore, il faut prendre le temps de l’écoute, de sentir l’âme bien sonnante de ces lieux souvent chargés d’histoire, histoire qui occulte parfois les subtilités des ambiances lumineuses sonores.
Amphithéâtres
Ville gallo-romaine, Lyon possède de beaux spécimens de théâtres antiques, à commencer par celui de Fourvière, dit théâtre antique, le plus connu et majestueux, mais aussi celui, en contrebas de la colline de la Croix-rousse, celui des Trois Gaules. Du haut de ces édifices gradinés, les fameuses acoustiques, en points d’ouïe panoramiques, montrent la maîtrise des constructeurs de l’époque, plaçant ces lieux de représentation sur des pentes déjà théâtres naturels et les aménageant de façon optimale, tant pour la vue que pour l’écoute. A tester immanquablement.
Cimetières
Autre lieu de calme auquel que l’on ne pense pas souvent à visiter par l’oreille, et pourtant, les cimetières. Les parisiens, ou touristes, penseront immanquablement aux belles ambiance du père Lachaise à Paris, que j’adore traverser en automne, l’âme vagabonde et romantique… À Lyon, c’est celui de la Loyasse, ancien cimetière aux nombreuses tombes monumentales, perché sur les hauteurs de Fourvière, que j’aime traverser comme un vaste îlot de calme apaisant.
Places et placettes
Pour revenir vers le monde des vivants, même si Foucault qualifie les cimetières de lieux hétérotopiques – monde des morts construits et gérés par des vivants, je parlerai ici des places et placettes lyonnaises, plus ou moins vastes et conviviales du reste. j’avoue, niveau qualité d’écoute, très largement préférer les placettes, plus retirées, intimes, et souvent socialement plus vivables et habitées. Les grands espaces que l’on traverse sans forcément les vivre, places monumentales de représentations du pouvoir, Bellecour, les Terreaux, ne sont pas forcément, voire loin de là, des exemples d’aménagements apaisés et conviviaux. Par contre des places aux dimensions plus resserrées, plus intimes, telle la place Sathonay, à deux pas des Terreaux, enclavée hors des grandes voies circulantes, ombragée et bien équipée en bancs publics, avec son sol sablé accueillant jeux d’enfants et pétanqueurs, reste un modèle de lieux vivants, où il fait bon se poser.
De même, plus haut dans les pentes croix-roussiennes, au pied du Gros caillou, laPlace Bellevue offre un magnifique panoramique urbain, pour saisir la rumeur de la ville, ses émergences, et toutes les sonorités des passants et passantes devisant sur la pelouse et en contrebas.
J’adore aussi les squares en cœur d’îlots, enfermés de bâtiments formant de grands carrés arborés, avec souvent des bancs, objets/points d’écoute privilégiés pour moi, d’où l’on échappe aux grandes rues alentours pour retrouver une ambiance acoustique très favorable à l’échange, à la rencontre; on en trouve de magnifiques, tant quartiers de la guillotières que dans les gratte-ciel villeurbannais.
Pour les repérer, car les entrées sont souvent, volontairement, discrètes, il suffit d’utiliser une carte urbaine en ligne, qui les dessine très visiblement, et de vérifier sur le terrain lesquelles sont accessibles au public, parfois traversantes d’une rue à l’autre.
Grands parcs et petits squares
En périphérie ou en centre ville, on trouve de grands parcs historiques. Celui de la Tête d’Orà lyon étant, de par sa taille et la qualité, l’esthétique de ces espaces, un des plus remarquables. et lyonnais et touristes ne s’y trompent pas en allant s’y promener, ou s’étendre régulièrement. de superbes ambiances sonores, spécifiques à chaque partie du site s’y font entendre, et j’y ai guidé nombre de PAS-Parcours Audio sensibles.
Celui du Vallon, montant du haut de Vaise (9e) jusqu’à la colline de la Duchère, permet notamment, grâce à une astucieuse installation acoustique, de plonger l’écoute jusqu’au ruisseau enfoui.
Celui de la Feyssine, longeant le Rhône est également très prisé, de même que l’immense Grand Parc de Miribel Jonage, vaste réservoir d’eau périurbain, propice à de nombreuses explorations, oreilles aux aguets.
Mention spéciale pour un square que j’adore, et dans lequel j’y emmène régulièrement des oreilles promenantes, le jardin dalle Rozier, dans la rue éponyme, sur les pentes de la Croix-Rousse. Il faut franchir un petit portillon discret, ressemblant à l’entrée du parking attenant, gravir quelques marches, traverser un premier jardinet, puis, modèle traboule contemporaine, arriver à un espace clos, entouré de bancs et de végétation, avec un sol en caillebotis très agréable à fouler. Les rumeurs de la ville nous arrivent très filtrées, mêlées aux sons ambiants des cages d’escalier et fenêtres ouvertes voisines, une douce mélodie dans un espace privilégié.
Autre coup de cœur, le Parc Sutter, dont les entrées sont vraiment plus que discrètes pour qui ne les connaît pas. Un vaste parc très arboré, très pentu, sorte d’amphithéâtre de verdure, avec une crèche tout en bas. Du haut, un point d’ouïe absolument remarquable, où tous les sons trouvent leur place dans un espace acoustique ciselé. A consommer sans modération.
Il se trame ainsi desliaisons vertes, où le confort et la qualité d’écoute sont généralement au rendez-vous.
Underground
Passages underground. Les parkings souterrains, pour beaucoup lieux anxiogènes, règne de la voiture, sont a priori à l’opposé des oasis sonores dont il est ici question. et pourtant je les adore de l’oreille, avec leurs réverbérations cahédralesques, surtout au tout dernier niveau, qui souvent n’est que très peu occupé et circulé. Deux ont ma préférence; celui du parking des Célestins, avec l’incroyable œuvre kaléidoscopique de Daniel Buren “Sans dessus dessous” mettant en valeur l’immense spirale du parking; et des sons tournoyants, sans être, du bas, jamais, ou très rarement envahissants. Un point d’ouïe et de vue spectaculaire ! L’autre étant celui de l’Hôtel-de-ville à villeurbanne, toujours immense fosse spiralée où à l’étage inférieur, un long poème “Le regret des oiseaux” de Philippe Favier, se déroule vers le haut. D’autres espaces souterrains sont très intéressants de par leur dépaysement acoustique et visuel, tels les souterrains du fort de Vaise dans le 9e ou les fameuses arêtes de poisson des pentes de la croix rousse, mais uniquement en mode visite patrimoniale pour les premiers, et urbex sauvage pour les secondes.
Coulées, trames vertes, bleues, noires, blanches
Entre autres grandes coulées ou trames urbaines, le réaménagement des quais du Rhône, puis de ceux de la Saône ont ouvert de nouvelles promenades en bas-quais, souvent isolées des voies sur berges, dans des passages en talus gommant l’essentiel de la rumeur automobile.
Notons que ces trames sont qualifiées de vertes pour des corridors écologiques végétalisés, bleues pour celles suivant les cours d’eau, noires pour les espaces préservés de trop de pollution lumineuse, et blanches en ce qui concerne les espaces non pollués par le bruit. Certains aménagements s’inscrivent donc dans ces grandes trames écologiques favorisant la biodiversité. L’une d’elle permet de traverser une grande partie de Lyon sur l’axe nord-sud (ou inversement), de Gerland au Grand Parc de Miribel Jonage, avec une diversité de paysages, y compris sonores très riche.
D’autres longues coulées cheminantes, souvent suivant d’anciennes voies de chemins de fer, permettent de beaux parcours piétons. Citons la Voie verte de Caluire et Cuire, inscrite dans un sentier de plus de 10 kilomètres reliant la Confluence à l’Ile Barbe, ou celle de Champvert (5e arrondissement vers Tassin la demi-lune). Toutes nous offrent points de vue et points d’ouïe dépaysants, dévoiturés, dans Lyon ou sa proche périphérie.
Remarques éc(h)ologiques
Concernant les trames ou coulées, corridors écologiques notons celles dites bleues, cours d’eau, vertes, végétales, noires, espaces nocturnes protégés de pollution lumineuse et, petites dernières, blanches, espaces protégés de la pollution sonore.
Notons aussi la directive européenne(2002/49/CE) préconisant deszones calmes dans l’aménagement du territoire, directive non contraignante donc au peu (re)connue ou suivie d’effets.
Notons également la récente recension des îlots de fraîcheur, suite à l’augmentation des niveaux de températures dans les espaces urbains, ces derniers se superposant souvent à des oasis acoustiques, parcs, îlots ombragés et espaces piétonniers en voies douces notamment. Il serait d’ailleurs intéressant de coupler le repérage, la mise en place, voire l’aménagement de ces îlots de façon complémentaire, comme des espaces de confort acoustique-température, ce qui n’est pas réalisé à ce jour.
On pourra s’inspirer des fascicules édités par le Grand Lyon la Métropole sur des sentiers de randonnées urbaines et périurbaines, parcs, pour découvrir d’autres sites acoustiques remarquables.
Les exemples cités ici ne représentent qu’une petite partie de potentiels oasis, qui peuvent du reste, d’un moment à l’autre de la journée ou de la nuit, au fil des saisons et des aménagements, voir leurs qualités acoustiques évoluer, en bien ou en mal. Chacun et chacune peuvent donc se faire leurs propres réserves de lieux ressources où l’oreille, et tout le corps, y trouveront leurs compte, voire peuvent contribuer à faire connaître leurs espaces de prédilection, à enrichir ce début d’inventaire, à proposer des visites écoutantes…
Cet article est inspiré tout à la fois par l’idée esthétique des paysages sonores, ceux à contempler, découvrir, partager, vivre, préserver, par la militance pour un confort auditif, une qualité de vie préservée et la résistance contre un envahissement sonore dont chacun porte une part de responsabilité. Sans oublier l’espoir sociétal de vivre en bonne harmonie, en sachant s’entendre du mieux que possible avec notre ville et ses habitants et usagers.
C’est un vœu récurrent, voire omniprésent dans mon travail au quotidien, mais “Vingt fois sur le métier », il nous faut remettre notre ouvrage, et ici mes oreilles !
Cour des voraces à Lyon, Point d’ouïe théâtre de superbes écoutes
Dans certaines circonstances, écouter en fermant les yeux peut favoriser une prise de conscience de la diversité et de la spatialisation des sons environnants, et aider ainsi à s’immerger plus profondément dans un espace acoustique sans cesse changeant dans ses multiples plans et sources sonores. Néanmoins, au travers des expériences faites durant moult balades sonores, la vue et l’ouïe (sans compter l’odorat), forment sensoriellement une bien belle équipe ! l’un jouant vis à vis de l’autre le rôle d’un exhausteur sensoriel. Le regard, loin de prendre systématiquement le pas sur l’audition, si toutefois celle ci a été placée sciemment au premier plan par une mise en condition adéquat, renforce incontestablement l’image sonore, en lui offrant souvent de magnifiques cadres d’écoute, ou en créant des atmosphères propices à la perception d’une incroyable poésie des lieux.
Quelques lieux propices à des contemplations sono-visuelles
– Une tombée de nuit hivernale à Auch, subtiles lumières blanches, bleues, dorées, des pas résonnants dans une rue piétonne, une grue chantante sur le haut de la ville, la rumeur du bas, vers la plaine du Gers, une incroyable résonance de cour intérieure, dans une pénombre doucement grandissante. Passage de la clarté vers une obscurité crescendo où les sons emboîtent le pas dans leur propre atténuation…
– Nantes, une fin d’après-midi estivale, un groupe d’écoutants, blottis contre un portail de garage, au fond d’un évasement formant visuellement un véritable pavillon en mêmes temps qu’un cadre guidant l’écoute vers des lointains peuplés de moult sonorités, aussi paradoxalement diffuses qu’identifiables.
– Neerpelt, Belgique, un parc d’installations sonores en bordure de nuit, une allée très étroite, bordée de hautes et épaisses haies de lauriers très touffues, des sons multiples, faune avicole encore présente, à la fois discrète, et prégnante, entendus sans que l’on puisse précisément en deviner précisément l’origine, posture acousmatique par excellence. Une sorte de longue dune centrale, arrête saillante coupant le parc en deux, vient au contraire dégager notre écoute vers des lointains où sons urbains se mêlent aux activités sportives plus proches et à celles de certaines installations sonores.
– Vienne, Autriche, un après-midi d’été, sous un immense dôme au centre de la vieille ville historique. Des sons traversant de part et d’autres cet édifice imposant, rebondissants amplifiés par des réverbérations cathédrales qui nous poussent à tester vocalement l’acoustique du site. Une expérience d’écoute urbaine où la masse architecturale formant le décor est en parfait accord avec l’ambiance auriculaire expansive.
– Madagascar, Tananarive, quartier d’Anakelele, plein centre ville, fin d’après-midi, une belle et chaude journée d’hiver (tropical). Un immense escalier descendant d’une colline, et remontant sur une autre en vis à vis. Dans l’escalier, une foule de marchands, de promeneurs, de passants. Au bas, un gigantesque et tentaculaire marché à ciel ouvert et dans des allées couvertes, le tout bruyamment coloré. Une percée, une perspective visuelle et auditive fascinante, une traversée toute en lumières, en sons en couleurs, en odeurs !
– Chalon-sur-Saône, un matin hivernale ensoleillé, sous un kiosque à musique. Posture visuelle panoramique, sons extérieurs à 360°, sons intérieurs curieusement amplifiés et colorés par la focale du toit dôme. Mixe des deux ambiances intérieur/extérieur surprenant et magique. Expérience similaire, vécue sous le kiosque à musique de la place Pinel à Toulouse.
– Villeurbanne, sur le toit Terrasse de la colossale mairie venant barrer l’emblématique quartier des Gratte-Ciel, dans une architecture post stalinienne. Temps ensoleillé, et belle lumière hivernale. D’incroyables perspectives visuelles quasi aériennes, le centre ville à nos pieds. Une douce rumeur de laquelle se détachent de multiples sons de voix, musiques du marché de Noël, voitures (non envahissantes). Un exemple archétype d’équilibre son/image, de la proximité au lointain, d’un surplombant où les sons montent sereinement vers nous.
– Villeurbanne encore. Niveau – 7 d’un parking souterrain. Aucunes voitures à cet étage ce jour là. Grondement des ventilations. Incroyables résonances de chaque sources sonores s’enroulant autour d’une immense rampe hélicoïdale bétonnée. Une pénombre minérale qui renforce cette ambiance véritablement underground.
– Orléans un jour pluvieux et très fraîchement humide. La Loire en crue sauvage gronde ! Des bancs la surplombant nous offrent un point de vue-point d’écoute où le fort courant des eaux plaque sur les quais un continuum sonore impressionnant. La lumière comme l’eau est grise et vibrante. Rarement je n’aurais entendu grogner si fort un fleuve sous un ciel d’un gris sourd et menaçant. Paysage d’un Pays de Loire souvent assez serein, mais ici tourmenté entre nuages, pluies et eaux tumultueuses.
– Mons, Belgique, une belle nuit de début d’automne. Un banc surmontant la ville, au pied d’un imposant et beffroi qui carillonne régulièrement, rythmant l’espace de ses nombreuses mélodies tintinnabulantes. Nous somme à une croisée de quatre routes étroites, pavées, minérales à souhait, qui dévalent toutes vers le bas de la ville. Point stratégique où l’œil comme l’oreille sont à la fête et perçoivent distinctement les plans et les flux sonores comme dans un véritable théâtre acoustique où l’oreille est à la fête.
– Lyon, dans l’une des plus célèbres traboules du Quartier de la Croix-rousse, la Cour des Voraces. Un escalier monumental ponctué de plusieurs paliers terrasses et fermé d’un autre escalier couvert, grimpant en « Z » à flanc d’une imposante façade. Un ensemble architectural remarquable de l’habitat « Canuts ». Des points se vue qui n’ont d’égaux que les écoutes associées. Portes, pas, voix, échappées sur la rue, grincements, musiques et tranches de vie quotidienne distillées par les fenêtres ouvertes forment une composition plutôt douce et équilibrée. Telles certaines cathédrales, la majesté du lieu semble inviter à un certain respect, y compris dans la modération de ses propres productions sonores.
Sousse, en hiver, nuit tombée, ville encore sous couvre-feu, ville déserte, la mer en toile de fond, vaguement éclairée d’une lune blafarde, et un grand vent qui la secoue, fait mugir ses crêtes contrariées…
Kerouan, au cœur de la Médina historique, de ses bleus ensoleillés, de ses dédales marchands, quartier des tisserands, ça claque gaiment en rythmes bien ordonnés; et puis l’appel à la prière, les minarets qui se répondent; d’une bâtisse close de murs éclatants, via une porte grillagée, des lectures coraniques psalmodiantes, et des oiseaux qui chantent, en contrepoint, plus fort que jamais ! Magique !
Kaliningrad nuit tombante, une Trabant déboule d’un porche, puis remontent à vive allure l’avenue principales dans un bruit apocalyptique. Sidération !
Cette liste est bien évidement non exhaustive tant ce genre de confrontations synesthésiques peut se trouver, souvent de façon tout à fait inattendue, au détour d’une place, d’une rue, d’un instant privilégié dont il faut saisir l’opportunité.
Article écrit pour une publication de 2013, complété de quelques expériences plus récentes.
Cet été, Desartsonnants est très heureux de participer à ce beau festival montagnard. Auparavant, il préparera des interventions audio-déambulantes et paysagères avec le centre pénitentiaire d’Aiton. En savoir plus bientôt !
@Photo Zoé Tabourdiot – Festival City Sonic -Transcultures be
Il y a des lieux où l’on peut sereinement s’assoir sur un banc, entouré de mille friandises sonores, qui nous font nous sentir investis par et dans le monde.
Il y en a d’autres, plus instables, où des marchands de cigarettes et autres produits, nous harcèlent, et où l’on sent le pugilat, toujours prêt à vous exploser à l’oreille et au regard.
Il y en a où l’on prend plaisir dans l’explosion ferraillante de multiples trains, lancés à grande vitesse, interminables, décoiffants, qui vous agressent d’une jouissive sidération.
Il y a ces forêts, ruisseaux, oiseaux et soleil complices, qui semblent vous faire la fête sans vergogne, ni contreparties aucunes.
Il y a ces forêts d’où l’on se sent exclus, hors-jeu, tant les lémuriens hurleurs et les insectes stridulants empêchent tout sommeil ; jusqu’à ce que l’on soit rassurés, voire bercés par l’insistance évidente de cette vie trépidante.
Il y a ces ressacs obstinés, hypnotiques, roulant des galets soumis, anesthésiant toute pensée rationnelle, quitte à laisser le champ libre à la rêverie folâtre.
Il y a des choses sonores, qui scandent les moments d’une vie qui s’écoule inexorablement, sans que nous en soyons vraiment maîtres.
Il y a ces faux silences, toujours troublés d’un iota de quasi indicible, mais qui nous rassurent sur le fait que la fureur guerrière n’est pas (toujours) maitresse d’un monde bruissonant.
Et puis il y a tous ces lieux où je n’ai encore jamais posé les oreilles, mais où j’aimerais tant !
Je ne connais que couic, cui-couic aux zaffaires zoizelières, à leurs ramages, plumages et autres fromages…
Guère plus en leurs chants syrinxées, pépillages et bavardages compris…
Certes, je reconnais parfois une pie criarde, un pigeon roucouleur, un martinet strideur, une chouette hululante, guère plus.
Je les repère de l’oreille, comme d’incontournables narrateurs, du platane urbain au chêne cévenol, de jour comme de nuit. Ils sont acteurs incontournables, faiseurs d’audio-paysages, en alerte, en quête territoriale, semble-t-il… Mais les ornithologues déchiffrent.
Lorsque leurs voix se taisent, l’espace hélas se paupérise, nous renvoyant à nos propres désastres en chantier.
J’admire leur persévérance entêtée, le tissage itératif comme un ruban volubile inlassablement déroulé au fil des heures et des saisons.
J’admire leurs façons de pointiller l’espace, de le traverser en flèches soniques, d’en marquer des lisières, des orées, des allées, des frontières aussi, des heures, des friches embroussaillées résistantes au bitume.
J’imagine leurs audaces en aubades et sérénades amoureuses, viens dans mon petit nid et oiselons en c(h)œur.
Vinciane Despret l’a raconté, d’autres l’ont enregistré, certains en on fait musique*.
Oiseleurs et oiseaux-leurres, à chacun sa facétie.
J’aime les oiseaux du bout de mes oreilles paraboles.
Une pièce en forme d’installation sonore autour de l’univers avicole. Attention, ceci n’est pas un enregistrement de « vrais » oiseaux, mais un paysage sonore totalement oisonirique. Toute ressemblance avec une espèce existante n’est pas forcément fortuite. Aucun mauvais traitement, hormis les traitements audionumériques, n’a été fait aux espèces enregistrées ici.
Je prie mes amis audionaturalistes, biophonistes, ornithologues, et même musiciens, de bien vouloir m’excuser pour toutes ces histoires sonores incongrues, j’en conviens. Mais faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée. Pour ce qui est de l’autre moitié, les oiseaux me la pardonneront je l’espère.
Lorsque je reviens d’un séjour Desartsonnants, forcément sonore, j’ai dans la tête, en mémoire, mille souvenirs de rencontres, de beaux moments d’écoute, en concerts, performances, installations, ambiances urbaines… des choses que j’aime conserver, triturer, partager… Faire chanter les lieux…
Ce qui est le cas aujourd’hui, de retour de mon récent séjour au festival Zone Libre à Bastia.
Retrouvailles corses (de paysages comme de gens), découvertes, échanges, écoutes et promenades auriculaires, prises de sons, une semaine riche à tous points de vue (et d’ouïe).
J’ai donc envie, comme de coutume, de partager tout cela, via les sons glanés sur place, d’écrire une petite pièce, carte postale sonore personnelle, qui tentera de convoquer des sonorités, ambiances, capturées et mixées à ma façon. Une fiction qui rassemble ce qui ne va pas de soi, et pourtant me parait fidèle à ma petite histoire.
Ceci n’est pas une réalité acoustique, tant s’en faut, ceci est un paysage, sonore qui plus est !
Une musique bastiaise au fil des rues, pour qui sait l’entendre.
Avec la participation, et j’espère ne pas en oublier, de : Thibaut Drouillon, Hélène Blondel, un pianiste invisible et anonyme devant Una volta, une fontaine, des bateaux pétaradants et des passerelles grinçantes, des publics, la cloche de Saint-Marie, des passants, leur voix et leurs talons, les ouvriers de la place du musée et leurs incroyables poulies chantantes, Marc Veyrat et des élèves bastiais, Philippe Franck, Tommy Lawson, Roberto Paci dalo, La mer, Jean-Daniel Bécache, la ville de Bastia toute bruissonnante…
Le 04 février 2022, à 17.30, centre culturel Una volta de Bastia, se tenait le forum « création sonore en espace urbain ».
Ce dernier était proposé dans le cadre du festival d’arts sonores Zone Libre.
Trois participants animaient ce débat/rencontre avec le public, Philippe Franck, notamment directeur du festival international des arts sonores City Sonic et de Transcultures en Belgique, Tommy Lawson, directeur artistique du festival Zone Libre à Bastia, et Gilles Malatray, écouteur activiste Desartsonnants.
La place de la création sonore en espace public, avec la naissance des festivals dédiés, la diversité de pratiques parfois hybrides, les parcours urbains, les relations entre artistique et espace public, y compris dans les approches politiques, sera abordée et discutée.
En écoute
En écho (parce que le paysage sonore accueille souvent de beaux échos !)
@Photo Sophie Barbaux – le Jardin Joyeux – Marseille
En pré-ambule
Marcher en écoutant la ville ou écouter la ville en marchant…
Ces actions transitives s’invitent comme une approche kinesthésique, oreilles et corps en mouvement, convoquant des postures sensibles, des perceptions affectives, une expérience esthétique, celle notamment d’entendre et de composer une potentielle musique des lieux…
Et sans doute aussi, comme un geste prônant une écologie auriculaire, sociétale, dans la façon de considérer les sons, les ambiances sonores, mais aussi de vivre et de construire avec ces derniers.
Le PAS-Parcours Audio Sensible, se pense et se vit comme une inscription dans une poétique de la ville, ou d’espaces périurbains, voire non urbains, à portée d’oreilles.
Cette approche poétique pourra se traduire par exemple par une aspiration au ralentissement, un besoin de prendre le temps de faire, de marcher, d’écouter, de ressentir et peut-être de s’émouvoir.
C’est également le repérage et l’agencement de points d’ouïe immersifs, comme une manière de laisser venir et être au cœur de l’écoute, dans une écriture performative, celle notamment de jouer avec les espaces sonores, de jouer la ville en la faisant sonner.
Se construisent aussi des états perceptifs, descriptifs, comme des tentatives d’épuisement, des mondes tissés d’infra-ordinaire (Georges Pérec). Des micros événements qu’il nous faudra percevoir comme essentiels pour mieux être en phase avec nos milieux sans cesse chamboulés… Prendre le monde par le petit bout de l’oreillette, l’environnement proche, la série de détails qui, mis bout à bout, feront sens, remuant parfois nos affects les plus intimes.
Bref, tout un réservoir de gestes et de postures pour performer la ville, cité sonore, via des jeux de l’ouïe et autres expériences décalées.
On peut y trouver prétexte et occasion pour un « faire surgir », dans le mouvement, y compris et sans doute surtout dans une lecture sociétale et politique, au sens premier du terme, comme le sont les marches urbaines de Francis Alÿs… Parmi tant d’autres situations expérientielles possibles in situ.
Le PAS-Parcours Audio Sensible, est ainsi un geste de lecture/écriture audio-paysagère, appuyé d’un un partage d’écoute, une esthétique contextuelle et relationnelle, (Nicolas Bourriaud), où le ressenti peut pallier la difficulté de fixer ou d’expliquer des situations d’écoutes immatérielles, mouvantes, éphémères, néanmoins toujours subjectivement signées.
La marche d’écoute s’entend alors comme une forme d’œuvre intimiste, au final désœuvrée dans son immédiateté situationnelle, dans son immatérialité performative, ainsi que dans son (apparente ) improductivité. (Max Neuhaus et les Listen).
Nous touchons là une approche sensible transdisciplinaire, voire indisciplinaire, telle que la prône Myriam Suchet, pouvant convoquer l’aménagement du territoire, la géographie, les arts, la sociologie et l’anthropologie, la philosophie, les sciences de l’acoustique et de la psychoacoustique, des neuroperceptions… et surtout ne cloisonnant pas, voire hybridant l’expérience, l’étude, la création esthétique… Un réservoir d’émotions potentielles !
Ces parcours sensibles favorisent une écriture plurielle, faisant un pas de côté en arpentant les matières sonores bruissonnières, composées et traduites en textes, images fixes et animées, chorégraphies, graphismes et autres transmédialités…
Ce sont des récits de rencontres, entre des écoutants et des paysages-espaces-mouvements, appréhendés sous le prisme de sociabilités sonores amènes, où tendre une oreille (tendre) relie des actions et réflexions communes, au travers l’écoute médiatrice.
L’émotion peut surgir au détour d’une rue, d’une ambiance sonore, de nouvelles signatures auriculaires surprenantes, des paysages auriculaires inouïs, d’événements perturbateurs ou réconfortants… Autant de moteurs pour des ressentis à fleur de tympans, des situations immersives, expérientielles, des dispositifs interagissant, stimulant les affects, transformant parfois radicalement, et à long terme, nos façons de faire, d’entendre.
L’émotion est indissociable de l’action de terrain, intrinsèquement ici dans la marche d’écoute, dans des perceptions sensibles, entre le bien-être et le mal-être, la jubilation et le stress, la lassitude et l’énergie, et tous les états intermédiaires.
Elle l’est pour le meilleur, comme l’activation d’une écologie perceptive, amène, porteuse d’espoir, et pour le pire, le constat d’un effondrement bruyant, tout autant que silencieux.
L’émotion suscite ici un balancement stimulant, entre deux pôles, positifs et négatifs, et leurs inter-réactions. Le fait de se mouvoir et de s’émouvoir, par le regard, comme par écoute, permet de mieux comprendre les dysfonctionnements et dangers multiples, saturations et disparitions, de périls plus que jamais cruciaux, tout en gardant la volonté de construire une Belle Écoute collective.
L’émotion, y compris celle procurée par l’écouter, est une réaction qui nous aide à tenir le cap dans une époque semée d’embûches et de chausse-trappes.
Depuis quelques années, Desartsonnants revient, au mois de février, dans la belle ville de Bastia, lors du festival d’arts sonores Zone Libre.
Il y retrouve et découvre des compères activistes et des œuvres sonores, des espaces d’échanges; et aussi des paysages à portée d’oreilles où, cette année, le bleu du ciel et de la mer offraient un bel écrin aux sonorité de la ville, du haut de sa Citadelle, au pied des montagne, jusqu’au port et bords de mer.
Sous le soleil la vieille ville nous attire, comme un aimant sensoriel irrésistible. A peine les valises posées, l’envie d’arpenter la cité, perchée entre mer et montagne, est plus forte que tout, et c’est avec un immense plaisir que nous y cédons sans retenues.
De ruelles en places fortifiées, de remparts en jardins, d’escaliers en piétonniers, je retrouve avec joie les sonorités bastiaises, l’accent chantant du Sud, les ambiances acoustiques qui modulent l’espace au gré de la promenade… Et les succulents canistrellis de chez Raymonde…
Les cités et villes retrouvées, revisitées régulièrement, deviennent de petits laboratoires d’écoutes, où petit à petit, d’années en années, se creusent des pratiques, des réflexions, s’affinent des expériences, s’écrivent des histoires. Leurs paysages sonores se construisent, se matérialisent en prenant de l’épaisseur, du sens, dans une histoire auriculaire, partageable avec qui veut bien l’entendre.
Repérage
Comme pour tout PAS qui se respecte, le repérage est une phase clé dans l’écriture du parcours.
Savoir où l’on va, où l’on met les oreilles.
Anticiper les acoustiques que l’on traversera, les relations Points d’ouïe/Points de vue, les activités (espaces portuaires, commerçants, sites spécifiques…), ambiances des lieux, quelques marqueurs (fontaines, clochers…), des événements ponctuels (travaux, marchés, festivités…), envisager des temporalités (diurnes, nocturnes, à certains moments de la journée, selon la saison…).
imaginer laisser place aux aléas, rencontres fortuites, événements imprévus… Doser le maîtrisé prévu, anticipé, et les moments où l’improvisation sera de mise en fonction des objets et ambiances sonores de l’instant.
Sentir les « envies » des promeneurs écoutants que l’on accompagne pour rester autant que faire se peut dans une forme de complicité tacite. Une belle scène acoustique pourra faire que l’on s’arrachera difficilement à tel espace/temps, où l’oreille aura envie de faire une pause pour prendre le temps de l’écoute, sans que l’on vienne la forcer à quitter prématurément une harmonieuse place d’écoute.
Un autre critère ici était pour moi d’éviter les rues trop circulantes, trop bruyamment motorisées, en empruntant des espaces plutôt piétonniers, entre citadelle, jardins et traversées de la ville commerçante.
Bref, un jour et demi de repérage, pas mal de kilomètres parcourus, et de belles dénivelées en prime. Une belle écoute se mérite !
Franchir le PAS
Le jour j, à 14 heures, devant la cathédrale Sainte-Marie de la Citadelle, au cœur de la cité historique..
Un groupe de promeneurs écoutant se retrouve, pour partir à l’affût des sonorités bastiaises, sous un beau soleil printanier malgré l’époque hivernale.
Quelques consignes, suggestions, mises en condition; installer le silence, puis l’écoute; l’un invitant l’autre, et nous partons, du pas lent de l’écoutant. Nous sommes ici dans une expérience audio immersive. il s’agit de recevoir, d’accueillir les sons, de s’y baigner. Sans doute ne faut-il pas résister aux affects, voire émotions qui peuvent surgir en nous, fussent-ils et elles dérangeant.es;
Un premier spot intérieur, plutôt serein, pour se mettre les oreilles en condition, sans les brusquer. Entrée en matière tout en douceur; Le calme de la cathédrale, sa pénombre intime, ses espaces réverbérants, sa faible porosité avec l’extérieur, l’amplification des pas, des micro-bruits, jusqu’à notre propre respiration…. Un cadre est posé.
Nous poursuivrons par une petite déambulation dans les rues piétonnes de la Citadelle, au cœur historique de la cité. Calme serein. Quelques voix ici et là. De belle percées lumineuses vers la mer, silencieuse. Débouché sur la place du musée, et là, une très belle scène acoustique. Un chantier de ravalement de façade. Des voix du sud de de l’Italie. On se hèle du haut en bas de l’échafaudage. On chante. Une poulie manœuvrée pour monter des seaux de crépis cliquette joyeusement. Le tout dans une superbe réverbération minérale. Un régal pour les oreilles !
Nous empruntons ensuite les sentes et escaliers du jardin Romieu, qui nous mènent vers la ville basse, le port, la mer. Nous perdons en quelques pas la circulation de la route voisine; A nouveau un espace calme, mais très différent de la vieille cité, ouvert sur le bleu de la mer à l’horizon. Espace végétal où les oiseaux s’éveillent à la douceur en pépiant. Les rumeurs du port nous parviennent feutrées. Un Ferry embarque lentement vers le large dans un doux ronronnement. Nous le suivrons des yeux et des oreilles, assis sur des bancs surplombants. Nous finirons la descente dans une large fenêtre qui encadre le ferry prenant le large. Traversée du port de plaisance. Nos pas résonnent sur un large caillebotis. quelques gréements tintinnabulent sous un vent mollasson. Des coques grincent en se frottant aux passerelles. Des voix croisées de promeneurs nonchalants. Ambiances toujours apaisées d’un Bastia encore à l’heure hivernale.
Pénétrante dans la ville par des petites ruelles. Des commerces et quelques terrasses, voix devisantes. une très grande place minérale où des scouts jouent, yeux bandés, à des exercices de repérage en aveugle, se dirigeant vers les collègues qui les guident vers eux. un jeu d’écoute de circonstance dans notre exploration auriculaire. Passages de ruelles en escaliers, de terrasses en parvis, nous gravissons la ville en serpentant.
Ouvertures et fermetures des espaces acoustiques; Toujours les voix comme une sorte d’étalon référentiel.
Quelques passages tonitruants de motos ou scooters qui viennent déchirer les zones tranquilles mais disparaissent rapidement, laissant les espaces s’ébrouer dans une résilience auriculaire.
Passage dans un parking à flanc de colline; J’adore encanailler l’oreille dans ces lieux a priori mal famés pour l’oreille. Et pourtant les réverbérations s’y déploient magnifiques.Grincemenst de roues. Claquements de portières. Cliquetis de barrières. Passages de véhicules dessus, dessous, loin, prêts… Tour est superbement mis en espace.
Dernier tronçon de ville pour revenir à la citadelle et boucler notre boucle d’écoute.
Une promeneuse écoutante de notre groupe nous invite à prendre un verre. Terrasse qui accueille nos retours et ressentis.
Nous faisons connaissance.
Parlons bioacoustique, spécialité de certains d’entre nous. Écologie sonore, paysage collectionnés, voyages effectués ou à venir. Et mille autres choses encore pour clore en douceur ce PAS – Parcours Audio Sensible, sous la belle lumière méditerranéenne déclinante.
L’un d’entre nous, preneur de sons passionné, à capturé l’ensemble du parcours.
Traces à monter, en attente de faire récit, de fixer un brin de mémoire, de raconter l’aventure d’un instant d’écoute partagée.
S’il il a des lieux et des contextes favorables à l’accueil de PAS, la cité bastiaise, sa Citadelle historique et le festival des arts sonores Zone Libre sont assurément de ceux là !Point d’ouïe, face à la mer, Jardin Romieu, dominant le port de BastiaEn écoute, des travaux comme une belle musique des lieux, place du Musée, Citadelle de Bastiapoint d’ouïe, mettre l’oreille en conditionCathédrale Sainte-Marie, calme, sérénité et belles réverbérationsFace à la mer, les oreilles aux largesÉcoutes portuaires
« L’indiscipline s’attaque à la paroi qui veut séparer la recherche de l’action, ainsi qu’à celle qui prétend étanchéifier la pensée et l’isoler de la création. » (Myriam Suchet)
Dans les trois derniers projets développés en tout début d’année 2022, une certaine continuité, voire une complémentarité stimulante, néanmoins nourries d’indisciplinarité, se dessinent incontestablement, pour mon plus grand plaisir..
Le premier, via unForum des paysagistes sonores, impulsé par PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores) se déroule à Lyon, dans le cadre de la Semaine du son de Unesco. Il invite une dizaine de participants, artistes, chercheurs, pédagogues.. à venir présenter leurs pratiques lors d’une rencontre publique. L’objectif est ici de montrer la diversité et la richesse des acteurs, preneurs de sons, créateurs sonores, bioacousticiens, concepteurs de parcours d’écoute, pédagogues… qui œuvrent à penser le monde par les deux oreilles, voire à l’aménager en prenant en compte les ambiances sonores, tant celles existantes que celles à imaginer. Ce forum est aussi un espace de débat, incontournable pour qui veut impulser une pédagogie active et participative.
PAS – Parcours Audio Sensible – Festival Zone Libre à Bastia
Le second projet m’emmène à Bastia, tout au nord de la belle ile Corse, lors d’un festival des arts sonores « Zone libre« . j’y organiserai et guiderai un PAS – Parcours Audio Sensible, à la découverte au pas à pas des ambiances sonores du vieux Bastia, et participerai activement à un autre forum, fomenté avec plusieurs partenaires, dont nos amis belges de Transcultures, autour de la « Création sonore en espace urbain« . La ville inspiratrice et théâtre d’événements artistiques où le son, dans tous ces états, est privilégié, la ville espace de parcours d’écoute; sont abordés également la cité politique et l’engagement d’artistes vers une écologie sonore plus que jamais d’actualité, les dispositifs faisant sonner la ville, la mettant en écoute… des sujets où la création sonore est ici questionnée via ses multiples formes d’installations urbaines.
Arts, sociabilité et urbanité nous conduisent à des approches indisciplinaires qui me sont de plus en plus chères.
Workshop École Polytechique d’architecture de Sousse
Le troisième projet, dans la foulée chronologique des deux précédents, se déroule à l’École Polytechnique d’Architecture de Sousse, en Tunisie. Il va donc être à nouveau question, avec des étudiants et enseignants, d’urbanité, d’aménagement, mais aussi de patrimoine, puisque des parcours/relevés sonores s’effectueront au cœur de la médina historique, classée Patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco. Arpenter, écouter, capter, composer de petites cartes postales sonores, argumentées, illustrées de croquis, maquettes, cartes sensibles, imaginer de nouveaux espaces où la sensorialité est convoquée… Une approche expérimentale, expérientielle, d’une ville à portée d’oreilles, pensée (aussi) par des sons.
Cette entame de l’année, toutes oreilles ouvertes, met donc le promeneur écoutant, paysagiste sonore de surcroît, dans une dynamique oh combien stimulante ! Trois approches qui, dans des lieux et avec des dispositifs spécifiques, me donnent du grain à moudre par leurs singularités, géographiques, thématiques, mais aussi par le fait de creuser leurs communs universaux, l’écoute en tout premier lieu !
Juste une photo retrouvée dans un coin de mon ordinateur.
Élie Tête, Fondateur et âme vive de l’Acirène « Association Culturelle d’Information et de Recherche pour une Écoute Nouvelle de l’Environnement », décédé en 2009, est sans nul doute celui qui, le premier, m’a ouvert toutes grandes les oreilles. Celui qui m’a également donné à penser le paysage sonore sous toutes ses formes, et l’envie de partager et de transmettre des moments d’écoute où l’oreille est à la fête.
« Le retard accumulé dans le champ de la représentation du sonore, se traduit dans l’aménagement, sous les traits d’une friche qui à l’image d’un continent sous-développé, nécessite ipso facto l’apport de gestes pour le hisser au rang de paysage cultivé. » Élie Tête, Aciréne, 2005
Dans une société où les tensions anxiogènes ne manquent pas, avoir du plaisir, à faire, à entendre, à écouter, est une chose plus que bénéfique, sinon vitale.
Bien sûr, le monde est complexe, brouillon, bouillonnant, parfois au bord de la saturation, et tout n’y est pas, tant s’en faut, réjouissant, y compris dans les scènes et ambiances sonores au quotidien.
L’oreille ne peut, par un coup de baguette magique, gommer les dysfonctionnements, ignorer les choses qui nous agressent le tympan, envahissent nos nuits.
Néanmoins tout n’est pas que bruit et déplaisir, y compris au cœur des grands complexes urbains.
A nous de rechercher, voire de construire, de préserver, des espaces où le monde sonne bien à nos oreilles, où la parole est intelligible, claire, non obligée de « passer par dessus ».
A nous de profiter de belles scènes acoustiques et autres points d’ouïe, une place où jouent des enfants, un marché volubile, une volée de cloches, les clapotements du fleuve…
Le plaisir est sensoriel, parfois sensuel, multiple, dans nos ressentis environnementaux, nos bains de sons. Il passe par la contemplation d’un coucher de soleil rougeoyant, l’odeur des croissants chauds au détour d’une rue, l’écorce d’un arbre que l’on caresse au passage, nos pieds foulant le sol, l’air frais du matin, la lumière qui nimbe la colline nappée de brouillards ténus, le soleil de printemps qui nous réchauffe enfin, les gazouillis qui se répondent dans le parc voisin…
Scènes de la vie quotidienne.
Tout cela peut nous paraître anodin, futile, peu digne d’intérêt. Et pourtant nous avons besoin de ces stimuli, de ces ambiances et repères entre autres auriculaires , qui vont rendre nos lieux de vie agréables, sinon vivables.
S’imaginer un monde gris, atone, sans relief, aseptisé, relève du cauchemar inspirant les pires dystopies science-fictionesques.
L’écoute procure, si on la laisse s’installer, de véritables émotions stimulantes, que l’on arpente la ville où qu’on l’entende de son banc, poste d’écoute et point d’ouïe.
Et tout cela se construit, se favorise, se ménage et s’aménage, les postures d’accueil, l’ouverture sensoriel, le choix des lieux et des rencontres amènes… Nous ne sommes pas forcément dans des gestes de méditation, de transe, ni même de spleen ou de contemplation, simplement dans une réceptivité à fleur d’oreilles, de celles qui nous relient au monde.
Partager le plaisir
Prendre du plaisir personnel, quasi hédoniste, est une bonne chose pour nous maintenir à flot. Le partager est encore plus riche.
L’écoute, dans un cadre d’action collective est donc, dans l’idée de construction relationnelle, au cœur du processus.
Marcher ensemble.
Écouter ensemble.
Faire ensemble…
Bien sûr, l’écoute collective ne sera pas la même pour chacune et chacun, même si les espaces et temporalités se superposent.
C’est même ce qui en fait sa force et sa richesse, le fait de pouvoir échanger sur nos ressentis propres, de partager nos émotions, parfois intimes, nos moments apaisés ou non, nos ralentissements dans une marche immersive, nos façons de nous entendre, plus ou moins bien, avec le monde, avec ses sonorités, avec ses écoutants…
Écouter de concert, c’est puiser dans un silence partagé, installé comme un rituel, une énergie, une synergie, que le groupe amplifie, comme une bulle qui favorise l’expression de nos affects.
Si l’après d’une déambulation auriculaire collective n’est plus comme son avant, une porte est alors ouverte sur de nouvelles expériences à venir, que les moments vécus ensemble auront sans aucun doute inspirés.
Que les déambulations s’appuient sur des perceptions esthétiques, écologiques, sociétales, urbaines, ou mieux, sur un mixe d’approches croisées, plus ou moins indisciplinaires, le partage d’expériences reste une manière de faire corps en restant ouvert à différentes sensibilités. l’échange, même non verbal de savoir-faire est un terreau enrichissant nos inter-relations.
Façons plurielles de décupler le plaisir d’installer une écoute partagée.
Chercher à comprendre
Si la curiosité est, dit-on, un vilain défaut, chercher à comprendre comment fonctionne notre environnement sonore, comment s’associent les sons, se génèrent les ambiances, évoluent nos bande-son au fil du temps, des événements, des aléas au quotidien, nous renseigne sur la façon dont, écouteurs-producteurs, nous vivons avec les sons.
De nombreuses approches investissant les domaines de l’écoute, physique, psychoacoustique, questionnent nos rapport au monde sonore, de ses modes de perceptions, d’analyse, mais aussi d’acteurs participants que nous somment à modeler, à fabriquer des scènes sonores, pour le meilleur et pour le pire.
Des outils de sensibilisation, des approches pédagogiques, des processus de description, de modélisation, croisant différents domaines des arts, des sciences, des problématiques éthiques, philosophiques nous aiderons à mieux comprendre les enjeux du sonore, notamment dans l’aménagement.
Être sensibilisé à ces problématiques participe à ce que nous soyons plus attentifs, non seulement au monde sonore lui-même, dans toute sa complexité, son côté éphémère et instable, mais aussi à nos propres gestes impactant le milieu et ses habitants, humains ou non. Questions de cohabitation oblige.
Depuis le travail de feu Murray Schafer les environnements sonores n’ont cessé d’évoluer, parfois dans le sens de raréfactions, disparitions, souvent dans un état d’accroissement, d’extension, de saturation, en tous cas pour ce qui est des grandes cités.
il est donc nécessaire d’accroître notre vigilance, de porter attention aux dysfonctionnements chroniques, aux pollutions parfois insidieuses qui nous rendent la vie difficile, faute d’espaces de calme où reposer nos oreilles et nos corps écoutants, parfois contre leur gré.
Malgré tout les dispositifs de filtres cognitifs, neuro-perceptifs, qui nous permettent d’effacer, d’atténuer ce que l’on pourrait qualifier ici de gêne, de choses plutôt négatives, brouillant souvent nos entendements, de paroles, de signaux et plus généralement de la lecture globale de nos milieux, nous sommes fortement impactés, voire perturbés par les sons ambiants.
Il est clair que l’on agira d’autant plus efficacement que l’on maîtrise le sujet, ici celui de notre cohabitation active avec les milieux acoustiques.
Il n’est pas cependant besoin d’étudier la physique vibratoire ni les neurosciences, il s’agit déjà, à la base, de rester à l’écoute et d’entraîner celle-ci à une lecture où plaisir et curiosité œuvrent de concert.
Défendre
Si le fait de chercher à (mieux) comprendre nos milieux sonores, à apprendre comment ils fonctionnent et évoluent, nous pousse à développer des sensibilités, et peut-être des savoir-faire, cette curiosité activiste peut aussi faire de nous des militants de la belle écoute.
Nous touchons là le domaine de l’écologie sonore, prônée et développée par Murray Schafer, et plus que jamais d’actualité. Être sensible, sensibiliser, protéger, améliorer, construire, dans une idée écosophique, ou l’environnemental, le sociétal et le mental, sont portés par une éthique, une philosophie et une volonté d’agir plus que de parler, nous fait prendre la défense de ces milieux si fragiles que sont les espaces acoustiques.
Artistes, scientifiques, pédagogues, aménageurs, décideurs politiques… chacun à sa place, avec ses compétences, ses réseaux d’influence et terrains d’action, et si possible en interaction, peut se faire défenseur de paysages sonores, les plus accueillants et vivables que possible.
l’Éducation Nationale, l’Éducation populaire, l’enseignement supérieur et la recherche, les centres culturels, les festivals, les associations de terrain, les collectivités publiques, autant de structures, de lieux, d’institutions, publics ou privés, où peuvent, voire doivent s’exercer des actions militantes.
L’apprentissage de l’écoute sous toute ses formes restant au centre de nos préoccupations d’écoutants impliqués, comme un levier pédagogique incontournable.
De la « simple » promenade écoute, PAS – Parcours Audio Sensible, en passant par des actes performatifs, des créations sonores, installations interactives, des groupes de travail, séminaires, conférences, débats publics, interventions scolaires, publications, des études autour de la bioacoustique, de l’éco-acoustique… beaucoup de moyens d’interventions, d’actions de terrain peuvent être mis en place pour faire entendre la voix des défenseurs sonophiles.
C’est encore par le partage du plaisir de faire ensemble, et au départ d’écouter, de s’écouter, que se puisera sans nul doute l’énergie militante.
Être sur le terrain, croiser les chemins de nombreuses personnes, mobiliser des énergies, expérimenter de façon transversale, quitte à emprunter les chemins de traverses, tout un champ d’action ne demande qu’à être activer.
Et c’est sans doute, au delà de tout discours, par l’expérimentation de terrain que passeront les actions les plus engagées et efficaces.
Expérimenter
Plutôt agir que parler, même si la parole est source d’enseignement, d’échanges et de transmission, d’invention même, l’action de terrain reste la meilleure façon de faire vivre et évoluer des idées, des projets. Et donc ici, de construire des paysages sonores dignes de ce nom. Écoutables.
L’expérimentation, ou l’expérienciation, le fait d’acquérir des connaissances par l’expérience personnelle, sont donc moteurs dans ces constructions audio-paysagères.
Si je dis par exemple que le paysage sonore est particulier, spécifique, voire reconnaissable pour chaque lieu géographique, mon affirmation ne sera valide que si je l’appuie par des exemples concrets, si je prouve en quelque sorte sa véracité, son fondement.
Il faudra alors aller sur le terrain, tester plusieurs protocole d’écoute, temporalités, moyens techniques, façons de rapporter les résultats, de les comparer, de tester ces expériences sur différents lieux, à différents moments, avec différentes personnes, de diffuser l’information…
L’expérience joue ici un rôle déterminant. Tout d’abord pour mettre en place un processus efficient. On déclinera ainsi plusieurs variations dans les modes d’actions possibles, pour que la notion de paysage sonore prenne vie, peut-être sous forme de différents modèles, typologies.
Expériences humaines, relationnelles également, quels groupes, comme travailler en équipe, à combien, croiser des expériences… Comment se répartir les tâches, croiser nos savoir-faire, et surtout, vibre en ensemble une expérience auriculaire riche pour chaque membre du groupe ?
Expérimentations de matériel, d’outils, de méthodes.
A chaque visée, à chaque lieu, des façons de faire, de penser, de récolter, d’analyser, de construire… Il m’est difficile, sinon impossible, de concevoir une méthode clé en main, transposable à l’identique d’un endroit à l’autre, sans que l’expérimentation de terrain n’implique la mise en place de gestes et de stratégies appropriés.
Expériences de transmission, de diffusions, de traces tangibles.
Rapporter les faits et gestes, décrire, analyser, tirer des conclusions, ouvrir de nouvelles investigations, diffuser, vulgariser… L’expérimentation va là aussi nous aider à trouver des supports ad hoc, des réseaux, des relais, partenariats, sans se cantonner dans l’utilisation de modèles clé en main, figés, mais vers des solutions plus adaptatives en regard du terrain;
L’expérience de terrain est, dans toutes les phases, primordiale. Le terrain est laboratoire. On part de l’expérience in situ pour se forger, au fil du temps, une expérience globale. L’expérience professionnelle comme on dit. Celle qui nous permet de réagir à terme, assez rapidement, selon les contraintes des projets, à la mise en place d’outils répondant au besoins, ou à leurs adaptations, si ce n’est à l »invention » de nouveaux outils.
Avoir fait une belle expérience, c’est avoir vécu et qui plus est entendu de fort belles choses, qui resterons gravées en mémoire, qui jalonneront notre parcours, chacune apportant une petite pierre à l’édifice sonore en continuelle évolution.
D’ailleurs, dans le mot expérience, il y a expert, ou expertise. Par l’expérience, et l’expérimentation, on devient « expert », expert en perpétuelle construction certes.
Cent fois sur ton métier tu remets ton ouvrage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écoutant qu’on devient écouteur, c’est parce qu’il y a des écoutants qu’il y a des paysages sonores… Suite de maximes avérées.Et croyez moi, j’en parle d’expérience.
Confronter
Confronter, se confronter à, littéralement en face à face, de front à front, proche d’ailleurs du fait de s’affronter…
Mais ici, évacuons la notion belliqueuse, ne montons pas au front, prenons la confrontation dans son sens plus positif, celui d’espaces de comparaison, de frottements, de rencontres et d’échanges. Et c’est dans le sens de la rencontre, non pas guerrière, mais plutôt en la pensant féconde en échanges que la confrontation s’opère ici.
Confronter des paysages.
Imaginons.
Plusieurs parcours, plusieurs points d’ouïe, plusieurs moments, plusieurs contextes…
Chacun singulier, dans ses événements, son déroulé, les enchaînements, les itérations, les superpositions d’ambiances, de sources…
Les comparer, en tirer de chacun la substantifique moelle, les faire de croiser, s’entre-écrire, se fictionnaliser, de façon à proposer une série d’expériences parfois improbables mais Oh combien stimulantes.
Confronter les participants
Imaginons.
Acteurs sur différentes actions, acteurs de différents champs, confrontons nos vécus sur un projet commun, ou pourquoi pas, sur l’ensemble de nos activités. Ne pas garder pour soit mais avoir l’envie de créoliser, d’hybrider, de malaxer une pâte aux ingrédients multiples, penser et pratiquer une ouverture sur de multiples possibles offerts à la rencontre.
Confronter les moyens
Imaginons.
Comme des coopératives qui mettraient en commun(s) des savoir-faire théoriques, techniques, opérationnels, allons plutôt vers le partage que le pré carré aux « secrets » jalousement gardés.
Concoctons ensembles des dispositifs, outils pédagogiques, ressources open sources, développons des passerelles participatives, des portails et autres outils qui confrontent, sans esprit de concurrence, et croisent nos projets.
Ces confrontations positives, bénéfiques, sont parfois inscrites dans des réalités de terrain, mises en œuvre, expérimentées, et parfois restent en formes de vœux pieux, de choses potentiellement faisables à plus ou moins long terme, voire de parfaites utopies dans des tiroirs oubliés.
Osons néanmoins confronter idées et réalisations, acteurs et savoir-faire.
Osons faire en sorte de sortir de notre petite niche confortable, pour que les raisons et les motivations de construire des paysages sonore écoutables et vivables restent plus que jamais une priorité d’actualité.
Et comme je le répète régulièrement, les choses étant ce qu’est le son.
L’écho des falaises la quiétude des cimetières les réverbérations et signaux des gares la gouaille des marchés le bouillonnement des ruisseaux la rumeur des belvédères urbains le silence habité des églises le bourdonnement des avions l’électricité grondante des orages l’onirisme de la nuit le grondement des boulevards l’apaisement des jardins le ressac de l’océan le tintement des cloches les chuchotis des bibliothèques le fracas des cascades le feulement du vent la vie qui s’écoule la vie qui s’écoute
Contexte, Blois, École Nationale Supérieure de la nature et du paysage, Symposium international FLK « Inouïs paysages », Le CRESSON, le 29 octobre 2021 à 18h00. Je suis invité, de façon quasi inaugurale, à proposer un PAS – Parcours Audio sensible, façon de mettre nos oreilles à l’épreuve du terrain. Il faut donc, et j’arrive une journée avant l’entame des rencontres, que je sache où aller, que dire, quelles ambiances faire entendre, comment et où mettre en scène une petite histoire sonore de Blois à l’oreille, parmi tant d’autres.
A noter que je n’ai jamais mis les pieds, ni les oreilles, dans cette ville, que j’ai donc découverte pour l’occasion, de haut en bas, si je puis dire. En effet, ayant déjà traversé d’autre villes du Val de Loire, je m’imaginais une cité avec une topologie plutôt plate, sans grands reliefs. Ma première journée de repérage et les différents trajets que je ferai dans Blois, me montreront à quel point je m’étais trompé, mes mollets ayant été mis à rude épreuve dés le premier arpentage. Ceci dit, les villes pentues ont cela d’intéressant qu’elles offrent moult points d’ouïe, dont de belle situations d’écoute panoramique, de là où saisir la rumeur de la ville et ses émergences parfois singulières.
Tout commence donc, comme à l’accoutumée, par un repérage préalable. Naturellement, partant du quartier de la gare, en hauteur, là où se tiendra notre camp de base pour quelques jours, mes pas me conduisent vers la vieille ville, vers la Loire. Comme beaucoup de cités lovées sur les rives de la Loire, on déambule entre châteaux et belles demeures historiques, dans de petits centres villes cossus, où les pierres transpirent un passé s’affichant à chaque coin de rues. Et comme beaucoup de ces villes un brin monuments, la piétonisation de certains quartiers attire le passant flâneur, encore assez présent en journée, en cet fin d’octobre aux températures plutôt clémentes.
D’escaliers en ruelles, de places en terrasses, la déambulation est assez agréable. Néanmoins, je ne trouve pas vraiment les ambiances sonores, ni le dépaysement trivial, voire un brin canaille dont j’aurais envie ce jour là. Envie de sortir des sentiers battus un poil carte postale, où la vue a tendance à éclipser l’écoute, et où de plus, la voiture est très présente. Je remonte sur les hauteurs, l’oreille dubitative, et me perds, ce qui est fréquent chez moi, pensant revenir vers la gare en partant à l’opposé. Jusqu’a ce que je demande mon chemin, façon pour moi beaucoup plus conviviale de me retrouver sans l’aide d’un GPS smartphone, que du reste je n’ai pas.
Et c’est là, par cette errance improvisée, que je découvre le fil rouge de mon parcours en gestation, via un petit chemin longeant un cimetière, et surplombant les voies ferrées en sortie de gare. Mais nous en reparlerons plus tard.
En ouverture des rencontres, le PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants va donc être mis en chemin d’écoute. On présente son auteur en le qualifiant de « sound lover », ce qui ne peut que réjouir ce dernier, la formule lui convenant tout à fait, après que l’ami Michel Risse, de Décor Sonore, d’ailleurs présent à ce parcours, l’ayant qualifié un jour de « Lobe Trotter » !
Quelques mots en introduction, pour mettre en condition d’écoute, sans toutefois théoriser ni conceptualiser à outrance le parcours à venir, juste pour le mettre en situation. Nous évoquons une invitation à l’écoute de l’infra-ordinaire, posture sensible énoncée par Georges Pérec, pour faire du quotidien, de ce que ni les médias, ni même les acteurs locaux ne regardent ni n’écoutent à force d’habitude. L’immersion inconsciente dans des espaces publics a priori anodins rend en partie sourds et aveugles les usagers et passants de tous crins. Il nous faut donc, oreilles en veille, corps réceptacle, nous rebrancher sur ce déjà (trop) vu et entendu. Pour être dans le sujet des rencontre, il nous faut retrouver, voire fabriquer de inouï en partant du quotidien, de l’in-entendu qui deviendrait pour l’occasion inattendu, du trivial qui se ferait événement sensible, esthétique, tout cela dans une posture collective. Dans cette idée qui, au fil des années, s’affine et se fait incontournable; il s’agit, avant que d’installer des sons, d’installer l’écoute, comme on ferait une sorte de scénographie sonore. Installation dynamique et collective en marche, rythmée de points d’ouïe. Installation sonore à 360°, prenant la ville, ou une partie de ville comme cadre, théâtre de monstration. Installation présentant bon nombre d’aléas, et aussi d’interactions écoutants sonorités ambiances lieux arpentés. Gestes collectifs… Installation qui prône une non invasion sonique de l’espace public, s’appuyant d’abord et avant tout sur l’existant, le déjà en place, le prêt à ouïr. Installation en mode écho logique.
Cependant, sans que tout cela ne soit annoncé de façon trop péremptoire, installer l’écoute implique, pour laisser la place aux sons, d’installer le silence. Non pas silence des lieux et de leurs acteurs le partageant au quotidien, mais silence partagé du groupe. Un silence qui, paradoxalement peut mettre un collectif d’écoutants dans une bulle d’écoute intime, personnelle, mais aussi souder un groupe dans un premier geste commun qui serait de faire silence, action active comme l’indique sa tournure grammaticale, pour mieux entendre, pour mieux s’entendre. Et avec ta ville, comment tu t’entends ? La question est posée de façon polysémique.
C’est donc dans cette idée que s’ébranle un long, très long cortège, en regard des jauges habituelles. Ce qui ne va pas sans inquiéter un brin notre guide écoutant, peu habitué à emmener une cinquantaine de personnes, et se demandant si, entre la tête de fil et la queue de cortège, l’écoute silencieuse restera bien un fil conducteur efficace. A priori oui, d’après les ressentis du guide et les retours post parcours. Le public embarqué, déjà il faut le dire, dans sa grande majorité sensibilisé à des propositions d’écoute, est bien entré en immersion dans les espaces soniques proposés, jouant le jeu de l’ouïe proposé comme postulat initial à ce geste de déambulation sensible.
Cette longue colonne silencieuse, traversant la ville à pas très lents, s’arrêtant parfois sans mots dire, sans forcément de raisons apparentes, dans des espaces pourtant peu spectaculaires, pour le passant lambda en tous cas, a signé une trajectoire singulière. Singulière en tous cas à la vue d’autres passants, non avertis, croisant notre route. Une mise en scène pour le peu visible, d’une écoute collective, qui est venue interroger les personnes croisées, et sans doute modifier les ambiances, y comprises sonores. Une façon de jouer avec l’espace public par la simple présence, plus ou moins coordonnée, d’écoutants mutiques, ou tout au moins silencieux.
L’allure plus que modérée de la marche, tempo lento, est elle-même une sorte de jeu de ralentissement, en général apprécié des participants. Prendre le temps de, le temps de faire, le temps de marcher et d’écouter de concert, et pour reprendre l’expression d’un célèbre chanteur, le temps de vivre. Le temps de vivre ne serait-ce qu’un instant où se déploie une sensorialité collective que l’on cherche à exacerber, sans pour autant brusquer les choses, bien au contraire.
En avant donc pour notre PAS blésois, une heure environ de déambulation auriculaire ! Comme je l’ai mentionné en début de ce texte, la rencontre fortuite d’un cheminement un brin sauvage, sur les hauteurs de la ville a orienté le parcours autour de la gare, ce qui, en y réfléchissant bien, n’est pas vraiment surprenant. Desartsonnants, guide en chef pour ce jour, a toujours aimé les gares, et les apprécie sans doute plus que jamais de jour en jour. Espaces acoustiques réverbérés à souhait et variés, entre halls, couloirs, passages, quais, passerelles, commerces… Des ambiances et des sons multiples, sans cesse changeants. Voix, pas, sifflets, grondements, ferraillements, souffles, bips, annonces publiques… Une incroyable gamme sonore, un véritable catalogue de sons tous azimuts, aux couleurs ferroviaires, un corpus auriculaire signé. Une spatialisation à l’échelle du lieu, des réponses géographiquement situées, dignes parfois d’un concert acousmatique. Une polyphonie mécanique, humaine, architecturale, qui offre à l’oreille de belles séquences immersives. Et puis, symboliquement, l’attirance du voyage, des départs et retours, de la découverte de nouvelles terres d’écoute, de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences contextuelles… Il se trouve que le guide écoutant adore les trains ! Regarder un paysage défiler sous nos yeux, les arrières-cours cachées des villes, les chemins discrets, les paysages larges ou enserrés… Rêvasser, somnoler, lire, écrire, discuter, voyager bercé par des rythmes parfois lancinants, qui ont d’ailleurs inspirés des compositeurs à jouer des itérations ferroviaires comme des matériaux sonores dynamiques… Invitation au voyage, y compris dans ce qu’il a de plus sonore.
Mais revenons les pieds sur terre, et les oreilles à l’affût. Gare à l’écoute !
Nous partons de l’École du paysage en direction justement de la gare toute proche. Une halte impromptue nous fait pénétrer dans une vaste cour intérieure d’un foyer de résidence étudiante. Le portail grince et claque de nombreuse fois au passage du groupe qui se rassemble petit à petit, et s’immobilise dans la cour. Un espace a priori protégé acoustiquement du « bruit de la ville ». Et il l’est en partie. En partie seulement, car une de ces incontournables souffleries de ventilation vient envahir l’espace, drone tenace et bien, trop, présent, comme une signature urbaine dont on se passerait volontiers. Psychoacoustique oblige, certains l’entendent, plus ou moins, d’autres non, gommant a l’envi les perturbations acoustiques pour aller poser l’écoute hors nuisance. Effet salutaire, ou pernicieux.
Après ce premier point d’ouïe, nous ressortons, toujours au rythme du portail qui marque la fin d’un plan-séquence auditif. En fait, les PAS sont très souvent constitués en plans séquences, des fenêtres d’écoute spatio temporelles, ambiances cadrées par des mouvements, changements de lieux, sas et passages, ou événements sonores délimitant des moments auriculaires… Nous les mixons et agençons sur le terrain, en fonction de ce qui s’y passe. Sons directs, travaillés dans et par le mouvement, façon Nouvelle Vague (cinématographie).
La deuxième scène sera donc la traversée, point d’ouïe compris, de la grande place-parvis devant la gare. Espace en travaux, très minéral, aménagement fonctionnel oblige, rythmé de voix, pas, et surtout des incontournables valises à roulettes striant l’espace de leurs grognements entêtés. En quelques années, l’apparition de ces objets roulants très identifiés, a marqué le paysage sonore urbain, comme strié de mille roulements chaotiques. L’approche et la traversée des gares et aéroports amplifiant ces présences qui, parfois dans de grands flux d’arrivée, prennent une place limite assourdissante dans des espaces généralement généreusement réverbérants.
Passage intérieur. Une cinquantaine de personnes envahissant le hall de gare, immobiles, toujours muets, tout cela ne passe pas inaperçu. Les usagers passent discrètement au travers du groupe, portant ici et là des regards inquiets ou amusés, le contournent, s’arrêtent de téléphoner, de parler, cerné par une petite foule bien étrange… Toujours une mise en scène de l’écoute, qui se montre, en train d’écouter justement
Retour au parvis, l’espace se ré-ouvre à l’oreille. Les valises sont toujours là.
Un passage en hauteur, surplomb de la gare, les oreilles un brin panoramiquées. Une tour métallique, nous conduit par un escalier en spirale vers une longue passerelle, elle aussi métallique, enjambant l’ensemble des voies ferrées, pour nous conduire sur « l’autre rive ». Durant cette traversée, nous avons droit à toute une série de sonorités propres aux lieux. Passage de trains rapides, vieille locomotives ronronnantes, annonces, klaxons, sifflets, bips de portes qui se ferment… Un cinéma ferroviaire pour l’oreille, digne du meilleur design sonore ambiantal, où tout semble à sa juste place. Et par la force des choses, l’est vraiment. Il ne reste à l’écoutant qu’à capter cette ambiance à la fois caractéristique et singulière, tout en jouant avec les déplacements, les arrêt sur la passerelle lorsqu’un train passe sous nos pieds, devant derrière, droite gauche, selon notre position. A l’extrémmité de la passerelle, les vibrations de nos pas sur le parapet métallique font tinter les haubans, on peu y jouer…
De l’autre côté, nous perdons assez rapidement les ambiances de la gare de l’oreille.
On se dirige vers un assez grand cimetière, histoire de le traverser en silence, en cette veille du week-end de Toussaint, pour décaler notre écoute dans le silences circonstanciés des tombes. Histoires d’ambiances. Les cimetières sont souvent des lieux d’écoute comme des bulles oasis acoustiques assez apaisées, entourés de hauts murs coupe-son. J’ai souvenir de traversées du Père Lachaise à Paris, ou de la Loyasse à Lyon, espaces vastes, monumentaux, où chaque son prend une place singulière. Ici cela ne sera hélas pas le cas, le cimetière étant déjà fermé à l’heure de notre passage. le repéreur avait omis de noter les heures de fermeture lors de son premier passage…
Nous emprunterons dons une sente le longeant, celle que nous aurions dû prendre au retour. Ce sentier cours le long du haut mur du cimetière à notre gauche. Il est tout d’abord encaissé entre deux murs, puis s’ouvre à droite au dessus des voix ferrées, que nous retrouvons donc, avec leurs sons cette fois-ci plus diffus, plus en contrebas, plus lointains. Une rumeur ferroviaire toujours entrecoupées d’émergences; un autre point d’ouïe; une approche plus panoramique, moins immersive, mais néanmoins restant dans un même champ d’une lexicalité auriculaire ferroviaire, comme une variation d’un déjà entendu qu’au final, nous ne quitterons jamais vraiment. Un fil rouge de notre parcours où les sons vont bon train, dirait Desartsonnants.
Nous débouchons sur une sorte de prairie, espace intersticiel entre les bordures de la ville et de sa périphérie, le relief gommant les ambiances de la gare. Un lieu difficile à définir acoustiquement, ni vraiment agréable ni vraiment désagréable, ni centre ville ni banlieue… Espace indéterminé, au regard comme à l’oreille.
A défaut de la boucle initialement envisagée durant le repérage, le retour se fait donc par le même sentier emprunté à l’aller. Ce qui est intéressant, c’est que les sonorités ferroviaires en contrebas restent similaires à notre premier passage, mais transposées de l’oreille gauche à l’oreille droite. Façon inattendue de rééquilibrer une écoute où la stéréo serait temporellement et paradoxalement scindée. Peut-être le souvenir sera t-il sollicité pour recréer après coup une stéréophonie en kit, mais pas sûr du tout, si ce n’est dans l’imagination facétieuse de celui qui écrit ces lignes.
Retour à la passerelle métallique et à une certaine proximité sonore de la gare. L’heure plus tardive, correspondant à une fin de journée, fait que l’ambiance est plus animée qu’à l’aller. Façon de constater, si on en doutait encore, comment un même lieu, à différentes heures, peu sensiblement offrir une écoute singulière, de par la densité des sources sonores et ses scansions rythmiques notamment, et la modification globale de ses ambiances.
Variante, la tour métallique que nous avions rapidement gravie via un escalier à vis, nous la descendrons cette fois-ci par un long plan incliné spiralant jusqu’au parvis. C’est encore un jeu droite gauche que nous offrons à l’écoute, nos oreilles tournant lentement entre le côté intérieur des quais de gare et l’extérieur du parvis. Une stéréo mouvante, au gré des pas, avant le retour à l’école du paysage. Nous poursuivrons cette soirée d’ouverture par un hommage à Raymond Murray Schafer, récemment disparu, et à qui ce parcours d’écoute était également et naturellement dédié.
Ce PAS se terminera par un retour à l’École du paysage où se poursuivra donc la soirée inaugurale. Le programme ne permettra pas le débriefing collectif habituel, néanmoins, quelques promeneurs viendront, à chaud, me faire part de leurs ressentis. De plus, l’ensemble des participants restant durant les trois ou quatre jours des rencontres, j’aurai régulièrement des retours spontanés. Surprise, plaisir de prendre le temps, étonnement de la diversité auditive, plaisir de « faire silence », ruptures et enchainements d’ambiances, esthétique du paysage, expérience décalée, ouverture de l’écoute au quotidien, mise en scène d’espaces sonores et de postures d’écoute, cortège quasi religieux… Des réflexions qui confirment des formes multiples de signatures d’écoutes, pour reprendre un terme dePeter Szendy, où chacun et chacune entends son propre paysage.
Il y aurait sans doute tout un travail à effectuer pour tenter de jauger, d’analyser et de creuser l’aspect émotionnel dans la pratique des PAS. Comment les ressentis personnels déclenchent ou amplifient des formes d’empathies, directement liées à l’écoute d’un territoire. Ou bien au contraire une insensibilité pouvant tendre à une forme de mésentente, si ce n’est de désentente latente, ou avérée ? Nous ne garderons ici que les côtés positifs, ceux qui en tous cas ont été exprimés suite au parcours. Pour le reste il faudrait entreprendre des entretiens plus profonds avec des publics lus larges et des méthodes d’approche ad hoc, ce qui serait sans doute fort instructif.
Concernant les traces de ce parcours, elles sont ici de trois ordres. Les traces auditives mémorielles, celles que je conserve, et que d’autres participants garderont en mémoire. Sans doute pour moi les plus intéressantes, même si fragiles, fugaces, subjectives, incertaines… mais celles qui, avec la prégnance visuelle, participeront le plus à faire de ce moment une expérience sensible pouvant ouvrir de nouvelles portes auriculaires, donner envie de reproduire cette approche expérientielle, ici ou là, maintenant ou plus tard, seul ou en groupe…
Les traces photographiques, qui questionnent les rapports vue/audition. Qu’est ce qui, dans le geste du photographe de fixer, à l’instar de la prise de son, tel moment plutôt que tel autre, motive la prise de vue ? Le paysage singulier par ce qu’il donne à voir, ou par ce qu’il donne à entendre ? L’alliance, la concordance ou la discordance, la complémentarité, l‘antinomie… entre la chose vue et celle entendue ? Un mélange de tout cela ? Qu’est ce que l’image seule, décontextualisée, pourrait nous suggérer d’un possible et hypothétique paysage sonore, selon l’imaginaire et le vécu de chacun, de quelqu’un qui commenterait une photo sans avoir participé au PAS? Ou quelles images surgiraient d’une écoute, elle aussi décontextualisée ? Les rapports images/sons sont très intéressants dans une possible complémentarité qui vient renforcer l’idée d’une écoute polyphonique, où l’expérience, la mémoire, la trace, viennent se frotter pour faire paysage.Partons du postulat que lequel n’existerait pour ainsi dire pas initialement, avant notre, nos fabriques tant collectives qu’individuelles.
Dans ce parcours, nous avons également, et c’est assez rare, un enregistrement de sa totalité par un promeneur écoutant, JuL, chercheur médiaticien au laboratoire CRESSON de Grenoble. C’est assez rare parce que le guide ne peut, sans se couper de l’immersion, de ses sensations, de ses inspirations, emmener et enregistrer toute à la fois un PAS. Il lui faut « être dedans », selon l’expression consacrée, sans se laisser distraire par des gestes techniques que requiert la prise de son. Mais ici, nous avons un preneur de son, avec sa propre écoute, car toute prise de son comme d’images sera motivée, plus ou moins consciemment, par les aléas du moment, les affinités propres, les coups de cœur, ou d’oreille… Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est de disposer de plusieurs traces, comme des calques de lectures superposables, hétérotopiques. Le repérage, en tout cas pour le guide, qui vous l’aurez compris est le rédacteur de ce texte, l’expérience de terrain lors du PAS public, personnelle et collective, les photographies, et enfin une trace sonore d’un autre point d’ouïe, qui forcément, n’étend pas toujours près du guide. Ce dernier suivant ses propres inspirations, donnera à entendre un point d’ouïe autre. Et la réécoute après coup de ce long enregistrement vient corroborer certaines impressions, en élargir d’autres, sous le filtre de couleurs auditives inattendues, voire révéler des sources, ambiances ou événements, estompés par le temps, ou bien, pour différentes raisons, inentendues in situ…
Merci donc à cet écoutant preneur de son, de fournir un matériau riche, permettant de nouvelles lectures, et écritures, de ce parcours dont nous tentons ici de partager les richesses intrinsèques.
Après avoir hésité à remonter la prise se son, à la resserrer pour n’en garder qu’une « substantifique moelle », l’esprit, les moment forts, ou significatifs, c’est en fait l’intégralité du parcours qui est écoutable ci-après ! Un montage, ou plutôt une réinterprétation verront peut-être le jour, plus tard, dans d’autres contextes créatifs…
Pour profiter au mieux de cette prise de son binaurale, à hauteur d’oreilles, et en avoir une écoute optimale, en ressentir les effets immersifs, l’écoute au casque est très fortement recommandée.
Elles étaient bien là, mais qui donc ? Et bien celles que j’entends sonner et hululer depuis chez moi, en me disant que je les ai encore ratées. Mais pas ce matin, j’avais, une fois n’est as coutume, agrafé un pense-bête bien en vue. Donc j’étais là, à la bonne heure et au bon endroit pour les cueillir, les accueillir, micros et oreilles tendues. Les sirènes du toit d’un théâtre voisin, les cloches perchées sur le clocher tout proche, et à leurs pieds, les voix du marché. La sirène, c’est ponctuel et bien marqué dans l’espace temps, une fois par mois, à midi sonnante, les premiers mercredis du mois. De grandes glissades trouant l’espace en alerte. Crescendo, decrescendo. Des images surgissantes de catastrophes et de dangers, pour certains, des réminiscences de guerre, surtout dans ce quartier dont le centre fut presque entièrement rasé lors d’un bombardement, église comprise ! Des sirènes qui viennent judicieusement alimenter un travail en chantier autour… des sirènes, entre mythes et objets tonitruants. Ce n’est pas anodin. Et puis les cloches, qui prennent le relai à midi passé de quelques minutes, prenant soin de ne pas emmêler les signaux, de laisser de l’espace pour chaque son, de préserver une lisibilité en évitant une polyphonie trop confuse. Dans la réalité en tous cas. Dans l’écriture, j’en jouerai, en variation contrapuntique improbable. Car l’écriture n’est pas le terrain, c’est plutôt, dans la cas qui nous concerne, son empaysagement auriculaire. Et puis il y a les voix. Les voix-ci les voix là. Celles, habituelles pour le résident que je suis, du marché du mercredi matin. Des timbres et intonations dont je reconnais de loin les vendeurs à la verve chantante, à la gouaille sympathique. Comme un fond, un tapis, déployé à même le sol pour accueillir les émergences venues du ciel, dirait l’ami Michel Risse, ou en tous cas d’un peu plus haut. Cloches et sirènes perchées en l’occurrence. Chaque source possède sa propre ponctualité. Chaque source possède sa propre territorialité, sa spatialité, même si, acoustique oblige, ces espaces sonores se fondent, s’entremêlent, se jouent du territoire de l’autre, multiphonique. Pour ce qui est de l’apparition temporelle, il s’agit des mercredi, jeudis et dimanches pour les voix du marché, de chaque midi matin et soir pour mesdames les cloches, en tous cas pour les volées d’Angelus, et de chaque premier mercredi du mois à midi même pour les sirènes. Et c’est là, à cette date et heure, notamment aujourd’hui premier mercredi du mois à midi, que la conjonction se fait entre ces événements sonores. C’est là que s’opère un croisement dialogué qui se déploie sur la place; une histoire de quartier, celle que l’on veut bien entendre, ou se raconter. C’est donc là où j’ai attendu, micros en mains, sous un petit vent frisquet, que cloches, voix et sirènes, soient au rendez-vous pour composer une scènette sonore, que je m’empresserai de réécrire à ma façon. Situation qui me donne envie d’être dans d’autres lieux, d’autres premiers mercredis du mois à midi, vers d’autres églises et d’autres sirènes, et peut-être marchés, pour réitérer l’expérience, autrement n’en doutons pas. Points d’ouïe en variations paysagères pour voix cloches et sirènes…
L’immersion dans sa définition première, désigne « quelque chose, quelqu’un qui, plongé dans un liquide, subit un mouvement descendant »1.
Il y a donc une notion de bain, d’être entouré de, qui peut être agréable, mais aussi, dans la descente, une sensation nettement moins positive. Être trop immergé, peut risquer la noyade, dans le sens physique comme symbolique. Une forme de Muzac envahissante par exemple, qui noierait notre discernement, annihilerait la notion de goûter pleinement et volontairement à quelque chose d’audible.
Mais nous laisserons ici l’approche négative, voire dangereuse de l’immersion, pour la penser comme « le fait de plonger ou d’être plongé dans une atmosphère quelconque »2, qui est sa deuxième définition; ici plongé dans un bain sonore et/ou musicale.
Prendre un bain de son, être entouré de sons, sentir les sons nous envelopper, se laisser porter, transporter.
L’immersion est donc ici une posture sensible, produite par un geste artistique, en l’occurence par une œuvre audio proposée aux écoutants, eux-même placés de façon à ressentir l’espace sonore se déployer autour d’eux, dans des mouvements qui les placent au centre de la scène acoustique, et non pas dans une configuration frontale, comme dans beaucoup de concerts.
Ces dispositifs immersifs et de diffusions via notamment le multicanal, ne sont certes pas nouveaux. Dés le début des années 70, l’Acousmonium, tel que l’a nommé François Bayle, ou orchestre de hauts-parleurs, permet aux compositeurs d’écrire et de diffuser dans des espaces acoustiques multi-directionnels. De la musique concrète à la musique électroacoustique, puis acousmatique, l’auditeur est au centre de l’écoute, avec néanmoins toutes les limites de se trouver au plus près du sweet spot, point d’écoute idéal et central, géographiquement parlant.
Les technologies évoluant, le multicanal emprunte différents dispositifs, de la diffusion WSF – Synthèse d’hologrammes sonores de l’IRCAM aux diffusions ambiphoniques, sous des dômes équipés de très nombreux haut-parleurs, en passant par des casques VR, des diffusions spatialisées par des HP mobiles hyper-directifs… Les procédés d’immersions continuent de placer l’auditeur dans un bain sonore parfois assez impressionnant.
Reste à sortir d’une forme d’esbrouffe technologique pour composer des œuvres qui, par leurs qualités intrinsèques, fassent justement oublier le dispositif, pour que ne reste plus que le geste créatif, l’œuvre, qui va embarquer l’écoutant sans mettre le dispositif en avant.
Mais au-delà des dispositifs, petits ou grands, modestes ou impressionnants, l’immersion peut-elle se faire sans machinerie technologique spécifique, sans appareillage de l’oreille, à oreille nue ? Peut-on se sentir entouré de sons, voire de certaines formes de musiques, sans avoir recours à des modes de diffusions électroacoustiques, ni même instrumentales ?
Bien sûr, si je pose ainsi ces questions, c’est que je vais certainement répondre que oui. Question orientée.
Dans ma pratique liée au paysage sonore, le Soundwalking, la balade sonore, et ce que je nomme les PAS – Parcours Audio Sensibles, sont de fait des gestes qui proposent aux « marchécoutants » des situations naturellement immersives.
Se plonger dans les sons des centres villes comme dans ceux de forêts, de montagnes, de bords de mer, sentir les sons bouger autour de nous, nous envelopper, nous dessiner tout un paysage auriculaire lorsque nous fermons les yeux (cinéma pour l’oreille) sont des façon de se trouver dans un bain sonore sans cesse en mouvement, en transformation.
De même, la notion de point d’ouïe, d’arrêt sur son, de poste d’écoute, nous proposent de mettre notre écoute au cœur des ambiances acoustiques, paysagères, que nos marches ponctuées d’arrêts nous font pénétrer de plain-pied, de pleine oreille oserais-je dire.
Cette immersion paysagère est donc esthétique, mais aussi écologique, voire écosophique. Poser une oreille attentive aux ambiances environnantes nous apprend à écouter, à nous entendre, à mieux, à bien nous entendre, peut-être à nous ré-entendre avec nos milieux, vivant et non vivant compris. On pourra y percevoir les aménités qui nous feront apprécier les musiques des lieux, tout comme les désagréments, les frictions, les dysfonctionnements, entre saturation et paupérisation.
Plus l’immersion sera profonde, plus la conscience d’un milieu acoustique superposant et alternant moult ambiances nous réjouira, nous inquiétera, peut-être nous alarmera.
Le geste artistique, y compris celui de l’écoute, n’est pas que fabriquer du beau bien pensant, du divertissement et du rêve. S’il peut aspirer à des formes de sublimation du monde, il peut aussi déranger nos bonnes consciences, montrer ce qui va dans le mur, et pas que dans le mur du son. L’artiste n’est pas exclus, bien au contraire, de prendre une position politique, au sens premier du terme, de s’impliquer dans l’espace public.
L’écoute paysagère immersive, être au cœur des choses, prend ici partie de montrer ce qui fonctionne comme ce qui dysfonctionne (Low-Fi et Hi-Fi de Murray Schafer) et de nous mettre l’oreille devant des dégradations écologiques, sonores comprises, dont l’accélération, si ce n’est l’emballement, doivent urgemment nous alerter.
@Photo Michel Risse, Décor sonore, Symposium FLK, « Paysages inouïs »École Supérieure de la nature et du Paysage de Blois – Octobre 2021
Bonjour, à la demande ce certain.es, concernant les dates arrêtées à ce jour, il y aura des PAS aux dates et dans les lieux ci-dessous (Saison 2022, 1er semestre) :
le 25 janvier à Paris, pour les Assises Nationale de la Qualité de l’Environnement Sonore,
le 04 février, à Bastia (Forum des Arts Sonores)
Février, Sousse, workshop architecture et création sonore
le 19 mars dans le PNR d’Ardèche,
le 20 avril à Pantin, CRR classe d’électroacoustique
le 20 mai à Lyon (en nocturne), invité par Nomade Land
le 24 mai à Grenoble, rencontres autour de la Rhytmologie entre Flux et cadences
le 25 juin à Saint-Vit (Jura), Festival Back To The Trees
le 02 juillet à Milllery (Côte d’or), rencontres acousmatiques
le 07 juillet aux Adrets (Savoie), Festival les Arpenteurs
le 18 juillet (World Listening Day), lieu à fixer…
Plus d’autres dates en cours de négociation, à fixer, voire celles où vous inviterez Desartsonnant à PASrtager des écoutes audio-arpenteuses…
J’écoute, je m’indigne, j’enrage, je suis écœuré, je me sens politiquement impuissant, responsable, écrasé, impliqué…
Mais je me dis que les petites idées, actions partagées, si modestes soient elles, infimes et fragiles instants où l’oreille est tendue alentours, vers l’autre, vers le vivant, au sens large, c’est un levier pour conserver une pointe d’espoir qui nous fasse encore aller, ensemble, de l’avant.
Ces derniers soirs, il fait froid et humide, j’ai donc migré, pour mes stations « bancs d’écoute, et d’autres choses », dans la gare de Lyon Vaise. Je m’y assois,lis, rêvasse, regarde, et bien entendu écoute… Un groupe de jeunes vient me parler. De la « Cité du haut ». Ils emploient sciemment un « dialecte cité » haut en couleurs dont je ne maitrise pas du tous les codes, tant s’en faut; ils m’intérrogent, me provoquent, verbalement. Je les écoute, leurs réponds. Je ne comprends pas toutes leurs colères mais ne les juge pas, les écoute, avec une certaine forme d’empathie non moralistrice. Je ne suis pas médiateur, ni psy… Simplement, je sens qu’ils ne sont pas ou guère entendus, en tous cas hors des espaces cadrés, et que leurs attitudes provocantes les marginalisent un peu plus dans l’espace public. Pas de réponse à cela. Juste un peu sonné.
Puis arrive un couple d’étudiants. Ils sont véritablement atterrés, bouleversés, angoissés, par la crise sanitaire qui n’en finit pas de contraindre, d’altérer, très lourdement leurs études, leurs vies, et sans doute leur avenir. Nous n’avons aucun contact, aucun échange, même pas un regard. Je suis simplement un écouteur anonyme, invisible, qui prend un peu plus conscience à quel point le paysage sonore ambiant nous révèle la belle et terrible fragilité du monde. Monde qui se déploie, pour le meilleur et pour le pire, à qui veut bien l’écouter. C’est à la fois très beau et très pesant.
Les ambiances sonores, parfois appelées paysage sonore, sont en fait très peu considérées dans les projet d’aménagements, urbains ou non. Si des études acoustiques métrologiques sont effectuées, si on prend en compte des normes d’isolation, d’isolement, de réverbération, principalement liées aux risques potentiels de « pollution sonore », quid des aspects qualitatifs, esthétiques, culturels… Et au final, comment dépasser la notion de s’isoler des sons – donc d’une forme de vie sociale – plutôt que de mieux vivre avec. Question problématique pour les émetteurs-récepteurs que nous sommes.
La recherche d’aménités audio-paysagères, de signatures acoustiques inhérentes aux lieux, d’ambiances dépassant le résiduel pour penser le conceptuel, de modèles d’aménagements où l’oreille, à l’instar de la vue, trouve aussi son compte… un projet qui devrait être aujourd’hui pensé de façon plus indiscipinaire.
Écoute t-on encore, dans nos villes, hors crise sanitaire, le son de nos pas sur des sols aux matériaux différents, celui du vent et de la pluie, des oiseaux et des fontaines, des voix ambiantes ? Échappe t-on à la chappe de la grande rumeur ultra motorisée ? Peut-on se parler sans élever la voix, ni trop tendre l’oreille ? S’habitue t-on, envers et contre tout, plus ou moins inconsciemment, à des formes de pollutions pernicieuses qui mettent à mal notre santé, notre équilibre ?
Peut-on prôner une belle, sinon meilleure scène auriculaire, préserver, (a)ménager des oasis acoustiques, des points d’ouïe cherchant une belle écoute, dans des cités parfois saturées de signaux qui mettent nos sens à mal ?
Un artiste sonore, musicien, designer… peut-il amener une « audio-vision » élargissant les approches quantitatives, normatives, vers des gestes sensibles, qualitatifs, esthétiques ?
Les profondes et inquiétantes transformations de nos éc(h)osystèmes ne devraient-ils pas nous pousser à penser de nouvelles formes d’aménagements où le sonore, entre saturation et paupérisation, serait également un critère de mieux vivre (ensemble) ?
Autant de question qui devraient, doivent, nous questionner sur nos rapports sensibles, esthétiques, nos inter-sociabilités, avec les espaces, tant publics que privés.
Il me faut choisir un itinéraire, parcours marchécoutable, d’ici à là, en linéaire, en boucle, en zig-zag, au coup de cœur, ou d’oreilles.
Il me faut le choisir aux vues, si je puis dire, de ses sonorités, ambiances in situ, repérées, potentielles, supposées, rêvées…
Il me faut le choisir avec ses variantes possibles, permettant de m’échapper, d’improviser le cas échéant, d’adapter, de se/me surprendre…
Il me faut le choisir pour ses capacités à créer et à tisser des inter-connections ambiantales, même et surtout improbables. Faire un PAS de côté, l’oreille sur les chemins de travers.
Il me faut le choisir comme espace(s) à jouer, entre le voir, l’entendre, le marcher, le faire, l’imaginer…
Il me faut le choisir pour l’écrire a posteriori, le vivre, le faire vivre, par l’expérience kinesthésique, mentale, pour construire de la mémoire collective (ou non), favoriser des échanges, des retours, des questionnements, que le parcours puisse générer.
Les choix, la décision, l’écriture, le traçage/repérage, d’un parcours auriculaire inspirant, embarquant, sont des phases cruciales, comme peuvent l’être de studieuses répétitions en vue d’un représentation théâtrale. Elles invitent à une prédisposition pour un moment de plaisir en devenir.
Suite à une longue et harassante, mais passionnante et questionnante journée de préparation/repérage. PAS – Parcours Audio Sensible « Les choses étant ce qu’est le son » à Blois, pour les rencontres internationales « Inouïs paysages ». École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois.
@photo, France Le Gall « Danser l’Espace – Sous les pommiers ba «
De retour depuis un peu plus d’une semaine à Lyon.
Je me suis arraché, non sans quelques regrets je l’avoue, au cocon fécond de la roulotte sous les pommiers, havre de paix propice à l’écoute, à l’écriture, à la cogitation de parcours et gestes d’écoute.
Arraché à cette belle région auvergnate où les villages, des vallées, des sites en pics basaltiques perchés, offrent mille points d’ouïe, dont certains explorés, joués, transposés, seul ou à plusieurs, durant la résidence.
Aujourd’hui, des sons comme des images courent dans ma mémoire, surtout lorsque je travaille à organiser les traces de mon séjour, en chantier d’écriture, en sons, images et textes.
Il me faut encore laisser décanter, murir tout cela.
Quelques saillances se font jour, se précisent, se prêtent à de nouvelles interrogations.
Installer l’écoute, et par la même des points d’ouïe, titre/objectif de ma résidence, reste bien entendu un fil rouge, élément clé. Cette petite phrase qui pose la question du comment faire, en fonction du lieu, du contexte, des espaces visités, des personnes croisées, de la reconstruction a posteriori…
Selon les jours, les espaces, les choses tentées lors de PAS – Parcours Audio Sensibles en groupe, et en solo, les expériences furent riches et variées, des réflexions se creusant sur le statut des objets écoutés, la façon de les mettre en écoute, corporellement, de les tracer, de les historier…
Un regret néanmoins, que nous partageons avec mon hôte, la difficulté de rencontrer, d’échanger, de faire vraiment avec les gens du village, de recueillir leurs ressentis, écoutes, petites et grandes histoires des lieux…
La trace, ou plutôt les traces sont un maillon clé, celles qui restent en mémoire, qui servent et serviront à réécrire, à partager des histoires, autant pour ceux/celles qui les ont vécues que vers ceux/celles qui les vivront par procuration, par le récit tissé après coup; les traces sont au centre de cette résidence, comme souvent.
Les PAS-Parcours Audio Sensibles restent ainsi une expérience esthétique active, qui sous-tendent l’écoute, de laquelle émergent un ou des paysages sonores.
Dans l’inspiration de Perec, l’expérience de l’Infra-ordinaire, ici de l’Infra-auriculaire, agit comme un ensemble de stimuli nous connectant à des espaces inouïs car trop souvent in-entendus ou non-entendus dans leur triviale quotidienneté.
Inouïs aussi parce que jamais l’expérience d’écoute vécue à un instant T ne se renouvellera à l’identique.
L’expérience corporelle, physique, audio-immersive, celle du corps interfacé aux milieux traversés, lesquels nous traversent réciproquement sensoriellement, sont vécues sans autre formes de dispositifs-prothèses augmentants. Le corps se place ici comme unique récepteur/émetteur, interagissant, prenant conscience de ses proprioceptions, rayonnant, jouant, performant les espaces ambiants…
Expérience de la trace, mémorielle, physique, kinesthésique…
Mais aussi de la trace objet, au sens large,(re)construite de sons, d’images, de mots, et autres hybridations, transmédialités, transmises via des écritures plurielles, post-terrain, comme des récits à partager.
Expérience hybridante donc, entre arts sonores, environnementaux, relationnels, contextuels…
Expérience contextuelle à revivre chaque fois différemment dans de nouvelles résidences, ici où là, partout où le monde sonne à nos oreilles. Et en terme de problématiques comme de géographie, le champ est large !
L’improbabilité même d’un paysage tient sans doute du fait que ce dernier est essentiellement né d’une série de représentations, de constructions, avec tous les aléas intrinsèques, du ressenti émotif, subjectivé, aux éléments contextuels plus ou moins maitrisés.
Suite à une série de déambulations auriculaires, à des enregistrements et montages audionumériques de terrain, et pour conclure une résidence d’écritures audio-paysagères, différentes créations, s’éloignant des modèles du field recording « classique », plutôt figuratif, vont nous amener vers des représentations sinon plus abstraites, en tous cas beaucoup moins descriptives.
Ce sont là ce que je nome des paysages improbables. Improbables car revisités, triturés, voire creusant des écarts significatifs entre l’entendu in situ, le ressenti, et le pur imaginaire, et souvant en naviguant entre les frontières du vécu et du rêvé, tricotant des espaces fictionnels, frictionnels, nourris néanmoins des ambiances puisées sur le terrain.
Prendre le paysage à contre-pied, si ce n’est à contre-oreille, c’est par exemple partir d’un photo prise lors d’un point d’ouïe, sur le Pic de Brionnet, promontoire basaltique, de son église et de sa cloche, pour sonifier cette représentation visuelle. De l’image transcrite, transcodée, transmédialisée vers un son dérivé, par l’utilisation d’un logiciel de sonification, ce qui donnera un résultat relevant plus de l’abstraction que de la représentation, où le sens même, celui initial, disparaitra tout ou partie.
Voici par exemple l’image de départ
Et le résultat audible de sa sonification
Et cette autre interprétation puisant dans différentes sources, mélangeant lieux et moments, des rushs audio inutilisés dans les précédents montages de spots parlés, autour de l’idée de paysages entre fluides et flux inspirés du contexte local – rivière, sources, fontaines, cloches, mais aussi véhicules traversant le village, impression rythmologique de « temps qui passe »… Et puis encore, approche intermédiaire, un mixe de paysage sonifié via l’image d’un banc d’écoute et sa représentation audionumérique de choses entendues, mariage improbable de sons et d’images interlacées. Ces quelques exemples esthéthiques de tranformations de paysages plus ou moins dé-naturés, montrent à quel point l’expérience vécue peut être prétexte, inspiratrice et vectrice de re-créations, récits fictionnels oscillant entre traces plus ou moins identifiables et abstractions nous emmenant vers d’autres mondes connexes, inter-reliés, transmédialisés, ré-installés. De l’écoute in situ au paysage en découlant, il y a parfois tout un monde, tissé de relations de cause à effet, connections bien réelles, même si elles sont parfois quasi indécelables.
Un spot chiens, écoute acousmatique, car nous ne voyons pas les bêtes, parquées derrière une haute clôture métallique, mais qui par contre se font entendre bruyamment à notre passage.
Éléments rythmiques intéressants de la promenade, timbres rauques et puissants, tensions, nuisance sonore pour un écoutant; les chiens sont en effet très présents dans le village; quel statut donner à ces sons et à quel moment, dans quelles dispositions d’écoute, dans quelle visée ?
Une fontaine, voire deux fontaines, très différentes, avec chacune leur propre signature acoustique.
Des jeux d’auscultation où l’oreille se mouille, où l’écoute se rafraîchit, où le ludique est de la partie, stéthoscopes et longue-ouïes en immersion, dans le vrai sens du terme.
Un sympathique théâtre de verdure, plus ou moins laissé à l’abandon. Des bancs de pierre en arrondi, une scène, un mur fond de scène, un espace entre sol gravillonné et entourage boisé.
Des sons festifs qui nous parviennent du haut du village.
D’autres cadres er prétextes à des jeux d’écoutes, ludiques, vocalisés, marchés, inspirés par le lieu…
Une église désacralisée, vide de tout mobilier, ce qui renforce la réverbération type romane du bâtiment.
Ici, je vais réinstaller des improvisations sonores enregistrées la semaine précédente, d’un autre parcours, d’une autre église, sur la colline de Ronzières, surplombant celle où nous nous trouvons.
Des sons en décalages spatio-temporels, en frottements, d’une église à l’autre, transportés, audio-délocalisés, d’un moment et d’un lieu à un autre, en résonance, en discordance peut-être.
Jeux autour de perceptions décalées. Installer et faire bouger les sons, s’installer entre, chercher les postures, habiter fugacement l’espace…
Passage par une autre fontaine, avant que de profiter d’un dernier soleil couchant, et d’échanger sur nos expériences réciproques.
D’autres trames/traces sonores à mettre en récit, à historier.
Du proche au lointain, je me rapproche, il s’éloigne, son d’ici ou d’ailleurs.
Près tout près, au plus près, ce sont les battements de mon coeur, le froissement des feuilles, le craquement des brindilles.
Le bourdon de la rivière, entêtant, envahissant….effet coktail!
Petits sons émergent des sous bois, assourdissants bruits de moteurs agressent mon espace sonore. Filtrer pour mieux écouter, choisir le son, l’accompagner et le laisser repartir.
Bulle sonore construit l’espace, délimite, tisse une toile.
Questions-réponses impromptues, insolites, sons s’emmêlent et organisent le vide.
Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « »Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la la DRAC Auvergne Rhône-Alpes
qu’elles elles sont intangibles, fugaces, volatiles, changeantes, parfois totalement imprévisibles.
Elles s’accrochent aux reliefs, aux aspérités, aux anfractuosités,
comme les sons se jouent des typologies, des matériaux, des obstacles.
Elles caressent les paysages qu’elles contribuent à faire vivre, les noient, les submergent, les façonnent.
Elles accompagnent les jours et les nuits, drapées de plus ou moins de consistance, de présence, d’opacité ou de transparence.
Tout comme les sons, voire même avec eux, elles font sensations,
elles ambiantisent,
elles font paysages.
Tout ceci de concert, en résonance, en friction, en dissonance, en harmonie.
Digital Camera
Du gravier magmatique au bloc basaltique, de la goutte de rosée à la rivière dévalante, les effleurements, les caresses audio-luminescentes colorent le monde, l’irisent, jusqu’à le rendre insaisissable.
Complices compères, l’entendu et le vu, le son et la lumière, aujourd’hui, dans les collines auvergnates que j’habite, que j’ausculte, que je scrute, pour un temps,
sont des formes perceptives qui me font corps antenne,
Au neuvième jours de ma résidence audio-paysagère auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe », la matière sonore, visuelle, textuelle, commence à s’accumuler, à prendre corps, et surtout à progressivement faire sens.
Dans une démarche qui n’a en soi rien de très originale, j’applique ma petite méthodologie de terrain, en immersion, baigné, entouré de paysages aux vertes collines, de forêts multicolores, de rivières chantantes, de lumières automnales délicates, sans oublier les sonorités plutôt apaisées.
Et de quelques tracteurs grondants et ferraillants.
Se promener, arpenter, repérer
Écouter, donner à entendre, partager les points d’ouïe, les chemins d’écoute
Capter, cueillir, enregistrer des ambiances sonores de tous crins, écrire, photographier
Classer, trier, organiser, revisiter, construire les traces
En espérant avoir saisi un peu de l’essence paysagère, du monde sensible in situ, et de les restituer à ma façon, pour ainsi de les partager à qui veut bien entendre.
L’écoute, tout comme le paysage sonore en résultant, étant pour le moins immatériels, fluctuants, fluants, les traces comme outils d’écritures plurielles tenteront de lui donner vie, incarnation sensible, consistance, a posteriori de l’action, et espérons-le dans un certain prolongement temporel.
Traces sonores
Le vécu, l’écoute in situ
Le souvenir, la rémanence
Le capté, l’enregistré
Le montage audionumérique, l’écriture, la création, la composition
La restitution, les installations, les supports de diffusion
Traces écrites
Carnets de notes, relevés, approches descriptives, phénoménologiques…
Approches tracées, mêlant, croisant, faisant interagir différentes disciplines ou « spécialités » (arts, sciences dures et sociales, aménagement du territoire, santé, pédagogie, design, politique)
Dans le meilleur des cas, on imagine un travail réunissant, sans doute encore un brin utopique, musiciens, artistes sonores, géographes, sociologues, architectes, urbanistes, designers, plasticiens, vidéastes, danseurs, écrivains, poètes (et autres écrivants), photographes, graphistes, acousticiens, paysagistes, politiques, soignants, habitants et promeneurs du quotidien, et bien d’autres champs d’actions/performances in situ.
Faisons en sorte que tous ces acteurs puissent co-écrire, via des expériences en chantier, un paysage sonore pluriel, multiple, comme il l’est du reste intrinsèquement.
Dans cette visée, installer l’écoute est une chose pour moi importante, mais à condition de le faire dans un contexte donné, en privilégiant une approche relationnelle des plus ouvertes que possible.
Le croisement, l’hybridation, la créolisation de gestes, de savoir-faire, d’expériences, d’envies, est au cœur, toutes traces aidant, de l’écriture, et qui plus est de l’aménagement d’un territoire, avec toutes ses potentialités, ses faiblesses, et ses fragilités inérentes.
C’est dans cette optique que la construction avec et par les traces, par le ré-agencement d’objets sensibles, témoins, recueillis pour construire un processus narratif et constructif, prendra tout son sens.
Cependant, notons que sur le terrain, la tâche n’est pas si simple. Les barrières restent nombreuses, les freins multiples.
Entre contraintes financières, soucis de rentabilité à tout prix, manque de temps alloués, tendance à l’entre-soi culturel, incompréhension, plus ou moins volontaire, de la démarche, isolement et méfiance du monde rural, comme du milieu urbain, les obstacles, dont certains pas des moindres, contraignent les projets souvent dans des résultats en deçà de nos attentes et espérances.
Fort heureusement, certaines structures, institutions, lieux alternatifs, osent courir le risque de faire un pas de côté.
En espérant que cela fasse trace(s), et qui plus est trace de nouveaux chemins d’écoute, et d’actions en tous genres.
Régulièrement assis sur des bancs, mobiliers que j’utilise comme des points d’ouïe, des affuts d’écoute, des lieux d’échange, je parcours donc Tourzel Ronzières, mon lieu de résidence artistique, pour repérer ces derniers.
Le village, quelques deux cent âmes, est pourvu d’une dizaine de bancs dans le seul centre de Tourzel, ce qui est tout à fait satisfaisant, même si ces jours-ci, la saison estivale terminée et les températures fraîchissant, je suis un des rares à m’y poser.
Peu importe, c’est d’ici que je prends le pouls des lieux, que je m’immerge dans ses ambiances, que je capte les mille petits riens qui font vivre à mes oreilles le site investi, surgir ses paysages sonores du moment.
J’ai ainsi testé plusieurs assises, avant que d’en choisir une, au centre du village, en contrebas d’une fontaine, avec une belle vue sur les contreforts d’Issoire, un saule pleureur qui bruissonne joliment sous le vent, tout à côté. C’est ici que je me pose donc régulièrement, avec livres, carnets de notes et micros.
Considérant l’œuvre de Georges Pérec, si le concept d’Infra-ordinaire inspire mes écoutes et leurs narrations, sa tentative d’épuisement (d’un lieu parisien), descriptif localisé entêté dans l’utopique espoir de cerner un espace, d’en faire le tour, de se l’approprier pleinement, donne également du grain à moudre au projet d’installer l’écoute.
Lorsque dans le titre de cet article, je cite l’Infra-ordinaire, concept pérequien s’il en fut, je trouve cette approche, aux tendances minimalistes, on ne peut plus appropriée au lieu et à mes situations d’écoute, dans une ambiance où les sons sont assez ténus, nonobstant le passage parfois tonitruants de tracteurs et autres machines agricoles.
Et puisque nous en sommes à citer les acteurs et gestes inspirants, je ne saurais ignorer les « Presque rien » de Luc Ferrari, où le paysage sonore composé semble tout autant se construire que se dérober, (re)fluant sans vers d’autres espaces imaginaires.
Revenons à Tourzel et à mon banc d’écoute.
Quelques rares passants, pas et voix.
Le son de la fontaine voisine en continuum.
Des chiens qui se répondent d’un bout à l’autre du viillage.
Des véhicules qui rompent brusquement une forme de torpeur pré-hivernale.
Des oiseaux, par séquences, pigeons et passereaux.
Quelques sons discrets, des portes s’ouvrent et se referment, presque en catimini…
Des feuilles mortes raclant le sol.
Des sons de la vie de tous les jours, non ostentatoires, non spectaculaires, loin de là, mais Oh combien présents, et signifiants dirais-je même.
Un infra ordinaire auriculaire, qui ne s’impose pas, qu’il faut aller chercher, vers lequel il convient de tendre l’oreille pour en saisir les nuances.
Et des nuances, il y en a ! Surtout lorsque nous installons l’écoute, persévérante, prête à pénétrer par l’exercice de la répétition, de la lenteur, de la réitération du geste d’écoute minimaliste, dans une surprenante trivialité, bien plus excitante qu’il n’y parait de prime abord.
Ces mille et un petits sons, habituels mais sans cesse ré-agencés, repositionnés, secrètement redéployés, offrent une scène acoustique au final très dépaysante, voire exotique, dans sa façon de ne pas se dévoiler, se révéler sans efforts.
L’Infra-ordinaire demande de creuser avec une certaine abnégation, les ambiances sonores, y compris les plus ténues, pour entrer dans le flux, l’immersif, le cœur-même du village, jusqu’à y reconnaitre avant qu’ils ne se montrent, des 4X4 bringuebalants, des tracteurs pétaradants, des voix…
Il y a un monde entre les bancs de la place lyonnaise, au bas de chez moi, avec ses bars, commerces, scènes parfois festives, urbaines pour le meilleur et pour le pire, et ce village de montagne isolé, hors des grands axes, que certains trouveraient sans doute bien trop « calme ».
Installer patiemment l’écoute, même si les choses écoutées semblent totalement dénuées d’’intérêt dans leurs apparentes petitesses, est une posture qui permet au paysage d’émerger de ses propres sons, et à l’écoutant de se fondre avec délectation dans les lieux pour en jouir pleinement.
Une forme d’Arte Poverasonore, et au final un profond dépaysement, qui délaisse la grandiloquence (dé)monstrative, ostentatoire, pour ausculter, au sens premier du terme, les petites pépites auditives du quotidien.
Celles et ceux qui ont l’habitude de suivre mes audio pérégrinations savent qu’il y a, dans mes écoutes et leurs mises en récits, en sons, des récurrences, des itérations, des repères quasi incontournables, marqueurs acoustiques indéniables des lieux arpentés.
L’eau fait incontestablement partie de ces éléments rémanents qui contribuent, par ses innombrables manières de fluer, de rythmer l’espace, à composer un paysage sonore, qu’il soit urbain, villageois, ou naturel.
De rivières en torrents, de cascades en fontaines, nous nous rafraîchissons l’oreille, tout en signant des ambiances spécifiques.
Une palette sonore aux mille nuances, intensités, fluences, des coulées ou trame bleues, des points d’ouïe jalonnant l’espace…
A Tourzel Ronzières, qu’auscultent mes oreilles à ce jour, trois ou quatre fontaines/lavoirs, anciennes, de tailles imposantes, avec plusieurs bassins qui se déversent les uns dans les autres. Deux sont en activité.
Et en contrebas, le ruisseau du Gripet, qui chuinte joliment d’une eau courante serpentant entre une abondante végétation.
Tout cela rythme le village, irrigué de nombreuses sources descendant des collines pentues, ce qui ne va pas d’ailleurs sans poser problème au bâti local dont les murs sont assez malmenés par cette présence aquatique, ajouté à cela la rigueur du climat.
Pour l’oreille, de belles ambiances que l’écoutant que je suis ne peut manquer de vous narrer, et qui plus est de vous faire entendre, et voir, à ma façon.
Premier PAS – Parcours Audio Sensible public de ma résidence auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe »
Il s’agit de mettre en pratique l’intitulé de la résidence, en arpentant, oreille aux aguets, corps réceptacle sonore, et aussi bien entendu producteur, acteur, joueur, improvisateur selon les moments.
Un groupe d’écoutants de diverses pratiques, éducation, graphisme, danse, architecture, pour la plupart déjà rompus à l’exercice de la marche sensible.
Et des sentiers, prairies, une église, des sites préalablement repérés, et déjà marchés/dansés par plusieurs.
Faire corps avec les sons, expérimenter et installer l’écoute, en faire récit, trois visées principales de cet atelier.
Premières mises en oreilles, calibrage tympanesque, quelques gestes, des directions d’écoute, des visées auriculaires, et nous partons grand chemin petits sentier vers de soniques aventures.
Partir en silence, installer le silence de même que l’écoute, et nous le garderons sur une grande partie du trajet. une communauté éphémère, silencieuse, en tous cas par la parole communiquante.
Traversée d’une rivière. Sur le pont, nous essayons quelques postures d’écoute pré-testées, pour faire entendre le fil de l’eau ondoyante sous toutes ses coutures, ou presque.
Un sentier en sous-bois, vent, oiseaux, rivière en contre-bas, qui s’éloigne, passe de gauche à droite, et se rapproche selon les détours caminés; quelques motos et quads, pas vraiment les bienvenus, heureusement, ils ne monteront pas vers nous et se feront très rares au fil de la journée.
Nous investissons un beau petit pré ouvert, chacun y trouve sa place, son point d’ouïe, un positionnement de corps écoutants qui maille l’espace instinctivement mais joliment.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
Des pierres qui sonnent, percutées, nous sommes dans la régions des phonolites qui, comme le nom l’indique, sont bien sonnantes, toutes désignés à musicaliser le chemin de percussions minérales.
Un autre espace de jeu s’ouvre à nous, au dessus de la rivière qui gronde par une percée, vers un contrebas aquatique.
Sthétoscopes ou stéthophones, longue-ouïe, on gratte, effleure, tapote, vise, improvisons chacun son concert intime, au creux de l’oreille. Les gestes exploratoires sont beaux à regarder, comme une sorte de ballet lent et silencieux, dans l’esprit de la structure qui m’accueille « Danser l’espace ».
Espace danse au gré des sons, parfois dense, parfois moins, parfois peu, très aéré, fugace.
Des troués de vent, d’autres d’oiseaux, des guetteurs rapaces criards tournoient plus haut, des scènes au détour du sentier qu’il nous suffit de capter pour nourrir ce qui fait du paysage écouté, une véritable installation sonore à ciel ouvert.
Un triangle de verdure, espace idéal pour ajouter quelques sons parfaitement exogènes, urbains, venant titiller, décaler la scène acoustique. Un transport d’une ville vers cette forêt, surprise de ce facétieux chamboulement, cependant éphémère et discret, à l’échelle des oreilles écoutantes.
Une cupule sanctuaire ornée d’ex voto, dont nous respecterons le calme.
Passage de cyclistes et saluts.
Des voix chuchotantes, ou parlantes, les nôtres, qui se jouent des lieux en distillant onomatopées et bribes de phrases, mots parsemés, éclatés, impromptus.
Passage pentu, rocheux, le son de la respiration se fait plus présent.
Débouché sur un oppidum surmontant le village. Point haut. La vue s’ouvre. Une assez grande clairière herbeuse, un tilleul ancestral, majestueux, un petit cimetière dans l’enclos d’une église fortifiée.
Le cadre inspirant de nouvelles expériences à portée d’oreilles, et de corps.
Pique-nique, le lieu s’y prête à merveille, entre sustentations et échanges nourris de l’expérience de chacun.
Reprise exploratoire, le cimetière et des lectures épithaphiques improvisées.
L’église romane et sa remarquable acoustique, idéale pour des jeux vocaux et percussifs. nous n ‘y manquerons pas.
On tuile, entrechoque, joue des grincements, souffles, cris et autres productions qui s’entremêlent dans un liant architectural très réverbéré.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
On écoute aussi.
Aller-retours oreille, voix, gestes, dans un écrin sonore qui donne envie de jouer encore et en corps avec les sons les plus impromptus. Et de ce côté là, les promeneurs.euses du jour ne manquent ni de ressources, ni d’imagination.
Extérieur.
Jeux de marche, gravier, escaliers, recoins…
Devant nous, un belvédère, point de vue et d’ouïe panoramique par excellence, la vue et l’écoute à 180°.
Une ferme en contrebas, percussions métalliques de réparations agricoles.
Un tracteur au loin, dont on perçoit distinctement des cliquetis de sa herse, beaucoup plus que le moteur, qui le rendent bel objet musical.
Postures en surplomb, la vue parfois en désaccord avec les sons, parfois en concordance.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
Là encore, une invitation à s’attarder, se laisser happer par le soleil, généreux, les ambiances lascives.
Le descente libère la parole.
Échanges sur le statut des sons selon les écoutes, ce qui fait groupe dans cette marche, ou ailleurs, les sons, le silence interne, la marche comme écriture œuvrée, les synesthésies partagées…
De retour sur une terrasse toujours ensoleillée, quelques butins, délicats végétaux, exposés, et à nouveaux auscultés, dont en vedette, une bogue bien piquante de châtaigne…
La petite magie des sthétophones qui courent sur les surfaces les plus variés, des cheveux, et aussi à la recherches des cœur battants, littéralement.
Une dernière séance d’écoute, en intérieur.
Qu’est ce qui, dans les traces enregistrées, cueillies, fait paysage sonore, du plus figuratif, carte postale, au plus abstrait, où la matière sonore s’est diluée dans d’improbables manipulations, triturages, ou l’impression prime sur l’image ?
Et ce que l’on a recueilli du jour, comment réécrire un paysage post marché, post écouté, post vécu ?
Des dessins, graphismes, fiches, cartes mentales commentées, ou plutôt racontées.
Des textes nés in situ et lus, parmi d’autres récits.
Des questions sur le faire ou le défaire paysagers, entre expériences esthétiques, militances écologiques, et sociabilités en écoute, celles du prêter attention, du prendre soin, du mieux être.
Quittant momentanément les alentours de Tourzel-Ronzières, mon lieu de résidence et d’écoute habituel, j’emmène oreilles et micros sur un marché voisin, celui d’Issoire.
Issoire, belle petite ville tout près de Clermont-Ferrand, entourée de collines et monts volcaniques, avec une architecture utilisant les coloris des roches locales, notamment des sombres et beaux basaltes.
Ce matin, jour de marché.
Et quel marché ! Un des plus beaux de France a priori, et ce n’est pas ma longue déambulation qui me fera pas dire le contraire.
Un marché qui se tient sur un grand périmètre du centre ville.
Un marché riche en couleurs, en odeurs, et en sons.
Les marchés sont souvent pour moi de l’occasion de capter de belles scènes auriculaires, présentant une grande variété de sources, d’ambiances, d’acoustiques, au détour d’une ruelle ou d’une place.
Et ici, les ruelles sont nombreuses, assez resserrées, ponctuées de places de divers tailles.
La voix y tient naturellement le rôle principal, dans un marché espace de rencontres, de sociabilités, de retrouvailles, de discussions en tous genres, de timbres, parfois d’une pointe d’accent du cru.
Pour mettre mon oreille en mouvement, rien de telle que l’acoustique de superbe abbatiale Saint-Austremoine, à la polychromie extérieure ocre, noire et blanche, typique de la région et aux riches ornements intérieurs.
Des réverbérations magiques, magnifiant des murmures, des sons qui se promènent de travées en travées, à la fois discrets et amplifiés par la caisse de résonance du bâtiment minéral et d’imposantes proportions.
Sitôt sorti, ouverture sur un tout autre monde où tout bruissonne.
Tout bruissonne mais, dans un espace piétonnier dédié, où la voiture est absente, rien ne vient donc agresser l’oreille côté mécanique envahissante.
Une multiplicité de sons à une échelle parfaitement mesurée, où la vox humaine reste le mètre étalon et se développe dans une ambiance immersive très vivace, dynamique, tonique même, mais sans jamais être saturée. Pas d’hégémonie sonore, chaque son étant et restant à sa place en laissant de l’espace aux autres. Un paysage hi-fi aurait dit feu Murray Schafer.
Rires
sons d’étal
de verres choqués
de sacs frétillants
de cuissons mijotées
de harangues saluantes
de cadis tressautants
sonneries de cloches
haut-parleur diffusant ponctuellement la voix d’un animateur intervieweur mobile
fontaines
enfants courants
chiens se saluant
talons claquants
musiques ambiantes…
Puis un son remarquable. Une forge à soufflet sur un charriot; un jeune forgeron tout en muscles martelant, jouant de ses outils métalliques, actionnant la forge, sons d’inspire expire, de souffles un poil grinçants, de feux attisés… Tout une ambiance que l’on ne s’attend pas à trouver ici. Une scène impromptue, joliment surprenante.
Mes micros sont là; aux aguets, ils s’approchent pour capturer du mieux que possible cette ambiance, sous l’œil amusé et complice du forgeron.
Marcher et marchés, chacun différent, bien que quasiment universel, du son plein les oreilles, et quelques bonnes victuailles locales, fromages et charcuterie dans le sac.