Rumeurs du jour, point d’ouïe de ma fenêtre

Un lundi matin, ciel assez clair, lumineux, entre trouées de bleu et floconnements de gris.

Températures plutôt douces pour un début février.

La fenêtre du salon est ouverte sur la rue, vers 10 heures du matin, pause thé.

Je m’y tiens, accoudé à la barrière, écoutant en guetteur de sons pour un instant.

Peu de circulation, vacances et Covid associés font entendre une ville plutôt calme.

Quelques voitures néanmoins, sporadiquement, traversent la scène d’écoute, mais sans vraiment la brusquer, avec un certain ménagement.

Et toujours, à toutes saisons, les pigeons roucouleurs, répétant inlassablement, de façon quasi identique, jusqu’à un certain agacement, la même phrase scandées en trois itérations obstinées.

Des passants, deux exactement, devisant, sortent de la boulangerie voisine. On saisit jusqu’au bruissement du papier enveloppant leur pain. Preuve s’il en fut d’une ambiance auriculaire plutôt apaisée.

J’aime laisser entrer des nappes sonores dans la maison, surtout lorsqu’elles se montrent raisonnables, ou raisonnées, comme aujourd’hui.

J’adore les capter les jours de marché, juste au bas de mes fenêtres, sur un long déroulé de trottoir.

Aujourd’hui, pas de marché, juste une ambiance qui ne fait pas de remous, qui ne s’agite pas outre mesure, qui laisse à l’oreille le temps de se poser, et à l’espace de se déployer.

C’est un point d’ouïe parmi d’autres, dans le quotidien du quartier.

Une courte sonnerie de cloches, hissées sur au sommet de leur tour de guet ajourée, à quelques encablures de ma fenêtre, vient secouer la torpeur ambiante. Ce marqueur spatio-temporel qui signe le paysage sonore alentours, je l’apprécie toujours autant, surtout dans ses grandes envolées de midi. Mélodies joyeuses sur quatre notes d’airain.

C’est maintenant un hélicoptère qui vient trouer l’espace sonore, vrombissant de toutes ses pâles, et traversant sans ménagement, est-ouest, le quartier.

Lorsqu’il a quitté ma zone auditive, son émergence laisse place à un retour au calme, comme une échelle-étalon de décibels posée ponctuellement, pour mesurer les dynamiques, les rapports signal/bruit, les fluctuations vibratoires qui se plient et déplient à mes oreilles curieuses.

Sans être jamais silence, ou bien alors silence relatif, le calme reprend le dessus.

Un chariot à commissions fait sonner les aspérités du trottoir. Il les révèle, les sonifie en quelque sorte. Il crée des rythmes en jouant sur les fissures, les micros anfractuosités, les rugosités de l’asphalte. C’est une sorte de lecture d’une carte sonore déroulée à nos pieds, que les roulettes déchiffrent à la volée, en fonction de leurs trajectoires impulsées par le piéton chauffeur. Telle l’aiguille d’un tourne-disque lisant les sillons d’un vinyle pour leurs donner de la voix.

Le passant tireur de chariot à commissions est une sorte de DJ urbain qui s’ignore. J’aime bien penser à cette image décalée, d’une forme d’orchestre éphémère, avec ses solistes et ses chœurs, jouant des partitions à même le trottoir, improvisant des musiques de ville même un brin bruitalistes.

Cela me rappelle une forme de parcours sonore-performance, avec des étudiants d’une école d’architecture et d’urbanisme de Mons (Be). Durant celui-ci, nous avions fait sonner la ville via les antiques pavés de son centre historique, en tirant des valises à roulettes entourant un public de marcheurs. Nous nous arrêtions brusquement, immobiles, pour jouer d’un effet de coupure assez radical, qui faisait alors se redéployer les sons momentanément masqués par les grondements de nos caisses de résonance mobiles improvisées. Nous écrivions et interprétions ainsi , in situ, un rythme de ville au gré des sols et des pas, arrêts compris.

Mais revenons à ma fenêtre.

Les grands absents du moment sont les bars, les deux débits de boissons tout près de chez moi, muets depuis quelque temps déjà, empêchés par les mesures sanitaires en vigueur. Un seul son vous manque et tout est dépeuplé. Et ce n’est pas ici une simple figure de style, mais un constat personnel de carences. La socialité urbaine, écoutable dans des ambiances conviviales, est fortement bridée par la fermeture de lieux de retrouvailles. Ce qui laisse un creux, sinon un vide, parfaitement décelable à l’oreille. En attendant un hypothétique retour à la normal.

Le calme n’est pas toujours havre de paix, il peut également marquer l’engourdissement, le musellement social, la privation de libertés dont on avait inconsciemment perdu la valeur intrinsèque, et que l’écoute nous rappelle.

Des enfants jouent sur la place voisine. Ballons, trottinettes, cris et autres et rires. Cette place, au cœur du quartier, couvre-feu aidant, n’a jamais été si peuplée d’enfants et de leurs parents, retrouvant par la force des choses une fonction sociale vitale. Si certains sons montrent une paupérisation sociétale, d’autres tendent à rééquilibrer l’ambiance et la vie au quotidien. Et là encore, l’oreille est bonne informatrice pour qui sait prendre le temps de l’écoute, et capter le pouls auriculaire d’un espace, y compris de nos lieux de vie qui nous racontent tant de choses.

La pause que je me suis accordée tirant à sa fin, mais était-ce vraiment une pause ou l’installation d’une énième écoute, d’un des innombrables points d’ouïe venant alimenter mon travail, je referme la fenêtre, mettant fin à cette écoute réflexive, qui a alimenté ce texte à la volée. Comme des cloches tintinnabulantes.

Ce soir-ci, point d’ouïe

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Je suis sorti
Je suis sorti ce soir
Je suis sorti comme tous les soirs
Je suis sorti marcher
Je suis sorti écouter
Je suis sorti dans mon heure autorisée
Autorisée à marcher
Autorisé à écouter
Autorisé à être dehors, dérogation en poche
Autorisée à écouter la ville
Autorisée à écouter mon quartier, dans son kilomètre circonscrit
J’ai choisi, comme souvent, de le faire à mon heure préférée
Celle entre chiens et loups
Partir à nuit tombante
Rentrer à nuit tombée
Et dans cette toute petite fenêtre
Fenêtre d’une soixantaine de minutes
Il s’est passé bien des choses
Nous sommes en confinement
On devrait le sentir
On devrait le ressentir
On devrait l’entendre
On devrait le percevoir
Aux travers des sons étouffés
Aux travers leur disparition
Aux travers leur absence
Et pourtant
À l’écoute, je ne l’entends guère
À l’écoute, je ne l’entends pas
À l’écoute, je ne l’entends même pas du tout
À l’écoute, rien ou presque n’a changé
À l’écoute, rien à voir, rien à entendre
Avec le précédent état d’enfermement
D’enfermement logiquement similaire
Celui de ce printemps passé
Avec sa sidération plombante
Avec ses silences associés
Ce soir-ci
Ce soir-ci, les voitures, sont presqu’aussi prégnantes que de normal
Ce soir-ci,comme si de rien n’était, la rue bourdonne
Ce soir-ci, des flux piétonniers, aussi normaux
Ce soir-ci, des enfants qui jouent sur les places et les trottoirs, aussi normaux…
Ce soir-ci, c’est presque rassurant, en apparence.
Ce soir-ci, du presque normal, dans l’air du temps.
Ce soir-ci, des sons triviaux, sans, comme précédemment, les oiseaux en héros.
Ce soir-ci, pas ou peu de décroissance sonique
Ce soir-ci, un entre-deux auriculaire
Ce soir-ci, une tiède ambiance entre les deux oreilles.
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent bien nous dire
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous prédire
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous révéler
Et pour demain, qu’est-ce que les sons peuvent nous faire comprendre
ou non

Point d’ouïe, l’oiseau au cœur de l’écoute

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« Les oiseaux sont responsables de trois au moins des grandes malédictions qui pèsent sur l’homme. Ils lui ont donné le désir de grimper aux arbres, celui de voler, et celui de chanter…
Alors, quand on pense à l’Everest, aux fusées et au prolongement naturel de ses suggestions habilement introduites dans la cervelle de quelques primitifs par le bec pointu d’un archéopteryx gloussant, on s’en prend un peu aux oiseaux, et l’on voudrait qu’il soit presque muets, qu’ils ne quittent pas le sol et qu’ils nichent sous les pierres. (Chose désespérante, la nature à pensé à tout. Il en est qu’il remplissent ses conditions. Ce sont des oiseaux d’une espèce un peu particulière : les crapauds.) »
Boris Vian « En avant la zizique » Pauvert 1958

Après ce préambule teinté de l’humour pataphysique de Boris Vian, je focalise aujourd’hui sur la gente ornithologique, ses chants, et surtout sa place incontournable dans un paysage sonore qui, au sortir du déconfinement, s’est retrouvé, notamment en ville, à nouveau chahuté, voir chaotique. Retour à la normale et quelque part à l’anormal.

Notons qu’à la même époque que celle du texte de Vian, Charles Trenet chantait « Les oiseaux me réveillent par leurs chants et leurs cris. Ils font bien plus de bruit que les autos, les oiseaux. » Il n’est pas sûr que l’on puisse en dire autant aujourd’hui…

Vinciane Despret à  consacré récemment à ces chanteurs volatiles, entendez ce mot dans le sens qu’il vous plaira, comme un nom ou un adjectif, ou polysémiquement comme les deux, un ouvrage de plus intéressants « Habiter en oiseaux »(1)(2), approches philosophiques, éthologiques, au croisement de pensées vivifiantes.

Ces animaux volants sont pourvus, à la différence de nombreux vertébrés, de syrinx siffleurs de douces mélodies. Quoi qu’entre un rossignol virtuose, un merle moqueur et chanteur, un corbeau coasseur et une pie jacassante, tous n’ont pas, à mon avis, le même degré de raffinement dans leurs chants et cris respectifs. Esthétiquement parlant. Mais n’étant ni ornithologue, ni audionaturaliste, ni grand connaisseur de chants d’oiseaux (respect posthume Mr Messiaen), ni philosophe éthologue, je me contenterai de parler des oiseaux comme des acteurs, que j’espère incontournables, dans la construction de paysages sonores.

A priori chantres des forêts, icône sonore égayant nos déambulations sylvestres, cible très prisé des preneurs de sons animaliers, le genre ailée n’en est pas moins bien présent en ville, souvent beaucoup plus que l’on ne croit.
Bien sûr, certaines espèces sont particulièrement visibles, et/ou audibles, selon les époques et les lieux.

Pour ce qui est des oiseaux en forêt, sa présence est essentiellement acoustique, voire acousmatique (écoute dont on ne voit pas la source) car, dans les forêts les plus densément boisées, on ne voit en fait que très peu d’oiseaux chanteurs. Par contre on peut en entendre beaucoup, si cependant la forêt n’a pas trop été abimée. Ici commence le règne des ornithologues et des identifications des espèces par l’oreille. Redoutable et ludique exercice. Ces chants, marqueurs sonores de biocosmes, de microcosmes forestiers, sont aussi des alertes, entre autre de la disparition progressive d’espèces, pour différentes raisons (monoculture, déforestation, incendies, changements climatiques…). Chaque chant qui ne se fait plus entendre, chaque syrinx qui se tait, a hélas de fortes chances de signaler la disparition, ou au mieux la migration d’une espèce, ou de plusieurs espèces.

Par exemple, les nuées d’étourneaux grappilleurs automnaux, qui viennent se reposer dans les grands platanes urbains, après une journée de piratage viticole, qui « enfientent »les voitures d’une belle couleur lie de vin, et même les passants téméraires s’aventurant sous les arbres, tout cela dans un incroyable nuage acoustique qui parfois se déplace dans l’espace avec une vélocité remarquable.

Citons aussi les combats de pies et de corbeaux qui se poursuivent d’arbre en arbre avec des cris guerriers, affaire de territoires, querelles qui n’appartient pas seulement à l’homme… Bon ce ne sont pas là les exemples les plus flatteurs en terme d’espaces sonores, quoique…. ni en terme sanitaire, avec le risque de se faire crotter le chapeau, au meilleur des cas si vous en portez.

Et que dire des parfois exaspérants roucoulements monotones des envahissants pigeons et tourterelles…

Le craquètement des cigognes qui jouent, sans chant ni cri de syrinx, des claquettes avec leurs becs, est assez surprenant pour qui l’entend pour la première fois, en Alsace ou ailleurs.

Certains soirs orageux, les martinets, réputés pour rester des jours en vol, voire y dormir, plongent très bas chasser les insectes en vol, dans de grandes flèches sonores assez stridentes, mais qui dessinent des espaces et des mouvements auriculaires des plus spectaculaires.

Le merle noir, migrateur, chanteur virtuose de ville, adore chanter haut et fort, au fait d’une toiture ou juché sur une cheminée. Un vrai phare auditif qui surveille la ville tout en sifflets, moqueurs, dit-on.

Dans certains sites architecturaux très minéraux, ce sont des chouettes et autres hiboux qui élisent domicile au creux des pierres et murailles, hululant à qui mieux mieux dés la nuit tombée. Je me souviens entre autre de beaux concerts nocturnes lors de résidences dans de superbes lieux tels l’Abbaye de Cluny et la Saline Royale d’Arc-et-Senans, toutes deux en Région Bourgogne Franche Comté.

Des éperviers habitent les tours des cathédrales et chassent en pleine ville, redoutables rapaces silencieux en hiver, et poussant de brefs « kiou kiou kiou » à l’époque de la nidification.

Et on pourrait encore longuement parler de ces oiseaux concertants, parfois déconcertants dans leurs rapports aux villes, à leur prédateurs, et aux hommes mais là, je sortirais de mon domaine de compétence.

Profitant du confinement des hommes lors de la crise du Covid, et surtout de celui de leurs polluantes automobiles, l’oiseau urbain s’est fait entendre à qui mieux mieux. Non pas qu’il est été plus nombreux, ni même qu’il ait piaillé plus fort, mais tout simplement parce qu’il n’avait plus la concurrence déloyale des sources sonores motorisées. L’émergence, ou plutôt la ré-émergence de ces sonorités avicoles en ont surpris, voire ravi plus d’un.e, redécouvrant une face cachée de leur environnement sonore quotidien et faisant de l’oiseau une nouvelle star chantante de la ville apaisée. Nombre d’articles, de commentaires, d’interviews l’ont démontré et en attestent au plus fort du confinement.
Pourtant, tout écouteur attentif, praticien de la ville comme une entité sonique, entendait, avant l’installation du méchant virus, chanter moult oiseaux urbains, ou de passage, dans les périodes de calme ou au cœur de lieux plus protégés, voire même au cœur des cités, sans forcément tendre l’oreille. d’autant plus que le spectre acoustique des oiseaux se situe dans un champ (chant) beaucoup plus élevé plus aigu dirait-on, que celui des transports. Il constitue donc constitue ce que l’on appelle justement une émergence sonore, se détachant nettement de la rumeur, du bruit de fond ambiant.

En fait, si on l’entend bien, c’est à dire en écoutant bien, le chant des oiseaux donne aux lieu une spatialisation qui en définit des contours, des champs, des mouvements toniques.
Prenons une place arborée ou un parc urbain, focalisons l’écoute sur les volatiles chantants, écoutons les dialogues, réponses, leurs déplacements sonores, froissements d’ailes compris. On a très souvent, surtout dans les matinées et les fins de journées printanières et estivales, un véritable pointillisme sonore, très précisément situable dans l’espace, qui vient d’ailleurs rompre avec les nappes épaisses et brouillonnes des circulations automobiles. Il peut s’agir pour nous de repères auriculaires donnant géographiquement l’échelle du lieu, et aussi un forme d’échelle sonore dans les fréquences comme dans les intensités.
C’est sans doute là un effet de filtrage acoustique qui peut nous permettre d’échapper à des formes sonores chaotiques fatigantes, en se accrochant à des éléments plus apaisants, moins agressifs, en principe, comme on peut le faire via des voix d’enfants dans un parc ou une cour d’école.
D’ailleurs, en parlant filtre ou psychoacoustique, pour employer un gros mot, nos protections acoustiques gomment sans doute la présence de voitures, comme celle d’oiseaux, dans une écoute urbaine globale peu consciente, ou peu aiguisée. Si par un réglage de type syntonisation (accord de fréquences en radiophonie), nous nous rebranchons sur la canal oiseau, alors nous constaterons qu’ils sont bien toujours là, et bien toujours perceptibles, voire clairement audibles.

Néanmoins, le bruit constant de la ville semble perturber le sommeil des moineaux, qui de plus, entendent moins, ou n’entendent plus les appels des oisillons qui ont faim, mettant en danger une espèce cohabitant depuis longtemps, de façon familière et sympathique avec les citadins.

Un des jeux de l’écoute paysagère consiste parfois à filtrer notre écoute en la canalisant, en tendant l’oreille vers des sources sonores choisies, animaux, enfants, fontaines, cloches, bruits de pas, vent, et en constatant que nous pouvons mettre en avant, ou quasiment ignorer des éléments auriculaires de notre environnement. Un sympathique jeu de filtrage et de mixage pour aiguiser l’oreille et en affuter ses capacités de discrimination (positive) des sons.

Notons également que des artistes ornithologues, ou passionnés d’oiseaux, trouvent mille richesses à noter, enregistrer, retranscrire sous forme musicale, de Clément Janequin à Olivier Messiaen, mais aussi aujourd’hui Bernard Fort et sa « Grive solitaire » ou encore Sainkho Namtchylak et ses impressionnants Night Birds.

Sans oublier l’immense travail de l’ornithologue Jean Rocher, un des pères de l’audionaturalisme qui a ouvert bien des oreilles à l’incroyable diversité des chants d’oiseaux dans le monde.

Les oiseaux, marqueurs acoustiques très présents dans nos environnement urbains, y compris dans les « mauvais jours », inspirateurs de compositeurs, sont une constituante importante du paysage sonore, et s’ils disparaissent de notre champ d‘écoute, chacun sait, ou devrait savoir, qu’il se passe alors des choses inquiétantes, voire plus, au niveau de nos milieux de vie.

 

1) https://www.actes-sud.fr/catalogue/nature-et-environnement/habiter-en-oiseau
2) https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/profession-philosophe-4974-vinciane-despret-philosophe-des-oiseaux

 

Écouter : Le chardonneret – France Culture –

Réouvrir des chemins d’écoute

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ActuMalatraySchmidBig

@visuel: Franz – texte GillesMalatray – Résidence d’écriture à Luxor Factory « Écoute voir le Locle » avec Jeanne Schmid – – Octobre 2018 – Le Locle (Suisse)

Le resserrement brutal de mes espaces d’écoute, durant les mois de confinement sanitaire, me fait d’autant plus apprécier aujourd’hui la réouverture de mes terrains d’aventure auriculaire favoris.

Durant une période drastiquement liberticide, certains média, pour moi la radio, ont maintenu l’accès à des paysages sonores, au sens large du terme, dépassant et élargissant les fenêtres de mon appartement, ou le kilomètre alentours, sans toutefois compenser un rétrécissement spatio-temporel pour le moins contraignant. Rétrécissement qui réduisit comme peau de chagrin nombre d’expériences et d’explorations sensibles.

Dans ma pratique au quotidien, dans le cœur-même de mon travail, ces dernières explorations m’étaient en fait devenus si familières que, bien que persuadé de leur bien-fondé, je n’en mesurais plus vraiment l’étendue de leurs richesses intrinsèques.

La levée de certaines mesures, notamment celles limitant les déplacements à un court périmètre, m’ont fait retrouver une sensation de liberté jusqu’alors muselée, entre autre celle de marcher loin dans la ville, de sentir l’air et le soleil caresser ma peau, d’être encore dehors entre chiens et loups, d’écouter les sons vibrer autour de mes oreilles, ceux ces cris d’enfants revenus dans les écoles et des conversations en terrasses de bars réouverts.

Certes, d’aucuns rétorqueront, et sans doute n’auront-ils pas tout à fait tord, qu’ils regrettent les « silences » de la ville et les oiseaux chanteurs stars de la scène sonore urbaine apaisée car dégraissée de son trop-plein automobile.

Néanmoins, réexpérimenter, après une période de sevrage sensoriel à l’air libre, les plaisirs d’arpenter à nouveau des espaces retrouvés, de s’immerger sans trop de contraintes dans des ambiances sonores, il est vrai parfois bien bougeonnes, me procurent, promeneur écoutant invétéré que je suis, une véritable ivresse, au cœur du bouillon (ou brouillon) de ville.

Ville qui aurait retrouvé tout à la fois ses good vibrations comme ses bad vibrations, mais néanmoins en serait redevenue vivante à mes oreilles avides.

Réouvrir des chemins d’écoute*, c’est reprendre, même en partie, même progressivement, et avec moult incertitudes concernant l’avenir proche, et celui plus lointain, des déambulations auditives; c’est remettre mes oreilles en chantier auriculaire, à l’affût de mille traces sonores ré-offertes, comme de simples et pourtant beaux et généreux cadeaux de la vie quotidienne.

* Appelés aussi, dans le langage Desartsonnants PAS – Parcours Audio Sensibles

Points d’ouïe, nouveaux écrits

 

Dernières mises en ligne

Une compilation d’écrits « Chronique d’un promeneur écoutant confiné » autour de la crise sanitaire que nous traversons et de ses ambiances sonores

https://www.academia.edu/43306986/Chronique_dun_promeneur_%C3%A9coutant_confin%C3%A9

 

Un texte « L’écoute à la carte » autour des cartographies sonores

https://www.academia.edu/43307361/L%C3%A9coute_%C3%A0_la_carte

La marche urbaine, l’écoute, et les calculs salutaires

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PAS – parcours Audio Sensible – Saillans Drôme – Festival « Et pendant ce temps les avions –  avril 2017

Mon activité de marcheur écoutant, bien que dernièrement drastiquement réduite lors du confinement réducteur de distance, m’a poussé à observer mes co-marcheurs urbains, croisées de chaussées en trottoirs.

Lors de cette crise sanitaire, loin de la meilleure façon de marcher en mettant un pied devant l’autre et en recommençant, nos sourdes anxiétés virales ont très sensiblement transformé nos gestes d’homo-déambulatori.

Tout d’abord, durant la phase de confinement stricte, qui nous a cueilli de façon brutale et assez radicale, l’espace comme la durée, ainsi que les motivations à marcher, y compris pour écouter la ville, se sont drastiquement réduits. Des espaces interdits, confisqués à l’usage du piéton.

Plus question d’aller flâner sur les berges d’un fleuve (fermées) ou de faire du lèche-vitrines de magasins en magasins (fermés). Difficile également de profiter, de jouir d’une décroissance sonore contextuelle. Il fallait agir fonctionnellement et rapidement.

Un kilomètre, une heure, avec une auto-dérogation de sortie en poche pour éviter la verbalisation.

Tout cela à changé radicalement nos habitudes, en tous cas pour ceux qui, comme moi, prenons la cité, et ses abords, comme des espaces d’expérimentations sensibles, où la marche, et pour moi la marche d’écoute, est une forme de jeu exploratoire modulable à l’infini. Et qui plus est, restriction des expérimentations majoritairement collectives, dont la pratique est fortement remise en question par les barrières sanitaires.

On est alors obligé de composer avec ces nouvelles règles, et dés lors de calculer bien plus qu’avant. Il nous faut calibrer notre espaces entre un intérieur très enclos et un extérieur ouvert, mais néanmoins Oh combien rétréci.

Nos calculs porteront sur les distances parcourus, nos périmètres d’arpentages tolérés, attentifs à rester, approximativement, dans les règles, dans les espaces-temps autorisés, surveillés, quadrillés, encadrés… une sorte de nouvelle prison à ciel ouvert. Espace déambulatoire resserré, qui nous pousse parfois à refaire invariablement les mêmes trajets, sécurisants car respectant la proximité imposée, quitte à les user progressivement, sensoriellement compris.

Durant le confinement, et même encore aujourd’hui, alors que celui-ci est sensé être levé, ou assoupli, depuis plus d’une semaine, l’espace public marchable est encore calculé, anticipé, et quelque part rationalisé.

Quand sera t-il opportun de changer de trottoir, de descendre la la chaussée, de se glisser le long d’un mur, pour éviter autant que faire se peut la proximité potentiellement sanitairement dangereuse ? L’ennemi est partout, chez le passant croisé et soigneusement évité.

Comment feinter, sans trop toutefois le montrer, pour ne pas croiser l’autre, danger possible viralement parlant ?

Quels espaces risquant d’être les plus occupés, devraient-on éviter ?

Quelle sera l’heure la plus propice pour faire ses courses, et dans quel commerce se sentira t-on en sécurité, en rencontrant le moins de monde que possible ?

Autant de calculs stratégiques pour éviter, esquiver, ne pas se retrouver nez-à-nez avec l’autre, qui d’ailleurs en fera tout autant.

Des questions, des calculs, des contraintes, qui impacterons non seulement notre façon de marcher, d’écouter, de communiquer, mais notre vie sociale dans sa globalité.

Les stratégies d’esquive et de dérobade, le jeu des masques si je puis dire, loin de favoriser le relationnel, la proximité intime, celle que je recherchais et tâchais d’installer précédemment, de la façon la plus spontanée que possible, dans mes PAS – Parcours Audio Sensibles, se jouent aujourd’hui hélas dans l’évitement et la prise de distance. Une altérité et des sociabilités mises à mal.

Jusqu’à quand ces fameuses barrières sanitaires et sociales nous feront-elles souffrir d’un sentiment d’isolement qui nous réduit à des sortes de particules marchantes et écoutantes individuelles, plus ou moins distanciées et isolées les unes des autres ?`

Ces appréhensions, peurs, du risque encouru au contact d’autrui, au fait de marche et d’écouter ensemble, et parfois-même de se toucher pour mieux s’entendre dureront-elles encore longtemps, créant ainsi progressivement des vides, aussi bien culturels que sociaux ?

Combien nous faudra t-il encore calculer des stratégies de la distance spatiale, sociale, des temporalités, des itinéraires, des contraintes en tous genres, pour retrouver des espaces de sociabilités plus apaisés, plus ouverts ? Et je ne parlerai pas ici, pour ne pas noircir le tableau plus que de raison, des risques climatiques qui fondent sur nous à grande vitesse.

Les réponses ne sont pas des plus évidentes. En attendant, les gestes de marche, d’écoute, de constructions collectives de paysages sonores, tentent de se chercher des failles, des interstices, quitte peut-être à jouer avec les limites, tout en respectant les espaces de libertés de chacun, pour garder un cap préservant de belles écoutes, bienveillantes et constructives.

Lyon le 18 mai 2020

Entre presque silence et bruitalisation urbaine

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Solitaire sifflant @Blandine Rivière

 

Après la stupeur de l’effondrement, de la ville fantômisée, des espaces démesurément vierges d’activités, passé l’installation d’un calme plus inquiétant que serein, la ville s’ébroue à nouveau.

Elle s’ébruite progressivement.

Pas besoin de la regarder, juste lui tendre une oreille de sa fenêtre ouverte.

Le silence, à défaut d’être rompu, perd du terrain, en même temps que son calme.

Les ouatures cotonneuses se déchirent.

Les voitures rouleuses se déconfinent sans vergogne, redonnant du moteur et du claque qui sonne à tour de roues.

Les gazouillis s’estompent car eux sont aussi masqués, et ce n’est qu’un début.

Et comme l’espace public, ainsi que l’autre, notre co-habitant, sont potentiellement de dangereux ennemis semant la pandémie.

Et comme le transport en commun est aujourd’hui trop en commun, terreau de germes viraux, brouillon de culture insanitaire, espace bardé de contraintes…

L’habitacle carrossé fait effet de refuge inviolable, invirussable.

La sécurité distanciée d’un chez-soi sur pneus.

Et la voiture de reprendre la route, peut-être plus que jamais, ou pire que jamais, ou les deux on ne sait jamais.

A tombeau roulant, bruitalisant la cité, et même urbi et orbi.

Mais le piéton aussi repeuple la cité.

D’abord ombre fugitive esquivant le voisin trop pressant.

Heureusement, les postillons ne roulent plus, le crachat de la poste faisant froid !

Ainsi le passant, masqué, défie croit-il, la reconnaissance faciale, pour un instant, pour un instant seulement.

Piéton redonnant de la voix dans la voie.

D’ailleurs à propos du masque,  c’est à l’origine objet de théâtre, antique.

Il se nomme personna, mon nom est personne, et mon masque le personnage que je joue…

Du verbe latin per-sonare, qui sonne par, à travers, et par extension qui parle à travers, et non pas à tord et à travers. Quoique…

Car le masque d’alors ne cache pas la parole, bien au contraire, artifice acoustique, il l’amplifie, la fait porter, publique.

Pas sûr que cela soit vraiment le cas aujourd’hui.

Un théâtre urbain d’ombres solitaires distanciées n’aide pas l’échange cordial.

C’est un terrain miné, qui musèle brutalement des velléités de révolte, jugées sanitairement bien trop bruyantes !

L’ether nu ment !

Si le silence se déchire par voix et voitures, la société s’est  sensiblement désociabilisée, sans doute via la politique entretenue de la peur généralisée, bâillon plus redoutable que bien des masques, même de fer.

 

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Ombres urbaines @Blandine Rivière

 

Photos Blandine Rivière – Texte Gilles Malatray

Écrit et ouï  de mes fenêtres 06 mai 2020 – https://soundatmyndow.tumblr.com/

Les écrits urbains, ce que la voix ne peut aujourd’hui faire entendre

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Sur fond de crise sanitaire

entre autres crises

la révolte s’étouffe

ou se fait étouffer

taclée d’espaces empêchés

la parole

surtout celle dissidente

se confine

se tait

se fait taire

des rassemblements proscrits

interdits

sanctionnés

réprimés

des voix muselées

parfois éclatées en fenêtres

confinées en silence

confinées au silence

alors

le texte

l’écriteau

la banderole

donnent de la voix

s’affichent publiquement

sur murs support

fenêtres support

mobiliers urbains support

portes support

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ainsi la grogne couve toujours

s’écrit

se placarde

ce que l’on met sous cloche d’un côté

réapparait d’un autre en mots collés

le fait n’est pas nouveau

mais en ces temps de crises

crises multiples et sclérosantes

nourries de silences imposés

de censures généralisées

l’écrit prend du poids

prend un autre poids

en guerilla de mots dits

et parfois

rassérénante ou non

s’installe la poésie.

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@ Photos Blandine Rivièretexte Gilles Malatray

Fenêtres d’écoute/Listening windows : https://soundatmyndow.tumblr.com/

https://soundatmyndow.tumblr.com/archive

Points d’ouïe, le rituel de vingt heures à ma fenêtre

2020-04-1520casserole20et20plumeauc2a9b20riviere@photo – Blandine Rivière – https://blandineriviere.tumblr.com/

Une composition tout à fait personnelle, vidéo sonore, à partir d’enregistrements et photos de ma fenêtre, et de celle d’une voisine d’en face.
Lyon 9e, place de Paris
Contributeur et contributrice :
Gilles Malatray, sons et photos – https://desartsonnantsbis.com/
Blandine Rivière, photos – https://blandineriviere.tumblr.com/

 

 

Fenêtres d’écoute/Listening windows – https://soundatmyndow.tumblr.com/

Point d’ouïe – point de vue, de nos fenêtres, vu et entendu

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@photo – Nicolas Frémiot – http://nicolasfremiot.fr/

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Une vidéo sonore issue d’un projet collectif, contributif, à distance. Chacun de sa fenêtre échange des choses vues, entendues, en période de confinement sanitaire.

Photos de Nicolas Frémiot (Paris) – http://nicolasfremiot.fr

Prise de son de Laurent Jarrige (Paris) – https://laurentjarrige.wordpress.com/

Création sonore de Gilles Malatray (Lyon) – https://desartsonnantsbis.com/

 

Projet Fenêtres d’écoute/Listening windows

https://soundatmyndow.tumblr.com/archive

 

 

 

 

Point d’ouïe à distance

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Quand un virulent virus

met nos vies à distance

met nos écoutes à distance

de rues en fenêtres

et de fenêtres en rues

l’oreille en pavillon sanitaire

l’oreille en pavillon solitaire

celle de la quarantaine

qui entend bien les distanciations

les barrières auriculaires

se parler mais de  loin

s’écouter mais de loin

sans intime proximité

la voix ne sonne plus au creux de l’oreille

le chuchotement devient un geste trop proche

peut-être trop complice

comme un symbole d’infraction sociale

qui mettrait nos paroles hors de portée

dans une une résistance non tracée

d’un Big Brother qui vous écoute.

 

https://soundatmyndow.tumblr.com/

 

 

Partition de PAS – Parcours Audio Sensible, partition n°9 « variations covid-19 »

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Lieu :  A vos fenêtres, balcons, terrasses
Temporalité :  A votre choix
Participant (s): Solitaire
Milieu : Urbain ou rural
Spécificité : Une écoute bien cadrée et confinée

Actions immobile :
– Choisissez une fenêtre, un bacon, une terrasse, un coin de jardin
– En regardant au dehors, écoutez, imaginez que vous marchécouter
– Suivez des yeux des promeneurs, mettez vous à la place de leurs oreilles
– Réitérez cette expérience à différentes heures, autant de fois que bon vous semble
– Gardez l’expérience dans un coin de votre mémoire.

Variante 1, mobile
Effectuez un PAS – Parcours Audio sensible en mode solitaire, dans la limite d’une heure et du kilomètre réglementaire autour de chez vous, muni votre autorisation dérogatoire de sortie. Si les forces de l’ordre vous interpellent, prétextez la marche comme activité physique (en rapport avec la case cochée) si vous parlez de PAS – Parcours Audio Sensibles, on ne vous comprendra pas et vous vous exposerez à un amende. La marchécoute devient ici clandestine, et acte de résistance !

 

Entre temps, vous pouvez aussi écoutez vers d’autres fenêtres ouvertes, voire contribuer au projet « Fenêtres d’écoute/Listening windows ».

https://soundatmyndow.tumblr.com/

https://soundatmyndow.tumblr.com/archive

Points d’ouïe, fenêtres d’écoute, de l’extime à l’intime, une résistance

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Cela va faire maintenant presque cinq semaines que, dans mon confinement d’écoutant, j’ai lancé au gré des réseaux l’appel à contributions « Fenêtres d’écoute – Listening windows.
Et il est toujours actif, alimenté, commenté, au jour le jour.
Des sons bien sûr, mais aussi des photos, des textes, des vidéos, des points de vue et points d’ouïe.
Un riche collectage, qui part de la fenêtre de ma voisine d’en face, photographe et joueuse de louche et d’écumoire, mais aussi des quatre coins de la France métropolitaine, de Corse, Allemagne, Danemark, Suisse, Belgique, Tunisie, États-Unis, Québec, Italie…
Des diffusions et relais en Russie et ailleurs.
Des partenariats belges, européens…. (voir en pied d’article)
Bref, des sons qui se promènent, s’échangent, s’écoutent ici et là.
Des contributions uniques, ponctuelles et pour certaines journalières, en mode feuilleton et série.
Un récit qui se déroule, rebondit, s’auto-alimente, croise des géographies auriculaires et visuelles, communes et singulières.
Des rituels, tels les applaudissements de 20h en France, qui nous font mettre des visages des voix sur nos voisins d’en face.
Des envies de collaborations avec des artistes sonores, ou multimédia, ou autres, des idées de dispositifs, d’installations, des expérimentations…

Au-delà du projet en lui-même, ce sont des liens entretenus, ou repris, avec des personnes que j’ai croisées, avec lesquelles j’ai travaillé, échangé, sympathisé, voire avec qui une amitié s’est forgée au fil du temps.
Ce sont également de nouvelles rencontres, de nouveaux échanges, de média comme d’idées, confortant un réseau qui, même à distance, s’agrandit par les sons écoutés de nos fenêtres ouvertes, ceux qui s’en échappent, vers l’espace public, comme ceux qui entrent dans nos sphères privées.
Des échanges, autour du son, mais également concernant des situations compliquées, parfois des craintes, des révoltes, des rêves, des impatiences, des colères, des amertumes, des désarrois, de l’humour ou de la tristesse…
Derrière ces échanges soniques, il y a une bonne dose d’humain.
Plus que je ne l’aurais pensé en lançant ce projet.
Et cela fait du bien dans ces périodes de solitudes confinées, de vies ralenties, d’empêchements à répétition.
Au travers ces échanges, il y a des ressentis, des émotions, qui sont véhiculés en filigrane dans les paysages sonores captés, dans les commentaires, dans les images et autres à-cotés.
Certains de ces extensions, très personnelles, resteront dans la sphère intime du privé des donneurs-receveurs, car dans des temps où nos libertés sont mises à mal, nos vies sous haute et insidieuse surveillance, tout n’est pas forcément à verser dans la sphère publique. Il nous faut garder entre nous des parts de sensible, d’émotionnel, qu’il serait sans doute indécent de partager publiquement, et qui donnent d’ailleurs aux échanges une profondeur accrue par des spontanéités avant tout humaines.

Jamais je n’ai autant ressenti le geste d’écouter comme un besoin d’altérité, mais aussi comme une sorte de filtre résistant à des discours présageant des lendemains pour le moins liberticides..

Vous êtes évidemment les bienvenus, ou re-bienvenus pour écouter, commenter, contribuer…

Partenariats avec Transcultures et les Pépinières européennes de création

Blog « Fenêtres d’écoute – Lisening windows »

Points d’ouïe percutés de vingt heures

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Dégâts collatéraux

quand une louche

une simple louche

une modeste louche

se fait instrument de percussions

battant sur casseroles

heurtoir sur écumoires

dans l’orchestre de vingt heures

à fenêtres ouvertes

elle se poque au fil des soirs

en perd de ses rondeurs

se bossèle bruyamment

s’aplatit nonchalamment

dans ses martèlements véloces

ses envolées trépidantes

volonté d’une main vigoureuse 

à percuter rituellement

les vingts heures bien sonnantes.

@photos Blandine Rivière @texte Gilles Malatray

Fenêtres d’écoute – Listening windows

Point d’ouïe, comme un pesant silence

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Ici 

ma rue

déserte

désertée

abandonnée 

ou presque

quartier fantôme

ville fantôme

trottoirs fantômes

parfois secoués

en quelques minutes vespérales

de liesses passagères

ou d’un camion vrombissant

vomissant ses vivres

et chaque sons grinçants

ferraillant le trottoir

ronronnements de chambre froide

claquements de porte

prennent des proportions décuplées

si bien que même dans la durée

des gestes ralentis

des mouvements confisqués

l’oreille s’étonne encore

de ce quasi silence 

pesant

que nargue l’insolent soleil

et que les cloches perchées

animent sans scrupules

toniques scansions

bouffées d’oxygène auriculaires

ce printemps manque d’air.

 

@photo​ Blandine Rivière @texte Gilles Malatray

 

Fenêtres d’écoute – Listening windows – https://soundatmyndow.tumblr.com/

Des 20 heures à nos fenêtres

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@photo Magali Babin

Chaque jour, nouveaux rituels de 20 heures, à ma fenêtre, ailleurs dans la ville, dans d’autres villes.

Applaudissements, cris, percussions ustensiles de cuisine, instruments, chacun y va de sa partition, se mêlant allègrement au charivari ambiant.

Dans le cadre de l’appel à contribution « Fenêtres d’écoute – listening windows » je recueille chaque jour de nouvelles ambiances.

J’ai décidé ce jour de commettre un petit montage, création sonore dédiée à ces rituels de 20 heures, point d’ouïe multiple brassant allègrement les géographies.

Avec la contribution de : Aurélie Pertusot (Berlin), Jeanne Schmid (Cugy, Suisse), Murielle Julliard (Genève), Karine Maussière (Marseille), David Rivière (Lyon 1er) et Gilles Malatray (Lyon 9e).

 

Points d’ouïe, Place de Paris charivaris

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Des ustensiles charivrisent

casseroles et écumoires

en fenêtres applaudissantes

tintamarres festifs

timbres de cuisines

non plus des ustensiles

mais de vraies percussions

instruments instrumentalisés

depuis longtemps déjà faiseurs de charivaris

dénonciateurs bruyants

montrant du doigt

à l’oreille

jamais il n’est bon de trainer des casseroles

et qui plus est retentissantes

 

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mais il y a aussi de la fête aux fenêtres

dans ses casserolades de 20h

entre mécontentements et soutiens

concerts et chahuts

retrouvailles confinées

on les ré-entend avec plaisir

de soir en soir

travaillant de nouveaux rythmes

se répondant parfois

l’orchestre est encore jeune

mais il gagne en dialogues

au gré des soirs chahutés

les casseroles se frottent à l’improvisation collective

sans même s’en douter

mêlées aux voix et claps concertants

que j’engrange au fil des jours.

 

@Fenêtres d’écoute – Listening windows avril 2020

 

Point d’ouïe, de l’écoute confinée à des formes de protocoles

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Troisième semaine de confinement sanitaire.
L’écoute reste toujours au centre de mes préoccupations, déchiffrant progressivement un paysage sonore ambiant, local pour le peu, cadré, transformé au fil des jours et des captations de ma fenêtre.
Tant et si bien que de nouvelles formes de protocoles se sont progressivement mises en place, s’adaptant à ces conditions pour le peu inhabituelles, avec leurs lots de contraintes, de restrictions, liées à des formes d’enfermements qu’il nous faut néanmoins gérer au jour le jour.

Répétitions et rituels temporaires comme socle de travail
Le fait de travailler dans un seul lieu, celui de son habitation, de ne plus avoir d’autres terrains d’action, d’inter-actions, d’autres contacts professionnels, de visu en tous cas, impose une forme de vie plus ou moins répétitive. On organise un emploi du temps qui tente de conserver des repères spatio temporels, on prend d’autres marques, et les sons qui nous parviennent de l’extérieur rythment ainsi nos journées sédentaires, y compris dans nos activités professionnelles.
Le soir à 20 heures, par exemple, un rituel récurrent devient un élément structurant de la journée, avec ses applaudissements, cris, casserolades de fenêtres en balcons. Rituel de retrouvailles entre voisins également. On s’habitue à des voix, devant, à gauche à droite, dessus… A des instruments bruitistes. On se fait des signes. Une forme de sociabilité se fait jour, grandement portée et exprimée par l ‘expression sonore, donnant une signature acoustique singulière au quartier, à la rue, signée mais jamais la même de soir en soir.
L’occasion pour moi de sortir les micros à heures régulières, et au « long court », en l’occurrence chaque soir depuis plusieurs semaines.
Une façon de collecter par itération, tentative d’épuisement aurait dit Pérec, par séries récurrentes.
Un rituel installé, enregistré, collecté, renseigné, et partagé au quotidien
Jamais je n’avais autant pris conscience de la façon dont la répétition pouvait enrichir l’écoute, quelque part rassurante aussi, car vivante, face à une répétition de chiffres annonçant quotidiennement des morts toujours plus nombreuses.
C’est un véritable socle de travail, qui confère une certaine solidité, voire une profondeur à mon écoute, surtout expérimentée dans la répétition, et dans la durée.
Pour illustrer ces constats, je viens d’ailleurs de me mettre à ma fenêtre, pour capter une fois encore ces ambiances de vingt heures, qui me font entendre les acoustiques de ma rue comme jamais je n’aurais pensé le faire, avec une attention toujours renouvelée, est une bienveillance réconfortante envers mes voisins solidaires.

Cadres d’écoute
Je parlerai ici de cadres d’écoute plutôt géographiques, même si la géographie en question est celle, relativement réduite, de mon appartement lyonnais.
Un cadre topologique, celui auquel je me poste pour écouter, regarder, respirer, sentir, la rue au bas de chez moi.
Un cadre dimensionné par les proportions d’une fenêtre, d’ailleurs assez imposante dans ce très ancien immeuble.
Un cadre orienté, plutôt sud-ouest, très ensoleillé en après-midi, donnant à droite sur une place et une église et à gauche sur un alignement routier conduisant vers la Saône, notre rivière/fleuve locale.
Bref un cadre qui cadre, et de ce fait, qui contraint l’écoutant à des dimensions et placements dans l’espace, lui donnant, bon gré mal gré, des barrières et horizons construits, ouverts et fermés par ces ouvertures en trouées de façades .
C’est ainsi que le protocole prend en compte ces données spatiales quasiment imposées, ou avec des variantes limitées. Non seulement prend en compte, mais qui plus est en joue.
Tout d’abord, j’ai opté pour le côté rue plutôt que celui jardin. Ce qui d’ordinaire n’est pas le cas, je préfère échapper au flux automobile en installant mon bureau tourné côté verdure. Aujourd’hui, devant l’effondrement sonore ambiant, je cherche une scène acoustique où la vie se fasse encore entendre, non pas comme si de rien n’était, ni ostensiblement, mais avec suffisamment de dynamique pour garder l’oreille alerte.
J’ai donc élu une fenêtre d’observation et d’écoute favorite, privilégiée. Elle donne sur des immeubles en face, pas trop loin des cloches de l’église, mais pas trop près non plus pour que, notamment à 20 heures, leurs sonneries n’écrasent pas trop les autres sons ambiants, cris, applaudissements et autres percussions.
Car cette fenêtre est aussi un point d’ouïe stratégique, remplaçant par ailleurs momentanément, mes rituels de banc d’écoute. Le protocole va bien évidemment considérer les points et les moments d’enregistrements combinés. Certains se feront au gré des aléas sonores, d’autres sur une série récurrente évidente, celle de 20 heures, dont j’ai déjà parlé ici. C’est donc la conjonction de l’endroit et du moment, mais aussi du matériel utilisé, et de la photo prise chaque soir, qui vont infléchir une certaine logique auriculaire, en lui donnant des points d’appui, de repère, de comparaison, au fil des jours qui s’allongent peu à peu, dans ce printemps confisqué.

L’ici et l’ailleurs, le dedans et le dehors
Malgré le cadre d’écoute réduit que j’évoquais précédemment, les technologies de réseau et de communication, via notamment l’internet, peuvent sensiblement élargir les champs de perception et d’échange.
En ce qui me concerne, la mise en place, au tout début du confinement, d’un appel à contributions autour de la thématique de l’écoute à la fenêtre – aux balcons- a tissé assez rapidement un réseau d’échange, alimenté par des prises de sons contextuelles venues de nombreux lieux. Des apports sonores, visuels, textuels ont permis de mailler des territoires à l’origine très différents, urbains ou ruraux, bien au-delà parfois du territoire national, contribuant dans un premier temps ouvrir des espaces auriculaires collectifs assez rafraichissants en temps de confinement.
Entendre et voir hors de chez moi, téléporter mon oreille et mon regard parfois loin, parfois tout près, envoyer en retour mes espaces d’écoute vers des géographies ouvertes, n’est finalement pas chose courante.
Les comparaisons s’effectuent à l’écoute, comment sonne une rituel de 20 heures dans plusieurs quartiers de Lyon, mais aussi de Marseille, Grenoble, Ajaccio, Paris ?
Comment chantent les oiseaux dans un jardins danois, français et québécois ?
Comment, chaque jour à 17 heures, un duo de photographe et de musicien auscultent-ils leurs rues parisiennes ?
Comment l’ailleurs se frotte à l ‘ici, s’y confond parfois, dans une sorte de global soundscape qui brasse les similitudes et les singularités ?
Comment tout cela peut prendre corps pour faire récit, récits à voix multiples, de cette période si bouleversée et bouleversante, au sens premier du terme ?
De nouveaux espaces, parfois virtuels, ou distanciés voient le jour. Des partenariats et collaborations s’échafaudent, entre artistes, chercheurs, aménageurs et citoyens, voisins ou non. Des projets post crise également, mais là, on ne peut guère préjuger du quand et du comment.
Les infos et les matières, circulent, se distribuent, sont remises en question, ou proposées comme objets de créations croisées, musées virtuels, espaces de co-constructions online, où se mêlent espoirs, prises de conscience, et inquiétudes, voire peurs sous-jacentes.
Bref, le monde s’adapte comme il peut, tendant des antennes ramenant de l’information, la triturant de différentes façons.
Des questions se posent aujourd’hui, au fil des protocoles adaptés in situ, mettant parfois le doigt là où ça fait mal.
La question de l’enfermement notamment me taraude.
Entendre dehors, entendre dedans, pouvoir passer de l’un à l’autre, sans contraintes, ou avec un minimum, ou bien être, pour différentes raisons, dans la situation de personnes empêchées.
L’écoute que je pose comme une fenêtre ouverte, doit garder, au mieux que possible, la capacité de maintenir, ou de créer du lien, pour échapper à certaines formes d’aliénations potentiellement dangereuses.
Rêves d’évasion entre les deux oreilles…

Lyon le 07 mars 2020

 

https://soundatmyndow.tumblr.com/

 

Un banc, point d’ouïe modifié

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Ceci est un banc

tout près de chez moi

un banc où

très souvent

je m’assois

j’écoute

je regarde

je lis

j’écris

je parle à des habitués

ou à des rencontres fortuites

un lieu de repos

parmi d’autres bancs

un point d’observation urbaine

d’observation curieuse

des choses répétées

des choses singulières

des aléas du moment

un point d’ouïe ittéré

un espace de tentative d’épuisement

comme une terrasse façon Pérec

une forme de rituel urbain

intervention minimaliste

prenant corps dans la durée

les rencontres causeries

ma présence qui s’installe

mais aujourd’hui

confinement sanitaire oblige

je l’ai déserté

lui préférant

dans mes rares sorties

une marche dégourdissante

ma fenêtre est alors devenue

l’erzatz d’un banc

momentanément inoccupé.

 

@Photo Blandine Rivière @texte Gilles Malatray

Façades vivantes

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Façades vivantes

A temps exceptionnels

écoutes exceptionnelles

regards exceptionnels

nos enfermements exacerbent nos sens

portant l’oreille et le regard

sur les murs en vis à vis

les percées des fenêtres

lieux de guet

lieux d’accueil

des sons

des lumières

des odeurs

des vies extérieures

les façades deviennent théâtre du quotidien

on y est acteur et spectateur

façon “La vie mode d‘emploi

on les regarde plus que jamais

on les pratique plus que jamais

côté cour et coté rue

on les écoute aussi

aux vingt heures sonnantes.

@photos Blandine Rivière – @texte Gilles Malatray

Point d’ouïe et crise sanitaire, réentendre et penser le monde, autrement

Soundsatyourwindow @photo contribution Mathias Arrignon – https://mathiasarrignon.tumblr.com/

 

Après deux semaines de confinement, l’oreille plus ou moins coincée dans les murs d’un appartement, si ce n’est quelques fenêtres ouvertes et de rares sorties rapides pour les courses, je n’envisage forcément plus l’écoute comme avant. Avant ce grand chamboulement dans nos modes de vie.

Un premier constat.
Le ralentissement forcé, brutal même, d’une grande partie des activités humaines, surtout visible dans l’espace public, élimine bien des scories sonores indésirables dans nos espaces de vie au quotidien. La voiture en tout premier lieu. De fait, l’écoute, mais aussi l’odorat, et la qualité de l’air que nous respirons s’en trouvent les premiers privilégiés, et ceci pour notre plus grand bien.
On constate un rééquilibrage sensible, gommant notamment des hégémonies sonores intrusives, invasives, hautement polluantes, au profit d’émergences qualitatives, oiseaux, fontaines, cloches…

Néanmoins, cet effondrement acoustique engendre aussi des effets pervers.
Une grande partie de l’activité humaine, confinée, suspendue, déserte ainsi l’espace public, qui en conséquence se paupérise grandement. Les sonorités de la vie quotidienne, de l’énergie humaine, palpable via l’oreille, disparaissent rapidement. Plus de sons de terrasses de bars, de restaurants, de passants flâneurs, de rires, de cris dans les cours d’écoles.
Le Covid vide l’espace de nombre de repères sonores qui irriguent notre vie quotidienne, la font entendre, et finalement rassurent par une forme de continuité acoustique humaine. La vie continue bat son plein, et continue vaille que vaille.
Une sorte de chape de plomb, en silence pesant, voire angoissant, s’installe dans les rues désertées.
Je songe à ces belles et terribles images de Mort à Venise, de Luchino Visconti. Il y a plus réjouissant comme parallèle.
D’un côté un calme retrouvé, d’un autre, une ambiance mortifère, verre à moitié plein ou à moitié vide.

Une autre question pointe aussitôt.
Que deviendra, ou redeviendra la paysage sonore de nos villes et campagnes lorsque la crise sanitaire sera derrière nous ?
quelle résilience, pour le meilleur et pour le pire s’imposera ?
Le trafic routier, avec ses engorgements, ses klaxons intempestifs et agressifs, ses pollutions en série, reprendra t-il son cours, redémarrant son lot effréné de saturations dégradant nos espaces de vie,  à l’échelle de la planète entière ?

Les choses étant ce qu’est le son, tout au moins en partie, nos ambiances sonores sont étroitement liées à l’activité humaine, économique, industrielle, sociale.
Quelles seront les leçons tirées, ou non, d’une expérience douloureuse, sidérante, dans ce grand chambardement qui a très vite et radicalement confiné une bonne partie du monde ?
Quelles seront nos espaces de libertés, certainement réduites, certaines peut-être jugulées, supprimées, pour garantir un minimum de sécurité sanitaire, politique, économique… ?

Il est bien difficile d’y répondre, malgré tous les vœux pieux et espoirs d’un futur plus raisonnable, si ce n’est raisonné.

Autres questions qui jalonnent mon quotidien d’écoutant.
Comment, sans passer le plus clair de son temps confiné à ingurgiter un énorme flot numérique déversé par les réseaux sociaux, pour nous aider à mieux vivre notre confinement, rester à l’écoute du monde, sans se noyer dans un raz-de marée médiatique ?
Rester connecté, mais à quel prix ?
Comment garder une activité d’écoutant impliqué, actif, avec une forme de bienveillance Oh combien nécessaire en ces temps compliqués ?
Comment rester tourné vers l’extérieur, fenêtres d’écoute ouvertes, sous-entendu, ou plutôt bien entendu, vers autrui ?
Pas de réponses absolues, définitives, mais des essais bricolés, pour l’instant au jour le jour.

Je songeais à une récente intervention que j’ai faite à la prison des Baumettes à Marseille.
J’y avais été invité, par Sophie Barbaux, une amie paysagiste, pour parler paysages et parcours sonores, et faire entendre des prises de sons paysagères, commentées et discutées..
Je suis rentré, pour la première fois de ma vie, dans cette imposante architecture carcérale, non sans une certaine appréhension je dois bien l’avouer.
Non pas celle de rencontrer et d’échanger avec des détenus, bien au contraire, mais plutôt face à la façon de présenter le sujet. Comment parler à un public captif, dans le sens premier du terme, de paysages sonores ouverts, de parcours sonores en extérieur… ?
Quelle était la pertinence de cette intervention, cela avait-il du sens ?
Bref des questions purement contextuelles, mais aussi plus généralement éthiques.
Fort heureusement, mes craintes ont été vite balayées par l’écoute active, réactive, la sensibilité, la curiosité de ce groupe mixte d’une vingtaine de personnes.
De belles écoutes, des commentaires et questions pertinentes, sans détour, des souhaits clairement formulés, et même l’idée de prolonger cette question du paysage sonore en utilisant des outils numérique d’un atelier radiophonique.
Rassuré, j’avais donc, en sortant de ce labyrinthe de portes, de murs et de grilles, l’impression d’avoir, très modestement, entrouvert quelques fenêtres d’écoute, vers un ailleurs (un peu) moins carcéral.

Une semaine plus tard, et contre toute attente, je vis une situation de confinement subi qui, sans être aussi rigoureuse et sans doute humainement pesante, résonne comme une suite bien inattendue à cette intervention.
Je repense alors à ces prisonniers et prisonnières, aujourd’hui privés de toute visite en parloir, suspendues pour raison sanitaire, se retrouvant ainsi un peu plus encore coupés du monde, dans un isolement humainement très difficile, avec toutes les sources de tensions que cette situation peut induire.

Je pense également qu’en septembre prochain, je suis invité par l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Bron, la FERME, sa structure culturelle et le CFMI voisin (Centre de Formation des Musiciens Intervenants) à conduire un travail autour des paysages sonores de cet établissement, avec des patients, étudiants musiciens et habitants.
Un autre lieu d’enfermement parfois, où les vies sont généralement placées sous haute surveillance.
Comment dresser un portrait sonore, fabriquer des parcours d’écoute, dans ce très grand espace de soin, 37 ha, véritable ville dans la ville ? Peut-être relier intérieurs et extérieurs ?
Portrait sonore en regard des contraintes, des modes de vie, des spécificités du lieu, d’ailleurs actuellement secoué aussi de plein fouet par la crise sanitaire, qui ne facilite pas les relations patients, soignants et exclue sans doute également les visites extérieures.

Certes, il ne faut pas tomber dans un catastrophisme morbide, ni pour autant dans la confiance absolue vers un avenir doré, mais sans doute repenser autrement les relations entre les hommes, au travers de leurs espaces de communication, et bien sûr d’écoutes intrinsèques.
Nous devons réfléchir plus que jamais à la chose sonore comme un lien pétri de sociabilités, y compris au travers des tensions, via des actes et  des gestes de communication, mais aussi de construction esthétique où le politique et le social ne peuvent être ignorés.
Nous sommes invités à appréhender des espaces extérieurs qui nous auront été un temps confisqués, interdits, risques sanitaires obligent, avec une oreille qui, sans aucun doute, n’entendra plus de la même façon l’après que l’avant.
Nous sommes également amenés à imaginer, dans nos isolements respectifs, comment les techniques du numérique, les réseaux de communication, contribuent à construire des espaces d’écoute élargie, partagée, et dans lesquels le plus grand nombre puisse y trouver sa place de co-écoutant et co-fabriquant.
Mais aussi, à la base, comment ces technologies nous permettent tout simplement de maintenir un minimum de continuité, le mot est dans l’air du temps, comme une nécessité vitale pour que tout ne s’écoule pas, qu’elle soit auriculaire ou autre.

Ces perspectives, à la fois inquiétantes et stimulantes, ouvrent de vastes chantiers questionnant des formes d’écologie acoustique, sociale, et une pensée politique faisant son possible pour que, au cœur du projet, des actions, tout écoutant puisse s’exprimer, et surtout être entendu en retour.
Au-delà des créations sonores induites, se pose la question d’une participation active à la construction d’espaces d’écoutes, pluriels et au pluriel, de lieux de vie apaisés, contrebalançant, autant que faire se peut, la fureur et à l’emballement du monde, si ce n’est misant sur l’impérieuse nécessité de réduire cette course chaotique au plus vite.

 

Projet de confinement sonore en réseau :

Des sons à ta fenêtre – Sounds at your window

https://soundatmyndow.tumblr.com/

Rituels sonores, points d’ouïe confinés, de la répétition et des variations

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Depuis longtemps, j’admire Georges Pérec, homme de la description, de la répétition, de l’épuisement… Un immeuble décortiqué dans ses habitus, ses interrelations, la tentation d’épuiser, dit l’auteur, non pas la totalité mais des fragments de vies… mais aussi d’épuiser un lieu parisien de la terrasse d’un café, ou de se jouer des espaces gigognes, d’une feuille de papier à l’univers entier.
Une démarche oulipienne, quasi phénoménologique, fascinante, qui personnellement, m’inspire beaucoup dans mes approches audio paysagères.
Repérer des bancs dans une ville, les tester, en choisir un comme modèle de référence pour s’y poser régulièrement et écouter, réécouter, encore et encore, arpenter des espaces récurrents, des fontaines, des acoustiques réverbérantes, tenter ainsi se comprendre un peu mieux les lieux, lors de résidences artistiques, comme dans nos propres espace de vie. Des espaces pensés en des laboratoires d’écoute(s), en lieux d’expérimentation du sensible…
Bref, jouer sur des répétitions, des séries, des récurrences, de l’infime particule au paysage étalé.
J’adore également des photographes qui déclinent d’innombrables variations thématiques, autour justement du paysage, mais aussi d’objets, de personnages, d’architectures… Des métiers de Paris d’Eugène Atget aux stations services abandonnées, restaurants chinois, caravanes… d’Éric Tabucchi.

A l’heure où j’écris ces lignes, je suis, comme tant d’autres, coronavirus oblige, confiné depuis deux semaines dans mon appartement lyonnais, période peu propice a priori pour expérimenter les séries dons je vous parlais préalablement. Et pourtant…

Tentant, dans des espaces restreints, à la mobilité très réduite vis à vis de mon nomadisme habituel, de garder une écoute, active, questionnante, et partagée, je lance donc, en début du confinement, un appel à contributions « les sons de ta fenêtre – Sounds at your Window » pour recueillir et partager dans un blog dédié, des sons confinés, de nos fenêtres ouvertes, balcons, terrasses, et au mieux, jardin. Sons, photos, vidéos, textes, tout est possible, se rapportant bien sûr à nos univers acoustiques en temps de crise, à leurs profondes modifications, dues notamment à la désertification des villes et villages. Je ne reviendrai pas ici sur la grande atténuation des sons de voitures, au profit de la ré-émergence des chants d’oiseaux, largement constatés et commentés dans les médias.

Entre temps, inspirés des chanteurs et musiciens aux fenêtres italiens, est apparu le rituel de 20H, mêlant applaudissements et vives de soutiens au personnel médical, et charivari de protestation visant plus particulièrement le monde politique face à sa politique de paupérisation du service public, notamment hospitalier.

Ce rituel crée donc les conditions propices à travailler sur des séries récurrentes. Moi-même, tous les soirs, j’enregistre, d’une même fenêtre, ces 20h applaudissant, donnant de la voix et de la casserole. De même que d’autres contributeurs -trices, dans différentes villes, m’envoient sons et vidéos de ces instants sonores et toniques partagés.

D’autres séries vont se mette en place, par le fait d’envois réguliers de sons et d’images, certains mêmes quotidiens, dans des lieux similaires, donnant une sorte de roman feuilleton des ambiances sonores de Paris, Holding au Danemark, et d’ailleurs.

Mon appétence à appréhender le monde sonore par des gestes réguliers, réitérés, des constantes géolocaliséess ou des thématiques à répétitions, alimentées dans une certaine durée se voit donc récompensée, au-delà du fait d’une quasi totale immobilité. Si tu ne vas pas vers les sons, les sons viendront à toi, dans un entonnoir élargis par les tuyaux et réseaux de l’internet.

Revenons aux sons de 20H, ceux que je nommerai ici des rituels covidiens.
Je reprendrai du reste, le cas de mes propres écoutes, et enregistrements journaliers.
En premier lieu, posons le cadre géographique. Une petite rue, assez resserrée, bordée d’immeubles anciens, quatre étages mais assez hauts, avec de larges trottoirs pour accueillir un marché.
Quartier urbain, populaire, anciennement industriel, à l’extrémité nord de Lyon.
Commerces de proximité, bars et restaurants sont assez nombreux, avec des marchés trois fois par semaine, quoique tout cela soit pour l’instant à l’arrêt.
Une grande place divisée en deux, avec des bancs et de vieux et hauts platanes, et une église de style contemporain, après la seconde guerre mondiale, possédant un clocher avec une chambre des cloches ouverte, et un mini carillon de quatre dames d’airiain qui sonnent joliment bien.
Pour l’instant, comme dans l’ensemble de la cité, tout est en grande partie désert, d’un calme pour le moins inhabituel.
Jusqu’à vingt heures en tous cas.
Quotidiennement, environ trois minutes de joyeux chahut réveillent l’espace.
J’y reconnais, au fil des jour, les mêmes voix, casseroles, paroles, et la volée de cloches qui s’en mêle.
A chaque ouvertures de fenêtres, un air de déjà entendu, et sans doute une signature acoustique spatio-temporel propre à cette rue et à ce rituel.
C’est rassurant de sentir une continuité, le mot est aujourd’hui très employé, construite sur des ambiances sonores récurrentes, faite de marqueurs acoustiques stables, identifiables, car répétés de soir en soir.
Cependant au-delà de cette apparence répétition, une qualité de nuances, de varitions, parfois subtiles, parfois très marquées se font entendre.
Variations dans l’évolution dynamique, l’entrée en jeu des « instruments », le crescendo et decrescendo plus ou moins long et soutenu.
Variations dans l’intensité, la durée, les « solistes » qui s’en détachent, les formes de réponses de fenêtre en fenêtre.
A chaque soir son concert, et ses repères, ses accroches, son ambiance locale, mais aussi ses singularités du jour.

Donc pour moi la possibilité d’assister, de participer, de capter et de partager, une forme de récurrence, ajoutée à celles envoyées par les contributeurs, que Pérec n’aurait sans doute pas renier.
Et sans doute une façon d’habiter, de se créer des repères, dans ces espaces-temps parfois assez anxiogènes, aux repères brouillés, difficiles à vivre dans leur enfermement. Une bouffée d’air et d’airs quotidienne pour beaucoup.

Points d’ouïe et questionnements

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@photo Laurent Jarrige

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’entre les périls climatiques s’amplifiant à la vitesse grand V et la pandémie qui nous frappe de plein fouet, cette situation inédite nous questionne, parfois violemment, en grattant là où ça fait mal, en nous montant les terribles dérives financière, sociales, économiques, humaines…
Elle nous ramène surtout à notre modeste, voire misérable condition de vivants (encore), parmi les vivants, dans un espace fini, si grand nous paraisse t-il, et rien de plus.

Ces questions nous assaillent sans ménagement.
Quelle est notre propre part, personnelle et collective, d’inconscience, de responsabilité, de négligence, de déni, d’incapacité, de passivité, de complicité ?
Peut-on encore se ressaisir, faire quelque chose qui, à défaut d’inverser la tendance, mettrait de l’huile dans les rouages, voire infléchirait des décisions politiques jusqu’alors plutôt catastrophiques, dans le vrai sens du terme, évitant si possible une violence croissante et exacerbée ?
Utopie ou brin de sagesse ?
En a t-on vraiment la volonté, la capacité, les moyens ?

je ne me complairais pas pour autant dans un constat nihiliste et irrémédiablement désespéré, bien que…
J’essaie sans doute de ne pas me laisser submerger par ces questionnements, justifiés, mais qui peuvent, in fine, devenir par trop anxiogènes et paralysants.

Par l’écoute, en situation de confinement, mesures sanitaires obligent, je croise les sons, les images, les vidéos, les textes, comme des bribes d’existences, d’expériences sociales au prisme de l’oreille.
Par l’écoute, je me questionne sur les changements radicaux de l’espace public, de ses acoustiques, de ses fréquentations, de ses contraintes actuelles, de ses usages, en grandes parties suspendus.
Comment se rééquilibrent des paysages sonores qui, tout à la fois s’apaisent, laissent ré-émerger notamment des chants d’oiseaux, tout en se paupérisant par la brusque diminution de la vie sociale in situ.
Mais aussi vu de l’intérieur, comment un enfermement assez rigoureux, modifie en profondeur nos modes de vie, jusqu’aux cœur même des cellules familiales, entre exiguïté et séparation.
Tout cela se sent, se ressent, et bien évidemment s’entend.

Il y a quelques semaines, je travaillais encore ferme autour des parcours sonores, des marches d’écoute, du soundwalking, en arpentant la ville et battant la campagne.
Brusquement, une bascule aussi radicale qu’imprévisible a confiné mon écoute vers des intérieurs, où la fenêtre est devenue l’espace échappatoire, le cadre d’écoute quasi imposé, si se n’est de très rares sorties pour des courses.
Les rapports humains se sont physiquement distendus, et de nouveaux, via notamment les réseaux sociaux se sont mis en place, parfois pour le meilleur et pour le pire.
Des rituels, par exemple France les applaudissements et vivats de soutien, mêlés aux huées et charivaris de protestation, apportent, à nos fenêtres, balcons et terrasses, des réconforts, plaisirs partagés d’être encore un peu ensemble, solidaires, et de dire en commun nos reconnaissances et colères.
D’autres échanges, autour de choses entendues, toujours de nos fenêtres, tissent un réseau informel d’écouteurs confinés, panel d’ambiances, de gestes domestiques, de points d’ouïe issus de territoires géographiquement assez larges. Une chaine active d’écoutants reliés. https://desartsonnants.bandcamp.com/album/des-sons-ta-fen-tre-sounds-at-your-window

Mais aussi des photos, des textes, des vidéos, contrepoints de ces écoutes covidiennes.
Et des échanges, projets, via cams, messages, sms…
J’y entends, vois et lis des traces qui expriment parfois l’étonnement, la sidération, l’inquiétude, la solitude, l’espoir, la colère…

Pour ne pas rester que dans l’ordre de l’affect, des projets de recherches croisées s’amorcent entre spécialistes de différents champs, artistes et autres activistes impliqués et désireux de partager leurs pratiques, savoir-faire et réflexions, de les faire se développer dans un pot commun.

Ma pratique repose toujours sur le champ acoustique, auriculaire, et autour des sociabilités acoustiques, considération qui prend de plus en plus de poids dans ces temps compliqués.
Comment, à l’aune de cette crise multiple, collecter, tisser des écoutes, les mettre en commun, les questionner, en faire à la fois des créations esthétiques et/ou es objets d’études, et pourquoi, pour qui ?
Des questionnements se font jour, cette fois-ci un peu plus positifs que ceux que j’évoquais en début de ce texte.
Une façon de rebondir, au cœur des événements, tout en prenant un peu de recul salvateur.
Une opportunité de créer du commun, même si je manie cette expression avec moult pincettes tant elle est parfois galvaudée, si ce n’est politiquement instrumentalisée.

Entre constat d’impuissance et réaction stimulante, je n’irais pas à prétendre, comme certains, à une grande prise de conscience qui changerait (sauverait ?) le monde à jamais, néanmoins, l’écoute portée sur le monde environnant, et sur ceux qui l’habitent, le vivent, le construisent et le défont (moi y compris) n’a jamais été, pour moi en tous cas, si remuée, re-mise en questions avec tous les pluriels que cela implique .

Points d’ouïe, dans nos confinements réunis, des sons à nos fenêtres

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@ photo – Judith Lesur, contributrice
Après un peu plus de trois journées pleines, l’appel à contributions « Des sons à ta fenêtre – Sounds at your window », s’inscrivant dans la crise sanitaire du Covid19, compte presque 30 sons, pour un peu plus de 5h de matière brute.
Sons de fenêtres, de balcons, terrasses, et pour les plus chanceux de jardins.
Sons de villes, de villages, de hameaux, de quartiers…
Sons de France, du nord au sud et d’est en ouest…
Mais aussi de Suisse, du Danemark, d’Allemagne…
Sons et photos, parfois textes, vidéos.
Sons isolés ou en séries quasi quotidiennes.
Sons très brefs, ou qui prennent tout leur temps.
Sons au hasard de l’instant ou sur des événements prévus, anticipés (les 20h, rituels de soutien collectifs aux fenêtres).
Sons, images et textes, voire vidéos, qui marquent des changements progressifs, comme des ruptures, des effondrements, des apaisements, de silencieuses tensions.
Sentiments d’étonnement, d’isolement, de solitude, mais aussi volonté de faire encore, autrement dans nos confinements réunis.
Si l’oreille vous en dit
A suivre
A alimenter encore
In progress
Une cartographie à venir

Points d’ouïe, fenêtres et balcons, une géographie de l’écoute

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Des percées Points d’ouïe, un cadre d’écoute
Aujourd’hui, la fenêtre, le balcon, sont devenus des points d’ouïe privilégiés pour tendre une oreille vers la ville, lui faire prendre l’air, et les sons, rester présent, observateur, actif, malgré notre confinement.
Ces lieux donnent un cadre, dans tous les sens du terme, ils orientent nos points d’ouïe, les limitent parfois, imposent des axes, des horizons, des rapports vision/écoute plus ou moins contraints, des confrontations de chez soi vers des ailleurs percés.

Jonctions

Dedans dehors
Je suis plus ou moins dedans, plus ou moins dehors, et mon écoute se joue de cet entre-deux.

Devant derrière
Derrière, c’est une cuisine, un bureau, une chambre…
Devant c’est un jardin, une cour d’immeuble, un champs, une route.
Et les sons sont en conséquence.

public privé
Ce que je vois, ce que j’entends à portée de vue, relève en général du public, ou de l’espace public, ou des usages publics, des espaces privatifs, ou privatisés.
Mais hors-champs, lorsque je suis tourné vers l’extérieur, c’est chez moi, là où j’habite, de l’endroit où j’écoute.
Et les deux se mêlent ainsi, me faisant axe entre deux mondes orientés via l’oreille. Plus ou moins précisément d’ailleurs.

intime extime
L’intimité de chez soi, je l’entends par des gestes confinés, des présences de proches, des voix et bruits du quotidien, de l’eau qui coule, des couverts rangés, ou la solitude calfeutrée.

L’extime, c’est la vie au-delà de l’intime, au-dehors, voitures, chantiers, oiseaux, et tout ce qui résiste encore en laissant des traces auriculaires…

Seuils
La fenêtre et le balcon font seuils
Ils sont entrée, porte ouverte aux sons du dehors
Ils sont sortie, laissant les sons du quotidien s’échapper vers le dehors
Ils sont passage
Ils sont lisière, marge, croisement, recoupement, interstice, superposition
Ils sont espaces de mixage où se confondent les jonctions auriculaires
Se tenir sur la PAS, accueillant la vie sonore, au lieu de faire un PAS – Parcours Audio Sensible.
Nouvelles contraintes, nouvelles pratiques.

 

Texte écrit dans le cadre du projet  » Des sons à ta fenêtre – Sounds at your window« 

https://desartsonnants.bandcamp.com/album/des-sons-ta-fen-tre-sounds-at-your-window

Points d’ouïe, crise sanitaire et ambiances acoustiques dystopiques

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Amateur de science-fiction, j’ai connu bien des dystopies littéraires, où se raréfiait la foule, l’humain, sous des menaces diverses; plus terribles les unes que les autres. Un peu comme maintenant quoi.
Arpenteur urbain, écouteur public, j’ai traversé nombre d’ambiances sonores chaotiques, parfois jusqu’à l’oppression chronique.
Depuis quelques jours, marcheur urbain confiné en appartement, je regarde et tends l’oreille à ma fenêtre. Je vois et j’entends la cité se déserter, se taire, passe progressivement du joyeux chahut au chuchotement.
Je vois les passants esquisser, des pas de cotés, chorégraphies ‘évitement corporel lorsqu’ils se croisent, à vrai dire assez rarement, sur le trottoir..
Bien sûr, j’en vois d’autres passer de longues heures à siroter des bières sur un banc, néanmoins avec gants et masques… A chacun la façon d’interpréter son confinement
Aujourd’hui, enfermé depuis trois jours, je sors faire des courses, autorisation dérogatoire en bonne et due forme en poche.
Quelques centaines de mètres jusqu’au magasin, une promenade de luxe quoi.
Le soleil, outrageusement généreux ces jours-ci, et l’air sur la peau me font un bien fou. Comme si j’avais subi des lustres de privation de ces éléments qui me paraissent si agréables. Un petit plaisir retrouvé qui en devient un grand
On s’aperçoit ici, très vite, surtout pour quelqu’un qui a l’habitude dans son travail de battre le pavé, que l’enfermement pèse rapidement très très lourd.
On repense l’univers carcéral autrement, peut-être. Surtout qu’étant intervenu récemment à la prison des Baumettes de Marseille, je considère maintenant avec un œil et une oreille interpellés, les notions de dedans/dehors, et de libertés fondamentales.
Sinon, une sorte de sidération sensorielle.
À 17 heures, période généralement qui fait grouiller les trottoirs de passants et les rues d’engins motorisés, presque rien ne bouge.
Ou si peu.
Si peu de voitures, et ça c’est un vrai luxe à tous les niveau, acoustique, piétonnier, respiratoire…
Si peu de gens, dans des espaces fantomatiques un brin inquiétants, presque anxiogènes.
Le regard embrasse la longue alignée d’une rue en générale très passante, et ne voit que peu de véhicules ni de piétons.
On peut traverser tranquillement une trois voies urbaine sans courir.
Beaucoup, ceux qui le peuvent en tous cas, la crise n’est pas la même pour tous, ont quitter la ville pour se mettre au vert.
Les autre évitent, ou sont contraints à bouger le moins que possible.
Je n’aurais jamais penser connaitre ça.
Et si peu de sons en conséquence.
Une sorte d’étouffoir acoustique, de chape de plomb, qui fait ‘ailleurs d’autant plus ressortir les sirènes des ambulances, pompiers, policiers… et nous remet à l’oreille un monde sanitaire malmené, des espaces publics devenus suspects, voire dangereux, plus que d’habitude en tous cas.
Une ville métamorphosée, transfigurée, réduite au presque silence.
Certes pas un silence de mort, mais sans doute de peur oui.
On peut jouir maintenant d’une forme de calme sans doute rarement observé, écouté, au cœur des grandes villes en principe si sonifères.
Un calme que je trouve cependant plus paupérisant qu’apaisant, qui aurait effacé toute l’énergie d’une ville, ou les élans dynamiques seraient bridés, si ce n’est brisés, où l’oreille chercherait des repères perdus, gommés, des voix gouailleuses et des cascades de rires par exemple.
Merci les oiseaux d’entretenir une forme de gaité pépiante.
Merci également, sur le coup des vingts heures, au initiatives citoyennes spontanées, cris, vivats, applaudissements, charivaris, mais aussi colère et protestation, de balcon en balcon, à l’instar des concerts italiens.
Par ces manifestations bruyantes, toniques, vivantes, rassemblantes, il y a aussi des conspuations de politiques privilégiant les chiffres et le rendement plutôt que la santé publique.
Après les places, les rond-points, ls balcons et fenêtres.
Même contraints à quitter l’espace public, l’espoir et les colères se font encore entendre.
Rassurant quelque part !

 

Le charivari de 20 heure à ma fenêtre : https://desartsonnants.bandcamp.com/track/lyon-vaise-le-charivari-de-20-heures

Pour en écouter plus de nos fenêtres : https://desartsonnants.bandcamp.com/album/des-sons-ta-fen-tre-sounds-at-your-window

Participer au projet collaboratif : https://desartsonnantsbis.com/2020/03/17/appel-a-contribution-ouvert-point-douie-quentends-tu-de-ta-fenetre/