
Après la stupeur de l’effondrement, de la ville fantômisée, des espaces démesurément vierges d’activités, passé l’installation d’un calme plus inquiétant que serein, la ville s’ébroue à nouveau.
Elle s’ébruite progressivement.
Pas besoin de la regarder, juste lui tendre une oreille de sa fenêtre ouverte.
Le silence, à défaut d’être rompu, perd du terrain, en même temps que son calme.
Les ouatures cotonneuses se déchirent.
Les voitures rouleuses se déconfinent sans vergogne, redonnant du moteur et du claque qui sonne à tour de roues.
Les gazouillis s’estompent car eux sont aussi masqués, et ce n’est qu’un début.
Et comme l’espace public, ainsi que l’autre, notre co-habitant, sont potentiellement de dangereux ennemis semant la pandémie.
Et comme le transport en commun est aujourd’hui trop en commun, terreau de germes viraux, brouillon de culture insanitaire, espace bardé de contraintes…
L’habitacle carrossé fait effet de refuge inviolable, invirussable.
La sécurité distanciée d’un chez-soi sur pneus.
Et la voiture de reprendre la route, peut-être plus que jamais, ou pire que jamais, ou les deux on ne sait jamais.
A tombeau roulant, bruitalisant la cité, et même urbi et orbi.
Mais le piéton aussi repeuple la cité.
D’abord ombre fugitive esquivant le voisin trop pressant.
Heureusement, les postillons ne roulent plus, le crachat de la poste faisant froid !
Ainsi le passant, masqué, défie croit-il, la reconnaissance faciale, pour un instant, pour un instant seulement.
Piéton redonnant de la voix dans la voie.
D’ailleurs à propos du masque, c’est à l’origine objet de théâtre, antique.
Il se nomme personna, mon nom est personne, et mon masque le personnage que je joue…
Du verbe latin per-sonare, qui sonne par, à travers, et par extension qui parle à travers, et non pas à tord et à travers. Quoique…
Car le masque d’alors ne cache pas la parole, bien au contraire, artifice acoustique, il l’amplifie, la fait porter, publique.
Pas sûr que cela soit vraiment le cas aujourd’hui.
Un théâtre urbain d’ombres solitaires distanciées n’aide pas l’échange cordial.
C’est un terrain miné, qui musèle brutalement des velléités de révolte, jugées sanitairement bien trop bruyantes !
L’ether nu ment !
Si le silence se déchire par voix et voitures, la société s’est sensiblement désociabilisée, sans doute via la politique entretenue de la peur généralisée, bâillon plus redoutable que bien des masques, même de fer.

Photos Blandine Rivière – Texte Gilles Malatray
Écrit et ouï de mes fenêtres 06 mai 2020 – https://soundatmyndow.tumblr.com/