Point d’ouïe sociétal

Ces derniers soirs, il fait froid et humide, j’ai donc migré, pour mes stations « bancs d’écoute, et d’autres choses », dans la gare de Lyon Vaise. Je m’y assois,lis, rêvasse, regarde, et bien entendu écoute… Un groupe de jeunes vient me parler. De la « Cité du haut ». Ils emploient sciemment un « dialecte cité » haut en couleurs dont je ne maitrise pas du tous les codes, tant s’en faut; ils m’intérrogent, me provoquent, verbalement. Je les écoute, leurs réponds. Je ne comprends pas toutes leurs colères mais ne les juge pas, les écoute, avec une certaine forme d’empathie non moralistrice. Je ne suis pas médiateur, ni psy… Simplement, je sens qu’ils ne sont pas ou guère entendus, en tous cas hors des espaces cadrés, et que leurs attitudes provocantes les marginalisent un peu plus dans l’espace public. Pas de réponse à cela. Juste un peu sonné.

Puis arrive un couple d’étudiants. Ils sont véritablement atterrés, bouleversés, angoissés, par la crise sanitaire qui n’en finit pas de contraindre, d’altérer, très lourdement leurs études, leurs vies, et sans doute leur avenir. Nous n’avons aucun contact, aucun échange, même pas un regard. Je suis simplement un écouteur anonyme, invisible, qui prend un peu plus conscience à quel point le paysage sonore ambiant nous révèle la belle et terrible fragilité du monde. Monde qui se déploie, pour le meilleur et pour le pire, à qui veut bien l’écouter. C’est à la fois très beau et très pesant.

Installer l’écoute par mots sons mis en scène

Calligraphie sonore – Texte Gilles Malatray – Calligraphie Nathalie Bou – Parc de la Fessyne (Villeurbanne)

Penser un point d’ouïe

un endroit où les sons s’offrent à nous

un espace d’écoute privilégié

où le son est joliment sonnant

mais néanmoins ignoré

tant il est « naturellement » là

à la fois présent et inaudible

dans son habituelle constance.

Il suffit donc de le révéler !

Il suffit de le pointer, de le faire remarquer

de nous surprendre, passant ignorant sa triviale existence

de le placer dans notre bande passante

de syntoniser notre attention

nous accordant écouteur avec un potentiellement l’écouté.

Il suffit sans doute de dire, de nommer

non pas de dire ou nommer un processus

mais les sons-mêmes, écoutables comme tels

et peut-être de poétiser leurs dites sonnances

Dire, c’est faire exister.

Quelques mots, mis en scène

en scène acoustique, comme il se doit

des propositions et invitations auriculaires.

Faire sortir subrepticement l’ouïrdinaire de l’ordinaire.

Trouver des mots qui comptent

des mots qui content

qui interpellent, qui surprennent

au détour d’une rue

d’une place

d’un mur

d’une clairière

d’un sentier.

Des rythmes partitions aussi…

De micros installations qui s’écrivent dans, pour, et avec un lieu

un lieu et bien sur toutes ses potentielles oreilles traversantes.

Comment ça sonne ?

Comment tu t’entends (ou pas) avec (ta ville, tes lieux de vie)

Comment ça te raccroche au paysage dans tout ce qu’il a de plus – ou moins – trivialement sonore ?

Comment ça te questionne sur l’inouï de tous les jours ?

Comment cet inouï devient parfois partition ouïssible ?

Comment ça écrit une histoire entre tes, nos deux oreilles ?

Et pour se faire

un brin de graphisme

d’écritures circonstanciées

d’humour, pourquoi PAS

de scénophonies non audio invasives

d’invitations à la pause Point d’ouïe

à l’immersion de l’écoute installée

sans sons rajoutés

sans édulcorants auriculaires

sans sur-couches envahissantes

brouillonnes et bruyonnantes.

Juste pour profiter de l’instant

avec le mot et le dispositif a minima

des propositions non audiostentatoires

souvent discrètement éphémères, contextuelles, conjoncturelles

de petites portes auriculo-graphico-visuelles

pour échapper l’oreille vers un ailleurs, finalement de proximité

vers un modeste mais surprenant monde sonore à portée de tympans.

Visitez l’album photos

Calligraphie sonore – Texte Gilles Malatray – Calligraphie Nathalie Bou Festival Les Temps d’Arts – Saint Martin en Haut

Parce que l’urbanisme, l’aménagement, passent aussi par l’oreille !

Les ambiances sonores, parfois appelées paysage sonore, sont en fait très peu considérées dans les projet d’aménagements, urbains ou non. Si des études acoustiques métrologiques sont effectuées, si on prend en compte des normes d’isolation, d’isolement, de réverbération, principalement liées aux risques potentiels de « pollution sonore », quid des aspects qualitatifs, esthétiques, culturels… Et au final, comment dépasser la notion de s’isoler des sons – donc d’une forme de vie sociale – plutôt que de mieux vivre avec. Question problématique pour les émetteurs-récepteurs que nous sommes.

La recherche d’aménités audio-paysagères, de signatures acoustiques inhérentes aux lieux, d’ambiances dépassant le résiduel pour penser le conceptuel, de modèles d’aménagements où l’oreille, à l’instar de la vue, trouve aussi son compte… un projet qui devrait être aujourd’hui pensé de façon plus indiscipinaire.

Écoute t-on encore, dans nos villes, hors crise sanitaire, le son de nos pas sur des sols aux matériaux différents, celui du vent et de la pluie, des oiseaux et des fontaines, des voix ambiantes ? Échappe t-on à la chappe de la grande rumeur ultra motorisée ? Peut-on se parler sans élever la voix, ni trop tendre l’oreille ? S’habitue t-on, envers et contre tout, plus ou moins inconsciemment, à des formes de pollutions pernicieuses qui mettent à mal notre santé, notre équilibre ?

Peut-on prôner une belle, sinon meilleure scène auriculaire, préserver, (a)ménager des oasis acoustiques, des points d’ouïe cherchant une belle écoute, dans des cités parfois saturées de signaux qui mettent nos sens à mal ?

Un artiste sonore, musicien, designer… peut-il amener une « audio-vision » élargissant les approches quantitatives, normatives, vers des gestes sensibles, qualitatifs, esthétiques ?

Les profondes et inquiétantes transformations de nos éc(h)osystèmes ne devraient-ils pas nous pousser à penser de nouvelles formes d’aménagements où le sonore, entre saturation et paupérisation, serait également un critère de mieux vivre (ensemble) ?

Autant de question qui devraient, doivent, nous questionner sur nos rapports sensibles, esthétiques, nos inter-sociabilités, avec les espaces, tant publics que privés.