POINTS D’OUÏE – POSITIVER ENTRE MES DEUX OREILLES

AVEC L’OREILLE JE POSITIVE

@anja – Frictions urbaines – Balade sonore nocturne – Vitry/Seine – Gare au théâtre – septembre 2015

En parallèle à l’utopie, il y a le fait de positiver. Positiver n’est pas l’apanage d’une grande enseigne commerciale à la croisée des routes…

La positivation n’est pas non plus pure naïveté, elle ne nous bouche pas les yeux et les oreilles sur les dysfonctionnements, les crises, les tragédies, elle les reconnait, les prend en compte.

Le fait de positiver n’est pas un optimisme forcené, c’est aussi relativiser, sans se fourvoyer dans de grands rêves coupant de toute réalité.

C’est encore éviter de sombrer dans une noirceur terrifiante, paralysante, une fin du monde dans un grand marasme ambiant comme unique pensée, une reniement de toute valeur, de toute beauté, au profit d’une sinistrose suicidaire.

Positiver c’est par exemple croire que le paysage sonore n’est pas qu’un informe chaos, qu’il existe de superbes poches d’écoute au cœur même des plus gigantesques métropoles, que l’écoute peut, ici ou là, nous réserver mille surprises tonifiantes, que la parole, tout comme le vent, ou la musique des lieux, portent une beauté universelle, une part de rêve partagé aux quatre coins du monde, si l’on prend garde de se laisser une fenêtre grande ouverte sur le sensible, et l’autre…

@ Raymond Delepierre – Sentier des Lauzes – Juillet 2015

POINTS D’OUÏE ET NARRATIONS

La balade sonore comme une expérience de narrations audio-paysagères multiples

Chemin faisant, l’écoute se met en marche. Les lieux et toute leur vie intrinsèquement sonore se donnent alors à entendre. Le, ou plutôt les récits se construisent au fil des pas, des déambulations, des points d’ouïe, comme une combinaison quasi infinies de narrations à fleur d’oreille.

Histoire humaines, voix, gestes et activités entendues
Voix perçues, parfois empruntées, voire volées, un brin voyeuriste-écouteur, des bribes de conversations, ou de monologues… le rythme des pas déambulant et des gestes sonores, reflets d’activités journalières captées comme des histoires du quotidien, ou plus exceptionnelles, néanmoins transfigurées par l’attention auditive qui leur est portée…

Faune
Oiseaux pépiant, jacassant, hululant, caquetant, criards ou virtuoses de la vocalise chantante… Gibiers détalant, chats hurlant dans les nuits printanières, concerts de grenouilles coassantes en bord d’étang, brames de cerfs intempestifs et amoureux, frémissements d’insectes vibrants… de villes en espaces naturels, l’histoire naturelle, pour employer un ancien terme écolier se déroule à nos oreilles parfois étonnées d’une telle présence auriculaire.

Media
Sonorisations insidieuses, intempestives voire muzakement polluantes, bribes de musiques échappées d’une fenêtre ouverte, sirènes et autres hululements urbains, Hip-hop affirmé, anachronique, sous les colonnes d’un opéra, déambulations festives, revendicatives, rythmées et soutenus par de puissants sound-systems, harangues et scansions mégaphoniques… Les média s’installent, plus ou moins ponctuellement, avec plus ou moins de présence, dans l’espace public. Celui-ci envahit de même, parfois l’espace privé, ou bien inversement…
Le récit, notamment urbain, s’amplifie acoustiquement, se diffuse, se répend par un enchevêtrement de paroles, musiques, de dispositifs, de canaux…

Ambiances – un début et une fin – une trame, tissages, de passages en ruptures, de transitions en coupures – Une écriture in situ, in progress
Du départ à l’arrivée, le parcours est balisé, testé, validé, nonobstant les aléas, imprévus, accidents, et autres opportunités. Il propose une progression faite d’enchaînements et de ruptures, de fondus et de cassures, de points forts et de modestes trivialités… Il s’appuie sur des ambiances emblématiques, mais aussi des petits riens, un panel des choses à racommoder in situ, des objets poétisés dans le décalage de l’écoute collective, une histoire auriculaire à partager en commun…

Objets et autres choses animées
Une perceuse qui met en résonance et fait vibrer toute une façade de bâtiment, une fontaine qui chuinte, glougloute, une signalétique de feux tricolores pour aveugles qui « bip-bip » ou parle d’une voix synthétique, un engin de chantier qui gronde sourdement… Sans oublier les voitures, omniprésentes parfois, les choses volante… Tous ces objets, machines, mécanismes, viennent animer, révéler et participer à construire le récit un paysage sonore sans cesse renouvelé – Entre invasions, bousculements, bruits de fond et musiques urbaines.

Acoustiques, topologies, topophonies, des espaces qui se racontent
Des ruptures, de de transitions progressives, des effets acoustiques générés par les lieux-même, leurs topologies, les volumes, les formes, les matériaux de construction… Une histoire architecturale, environnementale, où les sons se jouent de l’espace, et vice et versa. Echos, résonances, réverbérations, étouffements, masquage, coupure,colorations, catalogue d’effets… Un vaste espace sonore pétris d’effets !

Champs, hors-champs
Des situations où la vue est directement liée à la chose entendue, où la relation cause à effet est évidente; d’autres où la source sonore est cachée, occultée, non vue, hors-champ. Des situations où l’on n’est pas sûr d’identifier l’origine du son, où le jeu consisterait plutôt à naviguer entre certitude et imaginaire, entre existant et construction purement mentale, onirique, paysagère, selon ses dispositions…

Multisensorialité – synesthésies
Parce qu’un sens ne fonctionne jamais seul, parce que l’activation, la mise en avant de l’un en dynamise d’autres, parce que la vue guide, stimule parfois l’écoute, et vice versa…

Des ambiances sonores colorées, des couleurs vibrantes comme des sons, des odeurs de viandes rôties mêlées, associées aux grésillements d’une rôtissoire, les senteurs de foin et de fleurs d’une prairie au soleil couchant d’une chaude journées estivale, ponctuée du pointillisme d’insectes stridulants… Les parcours d’écoute sont multiples et infiniment variés. Ils nous racontent, avec force sonorités, formes, lumières et couleurs, odeurs, parfums et fines flagrances, des ambiances où les sens se trouvent au cœur d’une immersion paysagère. Ils tissent une expérience sensible, poétique d’un espace sonore volontairement privilégié, sans pour autant être coupé d’autres sensations.

Des mots, des sons, des gestes Écrire les sons, les décrire, les mettre en mots, les coucher sur le papier, les transmettre… Construire ou recontruire, voire déconstruire des histoires sonores, field recording à l’appui,. Eventuellement, les installer, les mettre en scène. Ecrire aussi des parcours du bout des pieds et des oreilles, en les vivant, si possible de concert.

POINTS D’OUÏE – ÉTRANGES ÉCOUTANTS !

Un groupe d’écoutants Oh combien déconcertant en espace public

Prenez un groupe de 10 à 20 personnes.

Partez de concert pour un parcours d’écoute urbain.

Arrêtez vous quelques minutes ici ou là, sur des points d’ouïe intéressants, préalablement repérés, ou bien scène d’écoute singulière à l’instant T.

Ne dites rien, ne bougez pas, ne commentez pas, écoutez, tout simplement.

Regardez comme les passants vous scrutent, intrigués, voire inquiets, face à cette bande de conspirateurs silencieux, qui se regroupent et restent là, immobiles, sans rien faire, en apparence… Puis repartent, très lentement, avant que de recommencer leur étrange rituel un peu plus loin…

On nous épie du coin de l’œil, on nous évite, on ricane, on chuchotte sur notre compte, on n’ose pas vraiment traverser cet espace urbain, cette scène d’écoute, où sévit une étrange  secte se livrant à un cérémonial mystérieux, regard perdu mais oreille actives,  bien qu’invisiblement actives…

Le silence qui règne au sein d’un groupe, groupe que l’on repère bien comme menant une action commune, concertée, étonne de prime  abord et questionne le passant externe, le non initié.

Quelle étrange  visite guidée au cours de laquelle ne s’échange pas un mot.

Ici, le silence questionne plus que le cri ou le geste collectif. C’est une posture méditative, finalement peu courante sur la place publique, une ambiance quiète et oh combien inhabituelle, voire déconcertante pour le regard extérieur, dans  un espace public partagé plutôt soumis à une trépidance ambiante…

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POINT D’OUÏE – PARCOURS D’ÉCOUTE AU MUSICA KLANKENBOS DE NEERPELT (BE)

La Marche comme une philosophie introspective, une poétique de vivre

Aristote emmenait ses disciples, les péripapéticiens, écouter son enseignement en marchant dans le quartier du Lycée à Athène. Jean-Jacques Rousseau, dans ses Rêveries d’un promeneur solitaire, entamait au sein de ses errances philosophiques une ultime réflexion inachevée. Il y questionnait ses relations avec les hommes, quitte à régler quelques comptes, et se remettait lui-même enquestion. Sa vie, ses passions, la liberté, le bonheur, la contemplation, la nature…. tout cela au gré d’une série de promenades.
Chaque promenade, parfois plus symbolique, métaphysique, que physique, soulevait une ou plusieurs questions philosophiquesexacerbées par une déambulation aux travers des paysages réels ou mentaux. Nombre de grands penseurs, tels Kant, Nietche, Gandhi, De Certeau… ont prôné la marche comme un acte favorisant l’exerciceintellectuel, la méditation, l’introspection, la résistance politique, dans des postures mentales plus ou moins erratiques, mais néanmoinsle plus souvent des plus fertiles.On peut penser à Arthur Rimbaud, « ce marcheur forcené » comme le définissait Marcel Proust, ou l’homme au semelles de vent selon Verlaine qui franchit le Saint – Gothard à pied, dans de très rudes conditions hivernales, écrivant ce faisant une correspondance (la lettrede Gênes) où L’esprit rimbaldien touche à son apogée, avant la grande rupture de l’Orient… « Rien que du blanc à songer, à toucher, àvoir ».
Sur un autre mode poétique plus doux, Jacques Réda, écrivain passionné de musique et de jazz, compose ses rêveries poétiquesurbaines au fil de L’herbe des pavés, en promeneur solitaire contemporain à la pensée inspirée et vivifiée par la déambulation au pas àpas. On pourrait ainsi multiplier les exemples de marcheurs qui, dans la nature ou en ville, exacerbent leurs réflexions intellectuelles, philosophies, poétiques, en mettant, dans tous les sens du terme, leur pensée en marche. C’est en prenant le temps de progresser aurythme de la marche, au pas à pas, que nous nous enrichirons de ces états de rêverie et de réflexion nées lors de nos déambulations pédestres.

Des marches sonores, démarches sonores

Signalétique et consignes d’écoute sur le parcours du Klankebos – Musica à Neerpelt (BE -Limbourg)

La marche sonore ou la promenade écoute est le fait de marcher dans le but d’écouter, de s’imprégner des paysages sonores, d’en jouir,et sans doute de les comprendre un peu plus finement, intimement, dans leurs fonctionnement, et constitue un geste performatif. Ce dernier est aujourd’hui reconnu dans le champ des arts sonores, parfois dans la sous-catégorie Sound Ecology, ou Acoustic Ecology,que l’on pourrait traduire ici en français par écologie sonore, soit une approche sonore environnementale, à la fois scientifique, sensible, esthétique.
 Au-delà des approches écologiques et artistiques, nous nous interrogerons sur des postures d’écoute impliquant des approches intellectuelles qui construisent, au-delà du simple fait d’écouter, des modes de perceptions et de prospections mentales, résultant d’interactions marche/écoute/environnement. La marche sonore induit des postures telles la rêverie, l’errance et la dérive, notamment la dérive inspirée de celle des situationnistes de Guy Debord, mais aussi à l’opposé, les repères sécurisants du trajet, du parcours, de l’itinéraire tracé, physique ou mental. Construire du territoire, de la pensée, des méthodes, des outils d’analyse, des cartes, du plaisir… l’écoute en marche joue par ses stimuli sensoriels un rôle des plus actif.
La marche sonore, instrument d’analyse et de construction du territoire
Outre la jouissance sensorielle, le plaisir lié à l’esthétique du paysage sonore, la marche constitue un outil d’analyse, de prospection, deconstruction, voire de modélisation d’un territoire. En marchant, on peut faire un état des lieux de ses sources sonores, des choses à entendre qui disparaissent au fil des saisons ou des transformation du territoire, de celles qui apparaissent, ou réapparaissent, des modifications subites ou progressives des ambiances auriculaires d’un site. Dans une promenade, on repérera différents lieux avec leurs caractéristiques propres, leurs effets acoustiques, leurs « couleurs » et ambiances.En effectuant différents parcours, urbains ou naturels, on pourra ainsi comparer plusieurs paysages sonores, ceux où l’on se sent bien, ceux où l’on se sent moins bien, voire-même agressé par certains bruits trop fortement omniprésents, hégémoniques. L’exercice répété de ces promenades nous donnera une oreille très sensible aux sons, nous permettant d’écouter attentivement de grands espaces comme des micro-bruits. Cette expérience fournira au promeneur-écoutant une faculté d’analyse accrue d’un paysage àl’oreille. Au-delà des mesures quantitatives, du nombres de décibels enregistrés, on pourra juger des qualités et défauts d’un territoire enanalysant ses environnements sonores spécifiques. Parfois, je me suis associé, comme un promeneur écoutant, à des paysagistes, architectes, urbanistes, pour faire entrer dans les études d’aménagement l’analyse qualitative de l’environnement sonore comme un critère important dans la construction d’un espace public. Penser un espace en chantier comme un territoire que l’on écoute aussi, où le confort de l’oreille, comme celui de la vue doit être envisagé en amont de l’aménagement permettra peut-être d’éviter certains dysfonctionnements paysagers où l’environnement sonore devient source de pollution et non de plaisir comme il devrait l’être. Une oreille avertie, entraînée devrait quasiment systématiquement être associée au regard de l’aménageur pour ne pas, une fois les aménagements réalisés, constater leurs dysfonctionnements sonores. On pourrait ainsi réduire la pose de murs anti-bruit tentant de« soigner » un environnement déséquilibré à l’écoute, si l’on prenait en compte en amont l’exigence d’une qualité de l’écoute comme un véritable facteur esthétique, mais aussi social et culturel.
In – Gilles Malatray – Des Arts Sonnants – Parcours d’écoute Musica Klankenbos – Neerpelt – Décembre 2011

Carte géotaguée des points d’ouïe – Parcours d’écoute au Klankenbos – Musica à Neerpelt (BE Limbourg)

Lire le dossier complet sur Academia (téléchargeable)

POINTS D’OUÏE – TRAVAILLER LES PAYSAGES SONORES

Travailler les paysages sonores ?

J’ai voulu travailler un paysage sonore de corons, mais on m’a dit que le son avait mauvaise mine !

J’ai voulu travailler un paysage sonore du journalisme, mais on m’a dit que le son avait mauvaise presse!

J’ai voulu travailler un paysage sonore de vignobles, mais on m’a dit de ne pas travailler en vin !

J’ai voulu travailler un paysage sonore du corps, mais on m’a dit que le son faisait tabou (la rasa ?)!

J’ai voulu travailler un paysage sonore de la guerre, mais on m’a dit que le son par trop désarmait !

J’ai voulu travailler un paysage sonore de l’église, mais on m’a dit que le son était de mauvaise foi !

J’ai voulu travailler un paysage sonore de la justice, mais on m’a dit que le son n’avait jamais connu de lois ! Idem pour le paysage sonore de la justice !

J’ai voulu travailler un paysage sonore de la cuisine, mais on m’a dit que le son avait trop mauvais goût !

J’ai voulu travailler un paysage sonore de l’écologie, mais on m’a dit que le son n’avait pas l’oreille verte !

J’ai voulu travailler un paysage sonore, mais on m’a dit que…

Alors, devant ces résistances, je me suis dit que le son avait vraiment quelque chose à dire, et qu’il fallait bien, à un moment ou à un autre, lui donner enfin la parole.

POINTS D’OUÏE – ECOUTE ET PARTAGÉ – UNIVERSALITÉ

POINT D’OUÏE – ÉCOUTE ET PARTAGÉ

@anja - PAS -Parcours audio Sensible à Vitry/Seine, quartier ds Ardoines - Desartsonnants/Gare au théâtre

@anja – PAS -Parcours audio Sensible à Vitry/Seine, quartier ds Ardoines – Desartsonnants/Gare au théâtre

De la chose écoutée

sa beauté supposée

l’écoutant retourné

des postures proposées

l’appel sonicité

auricularité

du lieu revisité

de ses reflets sonnés

points d’ouïe sonifiés

points d’ouïe signifiés

silence complicité

entente alltérité

dans la cité marchée

et de l’idée germée

le geste est assumé

celui de partager

qui semble s’imposer

au bout de l’écouté

comme seule vérité

POINTS D’OUÏE – MONS 2015

MONS LE SON !

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Revenir chaque année dans la même ville, en y marchant de jour comme de nuit, de haut en bas, de droite à gauche, en y cherchant sans cesse la petite ruelle discrète, en laissant trainer oreilles et micros, c’est un peu plus creuser un sillon de l’écoute au fil du temps.

Prenons par exemple la ville de Mons, je tente toujours d’en prendre le pouls bruissonnant, d’en faire saillir à l’oreille les plaisirs, comme les choses agaçantes, décevantes, voire franchement désagréables. Une galerie marchande couverte qui résonne joliment, avec comme signal la porte d’une librairie qui tinte agréablement depuis des années, des bancs, postes d’écoute au cœur d’ilots retranchés, dans des parcs discretement lovés dans la cité, ou sur des des hauteurs d’où l’on embrasse un panorama sonore intéressant, un beffroi qui ne sonne malheureusement plus que le dimanche, la grande rue, toujours polluée de sa muzac commerciale, le jet d’eau de la grande place qui a perdu, avec sa programmation, qui faisait varier la fréquence, l’alterrnance et la hauteur des jets d’eau, beaucoup de son intérêt, le rythme des ouvertures et fermetures des commerces, avec raclements de chaises et de tables sur les pavés rythmant la vie quotidienne aux beaux jours…

Une ville se dessine aussi par ses mille sonorités, de celles qui font que l’on s’entend plus ou moins bien avec elle. Une chose cependant est sûre, plus j’acoquine mon oreille avec cette ville, plus je m’y reconnais, dans ses travers et plaisirs, en faisant mien moult détails, repères, infimes choses sonores qui me donne peu à peu l’impression de m’approprier un peu plus l’espace, d’y trouver de belles affinités.

Texte écrit dans le cadre du festival d’arts sonores City Sonic et de Mons 2015

POINTS D’OUIE – VITRY SUR SEINE

BALADES EN ARDOINAIS

Vitry-Sur-Seine, zone industrielle des Ardoines, le jour, la nuit. quatre bonnes heures de marches, d’arrêts, épuisé mais repu de belles ambiances sonores… Une salle de karting, de nuit. Ambiance étrange, par des fenêtre aux vitres cassées, on entend un engin tourner sur une piste que l’on devine sans la voir. Réverbération de machine sur fond de ventilation assez puissante… Puis soudain, tout s’arrête, karting et ventilation, busquement. Une sorte de torpeur étonnée s’installe subitement sur la petite gare des Ardoines. Les RER, omniprésents, de près, tonituants, de loin, plutôt un feulement. Des rythmes de rails, de voitures traversant encore des rails, ça claque bien ! Un foyer malien. 3000 personnes… Des voix chantantes, des maïs grillés sur le trottoir, du linge multicolore, marché sauvage, des voitures bricolées, une vie mode fourmillière haute en couleur. Une barre metallique trouvée sur le parcours, elle sonne bien si on la fait rouler sur l’asphalte, réveille les zones calmes de tintements glissants. Elle permet aussi un jeu de percussions amusant sur les muliples grilles et portails métalliques des usines. Certains sonnent comme de véritables jeux de cloches, d’autres sont décevants. Deux cheminées géantes et silencieuses signalent une ancienne centrale thermique de chauffage urbain. Deux totems blancs et rouges, muets de sons et de fumées, que l’on voit sur quasiment tout le parcours. Un signal ardoinnais pour les habitants et les promeneurs noctambules. Des voitures, assez nombreuses en journée, et rares le soir, deux ambiances entre excitation et plénitude, lumière et obscurité. La nuit restera cependant en demi-teinte, ville innondée de lueurs oblige… La Seine, magnifique, auréolée des lumières de Maison-Alfort. Un dancing qui égrenne une étrange musique décalée, venue de nulle part dans cette forêt d’usines et d’entrepôts… Des vélos, des pêcheurs, des voix chuchottantes, au cœur de la nuit, feutrées. Une incroyable séquence sonore, sous des silos enjambant le chemin du rivage. En journée, deux péniches viennent de passer. L’eau s’engouffre progressivement, crescendo, dans de petits réservoirs de chaque côté du chemin, un mini tsunami provoqué par les bateux, à contre-coup, de plus en plus fort. Ça gronde, ça écume, ça ruisselle, ça gicle, ça étincelle de sons de chaque côté d’un pont de pierre. Des trous, sur ce même pont, font entendre l’eau qui s’agite sous nos pieds, à droite, à gauche, l’aquatique glougloute et noie nos oreilles de folles gerbes moussue. Ici, les mots connaissent leurs limites, quasi impuissants… Une multitude de paysages, de lumières, de sons, étranges et poétiques, de nuit.

ECOUTEZ – Carte postale sonore façon Desartsonnants

Reste à emmener ce soir des promeneurs écoutants, pour entendre et voir, sans doute tout autre chose…

Dans le cadre d’un travail entamé avec Gare au Théâtre de Vitry/Seine (Frictions urbaines/Balades en ardouanais) et son fondateur et directeur artistique Mustapha Aouar.

D’autres images ICI

POINTS D’OUÏE, ET DE VUE LA VILLE SONORE

Points d’ouïe – En ville et contre tout !

Lorsque nous avons commencé à m’intéressé aux problèmes liés à l’environnement sonore, avec l’association  ACIRENE, fin des années 80, nos étions esentiellement interpellés par des problématiques concernant des sites naturels, ruraux, tels les parcs nationaux. Certes, la ville, et surtout ses périurbanités se questionnait, et nous questionnait déjà sur les pollutions sonores, les nuisances, liées en grande partie aux flux de circulation routière, mais aussi à la cohabitation parfois tendue de certains groupes de population, dans des architectures tentaculaires de banlieue, typiques des années 60.

Bref, il semblait avoir deux faces du miroir bien distinctes, assez dichotomiques. L’une, plutôt rurale, associée à une certaine qualité de vie, l’autre urbaine, ou périurbaine, plutôt connotée comme difficile à vivre. Bien sûr, ces visions tranchées, même si fondées sur des constats avérés, ne sont pas, dans leurs approches en bloc, aussi représentatives de la réalité du terrain. La solitude rurale peut être, par exemple, toute aussi insupportable que la solitude des « grandes villes », et la paupérisation désertique des grandes plaines céréalières au niveau sonore, une véritable catastrophe. Le trop comme le pas assez sont aussi difficiles à vivre.

Pour en revenir à la chose sonore urbaine, la cité, au sens original du terme, cherchait donc, voire cherche encore, à se protéger, à s’isoler de ce qu’Elie Tête appelait « la grande bataille des sons ». Murs anti-bruits, triples vitrages, les bruits dehors et la tranquillité chez soi, quitte à fabriquer une forme d’autisme qui n’oserait plus ouvrir ses fenêtre sur le Monde.

Constat pessimiste, sans doute exagéré, parfois, qui fait que la ville tente d’exorciser le démon Bruit, et dans certains cas à le minimiser, sans pour autant remettre en cause les erreurs d’un urbanisme concentrationnaire voué à l’échec, et le fait que les problèmes de bruits ne sont souvent que l’infime partie visible de l’iceberg. Lorsque l’on gratte un peu le discours, on s’aperçoit que ce que l’on qualifiait de nuisances sonores révéle en fait bien d’autres peurs cachées. Peurs de l’autre, des rassemblements dans l’espace public, des deals, voitures incendiées et autres incivilités ou frictions urbaines.

Le danger d’intervenir sur les problématiques liées au son des villes est bel et bien le risque d’instrumentalisation politique, comme dans beaucoup d’actions culturelles relatives aux contrats de ville par exemple. Et ici le risque devient souvent réalité.

DAS - Bonne entente ?

Aujourd’hui, l’approche a quelque peu, fort heureusement dirais-je, changé. Certes, les conflits de voisinages et autres méfaits du bruit, proximité de grandes voies routières, aériennes, et bruits de voisinage, intérieurs/extérieurs, subsistent, mais il me semble que la prise en compte de l’environnement sonore urbain tend à se dégager des carcans de la pollution, du nuisible, de l’oppression, qui a prévalu depuis les années 80. Sans dénigrer les dysfonctionnements, les intervenants, tels les artistes travaillant sur le terrain, évitent de tomber, enfin je l’espère, dans un négativisme radical, une noirceur sonométrique, une impasse où seule les appareils de protection auditive s’offrent comme solution de repli, et c’est ici le cas de le dire, de repli sur soi…

La notion de paysage sonore, se superposant à celle d’environnement sonore, a fait émerger des idées plus sereines, sensibles, apaisées, laissant une place pour le rêve urbain, sans renoncer parfois, voire même en renforçant la volonté de défendre la qualité d’écoute, via une approche de l’écologie sonore post Murray Schafer.

DAS - Résistance tympanesque

Les arts de la rue, les arts urbains dit-on aujourd’hui, mais aussi d’autres expérimentations plastiques, performatives, ont conduit des artistes et collectifs à jeter une oreille plus ouverte, curieuse, décalée, sur une ville de plus en plus dense et complexe. Des balades et parcours sonores  non plus seulement pédagogiques, mais sensorielles, artistiques ont été, et sont développées dans un imaginaire assez fécond. Je citerai par exemple Décor sonore, le Collectif Mu, Ici-même Grenoble, Espaces Sonores, parmi d’autres. Le sons est aussi montré pour ses qualités intrinsèques, ses beautés, n’ayons pas peur du mot, ses surprises… On redécouvre, façon Max Neuhaus au cours de ses Listen, de belles plages de « musiques urbaines », des échos et des réverbérations qui colorent les sonorités de la ville, des ambiances parfois beaucoup plus riches que ce que l’on pourrait penser a priori. On laisse ainsi quelques idées bien arrêtées au vestiaires, telles : La campagne c’est beau, la ville c’est laid (à entendre). L’artiste se risque même à parler au politique en terme d’esthétique, dépassant la sacrosainte cohésion sociale… Et il ose aussi, qui plus est, aborder les aménageurs, urbanistes, architectes, paysagistes, écologues, pour discuter de sa vision, ou plutôt de son audition des choses. Enfin avec ceux qui juge un artiste suffisamment sérieux pour accepter de l’écouter, et de dialoguer de concert… Installer du son dans l’espace public n’est pas une mince affaire, surtout si l’on entreprend une action pérenne, ou tout au moins sur un long terme. Il faut savoir ne pas rajouter une couche de bruit, c’est à dire de dérangement, à l’existant. Pourtant, je reviens à Max Neuhaus, certains artistes ont parfaitement réussi le pari, d’amener un signal qualitatif dans un espace paupérisé par le trop plein de moteurs, ou au contraire un vide mortifère. Le simple fait, qui n’est d’ailleurs pas si simple que cela, de porter l’oreille de promeneurs écoutants (expression empruntée à Michel Chion) potentiels sur leurs lieux de vie, en insufflant dans ce geste une part de poésie, de rêve, d’émerveillement, constitue déjà un pas vers une écoute moins partiale, voire radicale, vis à vis de certaines approches politico-sociales dans lesquelles le discours sur le sonore est d’emblée biaisé.

Ceci dit, il reste un énorme travail pour creuser la piste des paysages sonores, tant avec les politiques, les aménageurs, les chercheurs, les artistes, que les habitants des cités, pour renforcer les rencontres transdiciplinaire.

DAS - Brouhaha et désordre Urbain

PAS – Parcours Audio Sensible, avec Geneviève Girod

Tour du lac d’Emprunt au Grand Parc de Miribel  Jonage

C’est Geneviève Girod, conseillère en management environnemental qui, outre le choix du lieu, guidera la marche.

Dix sept heures, fin août, la température est très douce, chaude même, le soleil luit tout ce qu’il peut, nous nous mettons en marche pour un tour de lac d’Emprunt.

L’endroit présente un entre-deux composé de sauvage et d’aménagé, comme un site naturel mais où la proximité urbaine se fait nettement sentir, ne serait-de qu’à l’oreille.

Le lac est de taille très modeste, le premier tour piétonnier, effectué en solitaire, m’a pris environ quinze minutes, quelques centaines de mètres de pourtour.

Il est niché au sein d’un immense parc métropolitain de 2200 ha, pas moins, site accueillant de grands et de petits lacs, issus pour la plupart d’anciennes carrières réaménagées. Réserve naturelle labelisée Natura 2000, avec une omniprésente de l’élément aquatique, c’est un espace protégé, dans lequel  nous trouvons une incroyable biodiversité de paysages, de plantes et d’animaux, que le citadin lyonnais peut venir apprécier facilement de par sa proximité avec Lyon.

C’est à coup sûr une grande richesse et une immense chance  que de pouvoir profiter de tels espaces à portée de ville.

Pour revenir à notre promenade, la quiétude du lieu impose quasiment une conversation à l’échelle de l’ambiance sonore, calme, sereine, pleine de respirations.

Nous nous fondons, plus ou moins consciemment, dans l’atmosphère du site, en respectant ses presque silences.

Il s’agit pourtant d’en parler, de raconter ce moment de déambulation, sans contrainte, en toute liberté.

La question de la narration, de sa forme, se pose donc, sous-jacente.

Beaucoup de sonorités, de lumières, d’ouvertures et de fermetures visuelles, nous donnent matière à conter, même si elles sont parfois difficiles à retranscrire par les mots. On y entend des voix, des aboiements de chiens réverbérés par la forêt et les nappes d’eau, des pas décrivant à l’oreille la texture des sols très variée tout au long du parcours, des éléments discrets mais bien présents, relevant de l’aquatique…

Le lac présente un écran lisse qui portent les voix et autres sons d’une rive à l’autre, miroir amplificateur acoustique toujours efficace..

Le monde animal est à la fois discret, acoustiquement ténu, mais bien présent, assez logiquement dans ce type d’espace.

De mémoire, il est parfois beaucoup plus présent, selon les heures,les saisons et les conditions météorologiques.

Dans notre conversation,  ne pas avoir peur du vide, des vides sonores, des blancs dit on en radio, en tout cas dans cette promenade.

Nous parlons du visible, de l’audible, de l’odorant, du sensible,  mais également des histoires connues et plus pittoresques du parc, de ses « mythes » et de ses usages, de l’agriculture péri-urbaine, des pratiques classiques ou plus exotiques, étranges, qui abondent sur un si vaste lieu.

Après un tour à un rythme plutôt apaisé, nous regagnons progressivement la ville finalement toute proche, et approchons de la route principale, très circulante.

Les sonorités deviennent progressivement plus denses, et, en comparaison du moment de quietude précédemment vécu, nous paraissent logiquement beaucoup plus agressives.

La problématique de la narration sonore, ou de la narration liée au paysage sonore, reste un questionnement en suspend. Que raconter et comment, via  ce mélange de parcours physique, de regard, d’écoute, de commentaires in situ, forcément partiales et fragiles dans leur improvisation du moment, à la merci de ce qui se passe, du lieu et du moment ?

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