Ébauche de charte pour une écosophie de l’écoute

Changer les perspectives, les points de vue et points d’ouïe, décaler les perceptions, se repositionner auriculairement, faire paysage à portée d’oreille.


Considérer l’espace sonore ambiant comme une installation sonore immersive, à ciel ouvert, une écoute installée qui fait œuvre par le geste même d’entendre sonner les choses, de les (ré)assembler mentalement.


Fabriquer des « musées et expositions du son » situés, sans autre dispositifs que les postures d’écoute, éphémères, nomades, évolutifs, maillant de petits ou de larges espaces. Imaginer et construire des lieux où chacun peut signer sa propre écoute. Prendre conscience de la complexité et de la fragilité des paysages sonores habités, en perpétuel chantier.


Rechercher et favoriser la sensation d’être baigné de lumières autant que d’ambiances sonores, d’odeurs et de choses palpables.

Arpenter un territoire par des marches écoutantes, expérimentées tout à la fois comme des outils de lecture et des processus créatifs.


Partager un commun audible, entendable et vivable, où le son serait d’emblée une cause entendue, esthétique, éthique, sociétale, et non seulement une nuisance, voire une pollution à combattre.,

Comprendre, enseigner, travailler le paysage sonore

Paysage sonore, Soundwalking, PAS – Parcours Audio Sensible.
Marche, atelier, conférence, conférence marchée, Conf’Errance…
@photo Luc Gwiazdzinski – Séminaire Rythmologies (@MSH_A @ENSATlse @EPFL…) “marche écoutante” sur le campus de Grenoble


Le paysage sonore n’est pas que bruit, nuisances et pollution.
Pas plus qu’il ne se conçoit par une approche essentiellement esthétique.
Le paysage sonore s’inscrit dans une construction sociétale, un geste d’aménagement, un cadre offrant des qualités d’écoute habitables, vivables. Il génère et est irrigué de référents culturels territoriaux, participant à une cohérence des espaces vécus, qu’ils soient urbains, périurbains, ruraux…
Prendre conscience, décrypter les ambiances auriculaires, les signaux, entendre leur capacité à raconter le territoire, comprendre leur force, aménité, fragilité, paupérisation, c’est intégrer de nouveaux outils relevant d’une écosophie paysagère agissante.

J’aborde fréquemment ces problématiques avec des étudiants, dans le cadre de cursus universitaires tels l’architecture/urbanisme/paysage, le design, la géographie, les beaux arts, la gestion de projets culturels… Mais aussi avec des professionnels, chercheurs, élus, citoyens écoutants…

J’encadre des ateliers qui croisent les approches esthétiques, écologiques/écosophiques et sociétales, via des lectures de paysages sonores, des analyses de terrain, des créations audionumériques contextualisées, des modélisations d’aménagements intégrant les ambiances auriculaires…

Je participe également à des chantiers concernant des requalifications urbaines, plans paysages, concertations, aménagements… avec des entreprises et institutions publiques et privées.

Les domaines des mobilités douces, santé, loisirs, tourisme culturel, sont également des champs où une oreille aiguisée peut devenir un atout dans une approche qualitative, sensible.

Le paysage sonore s’inscrit ainsi dans des démarches transdisciplinaires, par des réflexions et des gestes généralement inouïs, au sens premier du terme.

Si l’oreille vous en dit, je reste à votre écoute pour en discuter de vive voix.

Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

Lectures de paysages en points d’ouïe

  • Écouter un paysage, point de vue/point d’ouïe, approche auriculaire
  • Comprendre comment il s’entend, ses sources, ses plans sonores, ses effets
    acoustiques, les interactions sensibles
  • Les marqueurs sonores, récurrences et singularités
  • Les aménités et dysfonctionnements, comment s’entend t-on
    avec les lieux ?
  • Descriptions et captations, outils et méthodes
  • Parcours et points d’ouïe, écriture in situ
  • Repérages et inventaires de points d’ouïe remarquables
  • Les plans paysages et les ambiances sonores, vers une écologie acoustique,
    préservations, aménagements et écoutes prospectives

Document en ligne

Marcher, écouter, préserver, agir !

PAS – Parcours Audio Sensible, Saint-Pétersbourg – 2019

Si les marches écoutantes, notamment les PAS – Parcours audio Sensibles mode Desartsonnants, ont pour objectif de (ré)apprendre à écouter les paysages sonores ambiants, à y prendre du plaisir via des gestes mettant l’esthétique en avant, d’autres buts sont également recherchés.

La marche comme outil de lecture paysagère, d’analyse et de diagnostique, le fait de comprendre un peu mieux, par les parcours sensibles, les relations que le marcheur habitant ou visiteur, entretient avec les espaces publics, naturels, d’appréhender ce qui fonctionne bien, tout comme ce qui dysfonctionnelle, constitue une approche pragmatique non négligeable. C’est une. Moyen de se doter d’outils d’observation et d’imprégnation aussi simple, quoique, qu’efficaces.

Dans une volonté d’aménagement du territoire, notamment via des mobilités douces, le fait de tracer des cheminements piétonniers sensibles, au fil de l’eau, des trames vertes, des zones calmes, de fraîcheur, de relier différents quartiers en ménageant des points d’ouïe apaisés, constitue un axe de recherche important.

L’écoute permet de faire des états des lieux, des inventaires parfois, pour mettre en exergue les aménités paysagères, tout comme les lieux difficiles à vivre, c’est parfois un doux euphémisme. Cela devrait conduire à protéger ce qui doit l’être, des zones de belle écoute, de s’en inspirer pour des aménageants à venir, et de tenter d’améliorer le cadre de vie aux acoustiques détériorées, si ce n’est franchement polluées.

Au-delà des écoutes portant une « oreille musicienne » et esthétisante sur l’environnement, ce qui n’est déjà pas rien, il est une oreille pragmatique, celle qui va explorer et expérimenter des situations d’écoute active. Geste qui apporte, de par ses postures écologiques, si ce n’est écosophique, une dimension audio facto constructiviste, engagée, au service des espaces de vie et de leurs résidants.

Dans « Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen* » de Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio, le droit au silence est d’emblée revendiqué comme une valeur qu’il faut défendre à tout prix, comme celui de l’horizon. Sans aller jusqu’au silence total, ou alors dans dans une acception symbolique, il nous faut rechercher a minima le droit au calme et à la belle écoute.

Aujourd’hui plus que jamais, les marches écoutantes, comme toutes celles liées à des parcours sensibles, font partie des actes militant, sociétaux, pour préserver des espaces écoutables, supportables et au final vivables.

  • Ce qui ne peut être volé, Charte du Verstohlen, de Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio (éd. tracts Gallimard) 31 mai 2022

Écouter, et alors ? Et après ?

S’il est bon de prendre parfois des bains de sons, de se laisser immerger dans d’agréables ambiances sonores, des flux d’images acoustiques, de se faire doucement chalouper par des successions et superpositions de rythmes « naturels » entrainants, peut-on pour autant prétendre à une posture écologique ?

Au delà du plaisir hédoniste d’une belle écoute, ce qui est déjà un beau cadeau pour les oreilles, sans contrepartie ni processus énergivore, comment pouvons-nous aller vers une action plus engageante ?

Écouter pour comprendre, écouter pour agir.

Tendre l’oreille est déjà en soi un geste actif, volontaire, qui se démarque d’une écoute passive, subie, et de fait parfois contraignante, si ce n’est néfaste.

Écouter pour comprendre pourquoi, dans cette ville, ce quartier, ce village, cette rue, je m’entends bien, je me sens bien, alors que dans d’autres lieux je serai géné, si ce n’est agressé, peu enclin à profiter des espaces publics…
Que faudrait-il faire, parfois très simplement, pour mieux s’entendre, tant avec les lieux qu’avec ses occupants, pour que mon oreille s’y retrouve ? Une fontaine, un bosquet, des bancs publics judicieusement placés, le tracé d’un cheminement riche en sensations… ?
Comment penser l’aménagement d’une place publique, du chemin vers l’école, les commerces, le centre ville, comme des parcours sécurisés, agréables au marcheur, y compris dans ses ambiances sonores ?
Quels lieux pour se rencontrer, discuter sans hausser la voix, se mettre à l’abri à la fois des grosses chaleurs et des saturations acoustiques, dans de petits oasis de fraîcheur apaisés ?

Comment notre écoute active, peut-elle engager, partager ses réflexions, jusque dans la prise en compte effective, factuelle, d’aménagements urbains ou ruraux ?

De l’écoute/plaisir, on glisse, on superpose, on associe, une écologie écoutante, celle qui va poser les problématique du milieu sonore comme une façon de bien ou mieux vivre, s’entendre, dans toute la polysémie du terme, de cohabiter, prendre soin, porter attention, ménager la santé, les sociabilités, les mobilités douces, la qualité de vie en générale.

L’écoute comme un bien commun rendant plus vivables des espaces public, dans une époque pleine d’incertitudes anxiogènes.

Sans prétendre résoudre et résorber tous les problèmes, les fonctionnements, tensions, saturations, poser une écoute active et qui plus est collective, c’est déjà engager une participation citoyenne à portée d’oreilles.

Penser des parcours sonores comme des éléments qualitatifs et structurants

Il existe déjà, en ville comme en campagne, toute une série d’initiatives, d’aménagements, facilitant et valorisant le déplacement piétonnier. Le son et l’écoute restent néanmoins peu envisagés comme des vecteurs potentiels de bien-être, de mieux-être, associés à d’autres approches sensibles et quelque part fonctionnelles.
Envisageons ici, le fait que l’écoute et les marcheurs écoutant.es, soient plus impliqués dans des actions de terrain, des aménagements concertés, à portée d’oreille.

Esthétique et plaisir des oreilles : découvrir et profiter de points d’ouïe, d’ambiances et d’acoustiques remarquables, écouter et jouer des « musiques des lieux ». Organiser des espaces et parcours d’écoute, d’échanges, de diffusions douces, des créations sonores environnementales éco-paysagères, respectueuses dés équilibres auriculaires…

Tourisme culturel et éco-tourisme : Valoriser un territoire de façon originale, en l’écoutant. Mettre en avant les qualités des acoustiques dedans/dehors, sources patrimoniales (cloches, fontaines, parlers locaux, mémoire et histoire industrielles…), signatures sonores singulières, pédagogie de l’écoute… Veiller à ne pas envahir les sites fragiles et leurs habitats respectifs, humains ou non.

Mobilités douces : Penser des trajets reliant différents quartiers ou sites, en prenant aussi en compte leurs qualités acoustiques, évitant ainsi, autant que possible, des expositions trop bruyantes pour le piéton, tout en sécurisant leurs marches.
Inventorier les sentiers, parcs, espaces protégés, afin de cartographier un réseaux de circulations et de lieux de détente apaisés.

Santé et bien-être : Préserver et aménager des zones calmes qui, associées aux îlots de chaleur/ zones de fraîcheur, constituent des abris/refuges face aux sur-expositions de chaleur, de bruit, et souvent de pollution atmosphérique associée. Tracer des randonnées urbaines et périurbaines ponctuées d’oasis acoustiques, favorisant la marchabilité du territoire, le corps en mouvement, notamment dans des cités plus habitables.

Points d’ouïe, trames blanches, zones calmes et indisciplinarité

Qu’est-ce qui se trame dans la ville écoutante ?

Les trames, ou corridors écologiques, sont considérés, dans l’aménagement urbain, comme des continuités, des liaisons entre différents espaces, assurant une préservation, voire une reconstruction des écosystèmes urbains riches et diversifiés.

La trame verte comme couloir ou corridor végétal, la bleue pour l’eau, la noire pour la recherche d’espaces dépollués d’un sur-éclairage et enfin, dernière en date, la blanche pour ce qui concerne la qualité acoustique et certains degrés de silence, ou tout au moins de calme.

Cette dernière m’interroge tout particulièrement.
Comment penser des mobilités douces dans des espaces non saturés de bruit ?
Des continuités acoustiques préservant des espaces apaisés, des zones calmes (directive européenne juin 2002), associées aux cartes de bruit pour les grandes villes, autant d’outils qui ne sont pas forcément suivis d’effets, voire totalement ignorés dans l’aménagement urbain.

Travailler sur la mobilité, entre autre la marche, doit amener à reconsidérer ces notions, notamment celles de trames blanches comme un objectif qui permette au marcheur de se déplacer sans trop subir d’agressions, de pollutions sonores, de saturations acoustiques, voire de traverser ou de se reposer dans des points d’ouïe qualitativement remarquables.

Suivre un cours d’eau protégé des voies de circulation, traverser un grand parc paysager, emprunter un sentier urbain ou périurbain, pouvoir entendre de belles volées de cloches, s’arrêter dans des espace où la communication orale se fait sans tendre l’oreille ni hausser le ton, découvrir des effets acoustiques étonnants (échos, réverbérations, mixages)… autant de façons de penser et d’entendre une ville qui serait plus sonore que bruyante. Une ville qui aurait, pour reprendre la pensée de Murray Schafer, une certaine musicalité.

Malheureusement, peu de décideurs ou d’aménageurs prennent en compte, dans une approche globale autant que sensible, cette recherche d’une belle écoute, alors que dans les sondages sur la qualité de vie urbaine, le bruit est largement dénoncé comme une des principales gênes.

Comment le travail d’un urbaniste, d’un paysagiste, d’un acousticien, d’un artiste, d’un designer… Peut-il dépasser les simples approches normatives et métrologiques pour envisager des paysages sonores prenant en compte les aspects santé, sociétaux, esthétiques, patrimoniaux, qui participent au mieux vivre de tout un chacun.

L’approche relevant d’une indisciplinarité assumée, tel que c elle développée dans les travaux de recherche de Myriam Suchet et Laurent Loty prennent ici tout leur sens, et pertinence, sur le terrain complexe des ambiances sonores urbaines.

Il reste un très gros travail à fournir, ne serait-ce que pour la sensibilisation à un monde où l’écoute serait pensée en amont des aménagements, et où la question du sonore dépasserait, sans bien sûr l’ignorer, celle de la seule lutte contre le bruit.

Trames blanches, zones calmes et insisciplinarité sont des façons d’y réfléchir, pour envisager une forme d’écologie écoutante, une écoute partagée comme un commun auriculaire, une valeur ajoutée plus que nécessaire.

Les choses étant ce qu’est le son, à bon entendeur salut !

La ville ouïe ou non, de l’entendre au faire

Une ville à entendre, voire plus

Qu’est-ce qui y sonne joliment, ou non ?
Qu’est-ce qui nous surprend, éventuellement nous dépayse à l’oreille ?
Comment percevoir en priorité les musiques de la villes; les aménités auriculaires, les espaces qualitatifs ?
Quelle sont les zones calme, oasis sonores, ilots acoustiques privilégiés, protégés ?
Quelles sont les influences architecturales, topologiques sur les ambiances sonores ?
Quelles sont les rythmes de la ville, entre flux et cadences (heures de pointe, vie scolaire et étudiantes, marchés, présences de casernes de pompiers, hôpitaux, flux de circulation…) ?
Quels sont les émergences acoustiques (sirènes et alertes, Klaxons, cloches…) émergeant de la rumeur ?
Quelles sont les influences des activités, du zonage urbanistique (industries, commerces, ports, parcs, zones ce loisirs…) ?
Quels sont les plus beaux points d’ouïe, panoramiques, resserrés, ouverts, fermés, permanents ou ponctuels… ?
Comment circule l’a parole, se déploie, plus ou moins aisément, la communication orale ?
Quelles sont les influence atmosphériques, vent, pluie, orages, leurs perceptions et ressentis au prisme des topologies et aménagements… ?
Quelles sont les influences de la vie animale, sauvage ou non, dans la cité ?
Quelles sont les marqueurs et signatures sonores singulières (cloches, fontaines, spécificités locales…) ?
Quelles sont les plus belles acoustiques de la ville (passages ou bâtiments réverbérants, échos, effets de masque, de coupure, de mixage…) ?
Quelles sont les coutumes ou événements locaux ponctuels animant la cité (fêtes traditionnelles, vogues, marchés) ?
Quels sont les parlers locaux, langues, accents, expressions, marqueurs de brassages culturels…) ?
Existe t-il des cheminements préexistants, ou l’écoute tisserait un parcours cohérents, dans ses similitudes et diversités ?
Peut-on percevoir une sorte d’archéologie ou d’histoire sonore au travers des quartiers historiques, bâtiments, friches… ?
Comment convoquer des approches croisées, indisciplinaires hybridant esthétique, écologie, sociabilités auriculaires et aménagements… ?
Comment travailler l’indisciplinaire via des actions arts-sciences, des diagnostiques et expérimentations invitant aménageurs, chercheurs en sciences dures et humaines, décideurs politiques, artistes, résidents… ?
Comment définir des corpus et glossaires autour du son, de l’écoute, du paysage sonore, pour que chacun s’entendent (mieux) et élargissent ses approches respectives et mutuelles, le croisement de pratiques ?
Comment élaborer des parcours d’écoute, définir, signaliser, inaugurer, voire aménager des points d’ouïe ?
Comment le patrimoine sonore peut entrer dans une approche de tourisme culturel, de valorisation du territoire ?
Comment protéger les zones de belles écoutes, voire s’en servir de modèles pour un aménagement sensible et qualitatif de l’espace urbain?
Comment penser le son, les ambiances en amont, et non de façon curative, lorsque les dysfonctionnements et nuisances sont avérés, souvent difficilement réparables ?
Comment repérer, qualifier et exploiter des caractéristiques acoustiques situées, pour le jeu, la diffusion, la création de musiques, pièces sonores, installations et autres objets d’écoute ?
Quelles actions d’éducation et de sensibilisation à l’écoute urbaine mettre en place, avec quels publics (enfants, étudiants, résidents, pédagogues, aménageurs, élus…), pourquoi, comment ?
Comment agir en installant en priorité l’écoute, comme objet esthétique, outil d’analyse, d’aménagement, de création, sans forcément ajouter une couche sonore supplémentaire ?
Comment mettre en place des outils de représentation, d’inventaire, de qualification, description, travailler des cartographies sonores sensibles, des cartes mentales, partitions graphiques… ?
Comment user de différent média (mot, texte, image, vidéo, graphisme, danse, performance, son…) pour mettre et raconter une ville en écoute ?
Comment engager des processus de créations sonores (documentaires radiophoniques, multimédia, installations sonores, muséographies, parcours et mises en situation d’écoute…) suite à ces investigations et expériences in situ ?

Cette liste de questions et propositions non exhaustive, contextualisable, peut donner lieu à moult extensions, adaptations, hybridations, variations…
Ces questionnements sont pensés avant tout comme des leviers d’actions, des déclencheurs, stimulateurs, ouvrant un champ d’expérimentations auriculaires au final peu ou pas explorées.

Desartsonnants, novembre 2022

En parler plus en avant, impulser un projet de terrain, une rencontre : desartsonnants@gmail.com

Paysages sonores etc

Le son qui émerveille

  • La beauté d’un paysage passe aussi par les oreilles
  • Vers une esthétique des paysages sonores, les musiques des lieux
  • Des créations et installations audiopaysagères…
  • La recherche de points d’ouïe et d’acoustiques remarquables…

Le son qui soigne et prend soin

  • Prendre soin de la chose écoutée, de l’écoute et de l’écoutant
  • Prêter l’oreille et porter attention
  • le silence et le calme comme des droits fondamentaux
  • L’audiothérapie et le paysage, des oasis sonores
  • Des paysages sensibles ressourçants…

Le son qui aménage

  • Les outils et législations, cartes de bruit, zones calmes, trames blanches…
  • Des parcours d’écoute, marches sensibles et mobilités douces
  • De l’acoustique à l’esthétique, de la sonométrie à l’approche qualitative, de la norme au plaisir, du confort à la signature sonore…

Le son qui mémorise et valorise

  • La préservation des espaces sonores fragiles, des langues et dialectes, des signaux sonores qualitatifs, des traditions et savoir-faire sonores, inventaires des sites auriculaires remarquables*…

Le son qui questionne la pluralité et le complexité

  • Le paysage est d’une approche complexe, le sonore en est une constituante.
  • Le son n’est pas seulement une esthétique ou une nuisance, il s’envisage comme une façon de penser éthique, écosophique, philosophique, politique, poétique…

*Travaux d’Aciréne

Max Neuhaus, modifier la perception des lieux plus que les lieux eux-même  

  

L’exemple de Max Neuhaus  

  installer imposer ? 

Tout geste de création sonore s’inscrivant dans un espace public modifie généralement ce dernier en lui ajoutant une couche audible supplémentaire. L’artiste utilise ainsi tout un panel de système ou de dispositifs, amplifications électroacoustiques, installations acoustique ou non, interactions numériques, pour installer des sons destinés à être entendus par un (large) public. Que ces sons soient composés in situ ou non, plus ou moins en relation avec l’espace investi, ou totalement déconnectés du terrain, l’auditeur se verra proposer une scène acoustique qui modifiera généralement très sensiblement  l’espace d’écoute, jusqu’à parfois le phagocyter en imposant on hégémonie qui recouvrira l’essentiel de l’ambiance préexistante.

Les lieux sont ainsi grandement chamboulés, et parfois relativement malmenés, ainsi d’ailleurs que l’oreille des visiteurs par effet boule de neige.

Ce choix artistique peut cependant, dans une ponctualité événementielle, être assumé et pertinent, s’il ne s’impose pas sur des durées déraisonnable, voire nuisibles pour l’environnement et surtout ses propres habitants, humains ou non.

 Le choix du ménagement des lieux 

Si les lieux sont souvent sujets d’aménagement, y compris parfois sonore, pour le meilleur et pour le pire, nous parlerons ici de ménagement de l’espace public. Ménager un lieu, c’est tout d’abord en respecter ses qualités intrinsèques, ses équilibres, ou toutefois ne pas les amplifier, voire en ajouter de nouvelles. Dans le meilleur des cas, il faut également le garder relativement protégé de toute invasion acoustique trop prégnante, en tentent de rester dans des situations où l’écoute ne devienne pas trop fatiguante, où la parole et le dialogue puissent s’exercer sans trop hausser le ton, ou les surenchères pour se faire entendre malgré tout n’amènent pas un trop grand brouhaha urbain.

Le ménagement c’est le respect du site, mais sans doute surtout de ses résidents. Cette posture ne voulant pas pour autant dire qu’il faille tomber dans un immobilisme sclérosant, ou le territoire serait plus figé qu’un muséum d’histoire naturelle (à l’ancienne), sous prétexte de la garder dans son intégrité sécurisante et sans relief. On peut penser pour cela une façon de percevoir différemment le terrain, ses ambiances, de décaler ou d’amplifier les expériences sensorielles, plutôt que de chercher à  modifier ou à asservir le territoire via des expériences sonores trop présentes en puissance et en durée.

 Modifier les perceptions des lieux, façon Max Neuhaus 

Je reprendrai ici trois exemple d ‘interventions sonores plutôt douces de l’artiste Max Neuhaus dont je pense que les actions autant que les propos illustrent la posture respectueuse qu’avait l’artiste, à la fois des sites et des  écoutants potentiels.

Le premier exemple, sans doute pour moi un des plus emblématiques, est celui des soundwalks, ou promenades sonores, auxquelles il avait donné en sont temps nommées du nom évocateur de « Listen ». Rappelons que, dans l’esprit de John Cage qu’il admirait profondément, Max Neuhaus avait parmi ces objectifs artistiques, de faire sortir la musique des sacro-saints lieux de concert, pour aller l’offrir à un maximum de public. L’espace public, la ville, les rues se posaient donc comme un théâtre sonore des plus pertinents pour ce faire, à une époque où la chose n’était pas encore si courante que cela. Donc, au lieu de ramener dans les lieux de nouvelles sonorités, fussent-elles musicales, pourquoi ne pas envisager les ambiances sonores urbaines comme LA ou LES Musiques des lieux, qui se suffiraient donc à elles-mêmes comme installation in situ, à condition de les révéler comme telles. Sitôt dit sitôt fait, Un groupe de promeneurs écoutants était emmené au travers des lieux judicieusement choisis pour la diversité des sources sonore et des acoustiques ambiantes, comme un parcours qui offrait un concert de sons « naturels », sans autre adjonction de sonorités exogènes. Pour renforcer l’immersion, ou garder les visiteurs dans un état d’attention optimum, le mot « Listen » était tamponné sur leurs mains, leurs rappelant ainsi tout au long du parcours la motivation de cette déambulation. Max Neuhaus a ainsi proposé su plusieurs années à partir de 1966,  de nombreuses marches, d’usines en parcs, de places en gares, dans le but de partager dans sons sans forcément chercher à en établir une hiérarchie dans leur valeur esthétique, avec un public le plus nombreux que possible, et de préférence non averti, et tout en respectant l’intégrité territoriale puisque c’est juste son écoute qui installait des des sons in situ. Une façon d’axer l’attention sur la perception auditives sans modifier l’environnement initial qui fonctionne encore parfaitement un demi -siècle plus tard !

La deuxième œuvre de Max Neuhaus à laquelle je ferai référence ici est son fameux Time Square, installé à l’embranchement d’une grand carrefour de New York, à proximité de Broadway en 1977. Toujours dans l’idée de toucher un maximum d’auditeurs hors lieux dédiés à l’art, l’artiste utilise une « chambre  acoustique » constituée par un espace d’aération souterrain du métro, recouvert d’une grille donnant sur un passage piéton. Utilisant les fréquences de résonances du lieux, et se servant de cette cavité comme une chambre de réverbération, Max Neuhaus fera entendre  son installation dont le son s’échappera par la grille d’aération, en jouant sur des sonorités qui se distingueront de l’acoustique ambiante sans pour autant s’impose dans le le lieu, ou s’y frotter de façon véhémente. Les piétons, confrontés de façon inopinée  à l’œuvre, sentent qu’il se passe quelque chose, que l’ambiance n’est plus tout à fait la même que l’ordinaire, sans toutefois parvenir à dire en quoi consiste ce changement. Ils ne se doutent pas un instant qu’ils sont en fait postés sur une installation artistique. C’est bien encore une fois dans le décalage de la perception plutôt que dans une transformation radicale de l’espace de diffusion que se crée un nouveau paysage sonore qui se déploie très discrètement à l’oreilles des promeneurs, sans faire violence à l’espace public, mais plutôt en le questionnant délicatement. Il s’agit là de jouer sur un effet de surprise en colorant légèrement l’espace pour désorienter l’oreille du passant qui va se demander pourquoi il n’entend plus le lieu comme d’habitude, qu’est ce qui a vraiment changé. Jeu autour de la perception et de la psycho-acoustique. Et si le passant n’est pas un habitué des lieu, sans doute se demandera t-il pourquoi l’ambiance acoustique est si étrange en cet endroit précis, ambiance que l’on ne retrouvera pas sur d’autres grilles ‘aération du métro new-yorkais.

Je prendrai un troisième et dernier exemple, toujours tiré de l’importante production artistique de Max Neuhaus, pour continuer d’argumenter ces recherches perceptives, qui touchent au final plus le contexte paysager que l’œuvre elle-même, lesquelles œuvre se matérialisant comme une installation et diffusion de compositions sonores dans des espaces donnés. Ici, max Neuhaus ira encore cueillir le public dans un lieu inhabituel pour des installations artistiques : Les piscines. Lorsque l’on parle d’immersion, ou de bain sonore, quoi de plus naturel que de le proposer à des écoutants plongés dans des masses d’eau. Précisons ici que ce travail, réalisé lui aussi sur une série de lieux différents et sur plusieurs années, a été réalisé bien en amont de celui des concerts aquatiques de Michel Redolfi, tout début des années 70. En fonction des bassins de piscine, lMax Neuhaus installait des sifflets immergés, donc uniquement écoutables sous l’eau, les Water Whistle Series. Toujours dans cette volonté de modifier la perception des lieux, ici dans un milieu aquatique inhabituel, sans forcément faire subir à ces derniers d’importantes et radicales transformations.

Ces trois types lieux, une ville où l’on déambule, un square au centre de New-York et des piscines sont ont été des terrains d’expérimentations sonores  tout indiquées pour que Max Neuhaus puisse exercer son art, tout en finesse, sans même imposer l’œuvre d’art comme une œuvre d’art à proprement parler, je veux dire en tous cas dans la perception qu’en avait le public. Nus sommes ii dans une approche qui non seulement ménage les lieux, mais où le statut même de l’artiste omniscient s’efface pur laisser la part belle au seul paysage sonore. Il faut ici faire en sorte que le visiteur involontaire soit interpelé par une anomalie, plutôt esthétique, sans qu’il sache vraiment qui en est l’auteur, même si un cartel vient au final le renseigner sur le dispositif et son auteur.

Dans une société de plus en plus urbanisée, et dans des villes de plus en plus densifiées, Max Neuhaus prône une modération qui donne à entendre, sans rentrer dans un jeu de surenchère à qui parlera le plus fort, le paysage sonore lui-même, et c’est sans doute un des aspects des plus remarquables dans ces jeux de perceptions décalées.

Parce que l’urbanisme, l’aménagement, passent aussi par l’oreille !

Les ambiances sonores, parfois appelées paysage sonore, sont en fait très peu considérées dans les projet d’aménagements, urbains ou non. Si des études acoustiques métrologiques sont effectuées, si on prend en compte des normes d’isolation, d’isolement, de réverbération, principalement liées aux risques potentiels de « pollution sonore », quid des aspects qualitatifs, esthétiques, culturels… Et au final, comment dépasser la notion de s’isoler des sons – donc d’une forme de vie sociale – plutôt que de mieux vivre avec. Question problématique pour les émetteurs-récepteurs que nous sommes.

La recherche d’aménités audio-paysagères, de signatures acoustiques inhérentes aux lieux, d’ambiances dépassant le résiduel pour penser le conceptuel, de modèles d’aménagements où l’oreille, à l’instar de la vue, trouve aussi son compte… un projet qui devrait être aujourd’hui pensé de façon plus indiscipinaire.

Écoute t-on encore, dans nos villes, hors crise sanitaire, le son de nos pas sur des sols aux matériaux différents, celui du vent et de la pluie, des oiseaux et des fontaines, des voix ambiantes ? Échappe t-on à la chappe de la grande rumeur ultra motorisée ? Peut-on se parler sans élever la voix, ni trop tendre l’oreille ? S’habitue t-on, envers et contre tout, plus ou moins inconsciemment, à des formes de pollutions pernicieuses qui mettent à mal notre santé, notre équilibre ?

Peut-on prôner une belle, sinon meilleure scène auriculaire, préserver, (a)ménager des oasis acoustiques, des points d’ouïe cherchant une belle écoute, dans des cités parfois saturées de signaux qui mettent nos sens à mal ?

Un artiste sonore, musicien, designer… peut-il amener une « audio-vision » élargissant les approches quantitatives, normatives, vers des gestes sensibles, qualitatifs, esthétiques ?

Les profondes et inquiétantes transformations de nos éc(h)osystèmes ne devraient-ils pas nous pousser à penser de nouvelles formes d’aménagements où le sonore, entre saturation et paupérisation, serait également un critère de mieux vivre (ensemble) ?

Autant de question qui devraient, doivent, nous questionner sur nos rapports sensibles, esthétiques, nos inter-sociabilités, avec les espaces, tant publics que privés.

Point d’ouïe, le paysage sonore, une approche transversale

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Je pense, de plus en plus fortement d’ailleurs, que travailler la notion de paysage sonore pour elle-même, de considérer le point d’ouïe de façon autocentrée, n’est pas satisfaisant.
Cela réduit le champ de pensée et d’action à une visée esthétique qui, si elle demeure des plus intéressantes, reste en partie coupée d’une société où les interactions sont de plus en plus nombreuses et complexes, pour le meilleur et pour le pire. L’actualité nous le montre un peu plus chaque jour.

Il ne s’agit pas pour autant de se proclamer artiste spécialiste multi-compétences, pouvant répondre à de nombreux problèmes, possédant des savoir-faire et une super boite à outils universelle, cela relèverait de la plus haute fumisterie.

Il est plutôt question de prendre en compte un paysage sonore à l’aune de différents champs, où différents acteurs viennent croiser leurs compétences pour tenter d’analyser les situations de terrain et d’y apporter quelques réponses des plus pertinentes que possible. Réponses qui seront d’autant plus pertinentes si elles sont frottées à plusieurs enjeux, via différents outils de lecture, dispositifs, processus…

Le champ du paysage sonore est donc une des problématiques soulevées, en regard de questionnements plus globaux concernant des milieux spécifiques, qu’ils soient urbains, péri-urbains, ruraux, en sites naturels ou dans des aménagements touristiques, industriels…

Ainsi, les processus d’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’architecture, la gestion paysagère, les questions de mobilités, de santé publique, de loisirs, d’approches artistiques et culturelles… pourront questionner de concert les espaces investis.

Le rôle de l’artiste, que je suis en tant que promeneur écoutant, restant ici dans celui qui propose une approche sensible, notamment par l’écoute, le soundwalking (marche d’écoute) et autres PAS – Parcours Audio Sensibles, comme dans la création sonore paysagère. Ces approches venant décaler les perceptions pour donner à entendre autrement, voire à ré-écouter, pourront compléter des opérations plus techniques, par exemple en terme de métrologie, d’études des comportements…

Paysage géographique, topologique, visuel, sonore, territoire aménagé, espaces sensibles, le terrain est multiple, hétérophonique. Les habitants, les passagers, les visiteurs, les travailleurs… sont à la fois acteurs/producteurs, y compris d’émissions sonores et récepteurs, ou réceptifs, à une grande quantité de stimuli. Parfois tellement grande, avec des phases de saturation, différentes pollutions, qu’il faut s’inquiéter des conditions de vie, de travail, de santé, d’équilibre physique et mental, avant-même de rechercher le bien-être.

On peut travailler conjointement par exemple, la recherche de zones de fraicheur, en prévision de périodes caniculaires, liée à celle de zones calmes, de lieux isolés, ou tout au moins apaisés. Ce qui nous conduit à penser des cheminements piétonniers alliant ombre et calme, où l’aménagement urbanistique, paysager est soumis à différentes contraintes, entre fonctionnalité et plaisir, sécurité et dépaysement sensible…
En cela, l’approche de paysages sonores comme un composante d’un milieu global, qui ne serait pas traités uniquement en terme d’isolation de la pollution sonore, ni comme une seule mise en œuvre esthétique, mais aussi comme une recherche d’espaces de vie ou de loisirs socialement valorisants.

Comment mieux s’entendre, se comprendre, d’un regard et d’une écoute, pouvoir prendre le temps de marcher hors des grandes allées bétonnées, ou des sentiers battus ? Comment s’étonner de l’oiseau ré-entendu, pour rester dans une récente actualité, d’un ruisseau rafraîchissant, de bruits de pas sur différents matériaux, de bruissements végétaux, associés à des couleurs, des odeurs… ? Comment profiter de mobiliers urbains, bancs, abris, pour y faire des pauses, écouter battre le pouls de la cité, jouir de cadres amènes, discuter sereinement… ?

Il nous faut penser des espaces de socialité, où la rencontre est possible, voire privilégiée, comme une nécessité humaine non distanciée, sans trop de contraintes; réfléchir à du mobilier urbain, des aménagements qui soient aussi fonctionnels qu’agréables, non discriminants.

Ce sont pour moi des problématiques récurrentes, qui questionnent ma position de paysagiste sonore, sans tomber dans l’utopie du « tout est beau », mais en restant engagé dans un société où les urgences écologiques sont Oh combien trop négligées, si ce n’est écrasées par des logiques de développement véritablement mortifères.

 

L’écoute manifeste !

L’écoute est un bien commun !

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Depuis 1986, époque où une série de rencontres ont ouvert les oreilles du jeune musicien et horticulteur paysagiste que j’étais  sur l’environnement, le paysage, des choses ont changé, avancé, évolué, d’autres non.
Certains domaines, pratiques, ont reconnu, plus ou moins, la nécessité d’intégrer la chose sonore dans  des actions de sensibilisation, voire, mais encore très rarement, dans des projets d’aménagement du territoire. Je ne parle pas ici des études qui incluent des cartes de bruits, des impacts mesurés essentiellement en terme de volume sonométrique, quantitatifs, des mesures législatives et réglementations diverses qui, si elles sont absolument nécessaires, ne suffisent pas pour autant à a offrir une lecture et un panel d’actions réellement pertinentes.
Certes me répond t-on souvent, le côté esthétique et l’approche sensible sont aussi convoquées. Pourtant, lorsque je rencontres des ingénieurs, techniciens, étudiants, élus, et des habitants de grandes métropoles comme de communes rurales, je me rends bien vite compte à quel point l’environnement, le paysage sonore, au-delà de quelques poncifs, restent de grands inconnus. La majorité des personnes rencontrées ne raisonnent qu’en considérant le son comme source de bruit, pollution, gène, ce qui peut d’ailleurs s’expliquer face à des aménagements parfois radicaux de grandes cités, le développement de couloirs aériens pour le moins intrusifs, la voiture reine… Néanmoins, lorsque l’on promène ses oreilles ici ou là, et que de surcroit on emmène avec soi d’autres paires d’oreilles, lorsqu’on établit de nouvelles règles du jeu, ou de nouveaux modes de jeu, que le dialogue collectif nous permet de laisser de côté des a priori réducteurs, les choses changent. On peut alors envisager nos rapports au paysage sonore sous des aspects plus positifs, et surtout plus ouverts, découvrir des aménités paysagères par l’écoute, s’apercevoir qu’il existe de véritables oasis acoustiques en plein cœur des cités, une diversité sonore beaucoup plus grande qu’on aurait pu l’imaginer de prime abord, des zones de calmes à préserver, à protéger, d’autres restant à construire…
Je déplore souvent que la sensibilisation aux « bruits » ne dépasse guère le stade de l’animation où il s’agira de reconnaître et de nommer les sources sonores écoutées. Bien sûr, je caricature un brin, quoi que… Nous manquons bien souvent d’outils, mais surtout d’imagination, et sans doute du plaisir de faire, et de l’envie de se faire plaisir, et de faire plaisir ! Il faut entrer amoureusement, avec délice, jubilation, dans les arcanes sonores d’un lieu pour entreprendre ensuite des scénarii qui seront vraiment pertinents, en adéquation avec les espaces. On ne peut pas transposer d’un quartier à un autre, de villages en villages, de forêts en forêts, des recettes toutes faites, ne serait-ce qu’une simple balade sonore. Il faut commencer par donner l’envie et le plaisir d’écouter, en se détachant autant que faire ce peut d’un catastrophisme sonore permanent. Rechercher les aménités, c’est déjà considérer qu’il puisse y en avoir, quelque soit le lieu appréhendé, même s’il faut les traquer dans de micros écoutes, des espaces surprenants, des parcours décalés. J’ai appris, à force d’écoutes, d’errances, de repérages, à trouver assez vite  l’oasis (sonore) que cache tout désert, pour reprendre une pensée de Saint-Exupéry. Je réfléchis  beaucoup aujourd’hui, à la façon de transmettre ces joies de traquer de belles ambiances sonores, fussent-elles éphémères et parfois cachées. Je pense que cette quête du plaisir, voire du bonheur d’entendre, de s’entendre avec, est une clé pour ouvrir des approches plus intelligentes, variées, entreprenantes sur l’idée d’un paysage sonore qui pourrait aussi se penser en amont, et non pas tenter de se soigner lorsque le chaos s’installe, et pire encore, est déjà installé entre les deux oreilles.
Le partage d’écoute, au-delà d’un simple exercice pédagogique, est au centre du projet. La relation instaurée entre un groupe de promeneurs écoutants doit être forte, l’expérience vécue intense, quitte à bousculer le train-train d’une l’oreille assoupie, voir refermée, sclérosée par le ronronnement ambiant. Il nous faut savoir plonger dans ce ronronnement pour en découvrir, au-delà d’une apparente uniformité, mille richesses intrinsèques, comme lorsque la loupe vient nous révéler l’extraordinaire complexité, et beauté, d’une simple roche, feuille d’arbre, ou sillons d’une main. C’est avec ce regard/écoute aiguisé, excité, que nous devons nous défaire de jugements par trop approximatifs, ou excessifs. Pour cela, chaque lieu, chaque moment, chaque groupe doivent être envisagés comme une nouvelle expérience, qui nous conduira à rechercher des postures physiques et intellectuelles des plus stimulantes, ouvertes vers l’espace acoustique, mais  aussi vers l’homo-écoutant.
Dés lors, le rapport que l’on pourra avoir avec l’aménageur, l’architecte, le paysagiste, l’urbaniste, l’écologue, le chercheur, l’enseignant, le promeneur, sera sans doute plus riche, plus dynamique, et plus fécond.
Envisager des écosystèmes acoustiques comme des espaces certes fragiles, comme tout écosystème du reste, sous des angles esthétiques, avec une recherche de la « belle écoute », comme des espaces publics où l’oreille a aussi son mot à dire, est un défi à relever, pour moi, au quotidien. Considérer que le son puisse être un véritable patrimoine à gérer, à transmettre, que le son d’uns cloche ne se mesure pas seulement en décibels, mais aussi en terme de phare auditif qualitatif, qui vient lutter contre l’uniformisation de la ville-voitures, que l’implantation d’une fontaine doit être réfléchie en terme de puissance sonore pour ne pas écraser acoustiquement une place, tout cela ne s’impose pas vraiment comme des réflexions et réflexes naturels.
Le fait de reposer une oreille neuve, curieuse, aventureuse, réjouie, de consigner ses écoutes, d’échanger, d’expérimenter mille parcours et postures ad hoc en fonction des lieux, de concevoir des conditions d’écoutes inouïes, même très modestement, et peut-être surtout très modestement, en se contentant de décaler le quotidien, est un programme des plus passionnants, et qui plus est bien loin d’être achevé. Avant tout, même si nous vivons dans un monde qui semble s’emballer, pour le meilleur et pour le pire, il faut faire en sorte que la joie demeure, celle d’écouter, qu’elle se partage, qu’elle nous questionne, qu’elle nous pousse à réagir, à agir, qu’elle nous procure des espaces de bien-être pour affronter de multiples tensions, en faisant d’ailleurs en sorte que l’espace sonore soit plus une musique collective qu’une tension supplémentaire.

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