Point d’ouïe, indisciplinarités et entrelacs

L’espace sonore, celui que l’on appelle parfois environnement ou paysage, même si ces dénominations relèvent de réalités sensiblement différentes, est un tissu complexe d’imbrications et d’entrelacements spatio-temporelles. Nœuds, tissages, brisures, complexité, croisements, tout un champ sémantique appelant des pensées, actions et lectures où se tissent autant d’ouvertures que d’incertitudes inhérentes.

L’univers audible est peuplé d’interdépendances, de causalités parfois fugitives, inextricables, souvent difficiles à saisir dans leurs capacités à se transformer, apparaitre et disparaitre rapidement, furtivement, ou violemment.

Une forêt mise en écoute, en écoute consciente, active, profonde, est un exercice qui nous donne à lire un univers sonore complexe, où le végétal, l’animal, l’eau, le vent, l’humain, ses machineries comprises, cohabitent dans une partition qui s’écrit au fil du temps. Parfois se développent des ambiances plutôt ténues, ou au contraire d’une grande densité, en passant par toutes les phases intermédiaires. Un paysage d’accumulations et d’hétérotopies foucaldiennes.

Certaines sonorités se font recouvrantes, le passage d’un avion, d’un quad, masquant tout ou partie d’autres sons, devenant pour un instant hégémonique, envahissant, comme un surplus saturant. Un bruit, une nuisance, voire une pollution en quelque sorte.

À d’autre endroits, ou moments, l’équilibre entre des chants d’oiseaux et celui d’un ruisseau, le vent dans les branchages et le tintement orchestré des clarines de vaches au loin, nous permet de distinguer, voire déterminer, localiser, toutes les sources, y compris les plus mobiles.

Cet équilibre reste souvent fragile, dans un monde où la mécanisation, le mouvement, la vitesse, marquent Le désir humain de s’approprier, si ce n’est de maîtriser ses milieux de vie, avec les conséquences que nous connaissons et mesurons aujourd’hui.

L’approche d’espaces auriculaires nous aident à lire le monde dans ses (presque) tous ses états, parfois apaisées, et donc apaisants, comme dans ses situations de crises, chaotiques, où les dérèglements climatiques se font entendre, tout comme le bruit des armes. L’oreille saisit, ou subit alors, le chaos, dont nous sommes, nous humains, pas toujours étrangers, voire même souvent entièrement responsables.

Entendre cela, c’est une invitation à écouter dans toute la complexité des ambiances sonores révélatrices.

Œuvrons pour avoir une oreille et une pensée qui saisissent, ou tentent de le faire du mieux que possible, la polyphonie du monde, la diversité de ses voix, avec ses assonances, ses harmonies et ses dissonances.

Au-delà de la métaphore musicale, qui pourrait convier une oreille, en tous cas occidentale, à une notion de plaisir ou de déplaisir, de bien-être, de jouissance, tout comme à des situations stressantes, anxiogènes, à la limite du soutenable, se joue et se déjoue une immense fresque sonore aux entrelacs complexes.

Tenter de les comprendre, de les dénouer, nous poussent à les envisager sous différents jours, différentes approches, scientifiques, sensibles, où l’étude naturaliste côtoiera l’acoustique, les sciences humaines, l’aménagement du territoire, les arts, les sciences de l’éducation, l’action politique, et plus encore si affinités.

Via des approches interdisciplinaires, que j’aime aussi, empruntant aux travaux de Myriam Suchet, aborder sous l’angle de l’indisciplinarité, le chantier de décryptage s’annonce aussi ardu que passionnant.

N’étant forcément pas capable d’apporter des réponses crédibles et a minima fiables dans tous les domaines, tant s’en faut, nous pouvons néanmoins préciser quelques champs de recherches, de pratiques, par exemple dans l’exercice des recherche-action, recherche-création, permettant de frotter des expériences décloisonnantes.

De la lecture de paysages en passant par la requalification urbaine, ou la gestion d’une forêt, l’artiste sonore, via ses approches esthétiques, au sens large du terme, sensibles, poétiques, écoutantes, sera associé à un acousticien, un éco-acousticien, un paysagiste, un sociologue… Tous chercheront à mettre en place des corpus, des langages communs, des outils partagés. Cela en vue de donner une relecture, une « traduction » polyphonique d’un paysage, surtout celui du sonore.

Le mot traduction, littéralement « mené de travers », est sciemment emprunté au domaine littéraire, sémantique. Il s’agit de faire entendre à un maximum, de (re)lire, de façon accessible, un, ou plutôt milieux sonores complexes.

Les traversées indisciplinées, indisciplinaires, proposent de nouvelles lectures paysagères élargies, des formes de transpositions, encore un champ sémantique du monde musical. Ces dernières nous offrent de nouvelles approches poético-scientifiques, assumons la potentialité des paradoxes, via des croisements du sensible, de l’affect, et du « démontrable », mesurable, vérifiable.

Cette, ou ces relectures traversantes, ne doivent cependant pas imposer une totale maîtrise des espaces, par des normes ou cadres hyper figés, et au final paupérisants. Empruntons au contraire à Gilles Clément, dans sa pratique du Tiers-paysage, la notion de désemprise, de « non-agir », et à celle de Tiers-espaces d’Hugues Bazin, comme lieux de transformation sociale en mouvement.

Des espaces écoutés qui seront pensés en lieux d’ouverture plutôt que l’imposition de nouveaux carcans sociétaux, nous en vivons suffisamment ces temps-ci pour ne pas reproduire des modèles politiques ouvertement liberticides et cloisonnants.

C’est peut-être aussi, dans un monde emballé, à défaut d’être emballant, une façon de prendre du recul. Pour cela il faut aussi inclure du sensible, prendre le temps d’observer, d’écouter, convoquer des façons de ralentir, ce qui n’est pas simple dans des sociétés mondialisées, mondialisantes, où la productivité, la performance, la compétitivité règnent en maître.

Ces indisciplinarités, dans leurs polysémies, sont donc fortement marquées de process éthiques, politiques, au sens premier du terme, où une certaine philosophie de l’écoute, une écosophie sonore (Roberto Barbanti), ou écoutante, avec des approches liées à une éducation émancipatrice (Mathieu Depoil).

On ne peut pas ici, faire l’impasse sur la notion de communs. Ce qui nous relie, ce qui est mis en commun, comme des ressources partageables, ce qui est fabriqué ensemble, coconstruit, ce qui fait communauté… L’écoute est une chose, voire une cause commune, partageable, ainsi que tous les paysages sonores qu’elle, que nous construisons grâce à elle. Les droits culturels pointent ainsi, parmi les droits fondamentaux, le fait que chacun, non seulement puisse accéder à la culture, mais aussi y être acteur, ne serait-ce qu’en posant une oreille critique et impliquée sur le monde.

Tout cela constitue, pour moi et d’autres « marcheurs de travers », un vaste chantier en mouvement, au cœur des entrelacs sonores, tout aussi désarçonnant que motivant.

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, le 12 mai 2024 à Amplepuis

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Paysages sonores, une culture écoutante complexe et indisciplinée

Penser, raconter et construire des paysages sonores, cela implique pour moi de croiser, mixer, hybrider des approches, des savoir-faire, des récits, des imaginaires, des choses tangibles et immatérielles, des affects et raisonnements…
Cette posture personnelle, ébauchée, en chantier, souvent répétée, tripatouillée, ressassée, nourrit et stimule une soif de mieux comprendre et d’expérimenter des écoutes multiples. Ces dernières prennent corps, s’incarnent, en concevant une infinité de paysages sonores imbriqués, à la fois intimes et partageables.
Je note ici quelques approches, sans les hiérarchiser ni les développer, comme un canevas ébauchant une sorte de protopie* potentielle.

  • Le paysage esthétique, l’approche artistique, une culture des sensibles, des récits fictionnels en sons, mots, images, danses, théâtres, musiques, multimédia…
  • L’aménagement du territoire, la qualité d’écoute, un tourisme culturel, la recherche du silence, les territoires sonores bâtis, aménagés, habités, apaisés, équilibrés…
  • La santé, le bien-être, le soutenable, le supportable, le soin et l’attention…
  • L’acoustique, la bioacoustique, l’écoacoustique, histoires de vibrations, de communications( humaines et non humaines), les signes de vie et de disparition…
  • Le design sensoriel, fictionnel, prospectif, sonore, l’objet et les ambiances…
  • L’écologie, l’écosophie, l’écoute engagée, des militances, gestes politiques, fabrique de communs…
  • La philosophie, l’éthique, les sagesses auriculaires, la pensée d’écoutes multiples, partagées, questionnantes, clivantes…
  • La marche, le mouvement, les postures, des façons d’écouter et d’être écoutant.e.s, écouté.e.s…
  • L’approche patrimoniale, art campanaire, mémoire des territoires, cultures orales…
  • Les matières à toucher, l’eau, la nuit, la forêt, les choses intimes, les aménités, les ressentis, sentiments, affects et affinités…

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopi

 Paysages et territoires sonores, approches et écoutes imbriquées 

Plus j’avance dans les expériences de terrain et les réflexions, plus j’éprouve la nécessité de mêler, de frotter, d’hybrider, des pratiques, des champs sociaux, des domaines de compétences, des structures agissantes, des passions et des espoirs.

Au départ, il me semblait évident que certains domaines se croisaient notamment autour du paysage sonore, en œuvrant de concert. Pour ces derniers, les champs de l’esthétique, de l’acoustique et de l’aménagement des territoires paraissaient des alliés incontournables. Sur le terrain, les collaborations entre ces champs, et qui plus est la difficulté à trouver les espaces pour agir ensemble n’étaient, et ne sont toujours pas, pas si évidentes, si faciles à mettre en place. Cependant quelques timides expérience, art-science, art-action, art-territoire, voient le jour ici et là.

Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus complexe, frénétique, incertain, il me semble qu’il faut élargir encore les espaces de croisements, les interstices, les lieux aux possibilités hybridantes…

Je prends ici quelques exemples liés à mes activités en chantier.

Il y a quelques années, j’ai intégré un groupe de travail autour des thématiques Éducation Santé Environnement, où se retrouvent des professionnels de la santé, des activistes militants autour  de projets environnementaux, écologiques, des acteurs de l’enseignement et de l’éducation populaires, des techniciens des domaines de l’air, l’eau, le bruit,… Aujourd’hui, je me rends compte, via ce réseau,  à quel point le mouvement « One Heath » (une seule santé), prenant en compte les rapports entre humains, animaux, écosystèmes… présente des ouvertures vitales pour tenter de maintenir en bonne santé, à l’écoute, tout un monde en mal de rencontres, de respect, de bienveillance.

De même, mes approches, déjà anciennes, autour des PAS-Parcours audio Sensibles, m’ amènent à marcher avec des protagonistes des mobilités douces, à l’heure où il n’est pas toujours facile de traverser une ville à pied, et même une forêt! La marche dans tous ses états, y compris écoutants, est un levier pour arpenter et se frotter collectivement à un territoire de proximité. Mettre en branle des imaginaires en mouvement par la flânerie, l’errance parfois, est une approche philosophique et éthique, situationniste, qui donne du sens à la vie.

Un autre groupe de travail autour des rythmologies me montre que, dans beaucoup de domaines, entre flux et scansions, les modes de vie, les aménagements, la climatologie, les sciences de la terre, la réflexion entre arts, territoires, sociologie, philosophie… questionnent nos rythmes de vie. On constate des phénomènes d’accélérations croissantes, chroniques, en même temps que des besoins de ralentissements, d’apaisement, le tout impactant la qualité de vie au quotidien…

Un actuel projet autour de la présence acoustique des eaux dans les territoires, pointe les aménités, comme les fragilités, voire les périls liés des eaux nourricières, et pourtant si malmenées. La question politique de la gestion, et parfois de l’appropriation des eaux , problématique hautement conflictuelle, met en garde contre des risques majeurs de plus en plus probables. Écouter les eaux courantes ou dormantes, nous montre là encore les fragiles équilibres, parfois les points de bascule irréversibles.

Le croisement régulier avec des architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, donne des lectures transversales, indisciplinées, de territoires (acoustiques) soumis à de nombreuses évolutions, contraintes, dans des écosystèmes, ensembles urbains fort différents.

Les paysages sonores, envisagés comme des communs parmi d’autres, sont pensés et vécus à l’aune de rencontres stimulantes. Je pourrais ainsi continuer d’énoncer les espaces/temps où les échanges et expériences interdisciplinaires, malgré toute la difficulté de leurs mises en place, donnent des formes d’ouvertures dynamisantes, dans un monde parfois désespérant, qui semble s’acheminer inéluctablement vers un redoutable cul-de-sac.

 Eurythmie et indisciplinarité 

En réfléchissant sur des orientations possibles, issues d’un séminaire autour des « Rythmologies« , je repensais à cette phrase inscrite dans un texte d’intention : Réfléchir à « l’eurythmie », « beauté harmonieuse résultant d’un agencement heureux et équilibré, de lignes, de formes, de gestes ou de sons » définition CNRTL.

Mais aussi à celle-ci  « … y compris pour un séminaire Rythmologies, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie… »

Construire des formes esthétiquement, socialement, éthiquement, équilibrées, notamment via des gestes et des sons. Des gestes liés au monde sonore, des gestes d’écoute, par lesquels les constructions s’amorceront à mon échelle, via des recherches et expérimentations d’un paysagiste sonore, musicien et promeneur écoutant.

Mettre une oreille exercée, aguerrie à l’écoute, au service d’un projet tissé d’interdisciplinarités, est un chantier stimulant.

Arpenter les territoires, les ausculter, en convoquant des approches croisées, des méthodes et processus décloisonnés, c’est faire du terrain, de l’in situ, un laboratoire à l’épreuve   du pragmatisme in discipliné.

J’ai déjà, dans un précédent article, tenter de lister quelques axes de l’indisciplinaire, liés au(x) geste(s) d’écoute(s) et à l’action de marches écoutantes, aux expériences de terrain.

Ils me sont apparus comme évidents. J’en  rappellerai ici quelques uns :

Artistique, esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie, écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère. Préserver des territoires d’un tourisme de masse .

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités, rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores, les sociabilités auriculaires, les croisements quantitatifs/qualitatifs, normatifs/sensibles…

Pluridisciplinarité, indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, arts/action/création, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire…

Ces approches, ces axes, n’étant bien évidemment pas exhaustifs, ni hiérarchisés en termes de de priorité ou d’efficacité. Nombre d’autres eux peuvent se dessiner, s’expérimenter, s’affiner, au fil des écoutes, de leurs formats, objectifs, dispositifs, mobilités, contextes, rythmes et temporalités…

Pour revenir à une recherche eurythmique, qui porte en elle un désir d’équilibre, de stabilité, de beauté, d’harmonie, en réponse à un monde incertain et parfois anxiogène, je remets en question le statut-même  de l’écoute, de la marche écoutante, comme des façons d’être connecté et réactif au monde, aux territoires (co)habités.

L’eurythmie, comme la protopie*, sont des réponses plus positives que celles des utopies ou des dystopies, face à des situations si complexes, qu’elles en sont parfois démotivantes.

Devant ces complexités inquiétantes, il nous faut croiser les savoir-faire, les compétences, les idéaux peut-être, pour ne pas se sentir trop isolé, impuissant, une forme de résistance à construire et consolider sur le terrain.

Marcher, écouter, prendre le temps de faire, dépasse la rêverie d’un Eden potentiel, d’un âge d’or à retrouver, c’est prendre la mesure d’enjeux vitaux, avec leurs possibles comme leurs limites, leurs aménités et leurs difficultés.

Je prendrai ici un exemple pour moi d’actualité. Je m’appuierai ici sur le fait d’écouter le flux et les tourbillons d’un fleuve ou d’un ru, qui me questionne autant sur des équilibres esthétiques, nourriciers, que sur une mémoire toujours en chantier, une existence fragile, frottée à des accélérations de tous bords. Croiser sur ces cheminements aquatiques, liquides, mouvants, des hydrologues, navigateurs, pêcheurs, marcheurs écoutants, riverains, poètes, danseurs… c’est penser une eurythmie portant attention et soin à des territoires fragiles, à des habitants et passants de tous genres.

L’approche rythmologique indisciplinée, eurythmique, autant que faire ce peut, n’apporte pas de réponses parfaites, pas de solutions clé en main. Cependant, elle permet de mutualiser des compétences, affinités, voire militances. Voyons là des projets partagés, qui se renforceront en se frottant les uns aux autres, aux réalités du terrain, comme à celles de l’imaginaire collectif.

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopie-un-futur-plus-desirable-que-l-utopie-et-la-dystopie-reunies

Indisciplinarité

Je ressens aujourd’hui le besoin de faire cohabiter, voire collaborer, via le paysage sonore, mes deux métiers initiaux, à savoir l’horticulture paysagère et la musique, et par-delà l’univers des sons et des ambiances sonores, auditives.
A chaque PAS – Parcours Audio Sensible, la lecture du paysage, via l’écoute, convoque des approches esthétiques, écologiques ou écosophiques, environnementales, sociales, en essayant du mieux que possible, de déconstruire les barrières de spécialités cloisonnées. Ce que la chercheuse linguiste Myriam Suchet défends, en faisant un pas de côté, dans les champs d’étude de l’indisciplinaire. L’indisciplinaire se tient à la croisée des chemins et des pratiques, favorise le hors-cadre, met en avant la marque du pluriel.
A monde complexe, approche ouverte.


Un paysage au prisme de l’auricularité est hétérotopique, hétérosonique même, pour paraphraser Foucault. Ce sont des espaces-temps situés, souvent aménagés, littéralement d’autres lieux, des espaces autres. Ils tissent des couches de territoires entre imaginaire, symbolique, fonctionnalisme, continuités et ruptures… superposant des strates où le son a son mot à dire, à faire entendre.


Encore faut-il pour cela accepter d’entendre les polyphonies du monde, quitte à en perdre parfois ses repères, ou a se trouver pris dans un jeu de contradictions, de tensions/détentes, d’univers sensibles flottants et incertains.
Le paysage par les oreilles n’a pas toujours de frontières claires, de plans figés entre le très près et le lointain, ni forcément de caractéristiques esthétiques immuables, ou stables. Il est constitué de beaucoup de sources éphémères et d’ambiances toujours en mouvement, en transformation, parfois de façon rapide et déconcertante.
L’acousticien, le paysagiste, le musicien ou l’artiste sonore, le politique, en entendront chacun une version parfois bien différente, à l’aune de leurs expériences, savoir-faire, cultures, et du projet qu’ils portent en explorant et travaillant un lieu.
Chacun y défendra ses intérêts, parfois au dépend de ceux du terrain dans leurs étroitesses et rigidités, qui ne laissent que peu de place à des actions ajustables aux contraintes changeantes du territoire, et aux usages et perceptions multiples de ce dernier.
La perception, la lecture, l’interprétation, l’analyse, doivent avoir l’humilité de se savoir parcellaires, incomplètes, si ce n’est erronées, et ayant tout à gagner de brasser les champs de l’art, de l’acoustique, de la santé, de l’éducation, de l’économie, de la géographie, de l’action sociale, de l’éthique…
L’intérêt de porter une oreille ouverte et curieuse sur nos lieux de vie, de former des équipes pluridisciplinaires pour rechercher des gestes indisciplinés, d’hybrider des savoir-faire, des compétences, de ne pas enfermer le paysage sonore dans une audition unique et figée, une approche rigide, qu’elle soit sensible, quantitative, normative et légaliste, peut paraître une évidence, et pourtant, sur le terrain, il n’en va pas de soit, loin de là.
Pour des questions administratives, logistiques, économiques, financières, politiques, quand il n’est pas question d’égo et de prés carrés, les cohabitations-collaborations sont loin d’être aussi fréquentes qu’on pourrait le souhaiter.


Penser un paysage sonore comme un territoire équilibré, écoutable, habitable, apaisé mais non désertique et anxiogène, au sein d’un aménagement global, prônant des zones calmes, des mobilités douces, des espaces de fraîcheur, des lieux de rencontres, n’est pas chose simple devant la partition mille-feuilles des spécialités et des intérêts de chacun.
Or le monde accélère, se complexifie, mute à vitesse grand V, remet en question des problèmes où la survie-même se pose comme une préoccupation urgentissime,. Pour autant, dans un enfermement libéro-capitaliste aveugle, des collaborations faisant sens commun, dans l’écoute comprise ne sont pas vraiment favorisées bien au contraire parfois. On nous parle aujourd’hui de recherche-action, de recherche-création, d’Unité Mixte de Recherches, de pôles d’excellence transdisciplinaires, mais malgré tout, les barrières, contraintes et incompréhensions demeurent plus vivaces que jamais.
La seule répartition des budgets étant déjà en soi un sérieux obstacle à des projets qui se veulent fédérateurs.,


Là où l’indisciplinarité décloisonnante, qui tenterait de sortir des logiques productivistes, serait la meilleure alliée, où la lutte contre le bruit ne serait pas la seule finalité, mais aussi une volonté envisagée dans une habitabilité éthique, partagée, non soumise aux seules lois du marché, on trouve encore des résistances sciemment compartimentées.
Là où l’oreille devrait pouvoir se tendre généreusement vers la complexité des espaces esthético-socio-acoustiques, elle est enfermée dans des cloisons que nos systèmes politiques, au sens large du terme, consolident plutôt qu’ils ne les rendent plus étanches, plus adaptées à une construction d’espaces acoustiques pensés comme des communs, tant dans les sphères privées que publiques.


Les approches indisciplinés font sans doute peur, comme des gestes subversifs, plus difficilement surveillables, contrôlables, maîtrisables, dans le pire sens du terme. Aussi l’appareil politique, mais aussi certains puissants lobbys préfèrent-ils maintenir un système cloisonné, quitte à entretenir une forme d’immobilisme, de fuite en avant, dangereusement mortifères.


Oreilles de tous bords, unissons nous !

Penser et expérimenter l’écoute de travers(e)


Mettre l’écoute à l’épreuve de – L’indice s’y plie, nœuds – croisements – tissages

Questionner et mettre l’écoute en jeu, au sens propre, c’est à dire jouer par, avec, pour, contre, c’est la mettre (l’écoute) à l’épreuve.
Il est en effet très intéressant de mettre l’écoute à l’épreuve du son, du geste, du mouvement, des mots, de la pensée, des champs transdiscipinaires, et plus encore indisciplinaires…
Mettre à l’épreuve, c’est voir comment une idée, une action, une recherche, résistent à la confrontation, non pas pour les détruire, les amoindrir, les faire plier, mais bien au contraire, pour les solidifier, les enrichir d’interactions décloisonnées, indisciplinées, en capacité d’explorer de nouveaux chemins.

Mettre l’écoute à l’épreuve

L’écoute à l’épreuve des sons
Prendre conscience de
Mille sources audibles ou non
Des ambiances
Des acoustiques
Des vibrations tout ce qu’il y a de plus physiques
Des acouphènes, illusions, trompe-l’oreille
Des effets sonores
D’un monde auriculaire, esthétique, physique, sociétal
D’un répertoire, un inventaire, un classement
D’un joyeux fouillis dans l’oreille.

L’écoute à l’épreuve des mots
Décrire les sons
Les mettre en page, en mots, en prose, en vers, et contre tout
En faire récit, les historier, les romancer, les donner à lire
Partager des affects au fil des effets de styles, métaphores, synecdoques, métonymie
Faire trace, y compris avant l’ère des machines à capturer, emmagasiner, conserver les sons
Dire ce que les micros ne savent pas, et ne sauront jamais dire.

L’écoute à l’épreuve des gestes
Mettre son corps en mouvement, oreilles comprises
Danser l’espace, au fil des rythmes et des couleurs sonores
Marchécouter, soundwalker, aller vers, dans, arpenter les milieux auriculaires
Trouver des postures d’écoute, s’immobiliser, s’assoir, s’allonger, fermer les yeux, s’immerger
Bricoler des objets pour mieux entendre, ou différemment
Faire de concert, rassembler des synergies, des envies, des dynamiques.

L’écoute à l’épreuve de la pensée
Réfléchir au pourquoi et comment écouter
Aux statuts de l’écoute, de l’écoutant, des choses écoutées, des milieux sonores ouïssibles
Aux interactions multiples, sensorielles, tangibles, imaginaires, crées par le geste d’écoute
Au potentiel qu’a l’écoutant à changer le monde, même a minima, imperceptiblement
Au potentiel qu’a l’écoutant à communiquer, échanger, partager, si pour autant il prête l’oreille
A une éthique qui, ne fera pas la sourde oreille, dans les multiples tensions et détentes
A une façon de vivre les sons comme un besoin vital de faire communauté écoutante

L’écoute à l’épreuve de l’indisciplinarité
L’écoute croisant, tissant, hybridant, décloisonnant, moult champs, spécialités, savoir-faire
Des formes de recherches-actions puisant dans des hétérosonies singulières
Des tiers-écoutes maillant un large territoire de langues, de signes, de gestes, de pensées, de faire
Des espaces de rencontres interdisciplinaires, cherchant des points d’ancrage communs, ou dissemblables
Des terrains auriculaires où les certitudes, physiques ou mentales, font place aux questionnements
Des laboratoires d’écoute où l’expérience partagée, la curiosité sérendipitienne, sont immanquablement conviées

Scène d’écoute indisciplinée
Imaginons une forme de mise à l’épreuve comme une situation pétrie d’états conjonctifs, situation sans doute un brin utopique.
Un musicien écoute, joue, interprète, une pièce paysagère, à l’improviste, tandis qu’un physicien lui en explique les subtiles vibrations, qu’un écrivain en trace, en retranscrit les émotions, qu’un architecte en dessine des volumes habitables et audibles, qu’un danseur y entraîne tout le monde dans sa ronde, qu’un philosophe en cherche les résonances sympathiques, qu’un preneur de sons essaie de graver cet instant en mémoire, qu’un jardinier sème des fleurs comme des notes de musique, qu’un géographe tente de libérer l’écoute de frontières trop territorialistes, en trace une cartographie sonore ouverte, qu’un luthier conçoive des instruments ad hoc pour faire sonner la musique et l’espace, qu’un promeneur s’arrête à ce moment, sur ces lieux soniques, et entre dans la discussions et le jeu…
Imaginons plus encore, que chacun, à l’aune de ses affects et savoir-faire, se glisse dans la pratique, dans la peau résonnante de l’autre. Qu’il s’essaie à penser hors de son champs d’action habituel, d’entendre par les oreilles d’autrui, d’expérimenter par les gestes du voisin, d’expliquer au groupe, exemples et expériences à l’appui, ses façons de voir et de vivre les sons.
Mettons l’écoute de travers, à l’aune d’une indisciplinarité aussi fragile, incertaine, que féconde.

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Points d’ouïe, trames blanches, zones calmes et indisciplinarité

Qu’est-ce qui se trame dans la ville écoutante ?

Les trames, ou corridors écologiques, sont considérés, dans l’aménagement urbain, comme des continuités, des liaisons entre différents espaces, assurant une préservation, voire une reconstruction des écosystèmes urbains riches et diversifiés.

La trame verte comme couloir ou corridor végétal, la bleue pour l’eau, la noire pour la recherche d’espaces dépollués d’un sur-éclairage et enfin, dernière en date, la blanche pour ce qui concerne la qualité acoustique et certains degrés de silence, ou tout au moins de calme.

Cette dernière m’interroge tout particulièrement.
Comment penser des mobilités douces dans des espaces non saturés de bruit ?
Des continuités acoustiques préservant des espaces apaisés, des zones calmes (directive européenne juin 2002), associées aux cartes de bruit pour les grandes villes, autant d’outils qui ne sont pas forcément suivis d’effets, voire totalement ignorés dans l’aménagement urbain.

Travailler sur la mobilité, entre autre la marche, doit amener à reconsidérer ces notions, notamment celles de trames blanches comme un objectif qui permette au marcheur de se déplacer sans trop subir d’agressions, de pollutions sonores, de saturations acoustiques, voire de traverser ou de se reposer dans des points d’ouïe qualitativement remarquables.

Suivre un cours d’eau protégé des voies de circulation, traverser un grand parc paysager, emprunter un sentier urbain ou périurbain, pouvoir entendre de belles volées de cloches, s’arrêter dans des espace où la communication orale se fait sans tendre l’oreille ni hausser le ton, découvrir des effets acoustiques étonnants (échos, réverbérations, mixages)… autant de façons de penser et d’entendre une ville qui serait plus sonore que bruyante. Une ville qui aurait, pour reprendre la pensée de Murray Schafer, une certaine musicalité.

Malheureusement, peu de décideurs ou d’aménageurs prennent en compte, dans une approche globale autant que sensible, cette recherche d’une belle écoute, alors que dans les sondages sur la qualité de vie urbaine, le bruit est largement dénoncé comme une des principales gênes.

Comment le travail d’un urbaniste, d’un paysagiste, d’un acousticien, d’un artiste, d’un designer… Peut-il dépasser les simples approches normatives et métrologiques pour envisager des paysages sonores prenant en compte les aspects santé, sociétaux, esthétiques, patrimoniaux, qui participent au mieux vivre de tout un chacun.

L’approche relevant d’une indisciplinarité assumée, tel que c elle développée dans les travaux de recherche de Myriam Suchet et Laurent Loty prennent ici tout leur sens, et pertinence, sur le terrain complexe des ambiances sonores urbaines.

Il reste un très gros travail à fournir, ne serait-ce que pour la sensibilisation à un monde où l’écoute serait pensée en amont des aménagements, et où la question du sonore dépasserait, sans bien sûr l’ignorer, celle de la seule lutte contre le bruit.

Trames blanches, zones calmes et insisciplinarité sont des façons d’y réfléchir, pour envisager une forme d’écologie écoutante, une écoute partagée comme un commun auriculaire, une valeur ajoutée plus que nécessaire.

Les choses étant ce qu’est le son, à bon entendeur salut !

2023, cheminements auriculaires indisciplinés

Sentiers et chantiers d’écoutes indisciplinés

Dans ces périodes de crises multiples, ce à quoi il nous faut tendre aujourd’hui, ce n’est pas d’espérer que tout s’arrange avec un peu de chance et beaucoup de déni, mais bien de valider des solutions pragmatiques, expérimentées in situ, au gré d’actions indisciplinaires*.
Il est urgent de travailler à des solutions à l’échelle de nos territoires de vie, à portée d’oreille, où l’écoute et la gestion de territoires sonores auront leur mot à dire, à faire entendre, et participeront activement à la recherche d’un mieux vivre ensemble, soutenable et écoutable.

Des approches écoutantes in(ter)disciplinées

Artistique et esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités et rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores

Pluridisciplinarité et indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire

La thématique des paysages sonores indisciplinés est un sujet de recherche débouchant sur des ateliers, conférences et autres interventions in situ

Desartsonnants@gmail.com

Quelques faits de terrain Desartsonnants pour 2023

  • Tournée des balades sonores PePaSon – Pédagogie des paysages Sonores (Paris en Janvier, Marseille en avril…)
  • Semaine du son Lyon Forum des paysagistes sonores, ateliers formation, table ronde autour de l’écriture des paysages sonores…
  • Workshop Design sonore et Parcours d’écoute École d’art TALM Le Mans (72)
  • PAS – Parcours Audio sensibles en forêt et en ville – Tiers-lieu l’Atelier Amplepuis (69)
  • Fictions de la forêt, composition installation sonores sylvestre, actions pédagogiques, écritures audio-littéraires, parcours d’écoute – Libourne (33) – Association Permanence de lal ittérature et la CALI (Communauté d’agglomérations du libournais)
  • Paysage sonore Dedans/dehors, création sonore autour des paroles de détenus, familles, bénévoles – Maison d’arrêt et SPIP de Chambéry, association ASDASS (73)
  • City Sonic 2023, parcours et médiation radiophonique – Transcultures (Be)
  • Festival Back To the Trees Forêt d’ambre à Saint-Vit (25), parcours installation
  • Rencontres acoustiques et colloque CRANE-Lab (21), sobriété créative, arts plastique, composition acousmatique et arts sonores…
  • Groupe de travail Rythmologie, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie
  • Groupe de travail ESE (Éducation Santé Environnement), sons, écoute, bruit et bien-être
  • Actions pédagogiques et ressources PePaSon (Pédagogie du Paysage Sonore), partage de pratiques
  • Ressources création sonore Sonos//Faire, la création sonore dans (presque) tous ses états
  • Installation paysage sonore Grand-Parc de Miribel Zonage (01)

Et autres projets en gestation et en discussion…

En recherche de nouveaux lieux, partenariats, croisements de ressources et savoir-faire…

Parcours d’écoute, écritures sonores paysagères multimédia, pédagogies, design sonore, inventaire, valorisation et inaugurations de Points d’ouïe…

Inspirations

*« Car c’est ainsi que j’envisage une démarche indisciplinée : il s’agit avant tout de mettre en relation, d’établir des rapports, de (re)brancher l’Univer-Cité sur le monde qui l’entoure et d’accueillir les transformations suscitées par ces connexions affectantes. Tandis que l’inter- et la trans-discipline maintiennent intactes les frontières disciplinaires, l’indiscipline chamboule chacune des approches de l’intérieur : elle sort la recherche de l’institution universitaire, considère la création comme une forme de vie et le quotidien comme un espace d’expérimentations. Autant dire que l’enjeu n’est pas simplement de faire envisager les différentes facettes d’un même objet, tour à tour, par un spécialiste. À la manière du désir, du jeu et de la fête, la recherche indisciplinée cherche à ce que quelque chose de nouveau surgisse, se produise, que s’ouvre enfin le frayage d’un événement. C’est en cela que la recherche indisciplinée est, indissociablement, une forme d’action et aussi de création. »

Myriam Suchet « De la recherche comme création permanente« 

Points d’ouïe et milieux sonores indisciplinés

Discipline versus indiscipline, ou vers l’indisciplinarité*
La discipline est, pour être effective, ou efficace, encadrée de règles, de codes, d’obligations ou de suggestions, bien souvent (trop) stricts.
C’est aussi un champ, une spécialité, notamment professionnelle, pouvant généralement être marquée du même défaut que dans l’acception précédente, de par ses cadres trop cadrés.
L’indiscipline elle, est entre autre choses une façon de refuser une trop grande soumission, de faire un, ou plusieurs pas de côté, de résister à des carcans étouffants.
L’indisciplinarité, c’est être dans une forme d’in-discipline permettant de ne pas s’enfermer dans une discipline trop catégorisante, une spécialité qui nous collerait à la peau en nous contenant dans des pratiques bien balisées, nous laissant peu d’échappatoires.

Du paysage/environnement/territoire au milieu sonore
L’approche du paysage sonore induit une prise en compte de constructions esthétiques, artistiques.
L’approche de l’environnement sonore induit un axe écologique, écosophique.
L’approche de territoires sonores induit la considération des aménagements territoriaux, sociaux, législatifs, géographiques…
La problématique posée en termes de milieu sonore plutôt que de paysages environnements et territoires, comme angle d’attaque, permet de ne pas sur-cloisonner les axes pré-cités, de travailler avec différents corps de métier pour indisciplinariser des formes de recherche-action. On appréhende ainsi un lieu comme un système intrinsèquement complexe, tissé d’inter-relations, d’hybridations, de transformations toujours en mouvement. La complexité étant difficile à appréhender via des outils trop cloisonnants, ou des approches trop cloisonnées, l’indisciplinarité offre des ouvertures vers des formes d’inouï.

Mouvements, pauses et mobilités
Arpenter un lieu/territoire dans une approche sensible et kinesthésique, fait que le corps va se mesurer (arpentage), se frotter au lieu, s’immerger dans ses ambiances, les ressentir à fleur de pied, de peau, d’oreille..
Parcourir un lieu territoire, ou en écrire des parcours partageables, fait que le corps va s’inscrire dans des itinéraires, des cheminements auriculaires plus ou moins balisés, tracés, ou dans des errances convoquant les aléas des espaces et temporalités. Envisageons les parcours comme des sortes de partitions écrites, griffonnées, jouées, interprétées, en gardant une part d’improvisation, une marge d’inconnu, le risque de l’improviste.
Résider, être en résidence, fait que le corps habite, plus ou moins longuement, un lieu/territoire. Il y prend ses marques, ses repères, crée des pensées/actions in situ, des productions matérielles ou immatérielles, toujours avec l’intention de croiser les disciplines, au risque, assumé si ce n’est recherché, de les détricoter.
Se poser, c’est prendre le temps d’installer des points d’ouïe, donc d’installer l’écoute, de s’installer dans l’écoute, dans une certaine durée, ce qui participe à la conception d’une rythmologie alternant et entremêlant tensions et détentes, mouvement et immobilité.
Voyager, c’est faire en sorte que ce travail puisse se construire au gré d’ateliers nomades, même dans de proches distances, passant de lieux en lieux, de résidences en résidences, écrivant une trame géographique à la fois commune aux milieux sonores arpentés, et nourrie de singularités, d’opportunités, d’aléas.
Rencontrer, c’est profiter de l’occasion (kairos) de rencontres multiples, qui seront ici d’autant plus indisciplinées que ces dernières pourront être imprévisibles. Il faut donc se laisser, en plus du temps de faire, la disposition, la latitude, de rester ouvert à toute rencontre, surtout fortuite, surtout les plus improbables, qu’elles soit géographiques, humaines, sensorielles…

Du terrain à la réécriture interprétative, à l’aune de technologies ad hoc
Il nous faut commencer par l’écoute, la prenant comme base, comme socle de la perception, de l’immersion, déclencheuse ou enclencheuse d’écritures plurielles.
Nous pouvons user de la captation, enregistrer, glaner, collecter, recueillir, sons et ambiances, matières à re-composer, à installer, diffuser, partager, sans trop nous limiter à des choix très sélectifs, très cadrés.
Nous bidouillons des dispositifs audionumériques, audiovisuels, quitte à les détourner de leurs fonctions initiales, à en superposer les modes de jeux de façon anachronique, inusuelle.
Il s’agit là de jouer, rejouer, sonifier, interpréter, improviser, installer… des paysages sonores improbables.
Nous pouvons également avoir recours à des technologies embarquées, glisser du réel au virtuel, du factuel au conceptuel.
Au final, nous jonglons, jouons, brassons, décalons, des approches plurielles favorisant l’indiscipline, pour tenter de les rendre plus fécondes dans leurs pas de côté, leurs chemins de travers.

Il ne faut pas cesser de brasser, bidouiller, tricoter, tordre le cou, l’oreille, hybrider…

Vive l’indisciplinaire indiscipliné !