En hommage

Ce n’est pas une date anniversaire.

Juste une photo retrouvée dans un coin de mon ordinateur.

Élie Tête, Fondateur et âme vive de l’Acirène « Association Culturelle d’Information et de Recherche pour une Écoute Nouvelle de l’Environnement », décédé en 2009, est sans nul doute celui qui, le premier, m’a ouvert toutes grandes les oreilles. Celui qui m’a également donné à penser le paysage sonore sous toutes ses formes, et l’envie de partager et de transmettre des moments d’écoute où l’oreille est à la fête.

« Le retard accumulé dans le champ de la représentation du
sonore, se traduit dans l’aménagement, sous les traits d’une
friche qui à l’image d’un continent sous-développé, nécessite
ipso facto l’apport de gestes pour le hisser au rang de paysage
cultivé
. » Élie Tête, Aciréne, 2005

 Six bonnes raisons pour (se) construire des paysages sonores

PAS – Parcours Audio Sensible – Kaliningrad (Ru)

Du plaisir avant tout 

Dans une société où les tensions anxiogènes ne manquent pas, avoir du plaisir, à faire, à entendre, à écouter, est une chose plus que bénéfique, sinon vitale.

Bien sûr, le monde est complexe, brouillon, bouillonnant, parfois au bord de la saturation, et tout n’y est pas, tant s’en faut, réjouissant, y compris dans les scènes et ambiances sonores au quotidien.

L’oreille ne peut, par un coup de baguette magique, gommer les dysfonctionnements, ignorer les choses qui nous agressent le tympan, envahissent nos nuits.

Néanmoins tout n’est pas que bruit et déplaisir, y compris au cœur des grands complexes urbains.

A nous de rechercher, voire de construire, de préserver, des espaces où le monde sonne bien à nos oreilles, où la parole est intelligible, claire, non obligée de « passer par dessus ».

A nous de profiter de belles scènes acoustiques et autres points d’ouïe, une place où jouent des enfants, un marché volubile, une volée de cloches, les clapotements du fleuve…

Le plaisir est sensoriel, parfois sensuel, multiple, dans nos ressentis environnementaux, nos bains de sons. Il passe par la contemplation d’un coucher de soleil rougeoyant, l’odeur des croissants chauds au détour d’une rue, l’écorce d’un arbre que l’on caresse au passage, nos pieds foulant le sol, l’air frais du matin, la lumière qui nimbe la colline nappée de brouillards ténus, le soleil de printemps qui nous réchauffe enfin, les gazouillis qui se répondent dans le parc voisin…

Scènes de la vie quotidienne.

Tout cela peut nous paraître anodin, futile, peu digne d’intérêt. Et pourtant nous avons besoin de ces stimuli, de ces ambiances et repères entre autres auriculaires , qui vont rendre nos lieux de vie agréables, sinon vivables.

S’imaginer un monde gris, atone, sans relief, aseptisé, relève du cauchemar inspirant les pires dystopies science-fictionesques.

L’écoute procure, si on la laisse s’installer, de véritables émotions stimulantes, que l’on arpente la ville où qu’on l’entende de son banc, poste d’écoute et  point d’ouïe.

Et tout cela se construit, se favorise, se ménage et s’aménage, les postures d’accueil, l’ouverture sensoriel, le choix des lieux et des rencontres amènes… Nous ne sommes pas forcément dans des gestes de méditation, de transe, ni même de spleen ou de contemplation, simplement dans une réceptivité à fleur d’oreilles, de celles qui nous relient au monde.

Partager le plaisir 

Prendre du plaisir personnel, quasi hédoniste, est une bonne chose pour nous maintenir à flot. Le partager est encore plus riche.

L’écoute, dans un cadre d’action collective est donc, dans l’idée de construction relationnelle, au cœur du processus.

Marcher ensemble.

Écouter ensemble.

Faire ensemble…

Bien sûr, l’écoute collective ne sera pas la même pour chacune et chacun, même si les espaces et temporalités se superposent.

C’est même ce qui en fait sa force et sa richesse, le fait de pouvoir échanger sur nos ressentis propres, de partager nos émotions, parfois intimes, nos moments apaisés ou non, nos ralentissements dans une marche immersive, nos façons de nous entendre, plus ou moins bien, avec le monde, avec ses sonorités, avec ses écoutants…

Écouter de concert, c’est puiser dans un silence partagé, installé comme un rituel, une énergie, une synergie, que le groupe amplifie, comme une bulle qui favorise l’expression de nos affects.

Si l’après d’une déambulation auriculaire collective n’est plus comme son avant, une porte est alors ouverte sur de nouvelles expériences à venir, que les moments vécus ensemble auront sans aucun doute inspirés.

Que les déambulations s’appuient sur des perceptions esthétiques, écologiques, sociétales, urbaines, ou mieux, sur un mixe d’approches croisées, plus ou moins indisciplinaires, le partage d’expériences reste une manière de faire corps en restant ouvert à différentes sensibilités. l’échange, même non verbal de  savoir-faire est un terreau enrichissant nos inter-relations.

Façons plurielles de décupler le plaisir d’installer une écoute partagée.

Chercher à comprendre 

Si la curiosité est, dit-on, un vilain défaut, chercher à comprendre comment fonctionne notre environnement sonore, comment s’associent les sons, se génèrent les ambiances, évoluent nos bande-son au fil du temps, des événements, des aléas au quotidien, nous renseigne sur la façon dont, écouteurs-producteurs, nous vivons avec les sons.

De nombreuses approches investissant les domaines de l’écoute, physique, psychoacoustique, questionnent nos rapport au monde sonore, de ses modes de perceptions, d’analyse, mais aussi d’acteurs participants que nous somment à modeler, à fabriquer des scènes sonores, pour le meilleur et pour le pire.

Des outils de sensibilisation, des approches pédagogiques, des processus de description, de modélisation, croisant différents domaines des arts, des sciences, des problématiques éthiques, philosophiques nous aiderons à mieux comprendre les enjeux du sonore, notamment dans l’aménagement.

Être sensibilisé à ces problématiques participe à ce que nous soyons plus attentifs, non seulement au monde sonore lui-même, dans toute sa complexité, son côté éphémère et instable, mais aussi à nos propres gestes impactant le milieu et ses habitants, humains ou non. Questions de cohabitation oblige.

Depuis le travail de feu Murray Schafer les environnements sonores n’ont cessé d’évoluer, parfois dans le sens de raréfactions, disparitions, souvent dans un état d’accroissement, d’extension, de saturation, en tous cas pour ce qui est des grandes cités.

il est donc nécessaire d’accroître notre vigilance, de porter attention aux dysfonctionnements chroniques, aux pollutions parfois insidieuses qui nous rendent la vie difficile, faute d’espaces de calme où reposer nos oreilles et nos corps écoutants, parfois contre leur gré.

Malgré tout les dispositifs de filtres cognitifs, neuro-perceptifs, qui nous permettent d’effacer, d’atténuer ce que l’on pourrait qualifier ici de gêne, de choses plutôt négatives, brouillant souvent nos entendements, de paroles, de signaux et plus généralement de la lecture globale de nos milieux, nous sommes fortement impactés, voire perturbés par les sons ambiants.

Il est clair que l’on agira d’autant plus efficacement que l’on maîtrise le sujet, ici celui de notre cohabitation active avec les milieux acoustiques.

Il n’est pas cependant besoin d’étudier la physique vibratoire ni les neurosciences, il s’agit déjà, à la base, de rester à l’écoute et d’entraîner celle-ci à une lecture où plaisir et curiosité œuvrent de concert.

Défendre 

Si le fait de chercher à (mieux) comprendre  nos milieux sonores, à apprendre comment ils fonctionnent et évoluent, nous pousse à développer des sensibilités, et  peut-être des savoir-faire, cette curiosité activiste peut aussi faire de nous des militants de la belle écoute.

Nous touchons là le domaine de l’écologie sonore, prônée et développée par Murray Schafer, et plus que jamais d’actualité. Être sensible, sensibiliser, protéger, améliorer, construire, dans une idée écosophique, ou l’environnemental, le sociétal et le mental, sont portés par une éthique, une philosophie et une volonté d’agir plus que de parler, nous fait prendre la défense de ces milieux si fragiles que sont les espaces acoustiques.

Artistes, scientifiques, pédagogues, aménageurs, décideurs politiques… chacun à sa place, avec ses compétences, ses réseaux d’influence et terrains d’action, et si possible en interaction, peut se faire défenseur de paysages sonores, les plus accueillants et vivables que possible.

l’Éducation Nationale, l’Éducation populaire, l’enseignement supérieur et la recherche, les centres culturels, les festivals, les associations de terrain, les collectivités publiques,  autant de structures, de lieux, d’institutions, publics ou privés, où peuvent, voire doivent s’exercer des actions militantes.

L’apprentissage de l’écoute sous toute ses formes restant au centre de nos préoccupations d’écoutants impliqués, comme un levier  pédagogique incontournable.

De la « simple » promenade écoute, PAS – Parcours Audio Sensible, en passant par des actes performatifs, des créations sonores, installations interactives, des groupes de travail, séminaires, conférences, débats publics, interventions scolaires, publications, des études autour de la bioacoustique, de l’éco-acoustique… beaucoup de moyens d’interventions, d’actions de terrain peuvent être mis en place pour faire entendre la voix des défenseurs sonophiles.

C’est encore par le partage du plaisir de faire ensemble, et au départ d’écouter, de s’écouter, que se puisera sans  nul doute l’énergie militante.

Être sur le terrain, croiser les chemins de nombreuses personnes, mobiliser des énergies, expérimenter de façon transversale, quitte à emprunter les chemins de traverses, tout un champ d’action ne demande qu’à être activer.

Et c’est sans doute, au delà de tout discours, par l’expérimentation de terrain que passeront les actions les plus engagées et efficaces.

Expérimenter 

Plutôt agir que parler, même si la parole est source d’enseignement, d’échanges et de transmission, d’invention même, l’action de terrain reste la meilleure façon de faire vivre et évoluer des idées, des projets. Et donc ici, de construire des paysages sonores dignes de ce nom. Écoutables.

L’expérimentation, ou l’expérienciation, le fait d’acquérir des connaissances par l’expérience personnelle, sont donc moteurs dans ces constructions audio-paysagères.

Si je dis par exemple que le paysage sonore est particulier, spécifique, voire reconnaissable pour chaque lieu géographique, mon affirmation ne sera valide que si je l’appuie par des exemples concrets, si je prouve en quelque sorte sa véracité, son fondement.

Il faudra alors aller sur le terrain, tester plusieurs protocole d’écoute, temporalités, moyens techniques, façons de rapporter les résultats, de les comparer, de tester ces expériences sur différents lieux, à différents moments, avec différentes personnes, de diffuser l’information…

L’expérience joue ici un rôle déterminant. Tout d’abord pour mettre en place un processus efficient. On déclinera ainsi plusieurs variations dans les modes d’actions possibles, pour que la notion de paysage sonore prenne vie, peut-être sous forme de différents modèles, typologies.

Expériences humaines, relationnelles également, quels groupes, comme travailler en équipe, à combien, croiser des expériences… Comment se répartir les tâches, croiser nos savoir-faire, et surtout, vibre en ensemble une expérience auriculaire riche pour chaque membre du groupe ?

Expérimentations de matériel, d’outils, de méthodes.

A chaque visée, à chaque lieu, des façons de faire, de penser, de récolter, d’analyser, de construire… Il m’est difficile, sinon impossible, de concevoir une méthode clé en main, transposable à l’identique d’un endroit à l’autre, sans que l’expérimentation de terrain n’implique la mise en place de gestes et de stratégies appropriés.

Expériences de transmission, de diffusions, de traces tangibles.

Rapporter les faits et gestes, décrire, analyser, tirer des conclusions, ouvrir de nouvelles investigations, diffuser, vulgariser… L’expérimentation va là aussi nous aider à trouver des supports ad hoc, des réseaux, des relais, partenariats, sans se cantonner dans l’utilisation de modèles clé en main, figés, mais vers des solutions plus adaptatives en regard du terrain;

L’expérience de terrain est, dans toutes les phases, primordiale. Le terrain est laboratoire. On part de l’expérience in situ pour se forger, au fil du temps, une expérience globale. L’expérience professionnelle comme on dit. Celle qui nous permet de réagir à terme, assez rapidement, selon les contraintes des projets, à la mise en place d’outils répondant au besoins, ou à leurs adaptations, si ce n’est à l »invention » de nouveaux outils.

Avoir fait une belle expérience, c’est avoir vécu et qui plus est entendu de fort belles choses, qui resterons gravées en mémoire, qui jalonneront notre parcours, chacune  apportant une petite pierre à l’édifice sonore en continuelle évolution.

D’ailleurs, dans le mot expérience, il y a expert, ou expertise. Par l’expérience, et l’expérimentation, on devient « expert », expert en perpétuelle construction  certes.

Cent fois sur ton métier tu remets ton ouvrage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écoutant qu’on devient écouteur, c’est parce qu’il y a des écoutants qu’il y a des paysages sonores… Suite de maximes avérées.Et croyez moi, j’en parle d’expérience.

Confronter  

Confronter, se confronter à, littéralement en face à face, de front à front, proche d’ailleurs du fait de s’affronter…

Mais ici, évacuons la notion belliqueuse, ne montons pas au front, prenons la confrontation dans son sens plus positif, celui d’espaces de comparaison, de frottements, de rencontres et d’échanges. Et c’est dans le sens de la rencontre, non pas guerrière, mais plutôt en la pensant féconde en échanges que la confrontation s’opère ici.

Confronter des paysages.

Imaginons.

Plusieurs parcours, plusieurs points d’ouïe, plusieurs moments, plusieurs contextes…

Chacun singulier, dans ses événements, son déroulé, les enchaînements,  les itérations, les superpositions d’ambiances, de sources…

Les comparer, en tirer de chacun la substantifique moelle, les faire de croiser, s’entre-écrire, se fictionnaliser, de façon à proposer une série d’expériences parfois improbables mais Oh combien stimulantes.

Confronter les participants

Imaginons.

Acteurs sur différentes actions, acteurs de différents champs, confrontons nos vécus sur un projet commun, ou pourquoi pas, sur l’ensemble de nos activités. Ne pas garder pour soit mais avoir l’envie de créoliser, d’hybrider, de malaxer une pâte aux ingrédients multiples, penser et pratiquer une ouverture sur de multiples possibles offerts à la rencontre.

Confronter les moyens

Imaginons.

Comme des coopératives qui mettraient en commun(s) des savoir-faire théoriques, techniques, opérationnels, allons plutôt vers le partage que le pré carré aux « secrets » jalousement gardés.

Concoctons ensembles des dispositifs, outils pédagogiques, ressources open sources, développons des passerelles participatives, des portails et autres outils qui confrontent, sans esprit de concurrence, et croisent nos projets.

Ces confrontations positives, bénéfiques, sont parfois inscrites dans des réalités de terrain, mises en œuvre, expérimentées, et parfois restent en formes de vœux pieux,  de choses potentiellement faisables à plus ou moins long terme, voire de parfaites utopies dans des tiroirs oubliés.

Osons néanmoins confronter idées et  réalisations, acteurs et savoir-faire.

Osons faire en sorte de sortir de notre petite niche confortable, pour que les raisons et les motivations de construire des paysages sonore écoutables et vivables restent plus que jamais une priorité d’actualité.

Et comme je le répète régulièrement, les choses étant ce qu’est le son.

Paysages sonores singuliers, des ambiances

L’écho des falaises
la quiétude des cimetières
les réverbérations et signaux des gares
la gouaille des marchés
le bouillonnement des ruisseaux
la rumeur des belvédères urbains
le silence habité des églises
le bourdonnement des avions
l’électricité grondante des orages
l’onirisme de la nuit
le grondement des boulevards
l’apaisement des jardins
le ressac de l’océan
le tintement des cloches
les chuchotis des bibliothèques
le fracas des cascades
le feulement du vent
la vie qui s’écoule
la vie qui s’écoute

PAS – Parcours Audio Sensible à Blois, Symposium FKL « Inouïs paysages »

Départ du PAS – @FKL

Contexte, Blois, École Nationale Supérieure de la nature et du paysage, Symposium international FLK « Inouïs paysages », Le CRESSON, le 29 octobre 2021 à 18h00.
Je suis invité, de façon quasi inaugurale, à proposer un PAS – Parcours Audio sensible, façon de mettre nos oreilles à l’épreuve du terrain.
Il faut donc, et j’arrive une journée avant l’entame des rencontres, que je sache où aller, que dire, quelles ambiances faire entendre, comment et où mettre en scène une petite histoire sonore de Blois à l’oreille, parmi tant d’autres.

A noter que je n’ai jamais mis les pieds, ni les oreilles, dans cette ville, que j’ai donc découverte pour l’occasion, de haut en bas, si je puis dire. En effet, ayant déjà traversé d’autre villes du Val de Loire, je m’imaginais une cité avec une topologie plutôt plate, sans grands reliefs. Ma première journée de repérage et les différents trajets que je ferai dans Blois, me montreront à quel point je m’étais trompé, mes mollets ayant été mis à rude épreuve dés le premier arpentage. Ceci dit, les villes pentues ont cela d’intéressant qu’elles offrent moult points d’ouïe, dont de belle situations d’écoute panoramique, de là où saisir la rumeur de la ville et ses émergences parfois singulières.

Tout commence donc, comme à l’accoutumée, par un repérage préalable.
Naturellement, partant du quartier de la gare, en hauteur, là où se tiendra notre camp de base pour quelques jours, mes pas me conduisent vers la vieille ville, vers la Loire. Comme beaucoup de cités lovées sur les rives de la Loire, on déambule entre châteaux et belles demeures historiques, dans de petits centres villes cossus, où les pierres transpirent un passé s’affichant à chaque coin de rues. Et comme beaucoup de ces villes un brin monuments, la piétonisation de certains quartiers attire le passant flâneur, encore assez présent en journée, en cet fin d’octobre aux températures plutôt clémentes.

D’escaliers en ruelles, de places en terrasses, la déambulation est assez agréable.
Néanmoins, je ne trouve pas vraiment les ambiances sonores, ni le dépaysement trivial, voire un brin canaille dont j’aurais envie ce jour là. Envie de sortir des sentiers battus un poil carte postale, où la vue a tendance à éclipser l’écoute, et où de plus, la voiture est très présente.
Je remonte sur les hauteurs, l’oreille dubitative, et me perds, ce qui est fréquent chez moi, pensant revenir vers la gare en partant à l’opposé. Jusqu’a ce que je demande mon chemin, façon pour moi beaucoup plus conviviale de me retrouver sans l’aide d’un GPS smartphone, que du reste je n’ai pas.

Et c’est là, par cette errance improvisée, que je découvre le fil rouge de mon parcours en gestation, via un petit chemin longeant un cimetière, et surplombant les voies ferrées en sortie de gare. Mais nous en reparlerons plus tard.

En ouverture des rencontres, le PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants va donc être mis en chemin d’écoute. On présente son auteur en le qualifiant de « sound lover », ce qui ne peut que réjouir ce dernier, la formule lui convenant tout à fait, après que l’ami Michel Risse, de Décor Sonore, d’ailleurs présent à ce parcours, l’ayant qualifié un jour de « Lobe Trotter » !

Quelques mots en introduction, pour mettre en condition d’écoute, sans toutefois théoriser ni conceptualiser à outrance le parcours à venir, juste pour le mettre en situation. Nous évoquons une invitation à l’écoute de l’infra-ordinaire, posture sensible énoncée par Georges Pérec, pour faire du quotidien, de ce que ni les médias, ni même les acteurs locaux ne regardent ni n’écoutent à force d’habitude. L’immersion inconsciente dans des espaces publics a priori anodins rend en partie sourds et aveugles les usagers et passants de tous crins. Il nous faut donc, oreilles en veille, corps réceptacle, nous rebrancher sur ce déjà (trop) vu et entendu. Pour être dans le sujet des rencontre, il nous faut retrouver, voire fabriquer de inouï en partant du quotidien, de l’in-entendu qui deviendrait pour l’occasion inattendu, du trivial qui se ferait événement sensible, esthétique, tout cela dans une posture collective.
Dans cette idée qui, au fil des années, s’affine et se fait incontournable; il s’agit, avant que d’installer des sons, d’installer l’écoute, comme on ferait une sorte de scénographie sonore. Installation dynamique et collective en marche, rythmée de points d’ouïe. Installation sonore à 360°, prenant la ville, ou une partie de ville comme cadre, théâtre de monstration. Installation présentant bon nombre d’aléas, et aussi d’interactions écoutants sonorités ambiances lieux arpentés. Gestes collectifs… Installation qui prône une non invasion sonique de l’espace public, s’appuyant d’abord et avant tout sur l’existant, le déjà en place, le prêt à ouïr. Installation en mode écho logique.

Cependant, sans que tout cela ne soit annoncé de façon trop péremptoire, installer l’écoute implique, pour laisser la place aux sons, d’installer le silence. Non pas silence des lieux et de leurs acteurs le partageant au quotidien, mais silence partagé du groupe. Un silence qui, paradoxalement peut mettre un collectif d’écoutants dans une bulle d’écoute intime, personnelle, mais aussi souder un groupe dans un premier geste commun qui serait de faire silence, action active comme l’indique sa tournure grammaticale, pour mieux entendre, pour mieux s’entendre. Et avec ta ville, comment tu t’entends ? La question est posée de façon polysémique.

C’est donc dans cette idée que s’ébranle un long, très long cortège, en regard des jauges habituelles. Ce qui ne va pas sans inquiéter un brin notre guide écoutant, peu habitué à emmener une cinquantaine de personnes, et se demandant si, entre la tête de fil et la queue de cortège, l’écoute silencieuse restera bien un fil conducteur efficace. A priori oui, d’après les ressentis du guide et les retours post parcours. Le public embarqué, déjà il faut le dire, dans sa grande majorité sensibilisé à des propositions d’écoute, est bien entré en immersion dans les espaces soniques proposés, jouant le jeu de l’ouïe proposé comme postulat initial à ce geste de déambulation sensible.

Cette longue colonne silencieuse, traversant la ville à pas très lents, s’arrêtant parfois sans mots dire, sans forcément de raisons apparentes, dans des espaces pourtant peu spectaculaires, pour le passant lambda en tous cas, a signé une trajectoire singulière. Singulière en tous cas à la vue d’autres passants, non avertis, croisant notre route. Une mise en scène pour le peu visible, d’une écoute collective, qui est venue interroger les personnes croisées, et sans doute modifier les ambiances, y comprises sonores. Une façon de jouer avec l’espace public par la simple présence, plus ou moins coordonnée, d’écoutants mutiques, ou tout au moins silencieux.

L’allure plus que modérée de la marche, tempo lento, est elle-même une sorte de jeu de ralentissement, en général apprécié des participants. Prendre le temps de, le temps de faire, le temps de marcher et d’écouter de concert, et pour reprendre l’expression d’un célèbre chanteur, le temps de vivre. Le temps de vivre ne serait-ce qu’un instant où se déploie une sensorialité collective que l’on cherche à exacerber, sans pour autant brusquer les choses, bien au contraire.

En avant donc pour notre PAS blésois, une heure environ de déambulation auriculaire !
Comme je l’ai mentionné en début de ce texte, la rencontre fortuite d’un cheminement un brin sauvage, sur les hauteurs de la ville a orienté le parcours autour de la gare, ce qui, en y réfléchissant bien, n’est pas vraiment surprenant.
Desartsonnants, guide en chef pour ce jour, a toujours aimé les gares, et les apprécie sans doute plus que jamais de jour en jour.
Espaces acoustiques réverbérés à souhait et variés, entre halls, couloirs, passages, quais, passerelles, commerces…
Des ambiances et des sons multiples, sans cesse changeants. Voix, pas, sifflets, grondements, ferraillements, souffles, bips, annonces publiques… Une incroyable gamme sonore, un véritable catalogue de sons tous azimuts, aux couleurs ferroviaires, un corpus auriculaire signé.
Une spatialisation à l’échelle du lieu, des réponses géographiquement situées, dignes parfois d’un concert acousmatique.
Une polyphonie mécanique, humaine, architecturale, qui offre à l’oreille de belles séquences immersives.
Et puis, symboliquement, l’attirance du voyage, des départs et retours, de la découverte de nouvelles terres d’écoute, de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences contextuelles…
Il se trouve que le guide écoutant adore les trains ! Regarder un paysage défiler sous nos yeux, les arrières-cours cachées des villes, les chemins discrets, les paysages larges ou enserrés… Rêvasser, somnoler, lire, écrire, discuter, voyager bercé par des rythmes parfois lancinants, qui ont d’ailleurs inspirés des compositeurs à jouer des itérations ferroviaires comme des matériaux sonores dynamiques…
Invitation au voyage, y compris dans ce qu’il a de plus sonore.

Mais revenons les pieds sur terre, et les oreilles à l’affût. Gare à l’écoute !

Nous partons de l’École du paysage en direction justement de la gare toute proche.
Une halte impromptue nous fait pénétrer dans une vaste cour intérieure d’un foyer de résidence étudiante.
Le portail grince et claque de nombreuse fois au passage du groupe qui se rassemble petit à petit, et s’immobilise dans la cour.
Un espace a priori protégé acoustiquement du « bruit de la ville ». Et il l’est en partie. En partie seulement, car une de ces incontournables souffleries de ventilation vient envahir l’espace, drone tenace et bien, trop, présent, comme une signature urbaine dont on se passerait volontiers. Psychoacoustique oblige, certains l’entendent, plus ou moins, d’autres non, gommant a l’envi les perturbations acoustiques pour aller poser l’écoute hors nuisance. Effet salutaire, ou pernicieux.

Après ce premier point d’ouïe, nous ressortons, toujours au rythme du portail qui marque la fin d’un plan-séquence auditif. En fait, les PAS sont très souvent constitués en plans séquences, des fenêtres d’écoute spatio temporelles, ambiances cadrées par des mouvements, changements de lieux, sas et passages, ou événements sonores délimitant des moments auriculaires… Nous les mixons et agençons sur le terrain, en fonction de ce qui s’y passe. Sons directs, travaillés dans et par le mouvement, façon Nouvelle Vague (cinématographie).

La deuxième scène sera donc la traversée, point d’ouïe compris, de la grande place-parvis devant la gare. Espace en travaux, très minéral, aménagement fonctionnel oblige, rythmé de voix, pas, et surtout des incontournables valises à roulettes striant l’espace de leurs grognements entêtés. En quelques années, l’apparition de ces objets roulants très identifiés, a marqué le paysage sonore urbain, comme strié de mille roulements chaotiques. L’approche et la traversée des gares et aéroports amplifiant ces présences qui, parfois dans de grands flux d’arrivée, prennent une place limite assourdissante dans des espaces généralement généreusement réverbérants.

Passage intérieur.
Une cinquantaine de personnes envahissant le hall de gare, immobiles, toujours muets, tout cela ne passe pas inaperçu.
Les usagers passent discrètement au travers du groupe, portant ici et là des regards inquiets ou amusés, le contournent, s’arrêtent de téléphoner, de parler, cerné par une petite foule bien étrange… Toujours une mise en scène de l’écoute, qui se montre, en train d’écouter justement

Retour au parvis, l’espace se ré-ouvre à l’oreille. Les valises sont toujours là.

Un passage en hauteur, surplomb de la gare, les oreilles un brin panoramiquées.
Une tour métallique, nous conduit par un escalier en spirale vers une longue passerelle, elle aussi métallique, enjambant l’ensemble des voies ferrées, pour nous conduire sur « l’autre rive ». Durant cette traversée, nous avons droit à toute une série de sonorités propres aux lieux. Passage de trains rapides, vieille locomotives ronronnantes, annonces, klaxons, sifflets, bips de portes qui se ferment… Un cinéma ferroviaire pour l’oreille, digne du meilleur design sonore ambiantal, où tout semble à sa juste place. Et par la force des choses, l’est vraiment. Il ne reste à l’écoutant qu’à capter cette ambiance à la fois caractéristique et singulière, tout en jouant avec les déplacements, les arrêt sur la passerelle lorsqu’un train passe sous nos pieds, devant derrière, droite gauche, selon notre position. A l’extrémmité de la passerelle, les vibrations de nos pas sur le parapet métallique font tinter les haubans, on peu y jouer…

De l’autre côté, nous perdons assez rapidement les ambiances de la gare de l’oreille.

On se dirige vers un assez grand cimetière, histoire de le traverser en silence, en cette veille du week-end de Toussaint, pour décaler notre écoute dans le silences circonstanciés des tombes. Histoires d’ambiances. Les cimetières sont souvent des lieux d’écoute comme des bulles oasis acoustiques assez apaisées, entourés de hauts murs coupe-son. J’ai souvenir de traversées du Père Lachaise à Paris, ou de la Loyasse à Lyon, espaces vastes, monumentaux, où chaque son prend une place singulière.
Ici cela ne sera hélas pas le cas, le cimetière étant déjà fermé à l’heure de notre passage. le repéreur avait omis de noter les heures de fermeture lors de son premier passage…

Nous emprunterons dons une sente le longeant, celle que nous aurions dû prendre au retour.
Ce sentier cours le long du haut mur du cimetière à notre gauche. Il est tout d’abord encaissé entre deux murs, puis s’ouvre à droite au dessus des voix ferrées, que nous retrouvons donc, avec leurs sons cette fois-ci plus diffus, plus en contrebas, plus lointains. Une rumeur ferroviaire toujours entrecoupées d’émergences; un autre point d’ouïe; une approche plus panoramique, moins immersive, mais néanmoins restant dans un même champ d’une lexicalité auriculaire ferroviaire, comme une variation d’un déjà entendu qu’au final, nous ne quitterons jamais vraiment. Un fil rouge de notre parcours où les sons vont bon train, dirait Desartsonnants.

Nous débouchons sur une sorte de prairie, espace intersticiel entre les bordures de la ville et de sa périphérie, le relief gommant les ambiances de la gare. Un lieu difficile à définir acoustiquement, ni vraiment agréable ni vraiment désagréable, ni centre ville ni banlieue… Espace indéterminé, au regard comme à l’oreille.

A défaut de la boucle initialement envisagée durant le repérage, le retour se fait donc par le même sentier emprunté à l’aller.
Ce qui est intéressant, c’est que les sonorités ferroviaires en contrebas restent similaires à notre premier passage, mais transposées de l’oreille gauche à l’oreille droite. Façon inattendue de rééquilibrer une écoute où la stéréo serait temporellement et paradoxalement scindée. Peut-être le souvenir sera t-il sollicité pour recréer après coup une stéréophonie en kit, mais pas sûr du tout, si ce n’est dans l’imagination facétieuse de celui qui écrit ces lignes.

Retour à la passerelle métallique et à une certaine proximité sonore de la gare.
L’heure plus tardive, correspondant à une fin de journée, fait que l’ambiance est plus animée qu’à l’aller. Façon de constater, si on en doutait encore, comment un même lieu, à différentes heures, peu sensiblement offrir une écoute singulière, de par la densité des sources sonores et ses scansions rythmiques notamment, et la modification globale de ses ambiances.

Variante, la tour métallique que nous avions rapidement gravie via un escalier à vis, nous la descendrons cette fois-ci par un long plan incliné spiralant jusqu’au parvis. C’est encore un jeu droite gauche que nous offrons à l’écoute, nos oreilles tournant lentement entre le côté intérieur des quais de gare et l’extérieur du parvis. Une stéréo mouvante, au gré des pas, avant le retour à l’école du paysage. Nous poursuivrons cette soirée d’ouverture par un hommage à Raymond Murray Schafer, récemment disparu, et à qui ce parcours d’écoute était également et naturellement dédié.

Ce PAS se terminera par un retour à l’École du paysage où se poursuivra donc la soirée inaugurale. Le programme ne permettra pas le débriefing collectif habituel, néanmoins, quelques promeneurs viendront, à chaud, me faire part de leurs ressentis. De plus, l’ensemble des participants restant durant les trois ou quatre jours des rencontres, j’aurai régulièrement des retours spontanés.
Surprise, plaisir de prendre le temps, étonnement de la diversité auditive, plaisir de « faire silence », ruptures et enchainements d’ambiances, esthétique du paysage, expérience décalée, ouverture de l’écoute au quotidien, mise en scène d’espaces sonores et de postures d’écoute, cortège quasi religieux… Des réflexions qui confirment des formes multiples de signatures d’écoutes, pour reprendre un terme de Peter Szendy, où chacun et chacune entends son propre paysage.

Il y aurait sans doute tout un travail à effectuer pour tenter de jauger, d’analyser et de creuser l’aspect émotionnel dans la pratique des PAS. Comment les ressentis personnels déclenchent ou amplifient des formes d’empathies, directement liées à l’écoute d’un territoire. Ou bien au contraire une insensibilité pouvant tendre à une forme de mésentente, si ce n’est de désentente latente, ou avérée ? Nous ne garderons ici que les côtés positifs, ceux qui en tous cas ont été exprimés suite au parcours. Pour le reste il faudrait entreprendre des entretiens plus profonds avec des publics lus larges et des méthodes d’approche ad hoc, ce qui serait sans doute fort instructif.

Concernant les traces de ce parcours, elles sont ici de trois ordres.
Les traces auditives mémorielles, celles que je conserve, et que d’autres participants garderont en mémoire. Sans doute pour moi les plus intéressantes, même si fragiles, fugaces, subjectives, incertaines… mais celles qui, avec la prégnance visuelle, participeront le plus à faire de ce moment une expérience sensible pouvant ouvrir de nouvelles portes auriculaires, donner envie de reproduire cette approche expérientielle, ici ou là, maintenant ou plus tard, seul ou en groupe…

Les traces photographiques, qui questionnent les rapports vue/audition. Qu’est ce qui, dans le geste du photographe de fixer, à l’instar de la prise de son, tel moment plutôt que tel autre, motive la prise de vue ? Le paysage singulier par ce qu’il donne à voir, ou par ce qu’il donne à entendre ? L’alliance, la concordance ou la discordance, la complémentarité, l‘antinomie… entre la chose vue et celle entendue ?
Un mélange de tout cela ?
Qu’est ce que l’image seule, décontextualisée, pourrait nous suggérer d’un possible et hypothétique paysage sonore, selon l’imaginaire et le vécu de chacun, de quelqu’un qui commenterait une photo sans avoir participé au PAS?
Ou quelles images surgiraient d’une écoute, elle aussi décontextualisée ?
Les rapports images/sons sont très intéressants dans une possible complémentarité qui vient renforcer l’idée d’une écoute polyphonique, où l’expérience, la mémoire, la trace, viennent se frotter pour faire paysage.Partons du postulat que lequel n’existerait pour ainsi dire pas initialement, avant notre, nos fabriques tant collectives qu’individuelles.

Dans ce parcours, nous avons également, et c’est assez rare, un enregistrement de sa totalité par un promeneur écoutant, JuL, chercheur médiaticien au laboratoire CRESSON de Grenoble.
C’est assez rare parce que le guide ne peut, sans se couper de l’immersion, de ses sensations, de ses inspirations, emmener et enregistrer toute à la fois un PAS. Il lui faut « être dedans », selon l’expression consacrée, sans se laisser distraire par des gestes techniques que requiert la prise de son.
Mais ici, nous avons un preneur de son, avec sa propre écoute, car toute prise de son comme d’images sera motivée, plus ou moins consciemment, par les aléas du moment, les affinités propres, les coups de cœur, ou d’oreille…
Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est de disposer de plusieurs traces, comme des calques de lectures superposables, hétérotopiques.
Le repérage, en tout cas pour le guide, qui vous l’aurez compris est le rédacteur de ce texte, l’expérience de terrain lors du PAS public, personnelle et collective, les photographies, et enfin une trace sonore d’un autre point d’ouïe, qui forcément, n’étend pas toujours près du guide. Ce dernier suivant ses propres inspirations, donnera à entendre un point d’ouïe autre.
Et la réécoute après coup de ce long enregistrement vient corroborer certaines impressions, en élargir d’autres, sous le filtre de couleurs auditives inattendues, voire révéler des sources, ambiances ou événements, estompés par le temps, ou bien, pour différentes raisons, inentendues in situ…

Merci donc à cet écoutant preneur de son, de fournir un matériau riche, permettant de nouvelles lectures, et écritures, de ce parcours dont nous tentons ici de partager les richesses intrinsèques.

Après avoir hésité à remonter la prise se son, à la resserrer pour n’en garder qu’une « substantifique moelle », l’esprit, les moment forts, ou significatifs, c’est en fait l’intégralité du parcours qui est écoutable ci-après !
Un montage, ou plutôt une réinterprétation verront peut-être le jour, plus tard, dans d’autres contextes créatifs…

Pour profiter au mieux de cette prise de son binaurale, à hauteur d’oreilles, et en avoir une écoute optimale, en ressentir les effets immersifs, l’écoute au casque est très fortement recommandée.

En écoute

Album photos

@photos Michel Risse – Décor sonore

In memoriam – Lucile Longre

Lever de soleil de Lucile Longre

Lucile aimait les chants d’oiseaux

l’heure bleue

de sa fenêtre

les écouter

les enregistrer

les partager

regarder le ciel

ses nuages

ses couchers et levers de soleil

elle aimait photographier arbres, nuages et animaux

avec une belle sensibilité

elle aimait discuter

échanger

parler de la nature

et de mille choses encore

Elle nous a quitté cette semaine

les oiseaux et nuages sont tristes

et tous ses amis avec lesquels

la maladie l’empêchant de se déplacer

elle conversait via les réseaux

Ses phrases bienveillantes

son émerveillement

sa sensibilité à fleur de peau nous manquent déjà

mais sa pensée altruiste nous éclaire

et nous aide à porter attention et prendre soin du monde

RIP Lucile, parmi les oiseaux et les nuages bienveillants !

Ses blogs d’images, de textes et de sons

Lucile Longre

Micloud, oiseaux et orages

Un banc d’écoute avec Lucile

Pour une fois j’y ai pensé, et elles étaient bien là !

Elles étaient bien là, mais qui donc ?
Et bien celles que j’entends sonner et hululer depuis chez moi, en me disant que je les ai encore ratées.
Mais pas ce matin, j’avais, une fois n’est as coutume, agrafé un pense-bête bien en vue.
Donc j’étais là, à la bonne heure et au bon endroit pour les cueillir, les accueillir, micros et oreilles tendues.
Les sirènes du toit d’un théâtre voisin, les cloches perchées sur le clocher tout proche, et à leurs pieds, les voix du marché.
La sirène, c’est ponctuel et bien marqué dans l’espace temps, une fois par mois, à midi sonnante, les premiers mercredis du mois.
De grandes glissades trouant l’espace en alerte. Crescendo, decrescendo.
Des images surgissantes de catastrophes et de dangers, pour certains, des réminiscences de guerre, surtout dans ce quartier dont le centre fut presque entièrement rasé lors d’un bombardement, église comprise !
Des sirènes qui viennent judicieusement alimenter un travail en chantier autour… des sirènes, entre mythes et objets tonitruants. Ce n’est pas anodin.
Et puis les cloches, qui prennent le relai à midi passé de quelques minutes, prenant soin de ne pas emmêler les signaux, de laisser de l’espace pour chaque son, de préserver une lisibilité en évitant une polyphonie trop confuse.
Dans la réalité en tous cas.
Dans l’écriture, j’en jouerai, en variation contrapuntique improbable.
Car l’écriture n’est pas le terrain, c’est plutôt, dans la cas qui nous concerne, son empaysagement auriculaire.
Et puis il y a les voix. Les voix-ci les voix là.
Celles, habituelles pour le résident que je suis, du marché du mercredi matin. Des timbres et intonations dont je reconnais de loin les vendeurs à la verve chantante, à la gouaille sympathique.
Comme un fond, un tapis, déployé à même le sol pour accueillir les émergences venues du ciel, dirait l’ami Michel Risse, ou en tous cas d’un peu plus haut. Cloches et sirènes perchées en l’occurrence.
Chaque source possède sa propre ponctualité.
Chaque source possède sa propre territorialité, sa spatialité, même si, acoustique oblige, ces espaces sonores se fondent, s’entremêlent, se jouent du territoire de l’autre, multiphonique.
Pour ce qui est de l’apparition temporelle, il s’agit des mercredi, jeudis et dimanches pour les voix du marché, de chaque midi matin et soir pour mesdames les cloches, en tous cas pour les volées d’Angelus, et de chaque premier mercredi du mois à midi même pour les sirènes.
Et c’est là, à cette date et heure, notamment aujourd’hui premier mercredi du mois à midi, que la conjonction se fait entre ces événements sonores. C’est là que s’opère un croisement dialogué qui se déploie sur la place; une histoire de quartier, celle que l’on veut bien entendre, ou se raconter.
C’est donc là où j’ai attendu, micros en mains, sous un petit vent frisquet, que cloches, voix et sirènes, soient au rendez-vous pour composer une scènette sonore, que je m’empresserai de réécrire à ma façon.
Situation qui me donne envie d’être dans d’autres lieux, d’autres premiers mercredis du mois à midi, vers d’autres églises et d’autres sirènes, et peut-être marchés, pour réitérer l’expérience, autrement n’en doutons pas. Points d’ouïe en variations paysagères pour voix cloches et sirènes…