Stage, Enregistrer le paysage – Marc Namblard

Marc Namblard 17 21 avril 2023 Châtillon sur Saône Chants et percussions d’oiseaux, choeurs d’amphibiens, appels et échos de mammifères, stridulations et cymbalisations d’insectes, rumeurs de cours d’eau et de vent, grondements d’orages ou de glaces, bruissements de plantes… tels sont les nombreux sujets d’écoute et d’enregistrement des audio-naturalistes, qu’ils soient amateurs ou professionnels, à […]

Stage, Enregistrer le paysage — DESARTSONNANTS – SONOS//FAIRE

PARTITIONS EN MARCHE ET MARCHES – TERRITOIRES PARTITIONNÉES

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS — Parcours Audio Sensibles. Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? 

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS – Parcours Audio Sensibles.

Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? Enfin, la question serait de comprendre comment certaines pratiques enseignent et transmettent à des promeneurs-écoutants, ré-interprètes potentiels, tout à la fois des actions, via un système de consignes, inscrivant les signes d’une forte corporalité dans les territoires arpentés.

Sons, territoires, entre écologie et esthétisme

Pour ce qui est des rapports sons/territoires, un paysage sonore se dessine via l’écoute, en fonction des sources auriculaires, de leurs localisations, mouvements, des échelles sonores dynamiques, spectres timbraux, de leur densité… La topologie, les reliefs, la végétation, la nature des sols, les aménagements, contraindront également tant la propagation des sources, des effets sonores associés, que des postures d’écoute soumises aux contingences territoriales. Entre échos et réverbérations, points d’ouïe panoramiques et espaces enserrés, l’écoutant sera confronté à une multitude d’espaces acoustiques, d’autant plus qu’il pratiquera des écoutes en déambulation. Les soundwalks joueront sur la mise en scène, l’écriture d’une succession d’ambiances, tel un mixage sonore paysager en mouvement, propre au promeneur auditeur.

Nous pouvons, pour creuser le sujet, nous rapporter aux travaux du musicien nord-canadien Raymond Murray Schafer, notamment à son ouvrage emblématique The Soundscape, The Tuning of the World. Cette notion d’accordage du monde, sous-titre de l’ouvrage, pose d’emblée le postulat d’une écoute musicale, esthétique, voire d’un geste d’écoute mêlant une conscience écologique, à la recherche esthétique d’aménités paysagères.

La conscience écologique nous fait alors comprendre la fragilité de nos paysages sonores, ballottés entre la saturation chaotique des milieux urbains et la paupérisation des espaces naturels où la biodiversité souffre de multiples disparitions, que l’oreille saisit et analyse du reste mieux que le regard.
 

Le fait d’arpenter le terrain, toutes oreilles ouvertes, prend quant à lui sa source dans la pratique des soundwalks, que l’artiste new-yorkais Max Neuhaus a érigés en œuvres d’art, actions performatives, collectives, relationnelles autant que perceptuelles. Nous avons ici affaire à la construction d’une « œuvre de concert » en marchant et écoutant, dans les pas de John Cage – qu’admirait beaucoup Max Neuhaus. L’artiste avait d’ailleurs commencé à partitionner ses soundwalks comme des marches reproductibles. Nous y reviendrons ultérieurement.
 

De l’écriture à la relecture, de l’interprétation à l’improvisation, comment jouer et rejouer en mouvement la « musique des lieux » ?

À travers ces questions, les notions de jeu in situ, de traces et de consignes, tendent à montrer des formes d’écritures audio-kinesthésiques in situ ou ex-situ, singulières, partitions marchées pour promeneurs écoutants interprètes, voire ré-interprètes.

Écrire et lire, voire re-lire le paysage sonore comme une partition musicale

Penser et parcourir des cadres espaces-temps peut être une dé-marche proche de la psychogéographie debordienne. Comment revisiter des villes, quartiers, espaces péri-urbains, en décalant les modes d’appréhension, les temporalités, les grilles de lecture, en défaisant les codes fonctionnels (et politiques) urbains ? L’écoute nous offre ici, associée à la marche, une approche singulière, qu’elle soit individuelle ou collective. Privilégier un sens, dans des parcours sensibles, nous met à la fois dans un déséquilibre pouvant être ressenti comme très déstabilisant, en même temps que cette posture peut nous apporter de nouvelles jouissances quasiment inouïes. Le sentiment de, modestement, refaire la ville à sa façon, à l’oreille.

C’est également, dans une vision post-Debord, une partition politique, tracée notamment sur une conscience écologique, sans doute un brin anthropocènique, voire sur celle de participer, avec des aménageurs par exemple, à un partitionnage de la ville, dans ses travaux et aménagements incessants.

La notion de partition, « Action de partager ce qui forme un tout ou un ensemble ; résultat de cette action, partie d’un ensemble organisé… Division (d’un territoire, d’un pays) en plusieurs États indépendants… »1apparaît alors logiquement, comme un tracé à l’échelle du terrain, et une proposition d’écoute mouvante, tel un magnétophone à la fois traceur et liseur.

Ville à re-composer

Dans l’espace urbain notamment, il nous est permis de jouer. Jouer, dans un sens musical, des rythmes et dynamiques acoustiques, de construire des superpositions, de mettre en place des transitions, des effets dynamiques, des fondues d’ambiances, des coupures, des mouvements/arrêts — points d’ouïe… Bref, nous devenons une sorte de chef d’orchestre imprimant in situ une expérience kinesthésique sensible, dans l’écriture d’un parcours aux limites du rejoué (post repérage) et de l’improvisé, selon les événements-stimuli que nous rencontrerons.

La rue, la place, l’escalier tracent des lignes qui, vues de dessus, font apparaître les formes d’un parcours jalonné au gré des sons, et qu’il est possible de rejouer à l’envi, en se jouant des aléas du moment.

Nous sommes sur des lignes-mouvements, façon Kandinsky, partition graphique, esthétique, physique, dynamique, sonore et kinesthésique. Le corps traceur et mémoire(s) est en jeu d’éc(h)o-interprétation des milieux, dans des marches sensibles et symbiotiques, où le promeneur se fond dans le paysage qu’il écrit en « marchécoutant ». L’écoutant devient lui-même paysage sonore, comme une sorte de réceptacle synecdotique.

Les traces et rendus comme partitions à re-parcourir

Repérage, plan-guides, signalétiques, cartes sensibles, textes descriptifs, autant d’objets-partitions qui permettent de fixer des parcours — avec leurs marges de manœuvre, d’incertitude, leurs chemins de traverse et les libertés que l’on peut prendre. Physiquement, guidées ou non, les traces nous tissent un jeu de pistes sonores pour jouer, rejouer, ou déjouer, différents espaces à l’oreille.

La notion de déjouer est ici assez intéressante. Mot à mot, qui déjoue ne joue pas, ne joue plus, ou joue autrement. On trouve ici la possibilité de contrarier, de mettre à jour une histoire jouée d’avance. Une forme d’improvisation où les tracés se perdent face à une intuition stimulante.

La musique (des lieux) à la carte n’est jamais totalement acquise, ni parfaitement maîtrisée. Mais l’est-elle plus dans des processus d’écritures de musiques dites contemporaines ? Rien n’est moins sûr selon les œuvres.

Continuant sur des rapprochements textuels, sémantiques, le mot déchiffré, par hiatus interposé, ou coquille, peut glisser rapidement vers défriché. On déchiffre une partition, y compris sonore, en même temps qu’on la défriche, qu’on l’apprivoise en éclaircissant ses zones touffues, en traçant un itinéraire de lecture plus clair. De la page carte au territoire partition, je m’avancerais à dire qu’il n’y a qu’un pas. Plus ou moins grand selon les cas.

La carte-partition nous fait effectuer des allers-retours entre le terrain arpenté et la page pouvant être écrite, déchiffrée, interprétée comme une partition/action.

L’écriture captation traces

Le field recording (enregistrement in situ/de terrain, ou sonographie) sera également une forme de trace organisée, parfois composée, pour re-vivre ex-situ un parcours sonore, en sons fixés, selon la définition de Michel Chion.

Cette pratique, liée parfois à des secteurs spécifiques dont l’audionaturalisme, lui-même intrinsèquement lié à l’écologie sonore et à la bioacoustique, est un exemple très pratiqué aujourd’hui, sous de nombreuses formes et esthétiques.

Les plus « purs » enregistrements bruts, non ou peu retouchés, traces du « réel », dans les limites acceptables du terme, sont une sorte de constat, état des lieux, à l’instant T et dans un espace donné. 

Le field recording peut ainsi être une mémoire, une fixation de parcours d’écoute, ce dernier étant de fait un geste qui ne laisse pas d’œuvre matérielle, tangible et a minima pérenne.

Néanmoins, à défaut de re-présentation fidèle, cette trace, capture sonore, pourra faire œuvre également. Plus ou moins retravaillé (montage, mixage, effets sonores), le field recording prendra ses distances avec le terrain pour devenir à son tour création sonore, prenant le pas, si j’ose dire, sur le geste original.

Pour moi, il s’agit souvent de deux œuvres différentes, certes assez fortement liées par l’écoute, le lieu, mais néanmoins autonomes d’une certaine façon.

La première est l’action performative de la marche d’écoute in situ, en générale collective.

La seconde est le résultat d’une captation donnée comme création sonore, pouvant être scénographiée par des dispositifs d’écoute, installations audio-plastiques, applications géolocalisées…

À noter d’ailleurs que dans le cas d’applications géolocalisées, l’auditeur marcheur équipé d’un smartphone, retrouvera généralement le principe d’une petite icône marcheuse parcourant une carte GMS, le guidant vers des points d’ouïe. La carte application se fait là interactive, comme une forme de partition serious game à lire en cheminant.
 

La vidéo fournira également un média particulièrement intéressant pour rendre compte des actions, paysages, ambiances, parcours, avec une approche « naturelle », sans sources ni colorant sonore ajouté, respectant les sons environnementaux, silences compris.

Quelques vidéos de PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants

Les partitions — consignes de soundwalks

À l’instar de Max Neuhaus (les Listen), ou de happenings façon Fluxux, voire des partitions graphiques des chorégraphies de Cunningham, des partitions-consignes proposent de jouer ou rejouer des marches d’écoute.

Il existe d’ores et déjà un répertoire, en cours de recensement (Neuhaus, Westerkamp, Corringham, Plastic Acid Orchestra, Cluett, Patterson, Kogusi…).

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, construit petit à petit, un répertoire personnel de partitions PAS – Parcours Audio Sensibles, à jouer en solitaire ou en groupe, guidé ou en autonomie.

Liens partitions de PAS

Aujourd’hui les technologies mobiles, embarquées, les réalités virtuelles et autres serious games nous font imaginer de nouveaux dispositifs ludiques, pouvant étendre sensiblement les modes opératoires de la partition papier, vers de nouvelles interactions marcheur/écouteur-territoire.
 

Les relations du marcheur écouteur aux territoires arpentés ont sans doute encore de nombreuses pistes de cartographies hybrides, d’écritures kinesthésiques à développer, entre expériences sensibles et dispositifs embarqués, explorations in situ et traces re-composées.

Article paru dans « L’autre Musique Partition »

Faire un PAS – Parcours Audio Sensible ?

PAS – CAMPUS CORPUS, Université Lyon 1 La Doua – PAS marché, écouté, dansé, raconté – Natacha Paquignon, Desartsonnants, Patrick Mathon

Le PAS – Parcours Audio Sensible, est une des nombreuses ramifications et variations des balades sonores, promenades écoutes et autres soundwalkings, façon Desartsonnants.

Le PAS est une sorte de danse marchée, ou de marche dansée, cadencée, fluée, lente, très lente

Le PAS est un ralentissement, une expérience décélérante, amène, une immersion tranquille, déambulatoire et sereine

Le PAS est une façon de voir la ville, la forêt, les bords de mer, la montagne, une rivière, un quartier… en les écoutant, à oreilles nues

Le PAS est une invitation au silence, en même temps que l’accueil ritualisé des sons ambiants, une cérémonie d’écoute en quelque sorte

Le PAS est une mise en situation, en scène, en écoute, un spectacle/installation audio-aléatoire, interactif, à l’air libre, imprévisible, à l’improviste

Le PAS perturbe et questionne parfois l’espace public en mettant en scène des promeneurs silencieux, fabriquant et jouant une écoute sciemment monstrative

Le PAS est un geste participatif, collectif, un échange de belles écoutes dynamiques et énergisantes

Le PAS est un arpentage où l’on mesure un lieu à l’échelle de ses plans sonores, de ses champs et hors-champs acoustiques, et où on se mesure à lui par le biais de nos oreilles

Le PAS est une traversée, un cheminement, une errance, un parcours, une écriture physique et géographique, où et par lesquels s’écrivent des histoires sonores aussi triviales qu’inouïes

Le PAS s’inscrit dans des approches esthétiques, écologiques et sociétales

Le PAS est un acte politique, dans le sens où il se préoccupe de territoires, urbains ou non, dans lesquels il s’inscrit

Le PAS est indisciplinaire, car s’y croisent moult pratiques éducatives, scientifiques, artistiques, politiques, éthiques…

Le PAS est pragmatique par le fait qu’il s’appuie sur des situations expérientielles, des gestes de terrain, des approches situées

Le PAS est contextuel, déambulant et s’arrêtant selon les architectures, les topologies, et les scènes sonores impromptues

Le PAS éclaire et convoque un paysage sonore foisonnant, fragile, complexe, finalement méconnu

Le PAS est ponctué de points d’ouïe, qu’il contribue lui-même à révéler, à générer, à mettre end exergue

Le PAS met l’oreille, mais aussi tout le corps en écoute, des pieds explorant le sol aux vibrations du vent sur la peau membrane sensible

Le PAS est une construction géographique, sensible, d’espaces sonores et de territoires auriculaires habités

Le PAS se joue des marqueurs sonores spécifiques, culturels, singuliers, comme des micro événements rencontrés

Le PAS nous plonge dans une ambiance écoutante immersive, comme il révèle celles, intrinsèques, d’un lieu acoustiquement « coloré »

Le PAS pointe des effets acoustiques surprenants, d’échos en réverbérations, de coupures en amortissements, de masquage en discriminations, pour entendre autrement et jouer à faire sonner les lieux

Le PAS aime la rumeur de la ville, tout comme ses émergences, de la cloche aux rires enfantins

Le PAS se joue des espaces fermés/ouverts, petits ou grands, publics/privés, dedans/dehors, intimes/extimes, panoramiques/enclos, des lisières et transitions, des passages et impasses

Le PAS cherche des postures écoutantes ludiques, tant physiques que mentales, individuelles ou collectives

Le PAS mixte une musique des lieux en live, en déambulant de sources en sources, au gré des rencontres

Le PAS crée des fenêtres d’écoute où la vue et l’ouïe fonctionnent en contrepoint, en accord ou en friction, en harmonie ou en dissonance

Le PAS est une performance douce, inscrite dans un espace-temps diurne ou nocturne, adorant tout particulièrement les instants entre chien et loup, les glissements et bascules sensoriels

Le PAS est propice à l’écriture ou à la réécriture de moult histoires sonores partagées, rédigées, installées, racontées, in situ ou ex situ, sur le vif ou à posteriori

Le PAS titille l’oreille en décalant le paysage sensoriel hors des sentiers battus

Le PAS est ce que l’on en fait, à partir du moment où on se met collectivement en marche, et à l’écoute

Dans l’idéal, emboiter le PAS à Desartsonnants est une bonne façon de le vivre ipso facto, de concert.

Fictions de la forêt

Où les branches craquent sous les pas, comme il se doit

où la forêt se fait parfois percussion, percutée

où l’on active échos et résonances

où un bâton met en marche

Où le vent nous souffle et siffle à l’oreille

où les loups sont bien là, houuuuuuuu

et les termites aussi

mortelles !

Où les z’oizaux z’aussi, vrais z’ou faux, gazouillent

où les enfants arpentent

enregistrent

racontent

inventent

bruitent

où l’on s’enforeste sans prendre racine…

« Fictions de la forêt« , initié par Permanence de la littérature, la CALI (Communauté d’agglomérations du libournais), centres de loisir Libourne, atelier d’écriture avec Eduardo Berti, création sonore et montage sylvestre Desartsonnants

Octobre/novembre 2022

En écoute

PePaSon, des ressources pédagogiques autour du paysage sonore

`

Formé en Juin 2020, le collectif PePaSon rassemble des passionné.e.s de son et de pédagogie, amateur.e.s ou professionnel.le.s. issus de tous les milieux : De l’acoustique, de l’art, du design, de l’urbanisme, des sciences naturelles, des sciences sociales, de l’enseignement … Et bien plus encore !!

Le collectif a été créé afin de favoriser la rencontre, l’entraide et l’émergence d’idées et de projets entre toutes les personnes curieuses de sons et de paysages sonores avec une dimension socio-culturelle. 

Pédagogies ne renvoi pas tant à l’idée d’enseignement ou de technique d’enseignement mais à l’idée d’une coévolution entre NOUS et le PAYSAGE SONORE. Nous le transformons, et il nous transforme… Le Paysage est pédagogue en lui même !

PePaSon un collectif et mouvement en faveur d’une recherche-action-création indisciplinaire et populaire autour des Pédagogies des Paysages Sonores.  Nous souhaitons faire se rencontrer les personnes, les milieux, les disciplines autour d’un enjeu d’éducation culturelle et sensible intimement liée à l’idée d’habiter son corps, sa vie, son territoire

PePason est donc un réseau en chantier ouvert à toute oreille de bonne volonté.

Il mène différentes actions :

Bien, ou mieux s’entendre avec…

« I love you, vous ne m’entendez guère, I love you, vous ne m’entendez pas... » Gilles Vignault

PAS – Parcours Audio Sensible à Auch

On me nomme régulièrement artiste sonore, ou paysagiste sonore, et la deuxième proposition me sied parfaitement.
Penser, créer, aménager des paysages sonores, vivables, écoutables, me semble un travail, une recherche louables, un objectif de vie sans doute.

Pour autant, il faut savoir raison garder.
Dans un monde qui s’emballe, de chantiers en chantiers, de voyages en voyages, où il faut aller vite, être mobile, parfois survivre, la vitesse et le bruit ne nous épargnent pas.

Rumeur insidieuse, vacarme assourdissant, communication parasitée, toutes les formes de bruits se stratifient parfois jusqu’à ce que l’oreille doute de son propre bon entendement.

Alors un paysagiste sonore doit en prendre la mesure, par forcément métrologique, sonométrique, mais plutôt mesure du milieu auriculaire ambiant, sensible, fragile, et de ses modes de vie induites.
Jusqu’où aller, comment freiner, éviter le mur du son, faire un pas de côté, préserver sa liberté d’écoutant communiquant ?
Là où la parole est plombée d’un chape sonore tonitruante, où elle ne se fait plus entendre, noyée dans un brouhaha incessant, le silence s’installe, malgré lui, malgré nous, ou par nous. Un silence de plomb caché sous un vacarme mortifère.

Un paysagiste sonore se méfie donc de ces écueils assourdissants autant qu’étouffants.
Pour faire paysage acceptable d’un monde sonore, il ne convient pas de surenchérir par des installations empilées, mais peut-être de commencer à prendre conscience de l’existant, à le rendre plus écoutable, plus entendable, plus vivable.

Arpenter la ville, y poser une oreille bienveillante, rechercher ses aménités auriculaires, les sociabilités d’un monde complexe à l’écoute, est sans doute une série de premiers pas à franchir.
Pour suivre la pensée de John Cage, artiste à l’écoute Oh combien ouverte, inventive, cherchant sans cesse l’expérience ludique, il faut laisser au vestiaire nos a priori pour accepter les sons, sans jugements trop hâtifs.

Une oreille pragmatique repose la question du bien entendre par l’expérience de l’écoute située, mise en situation.

Le simple fait de poser une oreille curieuse sur la ville « empaysage » celle-ci. Nous créons notre propre installation sonore à ciel ouvert, à 360°, pleine de surprises et d’aléas, de mouvements, d’apparitions et de disparitions, de transformations et d’hybridations.
Monde étonnant que celui de l’espace sonore dont tant de choses nous échappent. Entre flux et cadences, la ville offre un théâtre d’écoute sans cesse renouvelé, il suffit d’y tendre une oreille tendre, curieuse, peut-être un brin béate, ravie. Néanmoins pas naïve.

La scène acoustique prend forme, avec ses espaces et limites fuyants, ses hors-champs, ses séquences, ses transitions, autant micros scènes intriquées, qui trament une histoire entre les deux oreilles.

Le monde vue par les oreilles prend forme, s’agence, l’oiseau dans la ville, la voiture aussi, les cris des enfants fugaces, la cloche prenant de la hauteur, la rumeur en toile de fond. Tout s’installe, ou presque, s’entend, cohabite, le concert est déjà commencé pour paraphraser Maurice Lemaître, il suffit d’en prendre conscience.

Néanmoins, cette écoute concertée autant que concertante, ne suffit pas toujours, tant s’en faut, à faire oublier, voire à éviter de subir les violences du monde, auxquelles nos oreilles n’échappent malheureusement pas.

De nombreux artistes, dont Raymond Murray Schafer, Max Neuhaus, Paul Panhuysen, Michel Risse et son Décor Sonore, Michel Chion, Pierre-Laurent Cassière, Baudouin Oosterlinck, et bien d’autres, ont posé, ou posent encore sur le monde une oreille attentive. Ces postures d’écoutes, toutes singulières, contribuent à construire des espaces où l’auricularité contribue à mieux entendre, à mieux s’entendre. Il nous faut aujourd’hui faire face, collectivement dans le meilleur des cas, à une série de situations pour le moins tendues, parfois très anxiogènes. Aussi, gageons que prendre soin de nos milieux sonores, nous aidera, certes modestement, à améliorer un peu la qualité de vie, à l’heure actuelle fragilisée de toutes parts, et au final à prendre mutuellement soin de nous, de nos lieux de vie.

Peut-être que le désir, voire le rôle d’un paysagiste sonore, un tant soit peu humaniste, est de mettre des écoutes et écoutants en situation d’expériences collectives, pour tenter de préserver des espace de belles ententes, au sens très large, polysémique et polyphonique du terme.

La ville ouïe ou non, de l’entendre au faire

Une ville à entendre, voire plus

Qu’est-ce qui y sonne joliment, ou non ?
Qu’est-ce qui nous surprend, éventuellement nous dépayse à l’oreille ?
Comment percevoir en priorité les musiques de la villes; les aménités auriculaires, les espaces qualitatifs ?
Quelle sont les zones calme, oasis sonores, ilots acoustiques privilégiés, protégés ?
Quelles sont les influences architecturales, topologiques sur les ambiances sonores ?
Quelles sont les rythmes de la ville, entre flux et cadences (heures de pointe, vie scolaire et étudiantes, marchés, présences de casernes de pompiers, hôpitaux, flux de circulation…) ?
Quels sont les émergences acoustiques (sirènes et alertes, Klaxons, cloches…) émergeant de la rumeur ?
Quelles sont les influences des activités, du zonage urbanistique (industries, commerces, ports, parcs, zones ce loisirs…) ?
Quels sont les plus beaux points d’ouïe, panoramiques, resserrés, ouverts, fermés, permanents ou ponctuels… ?
Comment circule l’a parole, se déploie, plus ou moins aisément, la communication orale ?
Quelles sont les influence atmosphériques, vent, pluie, orages, leurs perceptions et ressentis au prisme des topologies et aménagements… ?
Quelles sont les influences de la vie animale, sauvage ou non, dans la cité ?
Quelles sont les marqueurs et signatures sonores singulières (cloches, fontaines, spécificités locales…) ?
Quelles sont les plus belles acoustiques de la ville (passages ou bâtiments réverbérants, échos, effets de masque, de coupure, de mixage…) ?
Quelles sont les coutumes ou événements locaux ponctuels animant la cité (fêtes traditionnelles, vogues, marchés) ?
Quels sont les parlers locaux, langues, accents, expressions, marqueurs de brassages culturels…) ?
Existe t-il des cheminements préexistants, ou l’écoute tisserait un parcours cohérents, dans ses similitudes et diversités ?
Peut-on percevoir une sorte d’archéologie ou d’histoire sonore au travers des quartiers historiques, bâtiments, friches… ?
Comment convoquer des approches croisées, indisciplinaires hybridant esthétique, écologie, sociabilités auriculaires et aménagements… ?
Comment travailler l’indisciplinaire via des actions arts-sciences, des diagnostiques et expérimentations invitant aménageurs, chercheurs en sciences dures et humaines, décideurs politiques, artistes, résidents… ?
Comment définir des corpus et glossaires autour du son, de l’écoute, du paysage sonore, pour que chacun s’entendent (mieux) et élargissent ses approches respectives et mutuelles, le croisement de pratiques ?
Comment élaborer des parcours d’écoute, définir, signaliser, inaugurer, voire aménager des points d’ouïe ?
Comment le patrimoine sonore peut entrer dans une approche de tourisme culturel, de valorisation du territoire ?
Comment protéger les zones de belles écoutes, voire s’en servir de modèles pour un aménagement sensible et qualitatif de l’espace urbain?
Comment penser le son, les ambiances en amont, et non de façon curative, lorsque les dysfonctionnements et nuisances sont avérés, souvent difficilement réparables ?
Comment repérer, qualifier et exploiter des caractéristiques acoustiques situées, pour le jeu, la diffusion, la création de musiques, pièces sonores, installations et autres objets d’écoute ?
Quelles actions d’éducation et de sensibilisation à l’écoute urbaine mettre en place, avec quels publics (enfants, étudiants, résidents, pédagogues, aménageurs, élus…), pourquoi, comment ?
Comment agir en installant en priorité l’écoute, comme objet esthétique, outil d’analyse, d’aménagement, de création, sans forcément ajouter une couche sonore supplémentaire ?
Comment mettre en place des outils de représentation, d’inventaire, de qualification, description, travailler des cartographies sonores sensibles, des cartes mentales, partitions graphiques… ?
Comment user de différent média (mot, texte, image, vidéo, graphisme, danse, performance, son…) pour mettre et raconter une ville en écoute ?
Comment engager des processus de créations sonores (documentaires radiophoniques, multimédia, installations sonores, muséographies, parcours et mises en situation d’écoute…) suite à ces investigations et expériences in situ ?

Cette liste de questions et propositions non exhaustive, contextualisable, peut donner lieu à moult extensions, adaptations, hybridations, variations…
Ces questionnements sont pensés avant tout comme des leviers d’actions, des déclencheurs, stimulateurs, ouvrant un champ d’expérimentations auriculaires au final peu ou pas explorées.

Desartsonnants, novembre 2022

En parler plus en avant, impulser un projet de terrain, une rencontre : desartsonnants@gmail.com

Question’ AIR (Auricularités Inter Relationnelles)

Questions en VRAC (Véritables Relations Acoustiques Créatives)

– Le PS (Parcours Sonore) engage t-il forcément un CE (Corps Écoutant), et mouvant (CM)? (questions orientée…)

– La CE (Chose Écoutée) est-elle plus importante que le Corps Écoutant (CE), et vice et versa ?

– La posture d’écoute (PE) prime-t-elle sur l’OE (objet entendu), et vice et versa ? Ou bien la déclenche-t-elle ?

– Le design, fut-il sonore (DS), ne se noie-t’il pas dans le lieu, l’ambiance, la masse, la productivité reproduisible… ? (Question orientée)

– Le MVA (Monde Virtuel Acoustique) peut-il remplacer le MRA (Monde Réel Acoustique) ? (Question orientée)

– L’OPA (Oreille Prothèse Augmentée) devient-elle plus performante (performative) que son homologue Oreille Nue, ou Naturelle (ON) ? (Question orientée)

– L’Acronyme (A) est-il – (1) nécessaire, (2) utile, (3) contreproductif, (4) décalé, (5) autre (si oui précisez)… ?

Entourez ou les Termes qui vous semblent Adéquat (TA)

Merci d’avoir participer activement à ce JDO (jeu de l’ouïe) !