Les histoires d’écoutes sensibles ne sont pas toujours heureuses, mais elles sont nécessaires

Histoires de dire, de faire, de ressentir, de parler, d’aménager, le sensible est un outil de lecture, d’analyse et d’écriture, participant au processus d’aménagement du territoire.…

Un territoire est donc un espace qui se construit (aussi) via une approche dite sensible.

Parlant du territoire sonore, comment dire un morceau du monde en l’écoutant, en pensant comment il sonne ?

Comment construire une relation écoutant – écouté, la plus féconde et bénéfique que possible au plus proche du terrain ?

Il nous faudra tendre une oreille ouverte, curieuse, qui cherche à proposer de nouvelles façons d’entendre le monde, des ouvertures soniques originales, acoustiques, humaines, de nouveaux champs d’écoute les plus inouïs que possible.

Le sensible peut être ici une sorte de clé de lecture, un angle d’attaque porté par l’expérience, voire l’expérimentation d’écoutes in situ, par l’auscultation du quotidien, y compris celui de l’infra-ordinaire surprenant.

Néanmoins, et malgré tous nos efforts, l’expérience d’écoute ne nous révèle pas que des choses idéalement positives. Loin de là même.

L’expérience d’écoute nous fait parfois, souvent, entendre là où ça fait mal.

Elle peut nous plonger dans des ambiances des plus inconfortables, bousculantes, parfois même traumatisantes, là où ça sature, ça distord, ça grince, ça violente, ça perturbe, ça angoisse, au fil de pollutions aussi sclérosantes que néfastes, nuisibles.

Chercher l’agréable, l’équilibre, le vivable, le soutenable, chemine à travers des espaces-temps inconfortables, si ce n’est douloureux.

Le sensible à fleur de tympan nous place dans des situations oscillant entre l’agréable, le beau, dirons-nous, dans le caractère éminemment subjectif de la chose, la jouissance, comme il verse parfois dans des expériences qui mettent notre corps écoutant à rude épreuve.

Nous traversons des alternances d’aménités et d’agressions, d’entre-deux désagréables, qui bousculent nos sens, notre pensée, et au final notre corps tout entier.

Bien sûr, nous recherchons des espaces apaisées, et souhaitons que nos paysages ne sombrent ni dans le vacarme chaotique, ni dans la paupérisation silencieuse.

Nous tentons d’écrire, de composer, envers et contre tout, des partitions qui font sonner les lieux comme des musiques, recherchant avant tout l’harmonie, même dans des formes potentiellement discordantes.

L’écoute n’est jamais un long fleuve tranquille, elle s’aventure dans des terrains où les bruits peuvent prendre le pas sur les musiques, brouillant ou déformant, couvrant les messages qui se voudraient rassurants, faisant résonner bien trop fort des sons violents, guerriers, haineux, clivants.

Des voix se taisent, disparaissent, d’animaux, d’humains, de ruisseaux, emportés par une succession de crises qui secouent notre monde. Et tout cela s’entend. On ne peut pas y échapper, même en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles.

Écouter implique de se frotter, de se confronter, au meilleur comme au pire.

L’essentiel est de ne pas baisser ni les bras ni les oreilles, pour aller chercher les réflexions, les actions, les gestes, les espaces qui sonnent bien, pour construire un commun entendable, qui servirait le mieux-être, l’intérêt général, et proposerait des modèles combattant l’excès comme le manque.

L’approche auriculaire sensible ne doit ni idéaliser, ni fuir des réalités pour le peu des plus difficiles à vivre, ni renoncer à la recherche d’une belle écoute, entre autre chose, celle qui nous aidera à trouver un mieux être, au sein d’un monde ballotté de crises en crises.

Écouter, c’est (aussi) résister !

Novembre 2023

Eaux dites

« Bassins Versants, l’oreille fluante », je fais actuellement une focale sur les milieux bouillonnants, aquatiques, les eaux courantes, dormantes, submersives, taries, murmurantes…

Ce n’est pourtant pas une lubie soudaine, un reflux, une résurgence capricieuse, un courant bleu dans l’air du temps, mais plutôt une source qui n’arrête pas de sourdre au fil des paysages « arpentécoutés », de refaire surface ici et là, comme une manne nourricière incontournable.

Fascinante dans sa fragilité, cette composante paysagère, de fontaines en rus, de torrents en cascades, de lacs en océans, ne manque jamais de titiller l’oreille du promeneur écoutant que je suis.

Source d’inspiration, de récits, de paysages racontés de rives en rives, il ne s’agit pas seulement de faire entendre ces flux multiples, mais de conter des histoires toujours renouvelées, au gré des reliefs et des territoires habités.

Conter pour faire exister, dans bien des situations, apaisées ou conflictuelles, complexes, dans des tensions écosophiques hydrologiques, qui nous montrent des lendemains plus qu’incertains,.

Eaux mémoire, énergie, ressource, sculptrice de surprenants reliefs, de paysage creusés dans ses flots, oasis espérés, génératrice d’ambiances sonores irriguées, élément climatique capricieux…

Combien de cours d’eau, minuscules ou spectaculaires, ai-je suivi, emmenant avec moi moult paires d’oreilles assoiffées.

J’ai fabriqué et marché bien des histoires fluantes, des pentes de la Sierra d’Estrella portugaises, de la vallée des Gaves du Pau Pyrénéenne, des rizières malgaches, des contreforts de collines auvergnates, du Jura côté France et versant suisse, des rivages baltes à la Neva à Saint – Pétersbourg, de Trois -Rivières la bien nommée québécoise, d’une source-lavoir gersoise, de la Drôme noyée de soleil, d’entre Rhône et Saône des Gônes, jusqu’au pied de chez moi…

Aujourd’hui, sans vouloir canaliser de façon trop rigide tous ces superbes flux hydrauliques, je leur donne une scène mouvante, qui nous invite à écouter les innombrables voies d’eau, voix d’eau, à leurs prêter attention, à en prendre soin, plus que jamais.

Je file modestement la trame bleu comme un commun universel qui nous maintient en vie.

Je suis partagé entre mes émerveillements devant les eaux tumultueuses et mes angoisses devant les fleuves asséchés.

Je voudrais vous emmener marcher au fil de l’onde, toutes oreilles aux aguets, et vous raconter encore, et vous entendre dire, mille méandres rafraichissante.

https://drive.google.com/file/d/1ZlAf1VGBiboj9zLioX8-4T8DsZrKMVb6/view?fbclid=IwAR3gz0AER_yyXu6cvMz6OvgakUsdLjEbjSEEJ1uf-x4vlRA0c1LcQhym8Bk

https://drive.google.com/…/1ZlAf1VGBiboj9zLioX8…/view…

Fictions de la forêt

Où les branches craquent sous les pas, comme il se doit

où la forêt se fait parfois percussion, percutée

où l’on active échos et résonances

où un bâton met en marche

Où le vent nous souffle et siffle à l’oreille

où les loups sont bien là, houuuuuuuu

et les termites aussi

mortelles !

Où les z’oizaux z’aussi, vrais z’ou faux, gazouillent

où les enfants arpentent

enregistrent

racontent

inventent

bruitent

où l’on s’enforeste sans prendre racine…

« Fictions de la forêt« , initié par Permanence de la littérature, la CALI (Communauté d’agglomérations du libournais), centres de loisir Libourne, atelier d’écriture avec Eduardo Berti, création sonore et montage sylvestre Desartsonnants

Octobre/novembre 2022

En écoute

Historiettes et oreillettes

Marchécouter

Tout commence par la marche

Celle pour écouter

Ou bien

Tout commence par l’écoute

Celle pour marcher aussi

Enfin, on ne sait plus trop laquelle motive l’autre

C’est un début d’histoire

écrite en creux dans des sillons vibratoires

L’écoute collée aux pas, au sol, aux arbres

de frondaisons en racines

de ramures en nervures

L’écoute collée au bitume, à l’asphalte, au béton

l’écoute collée à la ville assourdissante

ou à la ville murmurante

C’est un début d’histoire sonnofage

qui se nourrit de la chose entendue

une chose qui se prête, voire se donne, à entendre

bon gré mal gré

tout en se camouflant dans mille autres auricularités

façon de perdre, sans avertissement, la puce dans l’oreille abusée

désabusée

la puce dans l’oreille amusée

qui sait

Quand le vent se fait mer

Quand la mer se fait vent

quand le troupeau noircit l’asphalte

en meutes de moteurs

vers le ventre trop urbain sonifié

Quand le silence n’en peut plus de gémir

et les voies de muer

vers des tessitures tendues

comme un arc vibrant de rumeurs incertaines

Osmoses évanescentes.

S’assoir

Ne plus traquer les proies fuyantes

celles qui font le tympan hésitant

laisser venir

pavillon orienté comme une outre évasée

une éponge impavide

une sonde curieuse

qui ne résisterait plus

ni aux bruits ni aux silences

se laisser envahir d’une nuée sonore aux trajectoires folles

C’est ainsi que l’histoire s’entend

c’est ainsi que l’histoire s’écrit

c’est ainsi que l’histoire se dit

Peut-être

Se lever

Se relever

Repartir

Repartir pour échapper à

Repartir pour s’échapper de

si possible

Pour suivre le courant d’une écoute incertaine

battant pavillon coloré de fronts d’ondes

Reprendre l’histoire là où les courants soniques s’affrontent

en tourbillons hétérogènes

Porter les écoutes comme des confluences hybrides

où le conflit n’est pas exclus

se fier à d’autres oreilles affutées

ou émoussées

polyphoniser

harmoniser

contrepointer

faire surgir des mélodies des villes et des champs contre-chants

Nouvelle pause

Tenter encore de retenir un murmure

un rire, un glissement, un choc

l’infime bruissement d’un je ne sais quoi

à la limite du seuil frontière de l’audible

Le retenir dans une boite mémoire hérissée de membranes

Le retenir en espérant encore

en espérant toujours enrichir l’histoire

quitte à la terminer

quitte à ne jamais savoir comment elle finit

l’étoffer de digressions tympanesques

d’ambiances brodées de toutes pièces

pièges à sons doux

dans lesquels on tombe de pleine oreille.

Fermer les yeux

Fermer les yeux

en faisant semblant de croire que l’oreille fera le reste

reprenant à sa façon l’histoire à portée de cochlée.

La biensonnance comme un rêve d’accord parfait

ou presque

de dissonances en consonances.

Fermer les yeux

non pas pour ignorer le monde

mais pour mieux l’avaler de l’oreille

pavillons hissés aux vents soniques.

Éprouver

Les vibrations de pied en cap, corps résonant sans repos aux plissements des bruits.

Traverser

Les seuils de l’audible, et ceux des territoires.

Les franchir d’un pas sonnant ou feutré

jusqu’à ce que le parcours vibrillonne nos corps réceptacles

que chacune de nos cellules soit un objet vibrant

suspendu dans les nimbes d’une intime proprioception à l’auricularité criante

Historier

L’histoire est aussi bruits de couloirs colportés

rumeurs amplifiées d’un monde médiatiquement impudique.

L’histoire est oralisée, et graphiée

sons de la Terre fragile et finissante

dérivant vers un silence déshumanisé

Resteront d’autres histoires qui sans doute en tireront leçon

L’histoire est ponctuée de sirènes entêtantes

alertes déniées ou envoûtements annihilant la moindre résistance

dérives plaintives et doucereuses.

Alors marcher

Alors écouter

Alors raconter, encore et encore

des histoires pleines de bruits

qui résisteraient orgueilleusement au temps et à ses mille chausse-trappes

qui émuleraient des hybridations tonitruantes

autant que chuchotantes

qui croiseraient grandes et petites histoires

trempées dans les sons vifs

qui écriraient et mettraient en mouvement des mythes inouïs

où chaque oreille se reconnaitrait comme écouteuse

dans un immense archipel/univers

bruissonnant à perte d’ouïe.

Oreille rêveuse et histoire sonifiée.

Point d’ouïe, genèse d’un voyage auriculaire

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J’ai, ces dernières années, parcouru beaucoup de kilomètres en voiture (de moins en moins), trains, bus, et parfois avions et bateaux. Néanmoins, l’aventure, petite ou grande, ne commence vraiment pour moi que lorsque je mets pied à terre. Je me sens bien arrivé lorsque j’arpente et écoute, deux gestes souvent indissociables dans ma pratique, le territoire en bout du chemin, où qu’il soit, et fût-il une des innombrables étapes d’un long parcours toujours en chantier.

C’est également lorsque, durant ces arpentages-écoutes, les rencontres, les échanges, les expériences humaines, les explorations partagées, font que les voyages s’ancrent plus profondément dans un parcours intime, paysage sonore affectif, singulier, personnel et pourtant je l’espère partageable.

C’est sans doute ici que le récit se construit, autre voyage dans le voyage, pétri de mémoires vives, où les sons sont inscrits en exergue d’une histoire rhizomatique, entre les deux oreilles.

Écritures sensibles et dépaysement au quotidien

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©Angela Edwards  Crowd Paintings

 

J’essaie de penser ce qui ne m’accrocherait pas, me laisserait indifférent, dans une ville, un village, un quartier, un territoire péri-urbain, naturel… Mais je n’y arrive pas vraiment. Il y a toujours, partout, quelque chose, une petite aspérité, un infime décalage, qui m’accrochent, m’attirent, m’inspirent. Des expériences en marche, des rencontres, des micro-événements imprévus, l’attrait du quotidien, d’une forme d’inconnu non spectaculaire…

Poser l’oreille et le regard quelque part, dans une ville, goûter ses spécialités culinaires, se faire raconter la cité historique, sociale, politique, culturelle, anecdotique, par des guides autochtones, c’est déjà chercher une forme de dépaysement stimulant. Je peux alors un peu plus jouir de ses ambiances, sonorités, couleurs, odeurs, températures, lumières…

En apprenant à (mieux) écouter, j’ai appris à (mieux) regarder, sentir, tâter, lever la tête vers des détails architecturaux, vers d’autres rythmes qu’il faut aller chercher. Il me faut être curieux de ce qui construit un territoire hétérotopique comme dirait Foucault, en l’occurrence celui que je marcherai.

Je suis d’ailleurs très reconnaissant à Jean-Christophe Bailly, dans son livre « Le dépaysement, voyage en France » d’avoir, pour moi, mis en lumière, révélé, exacerbé, cet état de fait, cette richesse de l’écriture narrative sans cesse renouvelée, quel qu’en soit le terrain.

Au final, au fil de ces traversées auriculaires collectives, des workshops que je mène, ce sont bien l’écriture et le partage d’histoires, de récits, celles et ceux que l’on tisse ensemble, qui seront le pivot, l’axe moteur de ces déambulations multiples.