L’écoute paysagère, une façon d’inscrire le corps agissant dans l’espace

Marcher et écouter dans les grandes lignes

On peut envisager ici le corps écoutant, déambulant, comme une sorte d’oreille active, qui va déchiffrer des parcelles de territoire en les arpentant.

Le corps s’inscrit ainsi dans l’espace public, se posant sur des points d’ouïe, où parcourant un territoire, toutes oreilles à l’affût.

Cette mobilité écoutante, en offrant des postures immersives, des approches Sensori-motrices, proprioceptives, engage et inscrit un corps qui va lire et façonner l’espace en fonction de ses gestes, de ses perceptions, et de toutes les interactions découlant des rapports corps/espace.

S’offre ainsi à nous une multitude de situations, faisant de la ville ou d’espaces naturels, un terrain de jeu sensoriel toujours renouvelé.

Des rythmes de déambulation, de la vitesse de nos déplacements, des réactions à des stimuli ou à des rencontres inopinées, de la marge d’improvisation et d’imaginaire que nous nous laisserons, les cheminements d’écoute nous permettront la lecture et l’écriture de paysages sonores plus ou moins inouïs.

Engager son corps dans un bain sonore, au cœur d’une ville par exemple, c’est accepter d’être plus ou moins chahuté, bousculé, ému, par des ambiances sur lesquelles nous n’avons pas forcément de prise. Cette posture de corps écoutant dans un espace souvent complexe, n’est pas toujours très confortable, voir même peut se révéler déstabilisante.

Les stimuli auditifs nous embarquent parfois dans un monde où les affects nous touchent, nous cueillent à fleur de peau, à fleur de tympan dirais-je même.

L’habitude d’arpenter les territoires auriculaires nous forgent des outils perceptifs pouvant nous faire prendre un peu de recul face aux sons que nous traversons et qui nous traversent. Tout en gardant possibles des émotions plus ou moins épidermiques, nous accepterons nos fragilités écoutantes en sachant mettre un peu de distance entre le corps écoutant et la chose entendue.

Au fil de nos marches d’écoute, nos sens s’affineront, avec le développement de jugements qualitatifs, tels des outils d’analyse, de compréhension, qui nous feront prendre le pouls d’un environnement parfois au combien bruyant.

Cette inscription corporelle, notamment via des gestes d’écoute, dans différents territoires, reste une recherche-action au long cours, un chantier expérimental qui tisse une toile de paysages sonores comme objet d’étude et d’expérimentation. Cette posture sensible demande une constante adaptation au terrain, une souplesse dans l’action donnant au corps une capacité de réagir à de nombreuses situations et sollicitations du terrains appréhendé.

La diversité comme richesse

Autant d’espaces traversés, autant de diversité, de richesses, de possibilités de rebonds, d’interactions.

Nos corps marchant sont soumis à moult stimuli, excitations, contraints par de nombreux obstacles, empêchements… Constamment, il nous faut chercher des réponses physiques et mentales, expérimenter, tâtonner, pour trouver notre place dans une multitudes de paysages géographiques, climatiques, mentaux…

De ports en forêt, de montagnes en plaines, la marche porte notre écoute à travers un kaléidoscope aux innombrables facettes, parfois trompeuses.

Comme tout paysage, jamais le lieu et le moment ne sont perçus comme de parfaites répétitions, d’exactes redondances, des copies conformes, déjà vu, ou entendues. Ces imprévisibilités chroniques sont parfois vécues comme des situations inconfortables, voir stressantes, ou au, contraire comme une richesse, une diversité toujours entretenue par le déplacement des corps et des sens. Le terrain et ses accidents nous tient en alerte. Un son exogène, étranger, ou le paraissant, hors de son contexte habituel, nocturne, devient vite comme une alerte questionnant les espaces où s’engage le corps, oreille comprise.

Préserver la diversité est aujourd’hui une chose capitale, surtout lorsque l’on parle de biodiversité, mais du vivant au sens large. Il en va de même dans le domaine du sonore. Un paysage saturé de voitures, comme une plaine céréalière ou plus rien ne vient surprendre l’oreille tant les écosystèmes ont été ravagé sont des exemples flagrants de « monosonie ». Dans la saturation comme dans la paupérisation, l’écrasement des ambiances par une densité à la limite du soutenable ou un silence peu réjouissant, si ce n’est mortifère, n’offre pas de belles perspectives pour maintenir notre oreilles aux aguets.

Le corps écoutant, face à ces paysages sacrifiés à l’autel de l’écoute ne trouve plus aucune diversité, accroche, pour poser une oreille curieuse et satisfaite dans des paysages acoustiquement sinistrés.

Fort heureusement, des sites, urbains ou. Non, présentent encore suffisamment de ressources auriculaire pour que l’écoutant y trouve son compte, quitte à devoir faire l’effort de discrimination nécessaire pour jouir de la diversité sonore. Ce qui nous ramène çà des pratiques envisagées ci-avant, où l’oreille est éduquée à mieux écouter pour ne pas avaler tout cru la masse sonore sans discernement aucun.

Le choix et le moment de nos écoutes est donc un critère important pour profiter au mieux d’écosystèmes acoustiques riches et variés. Sauf bien entendu, si je puis dire, à faire le choix d’aller entendre des milieux fragiles, pollués, désertés, et socialement auss difficile à entendre qu’à vivre. L’écoutant doit prendre conscience que, de même que visuellement, des massacres paysagers ont lieu un peu partout, sans parler de la qualité de l’air, des aliments, de l’eau, et autres dégradations à grande échelle que subissent les espaces à la limite du vivable.

Acoustiquement, le trop est comme le pas assez, une situation où des hégémonies ou des raréfactions rendent les lieux plus ou moins inécoutables. J’ai fait l’expérience, pour différents projets, de grandes traversées de boulevards périphériques, desquelles ont ressort extrêmement fatigués, fourbus, presque anesthésiés, physiquement comme mentalement, tant la pression sonore nous impose des tensions difficilement soutenable à long terme.

A l’inverse, une promenade écoutant dans des espaces alternant des ambiances acoustiques plus apaisées, et en même temps très diversifiées, que l’on soit à l’orée d’une forêt ou dans le dédale d’une vieille ville « historique » nous procure un réel plaisir.

L’oreille a besoin de diversité, diversité équilibrée, pour s’épanouir dans des paysages à portée d’écoute. Les aménageurs devraient y prendre garde en amont de crtains aménagements, avant que d’avoir à ériger des murs anti-bruits aussi onéreux que peu efficaces.

Les plantations végétales, ou les « désemprises sauvages », les parcs urbains, les cheminements à l’abri des grands flux urbains, les clairières et les massifs forestiers protégés, sont autant de gages d’espaces où l’on respire et où l’on entend mieux. Les coupes forestières « à blanc » comme la bétonisation des métropoles chassent toute une biodiversité dont nous avons pourtant tant besoin pour bien, ou tout au moins mieux vivre, au cœur du concert quotidien des sons du vivant, et des autres, dans toute leur diversité.

Un marché d’un quartier cosmopolite, avec un grands nombre de langues, d’accents, d’intonations, est très agréable à écouter, parfois comme un vrai dépaysement à quelques encablures de chez soi.

Le lever du jour, heure bleue, ou chorus day (réveil des oiseaux), même en milieu urbain, où tout un joyeux monde de volatiles diserts donnent du syrinx, est un moment privilégié, qu’il faut apprécier comme une sorte de don auriculaire offert à ceux qui aiment voir et entendre les moments de bascules nocturnes/diurnes très matinaux. Une richesse à fleur de tympans.

Le corps s’inscrit alors dans des espaces-temps privilégiés, des scènes acoustiques qu’il faut savoir accueillir comme de fragiles offrandes.

La souplesse d’interagir dans les relations corps/espaces mouvants

L’interaction est au cœur du sujet, celui du corps écoutant inscrit dans un ou des espaces sonores. C’est par elle que l’écoute se fait, s’élargit, que le cheminement se trace, que le corps se met en marche. L’interaction, c’est se laisser une marge de manœuvre, voire d’improvisation, pour que le corps puisse se libérer et investir pleinement l’espace habité par une multitude de sons.

C’est une disponibilité qui nous permet de rebondir en écoutant, de rebondir en marchant, de rebondir en arpentant, en restant ouvert à toutes les invitations potentielles rencontrées dans nos expériences auriculaires situées.

Le corps doit rester disponible et prompt à réagir à l’écoute de sons les plus divers. Un collègue compositeur avait donné pour titre à une de ses compositions « Garde toi une marge d’incertitude ». Ce titre est toujours resté gravé quelque part au fond de ma mémoire, et questionne encore régulièrement mes gestes, mes décisions, indécisions, incertitudes.

C’est ce jeu fonctionnel, ces marges relationnelles improbables qui font qu’un corps écoutant peut décider de poursuivre son chemin, de s’arrêter, se poser sur une scène sonore qui se présente à l’improviste.

Le corps, en l’occurrence le mien, et les territoires parcourus, ceux que je décide d’investir, ou bien qui me sautent à l’oreille comme une évidence non préméditée, me laissent différentes options possibles, des potentialités d’interactions.

Les volumes d’une pièce, la lumière, la chaleur, la topologie, tout comme les ambiances acoustiques, même des plus imperceptibles, vont influer sur mes gestes et ressentis, et en partie décider de mes choix.

Une cloche sonne et je m’arrête pour mieux en profiter. Un chanteur de rue se fait entendre ert je me dirige doucement vers lui, travelling focal, deux fontaines encadrent un quartier et je procède à un mixage en fondue enchainées en marchant de l’une à l’autre… Et bien d’autres situations qui peuvent générer des réponses corporelles à des situations sensorielles données, même des plus improbables et inattendues.

Le corps et les espaces dans lesquels il joue sont interfacés de façon à dialoguer en bonne entente, autant que faire se peut, y compris dans des situations où les sens sont mis à mal, où le corps peut souffrir de situations auditives tendues, stressantes.

Le corps est une caisse de résonance, un contact épidermique, vibrant par tous les pores de son enveloppe exposée à des milieux sonores souvent imprévisibles et parfois violents.

Il existe des phénomènes de résonance par sympathie, où un corps vibrant en fait résonner un autre, comme une métaphore d’un être physique qui se frotte à des espaces qui viennent exciter toute sa carcasse exposée et immergée dans des espaces secoués de mille vibrations.

Nos corporalités et spiritualités possèdent la souplesse de constamment s’adapter aux stridences et chuchotements du monde, avec parfois une grosse dose d’adaptation, de robustesse, de résilience, qui maintiennent notre écoute en éveil. Les interactions corps écoutant choses écoutées sont pétries dans des relations complexes, mouvantes, éphémères, propres à la fugacité et à l’instabilité du monde sonore.

Les relations psycho-sensorielles, y compris celles des plus instables, sont irriguées d’interactions qui mettent en étroites relations les oreilles, la vue, les pieds, le cerveau, et au final le corps entier, qui aspire ainsi à rester connecté de façon sensible au monde, notamment par l’écoute.

L’inscription dans une géographie en mouvement

La géographie a longtemps été cantonnée dans des modes de représentations graphiques de territoire codifiés sur les espaces en deux dimensions de la carte papier.

Pour voyager, naviguer, ces plans de territoire, avec l’aide parfois de boussoles et de sextants, des étoiles et des sommets, il fallait déployer des cartes, ou des sééries de cartes.

Le mouvement pouvait alors nous mettre en route, dans des itinéraires plus ou moins précis et définis.

Aujourd’hui, la géolocalisation informatiques nous emmène sur les routes et les chemins avec des risques moindre de faire fausse-route, de commettre des erreurs d’interprétations, d’orientations. Le plus gros risque encouru est justement celui de n’avoir plus guère la possibilité de nous perdre, au moins momentanément, et de nous faire sortir des sentiers battus.

Pour le marcheur, le corps déambulant est étroitement surveillé et guidé, de sentiers en sentiers.

La géographie a d’autre part exploré des domaines du sensibles dont elle ne se souciat guère il y a quelques années en arrière.

Les notions de géographie sensible, voire de géographie du bien-être sont apparues, entrainant les « explorateurs » vers de nouveaux territoire où le corps s’inscrit dans des territoires où l’on regarde, goûte, touche, écoute…

Début des années 90, nous avons cartographié des sites acoustiques remarquables dans le Parc Naturel Régional du Haut-Jura, ce qui à l’époque était une bien étrange façon de faire, en convoquant l’écoute pour aborder un territoire par les oreilles.

Des guides et cartes ont été crées pour partir à l’écoute des paysages, voire penser de nouveaux territoires paysages sonores, à la suite de Raymond Murray Schafer.

Le corps écoutant, à l’échelle d’un parc naturel, découvrait une géographie auriculaire, faite d’échos, de torrents, de cloches, de réverbérations…

La fabrique de cette géographie demande au corps de se mettre en mouvement, d’explorer de l’oreille, pour aller cartographier des sites acoustiques, des cloches remarquables, mettre en valeur des éléments sonores ponctuels, tel l’ensonnaillement des troupeaux, des traditions et patrimoines sonores…

Cette géographie nous emmène hors des sentiers battus, crier en direction des falaises pour en faire sonner révéler les échos multiples, tendre l’oreille aux insectes et oiseaux d’une tourbière, découvrir, du haut d’un belvédère, les sonorités d’un village niché au creux d’une combe…

Les sons font paysages, façonnent l’espace, les torrents dessinent acoustiquement les vallons pour l’oreille, les troupeaux donnent l’échelle du paysage en se déplaçant à flancs de collines, de même que les coups de tonnerre se répercutent sur les reliefs environnants, précisant à l’écoute les barrières naturelles environnantes…

Le corps est immergé dans une topologie sonore marquée d’éléments stables ou ponctuels.

Le promeneur se construit sa propre géographie, traçant de l’oreille des repères qui feront apparaître des paysages la plupart du temps inouïs, car généralement inécoutés.

Cette géographie sensible, arpentée, révélera des points d’ouïe comme des aménités paysagères, et d’autres comme des zones plutôt inconfortables, avec leurs nuisances et pollutions.

Entre le cris d’une buse chassant au-dessus des prairies et le hululement stridents des sirènes d’alarmes, et le ressac de vagues venant rouler les galets de la plage, gageons que les espaces écoutés ne seront pas perçus avec les mêmes affects.

Autant d’espaces, autant de mouvements, de postures d’écoute, autant de paysages et d’écritures géographiques. Aujourd’hui, la découverte sensible d’un lieu convoque plus souvent le smartphone que la carte papier, l’explorations des villes et des campagnes, y compris de leurs sonorités intrinsèques, passe toujours par une représentation, une écriture partageable des lieux, donc une géographie ad hoc. Sachant que le parcours virtuel ne remplacera jamais, pour moi, le fait que le corps se frotte au terrain, quitte à parfois en ressentir les inconforts, en éprouver les fatigues liés aux topologies, météo, et autres désagréments potentiels.

Si mon expérience personnelle tend à privilégier l’écoute pour développer des géographies sonores, le corps lui, a une approche globalement polysensorielle, convoquant dans ses écritures in situ, ses traces de parcours, les autres sens faisant de nous des êtres réceptifs et réactifs aux milieux vécus, habités,traversés.

L’inscription dans des paysages sonores mémoriels

L’expérience physique, corporelle, vécue, appréhendée sur le terrain, impressionne, comme le ferait la lumière sur un papier sensible, notre corps, jusque parfois dans ses mémoires plus ou moins présentes ou enfouies dans les strates du temps qui passe.

Ce qui a été vécu, parfois de façon forte, émotive, reste gravé quelque part au fond de nous, de notre mémoire, prêt à ressurgir n’importe quand, n’importe où. Revenir dans un lieu où nous avons passé notre jeunesse, vécu nos premières amours, ramène à la surface non seulement des images, mais aussi des sons.

Un paysage sonore est peuplé, voire construit de chansons rythmant des fêtes de famille, de repas associatifs, d’explorations déambulatoires nocturnes, de timbres de voix disparues, et de mille sons ayant impacté notre vie.

La mémoire, ou plutôt les mémoires de paysages sonores construisent petit à petits un catalogue d’ambiances mémorielles, de typologies acoustiques, qui sont régulièrement réactivés en se frottant aux situations d’écoute de terrain.

Ces mémoires permettent d’acquérir une culture audio-paysagères qui nous donnent des repères, des référents. Ces référents nous donnent à leurs tours des éléments de comparaisons, des outils critiques, nous permettant d’analyser des ambiances de terrain en ayant déjà des points de repères, des clés de jugements esthétiques, qualitatifs, éthiques… La mémoire des lieux est en grande partie sensorielle, habitant notre corps dans un ensemble plus ou moins net de stimuli audio, lumineux, chaleureux, tactiles, goûteux… traverser une forêt oreilles ouvertes en rappelle une autre, plus lumineuse, plus chantante, ou plus calme. Ces mémoires réactivées nous font revivre, avec parfois une prise de distance, une amplification, ou une atténuation, des miroirs déformants, une marche écoutante, la traversée d’un site, d’une ville… Raconter une déambulation, ses ambiances sonores, ses scènes acoustiques, même avec toutes les interprétations et imprécisions inhérentes, c’est non seulement revivre, mais(re)construire un paysage où le corps entier s’est laissé imprégné de mille stimuli qui auront transformé, façonné une expérience sensible quasi viscérale.

Le corps écoutant au cœur d’espaces conciliés

Les espaces conciliés, et parfois réconciliées, sont les endroits où l’on peut faire, construire ensemble, dans une certaine harmonie, une bonne entente dirais-je ici en parlant de l’écoute.

Ces espaces relient nos corps écoutants à d’autres organismes environnants, vivants ou non, et aux milieux qui accueillent tous ce beau monde dans un joyeux bruissement, ou tintamarre selon les moments.

C’est là où il est possible de bien s’entendre. Là où le chant de la rivière fait sonner le paysage et vibrer notre corps, nourrissant au passage un territoire vivant.

L’écoute attentive, attentionné dirais-je même, celle qui sait déceler les richesses, les souffrances, les absences, les disparitions, les saturations… nous place dans des espaces où la conciliation est au cœur du sujet. Conciliation comme une recherche apaisée, une bienveillance partagée que l’esprit des lieux nous propose à qui sait l’entendre.

En matière de sonore, le respect de l’équilibre auditif se pose d’emblée. Se promener avec une radio en bandoulière sur un site forestier ou montagneux n’est certainement pas le geste le plus raisonnable, et encore moins, à certaines époques, installer une puissante sono dans une prairie avoisinant des lieux de nidification… Sans entrer dans une pensée moralisatrice donneuse de conseils, ou ne sachant que proférer des interdits, le travail sur des espaces conciliants, où chacun reste à une place raisonnable, non envahissante et non polluante, passe par un bon sens partagé. Il demande une forme d’intelligence collective, une attitude responsable.

L’écoute nous aide, ou tout au moins devrait nous aider, à savoir où se situent certaines marges de tolérance, avant que l’intolérance, et donc les risques de violences physiques et psychiques ne prennent le dessus. On peut comprendre qu’un promeneur, dans un massif forestier, ne supporte plus l’incessant passage de quads pétaradant à tout va, ou de ball-traps nocturnes couvrant tous les bruissements qu’offrent les chants de la nuit.

Le travail sur des espaces conciliés où peuvent co-habiter promeneurs, ruisseaux, oiseaux arbres… dans des espaces auriculaires soutenables, soulève une problématique complexe, et parfois sur des échelles territoriales importantes. Il convoque une éthique environnementale.

Plusieurs bio ou éco-acousticiens faisant des relevés sonores dans une forêt jurassienne protégée, notent, enregistrements à l’appui, l’invasion sonore due à un couloir aérien vers l’aéroport de Genève tout proche. Difficile de faire taire les avions, même si les constructeurs ont grandement réduit, ces dernières années le bruit des réacteurs, ni de les détourner de leurs couloirs pour aller envahir d’autres contrées. Gageons que les espèces animales voient leur communications, souvent sonores, rendues bien difficiles.

Parfois, des paysages ruraux ont été chamboulés par des traversées intempestive de voix de TGV, ou d’autoroutes, qui auraient gagné à trouver d’autres chemins pour ne pas littéralement envahir l’espace sonore. Dans bien des cas, les espaces non conciliés, saturés, pollués, et limite irréconciliables, font l’objet de batailles entre propriétaires, lobbies industriels, agro-alimentaires, où l’intérêt d’une écologie sonore, de la qualité de vie, est le dernier des soucis des aménageurs et politiques.

C’est ici que nos corps écoutants, et tous ceux qui nous entourent souffrent. C’est ici que nous comprenons que la préservation de zones calmes, à défaut d’être silencieuses, vivantes, est un combat au jour le jour. Il faut là aussi réfléchir au fait que le bétonnage de nos montagnes, pour une poignée de skieurs hivernaux, est à mettre en balance avec la qualité de vie, pour entendre encore les cris des marmottes guetteuses et le tintement musical des troupeaux ensonnaillés, la cloche en fond de vallée.

Ces espaces où nous nous sentons conciliés, voire réconciliés avec le monde par les oreilles, doivent être défendus, protégés pour rester écoutables au fil du temps qui passe.

L’écoute d’un site est un geste reliant, conciliant, parfois réconciliant, des espaces physiques, psychiques, des géographies multiples, des terrains sensibles, à l’épreuve de stimuli, notamment sonores dans notre cas.

Ces espaces où l ‘harmonie, l’apaisement, le calme, pourraient régner en maitre, relève à priori d’une pure utopie, d’un rêve idéaliste. Ils existent pourtant, souvent à petite échelle, dans des lieux de plus en plus rares, et menacés.

Mais dans une approche où des formes d’utopies réalisables sont pensée comme moteur d’actions, à l’échelle d’un territoire, même relativement circonscrit, ces espaces sont à construire, et parfois à défendre. Les espaces conciliés autant que conciliants sont de l’ordre de l’aménagement du territoire,du bien être, du soin, de l’artistique et du culturel, de l’approche transdisciplaire. Alors, dans ces actions croisées, le corps écoutant trouvera, ou retrouvera une place d’auditeur acteur d’espaces vivables. Rien n’est gagné d’avance, mais le jeu en vaut la chandelle.

Point d’ouïe, faire récit des territoires de l’eau

Les fleuves, océans et ruisseaux ont été peints, écrits, poétisés, photographiés, chantés, dansés, mis en musique…

On peut aussi leurs donner de la voix, les faire entendre, en les écoutant traverser nos paysages à fleur de terre et de tympan, en en suivant les rives.

On peut les raviver, les garder bien présents, bien vivants, en recueillant leurs intimes bouillonnements comme leurs furieux grondements.

On peut les défendre en en faisant récit par leurs propres sons recomposés, comme par des mots associés…

Bassins versants, l’oreille fluante

Soutenez le projet, Cagnotte participative

APNÉES « Paysages composés 2023 »

Un weekend entier pour investiguer les points de rencontre entre écologie sonore et musiques de recherche, entre expérimentations sonores et expériences d’écoute paysagère.

APNÉES vous invite au croisement de disciplines très diverses, allant de l’écoacoustique aux arts sonores, de l’urbanisme aux technologies du son, pour vous faire enfin découvrir les multiples manifestations et implications des paysages sonores.

Conférences, ateliers, installations sonores, promenades sonores, projections, concerts, performances, comme autant de voies possibles pour aborder, comprendre, imaginer, transformer, préserver les milieux sonores dans lesquels nous sommes immergé·e·s au quotidien.

Des portes d’accès multiples pour activer une expérience d’écoute attentive qui soit également porteuse d’une réflexion écologique, afin de dévoiler les spécificités et les fragilités d’espaces en transition à l’ère de l’Anthropocène.

En partenariat avec : Maison des Associations de Grenoble | Muséum d’histoire naturelle de Grenoble | équipe CRESSON (centre de recherche sur l’espace sonore & l’environnement urbain) du laboratoire AAU (Ambiances, Architectures, Urbanités) de l’École Nationale d’Architecture de Grenoble (ENSAG) | Université Grenoble-Alpes (UGA) | laboratoire ACROE (UGA/Grenoble-INP) de Grenoble | Collectif PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores) | Association Plège/Le Ciel | Radio Campus Grenoble 90.8 | Music Plus Grenoble | réseau inDREAM (international network for the Diffusion of Recorded Electronic & Acousmatic Multichannel music) |

PAYSAGES | COMPOSÉS bénéficie du soutien de la Ville de Grenoble.

Lien du site APNÉES pour en savoir plus

Paysages incertains

Nocturne – Nicolas de Staël – 1950 –

Que faut-il dire, encore, du paysage ?
Que faut-il en entendre ?
En toucher, en sentir, en goûter, en voir, en vivre ?
Saisir l’insaisissable…
L’oreille y est aguerrie, parfois…
Le fugace et le fragile, qui peuvent aller de paire, pas toujours pour les mêmes raisons.
Saisir ce qui peut-être décelé que lorsque nous sommes présents, au bon endroit, au bon moment, une affaire de kairos auraient dit les grecs de jadis.
Saisir ce qui peut être partagé, si le geste est collectif, dans son intention commune.
A quoi porter, ou prêter attention ?
Faire attention à… mais à quoi ?
« Votre âme est un paysage choisi « disait joliment Verlaine.
En notre âme et conscience, le choisir, le paysage, comme lieu d’émerveillements, de confidences, de craintes et aussi d’angoisses…
Ainsi au fil de l’eau.
Par monts et par vaux.
Dans et par delà la ville.
Prendre le pouls de nos habitats potentiels.
S’y sentir bien, comme un chez soi
Ou oppressé dans un milieu hostile.
Le paysage est un point de vue, parfois de fuite.
Un point d’ouïe par translation sensorielle.
Il nous convie à une expérience esthétique, au sens large du terme, pouvant être à la limite du supportable, du soutenable, esthétique de la fragilité.
A quels paysages se fier ?
A ceux que nous fabriquons sans doute, déconstruisons souvent, dénaturons aussi.
Dans les meilleurs et les pires des cas.
Chassez le naturel, il revient au galop, quand nous serons partis sans doute.
Le paysage ne prend pleinement consistance que dans une corporalité de terrain.
Pas toujours une partie de plaisir.
Le traverser, en être traversé, transformé, chamboulé.
En jouir ou en pâtir.
Le détruire, même inconsciemment, ou tenter de le reconstruire, le restaurer dit-on, quand il n’est pas trop tard.
Mais prenons-le comme une vaste maison, qui nous accueillerait dans toute sa magnanimité. Sans rancune aucune.
Avec toutes ses choses encore inouïes.
Celles qui donnent envie de danser, envers et contre tout.
Une immense ronde valsant du corps et de la voix, comme un geste résistant à la noirceur du monde.
Il nous faudra garder une belle part de rêve pour danser sur des cendres.
Paysages mouvants, incertains, qu’en dire en corps et qu’en ouïr ?

Paysages sonores etc

Le son qui émerveille

  • La beauté d’un paysage passe aussi par les oreilles
  • Vers une esthétique des paysages sonores, les musiques des lieux
  • Des créations et installations audiopaysagères…
  • La recherche de points d’ouïe et d’acoustiques remarquables…

Le son qui soigne et prend soin

  • Prendre soin de la chose écoutée, de l’écoute et de l’écoutant
  • Prêter l’oreille et porter attention
  • le silence et le calme comme des droits fondamentaux
  • L’audiothérapie et le paysage, des oasis sonores
  • Des paysages sensibles ressourçants…

Le son qui aménage

  • Les outils et législations, cartes de bruit, zones calmes, trames blanches…
  • Des parcours d’écoute, marches sensibles et mobilités douces
  • De l’acoustique à l’esthétique, de la sonométrie à l’approche qualitative, de la norme au plaisir, du confort à la signature sonore…

Le son qui mémorise et valorise

  • La préservation des espaces sonores fragiles, des langues et dialectes, des signaux sonores qualitatifs, des traditions et savoir-faire sonores, inventaires des sites auriculaires remarquables*…

Le son qui questionne la pluralité et le complexité

  • Le paysage est d’une approche complexe, le sonore en est une constituante.
  • Le son n’est pas seulement une esthétique ou une nuisance, il s’envisage comme une façon de penser éthique, écosophique, philosophique, politique, poétique…

*Travaux d’Aciréne

Lumières et sons de concert

Digital Camera

Les lumières ont ceci de commun avec les sons,

qu’elles elles sont intangibles, fugaces, volatiles, changeantes, parfois totalement imprévisibles.

Elles s’accrochent aux reliefs, aux aspérités, aux anfractuosités, 

comme les sons se jouent des typologies, des matériaux, des obstacles.

Elles caressent les paysages qu’elles contribuent à faire vivre, les noient, les submergent, les façonnent.

Elles accompagnent les jours et les nuits, drapées de plus ou moins de consistance, de présence, d’opacité ou de transparence.

Tout comme les sons, voire même avec eux, elles font sensations, 

elles ambiantisent, 

elles font paysages.

Tout ceci de concert, en résonance, en friction, en dissonance, en harmonie.

Digital Camera

Du gravier magmatique au bloc basaltique,  de la goutte de rosée à la rivière dévalante, les effleurements, les caresses audio-luminescentes colorent le monde, l’irisent, jusqu’à le rendre insaisissable.

Complices compères, l’entendu et le vu, le son et la lumière, aujourd’hui, dans les collines auvergnates que j’habite, que j’ausculte, que je scrute, pour un temps, 

sont des formes perceptives qui me font corps antenne, 

corps réceptacle, 

corps accueillant

corps agissant

corps à ma façon,

corps faisant paysage

corps paysage.

Digital Camera

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Le parcours sonore comme partition d’un paysage sensible

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Parcourir, c’est tout simplement aller d’un point à un autre, avec un itinéraire plus ou moins défini. C’est aussi arpenter, se frotter aux lieux, les mesurer, s’y mesurer.
On peut aussi parcourir un document des yeux, et pourquoi pas un territoire, tel un document. Le scruter de l’œil comme de l’oreille pour en jauger son étendue, ses topologies, architectures. En chercher les horizons, des points de repère, des points/lignes de fuite, balayer un panoramique, lire le paysage comme une carte à portée de vue, et bien souvent hors-champ lorsque les sons sont de la partie.

Par analogie, en transposant la vue vers l’ouïe, nous lirons le paysage sonore en le parcourant des oreilles, en ayant conscience que ce dernier est truffé de hors-champs, et sans cesse en mouvement, et ne peut donc être de ce fait aussi aisément circonscrit qu’un espace visuel.

Le parcours peut aussi s’appréhender comme une expérience personnelle globale, ou partielle, parcours professionnel, parcours de vie, parcours mental, dans lesquels le paysage sonore y trouverait une place sinon centrale et incontournable, du moins indéfectible.

C’est à l’aune de ces différents parcours, ou modes de parcours que je réfléchis à des outils d’écoute en marchant, grilles d’analyses des composants acoustiques, stratégies de descriptions s’appuyant sur une démarche en grande partie phénoménologique, y compris dans leurs approches sensibles. Bref, je mets en place une sorte d’écritoire partitionnant le paysage en le donnant à lire par les oreilles, mais en nous incitant également auparavant à l’écrire, pour en faire saillir un jeu de cohérences.
Cohérences esthétiques, qu’est-ce qui s’accorde, qui impulse des harmonies, mixages, transitions ? Ou bien comme tel un instrument qui sonnerait désaccordé, tout au moins face à nos codes culturels, qui seraient très différent d’ailleurs, et ne doutons pas qu’il en irait de même pour un paysage sonore, même si la “nomanitude” ambiante a tendance à aplanir les différences et spécificités.
Cohérences dynamiques, des questions d’équilibre, voire de confort et si possible de plaisir.
Cohérence sociale, comment bien ou mieux s’entendre dans et avec nos lieux de vie, améliorer des lieux où la parole devient quasi inintelligible, où est on laminé de flux sonores hégémoniques ?

Parcourir un lieu c’est en tracer des lignes de force, des lignes directrices, c’est se repérer dans un espace complexe, du presque vide où nous manqueront des repères auditifs, rassurants, au trop plein où nous seront noyés dans une masse rendant inaudible toute information pouvant nous guider dans des lieux au final trop chaotiques. Toute personne ayant déjà travailler avec des aveugles ou mal-voyants saura parfaitement de quoi je parle.
Si un trajet quotidien devient, à l’oreille, un parcours du combattant, une haute lutte pour trouver quelques signaux et repères, gageons que l’urbanité sera alors tout sauf sociale !
Si les lignes de vie deviennent systématiquement lignes de fuites, les tensions auriculaires d’une ville, d’un quartier, trop prégnantes, alors nous déchiffrerons des partitions sonores tellement discordantes, dans un bruitisme incontrôlé, que l’espace public en deviendra invivable, livré aux voitures maitresses sans concession.

Tableau un brin noirci au jour où le moteur électrique apparait peu à peu, avec l’espoir de faire disparaître petit à petit l’impétuosité pétaradante des moteurs thermiques. Attendons de voir, et surtout d’entendre comment se rééquilibrera ou non les partitions sonores urbaines, comment se redessinerons des parcours plus harmonieux et apaisés.
Il nous faut ici, à travers les parcours et traversées écoutantes, éviter le manichéisme confrontant et opposant les espaces de “silence”, de calme, de belle écoute, avec des espaces appréhendés comme bruyants, saturés, et au final inécoutables. Il nous faut considérer le paysage (sonore) comme un objet complexe, multiple, trop mouvant pour être réduit à un parcours unique et indiscutable. Gardons à l’esprit que nous traversons un flux sonore permanent, d’une ambiance sonore à l’autre, cueillant au passages des fragments aux contours incertains, éphémères, et qui pourtant nous permettent de nous repérer, si ce n’est de survivre à l’agitation complexe du monde.
Écrire des partitions sonores, des traces ré-intèrprétables de territoires arpentés préalablement, avec la volonté d’un recul se posant comme une condition nécessaire devient alors une problématique intéressante.

L’espace visité, ausculté, le parcours et la partition inhérente, nous fournissent de nouveaux outils de lecture, comme d’écriture, voire même de ré-écriture.
Dans l’idéal, un processus de ré-écriture devrait nous permettre de chercher des solutions pour apaiser ce qui nous agresse, mais aussi dynamiser ce qui nous parait d’un ennui mortifère.

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La partition sonore dune ville s’écrit aux tempi des écoutants, des praticiens, des résidents, des aménageurs. Et ils ne sont certes pas les mêmes pour tout le monde, laissant parfois l’environnement sonore dans un total marasme et les oreilles dans un profond désarroi, tellement il est négligé, laissé en friche, et souvent totalement ignoré.
La parcourir régulièrement nous montre les creux, les carences, les dysfonctionnements qui perturbent sensiblement nos écoutes, nos vies.

Il existe fort heureusement des îlots protégés ce que je nome des oasis sonores, et qu’il faudrait considérer comme des ZAD – Zone Acoustique à Défendre. Nous devrions d’ailleurs prendre les espaces où l’écoute reste privilégiée comme des modèles d’aménagement qui inspirerait ici et là, l’installation de réserves sonores qualitatives.
Parcourir une ville, ce peut être l’occasion de dresser un inventaire de lieux acoustiquement équilibrés, riches, voire d’exception. En dresser une partition, un plan, un itinéraire, serait une seconde phase, en veillant bien à ne pas transformer ces espaces en zones de grande circulation, même piétonne, pour ne pas réduire un havre de paix en point noir, acoustiquement parlant. L’équilibre acoustique de certains est déjà si fragile qu’il s’agit de ne pas contribuer à un nouvel envahissement contre-productif.

Ces parcours et partitions doivent pour moi être une forme d’arpentage, d’appropriation, en mode doux, très doux. A l’heure où des tensions sont hélas de plus en plus perceptibles dans l’espace public, pour quelques raisons que ce fût, il convient de préserver une certaine sérénité, sans pour autant se voiler la face sur les dangers encourus, tant sociaux qu’écologiques, les deux d’ailleurs étant parfois très  fortement liés. Le son a certainement ici son mot à dire, et surtout sans hausser le ton, plutôt dans une proposition intime et raisonnée.

Audiobaladologie, PAS – Parcours Audio Sensible, Partition Guide d’écoute 1

PAS – Parcours Audio Sensible
Partition Guide partition d’écoute 1
Quartier de Vaise/industrie

 

Notice : Ce premier guide partition d’écoute s’appuie sur une série de repérages dans un site donné. En l’occurrence mon quartier, terrain favori et privilégié pour mener mes explorations et expérimentations audio-sensibles. Il propose un parcours pédestre d’environ deux kilomètres, en boucle, partant d’une station de métro, et nous y ramenant. Il ne demande aucun équipement spécifique, ni ne propose aucune installation sonore amplifiée, s’effectuant via des situations d’écoutes purement acoustiques. Cet itinéraire s’appuie au mieux que possible, sur une éco-audiobaladologie non énergivore, non intrusive, non invasive, privilégiant l’oreille, nue pour aborder des formes d’installations sonores quasi aléatoires, au final déjà pré-existantes, et éminemment contextuelles et interactives. Les PAS ainsi encartés œuvrent à créer des partitions de marches sensibles où la mise en situation et la posture sont au centre de processus créatif, tant en lecture qu’écriture paysagère. Il s’agit de goûter, de savourer des paysages sonores ambiants, en pour moi d’en faire collection. Ce jeu de partitions marchécoutées s’inscrit dans un long processus d’actions récurrentes, avec tout un contexte de variabilité in situ, impulsé il y a déjà une dizaine d’années maintenant, « Et avec ta ville, comment tu t’entends ? »

En pratique : Prévoyez une heure trente à deux heures pour le parcours intégral. Il est possible de le faire de façon fractionné, ou point par point, bien qu’il soit préférable de l’envisager comme une continuité spatio-temporelle qui gagnera à être appréhendée dans sa totalité. Vous pouvez télécharger et imprimer le plan guide, le consulter sur votre smartphone.  Une application autonome est en cours d’écriture. Votre marche doit être apaisée, sans presser le pas, comme un geste d’arpentage non stressant. Libre à vous de choisir la durée des points d’ouïe immobiles, sachant que deux à trois minutes sont des valeurs propices à apprécier les ambiances à leur juste valeur, à « rentrer dedans ». Selon les moments, les événements sonores, vos humeurs d’écoutants, ces durées pourront être adaptées à chaque situation. A chaque point d’ouïe, il est intéressant de tester plusieurs postures d’écoute – yeux fermés, en tournant le dos à la source sonore, en mettant ses mains en pavillon derrière (ou devant) les oreilles, en tournant lentement sur soi-même, en faisant de lents aller-retours entre deux sources sonores… L’écoute reste ici le geste privilégié, mais n’exclue en rien de se délecter des couleurs d’une nuit tombante, des reflets de l’eau, des odeurs, des textures sous nos pieds, du vent sur le visage… Nous restons des être fondamentalement multi-sensoriels ! Vous pouvez effectuer ces parcours en solitaire, ou à deux ou trois. Au vue de leur caractère intime, où le silence est de mise, il est beaucoup plus difficile de les pratiquer en groupe plus conséquent.

Bonne déambulation, bonne écoute, bon PAS !

 

Calcul d'itinéraires - Course à pied, Vélo, Randonnée, Roller...

Parcours Vaise Industrie (Lyon9) : Rendez-vous sur le parvis de l’église Notre-Dame de l’Annonciation, place de Paris à Lyon 9, de préférence en fin de journée, dans l’idéal entre chiens et loups, nuit tombante.
Regardez et écoutez en direction de la place, ou plutôt des deux places, celle du marché, devant vous, celle de la gare, plus à gauche. Un cœur urbain généralement très fréquenté et animé.

Prenez à gauche, traversez la rue de la Claire, puis celle du 24 mars 1852. Légèrement sur votre gauche, empruntez le passage couvert qui passe sous le bâtiment qui, longez le sur votre droite.
Sur votre gauche, le talus de la voie de chemin de fer. Avancez jusqu’au premier embranchement, par où sortent les bus. Arrêtez vous dans l’avancée du trottoir.
Écoutez ! passage de bus, soufflerie, trains, rythmes de grilles métalliques sur la chaussée au passage des bus, voix. Un espace entre-deux, singulier, plein de sonorités et rythmicités toniques !

Continuez en longeant le trottoir jusqu’au deuxième passage de bus, suivez le trottoir sur votre droite jusqu’à l’arrivée aux portes de la gare routière, sur votre droite également.
Entrez dans le couloir intérieur d’attente des bus.
Accoudez vous sur la rambarde dominant la fosse du métro au niveau inférieur.
Écoutez la surprenante polyphonie du lieu. Voix, trains, métros, pas réverbérés… Un véritable concert multimodale !

Continuez le couloir jusqu’aux commerces (bureau de tabac, boulangerie). Contournez les par la droite pour prendre le couloir et l’emprunter vers la gauche. Peu après la boulangerie, quittez le hall par une porte coulissante à droite, avancez jusqu’au coude de la voie des bus. Traversez via le passage piéton pour vous diriger vers un passage couvert.
A l’entrée de celui-ci, sur l’avancée de trottoir, vous pouvez écouter un nouveau point d’ouïe, surtout animé par le passage fréquent de bus dans un acoustique très réverbérante.

Empruntez le couloir à droite de la fresque murale, ressentez la transition acoustique. Des voix et des pas, tout s’apaise soudain.
Légèrement sur votre gauche, empruntez l’escalier menant au premier niveau des parkings. Entrez dans ceux-ci.
Traversez le parking en largeur, pour venir contre la paroi de grilles métalliques, d’où vous pouvez entendre la gare juste en face. De belles sonorités ferroviaires.
Des voitures qui entrent ou sortent du parking font joliment claquer des joints métalliques au sol.
Longez la paroi sur votre droite. Vous vous retrouvez juste au dessus d’une voie d’arrivée de bus.
Une grosse dynamique visuelle et sonore, juste sous vos pieds.
Au centre du parking, des grondements de basses sur la dalle au dessus de votre tête.
De nuit, l’ambiance est assez saisissante.

Quittez le parking, rejoignez le passage couvert, sortez en direction de la rue de Saint-Cyr – Quai de la gare d’eau. Traversez cette dernière, longez le bâtiment Groupama sur votre droite, puis pénétrez par un chemin descendant dans l’espace extérieur des stades Joseph Boucaud, et des pistes de vitesse “Sport dans la ville”.
Promenez vous le long des stades, dans les tribunes, écoutez l’acoustique très réverbérante des lieux, la rumeur de la ville étant sensiblement étouffée. Les jeux de ballon et parfois les courses de rolliers donnent à l’espace de belles dynamiques acoustiques, joliment spatialisées.

Ressortez par le même chemin, continuez sur votre gauche, en direction du Pont Schuman. Traversez la rue à l’angle du quai du Commerce – Quai Hyppolythe Jaÿr, empruntez le pont Robert Schuman par la large allée côté gauche. Arrêtez vous quelques minutes sur un banc vers le centre du pont, tourné vers la Saône. Écoutez.

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Pont Schuman

 

Reprenez votre chemin vers le quai Joseph Gillet, parvenu à l’extrémité du pont, empruntez l’escalier à votre gauche qui descend vers les bas-quais des rives de Saône. Revenez légèrement sur votre droite, pour vous arrêter sous le pont, au milieu de préférence. Regardez la Saône. Écoutez. Après quelques instants, claquez dans les mains, ou poussez de brefs cris, assez forts. Écoutez les incroyables échos du pont. Jouez à les faire sonner, en tournant le dos à la Saône, testez différents sons, courts, longs, vous êtes au cœur d’une surprenante chambre d’échos !

Reprenez votre chemin sur le cheminement piétonnier des bas-quai, en vous dirigeant vers la passerelle Masaryk, sur votre gauche en regardant la Saône.
Écoutez les clapotis, remous, les grincements des amarres et des gréements des péniches. Les sons des coureurs, promeneurs et parfois festoyeurs animent ces aménagements piétons très empruntés…

Continuez jusqu’à la passerelle Masaryk. Arrêtez vous au-dessous. Écoutez le grincement de ses haubans et les rythmes et percussions sur vos têtes, des piétons et vélos qui l’empruntent.

Remontez par les escaliers sur les quais hauts. Empruntez la passerelle Masaryk en écoutant sonner vos pas, ceux des promeneurs croisés, les sons des bicyclettes, skates, trottinettes et autres engins légers, éventuellement le passage de bateaux, péniches, sur la Saône, en contrebas…

Prenez droit devant vous, la rue Mazarik, jusqu’à revenir place de Paris, en face l’église Notre-Dame de l’Annonciation. Dernière petite halte d’écoute sur le parvis, pour voir ce qui à, ou non changé à l’oreille depuis votre départ.
La boucle sonore est alors bouclée !
Vous pouvez la réempruntez à d’autres moments, plus tôt, plus tard, un jour de marché (Mercredi samedi et dimanche matin, de jour, de nuit…) J’avoue avoir une préférence pour la nuit, juste après la tombée du jour.

 

Parcours online : https://www.calculitineraires.fr/index.php?id=872401#tab-Export

 

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Gare de Vaise nocturne

 

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Passerelle Mazaryk

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Stade Joseph Boucaud – Gare d’eau

Paysages sonores, des écritures contextuelles

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Il y a quelques jours, une structure culturelle me demandait de choisir un son de paysage sonore que j’avais réalisé, pour étayer un dossier de présentation. Je (re)parcourais alors, dans mes disques durs, les pièces sonores, j’emploie ici à dessein cette expression aux contours assez indéfinis, pour tâcher d’en trouver une qui collerait au mieux au projet.
Chose toujours difficile, entre choix cornéliens et insatisfaction chronique à l’écoute de ce que j’ai précédemment composé et mis en boite. Madagascar, Lyon, Cagliari, Mulhouse, Charleroi, Victoriaville… que choisir, sachant qu’à chaque lieu, avec ses sons, ses ambiances, ses projets, une écriture in situ, purement subjective, venait se superposer aux espaces arpentés, voire les refabriquer de toute pièce.

Je me rendais compte une fois de plus combien, presque à l’insu de tout projet initial, les écritures, qu’elles soient sonores, textuelles, graphiques, étaient pensées dans, avec, et pour le lieu, et avaient de la sorte leurs propres histoires qui faisaient qu’il était quasiment impossible de les transposer ailleurs, sans les ré-écrire assez profondément. Sinon à les considérer ici comme des œuvres-traces, des exemples de constructions se référant à un espace-temps donné, et ce dans un contexte particulier.

Chaque espace a ainsi, ou trouve sous l’oreille et la patte de l’artiste, ses échos, ses résonances, ses ambiances, prenons ces termes dans une acception large, et donc son ou ses histoires intrinsèques. Sans compter sur l’état d’esprit du preneur de son qui retravaille lui-même ses collectages, pour en écrire des carnets sonores, traces auriculaires organisées, avec ses propres perceptions, ressentis, états d’esprit, interprétations, revendications…

Cette permanente contextualisation induit fortement non seulement la façon de travailler les matières sonores collectées, mais également la façon ou les façons de les mettre en écoute a posteriori, de les scénariser, d’en trouver des formes et formats de restitutions ad hoc, ou en tous cas cohérents.

Les matériaux sonores, mais aussi les acoustiques intimement collées à ces derniers, intrinsèquement entrelacés, faisant partie même de la texture originelle, convoquent et stimulent très vite des trames narratrices, participant à construire un paysage sonore à chaque fois singulier, unique et éminemment personnel.

Ces paysages sensibles, loin d’être fixés, figés, pour reprendre une terminologie des arts acousmatiques, seront constamment remis en question par les mises en situation d’écoute proposées, installées, pensées en fonction des circonstances .

J’aime ainsi à penser que chaque lieu visité de l’oreille, arpenté, enregistré, re-composé, est en capacité de créer une parcelle d’écoute singulière, comme un objet presque tangible. Et que cette multitude de parcelles d’écoutes accumulées au fil du temps, mises bout à bout, ou s’imbriquant dans les méandres d’une écriture contextuelle, racontera une histoire d’un monde sonore fragile, en devenir, en chantier permanent. Ce sont des histoires parfois intimes, personnelles, que l’on aura plaisir à partager, peut-être nées au tout départ lors de PAS – Parcours Audio Sensibles in situ, des Marchécoutes généreusement matricielles dans leurs propres et capricieuses contextualités.

Écoute voir ! Le Locle, Point d’ouïe, Point de vue

En résidence avec Jeanne Schmid, à Luxor Factory, Le Locle cité Neuchâteloise dont l’urbanisme horloger est classé au patrimoine Mondial de l’Unesco, nous posons une écoute et un regard croisé sur le site investi, arpenté au pas à pas.

Le Locle, Point d’ouïe, Point de vue

Aborder une ville par les sens, cherchant son essence, dans tous les sens, c’est l’arpenter pour tenter d’en lire des lignes fortes, directrices, saillantes ou sous-jacentes.

Après un temps de tâtonnements, errances, déambulations, hésitations, hypothèses, nous appréhendons Le Locle via trois axes qui nous semblent pertinents, si ce n’est évidents.

Il s’agit pour nous de retranscrire des parcelles de vie, de respirations, d’évolution d’une ville en mouvement perpétuel, d’en capturer des instants, fragments, paysages, au travers le filtre de nos pratiques artistiques. La ville et ses activités, ses habitants, ses industries, vivantes ou disparues, ses pratiques collectives, est le vivier de notre investigation, de notre récit en construction.

Comme dans tout récit, les traces du passé, du présent, et certainement d’un imaginaire assumé, d’une fiction audio-visuelle, tissent une petite histoire du Locle, à notre façon.

Le flux, le temps, l’impermence sont les trois lignes fortes que nous posons d’emblée comme fils conducteurs.

La ville flux est une ville sans cesse traversée de flux, aquatiques ou autres.

– Une rivière souterraine, une trentaine de fontaines, des moulins enterrés, la pluie parfois… L’eau est une quasi constante, structurante ici

– Les flux humains qui traversent la ville, flux de pas et de voix.

– Flux de voitures, dont les chuintements se mêlent parfois à ceux de l’eau.

La ville temps s’impose au Locle, un point fort de l’horlogerie, de la micromécanique de précision, du décolletage, avec sa quarantaine de fabriques. La mesure du temps qui passe, du présent et du passé est sans cesse rappellé au promeneur, via notamment l’urbanisme horloger (site classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco).

En regard de notre première approche, le temps est également un flux, de celui qui marque l’histoire d’un lieu, entre passé présent et vision d’avenir.

La ville impermanence, c’est la ville qui bouge, qui connaît une succession d’incendies, démolissions, qui se fissure par endroits, subit des affaissement, écroulements. Les transformations sont permanentes, déconstructions et reconstructions. La ville est chantier, son impermanence la fait résistante aux flux comme au temps qui passe, et lui assure une résilience vitale.

 

Autour du flux, Fontaines Locloises, notre première production à quatre mains, quatre yeux et quatre oreilles. 

Vidéo Jeanne Schmid, son Gilles Malatray

PAS – Parcours Audio Sensibles, des phrases et des images

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Je ne suis jamais aussi heureux que lorsque mes oreilles et mes pieds arpentent, avec de nouvelles personnes, de nouveaux cheminements. Mais les retrouvailles de lieux et de gens, les re-parcours qui ne cessent de m’étonner, de me surprendre, sont aussi exaltants.

 

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« Je suis le souverain de tout lieu que j’arpente, mon droit en cela n’est pas à discuter » Alexander Selkirk – Cité par Henry David Thoreau – Walden

 

 

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« Chaque lieu où je m’asseyais était un lieu où je pouvais vivre, et le paysage irradiait autour de moi en conséquence » Henry David Thoreau – Walden

 

 

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Il me faut marcher avec les autres, conteurs, poètes, plasticiens, performeurs, théâtreux, écologistes, urbanistes, sociologues, écouteurs, paysagistes, ou tout simplement marcheurs… Il me faut marcher avec les autres pour comprendre la teneur de mon propre projet et peut-être un peu mieux la façon de le forger. Il ne s’agit pas là de trouver une inspiration, un éclair de génie, de nouvelles explorations reproductibles, mais de partager des moments de rencontre, des situations, des contextes, de chercher l’esprit de la marche, de l’écoute, tout au moins celui auquel j’aspire.

PAS – Parcours Audio Sensibles en territoires humanistes

L’Astrée de châteaux en collines, de forêts en rivières

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La cloche surmontant la chapelle  du château de Goutelas

Retour sur deux belles journées au château de Goutelas en Forez (42).
Tout cela commence par des déambulations au cœur de cette demeure Renaissance, l’un des fiefs de l’humanisme, construite par Jean Papon (1505 – 1590), Juriste humaniste avisé. Cette visite est conduite et commentée par la passionnée présidente du Centre Culturel de Rencontre qu’abrite ces lieux.
Une histoire singulière où un château quasiment en ruine est légué à un village par un agriculteur, à condition qu’il devienne un lieu de culture ouvert au public.
Puis une incroyable restauration dans les années 60, entreprise par une équipe de juristes et d’intellectuels lyonnais, emmenés par Paul Bouchet, ainsi que d’ouvriers et de paysans locaux, de maçons italiens, d’artistes tels le mime Marceau, Duke Ellington, Bernard Cathelin, retroussant ensemble leurs manches ou militant pour faire connaître et redonner au bâtiment son lustre d’antan.
Duke Ellington lui-même viendra séjourner à Goutelas, y donnera un concert au piano solo, chose rarissime, et composera en dédicace de ce lieu et projet qui l’ont conquis la Goutelas-Suite.
La bâtisse, en H (comme Humanisme), est perchée à flanc des coteaux des Monts du Forez, dominant la vallée où coule le Lignon, capricieuse et sinueuse rivière sinuant dans une quiète campagne.
Il a neigé précédemment, quelques jours avant mon arrivée. Les alentours sont recouverts d’un manteau blanc scintillant sous les belles lumières d’un soleil hivernal et d’un ciel bleu, complices.
Le château voisine un autre bâtiment lui aussi Renaissance, beaucoup plus imposant et célèbre, la Bâtie d’Urée. C’est dans ces paysages, villages, châteaux, buttes volcaniques, hameaux, que se situe le célèbre roman fleuve, l’Astrée d’Honoré d’Urée. Une inextricable intrigue pastorale de plus de 5000 pages, tissant des aventures amoureuses d’un berger et d’une bergère, où mythologie, philosophie, poésie et autres arts, nous content des amours contrariés, des guerres, des embrouilles politiques, des critiques esthétiques… On y retrouve les utopies humanistes liées à l’Arcadie, territoire originellement Grec, qui a donné naissance, à la Renaissance à de multiples terres utopiques, lieux de l’Age d’or, de Florence aux parcs de Weimar en passant par le Forez.
ET IN ARCADIA EGO.
Des chemins, des stèles, des bornes, des sentiers, un aménagement piétonnier au cœur des paysages foréziens, nous permettent de parcourir ces utopies de paradis perdus en même temps que les cheminements, entre amours et autres batailles, relatés dans les paysages de l’Astrée.
Une autre promenade nous emmène autour du château de la Bâtie d’Urée, près du Lignon dont on peut lire les nombreux passages fluctuant au fil du temps, laissant des bras morts qu’il réempruntera peut-être d’un jour à l’autre.
Il glougloute joliment en se faufilant entre des vernes et des peupliers qui le bordent respectueusement.
Il faut bien reconnaître que les paysages enneigés que je découvre, au fil des sentiers, sont tout simplement magnifiques.
Tous au long des promenades, les sons de pas crissants sur la neige gelée et des plaques de glace rythment nos parcours d’une lancinante percussion, qui nous relie auriculairement et physiquement au paysage.
Revenons sur les bords méandreux du Lignon, ce dernier étant au trois-quart gelé, vers midi, alors que le soleil parvient difficilement à réchauffer son cours quasi figé.
Ici se produit une scène sonore des plus surprenantes que je n’ai jamais encore entendue jusque là.
La glace réchauffée, émet moult craquements, gémissements, se fendille en de sonores micro fissures et brisures. Nous sommes au creux d’une méandre très accentuée, et ces craquèlement nous entourent, devant, derrière, à gauche, à droite… C’est un concert à la fois tout en finesse et très spectaculaire, instant magique s’il en fût.
Et comme souvent, je peste contre moi-même, n’ayant pas amené mon magnétophone lors de cette marche !
Autre agréable surprise, à quelque mètres de ma chambre, dans le haut du château, une porte donne sur le sommet d’une petite terrasse, tourelle campanile, où est installée une cloche dominant la vallée.
La lumière rosée du jour levant la nimbe de couleurs et de lumières délicates, faisant ressortir les moindres détails de ses gravures en relief.
Loger à deux pas d’une belle dame d’airain contemplant un paysage qui s’éveille doucement sous son manteau de neige, ne fait que renforcer le plaisir de mon séjour.
Au fil des promenades et discussions, il s’agit de concocter un, plutôt plusieurs PAS, dans le cadre d’une rencontre internationale autour du paysage, organisée, à l’automne prochain, par le Centre Culturel de Rencontre de Goutelas. Des promenades écoutes commentées, racontées, ponctuées de lectures autour du paysage sonore, de son histoire, de ses multiples constructions plaçant l’homme au cœur-même de l’écoute…

Paysage sonore humaniste ?
La preuve en est dans cette éthymologie reliant Grèce antique et Forez Renaissance:
CÉLADON (berger héros de l’Astrée): du grec keladon, « sonore, retentissant ».
kelados désigne le chant et le cri, le bruit naturel du fleuve, de la mer, du vent : Céladon développe à travers son nom le symbolisme de la rivière dont le bruit chante (ou crie). Keladôn est le nom d’une rivière d’Élide chez Homère ou d’Arcadie chez Callimaque et Théocrite (assimilable au Ladon actuel), puis le nom de personnages chez Homère et Ovide.
Céladon, « la rivière qui chante », se jette dans la rivière comme dans un miroir (image baroque) et mêle aux flots du Lignon la poésie arcadienne.

C’est donc un projet passionnant, de par sa thématique, la beauté des paysages ambiants, les rencontres passées et à venir, qui me fait convoquer l’esthétique, l’écologie (sonore), l’histoire, par le petit et le grand bout de l’oreillette, toute emprunte d’humanisme. Le fait de remettre l’homme au centre du paysage (au sens large du terme, y compris sonore), dans une époque qui en a souvent grand besoin, est déjà pour moi une belle action à entreprendre.

http://www.chateaudegoutelas.fr

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Goutelas - Paysages sonores