Point d’ouïe, indisciplinarités et entrelacs

L’espace sonore, celui que l’on appelle parfois environnement ou paysage, même si ces dénominations relèvent de réalités sensiblement différentes, est un tissu complexe d’imbrications et d’entrelacements spatio-temporelles. Nœuds, tissages, brisures, complexité, croisements, tout un champ sémantique appelant des pensées, actions et lectures où se tissent des ouvertures et les incertitudes inhérentes.

L’univers audible est peuplé d’interdépendances parfois fugitives, inextricables et difficiles à saisir dans leurs capacités à se transformer, apparaitre et disparaitre rapidement, furtivement, ou violemment.

Une forêt mise en écoute, en écoute consciente, active, profonde, est un exercice qui nous donne à lire un univers sonore complexe, ou le végétal, l’animal, l’eau, le vent, l’humain, ses machineries comprises, cohabitent dans une partition qui s’écrit au fil du temps. Parfois se développent des ambiances plutôt ténues, ou au contraire d’une grande densité, en passant par toutes les phases intermédiaires. Un paysage d’accumulations et d’hétérotopies foucaldiennes.

Certaines sonorités se font couvrantes, le passage d’un avion, d’un quad, masquant tout ou partie d’autres sons, devenant pour un instant hégémonique, envahissant, comme un surplus saturant. Un bruit, une nuisance, voire une pollution en quelque sorte.

A d’autre endroits, ou moments, l’équilibre entre des chants d’oiseaux et celui d’un ruisseau, le vent dans les branchages et le tintement orchestré des clarines de vaches au loin, nous permet de distinguer, voire déterminer, localiser, toutes les sources, y compris les plus mobiles.

Cet équilibre reste souvent fragile, dans un monde où la mécanisation, le mouvement, la vitesse, marquent de désir humain de s’approprier, si ce n’est de maîtriser ses milieux de vie, avec les conséquences que nous connaissons et mesurons aujourd‘hui.

L’approche d’espaces auriculaires nous aident à lire le monde dans ses états parfois apaisées, et donc apaisants, comme dans ses situations de crises, chaotiques, où les dérèglements climatiques se font entendre, tout comme le bruit des armes. L’oreille saisit, ou subit alors le chaos, dont nous sommes, nous humains, pas toujours étrangers, voire même entièrement responsables.

Entendre cela, c’est une invitation à écouter dans toute la complexité des ambiances sonores révélatrices.

C’est avoir une oreille et une pensée qui saisissent, ou tentent de le faire, la polyphonie du monde, la diversité de ses voix, avec ses assonances, ses harmonies et ses dissonances.

Au-delà de la métaphore musicale qui pourrait renvoyer une oreille, en tous cas occidentale, à une notion de plaisir ou de déplaisir, de bien-être, de jouissance, comme à des situations stressantes, anxiogènes, à la limite du soutenable, se joue et se déjoue une immense fresque sonore aux entrelacs complexes.

Tenter de les comprendre, de les dénouer, nous poussent à les envisager sous différents jours, différentes approches, scientifiques, sensibles, où l’étude naturaliste côtoiera l’acoustique, les sciences humaines, l’aménagement du territoire, les arts, les sciences de l’éducation, l’action politique, et plus encore si affinités.

Via des approches interdisciplinaires, que j’aime aussi, empruntant aux travaux de Myriam Suchet, aborder sous l’angle de l’indisciplinarité, le chantier de décryptage s’annonce aussi ardu que passionnant.

N’étant forcément pas capable d’apporter des réponses crédibles et a minima fiables dans tous les domaines, tant s’en faut, nous pouvons néanmoins préciser quelques champs de recherches, de pratiques, par exemple dans l’exercice des recherche-action, recherche-création, permettant de frotter des expériences décloisonnantes.

De la lecture de paysages en passant par la requalification urbaine, ou la gestion d’une forêt, l’artiste sonore, via ses approches esthétiques, au sens large du terme, sensibles, poétiques, écoutantes, sera associé à un acousticien, un éco-acousticien, un paysagiste, un sociologue… Tous chercheront à mettre en place des langages communs, des outils partagés. Cela en vue de donner une relecture, une « traduction » polyphonique d’un paysage, surtout celui du sonore.

Le mot traduction, littéralement « mené de travers », est sciemment emprunté au domaine littéraire, sémantique. Il s’agit de faire entendre à un maximum, de (re)lire, de façon accessible, un, ou plutôt milieux sonores complexes.

Les traversées indisciplinées, indisciplinaires, proposent de nouvelles lectures paysagères élargies, des formes de transpositions, encore un champ sémantique du monde musical. Ces dernières nous offrent de nouvelles approches poético-scientifiques, assumons la potentialité des paradoxes, via des croisements du sensible, de l’affect, et du « démontrable », mesurable, vérifiable.

Cette, ou ces relectures traversantes, ne doivent cependant pas imposer une totale maîtrise des espaces, par des normes ou cadres hyper figés, et au final paupérisants. Empruntons au contraire à Gilles Clément, dans sa pratique du Tiers-paysage, la notion de désemprise, de « non-agir », et à celle de Tiers-espaces d’Hugues Bazin, comme lieux de transformation sociale en mouvement.

Des espaces écoutés comme des lieux d’ouverture plutôt que de nouveaux carcans sociétaux, nous en vivons suffisamment ces temps-ci pour ne pas reproduire des modèles politiques ouvertement liberticides et cloisonnants.

C’est peut-être aussi, dans un monde emballé, à défaut d’être emballant, une façon de prendre du recul. Pour cela il faut aussi inclure du sensible, prendre le temps d’observer, d’écouter, convoquer des façons de ralentir, ce qui n’est pas simple dans des sociétés mondialisées, mondialisantes, où la productivité, la performance, la compétitivité règnent en maître.

Ces indisciplinarités, dans leurs polysémies, sont donc fortement marquées de process éthiques, politiques, au sens premier du terme, où une certaine philosophie de l’écoute, une écosophie sonore (Roberto Barbanti), ou écoutante, avec des approches liées à une éducation émancipatrice (Mathieu Depoil).

On ne peut pas ici, faire l’impasse sur la notion de communs. Ce qui nous relie, ce qui est mis en commun, comme des ressources partageables, ce qui est fabriqué ensemble, coconstruit, ce qui fait communauté… L’écoute est une chose, voire une cause commune, partageable, ainsi que tous les paysages sonores qu’elle, que nous construisons. Les droits culturels pointent ainsi, parmi les droits fondamentaux, le fait que chacun, non seulement puisse accéder à la culture, mais aussi y être acteur, ne serait-ce qu’en posant une oreille critique et impliquée sur le monde.

Tout cela constitue, pour moi et d’autres « marcheurs de travers », un vaste chantier, au cœur des entrelacs, tout aussi désarçonnant que motivant.

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, le 12 mai 2024 à Amplepuis

Soutenez le projet Desartsonnants ICI

Vestiges sonores nocturnes, prélude et alimentations fantômes

@Gauthier V. Charleroi friches

Existe t-il une forme d’urbex auriculaire, une archéologie excavatrice du sonore, une exploration auditive plus ou moins sauvage, un brin fantastique ?

Qu’est-ce que la nuit nous raconte, nous susurre au creux de l’oreille ?

Pouvons-nous installer des écoutes de lieux fantomatiques, où l’on pourrait entendre, percevoir, des réminiscences acoustiques enfouies dans les strates de l’histoire, de la mémoire, des murs et ruines, des machines abandonnées et autres vestiges architecturaux… ?

Pouvons-nous conter, raconter, broder, les ambiances sonores disparues, ensevelies ?

Pouvons-nous donner à imaginer, sans autre artifice que nos oreilles propres, les sons du passé, ceux qui, envers et contre tout, résistent à l’usure du temps, quitte à se réinventer au gré des abandons, destructions, reconstructions, marches écoutantes … ?

Inspirations:

« Elle longe la gare monumentale fermée depuis plus de vingt
ans, sans même un regard pour ce bâtiment fantôme naguère
chargé de tant d’ambitions qu’il semble annoncer qu’il restera
debout quoi qu’il arrive. Le vent qui s’y engouffre et siffle à
l’intérieur ne ressasse plus rien depuis longtemps, il ne transporte
ni les adieux, ni les mots d’amour, ni les serments prononcés sur
un quai. Il brasse le vide, la violence et les démentis du présent
comme du passé. Les mots s’en sont allés avec les gens. »

Judith Perrignon, Là où nous dansions (2021)

Ces questions Desartsonnantes sont également irriguées de souvenirs, nocturnes, déambulants, dépaysants… Ceux par exemple d’explorations nocturnes dans le quartier des Ardoines, à Vitry/Seine, longeant une ancienne centrale thermique à charbon, et d’autres arpentages sonores aux abords de Charleroi, dans ses gigantesques friches industrielles… Tous ces tuyaux, turbines, cheminées, obscures machineries tout droit sorties de l’imaginaire de Jules Verne, François Schuiten, semblant soupirer, ronronner, grogner, grincer, gémir… à qui sait les entendre.

@Gare au théâtre, PAS Desartsonnants nocturne en Ardoinais – Frictions urbaines
@Zoé Tabourdiot – Transcutures City Sonic – Desartsonnants – Exploration nocturne Charleroi.

Ébauche de charte pour une écosophie de l’écoute

Changer les perspectives, les points de vue et points d’ouïe, décaler les perceptions, se repositionner auriculairement, faire paysage à portée d’oreille.


Considérer l’espace sonore ambiant comme une installation sonore immersive, à ciel ouvert, une écoute installée qui fait œuvre par le geste même d’entendre sonner les choses, de les (ré)assembler mentalement.


Fabriquer des « musées et expositions du son » situés, sans autre dispositifs que les postures d’écoute, éphémères, nomades, évolutifs, maillant de petits ou de larges espaces. Imaginer et construire des lieux où chacun peut signer sa propre écoute. Prendre conscience de la complexité et de la fragilité des paysages sonores habités, en perpétuel chantier.


Rechercher et favoriser la sensation d’être baigné de lumières autant que d’ambiances sonores, d’odeurs et de choses palpables.

Arpenter un territoire par des marches écoutantes, expérimentées tout à la fois comme des outils de lecture et des processus créatifs.


Partager un commun audible, entendable et vivable, où le son serait d’emblée une cause entendue, esthétique, éthique, sociétale, et non seulement une nuisance, voire une pollution à combattre.,

Point d’ouïe, fabrique de paysages sonores en commun à oTo, Ouvroir des Territoires de l’Ouïe

@Photos Arnaud Laurens, oTo

De retour de résidence artistique, de nouvelles expériences de paysages sonores au fil de l’eau, de la mat!ère sonore, textuelle, imagée, à trier, agencer, à construire comme objets de traces récits immersifs.
Tout cela irrigué de belles rencontres, des échanges, la découverte de sites magnifiques, des eaux généreuses, des discussions où écoute et cuisine travaillent à de subtiles réductions, des expériences collectives pour agencer, improviser en live des paysages sonores singuliers…


Au fil des résidence, le paysage sonore dans tous ses états prends du poids, de la consistance, de l’hétérogénéité en même temps que de la cohérence.
Il permet la rencontre, la remise en question de nos rapports au monde, la recherche de beautés tant esthétiques qu’humaines, qui nous feront, dans l’idéal et écoute aidant, mieux vivre ensemble. Écouter est un geste de partage, où il nous faut assumer notre modeste place dans des espaces habitables, sociétaux, de plus en plus fragiles et menacés.
Construire des paysages sonores comme des communs écosophiques, humanistes, est une façon de défendre des valeurs humaines qui nous font trop souvent cruellement défaut.

@Photos Arnaud Laurens, oTo

Projet intinérant « Bassins versants, l’oreille fluante« 

Résidence création accueillie pas oTo – Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron (16)

Merci à cette belle équipe, et tout particulièrement à Arnaud Laurens et Jean-Michel Ponty, à la municipalité de Montbron et à sa Médiathèque, au public aux écoutes attentives et échanges stimulants, pour cette riche ouverture culturelle à portée d’oreille.

D’autres textes, sons, images, récits, suivront…

Points d’ouïe, l’apaisement des eaux

Ces jours-ci, j’ai promené mes oreilles sur les rives de la Tardoire, belle rivière dans des écrins ripisylvestres verdoyants, au sud de la Charente et aux portes du Périgord.

Le cours d’eau charrie fort, irrigué quasi quotidiennement de vivaces averses printanières.

Il est au meilleur de sa forme, y compris à l’écoute !

Ce dévalement fluant, presque ensauvagé, me fait un bien fou.

Après, et pendant une période agitée, voire parfois compliquée, ce bain de nature ondoyante, liquide, recharge mes batteries, m’apaise, et me fait rentrer de repérages pédestres bien fourbu, mais rassasié, nourri de sonorités toniques.

Ici, la vue, l’oreille, mais aussi le nez, émoustillé d’odeurs d’herbe mouillée, de fleurs naissantes, de terres humides, offrent un univers sensible d’une incroyable richesse, entre puissance et subtilité, contrebalançant un instant la fureur des folies climatiques, sociétales et guerrières.

Les arpentages, à l’affut d’ambiances sonores aquatiques, exacerbent des sensations qui varient subtilement au détour du chemin, à la rencontre d’un bief, des roues à aubes grinçantes d’un moulin, d’un remous sur des pierres-barrières-récifs, toute une histoire fluant à portée d’oreille.

C’est une énergie rassérénante qui m’enveloppe et me porte au fil des ondes, des chemins creux et des rivages enherbés…

Un parcours aqua-sensible, qu’il me tarde de partager par une rencontre avec les habitants, des agencements sonores concertants et un PAS – Parcours Audio sensible en marche écoutante.

D’autres sons, mots, images en découleront en aval.

Projet en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante »

Résidence de création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron (16)

Point d’ouïe, et avec ta rivière, comment tu t’entends ?

En arpentant et en auscultant la Tardoire, à Montbron, je réfléchis aux façon dont un cours d’eau relie les hommes au territoire, à la nature, aux écosystèmes, aux animaux… Et inversement.


Paysages, moulins, pêche, sport, géologie, préhistoire, arts et culture, histoire, architecture et aménagements, tourisme, crues et tarissements, industries, patrimoine, écologie, faune et flore,mémoire(s), agriculture, gestion des eaux, hydrologie et bassins versants, identités sonores… comment le paysage auriculaire aquatique nous connecte t-il , ou non, et surtout nous implique t-il, parfois non sans heurts et sans dommages, à nos habitats partagés, à nos milieux de vie ?


Et avec ta rivière, comment tu t’entends ?

Projet Desartsonnants en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante »

Dans le cadre d’une résidence création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’ouïe – Field recording aqua-sonique, rencontre publique autour de l’écoute paysagère, PAS – Parcours Audio Sensible « L’eau traversante », concert-performance- improvisation en trio (instruments, électroniques et son paysagers), écriture sonore et multimédia…

L’écoute paysagère, une façon d’inscrire le corps agissant dans l’espace

Marcher et écouter dans les grandes lignes

On peut envisager ici le corps écoutant, déambulant, comme une sorte d’oreille active, qui va déchiffrer des parcelles de territoire en les arpentant.

Le corps s’inscrit ainsi dans l’espace public, se posant sur des points d’ouïe, où parcourant un territoire, toutes oreilles à l’affût.

Cette mobilité écoutante, en offrant des postures immersives, des approches Sensori-motrices, proprioceptives, engage et inscrit un corps qui va lire et façonner l’espace en fonction de ses gestes, de ses perceptions, et de toutes les interactions découlant des rapports corps/espace.

S’offre ainsi à nous une multitude de situations, faisant de la ville ou d’espaces naturels, un terrain de jeu sensoriel toujours renouvelé.

Des rythmes de déambulation, de la vitesse de nos déplacements, des réactions à des stimuli ou à des rencontres inopinées, de la marge d’improvisation et d’imaginaire que nous nous laisserons, les cheminements d’écoute nous permettront la lecture et l’écriture de paysages sonores plus ou moins inouïs.

Engager son corps dans un bain sonore, au cœur d’une ville par exemple, c’est accepter d’être plus ou moins chahuté, bousculé, ému, par des ambiances sur lesquelles nous n’avons pas forcément de prise. Cette posture de corps écoutant dans un espace souvent complexe, n’est pas toujours très confortable, voir même peut se révéler déstabilisante.

Les stimuli auditifs nous embarquent parfois dans un monde où les affects nous touchent, nous cueillent à fleur de peau, à fleur de tympan dirais-je même.

L’habitude d’arpenter les territoires auriculaires nous forgent des outils perceptifs pouvant nous faire prendre un peu de recul face aux sons que nous traversons et qui nous traversent. Tout en gardant possibles des émotions plus ou moins épidermiques, nous accepterons nos fragilités écoutantes en sachant mettre un peu de distance entre le corps écoutant et la chose entendue.

Au fil de nos marches d’écoute, nos sens s’affineront, avec le développement de jugements qualitatifs, tels des outils d’analyse, de compréhension, qui nous feront prendre le pouls d’un environnement parfois au combien bruyant.

Cette inscription corporelle, notamment via des gestes d’écoute, dans différents territoires, reste une recherche-action au long cours, un chantier expérimental qui tisse une toile de paysages sonores comme objet d’étude et d’expérimentation. Cette posture sensible demande une constante adaptation au terrain, une souplesse dans l’action donnant au corps une capacité de réagir à de nombreuses situations et sollicitations du terrains appréhendé.

La diversité comme richesse

Autant d’espaces traversés, autant de diversité, de richesses, de possibilités de rebonds, d’interactions.

Nos corps marchant sont soumis à moult stimuli, excitations, contraints par de nombreux obstacles, empêchements… Constamment, il nous faut chercher des réponses physiques et mentales, expérimenter, tâtonner, pour trouver notre place dans une multitudes de paysages géographiques, climatiques, mentaux…

De ports en forêt, de montagnes en plaines, la marche porte notre écoute à travers un kaléidoscope aux innombrables facettes, parfois trompeuses.

Comme tout paysage, jamais le lieu et le moment ne sont perçus comme de parfaites répétitions, d’exactes redondances, des copies conformes, déjà vu, ou entendues. Ces imprévisibilités chroniques sont parfois vécues comme des situations inconfortables, voir stressantes, ou au, contraire comme une richesse, une diversité toujours entretenue par le déplacement des corps et des sens. Le terrain et ses accidents nous tient en alerte. Un son exogène, étranger, ou le paraissant, hors de son contexte habituel, nocturne, devient vite comme une alerte questionnant les espaces où s’engage le corps, oreille comprise.

Préserver la diversité est aujourd’hui une chose capitale, surtout lorsque l’on parle de biodiversité, mais du vivant au sens large. Il en va de même dans le domaine du sonore. Un paysage saturé de voitures, comme une plaine céréalière ou plus rien ne vient surprendre l’oreille tant les écosystèmes ont été ravagé sont des exemples flagrants de « monosonie ». Dans la saturation comme dans la paupérisation, l’écrasement des ambiances par une densité à la limite du soutenable ou un silence peu réjouissant, si ce n’est mortifère, n’offre pas de belles perspectives pour maintenir notre oreilles aux aguets.

Le corps écoutant, face à ces paysages sacrifiés à l’autel de l’écoute ne trouve plus aucune diversité, accroche, pour poser une oreille curieuse et satisfaite dans des paysages acoustiquement sinistrés.

Fort heureusement, des sites, urbains ou. Non, présentent encore suffisamment de ressources auriculaire pour que l’écoutant y trouve son compte, quitte à devoir faire l’effort de discrimination nécessaire pour jouir de la diversité sonore. Ce qui nous ramène çà des pratiques envisagées ci-avant, où l’oreille est éduquée à mieux écouter pour ne pas avaler tout cru la masse sonore sans discernement aucun.

Le choix et le moment de nos écoutes est donc un critère important pour profiter au mieux d’écosystèmes acoustiques riches et variés. Sauf bien entendu, si je puis dire, à faire le choix d’aller entendre des milieux fragiles, pollués, désertés, et socialement auss difficile à entendre qu’à vivre. L’écoutant doit prendre conscience que, de même que visuellement, des massacres paysagers ont lieu un peu partout, sans parler de la qualité de l’air, des aliments, de l’eau, et autres dégradations à grande échelle que subissent les espaces à la limite du vivable.

Acoustiquement, le trop est comme le pas assez, une situation où des hégémonies ou des raréfactions rendent les lieux plus ou moins inécoutables. J’ai fait l’expérience, pour différents projets, de grandes traversées de boulevards périphériques, desquelles ont ressort extrêmement fatigués, fourbus, presque anesthésiés, physiquement comme mentalement, tant la pression sonore nous impose des tensions difficilement soutenable à long terme.

A l’inverse, une promenade écoutant dans des espaces alternant des ambiances acoustiques plus apaisées, et en même temps très diversifiées, que l’on soit à l’orée d’une forêt ou dans le dédale d’une vieille ville « historique » nous procure un réel plaisir.

L’oreille a besoin de diversité, diversité équilibrée, pour s’épanouir dans des paysages à portée d’écoute. Les aménageurs devraient y prendre garde en amont de crtains aménagements, avant que d’avoir à ériger des murs anti-bruits aussi onéreux que peu efficaces.

Les plantations végétales, ou les « désemprises sauvages », les parcs urbains, les cheminements à l’abri des grands flux urbains, les clairières et les massifs forestiers protégés, sont autant de gages d’espaces où l’on respire et où l’on entend mieux. Les coupes forestières « à blanc » comme la bétonisation des métropoles chassent toute une biodiversité dont nous avons pourtant tant besoin pour bien, ou tout au moins mieux vivre, au cœur du concert quotidien des sons du vivant, et des autres, dans toute leur diversité.

Un marché d’un quartier cosmopolite, avec un grands nombre de langues, d’accents, d’intonations, est très agréable à écouter, parfois comme un vrai dépaysement à quelques encablures de chez soi.

Le lever du jour, heure bleue, ou chorus day (réveil des oiseaux), même en milieu urbain, où tout un joyeux monde de volatiles diserts donnent du syrinx, est un moment privilégié, qu’il faut apprécier comme une sorte de don auriculaire offert à ceux qui aiment voir et entendre les moments de bascules nocturnes/diurnes très matinaux. Une richesse à fleur de tympans.

Le corps s’inscrit alors dans des espaces-temps privilégiés, des scènes acoustiques qu’il faut savoir accueillir comme de fragiles offrandes.

La souplesse d’interagir dans les relations corps/espaces mouvants

L’interaction est au cœur du sujet, celui du corps écoutant inscrit dans un ou des espaces sonores. C’est par elle que l’écoute se fait, s’élargit, que le cheminement se trace, que le corps se met en marche. L’interaction, c’est se laisser une marge de manœuvre, voire d’improvisation, pour que le corps puisse se libérer et investir pleinement l’espace habité par une multitude de sons.

C’est une disponibilité qui nous permet de rebondir en écoutant, de rebondir en marchant, de rebondir en arpentant, en restant ouvert à toutes les invitations potentielles rencontrées dans nos expériences auriculaires situées.

Le corps doit rester disponible et prompt à réagir à l’écoute de sons les plus divers. Un collègue compositeur avait donné pour titre à une de ses compositions « Garde toi une marge d’incertitude ». Ce titre est toujours resté gravé quelque part au fond de ma mémoire, et questionne encore régulièrement mes gestes, mes décisions, indécisions, incertitudes.

C’est ce jeu fonctionnel, ces marges relationnelles improbables qui font qu’un corps écoutant peut décider de poursuivre son chemin, de s’arrêter, se poser sur une scène sonore qui se présente à l’improviste.

Le corps, en l’occurrence le mien, et les territoires parcourus, ceux que je décide d’investir, ou bien qui me sautent à l’oreille comme une évidence non préméditée, me laissent différentes options possibles, des potentialités d’interactions.

Les volumes d’une pièce, la lumière, la chaleur, la topologie, tout comme les ambiances acoustiques, même des plus imperceptibles, vont influer sur mes gestes et ressentis, et en partie décider de mes choix.

Une cloche sonne et je m’arrête pour mieux en profiter. Un chanteur de rue se fait entendre ert je me dirige doucement vers lui, travelling focal, deux fontaines encadrent un quartier et je procède à un mixage en fondue enchainées en marchant de l’une à l’autre… Et bien d’autres situations qui peuvent générer des réponses corporelles à des situations sensorielles données, même des plus improbables et inattendues.

Le corps et les espaces dans lesquels il joue sont interfacés de façon à dialoguer en bonne entente, autant que faire se peut, y compris dans des situations où les sens sont mis à mal, où le corps peut souffrir de situations auditives tendues, stressantes.

Le corps est une caisse de résonance, un contact épidermique, vibrant par tous les pores de son enveloppe exposée à des milieux sonores souvent imprévisibles et parfois violents.

Il existe des phénomènes de résonance par sympathie, où un corps vibrant en fait résonner un autre, comme une métaphore d’un être physique qui se frotte à des espaces qui viennent exciter toute sa carcasse exposée et immergée dans des espaces secoués de mille vibrations.

Nos corporalités et spiritualités possèdent la souplesse de constamment s’adapter aux stridences et chuchotements du monde, avec parfois une grosse dose d’adaptation, de robustesse, de résilience, qui maintiennent notre écoute en éveil. Les interactions corps écoutant choses écoutées sont pétries dans des relations complexes, mouvantes, éphémères, propres à la fugacité et à l’instabilité du monde sonore.

Les relations psycho-sensorielles, y compris celles des plus instables, sont irriguées d’interactions qui mettent en étroites relations les oreilles, la vue, les pieds, le cerveau, et au final le corps entier, qui aspire ainsi à rester connecté de façon sensible au monde, notamment par l’écoute.

L’inscription dans une géographie en mouvement

La géographie a longtemps été cantonnée dans des modes de représentations graphiques de territoire codifiés sur les espaces en deux dimensions de la carte papier.

Pour voyager, naviguer, ces plans de territoire, avec l’aide parfois de boussoles et de sextants, des étoiles et des sommets, il fallait déployer des cartes, ou des sééries de cartes.

Le mouvement pouvait alors nous mettre en route, dans des itinéraires plus ou moins précis et définis.

Aujourd’hui, la géolocalisation informatiques nous emmène sur les routes et les chemins avec des risques moindre de faire fausse-route, de commettre des erreurs d’interprétations, d’orientations. Le plus gros risque encouru est justement celui de n’avoir plus guère la possibilité de nous perdre, au moins momentanément, et de nous faire sortir des sentiers battus.

Pour le marcheur, le corps déambulant est étroitement surveillé et guidé, de sentiers en sentiers.

La géographie a d’autre part exploré des domaines du sensibles dont elle ne se souciat guère il y a quelques années en arrière.

Les notions de géographie sensible, voire de géographie du bien-être sont apparues, entrainant les « explorateurs » vers de nouveaux territoire où le corps s’inscrit dans des territoires où l’on regarde, goûte, touche, écoute…

Début des années 90, nous avons cartographié des sites acoustiques remarquables dans le Parc Naturel Régional du Haut-Jura, ce qui à l’époque était une bien étrange façon de faire, en convoquant l’écoute pour aborder un territoire par les oreilles.

Des guides et cartes ont été crées pour partir à l’écoute des paysages, voire penser de nouveaux territoires paysages sonores, à la suite de Raymond Murray Schafer.

Le corps écoutant, à l’échelle d’un parc naturel, découvrait une géographie auriculaire, faite d’échos, de torrents, de cloches, de réverbérations…

La fabrique de cette géographie demande au corps de se mettre en mouvement, d’explorer de l’oreille, pour aller cartographier des sites acoustiques, des cloches remarquables, mettre en valeur des éléments sonores ponctuels, tel l’ensonnaillement des troupeaux, des traditions et patrimoines sonores…

Cette géographie nous emmène hors des sentiers battus, crier en direction des falaises pour en faire sonner révéler les échos multiples, tendre l’oreille aux insectes et oiseaux d’une tourbière, découvrir, du haut d’un belvédère, les sonorités d’un village niché au creux d’une combe…

Les sons font paysages, façonnent l’espace, les torrents dessinent acoustiquement les vallons pour l’oreille, les troupeaux donnent l’échelle du paysage en se déplaçant à flancs de collines, de même que les coups de tonnerre se répercutent sur les reliefs environnants, précisant à l’écoute les barrières naturelles environnantes…

Le corps est immergé dans une topologie sonore marquée d’éléments stables ou ponctuels.

Le promeneur se construit sa propre géographie, traçant de l’oreille des repères qui feront apparaître des paysages la plupart du temps inouïs, car généralement inécoutés.

Cette géographie sensible, arpentée, révélera des points d’ouïe comme des aménités paysagères, et d’autres comme des zones plutôt inconfortables, avec leurs nuisances et pollutions.

Entre le cris d’une buse chassant au-dessus des prairies et le hululement stridents des sirènes d’alarmes, et le ressac de vagues venant rouler les galets de la plage, gageons que les espaces écoutés ne seront pas perçus avec les mêmes affects.

Autant d’espaces, autant de mouvements, de postures d’écoute, autant de paysages et d’écritures géographiques. Aujourd’hui, la découverte sensible d’un lieu convoque plus souvent le smartphone que la carte papier, l’explorations des villes et des campagnes, y compris de leurs sonorités intrinsèques, passe toujours par une représentation, une écriture partageable des lieux, donc une géographie ad hoc. Sachant que le parcours virtuel ne remplacera jamais, pour moi, le fait que le corps se frotte au terrain, quitte à parfois en ressentir les inconforts, en éprouver les fatigues liés aux topologies, météo, et autres désagréments potentiels.

Si mon expérience personnelle tend à privilégier l’écoute pour développer des géographies sonores, le corps lui, a une approche globalement polysensorielle, convoquant dans ses écritures in situ, ses traces de parcours, les autres sens faisant de nous des êtres réceptifs et réactifs aux milieux vécus, habités,traversés.

L’inscription dans des paysages sonores mémoriels

L’expérience physique, corporelle, vécue, appréhendée sur le terrain, impressionne, comme le ferait la lumière sur un papier sensible, notre corps, jusque parfois dans ses mémoires plus ou moins présentes ou enfouies dans les strates du temps qui passe.

Ce qui a été vécu, parfois de façon forte, émotive, reste gravé quelque part au fond de nous, de notre mémoire, prêt à ressurgir n’importe quand, n’importe où. Revenir dans un lieu où nous avons passé notre jeunesse, vécu nos premières amours, ramène à la surface non seulement des images, mais aussi des sons.

Un paysage sonore est peuplé, voire construit de chansons rythmant des fêtes de famille, de repas associatifs, d’explorations déambulatoires nocturnes, de timbres de voix disparues, et de mille sons ayant impacté notre vie.

La mémoire, ou plutôt les mémoires de paysages sonores construisent petit à petits un catalogue d’ambiances mémorielles, de typologies acoustiques, qui sont régulièrement réactivés en se frottant aux situations d’écoute de terrain.

Ces mémoires permettent d’acquérir une culture audio-paysagères qui nous donnent des repères, des référents. Ces référents nous donnent à leurs tours des éléments de comparaisons, des outils critiques, nous permettant d’analyser des ambiances de terrain en ayant déjà des points de repères, des clés de jugements esthétiques, qualitatifs, éthiques… La mémoire des lieux est en grande partie sensorielle, habitant notre corps dans un ensemble plus ou moins net de stimuli audio, lumineux, chaleureux, tactiles, goûteux… traverser une forêt oreilles ouvertes en rappelle une autre, plus lumineuse, plus chantante, ou plus calme. Ces mémoires réactivées nous font revivre, avec parfois une prise de distance, une amplification, ou une atténuation, des miroirs déformants, une marche écoutante, la traversée d’un site, d’une ville… Raconter une déambulation, ses ambiances sonores, ses scènes acoustiques, même avec toutes les interprétations et imprécisions inhérentes, c’est non seulement revivre, mais(re)construire un paysage où le corps entier s’est laissé imprégné de mille stimuli qui auront transformé, façonné une expérience sensible quasi viscérale.

Le corps écoutant au cœur d’espaces conciliés

Les espaces conciliés, et parfois réconciliées, sont les endroits où l’on peut faire, construire ensemble, dans une certaine harmonie, une bonne entente dirais-je ici en parlant de l’écoute.

Ces espaces relient nos corps écoutants à d’autres organismes environnants, vivants ou non, et aux milieux qui accueillent tous ce beau monde dans un joyeux bruissement, ou tintamarre selon les moments.

C’est là où il est possible de bien s’entendre. Là où le chant de la rivière fait sonner le paysage et vibrer notre corps, nourrissant au passage un territoire vivant.

L’écoute attentive, attentionné dirais-je même, celle qui sait déceler les richesses, les souffrances, les absences, les disparitions, les saturations… nous place dans des espaces où la conciliation est au cœur du sujet. Conciliation comme une recherche apaisée, une bienveillance partagée que l’esprit des lieux nous propose à qui sait l’entendre.

En matière de sonore, le respect de l’équilibre auditif se pose d’emblée. Se promener avec une radio en bandoulière sur un site forestier ou montagneux n’est certainement pas le geste le plus raisonnable, et encore moins, à certaines époques, installer une puissante sono dans une prairie avoisinant des lieux de nidification… Sans entrer dans une pensée moralisatrice donneuse de conseils, ou ne sachant que proférer des interdits, le travail sur des espaces conciliants, où chacun reste à une place raisonnable, non envahissante et non polluante, passe par un bon sens partagé. Il demande une forme d’intelligence collective, une attitude responsable.

L’écoute nous aide, ou tout au moins devrait nous aider, à savoir où se situent certaines marges de tolérance, avant que l’intolérance, et donc les risques de violences physiques et psychiques ne prennent le dessus. On peut comprendre qu’un promeneur, dans un massif forestier, ne supporte plus l’incessant passage de quads pétaradant à tout va, ou de ball-traps nocturnes couvrant tous les bruissements qu’offrent les chants de la nuit.

Le travail sur des espaces conciliés où peuvent co-habiter promeneurs, ruisseaux, oiseaux arbres… dans des espaces auriculaires soutenables, soulève une problématique complexe, et parfois sur des échelles territoriales importantes. Il convoque une éthique environnementale.

Plusieurs bio ou éco-acousticiens faisant des relevés sonores dans une forêt jurassienne protégée, notent, enregistrements à l’appui, l’invasion sonore due à un couloir aérien vers l’aéroport de Genève tout proche. Difficile de faire taire les avions, même si les constructeurs ont grandement réduit, ces dernières années le bruit des réacteurs, ni de les détourner de leurs couloirs pour aller envahir d’autres contrées. Gageons que les espèces animales voient leur communications, souvent sonores, rendues bien difficiles.

Parfois, des paysages ruraux ont été chamboulés par des traversées intempestive de voix de TGV, ou d’autoroutes, qui auraient gagné à trouver d’autres chemins pour ne pas littéralement envahir l’espace sonore. Dans bien des cas, les espaces non conciliés, saturés, pollués, et limite irréconciliables, font l’objet de batailles entre propriétaires, lobbies industriels, agro-alimentaires, où l’intérêt d’une écologie sonore, de la qualité de vie, est le dernier des soucis des aménageurs et politiques.

C’est ici que nos corps écoutants, et tous ceux qui nous entourent souffrent. C’est ici que nous comprenons que la préservation de zones calmes, à défaut d’être silencieuses, vivantes, est un combat au jour le jour. Il faut là aussi réfléchir au fait que le bétonnage de nos montagnes, pour une poignée de skieurs hivernaux, est à mettre en balance avec la qualité de vie, pour entendre encore les cris des marmottes guetteuses et le tintement musical des troupeaux ensonnaillés, la cloche en fond de vallée.

Ces espaces où nous nous sentons conciliés, voire réconciliés avec le monde par les oreilles, doivent être défendus, protégés pour rester écoutables au fil du temps qui passe.

L’écoute d’un site est un geste reliant, conciliant, parfois réconciliant, des espaces physiques, psychiques, des géographies multiples, des terrains sensibles, à l’épreuve de stimuli, notamment sonores dans notre cas.

Ces espaces où l ‘harmonie, l’apaisement, le calme, pourraient régner en maitre, relève à priori d’une pure utopie, d’un rêve idéaliste. Ils existent pourtant, souvent à petite échelle, dans des lieux de plus en plus rares, et menacés.

Mais dans une approche où des formes d’utopies réalisables sont pensée comme moteur d’actions, à l’échelle d’un territoire, même relativement circonscrit, ces espaces sont à construire, et parfois à défendre. Les espaces conciliés autant que conciliants sont de l’ordre de l’aménagement du territoire,du bien être, du soin, de l’artistique et du culturel, de l’approche transdisciplaire. Alors, dans ces actions croisées, le corps écoutant trouvera, ou retrouvera une place d’auditeur acteur d’espaces vivables. Rien n’est gagné d’avance, mais le jeu en vaut la chandelle.

Paysages sonores, une culture écoutante complexe et indisciplinée

Penser, raconter et construire des paysages sonores, cela implique pour moi de croiser, mixer, hybrider des approches, des savoir-faire, des récits, des imaginaires, des choses tangibles et immatérielles, des affects et raisonnements…
Cette posture personnelle, ébauchée, en chantier, souvent répétée, tripatouillée, ressassée, nourrit et stimule une soif de mieux comprendre et d’expérimenter des écoutes multiples. Ces dernières prennent corps, s’incarnent, en concevant une infinité de paysages sonores imbriqués, à la fois intimes et partageables.
Je note ici quelques approches, sans les hiérarchiser ni les développer, comme un canevas ébauchant une sorte de protopie* potentielle.

  • Le paysage esthétique, l’approche artistique, une culture des sensibles, des récits fictionnels en sons, mots, images, danses, théâtres, musiques, multimédia…
  • L’aménagement du territoire, la qualité d’écoute, un tourisme culturel, la recherche du silence, les territoires sonores bâtis, aménagés, habités, apaisés, équilibrés…
  • La santé, le bien-être, le soutenable, le supportable, le soin et l’attention…
  • L’acoustique, la bioacoustique, l’écoacoustique, histoires de vibrations, de communications( humaines et non humaines), les signes de vie et de disparition…
  • Le design sensoriel, fictionnel, prospectif, sonore, l’objet et les ambiances…
  • L’écologie, l’écosophie, l’écoute engagée, des militances, gestes politiques, fabrique de communs…
  • La philosophie, l’éthique, les sagesses auriculaires, la pensée d’écoutes multiples, partagées, questionnantes, clivantes…
  • La marche, le mouvement, les postures, des façons d’écouter et d’être écoutant.e.s, écouté.e.s…
  • L’approche patrimoniale, art campanaire, mémoire des territoires, cultures orales…
  • Les matières à toucher, l’eau, la nuit, la forêt, les choses intimes, les aménités, les ressentis, sentiments, affects et affinités…

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopi

Point d’ouïe en nuit transfigurée

Je pensais, il y a peu
Regagnant tardivement
Ma petite et quiète ville
Toutes lumières éteintes
Vers un minuit sonnant
Que le noir nocturne
Est Oh combien sonore
J’avançais prudemment
Mes pas à l’aveuglette
Sous un ciel très couvert
Un dôme ténébreux
Point de lune éclairante
Je redécouvrais ainsi
Un paysage en strates noircies
Plus épaisses dans la nuit
L’obscurité totale
Immersion fascinante
Et je lance l’écoute
Dans cette intime noir
Un presque rien nocturne
Une non voyance exacerbée
L’obscurité bruissante
Mes pas
Ma respiration
Quelques nocturnes voletant
Des voix, très lointaines
Pas de rumeur ici
De timides émergences
Et c’est très beau
Et j’en écoute encore
En marchant lentement
Puis me pose sur un muret
Les sons se raréfient
Prennent de l’importance
Dans un espace lisible
Comme un grand tableau noir
Un espace acoustique habitable
De mon muret d’écoute
Enveloppé de profondeurs
Sons inscrits dans le noir
Précisant d’obscurs contours
Ceux de la nuit justement
Celle qui porte conseil
A l’oreille noctambule
J’aimerais inviter des gens
Ceux et celles noctambules
Mais les autres eux aussi
A vivre un rituel
D’un espace nocturne
Juste pour écouter
Juste pour faire silence
Entendre les sonnances
D’une nuit chuchotante
Histoire enveloppante
Ambiances ouatée
De nature lascive
Rien ne dort vraiment
Dans d’infimes obscurs
On perçoit moult souffles
Des énergies fluantes
L’invisible ruisseau
Ses coulures si proches
Vibrations ondulantes
La vie qui bat son cours
Envers et contre tout
Ça ouvre des possibles
A l’oreille intrépide
Et à la nuit féconde.

Mars 2024, Amplepuis, écoute installée, aux alentours de minuit

Marcher, danser la ville de l’oreille

Marcher, danser la ville de l’oreille, c’est faire un PAS* de côté !

* Parcours Audio Sensible (Desartsonnants)

@photo « Campus Corpus », mars 2018 – Marche dansée, écoutée, racontée… Trio d’un soir Natacha Paquignon (danseuse Chorégraphe), Patrick Mathon (Trecker raconteur urbain), Gilles Malatray – Desartsonnants (Paysagiste sonore – promeneur écoutant) Campus de la Doua Lyon1, festival Chaos Danse – l’Astrée, Toï Toï Le Zinc Villeurbanne



Point d’ouïe, faire récit des territoires de l’eau

Les fleuves, océans et ruisseaux ont été peints, écrits, poétisés, photographiés, chantés, dansés, mis en musique…

On peut aussi leurs donner de la voix, les faire entendre, en les écoutant traverser nos paysages à fleur de terre et de tympan, en en suivant les rives.

On peut les raviver, les garder bien présents, bien vivants, en recueillant leurs intimes bouillonnements comme leurs furieux grondements.

On peut les défendre en en faisant récit par leurs propres sons recomposés, comme par des mots associés…

Bassins versants, l’oreille fluante

Soutenez le projet, Cagnotte participative

Aide participative

Desartsonnants poursuit son chantier d’écoutes en territoires liquides « Bassins versants, l’oreille fluante« . Pour embarquer au long cours ce projet, Desartsonnants a besoin d’un coup de pouce financier. Il a pour cela mise en place une cagnotte participative via Ulule.

Soutenez Desartsonnants en naviguant par ici : https://fr.ulule.com/bassins-versants–l-oreille-fluante/

Points d’ouïe et histoires d’eaux

Les voix du Bréda – PAS – Parcours Audio Sensible – Musée d’Allevard (38)

Imaginons que les rivières, les ruisseaux et torrents, aient des oreilles…

Imaginons qu’ils écoutent et gardent en mémoire tout ce qu’ils entendent en traversant de vastes territoires, dévalant les montagnes, lorsqu’ils affluent et confluent…

Imaginons que leurs voix nous racontent mille et un récits irrigués de leurs cheminements in-fluants,…

Imaginons que nous les recueillons, et qu’à notre tour, nous les racontions, au gré de nos imaginaires, de nos déambulations, et de nos rencontres.

Ausculter les eaux – PAS – Parcours Audio Sensible – Grand Parc de Miribel Jonage (69

Chantier d’écoute au fil des ondes « Bassins Versants, l’oreille fluante« 

Sonne eau ! Fichiers sonores en écoute

Tourbillon – Jeanne Schmid – Résidence « Écouter Voir » Luxor Factory – Le Locle (ch)

Les entrailles du Locle (Suisse)

Bassins Versants, Rançonnet mon ami

Eau dite

Aquaphonie, eaux chantantes sous les roches

Histoire d’eau sarde

Eau – sculptation

OH Eau !

Saône Eau

EauNirique

Tourbillons d’eau

Eaux rageuses

Territoire au goutte à goutte

Cumul d’eau, les oreilles montent à crue

Ode aux sons tant aimés de la vie 

J’aime tant à entendre

le presque silence de la nuit

Les rires d’enfants joueurs

Les tintements et carillons des cloches

Le grondement et clapotis des eaux

Les réverbérations des églises, cathédrales et tunnels

Le réveil des oiseaux

Les cris des fêtes foraines

L’endormissent du soir

L’écho des combes jurassiennes

Les fanfares festives, cuivres, bagads et bandas

Le vent qui fait claquer et grincer tout ce qui lui résiste

La pluie qui tambourine

Les rideaux métalliques qui s’ouvrent et qui se ferment

Les musiciens de rue

Les cornes des bateaux

Les crapauds accoucheurs et grillons d’un soir d’été

Les chuchotements amoureux

Les piétinements d’un bal folk

Le grésillement de plats rissolés

Le frissonnement des pages qu’on tourne

Les grands airs d’opéra

Un troupeau montagnard et ses clarines tintinnabulantes

Un feu d’artifice grésillant et pétaradant

Les voix fragiles de mes parents, et d’autres en mémoire

Les talons faisant sonner l’asphalte ou l’escalier de bois

Les stades aux holas enflammées

Le vent dans les haubans d’un pont sifflant

La poésie déclamée, récitée, hurlée

La cuillère touillant un thé chaud dans un bol de cristal

Les gouttes d’eau après la pluie

Les cris vociférants d’une manifestation

Les pas crissant sur la neige gelée

Le hululement des chouettes noctambules

Les vagues déferlantes et les graviers roulés

Les harangueurs de marchés

Les chants festifs de fin de repas

Des portes claquantes au bout de longs couloirs

Le tintement de verres entrechoqués

Les claquements de skates véloces

Le brouhaha des foules

Les musiques qui swinguent

Les chuchotis secrets

Le ferraillement des trains

Les claquements de drapeaux par grand vent

Les craquements de la glace qui dégèle sur un lac figé

Les crépitements d’un feu

La rumeur de la ville

Les radios par les fenêtres ouvertes

Le grondement du tonnerre en montagne

Les trots et galops des chevaux frénétiques

Les sifflets sur les quai d’une gare

Les séracs qui s’effondrent en fracas

Les fontaines glougloutantes

Les feuilles mortes raclant le sol

Le cliquetis d’un escalier roulant

Le glougloutement d’une fontaine

Les grondements sous le tablier d’un pont métallique

Des talons hauts sur un caillebotis

Le balancement de l’horloge comtoise

La pétaradance d’un bateau de pêche rentrant au port

Les étourneaux stridents dans leurs vols virtuoses

Et tout ce qui sonne en mémoire vive

Les avez-vous entendus ?

Je suis friand des ambiances acoustiques

Amoureux des mille sons qui les révèlent et les font vivre

Captivé par leurs présences fugaces et mouvantes

Faisant entendre la vie qui va…

 Paysages et territoires sonores, approches et écoutes imbriquées 

Plus j’avance dans les expériences de terrain et les réflexions, plus j’éprouve la nécessité de mêler, de frotter, d’hybrider, des pratiques, des champs sociaux, des domaines de compétences, des structures agissantes, des passions et des espoirs.

Au départ, il me semblait évident que certains domaines se croisaient notamment autour du paysage sonore, en œuvrant de concert. Pour ces derniers, les champs de l’esthétique, de l’acoustique et de l’aménagement des territoires paraissaient des alliés incontournables. Sur le terrain, les collaborations entre ces champs, et qui plus est la difficulté à trouver les espaces pour agir ensemble n’étaient, et ne sont toujours pas, pas si évidentes, si faciles à mettre en place. Cependant quelques timides expérience, art-science, art-action, art-territoire, voient le jour ici et là.

Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus complexe, frénétique, incertain, il me semble qu’il faut élargir encore les espaces de croisements, les interstices, les lieux aux possibilités hybridantes…

Je prends ici quelques exemples liés à mes activités en chantier.

Il y a quelques années, j’ai intégré un groupe de travail autour des thématiques Éducation Santé Environnement, où se retrouvent des professionnels de la santé, des activistes militants autour  de projets environnementaux, écologiques, des acteurs de l’enseignement et de l’éducation populaires, des techniciens des domaines de l’air, l’eau, le bruit,… Aujourd’hui, je me rends compte, via ce réseau,  à quel point le mouvement « One Heath » (une seule santé), prenant en compte les rapports entre humains, animaux, écosystèmes… présente des ouvertures vitales pour tenter de maintenir en bonne santé, à l’écoute, tout un monde en mal de rencontres, de respect, de bienveillance.

De même, mes approches, déjà anciennes, autour des PAS-Parcours audio Sensibles, m’ amènent à marcher avec des protagonistes des mobilités douces, à l’heure où il n’est pas toujours facile de traverser une ville à pied, et même une forêt! La marche dans tous ses états, y compris écoutants, est un levier pour arpenter et se frotter collectivement à un territoire de proximité. Mettre en branle des imaginaires en mouvement par la flânerie, l’errance parfois, est une approche philosophique et éthique, situationniste, qui donne du sens à la vie.

Un autre groupe de travail autour des rythmologies me montre que, dans beaucoup de domaines, entre flux et scansions, les modes de vie, les aménagements, la climatologie, les sciences de la terre, la réflexion entre arts, territoires, sociologie, philosophie… questionnent nos rythmes de vie. On constate des phénomènes d’accélérations croissantes, chroniques, en même temps que des besoins de ralentissements, d’apaisement, le tout impactant la qualité de vie au quotidien…

Un actuel projet autour de la présence acoustique des eaux dans les territoires, pointe les aménités, comme les fragilités, voire les périls liés des eaux nourricières, et pourtant si malmenées. La question politique de la gestion, et parfois de l’appropriation des eaux , problématique hautement conflictuelle, met en garde contre des risques majeurs de plus en plus probables. Écouter les eaux courantes ou dormantes, nous montre là encore les fragiles équilibres, parfois les points de bascule irréversibles.

Le croisement régulier avec des architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, donne des lectures transversales, indisciplinées, de territoires (acoustiques) soumis à de nombreuses évolutions, contraintes, dans des écosystèmes, ensembles urbains fort différents.

Les paysages sonores, envisagés comme des communs parmi d’autres, sont pensés et vécus à l’aune de rencontres stimulantes. Je pourrais ainsi continuer d’énoncer les espaces/temps où les échanges et expériences interdisciplinaires, malgré toute la difficulté de leurs mises en place, donnent des formes d’ouvertures dynamisantes, dans un monde parfois désespérant, qui semble s’acheminer inéluctablement vers un redoutable cul-de-sac.

AACTES – Aménités Auriculaires Collectives en Territoires Écoutants 

PAS – Parcours Audio Sensible entre chiens et loups, Bois d’Ambre – Saint-Vit (25) Festival Back To The Trees 2023

Entrer dans une forêt, ou ailleurs, en faisant une offrande silencieuse, participant à un rituel invitant.

Ouvrir oreilles et corps aux sons, lumières, chaleurs, fraîcheurs et toutes les perceptions et sensations du lieu.

Ralentir, se poser, prendre le temps de faire, partager des gestes a minima, mais pleinement effectués.

Être vigilant, attentif, respectueux, bienveillant, à tous les hôtes que nous croiserons, de près ou de loin.

Se garder une marge d’incertitude, laisser la place à l’imprévu, à la curiosité, à l’émerveillement, au ravissement.

Être connecté avec le lieu, le groupe, sentir ses synergies, son énergie de faire ensemble.

Et beaucoup d’autres postures, gestes, jeux, à inventer et déployer au fil des PAS – Parcours Audio Sensibles.

 L’écoute publique installée 

L

Dessins de Troubs – PAS – Parcours audio sensible à Libourne – Festival Littérature en jardins – juin 2023

Le geste d’écoute collective, dans l’espace public, est en soi une mise en commun partageant des sociabilités auriculaires, une façon d’impliquer l’écoutant dans la ville, et hors les murs.

Il invite à un partage qui convoque des mises en situation permettant une participation simple, accessible à tous.

La marche écoutante, tout comme le point d’ouïe, sont des façons d’installer une écoute au cœur de l’espace public, place urbaine, forêts, parcs, périphéries…

Les processus d’écoute sont à la fois des dispositifs de proximité, sobres et épurés, des formes d’actions publiques réfléchies et mûrement pensées contextuellement.

Néanmoins, la mise en place d’écoutes publiques laisse une grande liberté d’adaptation, voire d’improvisation, cadrées dans des espaces-temps appropriables.

Entre des cadres géographiques et temporels choisis pour leurs potentiels acoustiques, et la liberté d’y développer des formes d’interventions ad hoc, l’écoute publique favorise une création auriculaire collective, à chaque fois renouvelée.

Y’a quelque chose qui cloche !

Y’a quelque chose qui cloche, et c’est très bien ainsi !

Depuis que, avec l’association ACIRENE, j’ai participé à un inventaire important des cloches des églises romanes bourguignonnes, j’admire le son de ces belles dame d’airain. J’ai d’ailleurs enregistré beaucoup de sonneries campanaires lors de mes déplacements, résidences, et écrit plusieurs textes (à la volée). Et là, je suis enthousiaste ! Peu de temps avant de quitter Lyon, j’ai rédigé et soutenu un projet pour le conseil de quartier du 9e, dans le cadre du budget participatif. Projet qui consistait à ajouter initialement deux cloches au carillon de l’église Saint- Pierre de Vaise, mon ancien quartier. Ce projet a été retenu, et les cloches, finalement au nombre de trois, seront fondues prochainement, et installées en automne. Hâte de les entendre sonner pour les concerts inauguraux. Le carillon passera donc de 12 à 15 cloches, ce qui permettra aux carillonneurs de jouer des mélodies sans jongler avec les manques de notes. C’est, avec le carillon de l’Hôtel de ville de Lyon, un des rares carillons jouables du département du Rhône, et il sonne magnifiquement bien. Il accueille des instrumentistes de renommée internationale chaque été, pour de magnifiques concerts estivaux.

Je suis vraiment très heureux !

Reste à développer des événements autour du carillon d’Amplepuis, église Saint-Pothin, ville où je réside aujourd’hui, qui possède un ensemble campanaire de huit cloches, aux sonneries électrifiées mais encore jouables manuellement.

Et qu’ça sonne !

16/03/2024 – 31/08/2024 : Fonte des cloches et gravure des prénoms

01/09/2024 – 30/09/2024 : Exposition des cloches en mairie du 9e

arrondissement

01/10/2024 – 15/10/2024 : Bénédiction des cloches

16/10/2024 – 31/10/2024 : Installation puis inauguration avec un concert de carillon

https://oye.participer.lyon.fr/…/budgets/2/projects/107…

`

Écoute quand tu me tiens !

L’écoute suit son cours, ou plutôt ses cours, elle m’y entraine, irrésistiblement.

Elle draine et galvanise mes envies, mes projets, mes chantiers, mes rêves, accompagne mes désillusions aussi…

Elle m’amène de nuit, dans les nocturnes urbains, forestiers, montagnards, et des ailleurs obscurs,

Elle me fait suivre les cours d’eau, entendre la voix des lacs et des rivières, des mers et des étangs, leurs forces et leurs fragilités.

Elle ausculte les interstices, les lisières du dedans/dehors, les écoutes confinées, celles des prisons, centres d’accueil, hôpitaux, des lieux aux publics empêchés. Elle est celle par qui les sons ouvrent des portes, élargissent des chambres et des cellules étroites…

Elle a toujours envie de me faire raconter ce que l’œil ne saurait dire.

Elle me saisit par l’oreille et me prend aux tripes, en auditeur conquis, et complètement accro.

La radio est pour moi un de ses univers, qui charrie mille histoires audibles, où le son est aussi chargé de sens et d’imaginaire que la plus belle littérature, image, danse…

J’ai fait de l’écoute une amie bienveillante, comme une arme absolue, pour contrecarrer la violence du monde, sans me voiler la face, ni me boucher l’oreille.

Et chaque jour, je replonge mon écoute obstinée, entêtée, dans le bouillon de la vie. Chaque jour, je me construis de nouvelles auricularités, en espérant qu’elles voyagent d’oreille en oreille, qu’elle y trouve des résonances et échos.

L’écoute suit son cours, dans un monde bruissonnant, voire parfois beaucoup plus, voire parfois beaucoup trop.

Elle me plonge dans le chaos du monde, souvent sans concessions.

Et quand elle fait défaut, le risque majeur est que le grondement s’amplifie, que la violence s’installe, qu’elle envahisse tout, m’assourdisse impuissant.

L’écoute me donne à entendre les plus belles comme les plus épouvantables choses. J’essaie de faire en sorte qu’elle désamorce un tant soit peu les secondes, à mon oreille défendante.

Comprendre, enseigner, travailler le paysage sonore

Paysage sonore, Soundwalking, PAS – Parcours Audio Sensible.
Marche, atelier, conférence, conférence marchée, Conf’Errance…
@photo Luc Gwiazdzinski – Séminaire Rythmologies (@MSH_A @ENSATlse @EPFL…) “marche écoutante” sur le campus de Grenoble


Le paysage sonore n’est pas que bruit, nuisances et pollution.
Pas plus qu’il ne se conçoit par une approche essentiellement esthétique.
Le paysage sonore s’inscrit dans une construction sociétale, un geste d’aménagement, un cadre offrant des qualités d’écoute habitables, vivables. Il génère et est irrigué de référents culturels territoriaux, participant à une cohérence des espaces vécus, qu’ils soient urbains, périurbains, ruraux…
Prendre conscience, décrypter les ambiances auriculaires, les signaux, entendre leur capacité à raconter le territoire, comprendre leur force, aménité, fragilité, paupérisation, c’est intégrer de nouveaux outils relevant d’une écosophie paysagère agissante.

J’aborde fréquemment ces problématiques avec des étudiants, dans le cadre de cursus universitaires tels l’architecture/urbanisme/paysage, le design, la géographie, les beaux arts, la gestion de projets culturels… Mais aussi avec des professionnels, chercheurs, élus, citoyens écoutants…

J’encadre des ateliers qui croisent les approches esthétiques, écologiques/écosophiques et sociétales, via des lectures de paysages sonores, des analyses de terrain, des créations audionumériques contextualisées, des modélisations d’aménagements intégrant les ambiances auriculaires…

Je participe également à des chantiers concernant des requalifications urbaines, plans paysages, concertations, aménagements… avec des entreprises et institutions publiques et privées.

Les domaines des mobilités douces, santé, loisirs, tourisme culturel, sont également des champs où une oreille aiguisée peut devenir un atout dans une approche qualitative, sensible.

Le paysage sonore s’inscrit ainsi dans des démarches transdisciplinaires, par des réflexions et des gestes généralement inouïs, au sens premier du terme.

Si l’oreille vous en dit, je reste à votre écoute pour en discuter de vive voix.

 Eurythmie et indisciplinarité 

En réfléchissant sur des orientations possibles, issues d’un séminaire autour des « Rythmologies« , je repensais à cette phrase inscrite dans un texte d’intention : Réfléchir à « l’eurythmie », « beauté harmonieuse résultant d’un agencement heureux et équilibré, de lignes, de formes, de gestes ou de sons » définition CNRTL.

Mais aussi à celle-ci  « … y compris pour un séminaire Rythmologies, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie… »

Construire des formes esthétiquement, socialement, éthiquement, équilibrées, notamment via des gestes et des sons. Des gestes liés au monde sonore, des gestes d’écoute, par lesquels les constructions s’amorceront à mon échelle, via des recherches et expérimentations d’un paysagiste sonore, musicien et promeneur écoutant.

Mettre une oreille exercée, aguerrie à l’écoute, au service d’un projet tissé d’interdisciplinarités, est un chantier stimulant.

Arpenter les territoires, les ausculter, en convoquant des approches croisées, des méthodes et processus décloisonnés, c’est faire du terrain, de l’in situ, un laboratoire à l’épreuve   du pragmatisme in discipliné.

J’ai déjà, dans un précédent article, tenter de lister quelques axes de l’indisciplinaire, liés au(x) geste(s) d’écoute(s) et à l’action de marches écoutantes, aux expériences de terrain.

Ils me sont apparus comme évidents. J’en  rappellerai ici quelques uns :

Artistique, esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie, écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère. Préserver des territoires d’un tourisme de masse .

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités, rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores, les sociabilités auriculaires, les croisements quantitatifs/qualitatifs, normatifs/sensibles…

Pluridisciplinarité, indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, arts/action/création, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire…

Ces approches, ces axes, n’étant bien évidemment pas exhaustifs, ni hiérarchisés en termes de de priorité ou d’efficacité. Nombre d’autres eux peuvent se dessiner, s’expérimenter, s’affiner, au fil des écoutes, de leurs formats, objectifs, dispositifs, mobilités, contextes, rythmes et temporalités…

Pour revenir à une recherche eurythmique, qui porte en elle un désir d’équilibre, de stabilité, de beauté, d’harmonie, en réponse à un monde incertain et parfois anxiogène, je remets en question le statut-même  de l’écoute, de la marche écoutante, comme des façons d’être connecté et réactif au monde, aux territoires (co)habités.

L’eurythmie, comme la protopie*, sont des réponses plus positives que celles des utopies ou des dystopies, face à des situations si complexes, qu’elles en sont parfois démotivantes.

Devant ces complexités inquiétantes, il nous faut croiser les savoir-faire, les compétences, les idéaux peut-être, pour ne pas se sentir trop isolé, impuissant, une forme de résistance à construire et consolider sur le terrain.

Marcher, écouter, prendre le temps de faire, dépasse la rêverie d’un Eden potentiel, d’un âge d’or à retrouver, c’est prendre la mesure d’enjeux vitaux, avec leurs possibles comme leurs limites, leurs aménités et leurs difficultés.

Je prendrai ici un exemple pour moi d’actualité. Je m’appuierai ici sur le fait d’écouter le flux et les tourbillons d’un fleuve ou d’un ru, qui me questionne autant sur des équilibres esthétiques, nourriciers, que sur une mémoire toujours en chantier, une existence fragile, frottée à des accélérations de tous bords. Croiser sur ces cheminements aquatiques, liquides, mouvants, des hydrologues, navigateurs, pêcheurs, marcheurs écoutants, riverains, poètes, danseurs… c’est penser une eurythmie portant attention et soin à des territoires fragiles, à des habitants et passants de tous genres.

L’approche rythmologique indisciplinée, eurythmique, autant que faire ce peut, n’apporte pas de réponses parfaites, pas de solutions clé en main. Cependant, elle permet de mutualiser des compétences, affinités, voire militances. Voyons là des projets partagés, qui se renforceront en se frottant les uns aux autres, aux réalités du terrain, comme à celles de l’imaginaire collectif.

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopie-un-futur-plus-desirable-que-l-utopie-et-la-dystopie-reunies

Le corps Son/Silence et entre-deux

Se mettre à l’écoute implique une adhésion maximale du corps, au delà des oreilles, une implication de la tête au pied, dans toute les fibres sensibles mises en sympathie, en syntonisation.
La peau les pieds, les os, comme une caisse multi-résonnante et vibrante.
Le mouvement lent, immergé, situé, convoque une chorégraphie écoutante, créant du mouvement dans une géographie sensible, traçant des architectures et des cartographies sonores.
La pause, le plan fixe, la position assise, allongée, adossée, l’arrêt sur son(s), le point d’ouïe, sont autant de postures développant des antennes sensorielles dans tous les plans de l’espace audio environnant.
Les traversées, les passages dedans/dehors, les sas, les espaces transitoires, orées, lisières, sont franchis, perçus, habités comme de potentielles ouvertures/fermetures, des élargissements/rétrécissements, estompages/amplifications, des filtres audio colorant…
Le corps et le son se font (presque) silences, entités complices, en se fondant dans un espace symbiotique où l’écoutant récepteur est en même temps reçu, écouté à son tour, pris dans un processus d’envois et de d’accueils ondulants.
La nuit, la forêt, la ville crépusculaire, les rives d’un lac aux eaux étales, sont autant d’espaces possibles, où installer, déployer, partager une écoute physiquement et mentalement transcendée.
Entre laisser-aller et immersivité active, lâcher-prise et sensibilité déployée, corps abandonné et conscience développée, entre mouvement et immobilité, sons et silences, mille espaces de balancements, d’oscillations, alternent et se superposent.
La marche, tout comme la contemplation immobile, sont des ouvertures sensibles offertes au corps récepteur et accueillant.
Les interstices entre sons et silences offrent des terrains auriculaires aussi riches que fragiles, où peuvent se construire des écoutes, où toute chose, vivante ou non, est respectable et digne d’intérêt.
Il nous faut sans cesse trouver, expérimenter, les postures le plus en adéquation que possible avec le lieu et le moment, la présence et l’absence.
L’écoute est une façon d’être au monde, ouverte, attentive, critique, positive, stimulée de protopies en chantier, de défis en devenir.

Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

 Qu’il est beau le Rhône par grand vent ! 

Un PAS – Parcours Audio Sensible avec un master FLE (Français Langues Étrangères » et un programme ALISE (Arts Littérature Images Scène Espace).

Nous commençons par une belle cour intérieure de l’Université Lyon 2, Campus des berges du Rhône, où les voix , les rires, le vent dans une haie de lauriers, le claquement d’une affiche à demie décollée, animent joliment un espace réverbérant à souhait. La courette est entourée de passages couverts, arborée en son centre, et ressemble fort à un cloître, acoustique comprise.

Un deuxième spot auriculaire se présente comme une sorte de sas intérieur, lieu fermé, minéral, sombre, d’où partent plusieurs escaliers, avec une porte donnant sur l’extérieur. Des voix résonnent au loin, quelque part dans les étages supérieurs du bâtiment.

Un étudiant traverse l’espace, ouvre la porte vers l’extérieur, ce qui nous fait entendre la rue avoisinante, ses tramways… Transition acoustique dedans/dehors. La porte se referme très très lentement, opérant un fondu sonore du plus bel effet, un étouffement , descrescendo progressif, avant que la scène soit close par un claquement résonnant. Un instant très audio-cinétique que l’on aurait pu composer. Nous concluons notre écoute par quelques bribes de chant diphonique, histoire de révéler un peu plus encore l’acoustique réverbérée, et de  faire sonner ce beau lieu intime.

Nous sortons de l’enceinte de  la fac. Des tramways, des étudiants, des usagers de l’hôpital voisin, la rue est animée. Nous la traversons pour nous diriger vers le Rhône et descendons sur les bas-quais. Le vent souffle fort et le ciel est d’un noir qui présage une pluie imminente.

Une traversée de quelques centaines de mètres, entre deux ponts, routier et SNCF, nous permet de nous plonger l’oreille dans les paysages aquatiques fluviaux. Et aujourd’hui, ils sont particulièrement riches et singuliers !

Peu, voire pas de touristes et autres festoyeurs coutumiers des lieux sont présents à cette époque de l’année, la pluie se faisant menaçante de surcroît.

Néanmoins, de nombreux joggers et joggeuses font leur exercice sportif, les rythmes de leurs courses et de leurs respirations scandent les quais de claquements et halètements.

Des vélos, trottinettes, rollers, planches à roulettes, se partagent, parfois difficilement l »espace, entre eux, et avec les piétons, personne ne respectant vraiment les couloirs sensés leurs être attribués. On entend ainsi nombre de coups de sonnettes énervées, sans compter les klaxons électriques, harangues verbales… Ambiances de cohabitations mobiles parfois pas vraiment sympathiques.

Chose agréable, la circulation, plutôt soutenue sur les quais du haut, ne s’entend quasiment pas, à quelques émergences près, protégés que nous sommes par l’effet fossé qui nous isole du flux sonore sur nos têtes.

Par contre, les quais sur la rive opposée, pourtant très éloignés de nous, le Rhône étant très large à cet endroit, ramène à nos oreilles une rumeur constante, sans doute amplifiée par l’effet miroir de l’eau,  qui plus est très haute ces temps-ci.

Deux ponts servent de points d’ouïe résonnants assez spectaculaires. Nous nous arrêtons dessous. Le premier, routier, nous fait entendre de sourds claquement assortis de grondements, limite infrasonores. Le tramway entre autres, le fait joliment sonner.

Le second, ferroviaire celui-ci, et beaucoup plus ancien (1851), prolonge la gare de Perrache. Au passage d’un train, c’est un surprenant ferraillement très rythmique, qui se déroule sur nos têtes. Surtout s’il s’agit d’un long convoi de marchandises.

Et sur l’eau, de grosses péniches sont amarrées. La première est une salle de spectacle flottante qui, acoustiquement, ne présente rien de vraiment remarquable.

La seconde est un bateau de formation aux secours en mer et en fleuve. Deux assez longues passerelles métalliques permettent l’accès à son bord. Elles reposent sur des boudins plastiques roulants, pour permettre les passerelles d’accompagner les mouvements des eaux du Rhône. Et comme ce jour là, le vent est très fort, les passerelles bougent beaucoup, en émettant une série de « cris », gémissements, tout à fait surprenants. Le son que l’on ne peut manquer sur ces rives ! Grand regret pour moi, ne pas avoir un enregistreur à portée de main. Un autre jour venteux peut-être…

Une imposante péniche chargée de sable passe en ronronnant faisant entendre des remous clapotants, dits de batillage.

Pour finir cette petite description, le Rhône lui-même est agité de vagues bouillonnantes, qui le font chanter sous le vent. Il est vrai que les eaux basses de ces dernières années, surtout par temps calme, font que le fleuve, si majestueux soit-il visuellement, ne se fait quasiment pas entendre, à quelques remous et clapotis près.

Cette longue déambulation sur les rives rhodaniennes, très belle dans toute sa diversité auditive, me conforte à l’idée de faire entendre la voix des eaux, souvent noyée dans le paysage, surtout en milieu urbain. Un flux, celui de la circulation, en masque un autre, aquatique, que l’on référerait sans doute au premier.

Lorsque les beaux jours seront revenus, les rives redeviendront très animées, très festives, avec son alignement d’embarcations restaurants, salles de concert et de danse, ses terrasses et afters de fêtes »sauvages » sur les quais, parfois au grand dam des riverains.

Toujours ce difficile compromis pour les politiques urbaines de maintenir une ville animée, festive, et de ne pas se mettre à dos tous les riverains, parfois il est vrai totalement intolérants.

Cette traversée  auriculaire a été une belle façon d’alimenter mon chantier d’écoute en cours, celui de « Bassins versants, l’oreille fluante »

En tous cas, le Rhône est un bien beau fleuve sonore, surtout par jour de grand vent !

Les couloirs du son à Montbron

Une résidence artistique à l’Ouvroir des Territoires de l’Ouïe, en collaboration avec la Médiathèque de Monbron.

Dans le cadre du projet nomade en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante« 

L’eau courante l’est-elle encore ?

Résidence de création sonore en territoires aquatiques – Vallée des Gaves du Pau – Hautes-Pyrénées – Ramuncho Studio et Hang-Art à Luz-Saint-Sauveur (65)


Vers des territoires hydrosoniques menacés

A l’heure où tout le monde devrait avoir l’accès à une eau potable, nourricière, commun partageable vital, la question de sa gestion, de son partage, de sa potabilité, voire même de sa présence, peut nous faire redouter un avenir loin d’être serein.
Si certains territoires craignent, à juste titre, de voir leurs terres habitables grignotées par la montée des eaux, d’autres dévastées par des crues et torrents, d’autres encore voient l’eau disparaitre petit à petit du paysage, pour laisser des terres exsangues et desséchées.


Constat peu réjouissant me direz-vous.


Mon oreille se tourne aujourd’hui naturellement vers les paysages aquatiques, des bassins versants auriculaires, un maillage de cours d’eau tout à la fois esthétiques et marqueurs écologiques dessinant des territoires fluents.
Je prends un immense plaisir à suivre les rivières, fleuves et rus, à longer les rives d’un lac, d’un étang, à admirer les paysages d’une zone humide, tout en respectant son fragile biotope. Je tends l’oreille, heureux lorsque les flux se font entendre, dessinent des géographies auriculaires, et inquiet lorsque l’étiage périodique devient omniprésent sur un long terme, et fait se taire la voix des eaux.
Mes oreilles, micros, récits, tentent de rendre compte de la vitalité, comme parfois de la grande fragilité des trames et points bleus.
L’eau courante, force vive, sillonnant des paysages qu’elle contribue à façonner, est un marqueur qui n’est pas essentiel que par ses qualités esthétiques, tant s’en faut.
Néanmoins, montrer et faire entendre les beautés visuelles et sonores des eaux ruisselantes, est une façon d’en souligner la fragilité, parfois l’état critique, et la nécessité de protéger un accès à l’eau, de lutter contre des gaspillages insensés.
L’eau source de vie, véhiculant des mémoires parfois très anciennes, est un patrimoine en grand danger. Lui prêter l’oreille, attention, dépasse une posture touristique, une valorisation territoriale esthétique. Écouter l’eau, partager des approches sensibles, c’est aussi tirer des sonnettes d’alarme pour prévenir de violents conflits naissant de la disparition ou de l’appropriation inhumaine d’un bien commun vital.

Je me pose les mêmes questions, me fais les mêmes remarques, en traversant une forêt malmenée par les sécheresses consécutives, pluies acides, incendies, attaques parasitaires, monocultures, déforestations massives, où le chant des oiseaux fait place à de sinistres craquements de bois sec.

Territoires liquides en écoute

Chantier d’écoute « Bassins versants, l’oreille fluante« 

Écoute, écoutes

Les deux derniers week-ends, j’ai participé à l’élaboration et à l’expérimentation de mises en situation d’écoute fort différentes, et au final très intéressantes.


La première à Lyon, lors de la Semaine du son. Le samedi soir, nous avons accueilli des personnes en appartement, jauge limitée, pour écouter des pièces sonores paysagères, en discuter, imaginer quelques projets et prolongements à venir.
Une petite exposition « Photographier l’écoute », autour de clichés pris lors de promenades écoutantes, s’est glissée dans le décor de nos hôtes, et a donné prétexte à l’échange autour des pratiques déambulatoires et postures d’écoute en marche, ou en point d’ouïe.
Le lendemain, nous nous sommes retrouvés sur les quais de Saône pour un point d’ouïe matinal. Puis nous avons cheminé vers l’appartement, où nous attendait une violoncelliste performeuse qui a fait sonner l’espace de belle manière, par des improvisations cello/voix. Des écoutes sur le thème du dedans/dehors, des espaces acoustiques publics/privés, des ouvertures/fermetures, de quai en appartement en passant par les huit étages transitoires d’un escalier… Et toujours des échanges sur les façons d’ouïr le monde, et d’en partager des pratiques en mouvement. Une collaboration ACIRENE, PePaSon, et Desartsonnants.


La semaine suivante, avec un Tiers-Lieu amplepuisien, nous avons donné à entendre des courts témoignages enregistrés, de personnes parlant de leurs sons préférés, ou haïs, des souvenirs et ressentis, des commentaires sur le statut donné à ces sonorités… Intimité, jeux, madeleines proustiennes, de belles écoutes, souvent émouvantes, ont rythmé la soirée.
Le public a lui aussi été invité à commenter, échanger, et pour finir voter pour leur son favori.
Une troupe de théâtre d’improvisation a fait plusieurs interventions ponctuelles, en s’appuyant sur des thématiques issues des séries de sons écoutés (sons du quotidien, imaginaire et création, instrument, cuisine, signaux et annonces…).
L’expérience de différentes mises en écoutes, média, interactions, s’est révélée très riche, et stimulante pour imaginer d’autres processus ludiques et participatifs à venir.

Une prochaine journée du son est d’ores et déjà en cogitation avec l’Atelier-Tiers-Lieu d’Amplepuis, autour du silence, printemps 2024. Outdoor, et certainement façon nocturne en forêt. A suivre…

Ces deux formes de « théâtre sonore », bien que très différentes dans leurs mises en scène et en espace, trouvent chez moi un écho stimulant pour réfléchir à des propositions qui fassent faire un pas de côté à nos oreilles. Des formats légers, souples, adaptables, qui privilégient la relation humaine, via le partage d’expériences auriculaires et les échanges en découlant.

C’est ainsi, que le silence

C’est ainsi
C’est ainsi que le lieu s’est asséché
Que ses larmes ont tari
Que son herbe a jauni
C’est ainsi
C’est ainsi que les oiseaux ont fui
Les ondes évaporées
Le désert minéral
C’est ainsi
C’est ainsi que le lieu s’est tu
Les flots cessé de gémir
Les arbres de bruisser`
Les rivières de couler
C’est ainsi
c’est ainsi que survint le silence
Les eaux empoisonnées
La vie déshydratée.

Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Février 2024

Des marches écoutantes multiples


Marches sonores, écoutantes, auriculaires
Marches sensibles, perceptives, sensorielles
Marches performatives, artistiques, esthétiques
Marches festives, commémoratives, rituels
Marches pragmatiques, expérientielles
Marches et postures physiques, mentales, corps écoutant
Marches en silence, en lenteur, geste minimal, ralentissement
Marches installations d’écoutes, mises en situation acoustique
Marches et longue-ouïes, bricophonie écoutante
Marches lectures/écritures, compositions de paysages
Marches et micros installations sonores, furtives, autonomes, éphémères
Marches Conf’errance, interventions audio déambulantes
Marches croisements Art/science , Recherche action, Recherche création, Recherche territoire…
Marches immersives, contemplatives, méditatives
Marche inaugurations, événements, points d’ouïe révélés
Marches à oreilles nues, sobriété, soutenabilité
Marches philosophiques, audio-sociétales, penser par l’oreille et les PAS*
Marches urbaines, périurbaines, rurales, ailleurs, nomades…
Marches thématiques, au fil de l’onde, en forêt, nocturnes
Marches écologiques/écosophiques, éthiques…
Marche hybrides, transdisciplinaires, indisciplinaires, métissées…

*@Parcours Audio Sensible Desartsonnants

Marche écoutante et conférence – Max Neuhaus opus 1 & 2

Opus 1 : conférence
Gilles Malatray propose une rencontre autour d’un grand pionnier des arts sonores : Max Neuhaus. Dans la lignée de John Cage, dont il admirait beaucoup le travail, il a défriché de nombreux domaines. De ses « Listen » (soundwalks), en passant par des dispositifs audio où l’auditeur est immergé dans une piscine jusqu’à ses installations dans l’espace public, l’artiste balaie un large champ de la création sonore. Il développe une importante réflexion théorique, une recherche innovante en s’appuyant sur de nombreuses expérimentations, notamment sur les mouvements sonores dans l’espace et les effets psycho­acoustiques influant les postures d’écoute.
Durée : environ 1 heure


Opus 2 :  PAS­ Parcours Audio Sensible

Dans l’esprit des « listen » de Max Neuhaus), marches écoutantes new­yorkaises emmenant les auditeurs hors­ les-murs découvrir les musiques de la ville, Gilles Malatray propose un PAS – Parcours Audio Sensible, pour découvrir la ville entre les deux oreilles. D’espaces intimes en lieux surprenants, les promeneurs guidés, redécouvrent leur ville. à oreille nue. Ils la déchiffrent telle une partition de musique,
l’appréhendent comme un concert à 360, une installation sonore à ciel ouvert.
Durée : environ 1 heure

Séjour manceau, écoutes plurielles

De retour du Mans Sonore
Colloque MMER. »Médiums, Milieux, Écoutes, Récits »


Des cosmophonies aux communs auditifs » à l’école d’art TALM, avec notamment des étudiants et enseignants en Design sonore.


Rencontres, joyeuses retrouvailles, échanges avec des chercheurs, artistes, aménageurs… Ce genre de rencontres fait toujours du bien. Du grain à moudre, une fois tout cela un poil décanté, des projets et envies de croiser des pratiques, des questions écologiques, éthiques, des urgences…

Et puis deux PAS – Parcours Audio Sensibles dans le centre ville du Mans.
A guichet fermé, mais oreilles ouvertes.

Le premier un samedi soir, temps clair, superbes lumières, nuit tombante, et température très fraiche.
Le deuxième un dimanche soir, mêmes horaires, temps très humide, gris, mais nettement moins frisquet.

Des propositions hors-les-murs, expérientielles, corporelles, en écho avec certains sujets abordés lors des présentations du colloque. Ne serait-que l’écoute, l’écoutant, sa place dans l’espace public, ses façons de la vivre, de l’écrire, de le partager, de le penser, de la pratiquer ensemble…

Deux ambiances très différentes, les parcours variant selon les ambiances mouvantes, les aléas du moment.

En préambule, une proposition de courtes phrase et de « mots-clés » pour introduire et alimenter le PAS en amont.

D’autres propositions du public se feront au retour. Élargissement collectif du geste d’écoute post déambulation.

Et au final, rien d’extraordinaire dans les ambiances rencontrées, traversées, écoutées..
De l’infra-ordinaire aurait dit Pérec.
Et c’est pourtant là, hors du grand spectacle, que la magie opère.
C’est à ces endroits du quotidien revisité que les sons dessinent des architectures urbaines parfois surprenantes, esquissent des récits, fabriquent du commun.
Des expériences singulières parce que le groupe, son silence installé, sa lenteur, ses arrêts-points d’ouïe ponctuant la marche, sa façon de venir perturber l’espace public, par sa présence silencieuse, de places en parkings souterrains, tout cela prend la forme d’un étrange rituel dépaysant.
L’occupation d’un escalier très étroit, descendant à un parking souterrain, réverbérant à souhait, filtrant les bruits de la rue, par une trentaine de personnes silencieuses et immobiles a de quoi à surprendre, voire inquiéter. Les usagers du parking étant obligés de se faufiler dans une haie humaine, aux allures statufiées. On s’excuse, hésite à rebrousser chemin, rit, questionne, regarde avec inquiétude, amusement… L’espace est perturbé, ses passants aussi, des participants-même du PAS, par la petite performance auditive, mettant le corps en jeu, jeu de l’ouïe, en ce lieu habituellement peu enclin à accueillir une scène d’écoute, fût-elle éphémère et improvisée.


Se dépayser en écoutant sa propre ville (autrement), en partageant une expérience a priori simple, quasi minimale, sans rajouter d’effets tape-à-l’oreille, est une façon de réécrire une tranche de ville à portée de typan. Une façon aussi de privilégier des échanges spontanés, de faire groupe en étant écoutants, à la fois contemplatifs et actifs, selon les moments.

Chaque PAS est unique, et non reproductible à l’identique. Il vient s’ajouter à une sorte de collection audio-kaléidoscopique en chantier. Il dessine une cartographie s’écrivant , se traçant in situ, esquisse une géographie sensorielle et sonore. La pratique et la mémoire, l’écriture et la trace de ces multiples PAS, participent ainsi à une cosmogonie auriculaire propre à chaque écoutant, mais à la construction de communs autour d’une écoute vivante et partagée.

Je remercie ici la formidable équipe d’enseignants du master Design sonore, qui m’ont invité à effectuer deux beaux workshops , dans le cadre d’un projet ARC (Ateliers de Recherche Création), plus ces dernières explorations audio-ambulantes publiques pour terminer ce cycle.

Sans oublier la belle équipe d’étudiants aussi sympas que motivés, avec lesquels nous avons passé de beaux moments d’écoute dedans/dehors !

https://esad-talm.fr/fr/actualites/colloque-mmer-mediums-milieux-ecoutes-recits

Écologie de l’écoute

ECOLOGIAS DE LA ESCUCHA es un programa organizado desde el area de educación de La Casa Encendida, con talleres presenciales (en Madrid) y talleres-encuentros online a través de zoom que tendrán lugar durante 2024 )))

El ciclo de sesiones online reune las voces de diez artistas, investigadoras y pensadoras desde Argentina, Costa Rica, México, Portugal y España.

Participantes: Gabriela De Mola y Belén Alfaro (Dobra Robota Editora), Eloisa Matheu, Susana Jiménez Carmona, Raquel Castro, Clara de Asís, Luz María Sanchez, Marina Hervás, Carmen Pardo, Susan Campos Fonseca, Juan Carlos Blancas, Sergio Luque, Jesus Jara López, Pablo Sanz

Las actividades funcionan por inscripción directa a través de la web y se pueden reservar individualmente (plazas limitadas).

https://www.lacasaencendida.es/…/ecologias-de-la-escucha

ÉCOLOGIE DE L’ÉCOUTE est un programme organisé depuis la zone éducative de La Casa Encendda, avec des ateliers en présentiel (à Madrid) et des ateliers-rencontres en ligne via zoom qui auront lieu en 2024.))

Le cycle de sessions en ligne rassemble les voix de dix artistes, chercheurs et penseurs d’Argentine, du Costa Rica, du Mexique, du Portugal et d’Espagne.

Participants : Gabriela De Mola et Belen Alfaro (Dobra Robota Editora), Eloisa Matheu, Susana Jiménez Carmona, Raquel Castro, Clara de Assis, Luz Maria Sanchez, Marina Hervás, Carmen Pardo, Susan Campos Fonseca, Juan Carlos Blancas, Sergio Luque, Jesus Jara López, Pablo Sanz

Les activités fonctionnent par inscription directe via le web et peuvent être réservées individuellement (places limitées).

https://www.lacasaencendida.es/…/ecologias-de-la-escucha

Bien entendre nos pas

Et mes talons qui claquent

Clairs sur  sol gelé

Ils font bruisser les sentes

Amortis automnaux

Tapis aux feuilles mortes

Percevoir mon allure

Me donnent la cadence

M’invitent à ralentir

Ou à presser le pas

La marche s’entend bien

Comme un geste ambulant

Étouffé d’herbe grasse

Ou de neige ouateuse

Réverbérée de gel

Et dalles de marbre lisse

Traversant des séquences

Et jouant des cadences

Aux rythmes indécis

Aux rythmes chaloupés

Métronomes de marche

Testant sols et matières

Bien présents ou discrets

Quand aux pas ceux d’autrui

Ceux des autres allant

On les entend passer

S’approcher à l’oreille

S’éloigner à l’oreille

Différentes allures

Fières ou presqu’effacées

On peut suivre ces pas

Filer le lent flâneur

Pister le promeneur

Talonner l’arpenteur

S’attacher à ses basques

En écoutant marcheur

On se glisse à sa suite

L’oreille au pas à pas

Jeu de l’ouïe lien mobile

Qui infiltre l’espace

Des marcheurs prestes urbains

On avance sonore

On trace mouvements

On écrit des parcours

On les marque ambulant

Groupe bruissant des pieds

Traversant la forêt

Les pavés résonnants

Bien entendre nos pas

Ceux des autres aussi

se sentir piéton

Geste ambulant liant

Aux pas (dé)concertants

La vie qui est en marche

Et que l’oreille entend

Et qui nous tient vivants.

L’oreille écoute, du tâtonnement à l’écriture sonore paysagère 

Tout d’abord, l’oreille tâtonne, hésite, essaie, comme le doigt d’un musicien qui cherche l’endroit exact, la bonne touche sur les cordes d’un violon, pour « jouer juste ». Ici elle chercherait à écouter juste, plus avant que de juste écouter.

Il lui faut prendre ses marques, ses repères, se positionner au meilleur endroit que possible, de la façon la plus adaptée, à des moments opportuns… Trouver le Kairos Auditus.

Exercice qu’elle refera dans chaque nouveau site mis en écoute, comme le musicien, ou l’orchestre, le groupe, aura à « faire son son » par rapport à l’acoustique des lieux où il se produira.

Ses repères pris, elle pourra alors commencer à jouer, à composer avec les sons du lieu, les faire paysage(s), les agencer, mentalement ou à l’aide d’outils numériques, objets, instruments… Peut-être parfois en les marchant, en les arpentant, en sentant les agencements « naturels », accidentels, ponctuels, ou ceux que l’on pourrait écrire pour faire sonner de nouveaux espaces musicaux, acoustiques, virtuels ou physiques…

Entre flux, cadences et rythmiques, celles où le vent, la pluie, l’orage, les animaux, et le pas du marcheur, les ambiances urbaines, participeront à faire naître, reconnaître, l’oreille commencera à percevoir, et à concevoir des séquences (quasi) musicales

Le travail de paysagiste sonore est alors en marche, sur le terrain, en studio, dans des espaces de diffusion, d’installation dedans/dehors…

L’écriture, la (re)composition, dont l’oreille sera la principale artisane, maitre d’œuvre, là ou le paysagiste sonore prendra du plaisir, tant dans le geste d’écoute, que dans l’action créative qui s’en suivra, ou l’accompagnera in situ.

Le premier plaisir sera sans doute celle d’entendre, de réentendre, d’écouter le monde à sa façon. Le second naîtra du fait de partager l’expérience sonore avec des promeneurs écoutants, auditeurs, voire co-créateurs de paysages sonores en chantier.

Eaux courantes hivernales

L’hiver s’est installé

Il papillonne rude

Du duvet blanc flottant

Et des flocons fondants

Sur la peau chair de poule

Deux mois qu’il pleut beaucoup

Et voilà qu’il poudroie

Et voila qu’il blanchoit

Enfin l’hiver inonde

Et le ruisseau qui gronde

Il se fait écumant

Il se fait bouillonnant

Il se fait chuintant

Petit ru estival

Quasi torrentueux

Quand l’hiver s’installe

Je le suis de l’oreille

Il sillonne sonore

Gauche et droite dévale

Sillon traçant audible

Mon quartier qui s’entend

Par son ruisseau fluant

Je remonte son cours

Oreille droite inondée

Je redescends son cours

Oreille gauche inondée

Je le domine aussi

Passerelle enjambante

Aux lattes verglacées

Surplombant le ruisseau

Stéréo de deux eaux

Équilibre liquide

Aspergence glissante

Après des prés gelées

Des collines blanchies

Le voici citadin

Et caressant les murs

Pans guidant escarpés

Il passe sous la place

Coupure silencieuse

Il ressort du tunnel

En se faisant entendre

Il s’écoule fébrile

Après des temps arides

Il ruisselle à tout va

Impétueux liquide

Il m’abreuve l’oreille

Qui l’a connu si triste

Muet d’assèchement

Tari dans le silence

Il faut rester à flot

Se couler dans l’hiver

Écoutant fasciné

Au fil des eaux courantes.

Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante«  En suivant le Rançonnet (Amplepuis – Rhône)

Appel à contribution, Semaine du son canadienne 2024

Appel à contribution : Est-il possible d’éduquer aux enjeux sociétaux par les arts sonores?

« La Semaine du Son Canada et l’Association d’Acoustique Canadienne souhaitent aborder conjointement cette question, pour une série de communication dans le cadre de La semaine du Son Canada de mars 2024 et pour le Vol 52. N°3 de la revue d’Acoustique Canadienne
Lorsqu’on aborde la question des enjeux sociétaux, notamment celui de l’écologie, on pense rarement à le faire d’un point de vue sonore. Or, le son est partout autour de nous, s’invitant dans nos vies sans qu’on s’en aperçoive. De fait, pourquoi ne pas le considérer comme médium ou pont sensible pour aborder le monde dans lequel nous vivons? Autrement dit, pourquoi ne pas envisager l’écoute comme
accès privilégié à une compréhension efficace de notre environnement, qui pourrait aussi être une sorte de révélateur qui permettrait d’« amener un nouvel être au monde, plus sensible et perméable » (Versailles, 2023). L’ouïe est un organe perceptif moteur, mettant dans bien des situations l’ensemble de nos sens en alerte, il est fondamental de lui donner sa juste place dans la réception des signaux nous
permettant de mieux comprendre le monde… »

Extrait de l’appel à contribution de la Semaine du son Canada 2024

Lien pour répondre à l’appel

La Semaine du son Canada

Pascale Goday

Présidente de la Semaine du son Canada

Professeur d’éducation Musicale et chant choral

Doctorante en Étude et pratique des arts à l’UQAM

2024 à portée d’oreilles

Écoute, territoires liquides

2024, comment sonneras-tu, comment te fera-t-on sonner, ou pas ?

En ce tout premier jour de 2024, je me demande quelles seront les orientations, esthétiques , thématiques, approches narratives… des arts sonores lors de cette tranche calendaire naissante.

Verra t’on poindre de nouvelles technologies, matérielles ou virtuelles ?

Les dites intelligences artificielles influeront-elles vraiment la création sonore, et si oui, dans quels sens ?

Verra t-on se développer de nouvelles interactivités, tant dans le « monde réel » que dans d’hypothétiques métavers ?

Les arts du son s’empareront-ils, ou pour certains continueront-ils de plaider certaines causes écologiques, écosophiques, éthiques, mémorielles, politiques, sociétales ?

Quels seront les formes et plateformes de médiations, de réseaux, de diffusion, si tant est qu’elles se renouvellent ?

Comment les pédagogies de l’écoute porteront et dynamiseront (ou non) notre attention à écouter le monde et à en écrire des récits stimulants ?

Verra t-on un renforcement, ou un affaiblissement des créations pluri ou transdisciplinaires, si ce n’est indisciplinaires, des recherches-action, projets arts – sciences, laboratoires de pratiques mixtes et autres hybridations inclassables… ?

Sinon, que 2024 vous soit la plus douce à l’oreille que puisse se faire !

Gardez l’oreille aux aguets, Desartsonnants tentera de vous y aider.

Recherche d’apaisements nocturnes

J’aime les bords de nuit, les lisières du jour, les entre chiens et loups, les interstices glissants, fondus enchaînés de lumière et de son, moments de bascule apaisés.

L’heure où la nuit ralentit les rythmes urbains, les instants où les présences vivantes, comme celles mécaniques, s’estompent, alors que celle du ruisseau, du rossignol nocturne, émergent d’une quiétude habitée.

C’est ici que la nuance prend tout son sens, que l’échelle dynamique s’affine, du bruissement végétal, aux hululements stridents de la sirène.

De nouvelles tessitures audibles se font entendre, perceptibles, à nouveau.

C’est au creux de ses espaces apaisés que les chuchotements peuvent exister, que l’intime confidence se susurre.

Les nuits tombées font émerger des oasis auriculaires reposants, où se purge l’oreille de trop-pleins audio-urbaniques.

Des moments où l’écoute se relâche, comme le marcheur fourbu, parvenu au refuge, oublie ses courbatures tenaces, après l’ascension d’une sente abrupte.

Arpenter la ville, la forêt, dans ces tombées nocturnes, s’asseoir sur un banc accueillant, procurent mille menus plaisirs où l’oreille se repaît, sans souffrir des excès, savourant une ambiance subtilement goûteuse.

L’écoute s’installe alors dans des espaces qui perdent une bonne partie de leur agressivité acoustique.

Des espaces qu’il faut certes dénicher, dans des mégalopoles saturées de lumière et de bruit, territoires agités qui ne savent plus guère ménager des estompements furtifs.

Les instants de bascule jour/nuit nous offrent des ralentissements vitaux, où nos sens retrouvent un équilibre bienfaisant.

Dans des territoires où s’affrontent une multitude de bruits invasifs, agressifs, une cité où la surenchère sonore fabrique des paysages à la limite de l’écoutable, le noctambule cherche l’aménité d’un espace-temps non écrasé par un flux tonitruant autant qu’hégémonique.

L’écoutant inassouvi quand je suis, aspire et ces points de bascule diurne/nocturne procurant des sensations relaxantes, des coupures vivifiantes, comme lorsque les grands vents tempétueux se taisent, laissant enfin le paysage respirer, libéré de la violence fracassante de bourrasques dévastatrices.

Entre le silence mortifère et la grande bataille sonique, il convient de chercher des équilibres sensoriels spatio-temporels, entre autres ceux que les espaces nocturnes et les entre-deux du couchant peuvent nous proposer.

PAS – Parcours Audio Sensibles, quelques  approches en chantier, au fil du temps 

Croquis du dessinateur voyageur Troubs, lors d’un PAS – Parcours audio sensible à Libourne, invité par le festival « Littérature en jardins« 

A chaque PAS, j’essaie de garder un fil rouge, des postures reliantes comme processus fédérateur, processus qui s’est révélé jusqu’à présent assez efficace.

Un geste en mouvement, en déambulation.

L’oreille aux aguets.

La lenteur immersive.

Le silence partagé comme un invitation collective aux sons et à l’écoute.

Des échanges et partages de ressentis, le geste de rompre le silence  post PAS…

Néanmoins, le fait de trouver à chaque PAS une spécificité, une approche contextuelle, située, qui passe par le choix du parcours, de ses mises en condition et en écoute, en fonction des spécificités locales et des événements émergents, de certains axes déployés ( infra-ordinaire, complexité, affects, territoire, écosophie…) renouvelle sans cesse et singularise le geste d’écoute.

Ainsi, nous construisons progressivement une collection de PAS qui relie des territoires géographiques parfois fort différents, fort éloignés, mais au final maillés par une géographie écoutante quasi universelle.

D’autre part, en poursuivant sur les gestes d’écoutes actives, via les fameux PAS,  j’ai dégagé quelques pistes qui tentent, à défaut de les définir de façon trop circonscrite, de les qualifier, dans une approche pouvant mixer différentes mises en situation auriculaire.

Ainsi je pointerai, de façon non exhaustive et non hiérarchisée, susceptible de créer des approches croisées :

L’écoute noctambule

L’écoute festive

l’écoute paysagère

l’écoute « racontante », récitante

l’écoute sociale, ou sociétale, voire politique

l’écoute contextualisée, forestière, urbaine, aquatique, architecturale…

L’écoute écosophique, éthique…

Et tant d’autres, pouvant naître parfois au moment du repérage et des rencontres préalables, comme de tous les aléas susceptibles d’engendrer des zones d’improvisations fécondes, d’incertitudes assumées.

Mais que fait donc l’oreille ?

Mais que fait donc l’oreille, si ce n’est trainer les rues et errer le long des berges.
Elle s’encanaille et se saoule de sons, parfois jusqu’à plus soif.
Elle s’enivre à bon compte, de grandes rasades chantées, hurlées, ou chuchotées.
Elle tend l’oreille, offerte comme une coupe pétillante de breuvages toniques, autant que soniques.
Parfois, elle se laisse aller dans le creux de vallées bourdonnantes, de forêts frissonnantes.
D’autres fois, elle noie sa solitude dans le souvenir des villes aux rumeurs nostalgiques, qu’elle a quitté un jour.
Il lui arrive de ne plus supporter les violences qui explosent le monde, massacrant impunément des milliers de vies, sacrifiées à l’autel d’une folie destructrice.
Elle peut aussi s’émerveiller d’une musique échappée par la fenêtre ouverte un soir d’été, comme des sons d’un cloche carillonnant nuit tombante, ou du frôlement soyeux, quasi imperceptible des pipistrelles aux chasses noctambules.
L’oreille jauge l’espace comme une architecture sonique, insaisissable, qui ne cesse de modifier ses formes et ses volumes.
Elle se repaît de réverbérations et d’échos bondissant de murs en parois, de falaises en collines.
Elle rêve à des paysages sonores qui la maintiennent à l’écoute, sans être trop sonnée par des tsunamis cacophoniques, d’assourdissants vacarmes.
Elle suit des chemins bruissonniers, s’abandonnant aux ambiances fugaces, aux immersions fragiles.
L’oreille esseulée cherche parfois la compagnie d’autres promeneurs écoutants, partageant des récits à fleur de tympans, des histoires racontant le monde, ou l’inventant avec la liberté des conteurs brodeurs prolixes.
Elle nous entraine dans l’intimité frémissante de ses colimaçons ciliés, où viennent se lover les infinies écoutes, à perte d’oreille.
Son sens aux aguets, à l’affût de la moindre vibration, nous relie, pour le meilleur et pour le pire, à un monde qui peut nous réjouir autant que nous anéantir.
On dit qu’elle n’a pas de paupière, mais fort heureusement que si, à sa façon. Elle nous cache des choses, en amortit d’autres, et en efface jusque dans nos mémoires douloureuses.
Souvent néanmoins, l’oreille reste à l’écoute, porte attention, fait attention, prend soin d’entendre la vie ambiante, dans toute la complexité de ses rumeurs imbriquées, de ses dits et non-dits, de ses amours et trahisons.
Au creux de l’oreille, l’amitié peut se fortifier de secrets partagés, loin des vindictes hurlées, des bombes assassines, qui pourtant ne cessent d’éclabousser rageusement la vie de leurs vacarmes meurtriers.
Si l’oreille prend plaisir au clapotis du ruisseau, aux trilles du rossignol, elle n’échappe pas pour autant, au bruit et à la fureur du monde.
Trouver un fragile équilibre entre une forme d’harmonie vers un monde entendable, et l’insoutenable cacophonie qui le secoue sans cesse, est un exercice Oh combien difficile, mais vital.

Penser et agir pour une écosophie de l’écoute

Une des problématiques qui me questionne régulièrement, c’est le fait de confronter l’écoute, le paysage sonore, surtout dans ses versants écosophiques, à la création audio en règle générale.


Comment l’expérience d’écoute, dans le vaste champs des « arts sonores » soulève t-elle la question écologique, à laquelle je préfère d’ailleurs l’approche écosophique, médiatisant des actions de terrain, voire favorisant, dans une approche indisciplinaire, la recherche de perspectives et de projets alternatifs respectueux et éthiques ?


Et dans un autre sens, comment l’approche paysagère sensible, auriculaire, émule -t-elle une démarche créative, esthétique, soucieuse de préserver et de défendre des territoires sensibles Oh combien fragiles ?


Au final, par quel biais, quelles hybridations,(mé) tissages, la création sonore et les recherches bâties autour d’approches écosophiques, s’auto-alimentent-elles, via des interactions les plus efficientes et fécondes que possible ?


C’est un chantier complexe, qui peine à rassembler des acteurs ayant chacun des intérêts parfois divergents, des pratiques a priori fort différentes, mais qui je pense vaut le coup d’être mis en branle, même à des échelles locales modestes.
C’est sans doute pour moi par cette recherche de terrain, que l’approche d’une écosophie de l’écoute, plutôt qu’une écologie sonore essentiellement environnementaliste, prend tout sons sens, y compris dans ses propres incertitudes.

Je reviendrai prochainement sur l’analyse de quelques approches pratiques, in situ, contextualisées (jeux d’écoutes partagées, marches écoutantes, équipes d’aménageurs pluridisciplinaires, observatoires de territoires sonores, médiation dans différents terrains/événements artistiques et socio-culturels, projets éducatifs et artistiques…) qui conforteraient et activeraient cette approche audio-écosophique.

Tempi et rythmes de paysages sonores en points d’ouïe 

« Tout est rythme. Comprendre la beauté, c’est parvenir à faire coïncider son rythme propre avec celui de la nature. Chaque chose, chaque être a une indication particulière. Il porte en lui son chant. Il faut être en accord avec lui jusqu’à se confondre ». JMG Le Clezio

Lorsque l’on décide d’installer une écoute en point d’ouïe, c’est à dire comme on placerait une caméra sur une scène paysagère en plan fixe, on va aborder l’écoute non pas en imposant notre rythme, notre cadence, notre allure, vitesse de déambulation, mais en laissant aux lieux le soin de nous révéler leurs propres rythmicités.

Notre corps n’aura de prises sur le paysage en écoute que celles, statiques, de nos oreilles tendues.

Nous ne composerons pas en marchant, en mixant des fragments audio-paysagers pour les assembler dans une histoire en mouvement, impulsée et écrite par nos élans corporels, mais laisseront s’agencer les sons au gré de leur apparitions/disparitions, de leurs propres mouvements, dans l’espace/temps scruté.

Des passants, des coups de vents, des voitures, chants d’oiseaux… feront que la scène sonore s’offrira à 360°, comme un improbable scénario construit sur une trame où les aléas acoustiques, les reliences et interactions auriculaires ne demanderont plus qu’à être entendues en l’état. Ou presque.

Le choix du lieu, du moment, de la-posture physique, et même du degré d’attention portée, influenceront incontestablement notre perception, et donc la façon d’entendre les sources qui se dérouleront à nos oreilles, leurs degrés de présence, d’intensité, la précision de leurs contours acoustiques…

Des rythmes se feront alors entendre, donnant aux lieux des caractères dynamiques singulières, dans leurs répétitions, superpositions, densités, enchainements…

Une place passante, en centre ville, à midi, un jour de printemps ensoleillé, ne fera pas entendre ni les mêmes sources sonores, ni les mêmes rythmes qu’une forêts en hiver, ou une plage maritime un jour de tempête.

Se poster comme une sentinelle écoutante, laissant venir à elle les sonorités environnementales, sans chercher à en modifier le cours, est une façon de sentir le, ou les rythmes des choses qui se présentent à nos oreilles guetteuses.

Rythmes ponctuels, une sortie de cour d’école, une manifestation de rue, une sirène d’alarme, ou rythmes flux, des voitures, un vent fort, rythmes alternés, des groupes successifs de passants qui déambulent en discutant, autant de cellules rythmiques fragmentaires, qui donneront dans leur ensemble, une signature dynamique au lieu. Concert de villes ou de forêts, de déserts ou de d’océans…

Rythmes apaisés, trépidants, effrénés, atmosphères calmes, festives, autant de formes de tempi qui animeront l’espace, en même temps que la perception auditive d’un point d’ouïe donné à entendre à un certain moment.

Ces rythmes participeront eux-mêmes à la construction, à la caractérisation de paysages sonores, de même qu’à leurs ressentis, de la douceur à des formes de violences physiques, que nous pourrons éprouver, voire qui nous éprouveront dans l’exercice de l’écoute.

Là où l’expérience d’écoute rythmique devient plus intéressante, c’est lorsque nous multiplions les points d’ouïe, en les écoutant à différentes heures du jour et de la nuit, à différentes saisons…

Des scènes sonores caractéristiques à la fois récurrentes et singulières se dessinent.

Des topologies rythmiques, intrinsèques à certains lieux, un port de pêche, un chantier d’extraction minière, une rue piétonne commerçante, une médina africaine, font entendre des rythmicités qui les qualifient, et nous les font reconnaître, une fois que nous avons pris le temps de les entendre dans leur spécificités.

Certes des accidents, des imprévus, peuvent venir faire des breaks, cassures et césures acoustiques, accidents imprévisibles, advenant régulièrement pour chahuter des rythmes « du quotidien », les faire sortir de leurs habitus auditifs, ou perçus en tous cas comme tels. Une grève générale, une tempête, un conflit, autant d’ »accidents » qui perturbent parfois violemment les rythmes, ceux-là même qui pourtant nous semblaient presque immuables, inscrits dans la durée.  Ces cassures secouent notre confort d’écoute, qui doit alors trouver de nouveaux repères, et d’autre fois quitter une scène d’écoute devenue trop « agitée », ou in-sécurisée.

Parfois, par des formes de résilience, les rythmes « naturels » des lieux, perçus comme des repères plus sécurisants, reprennent, plus ou moins rapidement, à l’identique ou avec de nouvelles variantes, des formes audio-paysagères stables, ou moins incertaines.

L’habitude de tendre l’oreille dans de multiples lieux donne à cette dernière une acuité à se reconnaître dans des ambiances rythmiques déjà plus ou moins éprouvées, tout en gardant la possibilité d’être surprisse, étonnée, ravie ou dérangée, si ce n’est malmenée. Dans des typologies de géographies acoustiques repérables, qui offriraient des sortes de modèles rythmiques quasi universaux, l’écoute de points d’ouïe peut toujours nous désarçonner, ou apporter son lot de dépaysements, tels la première fois que l’on se pose dans une grande ville africaine, ou dans une forêt équatoriale. Il nous faut apprendre à apprivoiser de nouveaux rythmes, de nouvelles couleurs sonores, parfois au prix d’expériences plus ou moins confortables.

Les tempi de scènes d’écoute sont sans cesse fluctuants, au fil des jours et des nuits, offrant une infinité de variations, notamment rythmiques, à l’écoutant qui fait l’effort de prêter aux lieux une oreille attentive, et quelque part aux aguets.

Le monde devient un vaste chantier rythmique à l’écoute, et cette dernière se construit sur des rythmes complexes, pour fabriquer des sortes d’architectures sonores où on peut se trouver des repères vivables et entendables, rythmiquement soutenables.

La notion de point d’ouïe, d’observatoire sonore, ou d’« écoutoir » ponctuel, ou dans une durée plus pérenne, parfois itinérant, nomades, est donc, dans une approche rythmique, un processus d’écoute  parmi d’autres. Certes, il opère via modalités variables, et milles variations possibles qui permettent de poser des expériences d’écoute significatives.

Entendre, et par-delà, tenter de comprendre les tempi du monde, y compris sur des micros scènes auriculaires, quitte à ralentir pour mieux le faire, à prendre le temps de s’arrêter suffisamment sur un point d’ouïe, permet des lectures et écritures acoustiques qui nous font nous sentir impliqués dans l’immense polyrythmie, parfois déconcertante, du monde à portée d’écoute.

 En annexe, ébauche de corpus sémantique en chantier « tempi et écoute(s) »

accentuation

accident

accélération

allongement

allure

alternance

aléa

arrêt

arythmie

balancement

bascule

battement

battue

bercement

binaire

biorythme

break

bribe

brièveté

cadence

calme

cassure

choc

chronicité

chronologie

chute

Concomitance

continuité

contretemps

coup

couplage

course

cri

célérité

danse

densité

disparition

durée

dynamique

débit

déflagration

échelle

écho

éclat

emballement

endormissement

entrechoc

espace (temporel)

étirement

eurythmie

explosion

extinction

faux rythme

flux

fondu

fragment

frappé

frein

frénésie

groupe

immobilisme

interaction

intervalle (de temps)

irrégularité

isorythmie

itération

lenteur

longueur,

marche

marée

mesure

miroir

mixage

mouvement

métrique

métronomie

nombre

oscillation

pause

perception

percussion

permanence

phénomène

polyrythmie

ponctualité

ponctuation

pouls

proportion

prosodie

pulsation

pulsion

période

quotidien

ralentissement

raréfaction

rebondissement

reflux

relâchement

remous

respiration

ressentis

rupture

rythme

récitatif

régularité

régularité

répartition

saison

scansion

souffle

succession

superposition

swing

synchronisme

syncope

tambourinage

tapotement

tempo

temporalité

trille

tremblement

troubles (rythmiques)

variation

vibration

vitesse

Paysages/sons et Sons/paysages

Le paysage est aussi sonore, en tout cas fondamentalement multisensoriel. iI s’écoute autant qu’il se regarde, se touche, se sent, se ressent…
Le sonore est aussi paysage, au sens large du terme, comme territoire sensible, espace de représentation, d’aménagements, de sociabilité…
Il s’entend et se construit (aussi) par et pour les oreilles, individuellement et collectivement.
Le sonore est une résultante physique, acoustique, perceptible, de différentes façons à à différentes échelles, selon les « écoutants ». Ces perceptions acoustiques sont relatives, souvent conséquentielles au vivant, mais également au non vivant.
Le paysage sonore polymorphe peut être porteur de mémoires, de patrimoines, matériels et immatériels…
On peut donc l’appréhender sous différents axes, de façon transdisciplinaire, si ce est indisciplinaire.
L’expérience du paysage se fait par le corps confronté aux ambiances sonores, corps sensible, plurisensoriel, voire corps sentient.
Sans écoute, le paysage sonore n’existe pas, en tout cas pas en terme de paysage.

Radio Ritournelles « Fictions de la forêt » Cartes postales sonores

Fictions de la forêt – Huit cartes postales sonores, forêt de la Double (Libournais)

Cliquez pour écouter

Carte postale sonore N°1

Carte postale sonore N°2

Carte postale sonore N°3

Carte postale sonore N°4

Carte postale sonore N°5

Carte postale sonore N°6

Carte postale sonore N°7

Carte postale sonore N°8

Cartes postales sonores installées dans les arbres. Montage réalisé par Gilles Malatray.
Restitution d’un projet d’éducation artistique et culturelle proposé aux enfants des écoles et centres de loisirs du Libournais qui ont pu mener une traversée sonore, artistique et littéraire du monde sylvestre.
Après l’écoute et l’enregistrement des bruits de la forêt de la Double avec Gilles Malatray -paysagiste sonore-, les enfants ont traduit leurs expériences et leurs sensations en poésie, accompagnés par les auteurs Laurent Contamin et Eduardo Berti.

Projet produit par Permanences de la littérature dans le cadre du dispositif de La Cali, L’Art de grandir.

  • Année de production 2022/2023
  • Restitution le 22 juin 2023, médiathèque BOMA, Saint-Denis-de-Pile (Gironde)

Parcours de bancs d’écoute(s)

Ouvrez le banc !

Performances assises d’écoutes bancales

Construire et tracer un cheminement bancal

S’assoir quelques minutes sur chaque point d’ouïe bancal

Écouter le monde bruisser bancal autour de nous.

Fermez le banc !

Organisons des assises de l’écoute bancale !

S’assoir par ici

S’assoir par là

Voix d’eaux, le Breda à Allevard

Création sonore à partir d’enregistrements audio à Allevard.

Suivre le cours du Bréda, torrent montagnard traversant Allevard, effectuer un PAS – Parcours Audio Sensible, atelier d’écoute en marche.


Desartsonnants est invité par le musée d’Allevard, autour de la thématique de la marche et de la montagne.

En écoute

Écoute au casque, ou avec de bonnes enceintes conseillée.

Chantier en cours « Bassins Versants, l’oreille fluante« , autour des territoires liquides et de la présence acoustique de l’eau dans le paysage.

Territoire sonore au goutte à goutte

Desartsonnants décline, de variations en variations, ses écoutes et écritures de territoires liquides.

Goutte à goutte

Espaces eau-dit-eau

Dessus – dessous hydrophoniques

Émergence – immersion – résurgence

Mots et sons humides

Tensions-détentes, aller-retours marées

Flux et scansions, fonds et émergences

Paysages ondoyants

Fragilités aquatiques

matière aqua-sonifère

Care sous perfusion

Égouttements auriculaires

Écoute à gouttes

A écouter de préférence au casque ou avec de bonnes enceintes

Avec l’aimable participation des eaux de port en pluies de Cagliari, Sardaigne – Projet Erasmus « Le paysage sonore dans lequel nous vivons »

Dans le cadre du chantier d’écoute et d’écriture des territoires liquides

« Bassins Versants, l’oreille fluante« 

L’oreille en marche et la marche écoutante

Pour moi, marcher, c’est un peu comme écouter.
Et inversement, écouter, c’est un peu comme marcher.
Mettre les oreilles et les pieds en branle, en phase, chacun et chacune reliés, de haut en bas, de bas en haut.
Connectés par des gestes concomitants autant que résonants.
Là où l’oreille se tend, se dirigent les pas.
Là où les pas s’aventurent, se tendent les oreilles.
Parfois, la marche devançant l’écoute, parfois l’écoute guidant la déambulation.
Deux complices qui, sans forcément se concerter, mais néanmoins de concert, vont explorer les reliefs des sols bien tangibles, et ceux du monde sonore éthéré.
Lesquels des pieds et des oreilles prendront l’initiative ?
Sans doute les deux, parfois en alternance, parfois copains copines, parfois en discordance.
Les trames sonores se suivent, au pas à pas, comme des coulées attirant nos écoutilles toutes ouïe.
L’oreille en colimaçon, comme des chemins de ronde spiralés, s’enroulant et se déroulant.
Ces gestes et postures, à l’affut de sensations à fleur de pieds et de tympans, sont garant d’explorations toniques et multiples.
On cherche la surprise au détour du chemin bruissonnant, ou du belvédère surplombant en point d’ouïe, la ville basse.
On ose se perdre, autant par les foulées vagabondes, que par les oreilles libertaires.
On s’indiscipline au gré des marches écoutantes, comme via des écoutes déambulantes.
De la plante du pied foulant le gravier crissant, à la membrane vibrante du tympan, qui réceptionne mille infos auriculo-sensorielles, se jouent des immersions ludiques.
Le corps vertical, d’oreille en pied, nous fait ouïr curieusement le monde.
L’écoute marchée embrasse large, en vastes panoramas acoustiques, ou en focales micro-soniques, du bruissement d’une brindille à la tourmente orageuse.
La marche écoutante est un terrain de jeu aussi physique que sensoriel, à corps ouvert, vers tous les sons ambiants.
Et le plaisir de « marchécouter » s’affirme au fil des chantiers et expériences auriculaires.
Entendre, c’est un peu mieux comprendre, et ce chemin faisant, au gré des signaux sonores nous racontant des histoires au creux de l’oreille.
L’interaction de pied en cap nous ouvre des horizons où les récits seront tissées de sons.
Le monde à portée d’oreille, arpenté sans relâche, écouté tout autant, donne du sens à la vie.
Ou peut-être, plus modestement, la rend un peu plus désirable, plus écoutable.
Le bon entendement nous relie à la complexité du monde.

Réflexion autour d’un PAS – Parcours audio sensible Desartsonnants

Ruissellements ondoyants

Création sonore à partir de prises de sons aquatiques in situ

Eaux dessus-dessous,

Flux ruissellants,

Goutte à goutte murmurant

Gardons-les en écoute et veillons sur e(a)ux


Avec la participation des eaux de Sardaigne (Cagliari, Réserve Naturelle di Monte Arcosu), France (Rançonnais, Loire, Saône), Portugal (Sabugueiro), Russie (Kronstadt)…

A écouter de préférence au casque ou sur des enceintes de bonne qualité

Dans le cadre du chantier en cours (d’eau) « Bassins versants, l’oreille fluante« 

Fragments sonores 2

Il s’agit de l’eau
Territoire liquide
Chuintant ou silencieux
Monde fluant
Matière indocile
Nourricière
Flottements
Terres humides
Striées de veinules
Innondantes
Irriguantes
Terres arides
Craquelées
Que l’on entend gémir
Se gercer
L’eau retirée
Écoute à flot
Parfois noyée
Submergée
Berges éboulées
Graviers roulés
Limons fertiles
Bois flottés
Cognés aux rives
Oreille flottante
Plaintes d’ondines
De vouivres colériques
Surgissements aqueux
Appels sirèniques
Plouf narcissique
Aujourd’hui
Le paysage dégouline
Ruisselance des sols
Submersion hors des lits
Qui l’eut crues
Oreilles immergées
Voix d’eau affleurantes.

Bassins Versants, l’oreille fluante

Fragment sonore N°1

Au creux
À l’intime
À l’abri fragile
A mon oreille indocile
Des branchages se frôlent
Automne finissant
Ils crissent à mi-voix
Saluent les froidures
La pluie goutte à gouttante
Prolongements ligneux
Ils ont cessé de croitre
Aux chaleurs manquantes
Mais ils parlent encore
En frôlements furtifs
Qu’il faut tendre l’oreille
Pour croire percevoir
Leurs infra presque rien
Caresses tympaniques
Apre brise ténue
Rameaux défeuillés
Crissements râpeux
Que la bise révèle
Pré-engourdissement
D’un hiver refuge
Où s’assoupit l’oreille
Hibernation sonore
Les branchages taiseux
Faisant croire au silence
Utopie acoustique
Le fragment persiste
Un infime grésil
Au plus creux de l’écout

Inaugurations (officielles) de Points d’ouïe et sites auriculaires remarquables

Et si votre commune, quartier, ville, village… avait son ou ses propres Points d’ouïe inaugurés, ses SITARs (Sites Auriculaires Remarquables) reconnus et valorisés. Et tout cela à l’issue d’une marche écoutante participative (choix du site sonore remarquable) et d’une cérémonie officielle décoiffant les oreilles ! Discours officiels et minutes d’écoute collective à l’appui

Ne laissez pas passer l’occasion de valoriser un patrimoine auriculaire local unique et inouï !

Cartographie et liens des Points d’ouïe inaugurés : https://www.google.com/maps/d/u/0/edit?mid=1pnyLlyY12C6HeaqKgJhOmLMFM-w&hl=fr&ll=45.60603047862419%2C4.040342017709362&z=8

Carnets de notes de Points d’ouïes inaugurés : https://desartsonnantsbis.com/tag/inauguration/

Référencement Art et aménagement des territoires Art – Plan – Le Polau : https://arteplan.org/initiative/points-douie/