Bancs d’écoute, vers l’Infra-ordinaire auriculaire

Régulièrement assis sur des bancs, mobiliers que j’utilise comme des points d’ouïe, des affuts d’écoute, des lieux d’échange, je parcours donc Tourzel Ronzières, mon lieu de résidence artistique, pour repérer ces derniers.

Le village, quelques deux cent âmes, est pourvu d’une dizaine de bancs dans le seul centre de Tourzel, ce qui est tout à fait satisfaisant, même si ces jours-ci, la saison estivale terminée et les températures fraîchissant, je suis un des rares à m’y poser.

Peu importe, c’est d’ici que je prends le pouls des lieux, que je m’immerge dans ses ambiances, que je capte les mille petits riens qui font vivre à mes oreilles le site investi, surgir ses paysages sonores du moment.

J’ai ainsi testé plusieurs assises, avant que d’en choisir une, au centre du village, en contrebas d’une fontaine, avec une belle vue sur les contreforts d’Issoire, un saule pleureur qui bruissonne joliment sous le vent, tout à côté. C’est ici que je me pose donc régulièrement, avec livres, carnets de notes et micros.

Considérant l’œuvre de Georges Pérec, si le concept d’Infra-ordinaire inspire mes écoutes et leurs narrations, sa tentative d’épuisement (d’un lieu parisien), descriptif localisé entêté dans l’utopique espoir de cerner un espace, d’en faire le tour, de se l’approprier pleinement, donne également du grain à moudre au projet d’installer l’écoute.

Lorsque dans le titre de cet article, je cite l’Infra-ordinaire, concept pérequien s’il en fut, je trouve cette approche, aux tendances minimalistes, on ne peut plus appropriée au lieu et à mes situations d’écoute, dans une ambiance où les sons sont assez ténus, nonobstant le passage parfois tonitruants de tracteurs et autres machines agricoles.

Et puisque nous en sommes à citer les acteurs et gestes inspirants, je ne saurais ignorer les « Presque rien » de Luc Ferrari, où le paysage sonore composé semble tout autant se construire que se dérober, (re)fluant sans vers d’autres espaces imaginaires.

Revenons à Tourzel et à mon banc d’écoute.

Quelques rares passants, pas et voix.

Le son de la fontaine voisine en continuum.

Des chiens qui se répondent d’un bout à l’autre du viillage.

Des véhicules  qui rompent brusquement une forme de torpeur pré-hivernale.

Des oiseaux, par séquences, pigeons et passereaux.

Quelques sons discrets, des portes s’ouvrent et se referment, presque en catimini…

Des feuilles mortes raclant le sol.

Des sons de la vie de tous les jours, non ostentatoires, non spectaculaires, loin de là, mais Oh combien présents, et signifiants dirais-je même.

Un infra ordinaire auriculaire, qui ne s’impose pas, qu’il faut aller chercher, vers lequel il convient de tendre l’oreille pour en saisir les nuances.

Et des nuances, il y en a ! Surtout lorsque nous installons l’écoute, persévérante, prête à pénétrer par l’exercice de la répétition, de la lenteur, de la réitération du geste d’écoute minimaliste, dans une surprenante trivialité, bien plus excitante qu’il n’y parait de prime abord.

Ces mille et un petits sons, habituels mais sans cesse ré-agencés, repositionnés, secrètement redéployés, offrent une scène acoustique au final très dépaysante, voire exotique, dans sa façon de ne pas se dévoiler, se révéler sans efforts.

L’Infra-ordinaire demande de creuser avec une certaine abnégation, les ambiances sonores, y compris les plus ténues, pour entrer dans le flux, l’immersif, le cœur-même du village, jusqu’à y reconnaitre avant qu’ils ne se montrent, des 4X4 bringuebalants, des tracteurs pétaradants, des voix… 

Il y a un monde entre les bancs de la place lyonnaise, au bas de chez moi, avec ses bars, commerces, scènes parfois  festives, urbaines pour le meilleur et pour le pire, et ce village de montagne isolé, hors des grands axes, que certains trouveraient sans doute bien trop « calme ».

Installer patiemment l’écoute, même si les choses écoutées semblent totalement dénuées d’’intérêt dans leurs apparentes petitesses, est une posture qui permet au paysage d’émerger de ses propres sons, et à l’écoutant de se fondre avec délectation dans les lieux pour en jouir pleinement.

Une forme d’Arte Povera sonore, et au final un profond dépaysement, qui délaisse la grandiloquence (dé)monstrative, ostentatoire, pour ausculter, au sens premier du terme, les petites pépites auditives du quotidien.

Album photos

Écoutez

 

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue laDRAC Auvergne Rhône-Alpes

Point d’ouïe, traces d’écoute imagée entre chiens et loups

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Un jeudi soir, temps pluvieux, ciel joliment menaçant, du vent en rafale racle les feuilles mortes au sol.

Marcheur immobile, pause à l’affut de la ville.

Oreilles et regard entremêlés.

L’obscurité s’avance.

Les sons persistent et résistent.

L’espace et le temps ralentissent

Les voitures non, toujours pressées

et si empêchés retardées klaxonnantes

les gens se pausent et parlent

Et je reste discret observant écoutant

noyé dans la ville mouvante

qui s’assombrit doucement

en même temps qu’elle s’allume

ça crisse

grince

ferraille

rit

chuinte

s’enfonce dans la nuit

sans portant s’endormir

l’automne se pointe

raccourcissant les jours

sans rien faire taire pour l’instant

Instant suspendu

bascule sensible

Sons et lumières complices

offerts à qui veut bien s’en saisir

sans toutefois les asservir

tout juste une plongée urbaine

comme un spectacle de l’intime

tranche de ville

Éloignement et terrain

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Banc d’écoute et « bureau de plein-air » – Résidence d’écriture « Paisagem sonora » Juillet 2019 à Sabugeiro (Portugal) – Festival DME et Hostel Criativo do Sabugueiro

 

L’essentiel de mon travail, en tous cas dans les phases de maturation de projets, se passe dehors. Je veux dire en dehors de chez moi. Assis sur un banc, des marches d’escalier, en arpentant la ville, un hall de gare, d’aéroport (avant…). Carnet de notes en main, rempli de notes (parfois très difficiles à relire), signes, croquis, idées, projets à la volée, ou avec un magnéto… Puis retour au bercail, devant l’ordi, les idées se posent, s’enregistrent, se trient, se construisent, se peaufinent, se développent, se documentent, s’argumentent, s’organisent… Puis retour au dehors, à l’air libre, ou presque, pour tester, mettre en pratique, adapter aux lieux et aux moments, partager, encore améliorer, trouver des variantes, des espaces de jeux fonctionnels… Ces dernières phases qui, durant quelques mois, m’ont fait cruellement défaut, m’ont beaucoup manqué, m’ont laissé amèrement frustré, dans ces temps de crise qui nous éloignent sans ménagement du terrain, de l’espace public, et surtout de la « vraie » vie sociale…

Point d’ouïe, s’assoir et rencontrer le monde

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© photo Jeanne Schmid, banc au Locle, résidence artistique à Luxor Factory

Il y a des marches, des déambulations, des arpentages…
il y a des pauses…
S’assoir, se poser dans la ville, l’écouter, la regarder, rencontrer, échanger…
Un banc, des marches de pierre, un auvent…
Ritualiser le geste, l’action itérée, réitérée.
Rituel d’occupation tranquille des lieux.
Micro performance en toute discrétion.
– Bonjour Monsieur !
– Bonjour !
– Qu’est-ce que vous faites, souvent assis sur ce banc ?
ou bien encore
– Vous lisez beaucoup, qu’est-ce que vous lisez là ?
Réponses en fonction, des entames de conversation.
Échanges sur nos lectures, notre travail, le temps qu’il fait, ou qu’il fera, les sons qui passent, le Covid, le climat, la politique, le tout et le rien, et inversement…
Lorsque je pense à ces moments, quasi quotidiens, je m’aperçois combien j’ai déjà pratiqué, et pratique encore, ce « dispositif d’être et de faire sans le paraitre » doucement, de façon instinctive, dans bien des villes, villages, parcs publics, places…
Un brin d’intimité réconfortante.
Histoire d’apprivoiser les lieux, d’entendre leurs histoires, récits, pures fictions ou non,  de la bouche de ses habitants aussi…
La ville à ouïr ouverte.
La ville à dires ouverts.
Souvenirs, bancs d’écoute à Mons, Lausanne, Le Locle, Victoriaville, Tananarive, Vienne, Sabugeiro, Lisbonne, Paris, Lyon, Saint-Pétersbourg, Malves-en-Minervois, Toulouse, Orléans, Kaliningrad…
Chroniques bancales, et pourtant…
Si le banc n’existait pas il faudrait l’inventer, et surtout l’installer, comme un maillage de points d’ouïe, de points de mire, de points de dire…
Rien n’est plus triste qu’une ville sans bancs.
Prendre le temps…
Et combien par l’entremise de ces assises publiques, de personnes ainsi rencontrées, un fois, ou de nombreuses fois.
Combien d’histoires entendues, discutés, tricotées, inachevées, en chantier…
Combien de conversations entamées, parfois poursuivies au jour le jour, paroles croisées, petits ou grands malheurs et joies échangés, espoirs et désespoirs, états d’âmes, colères ou résignations, aménités curieuses…
La répétition de gestes simples, se poser, ici ou là, lire, écrire, être ouvert au temps qui passe, qui va qui vient, au monde alentour, aux passants et passantes.
Être une présence qui questionne, une présence récurrente, bienveillante, parfois un poil anachronique.
Ce soir, trois personnes connues et deux nouvelles rencontrées…
 
 

 

Point d’ouïe, jardin sonique, jardin tonique

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Point d’ouïe

19h30 d’un soir déconfiné

un temps estival avant l’heure

un jardin public

un banc

un lieu ivre de vie

un lieu débordant de vie

apéros

pique-niques

sports

anniversaires

jeux d’enfants à force cris

ça sonne

ça bruissonne

ça vibrillonne

tout ça à mes oreille comblées

la vie

dans ses plus vifs flux et reflux

la vie qui me saute aux oreilles

la vie joyeuse

la vie insouciante dans l’instant

et mes oreilles réconfortées

tirées d’enfermements

comme désenfermées

hors de silences anxiogènes

hors de cadres trop cadrés

ainsi la vie abonde

en mille sonorités

comme balles bondissantes

auriculairement pétillantes

la vie toute pétulante

une vivacité acoustique

si exubérante soit-elle

qui jamais ce soir ne m’agresse

qui jamais ce soir ne m’envahit

qui jamais ce soir ne m’oppresse

qui bien au contraire ce soir

est  pur miel pour mes oreilles

précédemment en manque

trop privées d’un substrat audio-sociétale.

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La stratégie du banc

Au départ, point de stratégie, pas de plan préconçu, ni la moindre idée d’une action en cours, à venir…
Tout juste le fait de s’assoir sur un banc, presque toujours le même, le soir, en fin de journée, souvent entre chiens et loups, puis nuit tombée, parfois tardivement.
D’assez longues pauses en fait.
Souvent plusieurs heures.
Un poste-observatoire au long cours.
J’y prends l’air du temps.
Le temps de ne – presque – rien faire, un vrai luxe.
Mais ne rien faire n’est pas forcément ne faire rien.
Je peux écouter, regarder, rêvasser, et beaucoup lire.
Des moments non programmés.
La répétition m’inscrit dans un paysage urbain, à quelques encablures de chez moi.
En fait s’ancrer une vieille habitude, d’appréhender une ville en marchant, mais en s’asseyant sur des bancs publics (quand il y en a…)
Cette inscription itérative dans des espaces-temps récurrents m’installe, pour des passants eux aussi récurrents, comme un sorte de repère urbain, qui parfois les questionne.
Surtout que je peux m’y assoir par des températures assez fraiches.
Certains s’en inquiètent.
– Avez-vous besoin de quelque chose ?
– A boire, à manger, une couverture, de l’aide… ?
– Et bien non merci, c’est très gentil de votre part, j’habite à deux pas, ou je suis à l’hôtel, selon les cas…
– Excusez moi, je ne voulais pas…
– Mais ce n’est pas grave vous savez, plutôt sympathique de votre part…
– Que faites-vous donc ?

– Mais rien, je prends l’air, je lis, j’écoute, je regarde, je discute…
– Que lisez-vous ?
– Ah oui, moi j’aime bien… Et puis aussi…
– Je vous en apporterai un…
Et deux ou trois personnes avec qui nous avons parlé littérature, philosophie, me donnent des livres, je leur en donne aussi parfois.
J’ai instauré sans le vouloir une forme de Give Box, avec un peu plus d’humain en supplément.
La stratégie commence à s’élaborer, comme des gestes simples, une micro performance involontaire, une intervention a minima, relevant du “minumental”…
Et la conscience que quelque chose de passionnant se joue à ces endroits…
Avec également d’autres personnes, parfois en grande détresse, en quête d’écoute, tout simplement.
SDF, marginaux récemment sortis de prisons, personne seule menacée d’expulsion, jeune réfugiée Albanaise, je prends leurs désarrois, leurs fragilités, leurs révoltes, leurs abattements en pleine figure.
Je les écoute.
Je les écoute modestement.
Par inexpérience, par crainte, je ne sais guère leur donner de conseils face à la diversité et parfois la violence sociale de leurs situations.
Alors je les écoute, longuement, ce qui est déjà pour eux un geste bienveillant, leurs prodiguant souvent un simple “bon courage” lorsqu’ils s’en vont.
Je ne m’étais pas imaginé que s’assoir régulièrement sur un banc me plongerait, sans le vouloir, au cœur d’une Comédie humaine souvent sombre et Oh combien violente.
Une arrière-cuisine d’une société désabusée, clivante, et a priori peu portée à la bienveillance.
Ici, pas de notes, pas de sons, je respecte leur intimité, leur parole.
Ces instants ne sont pas propices à profiter quiètement du lieu.
D’autres épisodes sont heureusement plus joyeux.
De jeunes étudiants, étudiantes, en fête, qui passent régulièrement en me saluant gaiement.
Certains se contentent d’un signe de la tête, voire d’un sourire timide.
La situation à répétition me fait rencontrer des personnes, commerçants locaux, voisins, qui viennent tailler la bavette.
Un voisin collègue, travaillant sur le son, la parole rapportée, patrimoniale, habite quelques mètres de “mon” banc.
Le sujet de conversation est donc tout trouvé, nous échangeons autour de nos projets, expériences…
Je lis beaucoup sur ce banc
Revues techniques, philosophiques, romans de tous genres…
J’y écris également, des réflexions, des amorces de projets, des jeux de mots, avant qu’ils n’échappent à ma mémoire fugace…
Un banc-bureau en plein-air, dans une scène urbaine à ciel ouvert, à 360°.
Un bureau toujours ouvert au public.
J’aime assez cette idée.
Bureau un brin nomade, l’expérience pouvant se répéter ailleurs, presque partout, entre deux marches.
Pas de prétention esthétique dans un premier temps.
Pas encore.
Juste des instants de sociabilité, qui convoquent beaucoup, énormément, l’écoute, les écoutants.
Les écoutes…
Parfois j’ai tenté de figer des bribes du lieu en l’enregistrant.
Ou en m’enregistrant, comme narrateur improvisateur.
Selon ce qui s’y passe, ou pas.
Parfois je l’ai partiellement écrit sur un bloc-notes.
Les traces, doucement, s’accumulent, prennent de l’épaisseur, font vivre un paysage qui devient de plus en plus tangible, solide.
Même s’il reste fragile, comme tout paysage.
L’idée de construire, avec l’aide des passants, de me mettre en scène, de faire partie consciemment d’un espace en écriture, se fait progressivement jour.
Je tire de la répétition de ces postures, des idées de projets visant à investir subrepticement un espace public inspirant.
Sans rien imposer.
Plutôt suggérer.
Dialoguer.
Faire entendre.
S’entendre avec.
A la fois furtivement et pourtant ostensiblement.
Ce que j’ai parfois nommé des bancs d’écoute.
Mais où l’écoute est très élargie.
Des mobiliers urbains qui deviennent d’autant plus pertinents que lorsqu’une forme de rituel s’installe, dans le temps, dans la durée, dans la répétition, dans une forme d’habitude instable.
Je m’aperçois d’ailleurs que j’ai déjà exploré ces situations dans d’autres lieux, d’autres villes en l’occurrence.
Pendant une dizaine d’années, et durant une quinzaine de jours, sur les hauteurs de Mons (Be), juste en dessous d’un beffroi, et juste au-dessus de la Grand Place.
Espaces sonores assez magiques, tout en rumeurs et tintements, chuchotements et rires, passages acoustiques interstitiels de la ville alentours.
Là aussi des rencontres récurrentes.
Puis récemment au Locle, lors d’une résidence artistique Suisse, en duo avec l’artiste plasticienne Jeanne Schmid, sur un banc de la place de l’Hôtel de Ville.
Et ici encore d’autres rencontres.
Mais dans ce dernier lieu, à l’aune des expériences précédentes, j’avais conscience de m’installer dans un espace urbain, d’être repéré, presque assimilé, dans cette petite ville de quelques 10 000 âmes.
Il me fallait garder la fraîcheur de la posture nonchalante et “naturelle” d’un lecteur-observateur, face à la stratégie de jouer de ma présence, comme une forme d’interrogation sociale.
Réfléchir à la manière de poursuivre ces stations immersives et quelque part interactives, bien que sans dispositifs, en tous cas techniques ou multimédia.
Réfléchir à la manière d’en tirer des formes de récits.
Réfléchir à la manière d’en imaginer des prolongements, des postures, des mises en situations, des stratégies à venir.
Sans doute penser la façon, ou des façons, d’instaurer ces actions dans une continuité, une suite d’actions structurantes, dans une forme de rituel nomade.
Ici sur un banc, ailleurs sur un autre, et ailleurs encore.
Processus d’infiltration douce.
De dissémination contextuelle, et relationnelle.
Rien n’est encore tout à fait joué, mais l’idée germe de poser la stratégie du banc, entre deux PAS – Parcours Audio Sensibles, comme une posture me permettant de m’inscrire plus fortement comme un écoutant-écouteur sociable, dans des processus où la ville se lit en même tant qu’elle s’écrit.
Avec la précieuse aide des passants bienveillants, et de la ville généreuse.

Coupe de sons, Point d’ouïe

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N’ayant sans vergogne regardé aucun match de football durant cette coupe du monde, j’ai décidé hier, demi-finale oblige, de réparer cela, en ne regardant pas non plus ce dernier match.

Néanmoins, j’ai pris le parti d’écouter, non pas le match lui-même, mais plutôt ce qu’il génère comme ambiance dans l’espace public.

A 20H tapante, je me suis posté sur un banc d’écoute. Je l’ai choisi hors des places ou des rues où se trouvent beaucoup de bars, un brin éloigné du centre, là où l’on est entre des scènes acoustiques de proximité et la rumeur de la ville.

La première heure s’est révélée d’un calme plat assez décevant, pas de variations remarquables des ambiances habituelles, les même voitures, voix, sources sonores disparates. Heureusement, j’avais prévu un bon roman.

Puis, des cris qui s’échappent des fenêtres, des sifflets, une explosion de voix; j’en déduis que la France, ou plutôt son équipe footbalistique, a marqué un but.
Quelques interjections suivront, plus discrètes, puis tout redeviendra « comme avant ».

Le soufflé retombe, encore une période calme, sans remous, sans grandes émergences.

Puis les voix investissent, voire envahissent l’espace public « On est en final » et autres phrases de cet acabit. Le message est explicite, le match bouclé.
Voix, cris, pétards, prélude au 14 juillet à venir, sifflets, tout s’agite autour de moi, impassible écoutant sur son banc assis.

Petit à petit, les voitures sen mêlent, entrent en jeu, toutes cornes braillardes. Un déluge de klaxons, meuglant à qui mieux mieux, et des cris, des chants, des vociférations, comme mariage géant qui durera longtemps, une tonique débauche d’énergie.

Si le scénario avait été autre, je suppose qu’un calme qui aurait tout du désenjouement, si ce n’est de la désolation, marqueur de profondes déceptions, se serait installé, tout drapeaux rentrés, toute fierté retombée, toute gauloiserie éteinte.

J’ai hésité à enregistrer ces séquences, avant de décider de m’offrir cette petite séance à oreille nue, juste pour entendre les remous-variations d’une tranche de mondial, sans les images, ni les commentaires d’aucuns journalistes cocoricausant.

PAS – Parcours Audio Sensibles et Points d’ouïe sur bancs d’écoute, parcours et cartographie

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City Sonic -Mons (Be)

 

PAS – Parcours Audio Sensibles et Points d’ouïe sur bancs d’écoute

J’envisage généralement deux principales postures physiques, pour écouter, tout simplement, et mettre en scène, et ou en action, un ou plusieurs Points d’ouïe.
En plus du fait d’être promeneur-écoutant, voire écouteur public, je m’efforce de mettre en scène des espaces d’écoute(s), afin de pouvoir partager ces ambiances où finalement, l’immatérialité des sons pose un voile parfois assez épais sur les oreilles potentiellement intéressées. Souvent, lorsque l’écoute se porte consciemment sur des lieux, cela tient du fait que ces derniers sont soumis à des déséquilibres sonores parfois extrêmement violents, à la limite de l’invivable, d’une insupportable pollution acoustique. Il est évident que, si nous ne pouvons ignorer ces situation de crise, d’excès, il ne faut pas attendre qu’elles se généralisent pour porter une écoute active sur notre environnement. Nous ne pouvons pas non plus ne montrer que ces points de déséquilibre stressants, en ignorant le fait qu’il existe encore, pour l ‘instant, de beaux oasis sonores, y compris en hyper centre urbain.
Bref je tente de mettre en scène ce que le paysage sonore possède comme des aménités environnementales constructives, pour ne pas tomber dans le panneau sclérosant du bruit sans autre échappatoire que de s’enfermer dans un habitat cocon isolé, dans une situation quasi autistique.

L’écoute se pratique bien évidemment au cœur des sons, des cités, de l’espace public, et des personnes qui l’habitent et le façonnent au fil de leurs activités.

Je procède par une approche d’écoute immersive, si possible dans des laps de temps suffisamment conséquents pour prendre la mesure des ambiances sonores, mais aussi plus globalement des ressentis plurisensoriels.
Deux postures se sont ainsi imposées au fil des expériences, l’une statique, en situation d’affut, de guetteur qui laisse venir à lui les sons, l’autre en mouvement, via la marche, pour aller vers les sources sonores, et en mixer des ambiances au gré des PAS.

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Invitation à l’écoute

 

Je parlerai ici de la première, celle qui s’effectue de façon statique, immobile, et le plus souvent assise.
J’ai très rapidement élu domicile, en tous cas dans des situation d’écoutant, sur des bancs publics, ceux que je nomme souvent « Bancs d’écoute ». Ils se sont révélés d’excellents points d’ouïe, faisant face à des situations urbaines, ou non, très variées, tantôt sereines, tantôt turbulentes, étant parfois situées dans des lieux surprenants, atypiques. Certains bancs sont posés de façon assez anachronique, faisant face à une rue, tout en tournant le dos à une forêt, un magnifique panorama, une rivière de beaux cas d’étude.
Mais pour moi, c’est bien la visée sonore qui m’intéresse dans un premier temps.
Je suis capable de m’assoir parfois deux à trois heures consécutives sur un même banc, voire plus, écoutant, regardant, notant, enregistrant, parfois conversant… Ce mobilier devient alors, lorsque le temps le permet, un bureau de travail provisoire, susceptible ainsi de se déplacer dans différents points d’un quartier, de la ville, dans différentes cités, via une forme de construction géographique studieuse autant qu’audiophile. Prenant mon propre quartier et ses bancs comme terrain d’expérimentation, tel un laboratoire auriculaire urbain, ou, modestement, une ré-écriture de la performance de Georges Pérec qui tentait de mener à bien l’épuisement d’un lieu parisien, j’ai ainsi cartographié, au fil des écoutes assises et publiques, une série d’ambiances finalement assez caractéristiques, en fonction des jours, des heures, et des saisons.
Il me faut, comme lors des PAS – Parcours Audio Sensibles, construire dans une certaine durée, dépassant de très loin es quelques minutes accordées à des pastilles sonores radiophoniques, pour viser une immersion qui se compte plutôt en heures. Il me faut aussi tabler sur une répétition, une itération des écoutes, sur un même banc, sur une compilation de situations qui feront que j’appréhenderai les scènes acoustiques comme des pauses non contraintes par des rythmes de vie trépidantes, mais visant plutôt le repos du flâneur, une certaine aspiration vers la lenteur, le non pressé, le temps de vivre, de ressentir à l’envi. Pierre Sansot avec ses ouvrage « Du bon usage de la lenteur » et « poétique de la ville », mais sans doute aussi un Gaston Lagaffe travaillant à « rebrousse poil » sont des références des plus inspirante dans mon appropriation en mode doux.

 

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Cadre d’écoute et point d’ouïe

 

 

La géographie des mobiliers, la spécialisation des bancs dans l’espace public, urbain, dessine une forme de parcours qui nous conduit d’un point d’ouïe à l’autre, jouant sur les différences sensibles d’un espace à l’autre.

J’ai ainsi conçu un dispositif, un mode d’écriture de PAS qui sont directement liés à des implantations de mobiliers urbains, ici les bancs, sachant que, d’une ville à l’autre, ou dans différents villages, les déambulations, les modes de jeu, seront très donc différents.

J’ai expérimenté ces parcours dans différentes villes ou villages, de Mons (Be), Lausanne (Ch), Malves en Minervois, Lyon, Charleroi, Paris, Orléans, Loupian, Victoriaville (Québec), Tananarive (Madagascar), Nantes, La Romieu, Cagliari (Sardaigne), Vienne (Autriche)…
Dans chaque lieu, sur chaque banc, le parcours et ses haltes sont tellement différents, que l’on peut imaginer une collection infinie de points d’ouïe, tous plus riches et dépaysants les uns que les autres.

 

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PAS – Lyon – Projet Parcours métropolitainS – ©photo Pierre Gonzales

 

Ainsi, un parcours de bancs d’écoutes géolocalisés et cartographié dans mon quartier (Lyon 9e)
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Un texte
https://www.linkedin.com/pulse/bancs-publics-d%C3%A9coute-gilles-malatray/

Un projet de parcours
https://fr.scribd.com/document/156704291/Bancs-d-e-coute-parcours-sonore-urbain

Desartsonnants, promeneur et metteur en écoute

Lyon le17 novembre 2017

 

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Audiographie

POINTS D’OUÏE SUR BANC D’ÉCOUTE

MONS LE SONS – NOCTURNE CENTRAL 2016

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Au fil des années, de mes passages à Mons, somme toute assez réguliers, dans cette cité belge, certains de ses lieux sont devenus pour moi, des espaces d’exploration sonores tout indiqués. Quelques bancs, bancs d’écoute, ici et là, notamment sur la grande place centrale, au pied des jardin du beffroi, me servent régulièrement de refuge -affût d’écoute. Ils me permettant, à différentes heures, ou époques, de prendre le pouls acoustique de la ville, de noter ses changements d’ambiances assez sensibles d’un moment à l’autre, et qui plus est d’une saison à l’autre.
En été, une fontaine a tendance, surtout de nuit, à devenir un brin envahissante dans son flot ininterrompu de bruits blancs, gommant ainsi beaucoup de détails et d’arrière-plans. En hiver, cette fontaine étant hors d’eau, l’espace retrouve une ampleur et une finesse qui se déploie sur toute l’entendue de la place, et cette dernière est très vaste. Le lieu est minéral, avec de nombreux débouchés de rue ou de passages piétonniers, ce qui donne à l’espace acoustique une magnifique spacialisation agrémentée de réverbérations qui nous donnent l’échelle du paysage. Le soir, peu de véhicules y circulent, ce qui laissent aux voix et aux activités humaines une belle place.
Des badauds, des étudiants, quelles fêtards, des patrons de bars restaurants, très nombreux sur ce site historique, qui vantent les spécialités, rangent les terrasses, des clients qui sortent fumer, des francophones, des néerlandophones, une palette de sons bel et bien vivants.
Et puis, agréable surprise de cette écoute nocturne, après des années de silence dues à d’interminables travaux, le beffroi surmontant la ville de Mons sur sa colline (Mons/Bergen…) à retrouvé de la voix. Tous les quarts d’heure, il égrené une courte mélodie joliment ciselée dans l’espace. Un vrai bonheur que de réentendre ces sonneries, ces musiques repères spatiaux et temporaires !
D’ailleurs, hier soir, une intéressante expérience d’écoute à l’improviste. Je marche dans la rue principale, noyée sous un flot de musique/muzac à mon goût bien trop présente  quand soudain, à 19 heures, elle s’interrompt brusquement. Et la ville retrouve enfin ses espaces acoustiques subtiles. Nous la réentendons subitement, comme le notait parfois et le faisait constater Max Neuhaus dans ses installations sonores. De plus, le carillon du beffroi, enchaine par une délicate sonnerie dans ce nouveau « silence installé». La ville comme j’aime l’entendre, et la faire entendre.

Texte et captation sonore lors d’une invitation par Transcultures – Balades, conférences et workshops avec la Faculté d’architecture et d’urbanisme de Mons (cycle de conférences les territoires augmentés par le son) et l’école supérieure des arts Arts au Carré de Mons

Le 24/12/2016 – Grand Place de Mons – 19H30

En écoute