Paysages sonores en chantier, scènes auriculaires, réactivées, outdoor
Inaugurations de Points d’ouïe
Faire, officiellement, la fête aux sons, dans un cérémonial d’écoute in situ
PAS – Parcours Audio Sensibles en duo d’écoute
Parcourir, écouter, deviser, amasser et collecter des Points de vue et Points d’ouïe de concert, récits dialogués de ville(s) et d’ailleurs…
PAS – Parcours Audio Sensibles partagés
Parcours d’écoute(s), thématiques ou non, écritures/lectures contextualisées, collectives, participatives…
Bancs d’écoute(s)
Parcours ou one shot, à deux ou en groupe, les bancs comme points d’ouïe, objets et postes d’écoute, de rencontre, d’échange, d’installations, espaces de sociabilités auriculaires bien assises…
En éc(h)ogestation
Scènes d’écoutes installées
Parcours d’écoute urbains ou non, visites d’installations sonores à ciel ouvert, à 360°, mises en scène et en situation de Points d’ouïe à oreilles nues, espaces dé-concertants et Desartsonnants…
Et tant de choses à imaginer et installer sur place, avec vous, les autres…
@Photo Zoé Tabourdiot – Festival City Sonic -Transcultures be
Il y a des lieux où l’on peut sereinement s’assoir sur un banc, entouré de mille friandises sonores, qui nous font nous sentir investis par et dans le monde.
Il y en a d’autres, plus instables, où des marchands de cigarettes et autres produits, nous harcèlent, et où l’on sent le pugilat, toujours prêt à vous exploser à l’oreille et au regard.
Il y en a où l’on prend plaisir dans l’explosion ferraillante de multiples trains, lancés à grande vitesse, interminables, décoiffants, qui vous agressent d’une jouissive sidération.
Il y a ces forêts, ruisseaux, oiseaux et soleil complices, qui semblent vous faire la fête sans vergogne, ni contreparties aucunes.
Il y a ces forêts d’où l’on se sent exclus, hors-jeu, tant les lémuriens hurleurs et les insectes stridulants empêchent tout sommeil ; jusqu’à ce que l’on soit rassurés, voire bercés par l’insistance évidente de cette vie trépidante.
Il y a ces ressacs obstinés, hypnotiques, roulant des galets soumis, anesthésiant toute pensée rationnelle, quitte à laisser le champ libre à la rêverie folâtre.
Il y a des choses sonores, qui scandent les moments d’une vie qui s’écoule inexorablement, sans que nous en soyons vraiment maîtres.
Il y a ces faux silences, toujours troublés d’un iota de quasi indicible, mais qui nous rassurent sur le fait que la fureur guerrière n’est pas (toujours) maitresse d’un monde bruissonant.
Et puis il y a tous ces lieux où je n’ai encore jamais posé les oreilles, mais où j’aimerais tant !
L’écho des falaises la quiétude des cimetières les réverbérations et signaux des gares la gouaille des marchés le bouillonnement des ruisseaux la rumeur des belvédères urbains le silence habité des églises le bourdonnement des avions l’électricité grondante des orages l’onirisme de la nuit le grondement des boulevards l’apaisement des jardins le ressac de l’océan le tintement des cloches les chuchotis des bibliothèques le fracas des cascades le feulement du vent la vie qui s’écoule la vie qui s’écoute
J’écoute, je m’indigne, j’enrage, je suis écœuré, je me sens politiquement impuissant, responsable, écrasé, impliqué…
Mais je me dis que les petites idées, actions partagées, si modestes soient elles, infimes et fragiles instants où l’oreille est tendue alentours, vers l’autre, vers le vivant, au sens large, c’est un levier pour conserver une pointe d’espoir qui nous fasse encore aller, ensemble, de l’avant.
Attention, cette expérience décoiffante est à déconseillée aux oreilles sensibles et aux tympans fragiles ! Il s’agit d’un événement, ou plutôt d’une suite de micros événements, aussi brefs qu’intenses, où l’écoute est placée sur des rails extrêmement dynamiques, où la vitesse est perçue comme une sorte de héros post russolien*, nous happant dans des sillons sonores vertigineux.
Le contexte, une toute petite gare, à quelques encablures de Lyon, direction Roanne, ou Mâcon. Petite gare comme beaucoup fermée, inoccupée, juste des distributeurs automatiques et autres composteurs. Petite gare où il passe de nombreux trains, TER, TGV, gros porteurs de marchandises, engins de travaux… Petite gare où néanmoins peu de trains s’arrêtent, beaucoup la traversant à vive allure. Un aspect délaissé, des quais vieillots, enherbés, peu aménagés, un passage souterrain glauque et humide, presque un lieu fantôme. Entre deux quais assez étroits, deux bancs, posés sur une petite ile étroite, enclose de sillons métalliques.
Ce jour là, j’effectue un changement de train dans cette gare, avec un arrêt d’une vingtaine de minutes avant de reprendre ma correspondance. Chose assez fréquente pour moi lorsque je rends visite à mes parents.
Ce jours là, des travaux sur les quais et le long des voies. De nombreux ouvriers, tout de jaune vêtus, s’affairent à des marquages de couleurs, sans doute en vue de quelque réhabilitations à venir. Ils s’étendent sur une assez grande distance, sur la voie en face de moi, à droite comme à gauche.
Régulièrement, quatre à cinq fois ce matin là, des guetteurs actionnent des trompes avertisseurs, cornes de brume à gaz, qui réveillent toniquement la gare. Des vagues de klaxonnent se répondent, partant à la fois vers la droite et vers la gauche, s’éloignant progressivement. L’effet de spatialisation est vraiment remarquable. Avec pour effet immédiat de faire remonter des ouvriers des voies vers les quais, et à d’autres de s’en éloigner. Peu de temps après, surgit une machine grondante qui va traverser la gare dans un grand chambarlement de ferraillement, sifflements, turbulences d’air brassé dans tous les sens… assis à quelques mètres des voies, nous sommes pris dans une puissante tourmente qui secoue puissamment notre environnement sensoriel, ballotte notre corps comme un fétu de paille dans ce déchainement acoustique tonitruant. Certains convois passe devant moi, très près en fait, quelques mètres, d’autres derrière moi, en mode acousmatique assez impressionnante, alternant les sens de l’écoute, spatialement parlant, comme une désorientation qui, les yeux fermés, nous laisse dans une forme de flottement, d’indétermination kinesthésique.
L’ensemble de la scène, en quelques minutes de temps, propose à l’oreille une véritable cohérence qui pourrait être compositionnelle, musicalement parlant. Elle évoque un geste qui serait comme une écriture dynamique parfaitement maitrisée dans le temps et dans l’espace, avec sa montée en puissance, son acmé frénétique, et son decrescendo dans un sillon d’air qui semble vouloir nous aspirer encore. On peut comprendre ici pourquoi les grosses mécaniques, dont les trains, la vitesse et parfois la violence liée ont inspiré des compositeurs, de la performance bruitiste a ceux des musiques concrètes, électro-acoustiques, acousmatiques… Il y a là quelque chose de violemment fascinant, qui nous agresse autant qu’elle nous transporte. Une griserie du chaos qui peine à se retranscrire, et qu’il faut vivre dans ces tourbillons vibratoires sauvages pour l’appréhender pleinement. De plus, la réitération de ces scènes acoustiques pour le moins remarquables, avec toutes les variations intrinsèques selon les trains, longueurs des convois, crée une belle scansion rythmique, entre tensions et détentes alternées. La résilience audio-paysagère nous fait retrouver un calme d’autant plus présent, marquant, presque imposant, qu’il laisse à nouveau la place aux voix dans le lointain, cloches, chants d’oiseaux…
Cette expérience acoustique vient s’ajouter tout d’abord à une « petite histoire des bancs d’écoute », ou des bancs d’expérimentations sensorielles. Elle s’ajoute également aussi à une compilation de scène sonores remarquables. Celles-ci, tissées par un principe narration continue, participent à faire vivre un paysage sonore d’autant plus vivant qu’il est littéralement mouvementé. Paysage en mouvement et mis en mouvement, paysage perçu et vécu dans ses multiples trames dynamiques toute à la fois concordantes et discordantes.
Luigi Russolo (1855-1947), compositeur artiste futuriste, auteur de « L’art des bruits »
J’ai déjà, à plusieures reprises, parlé des bancs, ces mobiliers qui me sont chers, mais aussi des marches d’escaliers et autres murets, assises bienséantes rencontrées à l’aune d’explorations déambulatoires dans l’espace public. Ces espaces de pause, urbains ou ruraux, en forêt ou le long d’une rivière, le long d’une plage ou d’une promenade publique, sont pour moi multifonctionnels. Lieux de repos certes, de rêverie, méditation, d’écoute souvent, de travail, d’écriture, d’échange, dans une forme de co-working de plein-air, mobile et adaptable; une façon de co-habiter le monde, mon quartier, les lieux de résidences artistiques, de déplacements tous azimuts.
Je pensais hier, justement posé sur un banc, nuit tombée, aux choix de ceux-ci, que ce soit ici, dans mon quartier, ou ailleurs, dans beaucoup d’endroits forts différents. Ces choix de s’assoir ici plutôt qu’ailleurs ne sont pas innocents, liés parfois à des contraintes du moment, et parfois à des options plus stratégiques.
S’il fait très chaud, ce sera un banc à l’ombre, dans un lieu aéré, (relativement) frais… S’il fait un fort vent, ce sera un banc abrité, ou au contraire très exposé, pour profiter au maximum des caprices d’Éole. Si je cherche la rencontre, l’échange, ce sera un banc situé sur un espace très passant, avec souvent des séquences réitérées, parfois dans un lieu habituel, près de chez moi… Si je recherche l’isolement, la quiétude, ce sera dans un espace intime, en retrait. S’il fait très froid, ce pourra être dans un espace fermé, ou semi fermé, un hall de gare, une galerie marchande… Si je recherche une belle ambiance sonore, ce sera dans un espace où l’écoute est agréable, entre sources permanentes (fontaines), ponctuelles (cloches), acoustiques remarquables (passages réverbérants), présence de faune, de vie anthropophonique… S’il pleut ce sera dans un espace abrité, sous un auvent… Si je recherche un parcours déambulatoire, ce sera une suite de bancs qui guideront et ponctueront mes pas et points d’ouïe. S’il fait nuit et que je désire lire, écrire, ce sera un banc sous un lampadaire. J’adore la nuit ! Si je recherche, outre un point d’ouïe, un point de vue, un lieu agréable à regarder, ce sera devant un panorama naturel, une place d’un centre historique…
Tout ceci m’entraine donc d’avenues en ruelles, de parcs en places publiques, de sentiers en promontoires, m’en faisant voir et entendre de toutes les couleurs.
Bref, jonglant avec les aléas climatiques, et les intentions et envies du moment, je me suis défini, l’expérience aidant, toute une typologie de bancs, dont certains autour de chez moi, comme lieux expérientiels, d’autres dans des lieux connus, déjà arpentés, écoutés, d’autres encore à découvrir dans de nouveaux espaces à investir. Se constitue ainsi un véritable inventaire pour promeneur écoutant, arpenteur de tous crins, une géographie bancale, des ressources assises à fréquenter selon les cas, les besoins, les nécessités, les adaptabilités du projet en cours. Des villes me posent parfois problème, dans des choix délibérés d’aménager des espaces sans assises, pour des raisons tendancieusement sécuritaires et dans des volontés malsaines de cleaner l’espace public. Néanmoins je trouve en général toujours de quoi à satisfaire mes postes d’observation, ou tout simplement de jouissance quiète du monde environnant.
Après des années passées à entraîner l’oreille pour devenir progressivement plus efficace, pour lui procurer de plus en plus de plaisir, à ouïr une ville, une forêt, une gare, il me faut rester conscient que ce geste d’écoute n’est pas aussi naturel ni évident pour tous, moins en tous cas qu’il ne le paraît de prime abord.
En guidant de nombreux parcours sonores, des PAS – Parcours Audio Sensibles, il m’a fallu progressivement amener l’oreille vers des espaces au départ relativement « évidents », simples à appréhender, à comprendre, ni trop saturés, ni trop paupérisés, ni trop minimalistes. Les parcours pourront par la suite, petit à petit, de façon graduée, se complexifier, en termes de densité, de longueur.
Il nous faut donc prendre conscience de de l’effort – même agréable – à fournir pour un promeneur écoutant débutant, pour entrer dans une écoute attentive et soutenue, qui sache dénicher les trésors de chaque lieu, et en jouir le plus naturellement que possible, sans trop d’a priori « bruitistes ».
Il nous faut également, comme dans toute forme d’enseignement, se garder de juger trop hâtivement, des formes « d’inculture sonore » alors que l’apprentissage, fût-il auriculaire, ne demande qu’à s’épanouir à son rythme, ici au rythme des pratiques d’écoutes.