La ville ouïe ou non, de l’entendre au faire

Une ville à entendre, voire plus

Qu’est-ce qui y sonne joliment, ou non ?
Qu’est-ce qui nous surprend, éventuellement nous dépayse à l’oreille ?
Comment percevoir en priorité les musiques de la villes; les aménités auriculaires, les espaces qualitatifs ?
Quelle sont les zones calme, oasis sonores, ilots acoustiques privilégiés, protégés ?
Quelles sont les influences architecturales, topologiques sur les ambiances sonores ?
Quelles sont les rythmes de la ville, entre flux et cadences (heures de pointe, vie scolaire et étudiantes, marchés, présences de casernes de pompiers, hôpitaux, flux de circulation…) ?
Quels sont les émergences acoustiques (sirènes et alertes, Klaxons, cloches…) émergeant de la rumeur ?
Quelles sont les influences des activités, du zonage urbanistique (industries, commerces, ports, parcs, zones ce loisirs…) ?
Quels sont les plus beaux points d’ouïe, panoramiques, resserrés, ouverts, fermés, permanents ou ponctuels… ?
Comment circule l’a parole, se déploie, plus ou moins aisément, la communication orale ?
Quelles sont les influence atmosphériques, vent, pluie, orages, leurs perceptions et ressentis au prisme des topologies et aménagements… ?
Quelles sont les influences de la vie animale, sauvage ou non, dans la cité ?
Quelles sont les marqueurs et signatures sonores singulières (cloches, fontaines, spécificités locales…) ?
Quelles sont les plus belles acoustiques de la ville (passages ou bâtiments réverbérants, échos, effets de masque, de coupure, de mixage…) ?
Quelles sont les coutumes ou événements locaux ponctuels animant la cité (fêtes traditionnelles, vogues, marchés) ?
Quels sont les parlers locaux, langues, accents, expressions, marqueurs de brassages culturels…) ?
Existe t-il des cheminements préexistants, ou l’écoute tisserait un parcours cohérents, dans ses similitudes et diversités ?
Peut-on percevoir une sorte d’archéologie ou d’histoire sonore au travers des quartiers historiques, bâtiments, friches… ?
Comment convoquer des approches croisées, indisciplinaires hybridant esthétique, écologie, sociabilités auriculaires et aménagements… ?
Comment travailler l’indisciplinaire via des actions arts-sciences, des diagnostiques et expérimentations invitant aménageurs, chercheurs en sciences dures et humaines, décideurs politiques, artistes, résidents… ?
Comment définir des corpus et glossaires autour du son, de l’écoute, du paysage sonore, pour que chacun s’entendent (mieux) et élargissent ses approches respectives et mutuelles, le croisement de pratiques ?
Comment élaborer des parcours d’écoute, définir, signaliser, inaugurer, voire aménager des points d’ouïe ?
Comment le patrimoine sonore peut entrer dans une approche de tourisme culturel, de valorisation du territoire ?
Comment protéger les zones de belles écoutes, voire s’en servir de modèles pour un aménagement sensible et qualitatif de l’espace urbain?
Comment penser le son, les ambiances en amont, et non de façon curative, lorsque les dysfonctionnements et nuisances sont avérés, souvent difficilement réparables ?
Comment repérer, qualifier et exploiter des caractéristiques acoustiques situées, pour le jeu, la diffusion, la création de musiques, pièces sonores, installations et autres objets d’écoute ?
Quelles actions d’éducation et de sensibilisation à l’écoute urbaine mettre en place, avec quels publics (enfants, étudiants, résidents, pédagogues, aménageurs, élus…), pourquoi, comment ?
Comment agir en installant en priorité l’écoute, comme objet esthétique, outil d’analyse, d’aménagement, de création, sans forcément ajouter une couche sonore supplémentaire ?
Comment mettre en place des outils de représentation, d’inventaire, de qualification, description, travailler des cartographies sonores sensibles, des cartes mentales, partitions graphiques… ?
Comment user de différent média (mot, texte, image, vidéo, graphisme, danse, performance, son…) pour mettre et raconter une ville en écoute ?
Comment engager des processus de créations sonores (documentaires radiophoniques, multimédia, installations sonores, muséographies, parcours et mises en situation d’écoute…) suite à ces investigations et expériences in situ ?

Cette liste de questions et propositions non exhaustive, contextualisable, peut donner lieu à moult extensions, adaptations, hybridations, variations…
Ces questionnements sont pensés avant tout comme des leviers d’actions, des déclencheurs, stimulateurs, ouvrant un champ d’expérimentations auriculaires au final peu ou pas explorées.

Desartsonnants, novembre 2022

En parler plus en avant, impulser un projet de terrain, une rencontre : desartsonnants@gmail.com

Vous avez dit écologie sonore ?

@ Photo Fabien Lainé, Festival de l’Arpenteur 2022 – Scènes Obliques – Les Adrets en Belledonne

Écologie sonore, quelle drôle d’expression quand on y pense ! Des mots qui englobent large, très large, tellement qu’on a l’impression d’un grand flou, où pointe le risque d’une coquille vide, qui plus est teintée d’immatérialité… Si ce n’est d’un opportunisme politique qui sonne démagogiquement creux.


Par contre, si on pense une écologie de l’écoute, des écoutants, des choses écoutées, avec des postures éthiques, humanistes, on voit là se dessiner des perspectives plus concrètes et réjouissantes. En poussant plus loin le bouchon (d’oreille ?), si des formes de pensées et d’actions écologiques, au prisme du sonore, convoquent le soin, la santé, la biodiversité, l’enseignement, l’habitat, la mobilité, les arts, l’aménagement du territoire… on a alors à disposition des leviers d’action potentiellement forts.

Des propositions plus concrètes, sans doute moins démagogues, autour du discours sur la maison écoutante, ou l’habitat auriculaire, au sens littéral du terme, deviennent alors force de réflexion, d’étude et d’action. Surtout si la « Grande Maison Écoutante » est envisagée comme une co-habitation la plus large que possible.

Points d’ouïe, installer l’écoute !

Printemps, été, et après… l’écoute s’installe !

Paysages sonores en chantier, scènes auriculaires, réactivées, outdoor

Inaugurations de Points d’ouïe

Faire, officiellement, la fête aux sons, dans un cérémonial d’écoute in situ

PAS – Parcours Audio Sensibles en duo d’écoute

Parcourir, écouter, deviser, amasser et collecter des Points de vue et Points d’ouïe de concert, récits dialogués de ville(s) et d’ailleurs…

PAS – Parcours Audio Sensibles partagés

Parcours d’écoute(s), thématiques ou non, écritures/lectures contextualisées, collectives, participatives…

Bancs d’écoute(s)

Parcours ou one shot, à deux ou en groupe, les bancs comme points d’ouïe, objets et postes d’écoute, de rencontre, d’échange, d’installations, espaces de sociabilités auriculaires bien assises…

En éc(h)ogestation

Scènes d’écoutes installées

Parcours d’écoute urbains ou non, visites d’installations sonores à ciel ouvert, à 360°, mises en scène et en situation de Points d’ouïe à oreilles nues, espaces dé-concertants et Desartsonnants…

Et tant de choses à imaginer et installer sur place, avec vous, les autres…

On en parle ? desartsonnants@gmail.com

Paysages sonores singuliers, des ambiances

L’écho des falaises
la quiétude des cimetières
les réverbérations et signaux des gares
la gouaille des marchés
le bouillonnement des ruisseaux
la rumeur des belvédères urbains
le silence habité des églises
le bourdonnement des avions
l’électricité grondante des orages
l’onirisme de la nuit
le grondement des boulevards
l’apaisement des jardins
le ressac de l’océan
le tintement des cloches
les chuchotis des bibliothèques
le fracas des cascades
le feulement du vent
la vie qui s’écoule
la vie qui s’écoute

Points d’ouïe – Installer l’écoute, de l’expérience aux récits

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Premier PAS – Parcours Audio Sensible public de ma résidence auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe »

Il s’agit de mettre en pratique l’intitulé de la résidence, en arpentant, oreille aux aguets, corps réceptacle sonore, et aussi bien entendu producteur, acteur, joueur, improvisateur selon les moments.

Un groupe d’écoutants de diverses pratiques, éducation, graphisme, danse, architecture, pour la plupart déjà rompus à l’exercice de la marche sensible.

Et des sentiers, prairies, une église, des sites préalablement repérés, et déjà marchés/dansés par plusieurs.

Faire corps avec les sons, expérimenter et installer l’écoute, en faire récit, trois visées principales de cet atelier.

Premières mises en oreilles, calibrage tympanesque, quelques gestes, des directions d’écoute, des visées auriculaires, et nous partons grand chemin petits sentier vers de soniques aventures.

Partir en silence, installer le silence de même que l’écoute, et nous le garderons sur une grande partie du trajet. une communauté éphémère, silencieuse, en tous cas par la parole communiquante. 

Traversée d’une rivière. Sur le pont, nous essayons quelques postures d’écoute pré-testées, pour faire entendre le fil de l’eau ondoyante sous toutes ses coutures, ou presque.

Un sentier en sous-bois, vent, oiseaux, rivière en contre-bas, qui s’éloigne, passe de gauche à droite, et se rapproche selon les détours caminés; quelques motos et quads, pas vraiment les bienvenus, heureusement, ils ne monteront pas vers nous et se feront très rares au fil de la journée.

Nous investissons un beau petit pré ouvert, chacun y trouve sa place, son point d’ouïe, un positionnement de corps écoutants qui maille l’espace instinctivement mais joliment.

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Des pierres qui sonnent, percutées, nous sommes dans la régions des phonolites qui, comme le nom l’indique, sont bien sonnantes, toutes désignés à musicaliser le chemin de percussions minérales.

Un autre espace de jeu s’ouvre à nous, au dessus de la rivière qui gronde par une percée, vers un contrebas aquatique.

Sthétoscopes ou stéthophones, longue-ouïe, on gratte, effleure, tapote, vise, improvisons chacun son concert intime, au creux de l’oreille. Les gestes exploratoires sont beaux à regarder, comme une sorte de ballet lent et silencieux, dans l’esprit de la structure qui m’accueille « Danser l’espace ». 

Espace danse au gré des sons, parfois dense, parfois moins, parfois peu, très aéré, fugace.

Des troués de vent, d’autres d’oiseaux, des guetteurs rapaces criards tournoient plus haut, des scènes au détour du sentier qu’il nous suffit de capter pour nourrir ce qui fait du paysage écouté, une véritable installation sonore à ciel ouvert.

Un triangle de verdure, espace idéal pour ajouter quelques sons parfaitement exogènes, urbains, venant titiller, décaler la scène acoustique. Un transport d’une ville vers cette forêt, surprise de ce facétieux chamboulement, cependant éphémère et discret, à l’échelle des oreilles écoutantes.

Une cupule sanctuaire ornée d’ex voto, dont nous respecterons le calme.

Passage de cyclistes et saluts.

Des voix chuchotantes, ou parlantes, les nôtres, qui se jouent des lieux en distillant onomatopées et bribes de phrases, mots parsemés, éclatés, impromptus.

Passage pentu, rocheux, le son de la respiration se fait plus présent.

Débouché sur un oppidum surmontant le village. Point haut. La vue s’ouvre. Une assez grande clairière herbeuse, un tilleul ancestral, majestueux, un petit cimetière dans l’enclos d’une église fortifiée. 

Le cadre inspirant de nouvelles expériences à portée d’oreilles, et de corps.

Pique-nique, le lieu s’y prête à merveille, entre sustentations et échanges nourris de l’expérience de chacun.

Reprise exploratoire, le cimetière et des lectures épithaphiques improvisées.

L’église romane et sa remarquable acoustique, idéale pour des jeux vocaux et percussifs. nous n ‘y manquerons pas.

On tuile, entrechoque, joue des grincements, souffles, cris et autres productions qui s’entremêlent dans un liant architectural  très réverbéré. 

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

On écoute aussi.

Aller-retours oreille, voix, gestes, dans un écrin sonore qui donne envie de jouer encore et en corps avec les sons les plus impromptus. Et de ce côté là, les promeneurs.euses du jour ne manquent ni de ressources, ni d’imagination.

Extérieur.

Jeux de marche, gravier, escaliers, recoins…

Devant nous, un belvédère, point de vue et d’ouïe panoramique par excellence, la vue et l’écoute à 180°.

Une ferme en contrebas, percussions métalliques de réparations agricoles.

Un tracteur au loin, dont on perçoit distinctement des cliquetis de sa herse, beaucoup plus que le moteur, qui le rendent bel objet musical.

Postures en surplomb, la vue parfois en désaccord avec les sons, parfois en concordance.

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Là encore, une invitation à s’attarder, se laisser happer par le soleil, généreux, les ambiances  lascives.

Le descente libère la parole.

Échanges sur le statut des sons selon les écoutes, ce qui fait groupe dans cette marche, ou ailleurs, les sons, le silence interne, la marche comme écriture œuvrée,  les synesthésies partagées…

De retour sur une terrasse toujours ensoleillée, quelques butins, délicats végétaux, exposés, et à nouveaux auscultés, dont en vedette, une bogue bien piquante de châtaigne… 

La petite magie des sthétophones qui courent sur les surfaces les plus variés, des cheveux, et aussi à la recherches des cœur battants, littéralement.

Une dernière séance d’écoute, en intérieur. 

Qu’est ce qui, dans les traces enregistrées, cueillies, fait paysage sonore, du plus figuratif, carte postale, au plus abstrait, où la matière sonore s’est diluée dans d’improbables manipulations, triturages, ou l’impression prime sur l’image ? 

Et ce que l’on a recueilli du jour, comment réécrire un paysage post marché, post écouté, post vécu ?

Des dessins, graphismes, fiches, cartes mentales commentées, ou plutôt racontées.

Des textes nés in situ et lus, parmi d’autres récits.

Des questions sur le faire ou le défaire paysagers, entre expériences esthétiques, militances écologiques, et sociabilités en écoute, celles du prêter attention, du prendre soin, du mieux être.

Une belle journée d’expérientiel s’achève.

A suivre…

Installer l’écoute…

@photo France Le Gall – Danser l’Espace
En écoute : Installer l’écoute – Expériences audio-paysagères
En écoute : Installer l’écoute, récits

Voir : Album photos
Voir : Album photos @Photos France Le gall

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Chemins d’écoutes, et d’autres découvertes

Invitation !

A la deuxième journée de ma résidence auvergnate, et après une première escapade forestière, je commence à découvrir, un peu plus le maillage très serré des sentiers de randonnées, du passage d’un des chemins de Compostelle jusqu’à de multiples GR locaux.

Une aubaine !

D’ailleurs, il y a de nombreuses années que les éditions Chamina, de Chamalières, ont entamé un travail de cartographie et de guides de promenades et randonnées locales,  tout à fait remarquable.

Le bon chemin, écoute que coûte !

Il ne me reste donc plus qu’à profiter, à explorer ces richesses à portée de pieds et d’oreilles, de sentes en chemins, de forêts en prairies, d’oppidums en vallons.

En cet automne naissant, encore gorgé d’eau, où les chants d’oiseaux se modifient, parfois se raréfient, profitons-en encore, où de nombreuses traces giboyeuses laissent deviner une vie nocturne animée, où les couleurs visuelles comme sonores se parent de nouveaux attraits, les chemins m’invitent à la flânerie contemplative. J’endosse une nouvelle fois mon costume de promeneur écoutant à la recherche d’immersions sensorielles, d’expériences d’un territoire que je connais assez peu, sinon pas, et où je vais pouvoir jouer les ravis audio-émerveillés.

Sentiez vous bien !
Camina minet miné… Attention à la marche…

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère – Installer l’écoute, Points d’ouïe

Danser l’espace – Sous les pommiers

Écoutes d’écoutes 

Si je m’intéresse de très près à l’objet écouté, en l’occurence ici au paysage sonore, tout ou partie, d’autres axes auriculaires me questionnent.


Je considère notamment l’objet de l’écoute, dans ce qui motive les gestes et les postures de l’écoutant, impulse la ou les raisons de faire écoute.


De même, l’écoutant-agissant – dont celui que je suis – est à observer dans la mise en place de stratégies, entre autres celles de territorialisation et dé-territorialisation, selon les approches de Guattari et Deleuze.


Enfin, c’est l’écoute-même, comme objet d’étude, qui demande à être observée dans ses processus de fabrication, ses tenants et aboutissants.


C’est par ces « écoutes d’écoutes », puisant notamment dans des formes de descriptions phénoménologiques, perceptives, que commencent à se dessiner des paysages sonores tiraillés de tensions esthétiques, sociales, politico-climatiques, tout à la fois génériques et éminemment singuliers.

Point d‘ouïe – Traversée n° 6 – Paysages sonores contextuels, écoutes contextualisées

Point d’ouïe Bastia – Zone Libre – Festival des Arts sonores

Tout acte, tout geste, toute pensée, sortis de leurs contextes, n’ont plus guère de sens. On constate même que la décontextualisation, parfois utilisée de façon biaisée pour interpréter un texte par exemple, est un outil de désinformation pernicieux.

Le contexte, fût-il celui d’un paysage sonore, via le geste d’écoute qui le fera exister, est aussi bien spatial, de là où j’écoute, que temporel, du moment où j’écoute, mais aussi liée à une foule d’interactions – ce qui se trouve dans mon champ d’écoute, ce qui s’y passe, les acteurs qui y agissent, le temps qu’il fait, les circonstances géopolitiques du moment…

Autant dire qu’on n’échappe pas à la relation contextuelle qui influe nos pensées, actions, dans un lieu et à un moment donné, voire en amont et en aval.

Ce serait à mon avis un peu présomptueux, voire un brin dangereusement inconscient. Une forme de déni démiurgique qui quelque part, nous couperait du monde, de ses turpitudes comme de ses aménités.

Faut-il pour autant prendre cela comme une chose acquise, et faire « comme si de rien était », voire comme si on était parfaitement maitre de toute création sonore, qui serait un objet indépendant et imperméable au milieu qui la voit naitre ?

Mieux vaut s’en doute examiner de près le contexte, pour faire en sorte que la création, par exemple en espace public, se joue de se dernier, se fondant aux lieux, questionnant l’instant, frottant les usages et les choses croisées in situ, quitte à proposer des situations ludiques décalant nos sens du contexte habituel et « prévisible ». Sans doute me direz-vous, nous sommes des messieurs Jourdain en puissance, recontextualisant sans cesse nos moindre faits et gestes sans le savoir, ou sans en mesurer la portée. Dans ce cas, un homme, et qui plus est un artiste avertit en vaut deux dit-on.

Mais justement, recontextualisons ce texte, en recadrant ce qui nous préoccupe ici, à savoir le paysage sonore et l’écoute, ou vice et versa.

Si je prends des pratiques qui me sont chères, telles le parcours d’écoute sous forme de PAS – parcours audio Sensibles, la captation d’ambiances environnementales, dite en termes techniques le field recording, ou phonographie, la création sonore issue de ces pratiques, dédiées à des espaces spécifiques… la contextualité des projets parait évidente.

Encore faut-il savoir de quoi relève ces évidentes évidences.

Choisir un lieu et un moment pour écrire et faire vivre un parcours d’écoute, c’est tenir compte de ses propres singularités.

Est-il une réserve ornithologique, un espace maritime où se tiennent des marées de grandes amplitudes, un parc urbain accueillant différentes manifestations culturelles et artistiques, une zone portuaire… A chaque cas, nous poserons pieds oreilles et micros de façon circonstanciée, avec des rythmes d’approches permettant de saisir au maximum les signatures acoustiques, un matériel de captation ad hoc, un moment de la journée ou de la nuit favorable à de belles écoutes.

Si cela peut nous paraître évident, pour autant, faute d’arpentages, de lectures, de rencontres, qui n’a jamais un jour eu le sentiment d’avoir raté le bon rendez-vous, d’avoir fait choux blanc, ou d’avoir eu l’impression de passer à côté de quelque chose, peut-être de l’esprit-même du lieu ?

Arriver en forêt trop tard pour jouir de l’heure bleue, ne pas être là où se déroulent les événements sonores recherchés, autant de déconvenues liées à de mauvaises contextualités, de notre fait ou non, la chose sonore escomptée n’étant pas toujours fidèle au rendez-vous, là et quand on l’attend.

Une pluie diluvienne, une crise sanitaire, une panne technique, peuvent remettre en cause tout un plan d’action pourtant soigneusement échafaudé, préparé, à la virgule près.

Plusieurs choix alors, renoncer et réitérer notre action quand les circonstances et le contexte seront plus favorables, si possible, ou changer notre fusil, ou enregistreur d’épaule, nous adaptant à des circonstances a priori négatives, pour les transformer en un contexte fertile dans sa forme inattendue, inentendue. Sérendipité aidant.

De même pour un PAS. Les réactions du groupe, ce qui va se produire d’inhabituel, les conditions climatiques, et bien d’autres aléas contextuels, vont infléchir notre façon d’écouter, de marcher, de proposer telle ou telle posture collective, bref, d’écrire spontanément le parcours en fonction de ce qui compose le paysage, et des événements qui le modifient sans prévenir.

Un artiste marcheur écoutant plus ou moins aguerri, ayant préparé son parcours en prenant en compte un maximum de données contextuelles plus ou moins « stables » – la topologie, les aménagements territoriaux, le climat saisonnier « moyen », le contexte historique des lieux, les usages et fonctions de des derniers… saura, à défaut de maitriser l’ensemble des paramètres, jouer entre les caractéristiques locales, et les imprévisibles toujours possibles.

Contextualiser un projet, un événement, n’est pas envisager toutes les variations et perturbations possibles, ni encore moins l’enfermer dans une trame immuable, quoiqu’il advienne.

C’est au contraire connaître suffisamment le contexte, les sources auriculaires, les acoustiques, les rythmes de modes de vie, les récurrences festives ou sociales… pour pouvoir se laisser des marges de manœuvres qui apporteront la fraicheur et une certaine inventivité du spontané.

Le contexte et tous ses imprévus sont nos alliés, dans l’arpentage jusque dans la création sonore qui s’en suit, son installation, sa médiation.

L’ignorer, ne pas suffisamment le mesurer, en calquant par exemple des modèles d’interventions ne prenant pas en comptes le contexte dans ses côtés spatio-temporels, sociétaux , c’est s’exposer à passer à côté de plein de choses, à paupériser grandement nos objectifs initiaux, y compris dans les relations humaines intrinsèques.

La contextualisation d’une écoute partagée, d’un territoire sonore in progress, n’est pas (qu’) une série de contraintes, mais aussi la possibilité stimulante de jouer avec le(s) potentiel(s), y compris le(s)pus improbable(s), d’un lieu et d’un moment.

PAS _ Parcours Audio Sensible à Saillans (Drôme)
BZA – Festival « Et pendant ce temps là les avions »

Point d’ouïe – Traversée N° 4 – Postures, de la tête au pied, et réciproquement

L’écoute est affaire de posture(s).

L’écoute est posture in corpore audio .

L’écoute sans le corps n’existe pas.

Le corps sans l’écoute est privé d’un sens qui participe grandement à nous relier à la vie.

Posture physique, se tenir toute ouïe, devant, dans, autour, au sein, se tenir avec, contre, tout près, au loin, aller vers, s’éloigner… Se tenir dans une posture laissant l’écoute naitre, émerger, se développer, s’épanouir, jusqu’à s’éteindre.

Le corps écoutant est un réceptacle avide de ce qui bruisse, sonne résonne, vibre, comme une caisse de résonance amplifiant toute onde vibratoire, potentiellement sonore.

Assis, adossé, couché, l’oreille collée, dos à dos, nous trouvons des positions pour plonger dans les sonorités ambiantes. Nous cherchons les plus appropriées, ou les plus surprenantes, les plus décalées ou les plus rassurantes.

Toutes les cavités, les creux, les vides, les matières, viscères, peaux, membranes, de notre corps, sont comme des antennes internes, résonateurs sensibles qui tentent de nous synthoniser avec les champs de résonances nous entourant, nous traversant, nous mettant en sympathie avec la matière sonore vivante, et éventuellement ceux/celles qui la produisent.

Il nous faut accepter la posture d’être écoutant, donc d’être vibrant, voire la rechercher, pour en jouir plus pleinement.

La posture est aussi mentale.

Elle est ce que nous accepterons, rechercherons, développerons comme état d’esprit favorable à une immersion audio-sensible, à une expérimentation auriculaire partagée, parfois des plus excitantes.

Laisser se développer des images mentales propices à une écoute profonde1 qui nous reliera avec le vent chantant, l’oiseau pépiant, l’eau clapotante, le feu crépitant, le tonnerre roulant au loin, jusqu’à l’inaudible ressenti à fleur de peau.

La posture est également collective. C’est la façon dont un groupe communique non verbalement, par des gestes, regards, sourires, frôlements, danses, rituels pour communier d’une joie d’écouter ensemble. Écouter en groupe, c’est sublimer une scène sonore, couchés dans l’herbe nuit tombante, assis sur un banc dos à dos à ressentir la peau de l’autre vibrer contre la notre au gré des sons, le dos tourné aux sources acoustiques, les yeux fermés, main dans la main…

La posture peut donc être suggérée sans aucune paroles, par une proposition d’un corps écoutant et guidant, les mains en cônes derrière les oreilles, le regard visant un point sonore, l’index sur la bouche, invitant au silence, le regard dirigé vers, un arrêt soudain, statufié… Le non verbal développe un silence éloquent, peuplé de gestes comme autant d’invitations.

La posture s’en trouve parfois théâtralisée, jouée, comme un spectacle de rue qui ferait de chaque écoutant un acteur mettant l’écoute en scène, ou créant des scènes d’écoute. Les écoutants se mettent en scène d’écoutants, interpellant ainsi, dans l’espace public, des passants non avertis, posant la question d’une étrange oreille collective en action. Gestes étranges et singuliers, marcher en silence, très lentement, s’arrêter sans rien dire, garder une immobilité surprenante, sans même se regarder, repartir de concert, au gré des sons… venir gentiment perturber des espaces de vie quotidienne, par un corporalité tournée vers un bruitisme inattendu, car souvent inentendu.

Et ce jusque dans la posture de nos pieds, eux aussi antennes reliées au sol, au tellurique, aux courants souterrains invisibles mais tangibles, aux vibrations urbaines des mouvements et circulations underground. Une relation entre la terre, le solide, à l’aérien.

Des pieds qui nous mettront en mouvements vers une écoute en marche, qui imprimeront une vitesse, des cadences, qui infléchiront la posture de promeneur écoutant, invité à parcourir des espaces sonores infinis.

La posture peut être de se tenir poster, à l’affût du moindre bruit qui courre, non pas pour le capturer, ou l’éliminer, mais pour le percevoir dans une chaine d’éléments sonores où chaque bruissonance fait paysage. Laisser venir à soit les mille et une sonorités du monde dans une attitude curieuse et amène.

La posture est souvent dictée par le contexte et les aléas du moment. Elle nait de rencontres entre les corps et l’espace, les corps entre eux, l’espace et les sons, le corps et les sons. Elle peut naitre d’un simple toucher vibratile. Elle paraît s’imposer naturellement dans des circonstances qui poussent inconsciemment le corps à se fabriquer des jeux d’écoute, des situations ludiques qui répondront aux sollicitations de l’instant, et sans doute ouvriront de nouvelles perspectives.

Les ambiances sonores, mais aussi lumineuses, chaleureuses, les climats, les ressentis, influeront sur nos comportements d’écoutants, en développant des gestes qui mettront nos corps et nos esprits en situation symbiotique d’ouverture sensorielle, ou de fermeture, nous protégeant ainsi d’agressions stressantes, voire traumatiques.

La recherche de postures, si importante soit elle, n’est sans doute pas, pour moi, pour l’instant, un concept ou un processus théorisable, ou réduisible à un catalogue de gestes et d’attitudes possibles, boite à outils corporelle et mentale susceptible de répondre à des situations sensorielles subtiles et complexes.

C’est souvent une geste, une série de gestes, de connivences, d’interactions, de réflexes épidermiques, naturels, spontanées, plus ou moins, liés à des formes d’improvisations dans des parcours d’écoute dont nous ne maitrisons pas, loin de là, tous les accidents potentiels.

Il nous faut laisser émerger la posture comme un état corporel et mental stimulant, enrichissant, sans la forcer, pour ne pas tomber dans l’im-posture d’un corps qui jouerait faux. Et d’une écoute qui forcément, en pâtirait.

1Hommage à la Deep Listening de Pauline Oliveros

Paysage sonore qui est-tu ?

Translate this page

Depuis de nombreuses années, je me bats avec la notion de paysage sonore. Qu’est-il ? Que n’est-il pas ? Est-il vraiment ? Pendant longtemps, je l’ai approché comme un objet esthétique, un objet qui serait en quelque sorte digne d’intérêt, donc digne d’écoute. Je l’ai également considéré comme un marqueur environnemental, écologique, qui nous alerterait sur des problèmes de saturations, de pollution, de déséquilibres acoustiques, comme de paupérisation et de disparition. Aujourd’hui, son approche sociétale a tendance à prendre le pas dans ma démarche, sans toutefois renoncer aux premières problématiques. Mon projet questionne de plus en plus la façon d’installer l’écoute, plus que le son lui-même. Comment l’écoute du paysage sonore, son appréhension, son écriture, contribuent t-elles à nous relier un peu plus au monde, à une chose politique, au sens de repenser la cité, l’espace public, la Res publica, à l’aune de leurs milieux auriculaires ? Comment cette écoute s’adresse, même modestement, aux écoutants et écoutantes de bonne volonté, quels qu’ils ou elles soient ? Comment le paysage sonore peut-il s’alimenter, trouver ses sources, dans le terreau d’une série d’écoutes installées, y compris dans leur mobilité, partagées et engagées ?

L’écoute, une poïétique en résistance

Translate this page

Écouter est un geste volontaire, dans un contexte de faire, d’agir, de fabriquer, comme des écoutants impliqués que nous devrions être.

Écouter est un geste de résistance non violente, qui refuse d’absorber sans réfléchir toute pensée imposée, injonctions et autres commandements péremptoires.

Penser un paysage sonore partageable est une action politique, construite sur la poïétique, le faire, l’action, et l’esthesis, le percevoir, le ressentir.
Le son des rues, des voix en colères, des villes exacerbées, ou non, les média toujours plus multi, les injonctions, les actions artistiques hors-les murs, tout cela s’entend, plus ou moins bien, se propage, tisse une rumeur tenace, néanmoins émaillée de stridances, d’émergences saillantes.


Des histoires à portée d’oreilles en quelque sorte.


Tendre l’oreille ne doit pas être un geste innocent, pas non plus une action tiède, soumise à une pensée pré-mâchée, nivelée par les réseaux sociaux et les discours politiques épidermiques.


Porter l’écoute à l’intérieur, dans les hôpitaux, les prisons, les lieux de vie de personnes handicapées… est une chose des plus importantes, pour que la parole, les sons, circulent avec le plus de liberté que possible.
Faire sortir le son en dehors des murs, physiques et sociaux, matériels et psychiques, aide à comprendre des modes d’enfermements, l’expression de corps contraints, qui ne demandent qu’à faire savoir ce que peu de gens savent. Faire savoir, sans rechercher la compassion, sans se morfondre, sans chercher des justifications, des approbations, des félicitations, juste faire savoir, ce qui est déjà énorme.


Il faut également faire en sorte que l’écoute puisse être le témoin, et juger des bouleversements écologiques, biosanitaires en cours, qu’elle puisse être l’émulation, sinon le moteur d’une pensée écosophique, engagée, avec des aménageurs, des politiques, des chercheurs, des artistes, des citoyens…


Écouter, et si nécessaire apprendre à écouter,  sans se laisser noyer par l’écrasante masse sonore, médiatique, est une nécessité absolue pour ne pas devenir trop sourd au monde qui va bon train, sans doute trop bon train.


Écouter le vivant, humain et non humain compris, la forêt, la rivière, comme des co-habitants.es, voisinant et inter dépendants.es, est une façon de décentrer notre oreille vers des aménités qui nous seront de plus en plus nécessaires, voire vitales.


La poïétique de l’écoute est un moyen de créer de nouvelles formes d’entendre, de s’entendre, de nouveaux gestes sociétaux, de nouveaux chemins d’arpentage, de pensées, de nouvelles postures humaines aussi justes et sincères que possible, car nourries d’interrelations fécondes.
On ne peut plus se contenter d’être un écouteur passif, blasé, égocentré sur nos petites créations personnelles, ou trop en distanciel, mais, quels que soient nos terrains d’écoute, il nous faut agir dans des gestes collectifs, même à à des échelles territoriales moindre.


Et de nous rappeler cette maxime de Scarron « Car à bon entendeur salut ! »

Point d’ouïe, traces d’écoute imagée entre chiens et loups

Translate this page

Un jeudi soir, temps pluvieux, ciel joliment menaçant, du vent en rafale racle les feuilles mortes au sol.

Marcheur immobile, pause à l’affut de la ville.

Oreilles et regard entremêlés.

L’obscurité s’avance.

Les sons persistent et résistent.

L’espace et le temps ralentissent

Les voitures non, toujours pressées

et si empêchés retardées klaxonnantes

les gens se pausent et parlent

Et je reste discret observant écoutant

noyé dans la ville mouvante

qui s’assombrit doucement

en même temps qu’elle s’allume

ça crisse

grince

ferraille

rit

chuinte

s’enfonce dans la nuit

sans portant s’endormir

l’automne se pointe

raccourcissant les jours

sans rien faire taire pour l’instant

Instant suspendu

bascule sensible

Sons et lumières complices

offerts à qui veut bien s’en saisir

sans toutefois les asservir

tout juste une plongée urbaine

comme un spectacle de l’intime

tranche de ville

Point d’ouïe, connaitre et s’y re-connaitre

Translate this page

Plus de 20 ans à habiter dans ce même quartier, malgré d’incessants déplacements, y revenir toujours, s’ y ancrer en quelque sorte, comme dans un port où il fait bon mouiller pour s’y ressourcer.
Forcément, le temps marque un territoire, forcément, le temps fait territoire.
Territoire de vie, d’activité, de loisirs, de rencontres, d’habitudes, d’habitus. Territoire vu sans être vu parfois, ni entendu vraiment.
Par manque d’exotisme et de dépaysement ?
Et pourtant mille détails le construisent au quotidien. Se stratifient en mémoire vive.
Et parmi eux des sonorités à foison.
Je m’entends finalement bien avec ce coin de la place de Paris à Lyon 9e.
J’y connais et reconnais tant de choses repères, balises, marqueurs…
Les cloches voisines.
Les voix de mes voisins.
De certains passants.
Des commerçants.
Des camelots et primeurs des marchés.
Des clients du bar en bas.
Des trains ferraillant sur le pont.
Des marchés qui s’installent, et se plient.
Des surprenants échos sous le pont Schuman.
Un haut-parleur qui crachote depuis des années dans le hall de la station de métro.
La sirène des premiers mercredis du mois à midi, sur le toit du théâtre.
Les cliquetis du volet roulant du bar en face
Et même la Saône silencieuse.

Toujours trouver un terrain d’entente.
Même s’il semble instable.
Surtout s’il semble instable.
Et avec ta ville, ton quartier, comment tu t’entends ?

Point d’ouïe – Quelque chose qui cloche ?

241a4676f5724b918f4dffb320f060975a67fe60

A mesdames les cloches

J’ai déjà bien des fois

écrit et dit des choses

sur ces dames d’airain

mais sans doute pas assez

au-delà de leur fonction religieuse

elles sont

instrument musical

installation sonore ancestrale à ciel ouvert

animatrice de paysage

paysage à elles-seules

marqueur du temps qui passe

et ce depuis très longtemps déjà

à une époque et dans des lieux

journal local

des volées saluant naissances et mariages

des glas plus sinistres

des alarmes en tocsin

elles sont marqueur de territoire

phare auditif

signal géographique spatio-temporel

tenant les habitants sous leur bienveillante résonance

signature acoustique du quartier

jusque parfois à l’esprit de clocher

objet de controverse

à cloche-oreille

entre leurs admirateurs et leurs détracteurs

empêcheurs de sonner en rond

près de chez moi elles sont quatre

juchées tout en haut d’une imposante tour de pierre

surmontées de drôles d’angelots dorés

bien visibles dans leur chambre ajourée

elles tintent joliment

et chaque soir à vingt heures

en ces temps confinés

elles élargissent l’espace

en carillonnantes notes égrainées

et leur volée festive

se mêle aux applaudissements,

aux vivats et charivaris en fenêtres

il y a quelque chose qui cloche

mais c’est normal.

@photo Blandine Rivoire – @texte et sons Gilles Malatray

En écoute à 20heures, place de Paris, Lyon 9e

Rituels sonores, points d’ouïe confinés, de la répétition et des variations

tumblr_static_2fxrdkganluswos04oggoow84

Depuis longtemps, j’admire Georges Pérec, homme de la description, de la répétition, de l’épuisement… Un immeuble décortiqué dans ses habitus, ses interrelations, la tentation d’épuiser, dit l’auteur, non pas la totalité mais des fragments de vies… mais aussi d’épuiser un lieu parisien de la terrasse d’un café, ou de se jouer des espaces gigognes, d’une feuille de papier à l’univers entier.
Une démarche oulipienne, quasi phénoménologique, fascinante, qui personnellement, m’inspire beaucoup dans mes approches audio paysagères.
Repérer des bancs dans une ville, les tester, en choisir un comme modèle de référence pour s’y poser régulièrement et écouter, réécouter, encore et encore, arpenter des espaces récurrents, des fontaines, des acoustiques réverbérantes, tenter ainsi se comprendre un peu mieux les lieux, lors de résidences artistiques, comme dans nos propres espace de vie. Des espaces pensés en des laboratoires d’écoute(s), en lieux d’expérimentation du sensible…
Bref, jouer sur des répétitions, des séries, des récurrences, de l’infime particule au paysage étalé.
J’adore également des photographes qui déclinent d’innombrables variations thématiques, autour justement du paysage, mais aussi d’objets, de personnages, d’architectures… Des métiers de Paris d’Eugène Atget aux stations services abandonnées, restaurants chinois, caravanes… d’Éric Tabucchi.

A l’heure où j’écris ces lignes, je suis, comme tant d’autres, coronavirus oblige, confiné depuis deux semaines dans mon appartement lyonnais, période peu propice a priori pour expérimenter les séries dons je vous parlais préalablement. Et pourtant…

Tentant, dans des espaces restreints, à la mobilité très réduite vis à vis de mon nomadisme habituel, de garder une écoute, active, questionnante, et partagée, je lance donc, en début du confinement, un appel à contributions « les sons de ta fenêtre – Sounds at your Window » pour recueillir et partager dans un blog dédié, des sons confinés, de nos fenêtres ouvertes, balcons, terrasses, et au mieux, jardin. Sons, photos, vidéos, textes, tout est possible, se rapportant bien sûr à nos univers acoustiques en temps de crise, à leurs profondes modifications, dues notamment à la désertification des villes et villages. Je ne reviendrai pas ici sur la grande atténuation des sons de voitures, au profit de la ré-émergence des chants d’oiseaux, largement constatés et commentés dans les médias.

Entre temps, inspirés des chanteurs et musiciens aux fenêtres italiens, est apparu le rituel de 20H, mêlant applaudissements et vives de soutiens au personnel médical, et charivari de protestation visant plus particulièrement le monde politique face à sa politique de paupérisation du service public, notamment hospitalier.

Ce rituel crée donc les conditions propices à travailler sur des séries récurrentes. Moi-même, tous les soirs, j’enregistre, d’une même fenêtre, ces 20h applaudissant, donnant de la voix et de la casserole. De même que d’autres contributeurs -trices, dans différentes villes, m’envoient sons et vidéos de ces instants sonores et toniques partagés.

D’autres séries vont se mette en place, par le fait d’envois réguliers de sons et d’images, certains mêmes quotidiens, dans des lieux similaires, donnant une sorte de roman feuilleton des ambiances sonores de Paris, Holding au Danemark, et d’ailleurs.

Mon appétence à appréhender le monde sonore par des gestes réguliers, réitérés, des constantes géolocaliséess ou des thématiques à répétitions, alimentées dans une certaine durée se voit donc récompensée, au-delà du fait d’une quasi totale immobilité. Si tu ne vas pas vers les sons, les sons viendront à toi, dans un entonnoir élargis par les tuyaux et réseaux de l’internet.

Revenons aux sons de 20H, ceux que je nommerai ici des rituels covidiens.
Je reprendrai du reste, le cas de mes propres écoutes, et enregistrements journaliers.
En premier lieu, posons le cadre géographique. Une petite rue, assez resserrée, bordée d’immeubles anciens, quatre étages mais assez hauts, avec de larges trottoirs pour accueillir un marché.
Quartier urbain, populaire, anciennement industriel, à l’extrémité nord de Lyon.
Commerces de proximité, bars et restaurants sont assez nombreux, avec des marchés trois fois par semaine, quoique tout cela soit pour l’instant à l’arrêt.
Une grande place divisée en deux, avec des bancs et de vieux et hauts platanes, et une église de style contemporain, après la seconde guerre mondiale, possédant un clocher avec une chambre des cloches ouverte, et un mini carillon de quatre dames d’airiain qui sonnent joliment bien.
Pour l’instant, comme dans l’ensemble de la cité, tout est en grande partie désert, d’un calme pour le moins inhabituel.
Jusqu’à vingt heures en tous cas.
Quotidiennement, environ trois minutes de joyeux chahut réveillent l’espace.
J’y reconnais, au fil des jour, les mêmes voix, casseroles, paroles, et la volée de cloches qui s’en mêle.
A chaque ouvertures de fenêtres, un air de déjà entendu, et sans doute une signature acoustique spatio-temporel propre à cette rue et à ce rituel.
C’est rassurant de sentir une continuité, le mot est aujourd’hui très employé, construite sur des ambiances sonores récurrentes, faite de marqueurs acoustiques stables, identifiables, car répétés de soir en soir.
Cependant au-delà de cette apparence répétition, une qualité de nuances, de varitions, parfois subtiles, parfois très marquées se font entendre.
Variations dans l’évolution dynamique, l’entrée en jeu des « instruments », le crescendo et decrescendo plus ou moins long et soutenu.
Variations dans l’intensité, la durée, les « solistes » qui s’en détachent, les formes de réponses de fenêtre en fenêtre.
A chaque soir son concert, et ses repères, ses accroches, son ambiance locale, mais aussi ses singularités du jour.

Donc pour moi la possibilité d’assister, de participer, de capter et de partager, une forme de récurrence, ajoutée à celles envoyées par les contributeurs, que Pérec n’aurait sans doute pas renier.
Et sans doute une façon d’habiter, de se créer des repères, dans ces espaces-temps parfois assez anxiogènes, aux repères brouillés, difficiles à vivre dans leur enfermement. Une bouffée d’air et d’airs quotidienne pour beaucoup.

Explorer les seuils, une marche Vénissianne

seuil_670

©Claire Daudin

Claire Daudin, artiste plasticienne marcheuse, nous convie, lors d’une sortie de résidence artistique à lEspace d’Arts Plastiques, à une traversée Nord-Sud de la ville de Vénissieux. Une quinzaine de kilomètre à pied, en mode urbain et périurbain, pour arpenter les seuils de la ville. Seuils que l’artiste à découvert avec la complicité des habitants qui l’on emmené marcher à Venissieux.
Ces résidents, avec l’équipe du centre d’art et quelques curieux, lui emboiteront le pas, dans cette sortie de résidence singulière, tout en mouvement.
Les seuils sont multiples, nous le constaterons, des plus imposants au plus modeste, minimaux, quasi invisibles, imperceptibles.

Limites de la ville, lisières parfois affirmées et parfois ténues, voire indicibles, pas de porte où l’on échange entre le dedans et le dehors, y compris comme des espaces symboliques ou métaphoriques, lignes de tram, entrées de métro en espaces de télétransportation qui nous emmènent rapidement au centre de Lyon, vieille ville industrielle et post industrielle, immense cité des Minguettes des années 60, marchés, zones commerciales, écoles, périphériques franchis par dessus et par dessous, chantiers, jusqu’à la petite bordure de trottoir qui vient entraver la circulation d’un fauteuil roulant, les seuils nous montrent une ville qui ne cesse de se redessiner.

Autant de riches sujets d’échange lors de cette marche urbaine, dans une ville d’ailleurs déjà connue pour une longue déambulation historique, celle pour l’égalité et contre le racisme (1983), rebaptisée Marche des beurs.

Je laisserai ici à Claire l’exploration plastique et kinesthésique, et la construction de ses récits des seuils, d’entre-deux, sur lesquels elle a œuvré plusieurs mois durant, et qui lui a permis de rédiger un blog carnet de notes avec textes et photographies à l’appui.

52263823_10155713926640672_5540326800443310080_n

Ce jour là, j’avais pour ma part décidé, en contrepoint au travail de Claire, de tenter de comprendre si un seuil était décelable à l’oreille, et si oui, comment le retranscrire par la captation et le montage sonore. Un seuil est-il (aussi) auriculaire, acoustique, sonore ? Les ambiances écoutées au fil de cette marche tracent-elles des lisières, dessinent-elles des espaces, des passages, des contrastes, des fondus progressifs, des îlots, des porosités, des fermetures, des sas… ?
Bien sur, à force de promener mes oreilles urbi et orbi, j’avais déjà une petite idée de la chose. Néanmoins, sur cette longue traversée, pourrais-je, avec les autres marcheurs, construire une trace audible qui confirmerait, infirmerait ou nuancerait l’idée de seuils acoustiques ?

J’allais donc, micros en main, capter non pas l’intégralité de la marche, mais ici et là, de petits espaces-temps qui me semblaient significatifs. La ville quadrillée de ses axes de circulation, où s’infiltrent parfois de façon virulente et intrusive, voitures et autres engins motorisés, y compris sous-terrains. Ville ponctuée de voix, les nôtres, d’autres, de travaux, d’activités diverses, d’oiseaux, même en cette période hivernale, des bruits de pas, des commentaires, de questions… Un patchwork sonore montrant une cité multiple, complexe, parfois bouillonnante, parfois apaisée, parfois dans un entre-deux.

La réécoute des sons enregistrés me confirme qu’ils y a bien des espaces sonores qui font seuils, qui font entre-deux, qui font coupures, qui font transition, donc qui font sens.
Émerger d’un chantier, traverser une immense cité d’habitations, la regarder du haut d’un tertre enherbé, y assister au nettoyage d’un imposant marché achevé, se tenir sous un pont au cœur d’une circulation tout autour et au-dessus de nos têtes… des expériences sensorielles parfois déroutantes, mais qui nous font cheminer de l’oreille dans les méandres urbains. On passe parfois très rapidement d’une ambiance à un autres, seuils de coupures où tensions et apaisement se succèdent au fil d’une urbanisation chaotique, incertaine, surprenante.

Comme souvent, j’ai pris le parti ici de ne pas suivre un trame purement chronologique. Le parcours est revisité plutôt comme une forme de partition sonore discontinue qui, si elle reste assez fidèle à l’esprit des lieux, est réagencée pour nous faire sentir des seuils montrant une ville sans cesse en mouvement, à la fois tonique, parfois oppressante et parfois plus intime, où des oasis de calme installent des espaces de vie quiets, des proximités rassérénantes.

Les seuils, pour qui apprend à les déceler, nous font jouer avec les marges. Ils nous autorisent, notamment en marchécoutant, de prendre du plaisir à les appréhender, à les reconstruire, espaces hétérotopiques, urbanistiques, sensibles, esthétiques, sociaux, à fleur de tympan.

En écoute

 

51940873_10155705025440672_5979740334651867136_n

©Claire Daudin

Brasser les expériences, des Marchécoutes transdisciplinaires !

9C

Le PAS – Parcours Audio Sensible, la « Marchécoute », prédisposent des terrains d’entente qui me permettent de déployer et décliner différentes formes d’écoutes mobiles, ambulantes, souvent « minumentales » transdisciplinaires et collectives.

Les trois qualificatifs, à savoir mobiles, minumentales et collectives, sont d’autant plus importants qu’ils posent un premier cadre d’action, une première forme structurelle, à laquelle on pourrait ajouter une dimension temporelle, qui se situerait dans une durée plutôt longue, plus propice à l’immersion esthétique.

L’idée de transdiciplinarité quand à elle, implique la collaboration de différents protagonistes, issus d’univers professionnels, ou de champs de recherches, si possible différents.

Enfin, l’idée de pratiques hors-le-murs, hors des lieux généralement dédiés à certaines réalisations et recherches artistiques, scientifiques, vient compléter cette idée de « terrains d’entente ». Voici donc posé comme préalable, un cadre d’intervention qui pourrait convenir à un brassage d’expériences annoncé dans le titre de et article.

Je souhaiterais d’emblée, rencontrer, ou bien même construire, des espaces de rencontres entre des pratiques qui, je le déplore souvent, restent très cloisonnées, si ce n’est très chapellisées.

Ces terrains d’entente, au sens large et polysémique du terme, sans doute territoires hétéropiques façon Foucault, pourraient dans l’idéal, accueillir tant l’oreille et le geste du musicien, de l’artiste sonore, du marcheur-danseur-performeur, plasticien, écrivain, poète, scénographe, philosophe, paysagiste, urbaniste, architecte, sociologue, médecin, anthropologue, écologue… Et de tout citoyen marcheur écouteur de bonne volonté !

Imaginons des formes de laboratoires ouverts, où les paysages s’entendent autant qu’ils se voient, sinon plus, où la parole et les idées circulent sans avoir peur des silences, voire même en les privilégiant comme des ferments propices à la germination de nouvelles hybridations.

D’autre part, Nicolas Bourriaud, dans son approche de l’esthétique relationnelle, nous explique que fabriquer de la sociabilité, au-delà de fabriquer de l’œuvre, serait un des enjeux primordiaux de l’art, et ce afin de mieux habiter le monde. Le faire, et la façon de faire, de co-faire, est donc ici plus importante que toute résultante matérielle, dispositifs ou installations. La question esthétique, et au-delà d’un projet sociétal, le partage d’expériences, de savoir-faire, le fait de mettre son propre projet dans un bain collectif, implique d’accepter le risque de le voir se faire contaminer par d’autres, donc parfois d’être sensiblement détourné de son chemin initial. Gageons qu’il en ressortira plus riche encore, nourri de rencontres et de sérendipités fécondes.

Partir marcher en groupe, parfois sans leader guide, sans même des thématiques bien définies, hormis le fait de pratiquer collectivement un parcours auriculaire, et de laisser se développer des échanges assez libres, permet de quitter les sentiers battus, de ne pas se laisser enfermer dans une habitude sclérosante. L’altérité née du mouvement est une valeur ajoutée indéniable, pour qui sait l’accepter, la cultiver.

Dans cette idée, les corps marchants, mobiles, nomades, réceptifs, sont eux-même des espaces de création intérieure, en résonance avec les lieux, les co-acteurs et co-arpenteurs. Il est toujours stimulant de croiser de nombreux points de vue, d’ouïe, autour du monde sonore, des territoires d’écoute, de favoriser des pratiques mixtes, pour faire bouillonner tout cela, qui plus est à ciel ouvert. C’est une expérience somme toute assez rare. J’ai eu néanmoins la chance de participer très activement, il y a quelques années, à une de ces actions hybridantes. Un projet – une utopie ?- hélas aujourd’hui bel et bien terminé.

Sans avoir vécu une telle aventure, on a bin du mal à imaginer la richesse de rencontres, d’ateliers véritablement transdisciplinaires. Il est difficile, de l‘extérieur, de mesurer les bénéfices de tels brassages, où se mêlent les expériences et réflexions de musiciens, acousticiens, musicologues, poètes sonores, chercheurs en neurosciences, créateurs radiophoniques, audio naturalistes, éditeurs, aménageurs, enseignants, élus…

Ces espaces foisonnants sont des creusets effervescents, lieux de débats où l’écoute est sans cesse remise en question, et ravivée par des expériences dedans/dehors, des partages de savoirs, des écritures communes, et une foule d’interrogations fertiles…

C’est là où la marche, l’écoute, rassemblant des individus d’horizons divers, dans des lieux pas forcément dédiés, dans une mouvance polyphonique, ouvrent des espaces inédits, aux lisières et aux interstices jamais figées, offrant donc des parcelles de liberté exploratoire sans pareille.

Le problème étant de trouver, de créer, d’entretenir des occasions propices à ces échanges, à faire accepter de mettre en place des conditions de création originales. Ces dernières s’avérant parfois fort improbables, aux vues de l’institution, du centre d’art, de l’association, souvent peu habitués à de telles pratiques un brin déstabilisantes.

Sans parler du fait, hélas incontournable, de réunir des moyens matériels et financiers, logistiques, pour mener à bien ce genre de projets.

Même aujourd’hui où le système universitaire par exemple, met en place des UMR (Unités Mixtes de Recherches) et Labex (Laboratoires d’Excellence) réunissant plusieurs laboratoires de recherche, il faut néanmoins convaincre les partenaires potentiels de l’utilité de telles démarches croisées. Une difficulté étant, dans le domaines de l’écoute, du paysage sonore, de la marche comme outil perceptif, de considérer les recherches comme faisant une large part au sensible, parfois difficile à évaluer quantitativement, dans des résultats attendus, notamment dans le secteur des sciences humaines.

En premier lieu, défendre le fait qu’une recherche puise se dérouler hors-les-murs, dans des cadres théoriques bousculés, mêler création sonore, esthétique, artistique, et approches de territoires acoustiques, sociaux, écologiques, n’est pas forcément chose facilement saisissable. D’autant plus si la proposition émane de l’extérieur de l’institution !

On comprendra donc que les enjeux sont de taille, et le défi bien réel. Au-delà des contraintes administratives et financières, le fait même de réunir des activistes de domaines qui, a priori, n’ont pas obligation d’œuvrer de concert, dans un esprit de création, d’écritures collectives, est un premier challenge à surmonter. Se risquer à se frotter à l’autre dans toute sa différence, sa diversité, ne va pas toujours de soi.

Faut-il pour cela créer de nouvelles formes de structures, imaginer des équipes et des modes opératoires peut-être plus souples, plus informels, plus éphémères ? La question est posée, ne trouvant sans doute pas de réponses définitives et pleinement satisfaisantes.

Une forme de cas par cas doit-elle être envisagée, comme une fabrique de communs qui se retrouverait toujours différente, selon les projets et les protagonistes ?

L’itinérance, la mobilité, le non rattachement à des structures fortement structurées, voire un brin figées dans des habitudes professionnelles freinant certaines spontanéités innovantes est-elle une partie de réponse envisageable ? Ou bien un handicap supplémentaire ?

Un projet de territoire questionnant la diversité des acteurs, des lieux et des modes opératoires doit certainement questionner les contraintes contextuelles pour émuler des actions où chacun apporterait sa pierre à l’édifice tout en bénéficiant de véritables acquis partagés au sein d’une communauté, fut-elle éphémère, d’activistes marcheurs écouteurs.

JEU ÉCOUTE – Espaces – postures

Promeneur écoutant toujours inassouvi, quelques questions se posent à chaque PAS – Parcours Audio Sensibles, remettant en question mes façons de faire, selon les sites investis.

Qu’elle est la place de mon corps écoutant dans l’espace ?

Comment je place, déplace, mon corps écoutant dans l’espace ?

Comment l’espace propose à mon corps écoutant des postures qui « vont de soi » ?

Il est évident pour moi que la balade sonore, silencieuse, le PAS – Parcours Audio Sensible, ne sont en aucun cas des finalités. Ils sont plutôt des moyens d’action, des supports – dispositifs d’écoute, y compris et surtout à oreilles nues, des invitations à rencontrer le Paysage, le Monde, l’Autre, par le seul fait de tendre l’oreille, et d’avoir l’oreille tendre.

La question de la posture, je marche, je m’allonge, je m’adosse, je longe, je traverse, je m’assois, je suis avec l’autre, les autres… est au centre de l’écoute, et se construit pour, dans et avec l’espace.
Espace personnel, espace commun, singulier, physique, mental, autant de strates hétérotopiques que le corps traverse, et qui traversent le corps.

Le mouvement, le geste, la posture, la façon d’investir les lieux, vont créer un terrain propice pour entrer en vibration avec les lieux, trouver des résonances sympathiques, activer des empathies, partager des aménités, mettre l’écoutant en position de récepteur actif.

Trouver la bonne cadence, le moment opportun où s’assoir, le geste qui va caresser, effleurer, tendre la main, mettre en perspective le regard et l’oreille, implique d’avoir conscience d’une très forte adéquation entre le corps et l’espace, ou pour citer Perec, les Espèces d’espaces.

Le geste chorégraphique est sans doute celui que je sens le plus proche de ma façon d’appréhender l’écoute, bien que n’étant pas personnellement, tant s’en faut, un danseur digne de ce nom.
C’est d’ailleurs à ce point que peuvent se jouer des rencontres où chacun amène ses compétences pour enrichir mutuellement les expériences auriculaires, en croisant des sensibilités et savoir-faire, de façon à trouver des réponses et des enrichissements circonstanciés.

L’œil du photographe, du vidéaste, ou la maîtrise d’un paysage par le coup de crayon d’un artiste dessinateur, peintre, posent également d’autres repères, des représentations qui peuvent mettre l’oreille et la pensée dans des situations inédites, inouïes, en créant des stimuli dynamiques décalés.

Tout ce qui peut élargir le jeu, stimuler des postures qui me placent et me font agir au cœur même de l’écoute, de la construction de paysages sensibles, m’entraine à pousser plus avant mes pérégrinations d’un corps-oreille en quête de belles écoutes.

J’ai collecté ici une petite série d’images qui présentent ou me suggèrent des cheminement possibles. Et il y en a tant ! Tant d’autres possibles !

 

IMG_5617

Le dossier images par ici

 

Points d’ouïe, du sentier au chantier d’écoute

35646769816_f156840651_o

Les PAS – Parcours Audio Sensibles, jalonnés de haltes Points d’ouïe, mettent en avant des formes d’approches a priori paradoxales.
Au départ, tout est déjà là, installé, existant, préexistant, en mouvement, l’audible, le visuel, la matière, les multiples vibrations… Il n’y aurait donc plus qu’a puiser, tous sens activés, dans cette abondante ressource généreusement offerte à tout un chacun.
Pourtant, les PAS n’offrent pas une scène décorum auriculaire figée, « prête à l’écoute », mais engagent plutôt un chantier d’écoute permanent, à inventer et à construire et reconstruire au jour le jour, pas à pas.
Chacun doit fabriquer sa propre écoute, son propre paysage, qui ne sont pas d’emblée offerts comme une manne accessible et acquise sans effort.

Néanmoins, une des grandes richesses de ce perpétuel chantier est qu’il peut être activé dans tous les lieux possibles et imaginables, à n’importe quel moment, par des milliers de piétons (écoutants) planétaires, pour reprendre le formule de Thierry Davila*.

Plus que des réseaux, ou des objets numériques connectés, c’est l’oreille et par delà l’écoutant tout entier, corps vibrant, résonateur sensible, qui sont ici connectés en direct au monde. Et lorsque l’on prend conscience de cela, le chantier d’écoute n’en devient que plus intensément riche.

* http://www.amisdumagasin.com/2017/10/31/marcher-creer-deplacements-flaneries-derives-dans-lart-de-la-fin-du-xxe-paris/

Point d’ouïe – Face à la mer

Point d’ouïe – Face à la mer

Sweet SpotIn front of the Sea

 

56420f22-ecf5-4e33-806a-eb5eb5309673-original

 

C’est une illustration, presque une modélisation de mes Points d’ouïe, où le regard comme l’écoute recherchent une forme d’exaltation sensorielle, en même temps qu’une profonde sérénité…

C’est aussi un geste récurrent chez moi, que de placer une, ou des chaises, à un endroit acoustiquement stratégique, et d’y capter avidement le bruit du monde, ou d’une parcelle de monde. Une radio ouverte sur des ondes toujours en mouvement. Une installation sonore indomptée, à ciel ouvert, et à 360°. Ou bien encore de dénicher des bancs publics pour les transformer en bancs d’écoute, tout à la fois lieux d’échanges et affûts sonores…

Les images, parfois, suggèrent les sons, comme un beau paysage peut les attirer dans une scène d’écoute qui nous met, dans ces micros événements spatio-temporels, dans une profonde connivence avec le monde, si ce n’est une exaltante harmonie fusionnelle…

Point d’ouïe, une harpe éolienne lyonnaise

« En priant Dieu qu’il fit du vent… »*

Grange-Blanche_IMG_6224
Le principe de la harpe éolienne est (presque)  vieux comme le monde. Des cordes ou des boyaux tendus sur une caisse de résonance qui chantent sous le vent. C’est tout simple, et c’est magique ! Des luthiers de tous temps, y compris contemporains (voir les liens en pied d’article) ont imaginé des objets surprenants, captivants (capti’vents), tant par leurs esthétiques que par leurs sonorités.
Ces instruments libertaires, en pleine nature ou dans une ville, échappent en grande partie à notre contrôle, n’obéissant qu’à leur Dieu Éole, ce qui les rend encore plus fascinants. Musique des lieux qui ne se fait entendre que lorsque la brise ou la bise s’en mêlent.
Parfois, de façon inattendues, ce sont les haubans d’un pont, un échafaudage métallique ou d’autres structures érigées ici et là qui se mettent en vibration sous les caresses d’Éole.
A Lyon, métro Grange Blanche, c’est la sculpture cybernétique de Nicolas Schöffer. qui se transforme à certains moments en instrument éolien géant. A l’origine, le cybernétisme de la tour traduit une interaction, via les mouvements des voyageurs et des rames de métro, qui anime visuellement la sculpture via des néons colorés dont les teintes et les rythmes d’allumages fluctuent selon l’activité humaine et mécanique. Mais ce que j’aime tout particulièrement, ce sont ses longues plaintes, sortes de sirènes urbaines cherchant un Ulysse à envoûter les jours de grand vent. L’effet est-il pensé à l’origine, ou simple heureux hasard né sous le caprice des vents ? Peu importe, ces ambiances sont bel et bien magiques. Il ne me reste plus, pour vous le prouver, qu’à réaliser un enregistrement le moment opportun, et forcément imprévisible, sauf peut-être à consulter régulièrement la météo locale pour avoir un magnétophone en ce lieu et  à cet instant venté.
Par curiosité
* Citation empruntée à Georges Brassens « L’eau de la claire fontaine »

Postures – Installations d’écoute(s) collective(s)

Version forestière

34264195932_e3205cf6e7_k_d

Se tenir debout, longuement, immobile, au cœur de la forêt, et l’écouter bruisser. Aujourd’hui, ma recherche questionne les façons d’installer une forme d’écoute performative, via différentes postures physiques et mentales, quelque soit le lieu (nature/urbanité…) et de préférence en groupe.

Version panoramique

28126477643_ffa37881d6_k_d

Belvédère acoustique… Dominer le sujet ? pas vraiment certain d’y parvenir à ce jour…

La question de la posture, ou des postures, comme une façon d’installer de nouvelles formes d’écoute, donc de nouveaux paysages sonores, pose une problématique qui irrigue et alimente mes travaux, tant dans le faire que dans la réflexion. Comment donner vie à une écoute intense, collective, par quelles postures physiques et mentales ? Comment plonger ses oreilles dans une forêt comme en centre ville, en périphérie comme dans des sites architecturaux, en les transformant en scènes auditives, en installations sonores permanentes ? Et par delà, se pose la question de comment partager ces constructions sonores à un groupe, via des gestes performatifs, oscillant entre marche et immobilité ?

Version urbaine

28435036656_5193e683b8_k_d

La notion de groupe partageant une même (in)action, in-action, notamment celle de l’écoute est bien au cœur du questionnement. Comment mettre en place des espaces d’écoute par des formes de rituels, de cérémonies, la création des micro communautés éphémères d’écoutants ? Comment la trace du geste accompli  pourrait, à contrecoup, influencer (durablement) des sensibilités plus actives ?  Autant de terrains restant très largement à explorer… Jeux de l’ouïe, le chantier est vaste et d’autant plus passionnant.

« Donc, si vous voulez, mon art serait de vivre ; chaque seconde, chaque respiration est une œuvre qui n’est inscrite nulle part, qui n’est ni visuelle ni cérébrale. C’est une sorte d’euphorie constante. »
Marcel Duchamp

Enregistrer

POINT D’OUÏE GARES TRACES

TRACES Z’AUDIBLES

9369_10200865785583470_211076436_n

Assis, chaise urbaine ou
une gare
un banc
ou marchant
selon
la ville gare trace l’oreille
comme
l’oreille trace la ville gare
bips
bips
bips signe
pas
voix
trains
encore voix
encore train
train train
et pourtant non
question d’apaisement bruyant
et d’absence de silence
sonic Station list
la rumeur
diffuse
alentours
ou
le détail
juste à côté
juste devant juste derrière juste présent
souffles
des souffles
ses souffles
à quasi perte d’entendement
ventilation anthropomorphique comme in/expirante
gare toujours encore peut-être sûrement passages
hybridation de mon ici et de mes ailleurs
on ne sait où d’ailleurs
voix et autres voies
chants – gutturalités – tonalités
crissements à même les dalles
et autres contaminations et autres…
traces et fondus de métal sifflant
des collections ambiantementales
éclaboussées parmi d’autres
postures immobiles
propices à
ou
remises en marche
tout aussi propices à
halte stop pause arrêt sur dans pour
un cri des cris j’ai cris
…………………..
observatoire noyé
discret comme présent
assis dans les flux-mêmes
je suis-je siège écoutant
j’ai ouï je vois, cadrages enfilade de couloirs en perspectives
Je sens pressens ressens
espace gare à nous à vous à eux
terrain dit sonnant
je dis-je ludique
en écoute postée
je mes gares m’entendez-vous ?

saxe_interieur

 

Et les sons

 

Projets de ville en écoute

aaeaaqaaaaaaaalbaaaajgezmzk1ownhlwvjmgmtngvimy1imwzlltjlmdgzmwzhnzg2na

Pluie amplifiée sur toboggan acoustique – PAS – Parcours Audio Sensible avec l’Open Lab de Bron/Mermoz à Lyon (2015)

Ce que je fais, et continuerai avec vous, en 2017

J’emmène des gens marcher, pour visiter leur ville, ou d’autres espaces, par le petit bout de l’oreillette, ou le grand. Je leurs demande souvent « Et avec votre ville, comment vous entendez-vous? »

Nous expérimentons de concert des postures d’écoute et des lieux un brin et décalés, des micros installations sonores en marche. Nous privilégions le contextuel, quitte à être un brin déstabilisés, le relationnel, car ça fait du bien par les temps qui courent (trop vite !).

Nous inaugurons, très officiellement et cérémonieusement, des Points d’ouïe. Mais oui, c’est très très sérieux !

Nous testons différents modes de lectures/écritures sonores, graphiques, visuelles, corporelles, transmédiales…

Nous naviguons gaiment entre esthétique – musiques des lieux comme une gigantesque installation sonore à ciel ouvert, à à 360° – et écologie – aménités et fragilités de ces mêmes lieux.

Nous en discutons, ici et là, ou bien ailleurs.

Alors, si l’oreille vous démange, je me tiens à votre écoute pour en discuter in auditu, voire in situ !

Avec mes meilleurs vœux pour une année 2017 joliment bruissonnante.

Gilles Malatray

Promeneur écoutant et paysagiste sonore

 

15731731_1408896672454057_7030508615218708361_o

 

PAS – Parcours Audio Silencieux

Des PAS – Parcours Audio Sensibles aux  PAS – Parcours Audio Silencieux

enjoy_the_silence-1920x1080

Au seuil de cette année à venir, 2017 en marche(s), il me paraît judicieux de travailler en convoquant, autant que faire se peut, le silence.

En le convoquant d’avantage, plus fortement, autrement, en marche ou en points d’ouïe.

Dans une société bruyante, trépidante, voire tonitruante,  où certains espaces sont électrisés de stress sonore, où l’homme qui a peur du vide – silence de mort – meuble l’espace-temps à grands coups de musiques, de vrombissements, d’éclats, de cris, le silence doit se faire résistance !

Le silence, ou faire silence, est un acte épiphanique, faisant apparaitre à notre conscience la richesse du monde par l’écoute.

Le silence est un écrin où se posent les sons. Il les magnifie en offrant à l’oreille de belles plages de  calme, où peuvent s’installer les plus fines et intimes perles soniques.

Le silence est recueillement pour assoir un rituel d’écoute et  pénétrer de pleine oreille dans le monde des sons vivants.

Le silence est un contrepoint, voir un contrepoids, à l’excès qui gangrène certains espaces urbains d’une folle surenchère acoustique.

Le silence est une quête, entrant certainement dans le champ des nombreuses utopies, dont le caractère improbable nous pousse justement à les cultiver pour tenter d’y trouver ce qui pour nous fera sens,  donnera du sens à notre vie.

Le silence est l’instant où chacun retient son souffle, dans l’attente de quelque chose , de la quiétude au pire chaos.

Le silence est une posture, une forme de transe, où  l’on pénètre, sans mot dire, un peu plus profondément dans soi, et dans le monde,  un recentrement initiatique.

Le silence, contemplatif, en marche, est une façon de consolider des synergies relationnelles, où le faire ensemble prime sur toute construction matérielle.

Le silence est l’espace interstice qui cimente les sons, en fabriquant des rythmes de pleins et de déliés, de continuums ou d’itérations, contribuant à écrire le récit des choses entendues, des paysages construits de toute ouïe.

Le silence est bien d’autres choses encore, et bien d’autres choses en corps.

Les PAS – Parcours Audio sensibles, sont donc aussi, parfois, des PAS – Parcours Audio Silencieux, marches silencieuses, quand bien même, et surtout, peuplés et façonnés de sons.

colors-of-silence

Cinglante écoute

e

dsc_0131

en hivernal sec parcourerue
froidure telle pierromarbre
coupance telle pointelaméfilée
sons cingleventeux
champ scintillé tel longuouïe
chant des gouttes fluoaqueuses
mordense telle cristalogivre
oreilles auriculairement gelée tympanique
bise crument ocrougissante
lobes ourlés rosempourprés
quasi hypodérature cassante
cristaux scintilletintants
fleur d’eau grasse des rives
fleuve tel paresse clappotembourbée
ville indolente bruitemmitouflée
grondements sourdomeurtris
échappements polufumants
carrosseries réfléluisantes
sonitruance telle audiogelure                                                                                                                villes de grandes sonitudes
échomarche telle réchauffe
rythmes saccadacérés
luminopadaires contre sombrétoiles
apprentinomades tel poctuomarcheurs
glacés de tentaculicité
ville telle improbable sociorefuge
extérieuration telle nocturnuitée
quaidérives tels guides aquasoniques
glougloutances telles microbulles mourantes
pas dissonants au temps qu’hasardeux
pavés tels obscurs sonomiroirs
rues telles labyrhintoméandres
marches telles itérépétitions
itinébravance scandée frisqueuse
promeneur tel permanécoutant.

Partager les « Chants de la Terre »

14729287_313361262364072_5304727367977220785_n

PAS – Parcours Audio Sensibles, des ateliers à ciel ouvert

Arpenter le terrain-paysage comme un atelier d’écoute à ciel ouvert, une radio diffusant les innombrables musiques du Monde à 360°.

Écrire de multiples chemins d’écoute, trouver les lieux où l’oreille soit au centre-même d’espaces auriculaires magnifiés.

Construire des relations intimes, privilégiées, entre les écoutants, le paysage sonore, chercher les postures communes qui feront d’un groupe d’écoutants une véritable enceinte acoustique vivante, sensible et réactive.

Envisager tout ce qui peut nous relier aux sonorités du monde, notamment en favorisant les interactions – les gestes, les objets, les écrits, les graphismes, les images, les sculptures et architectures, même infiniment fragiles et éphémères.

Rechercher toutes les connivences entre artistes musiciens, danseurs, sculpteurs, architectes, plasticiens, poètes, sculpteurs, aménageurs, pédagogues, chercheurs, marcheurs, écoutants des villes et des campagnes.

Chercher le paysage hétérotopique, multiple, le repérer, tenter d’en trouver les ou des contours, tout en continuant de l’improviser au gré des marches.

Privilégier une forme de tourisme culturel respectueux, privilégiant des approches écosophiques, en s’appuyant sur l’existant plus que sur de nouvelles couches de sons rajoutés.

Transmettre par la parole, l’expérience, le partage de gestes et de postures d’écoute, l’inscription de parcours sensibles tracés de l’oreille à même le chemin.

Desartsonnants dans ses PAS est toujours en quête de belles expériences d’écriture in situ, de rencontres pétries des sons de la Terre.

L’écoute manifeste !

L’écoute est un bien commun !

desartsonnants-semaine-2013-auch-promenade-ec-l-gb7r_a

Depuis 1986, époque où une série de rencontres ont ouvert les oreilles du jeune musicien et horticulteur paysagiste que j’étais  sur l’environnement, le paysage, des choses ont changé, avancé, évolué, d’autres non.
Certains domaines, pratiques, ont reconnu, plus ou moins, la nécessité d’intégrer la chose sonore dans  des actions de sensibilisation, voire, mais encore très rarement, dans des projets d’aménagement du territoire. Je ne parle pas ici des études qui incluent des cartes de bruits, des impacts mesurés essentiellement en terme de volume sonométrique, quantitatifs, des mesures législatives et réglementations diverses qui, si elles sont absolument nécessaires, ne suffisent pas pour autant à a offrir une lecture et un panel d’actions réellement pertinentes.
Certes me répond t-on souvent, le côté esthétique et l’approche sensible sont aussi convoquées. Pourtant, lorsque je rencontres des ingénieurs, techniciens, étudiants, élus, et des habitants de grandes métropoles comme de communes rurales, je me rends bien vite compte à quel point l’environnement, le paysage sonore, au-delà de quelques poncifs, restent de grands inconnus. La majorité des personnes rencontrées ne raisonnent qu’en considérant le son comme source de bruit, pollution, gène, ce qui peut d’ailleurs s’expliquer face à des aménagements parfois radicaux de grandes cités, le développement de couloirs aériens pour le moins intrusifs, la voiture reine… Néanmoins, lorsque l’on promène ses oreilles ici ou là, et que de surcroit on emmène avec soi d’autres paires d’oreilles, lorsqu’on établit de nouvelles règles du jeu, ou de nouveaux modes de jeu, que le dialogue collectif nous permet de laisser de côté des a priori réducteurs, les choses changent. On peut alors envisager nos rapports au paysage sonore sous des aspects plus positifs, et surtout plus ouverts, découvrir des aménités paysagères par l’écoute, s’apercevoir qu’il existe de véritables oasis acoustiques en plein cœur des cités, une diversité sonore beaucoup plus grande qu’on aurait pu l’imaginer de prime abord, des zones de calmes à préserver, à protéger, d’autres restant à construire…
Je déplore souvent que la sensibilisation aux « bruits » ne dépasse guère le stade de l’animation où il s’agira de reconnaître et de nommer les sources sonores écoutées. Bien sûr, je caricature un brin, quoi que… Nous manquons bien souvent d’outils, mais surtout d’imagination, et sans doute du plaisir de faire, et de l’envie de se faire plaisir, et de faire plaisir ! Il faut entrer amoureusement, avec délice, jubilation, dans les arcanes sonores d’un lieu pour entreprendre ensuite des scénarii qui seront vraiment pertinents, en adéquation avec les espaces. On ne peut pas transposer d’un quartier à un autre, de villages en villages, de forêts en forêts, des recettes toutes faites, ne serait-ce qu’une simple balade sonore. Il faut commencer par donner l’envie et le plaisir d’écouter, en se détachant autant que faire ce peut d’un catastrophisme sonore permanent. Rechercher les aménités, c’est déjà considérer qu’il puisse y en avoir, quelque soit le lieu appréhendé, même s’il faut les traquer dans de micros écoutes, des espaces surprenants, des parcours décalés. J’ai appris, à force d’écoutes, d’errances, de repérages, à trouver assez vite  l’oasis (sonore) que cache tout désert, pour reprendre une pensée de Saint-Exupéry. Je réfléchis  beaucoup aujourd’hui, à la façon de transmettre ces joies de traquer de belles ambiances sonores, fussent-elles éphémères et parfois cachées. Je pense que cette quête du plaisir, voire du bonheur d’entendre, de s’entendre avec, est une clé pour ouvrir des approches plus intelligentes, variées, entreprenantes sur l’idée d’un paysage sonore qui pourrait aussi se penser en amont, et non pas tenter de se soigner lorsque le chaos s’installe, et pire encore, est déjà installé entre les deux oreilles.
Le partage d’écoute, au-delà d’un simple exercice pédagogique, est au centre du projet. La relation instaurée entre un groupe de promeneurs écoutants doit être forte, l’expérience vécue intense, quitte à bousculer le train-train d’une l’oreille assoupie, voir refermée, sclérosée par le ronronnement ambiant. Il nous faut savoir plonger dans ce ronronnement pour en découvrir, au-delà d’une apparente uniformité, mille richesses intrinsèques, comme lorsque la loupe vient nous révéler l’extraordinaire complexité, et beauté, d’une simple roche, feuille d’arbre, ou sillons d’une main. C’est avec ce regard/écoute aiguisé, excité, que nous devons nous défaire de jugements par trop approximatifs, ou excessifs. Pour cela, chaque lieu, chaque moment, chaque groupe doivent être envisagés comme une nouvelle expérience, qui nous conduira à rechercher des postures physiques et intellectuelles des plus stimulantes, ouvertes vers l’espace acoustique, mais  aussi vers l’homo-écoutant.
Dés lors, le rapport que l’on pourra avoir avec l’aménageur, l’architecte, le paysagiste, l’urbaniste, l’écologue, le chercheur, l’enseignant, le promeneur, sera sans doute plus riche, plus dynamique, et plus fécond.
Envisager des écosystèmes acoustiques comme des espaces certes fragiles, comme tout écosystème du reste, sous des angles esthétiques, avec une recherche de la « belle écoute », comme des espaces publics où l’oreille a aussi son mot à dire, est un défi à relever, pour moi, au quotidien. Considérer que le son puisse être un véritable patrimoine à gérer, à transmettre, que le son d’uns cloche ne se mesure pas seulement en décibels, mais aussi en terme de phare auditif qualitatif, qui vient lutter contre l’uniformisation de la ville-voitures, que l’implantation d’une fontaine doit être réfléchie en terme de puissance sonore pour ne pas écraser acoustiquement une place, tout cela ne s’impose pas vraiment comme des réflexions et réflexes naturels.
Le fait de reposer une oreille neuve, curieuse, aventureuse, réjouie, de consigner ses écoutes, d’échanger, d’expérimenter mille parcours et postures ad hoc en fonction des lieux, de concevoir des conditions d’écoutes inouïes, même très modestement, et peut-être surtout très modestement, en se contentant de décaler le quotidien, est un programme des plus passionnants, et qui plus est bien loin d’être achevé. Avant tout, même si nous vivons dans un monde qui semble s’emballer, pour le meilleur et pour le pire, il faut faire en sorte que la joie demeure, celle d’écouter, qu’elle se partage, qu’elle nous questionne, qu’elle nous pousse à réagir, à agir, qu’elle nous procure des espaces de bien-être pour affronter de multiples tensions, en faisant d’ailleurs en sorte que l’espace sonore soit plus une musique collective qu’une tension supplémentaire.

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

LABEL ÉCOUTE

UNE CHARTE, DES LABELS, UNE RECONNAISSANCE POUR LA QUALITÉ SONORE DES VILLES ET DES SITES NATURELS, PATRIMONIAUX…

camping-belvedere

Il existe un classement « villes fleuries », des labels  « villes patrimoniales » ou « d’art et d’histoire » un classement des « plus beaux villages de France » des « stations vertes », des « petites cités de caractère » des « pavillons bleus » pour les plages et même des « villes internet »…

Il exige des sites naturels remarquables, parfois inscrits au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO.

Il existe des labels gastronomiques, des tables de prestiges, des « spécialités traditionnelles garanties » des routes des vins…

Et certainement tant d’autres exemples

Pourquoi n’existerait-il pas des labels « Sites acoustiques remarquables », « Traditions sonores », des chartes « Site éc(h)osystème fragile et acoustiquement protégé », des classements « Qualité sonore urbaine »… ?

Pourquoi protège  t-on et valorise t-on essentiellement le visuel, et le gustatif, délaissant l’écoute (et souvent l’odorat) ?

Pourquoi nos oreilles n’auraient-elles pas droit à une prise en compte esthétique, sensible, qualitative, patrimoniale  de leurs environnements ?

Pourquoi ne garantirait-on pas aux oreilles futures, des lendemains qui chantent (un peu mieux?), au plus juste sens du terme ?

Certes, il existe un trophée national « Décibel d’or« , décerné par le CIDB (Centre d’Information Du Bruit), mais il reste encore très « bruit/nuisances/technologies d’isolation phonique » et  n’aboutit pas vraiment à développer des actions directement liées  à l’aménagement du territoire, y compris ici par le sonore. 

Certes, il existe également aujourd’hui une directive européenne  tentant de définir l’existence et la mise en place de « Zones calmes», mais cette dernière est encore essentiellement axée sur des mesures sonométriques, quantitatives, normatives et législatives (voire les définitions ci-après).

  • « zone calme d’une agglomération » (« une zone délimitée par l’autorité compétente qui, par exemple, n’est pas exposée à une valeur de Lden ou d’un autre indicateur de bruit approprié, supérieure à une certaine valeur déterminée par l’État-membre, quelle que soit la source de bruit considérée »)
  • « zone calme en rase campagne » (« une zone délimitée par l’autorité compétente, qui n’est pas exposée au bruit de la circulation, au bruit industriel ou au bruit résultant d’activité de détente »).

 

Néanmoins, les notions de patrimoine, d’esthétique, de culturel, de valorisation territoriale, de tourisme culturel (voire l’action menée dans le Parc Naturel Régional du Haut-Jura*) sont pratiquement ignorées dans cette approche réglementaire qui, si elle s’avère d’utilité publique, et donc indispensable, n’est pas en soit suffisante.

Label Écoute resterait- elle une notion du domaine de l’utopie auriculaire ?

Ou bien pourrait-il  mettre en branle des idées (et des sites) à valoriser, à défendre, vers des aménités paysagères qui nous éviteraient  une surdité physique autant que sociale ? (Voire le Manifeste Sommes nous tous devenus sourds ?)

 

http://www.saint-claude-haut-jura.com/sites-sonores.html#.V1-0mo6bHp8 – Action proposée et réalisée par l’association Acirène pour et avec le PNR du Haut-Jura

Enregistrer

SOMMES NOUS TOUS DEVENUS SOURDS ?

MANIFESTE POUR UN BON ENTENDEMENT

img-11775402e

Il y a quelques années déjà, disparaissait le projet « Centre du son ».

Ce projet était bâti sur un centre de ressources des domaines du son basé dans le Nord de l’Isère.

Il a notamment organisé les « États Généraux du Son », où se sont croisés  nombres de professionnels, chercheurs, enseignants, artistes, techniciens, élus, gestionnaires de projets culturels… œuvrant dans différentes branches professionnelles.

Le site du Centre du son ayant disparu avec l’association qui le portait, j’ai conservé précieusement ce texte manifeste qui amorçait les États Généraux du Son, et que je vous livre ici dans son intégralité.

 

Sommes nous tous devenus sourds ?

Nous vivons dans un monde sonore du premier cri au dernier souffle
Sommes-nous aveuglément sourds à tout ce qui nous entoure
Tout juste capables de nous indigner du bruit de l’autre le voisin

Par ce manifeste
nous affirmons
le droit de chacun à vivre pleinement la dimension sonore de son existence

tels
la qualité sonore des espaces publics des espaces privés
les sons de nos objets et des outils
la sonorisation des spectacles
la radio créative et créatrice
des sons pour dire une voix pour être
une technique son sensible et imaginative
des initiatives industrielles en faveur du sonore
des mémoires orales encore vives
l’exploration sonore dès l’enfance
l’écoute des paysages
le son à l’image
et tant d’autres

nous constatons
la méconnaissance générale de l’histoire humaine et technique du son
l’ignorance fréquente de la physiologie de l’audition de la phonation
une résignation à la médiocrité

nous refusons
que l’être humain se prive d’une source de satisfaction sensorielle indispensable à son équilibre
nécessaire à la constitution de sa mémoire à la formation de son esprit
à l’enrichissement de son imaginaire à sa vie en société

nous dénonçons
la faible reconnaissance de la dimension sonore dans nos vies professionnelles et au quotidien

nous proposons
une mise en évidence de l’étendue des domaines sonores
une valorisation de ses acteurs organismes recherches créations productions et cætera

nous décidons
de réunir les États généraux du son
pour établir des constats communs
pour définir ensemble des propositions à concrétiser d’urgence

nous lançons ce jour
un appel à doléances
à chacun professionnel ou non
à partir de votre expérience du sonore
vos colères vos désirs vos satisfactions

Faîtes-nous part
de vos constats
de vos propositions

Vos dires construiront les Etats généraux du son

Enregistrer

Enregistrer

DES CORPS SONORES

La peau est si sonore…

corps-sonores-appel-contribution-l-nmd9mm

Parce que l’écoute serait un prétexte.
Un prétexte à métamorphoser le corps.
Un corps qui deviendrait lui-même écoute, membrane vibrante, amplificateur, transducteur d’images mentales, accumulateur de particules sonnantes ou dissonnantes.
Un corps qui serait vivifié par tous les pores d’une peau membrane oreille tendue, pour vibrer au contact de l’espace acoustique qui l’enveloppe, et mieux l’assimiler, en résonance.

Parce que l’écoute serait révélatrice.
Une révélation qui, tel un bain de développement photographique, impressionnerait la pellicule corporelle d’images sonores en vibrations frissonnantes.
Et l’image de s’ancrer dans des corps résonnants.
Et l’image de s’encrer sur une peau toile partition de mots, oscillant entre tumulte et silence.

Parce que l’écoute serait un récit.
Un récit qui se transmettrait, se partagerait, de bouche à oreille, brodé d’infinies variations.
Un récit où le mot se ferait son, et inversement, cherchant parfois la source-même des bruits les plus diffus, ceux qui s’inscrivent presque indiciblement, à peine audibles –
ceux dont il faudrait cherche le sens en les écoutant sans cesse, d’une oreille sans préjugés.

Le paysage pourrait alors se peupler d’une foule de corps entendants, tissant une multitude de fils à démêler sans cesse, car empêtrés dans leurs propres vibrations imprévisibles et capricieuses, et qui de toute façon jamais ne se répéteraient à l’identique.

Et ainsi, l’écoute fermenterait les mots, qui pourraient lire et écrire le texte sonore de chaque lieu, le texte sonore de chacun, à fleur de peau et de tympan.
Le texte de corps sonores en écoute.

INSTALLER DE L’ECOUTE

13769478_10153779061984856_8296010975499282897_n

@Crédit Photo Yuko Katori

Je m’installe devant, dans un paysage, je l’écoute, je le regarde, je l’arpente, et il me dit ce que je peux y faire, et ne pas y faire. C’est lui qui s’installe alors devant, autour de moi. C’est lui qui guide, voire dicte mes gestes, mes actions, mes projets.
Il se pose, à un moment donné, suite à une forme d’apprivoisement mutuel, en contraintes déchiffrées, en évidences décelées. Il me saute aux yeux, et aux oreilles. Il s’offre comme je m’offre à lui, dans une respectueuse synergie.
Il me faut pour cela une certaine lenteur, une prise de temps à ménager, un non stress me protégeant d’agir dans l’urgence, dans le superficiel, tout ce qui met à mal la connivence.
Alors s’installe l’écoute.
Alors s’installe l’écoutant.
Alors peut s’installer le partage.
Cette connivence artiste paysage établie, pour moi aussi via le canal auditif, je pourrai dés lors, en toute honnêteté, inviter à écouter ensemble.
Certaines fois, les connections sensibles s’opèrent rapidement, logiquement, avec aisance et facilité.
D’autres fois, le territoire résiste, moins spectaculaire peut-être, ou plus réservé, plus taiseux, plus secret.
Il faut alors user de patience, varier les angles d’écoute, gratter les interstices, coller l’oreille à la matière-même pour chercher le presque indicible, afin de bien m’entendre avec les lieux.
Il me faut également chercher les manières de partager intimement ce qui ne s’offre pas spontanément à l’oreille. Le paysage alors se mérite, il nous demande des efforts pour en jouir enfin.
L’écoute se déploie alors, s’installe comme une oeuvre collective, relationnelle, fusionnelle, émotionnelle, à 360°.

1779847_877684532241943_1600903346730806620_n

@crédit photo Maxime Jardry

Environnement, écologie et arts sonores. Faire entendre mes tissages, métissage.

Environnement, écologie et arts sonores. Faire entendre mes tissages, métissage

ECOUTE

Faire entendre, donner à entendre

Une question, a priori simple,voire un brin bêtasse me revient régulièrement l’esprit: mais que fais-je donc, avec mes postures, auto-proclamées, de promeneur écoutant, et parfois de paysagiste sonore ?
Une réponse, sans doute simpliste : je tente de faire entendre, ou de donner à entendre, avec une forme de générosité intrinsèque indiquée par le  don.
Mais donner à entendre quoi ?
Donner à entendre l’existant, le quotidien, ce qui est « à l’état (presque) naturel », l’environnement sonore en quelque sorte.
Donner à entendre les constructions, les fabrications, les compositions musicales et sonores qui contribuent à modeler l’espace, les scènes d’écoute. Y compris les agencements nés d’une simple écoute musicalisée. Et si l’espace manque de ce genre de musiques, ne pas hésiter à les composer, dans le respect des lieux de leurs tailles, dans la recherche d’un équilibre ne donnant pas prise à l’envahissement de la rumeur. De la musique des lieux aux arts sonores, si tant est que la première n’en soit pas fondamentalement un.
Donner à entendre ce qui semble paraître beau, ou non, avec toutes les pincettes et  et les précautions d’usage liées aux approches culturelles, au contexte, à l’humain, aux mille et une perceptions… Chercher les aménités paysagères au travers l’écoute. Une construction esthétique du sonore, ou une construction sonore de l’esthétique paysagère…
Donner entendre les stabilités, les fragilités, ce qui semble ou est menacé, parfois dégradé, dysfonctionnant… Donner à prendre conscience. Le son comme un révélateur de choses en voie de disparition, d’une forme d’antropocène plus avancé qu’on ne pourrait le penser. Vous avez dit écologie sonore ?
Les frontières, les limites de ces positions sont minces, fluctuantes, poreuses, voire parfois inexistantes, ou construites in auditu. Construites pour structurer une analyse, un discours, un récit, pour avoir un peu plus de prise sur l’intangibilité et l’évanescence des matières sonores. Construites pour rassurer l’écoutant , son auditoire, devant la complexité (grandissante ?) du monde sonore.
Une autre problématique se profile, concernant le faire, ou le donner à entendre, des paysages pluriels, recomposés, revisités, entre autre par les prismes de l’esthéthétisation, de l’artialisation sono-paysagère. On s’aperçoit alors que les écritures convoquées replacent néanmoins, pour moi en tous cas, la chose sonore dans un questionnement multiple, social, culturel, relationnel, mais aussi écologique. Nos y revenons donc.
Donner à entendre, faire entendre, faire ensemble, faire s’entendre, ou tenter de le faire….
Il faut battre les faires pendant qu’ils sont chauds, et sans doute avant qu’ils ne ne révèlent des choses bien  trop brûlantes, si temps est qu’il soit encore temps.

RITUEL DU BANC D’ÉCOUTE

STATUTS, PASSAGES ET RITUELS

Bancs roquette

Comment un simple jeu, celui des bancs d’écoute, s’instaure t-il progressivement comme une habitude, un geste récurrent, une sorte d’exercice, d’entrainement, de gammes pour l’oreille, pour finalement se ritualiser en une fête cérémonie structurante de l’écoute, du paysage en point d’ouïe, et de l’écoutant.

 

LES LISTES NOURRICIÈRES

LE POUVOIR DES LISTES
Ou la construction de paysages sonores par des procédés langagiers énumératifs

x510_ombre_luc_kerleo-pagespeed-ic-ssghbkzngo

J’ai toujours aimé les listes, les suites logiques, même si personnellement j’ai une logique assez distendue et capricieuse, les inventaires, les accumulations, les énumérations…
Rabelais et ses litanies, Prévert et ses inventaires, Anne-James Chaton et ses listes de courses, Eco et ses listes linguistiques et littéraires, Perec et ses tentatives d’épuisement ou ses variations, les listes me fascinent.
Lorsque le mot, l’image, ne suffisent plus, il faut les étendre, les augmenter, les traverser  par d’autres, vers d’autres. Et cela selon une certaine logique, ou non – Listes/classements alphabétiques, numériques, ordonnées, ou désordonnées, cadavres exquis, associations d’idées, même singulières et anachroniques, voire loufoques, associations de sonorités, de rimes… La liste semble s’auto-entretenir pour construire son propre monde. Cherche t-elle une forme d’épuisement, de finitude, de variations en redondances, via des saturations, des sauts et des passages sans fin ?
Par la liste, c’est ainsi, parfois, souvent, que j’appréhende certaines méthodologies, ou rendus, via l’écriture in situ, et certains paysages sonores qui en émanent.
Je liste, j’énumère, j’amalgame, je brasse, je confronte, je juxtapose, je mets bout à bout, pour tenter de donner  vie, pour justifier une partie de l’existant, pour espérer trouver un brin de logique génitrice.
Pour cela, je convoque des accumulations de sources sonores.
Voix, moteurs, oiseaux, pas, valises à roulettes, téléphones, vent dans les branchages, autoradios, skate-board, cornes de trains, claquements de portières, balayeuse, ambulances…
C’est ce que je viens de noter ici, à l’instant, sur mon banc test d’écoute.
J’évoque des actions, par verbes interposés
Bruire, résonner, pépiller, claquer, pétarader, vrombir, souffler, chuinter, corner, gémir, gronder, gazouiller, crier, racler…
Des actions toujours prises sur le vif du banc d’écoute.
J’évoque des ressentis, des ambiances, des sensations – Saturation, apaisement, sérénité, décalages, vivacité, tristesse, dynamisme, fragilité, redondance, monotonie, pression, bienveillance…
Je convoque de l’espace, du mouvement.
Devant, sur le côté, derrière, à droite, fond sonore, à gauche, pointillisme, traversée, background, émergence, immersion, de droite à gauche, l’inverse…
Je convoque des dynamiques, des volumes sonores.
Prégnance, micro-sons, tintamarre, silence, calme, envahissement, bruissements, pollution, decrescendo, chuchotements, vacarme, amplification, disparition, apaisement, tonitruance, crescendo…
C’est en croisant ces prémices, ces ébauches de listes, d’énumérations, très, trop vite ici notées, à la volée, que le paysage se matérialise un peu plus, se nourrit, jusqu’à une forme de satiété, de rassasiement, quand ce n’est pas à la limite de la saturation, d’un excès langagier tissé de proliférations propres à une liste, qui aurait son propre feedback. Saturation néanmoins, me semble t-il, salutaire, un trop plein, susceptible d’être épuré, valant souvent mieux qu’un grand vide.
C’est en tous cas par l’usage de ces procédés littéraires énumératifs, et la conscience de leur capacité à donner vie, à incarner, que je construit en partie mes écoutes, leurs traces, les paysages qui en découlent, et surtout leurs partages.

L’ÉCOUTE EN MARCHE

img_0322

Le sens de la marche,

celui qui fait sens

celui qui fait que,

la marche appelle la marche

inlassablement

pour ne pas sombrer dans l’immobilité

ne pas se fermer les oreilles

ne pas se couper du monde

même s’il est parfois cruel

prendre son pied

en allant de l’avant

toujours

encore

en corps

chercher ce qui m’émeut

chercher ce qui me meut

ambulator auditor

walker listener

et inversement

l’effet piétonnier

pour ne pas piétiner

ou pas trop

pour fuir l’étiolement

évincer la sclérose

chercher du calme

au pas à pas

en ouvrant les écoutilles

les synapses pieds oreilles

comme moyen de transportage

comme moyen de transpartage

la semelle légère

et l’oreille amène

comme un embellissement du monde

comme un apaisement du monde.

 

 

AMÉNITÉS FERROVIAIRES

OÙ L’ÉCOUTE VA BON TRAIN

2016-04-01-02-32-59-9431

Ce soir, de nouveau assis sur un de mes bancs d’écoute favoris et récurrent, je me pose la question d’une collection de sons, collection virtuelle, à construire, juste dans ma tête. Par exemple ici, des trains. Trains de marchandises notamment. Une butte où il passent devant moi, s’étirent, disparaissent, imprévisibles, de droite à gauche, ou à l’inverse, un pont qui les amplifie, des rythmes ferraillés… Et chacun différent, musique urbaine et ferroviaire, tranche de quartier à l’oreille, sur banc d’écoute. Je les apprécie d’autant plus que je les écoute attentivement, comme de vrais micros concerts impromptus.

Là où l’on pourrait y voir excès, nuisances, désagréments, mon oreille cherche, en toute bonne foi, les aménités du paysage, celles, esthétiques, qui me permettent de bien m’entendre avec ma ville, et au-delà. 

Ce point d’ouïe est singulier, lié au lieu, à l’instant et au geste de l’auditeur, signant sa propre écoute.

Ce point d’ouïe est également universel, susceptible de relier à l’envi une communauté d’écoutants partageant un paysage sonore comme une composante d’espaces communs, voire d’espaces où fabriquer du commun.

Lyon 9e arrondissement, un dimanche  à 23H

PAYSAGES SONORES PARTAGÉS, DES VALEURS EN ÉCOUTES

Des écoutes, des marches, et au-delà, des valeurs à défendre

14729185947_944331ed94_h

 

Mes modestes réflexions, et les événements actuels, confortent l’envie d’associer ma pratique à la défense de certaines valeurs, qui me semblent plus que jamais nécessaires pour tenter de rester encore, autant que faire ce peut, debout.

L’écoute est une façon de garder le contact, mais aussi de se protéger de quelques préconçus réducteurs, de respecter l’autre, même si beaucoup de choses peuvent a priori nous séparer, voire nous opposer, dans une altérité ambivalente.

Si, depuis longtemps, je constate, au-delà des grands discours, les limites d’une sacro sainte démocratisation culturelle, je tente de proposer des actions simples, des ambiances collectives, dans des territoires de vie au quotidien, accessibles… Si ensemble, nous donnons d’un quartier, d’une ville, d’un village, un éclairage légèrement décalé, laissant une petite place au rêve, à une poésie qui viendrait adoucir les aspérités et les tensions du terrain, ne serait-ce qu’un instant… Si nous pouvons retraverser un espace, avec un œil et une oreille bienveillants, ré-étonnés…

Je puise l’essentiel de mes forces dans le quotidien, le trivial, le geste simple, la proximité, le partage d’expériences, de paroles, d’énergie, de relationnel…

J’essaie de ne pas (trop) participer à une surenchère généralisée, d’objets, de gestes, de paroles, de choses sonores rendant illisible un monde souvent plongé dans un brouhaha chaotique effréné, schizophrénique…

17828026848_35a0746c7d_o

J’essaie de prendre le temps, ce qui est bien difficile dans une société zapping, dans une course pour survivre, gagner plus, étendre son territoire… Prendre le temps de marcher la ville, la campagne, à deux ou en groupe, prendre le temps d’actions simples, collectives, intimes, en dehors des paillettes et des artifices clinquants…

Il n’y a pas dans mes propositions, d’injonctions sans appel. Plutôt des propositions, des aspirations, à construire des valeurs communes  sans autre prétentions que de croiser humainement nos routes, à l’aune de paysages sonores partagés.

Tendre l’oreille est un geste social, politique, au sens premier du terme, une façon d’interroger et j’espère de participer à une construction, plus respectueuse et apaisée, de notre société oh combien malmenée par des tensions et des violences parfois insoutenables.

Un promeneur écoutant debout.

15023385172_2037b27f9c_o