L’écoute manifeste !

L’écoute est un bien commun !

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Depuis 1986, époque où une série de rencontres ont ouvert les oreilles du jeune musicien et horticulteur paysagiste que j’étais  sur l’environnement, le paysage, des choses ont changé, avancé, évolué, d’autres non.
Certains domaines, pratiques, ont reconnu, plus ou moins, la nécessité d’intégrer la chose sonore dans  des actions de sensibilisation, voire, mais encore très rarement, dans des projets d’aménagement du territoire. Je ne parle pas ici des études qui incluent des cartes de bruits, des impacts mesurés essentiellement en terme de volume sonométrique, quantitatifs, des mesures législatives et réglementations diverses qui, si elles sont absolument nécessaires, ne suffisent pas pour autant à a offrir une lecture et un panel d’actions réellement pertinentes.
Certes me répond t-on souvent, le côté esthétique et l’approche sensible sont aussi convoquées. Pourtant, lorsque je rencontres des ingénieurs, techniciens, étudiants, élus, et des habitants de grandes métropoles comme de communes rurales, je me rends bien vite compte à quel point l’environnement, le paysage sonore, au-delà de quelques poncifs, restent de grands inconnus. La majorité des personnes rencontrées ne raisonnent qu’en considérant le son comme source de bruit, pollution, gène, ce qui peut d’ailleurs s’expliquer face à des aménagements parfois radicaux de grandes cités, le développement de couloirs aériens pour le moins intrusifs, la voiture reine… Néanmoins, lorsque l’on promène ses oreilles ici ou là, et que de surcroit on emmène avec soi d’autres paires d’oreilles, lorsqu’on établit de nouvelles règles du jeu, ou de nouveaux modes de jeu, que le dialogue collectif nous permet de laisser de côté des a priori réducteurs, les choses changent. On peut alors envisager nos rapports au paysage sonore sous des aspects plus positifs, et surtout plus ouverts, découvrir des aménités paysagères par l’écoute, s’apercevoir qu’il existe de véritables oasis acoustiques en plein cœur des cités, une diversité sonore beaucoup plus grande qu’on aurait pu l’imaginer de prime abord, des zones de calmes à préserver, à protéger, d’autres restant à construire…
Je déplore souvent que la sensibilisation aux « bruits » ne dépasse guère le stade de l’animation où il s’agira de reconnaître et de nommer les sources sonores écoutées. Bien sûr, je caricature un brin, quoi que… Nous manquons bien souvent d’outils, mais surtout d’imagination, et sans doute du plaisir de faire, et de l’envie de se faire plaisir, et de faire plaisir ! Il faut entrer amoureusement, avec délice, jubilation, dans les arcanes sonores d’un lieu pour entreprendre ensuite des scénarii qui seront vraiment pertinents, en adéquation avec les espaces. On ne peut pas transposer d’un quartier à un autre, de villages en villages, de forêts en forêts, des recettes toutes faites, ne serait-ce qu’une simple balade sonore. Il faut commencer par donner l’envie et le plaisir d’écouter, en se détachant autant que faire ce peut d’un catastrophisme sonore permanent. Rechercher les aménités, c’est déjà considérer qu’il puisse y en avoir, quelque soit le lieu appréhendé, même s’il faut les traquer dans de micros écoutes, des espaces surprenants, des parcours décalés. J’ai appris, à force d’écoutes, d’errances, de repérages, à trouver assez vite  l’oasis (sonore) que cache tout désert, pour reprendre une pensée de Saint-Exupéry. Je réfléchis  beaucoup aujourd’hui, à la façon de transmettre ces joies de traquer de belles ambiances sonores, fussent-elles éphémères et parfois cachées. Je pense que cette quête du plaisir, voire du bonheur d’entendre, de s’entendre avec, est une clé pour ouvrir des approches plus intelligentes, variées, entreprenantes sur l’idée d’un paysage sonore qui pourrait aussi se penser en amont, et non pas tenter de se soigner lorsque le chaos s’installe, et pire encore, est déjà installé entre les deux oreilles.
Le partage d’écoute, au-delà d’un simple exercice pédagogique, est au centre du projet. La relation instaurée entre un groupe de promeneurs écoutants doit être forte, l’expérience vécue intense, quitte à bousculer le train-train d’une l’oreille assoupie, voir refermée, sclérosée par le ronronnement ambiant. Il nous faut savoir plonger dans ce ronronnement pour en découvrir, au-delà d’une apparente uniformité, mille richesses intrinsèques, comme lorsque la loupe vient nous révéler l’extraordinaire complexité, et beauté, d’une simple roche, feuille d’arbre, ou sillons d’une main. C’est avec ce regard/écoute aiguisé, excité, que nous devons nous défaire de jugements par trop approximatifs, ou excessifs. Pour cela, chaque lieu, chaque moment, chaque groupe doivent être envisagés comme une nouvelle expérience, qui nous conduira à rechercher des postures physiques et intellectuelles des plus stimulantes, ouvertes vers l’espace acoustique, mais  aussi vers l’homo-écoutant.
Dés lors, le rapport que l’on pourra avoir avec l’aménageur, l’architecte, le paysagiste, l’urbaniste, l’écologue, le chercheur, l’enseignant, le promeneur, sera sans doute plus riche, plus dynamique, et plus fécond.
Envisager des écosystèmes acoustiques comme des espaces certes fragiles, comme tout écosystème du reste, sous des angles esthétiques, avec une recherche de la « belle écoute », comme des espaces publics où l’oreille a aussi son mot à dire, est un défi à relever, pour moi, au quotidien. Considérer que le son puisse être un véritable patrimoine à gérer, à transmettre, que le son d’uns cloche ne se mesure pas seulement en décibels, mais aussi en terme de phare auditif qualitatif, qui vient lutter contre l’uniformisation de la ville-voitures, que l’implantation d’une fontaine doit être réfléchie en terme de puissance sonore pour ne pas écraser acoustiquement une place, tout cela ne s’impose pas vraiment comme des réflexions et réflexes naturels.
Le fait de reposer une oreille neuve, curieuse, aventureuse, réjouie, de consigner ses écoutes, d’échanger, d’expérimenter mille parcours et postures ad hoc en fonction des lieux, de concevoir des conditions d’écoutes inouïes, même très modestement, et peut-être surtout très modestement, en se contentant de décaler le quotidien, est un programme des plus passionnants, et qui plus est bien loin d’être achevé. Avant tout, même si nous vivons dans un monde qui semble s’emballer, pour le meilleur et pour le pire, il faut faire en sorte que la joie demeure, celle d’écouter, qu’elle se partage, qu’elle nous questionne, qu’elle nous pousse à réagir, à agir, qu’elle nous procure des espaces de bien-être pour affronter de multiples tensions, en faisant d’ailleurs en sorte que l’espace sonore soit plus une musique collective qu’une tension supplémentaire.

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