Un paysagiste sonore est un homme à l’oreille curieuse, qui puise dans le paysage de la matière sonore, pour la ré-agencer et la réinstaller parfois, la repenser, souvent dans des gestes collectifs.
Il revisite ainsi de nombreux espaces inouïs, des jardins sonores à parcourir, des formes de musées auriculaires vivants, à ciel ouvert, à 360°, arpentés toutes oreilles dehors.
Il pense toujours à l’échelle acoustique des lieux, avec la voix comme étalon, pour ne pas saturer ou déséquilibrer des espaces auriculaires par essence fragiles et instables.
Il pense esthétique, écologie, sociabilité…
Il est essentiellement acteur du dehors, et il enseigne, transmet, participe à des groupes de travail, séminaires, ateliers…
Il a une vision politique, au sens d’une réflexion sur la place et de la responsabilité du citoyen écouteur/producteur, de l’aménagement du territoire qui prenne en compte les milieux sonores, avec leurs beautés et leurs dysfonctionnements.
Il propose des parcours d’écoutes, des balades sonores, PAS – Parcours Audio Sensibles, pour arpenter des sites auriculaires à découvrir collectivement, au fil de marches sensorielles.
Il aime les espaces-temps nocturnes, écrins à des ambiances spécifiques, et propices à des expériences audio-kinesthésiques sublimées.
Il cherches des postures physiques et mentales ad hoc, pour mieux jouir de moult écoutes, sources, acoustiques…
Il cherche des cadres d’écoute, installe des points d’ouïe, les inaugure parfois, invite le public à s’immerger dans les sons, à les découvrir au fil de grands panoramiques, d’espaces intimes, de points fixes ou en mouvement, de coupures ou de fondus…
Il imagine des scripts, des scénari, des mises en situation contextuelles, des mises en scène d’écoutes in situ, gardant en ligne de mire l’importance du relationnel comme moteur de recherche-action.
Il cogite des paysages sonores à partager, avec leurs singularités et leurs communs, leurs spécificités et leurs récurrences quasi universelles, l’espace d’une écoute, et plus encore, et plus en corps…
Il convoque des champs d’expériences croisées, en textes et images, danse et arts plastiques, abordant l’espace public, naturel ou urbain comme un art du sonore pluriel, qui revisite nos lieux de vie en en privilégiant les aménités.
Il garde, voire fabrique des traces, pour alimenter son travail, sa réflexion, partager la transmission, penser des gestes à venir, construire le récit audiobaladologique de ses expériences d’écoutant. Il tente de combattre certaines formes de surdités au monde, de celles qui ferment l’écoute et les esprits, généralisent la contamination de la pensée unique et empêchent la créativité, la résistance à des emballements catastrophiques. Mais là, il se sent souvent bien impuissant ! Alors, il garde plus que jamais l’oreille aux aguets, ouverte à une altérité bienveillante et sans doute salutaire.
Texte original de 2007, toujours d’actualité, remis à jour.
PAS – parcours Audio Sensible – Saillans Drôme – Festival « Et pendant ce temps les avions – avril 2017
Mon activité de marcheur écoutant, bien que dernièrement drastiquement réduite lors du confinement réducteur de distance, m’a poussé à observer mes co-marcheurs urbains, croisées de chaussées en trottoirs.
Lors de cette crise sanitaire, loin de la meilleure façon de marcher en mettant un pied devant l’autre et en recommençant, nos sourdes anxiétés virales ont très sensiblement transformé nos gestes d’homo-déambulatori.
Tout d’abord, durant la phase de confinement stricte, qui nous a cueilli de façon brutale et assez radicale, l’espace comme la durée, ainsi que les motivations à marcher, y compris pour écouter la ville, se sont drastiquement réduits. Des espaces interdits, confisqués à l’usage du piéton.
Plus question d’aller flâner sur les berges d’un fleuve (fermées) ou de faire du lèche-vitrines de magasins en magasins (fermés). Difficile également de profiter, de jouir d’une décroissance sonore contextuelle. Il fallait agir fonctionnellement et rapidement.
Un kilomètre, une heure, avec une auto-dérogation de sortie en poche pour éviter la verbalisation.
Tout cela à changé radicalement nos habitudes, en tous cas pour ceux qui, comme moi, prenons la cité, et ses abords, comme des espaces d’expérimentations sensibles, où la marche, et pour moi la marche d’écoute, est une forme de jeu exploratoire modulable à l’infini. Et qui plus est, restriction des expérimentations majoritairement collectives, dont la pratique est fortement remise en question par les barrières sanitaires.
On est alors obligé de composer avec ces nouvelles règles, et dés lors de calculer bien plus qu’avant. Il nous faut calibrer notre espaces entre un intérieur très enclos et un extérieur ouvert, mais néanmoins Oh combien rétréci.
Nos calculs porteront sur les distances parcourus, nos périmètres d’arpentages tolérés, attentifs à rester, approximativement, dans les règles, dans les espaces-temps autorisés, surveillés, quadrillés, encadrés… une sorte de nouvelle prison à ciel ouvert. Espace déambulatoire resserré, qui nous pousse parfois à refaire invariablement les mêmes trajets, sécurisants car respectant la proximité imposée, quitte à les user progressivement, sensoriellement compris.
Durant le confinement, et même encore aujourd’hui, alors que celui-ci est sensé être levé, ou assoupli, depuis plus d’une semaine, l’espace public marchable est encore calculé, anticipé, et quelque part rationalisé.
Quand sera t-il opportun de changer de trottoir, de descendre la la chaussée, de se glisser le long d’un mur, pour éviter autant que faire se peut la proximité potentiellement sanitairement dangereuse ? L’ennemi est partout, chez le passant croisé et soigneusement évité.
Comment feinter, sans trop toutefois le montrer, pour ne pas croiser l’autre, danger possible viralement parlant ?
Quels espaces risquant d’être les plus occupés, devraient-on éviter ?
Quelle sera l’heure la plus propice pour faire ses courses, et dans quel commerce se sentira t-on en sécurité, en rencontrant le moins de monde que possible ?
Autant de calculs stratégiques pour éviter, esquiver, ne pas se retrouver nez-à-nez avec l’autre, qui d’ailleurs en fera tout autant.
Des questions, des calculs, des contraintes, qui impacterons non seulement notre façon de marcher, d’écouter, de communiquer, mais notre vie sociale dans sa globalité.
Les stratégies d’esquive et de dérobade, le jeu des masques si je puis dire, loin de favoriser le relationnel, la proximité intime, celle que je recherchais et tâchais d’installer précédemment, de la façon la plus spontanée que possible, dans mes PAS – Parcours Audio Sensibles, se jouent aujourd’hui hélas dans l’évitement et la prise de distance. Une altérité et des sociabilités mises à mal.
Jusqu’à quand ces fameuses barrières sanitaires et sociales nous feront-elles souffrir d’un sentiment d’isolement qui nous réduit à des sortes de particules marchantes et écoutantes individuelles, plus ou moins distanciées et isolées les unes des autres ?`
Ces appréhensions, peurs, du risque encouru au contact d’autrui, au fait de marche et d’écouter ensemble, et parfois-même de se toucher pour mieux s’entendre dureront-elles encore longtemps, créant ainsi progressivement des vides, aussi bien culturels que sociaux ?
Combien nous faudra t-il encore calculer des stratégies de la distance spatiale, sociale, des temporalités, des itinéraires, des contraintes en tous genres, pour retrouver des espaces de sociabilités plus apaisés, plus ouverts ? Et je ne parlerai pas ici, pour ne pas noircir le tableau plus que de raison, des risques climatiques qui fondent sur nous à grande vitesse.
Les réponses ne sont pas des plus évidentes. En attendant, les gestes de marche, d’écoute, de constructions collectives de paysages sonores, tentent de se chercher des failles, des interstices, quitte peut-être à jouer avec les limites, tout en respectant les espaces de libertés de chacun, pour garder un cap préservant de belles écoutes, bienveillantes et constructives.
L’intensité, assumée et recherchée, d’une écoute, notamment celle du du monde environnent, écoute existentielle, nous réveille d’une torpeur inconsciente, et nous soustrait à d’insidieux glissements vers des acceptations mortifères.
Chaque matin, l’oreille doit être, et rester, avide de cueillir mille sons, comme des plaisirs ou déplaisirs, qui nous relient ou nous séparent, mais nous maintiennent dans une vie agissante et pas trop aliénée.
Après la stupeur de l’effondrement, de la ville fantômisée, des espaces démesurément vierges d’activités, passé l’installation d’un calme plus inquiétant que serein, la ville s’ébroue à nouveau.
Elle s’ébruite progressivement.
Pas besoin de la regarder, juste lui tendre une oreille de sa fenêtre ouverte.
Le silence, à défaut d’être rompu, perd du terrain, en même temps que son calme.
Les ouatures cotonneuses se déchirent.
Les voitures rouleuses se déconfinent sans vergogne, redonnant du moteur et du claque qui sonne à tour de roues.
Les gazouillis s’estompent car eux sont aussi masqués, et ce n’est qu’un début.
Et comme l’espace public, ainsi que l’autre, notre co-habitant, sont potentiellement de dangereux ennemis semant la pandémie.
Et comme le transport en commun est aujourd’hui trop en commun, terreau de germes viraux, brouillon de culture insanitaire, espace bardé de contraintes…
L’habitacle carrossé fait effet de refuge inviolable, invirussable.
La sécurité distanciée d’un chez-soi sur pneus.
Et la voiture de reprendre la route, peut-être plus que jamais, ou pire que jamais, ou les deux on ne sait jamais.
A tombeau roulant, bruitalisant la cité, et même urbi et orbi.
Mais le piéton aussi repeuple la cité.
D’abord ombre fugitive esquivant le voisin trop pressant.
Heureusement, les postillons ne roulent plus, le crachat de la poste faisant froid !
Ainsi le passant, masqué, défie croit-il, la reconnaissance faciale, pour un instant, pour un instant seulement.
Piéton redonnant de la voix dans la voie.
D’ailleurs à propos du masque, c’est à l’origine objet de théâtre, antique.
Il se nomme personna, mon nom est personne, et mon masque le personnage que je joue…
Du verbe latin per-sonare, qui sonne par, à travers, et par extension qui parle à travers, et non pas à tord et à travers. Quoique…
Car le masque d’alors ne cache pas la parole, bien au contraire, artifice acoustique, il l’amplifie, la fait porter, publique.
Pas sûr que cela soit vraiment le cas aujourd’hui.
Un théâtre urbain d’ombres solitaires distanciées n’aide pas l’échange cordial.
C’est un terrain miné, qui musèle brutalement des velléités de révolte, jugées sanitairement bien trop bruyantes !
L’ether nu ment !
Si le silence se déchire par voix et voitures, la société s’est sensiblement désociabilisée, sans doute via la politique entretenue de la peur généralisée, bâillon plus redoutable que bien des masques, même de fer.
Une vidéo sonore issue d’un projet collectif, contributif, à distance. Chacun de sa fenêtre échange des choses vues, entendues, en période de confinement sanitaire.