Silence must be !*
Cette déclaration, a priori impérative, est néanmoins, plus pour moi, une invitation plutôt qu’une injonction.
La marche silencieuse, celle que propose généralement mes PAS, tend à installer une attitude quasi méditative, concentrée, à la fois sur le monde extérieur, et sur nos propres pensées, ressentis, états-d’esprit, rêveries intimes, sur un moi restant cependant fortement connecté au Monde environnant.
Le silence alors instauré comme une règle du jeu, laisse place, plus de place, aux sons ambiants, ouvrant ainsi ce que Pauline Oliveros appelait une « Deep Listening », une écoute profonde, parfois exacerbée, en tous cas souvent amplifiée.
C’est une façon d’investir les lieux par l’écoute, de se créer ses propres paysages, se mettre en vibration, en résonance, en harmonie avec son environnement, les espaces appréhendés, marchés, dans une forme d’augmentation sensorielle sans autre artifice que notre écoute, notre esprit et notre corps consentants, grands ouverts sur le Monde.
Effet de groupe, esprit de groupe
Les PAS prennent pour moi tout leur sens lorsqu’ils sont commis à plusieurs, en groupe, y compris à partir de deux personnes, et qui lus est d’autant plus qu’ils sont effectués en silence. Je l’ai déjà formulé maint fois, mais je reste toujours surpris des synergies, des énergies qui se dégagent d’une marche silencieuse, en groupe. SE ressent alors une véritable stimulation d’une complicité, d’une connivence accrue dans le geste d’écoute, voire dans toute une série de gestes physiques, postures, ressentis…
Le silence du groupe n’est pas la résultante d’un isolement de chaque individu qui se réfugierait dans un silence-muraille, qui sectionnerait le groupe en une constellation d’individus étrangers les uns aux autres, bien au contraire !
Le fait de marcher ensemble, d’écouter ensemble, en silence, dans un cadre spatio-temporel pensée comme un commun, un territoire d’échange développe un pneu de gestes connivents, bien au-delà du langage parlé, ou qui échappe à la parole pour s’adresser directement aux corps interconnectés.
Au corps de l’écoute
Marcher au même rythme, tendre l’oreille aux mêmes sources, s’arrêter ensemble, se sourire, s’échanger des clins d’œil, se guider en se donnant la main, se faire passer des objets, être reliés par des fils virtuels ou réels… Autant de faits et gestes, parfois imperceptibles au non habitué, ou au spectateur extérieur, qui développent un véritable langage, une forme de communication parfois plus forte que la parole-même, mentale, physique, kinesthésique… et qui ne vient pas rompre la magie du silence, écrin de l’écoute active.
Silence on guide !
Le guide de PAS, rôle que j’endosse de nombreuses fois, ressent fortement les moments où se soude un groupe, où les entités humaines font bloc, et rayonnent d’une sorte d’énergie électrisante.
Le guide est tout d’abord celui qui installe, ou qui contribue fortement à installer le silence, plus en adoptant des postures physiques communicatives qu’en usant de la parole pour se faire entendre, voire comprendre. Une immobilité soudaine, un regard appuyé… C’est sa propre énergie d’écoutant qu’il devra, à l’instar d’un chef d’orchestre, communiquer alentours. Plus encore que sa technique gestuelle, l’énergie d’un maestro, jusque dans les silences, est sans doute surtout dans les silences, viendra galvaniser l’orchestre, qui lui-même renverra de l’énergie vers le chef, et au-delà verts le public. Situation finalement assez comparable avec laquelle je me trouve en emmenant un groupe dans un PAS, mais sans doute ma pratique de direction d’orchestre n’y est pas étrangère. L’un des premiers marques de ‘implication d’un groupe, de sa cohésion, est sans nul doute la qualité du silence qui sera « produit » collectivement, lequel sera non seulement une sorte d’écrin pour les sonorités ambiantes, mais aussi éléments constitutifs intégrants d’un langage non oralisé.
Silence on communique !
Dans un PAS silencieux, des gestes discrets, a priori anodins, se révèlent comme des formes de jeux/postures révélateurs, que le groupe se transmet souvent de façon consciente. Mettre les mains derrières les oreilles, en formes de parabole acoustique, fermer les yeux, effectuer un lent tour sur soi-même, à 360°, coller l’oreille à un pont, à une porte… Autant de gestes, de recherches d’écoutes, à la fois simples et singuliers, qui ne demandent aucune verbalisation pour se transmettre, tout juste une réceptivité collective, un mimétisme communicatif, une sorte de danse improvisation intuitive collant aux événements de l’instant, aux ambiances du lieu.
Le langage collectif, sorte de langue des signes pour écoutants, ainsi installé, ne doit surtout pas être troublé par une parole qui serait alors une surcharge interprétative tout à fait inutile, voire franchement déplacées, si ce n’est parasitante. Cette parle « de trop » brouillerait plus qu’elle ne servirait les communications corporelles, sensibles, des promeneurs écoutants. Les gestes en silence sont à même de transcender la plus modeste des promenades, plus qu’aucun discours ne le ferait, si pertinent soit-il. Au gré, et par cette communication intimes, circulant librement dans le groupe, l’écoute se consolide, le paysage devient dessert, et s’ouvre à nos oreilles dans ses moindres détails – Quelqu’un qui cuisine, fenêtres ouvertes, en écoutant la radio, des oisillons qui pépient dans un nid, le souffle du vent dans les feuilles d’un peuplier, les chuchotement et fous-rires étouffés d’un couple d’amoureux sur un banc public… L’oreille se fait gourmande, insatiable, un brin voyeuse aussi… C’est par des regards, des visages attentifs, éclairés, des sourires, que l’on sait que nous ne somme pas seul à écouter sourdre les bruissements du monde. A un moment, plus tard, la pari-olé aura besoin de se libérer, de commenter, d’échanger verbalement, et elle le fera alors naturellement, toujours sans consignes. Ou bien alors une question discrète du type « Quel a été votre moment le plus fort, ou le lieu où vous vous êtres sentis le mieux ? »
Retours humains
Au terme d’un PAS, une mère nous a rapporté l’expérience qu’elle venait de vivre avec sa fille, expérience qui m’a personnellement beaucoup touché.Elle avait amener avec elle sa fille, une adolescente rebelle avec laquelle elle avait des rapports très conflictuels, jusqu’à un silence pesant, bien loin de celui dont je vous ai parlé auparavant, mais a contrario comme le marquer d’une communication devenue impossible. La mère avait proposé à sa fille d’accepter ou non sa proposition, et de rester libre de quitter le PAS quand elle le souhaiterait.
Or non seulement mère et filles sont restées jusqu’au bout u parcours, mais il s’est passé durant ce temps d’écoute quelque chose d’assez imprévisible.
En cours de route, elles se sont sourit, échanger des clins d’œil, appuyé l’une contre l’autre, pris la main. La mère est revenue nous voir le lendemain, sans sa fille, et visiblement très émue de ce qu’elle avait vécue, nous relatant combien ce contact physique, humain, renoué en marchant, l’avait bouleversé.
Certes, un PAS n’est pas pensé comme une thérapie, ni une façon de guérir, d’apaiser,des conflits humains. Je suis très loin d’une forme de « baladohérapie « que de toute façon je ne saurais absolument pas gérer, le soin étant loin de mes domaines de compétence.
Néanmoins, suite à ce retour spontané, je me suis plus encore rendu compte combien le geste silencieux, les formes de communication non verbale, pratiqués dans les PAS pouvaient souder, et dans ce cas précis ressouder un groupe, ne serait-ce qu’un couple mère fille jusqu’alors en conflit.
En dehors du mot, de la parole, marcher et écouter ensemble créent indéniablement une connivence dans l’instant, renforcée par un silence que je qualifierais d’habité.
Et si les PAS, sans même cherche à en expliquer le pourquoi du comment, ne servaient qu’à créer ou consolider des liens d’écoutant à écoutant, cela serait déjà pour moi un petit PAS de franchi, vers l’autre.