Vestiges sonores nocturnes, prélude et alimentations fantômes

@Gauthier V. Charleroi friches

Existe t-il une forme d’urbex auriculaire, une archéologie excavatrice du sonore, une exploration auditive plus ou moins sauvage, un brin fantastique ?

Qu’est-ce que la nuit nous raconte, nous susurre au creux de l’oreille ?

Pouvons-nous installer des écoutes de lieux fantomatiques, où l’on pourrait entendre, percevoir, des réminiscences acoustiques enfouies dans les strates de l’histoire, de la mémoire, des murs et ruines, des machines abandonnées et autres vestiges architecturaux… ?

Pouvons-nous conter, raconter, broder, les ambiances sonores disparues, ensevelies ?

Pouvons-nous donner à imaginer, sans autre artifice que nos oreilles propres, les sons du passé, ceux qui, envers et contre tout, résistent à l’usure du temps, quitte à se réinventer au gré des abandons, destructions, reconstructions, marches écoutantes … ?

Inspirations:

« Elle longe la gare monumentale fermée depuis plus de vingt
ans, sans même un regard pour ce bâtiment fantôme naguère
chargé de tant d’ambitions qu’il semble annoncer qu’il restera
debout quoi qu’il arrive. Le vent qui s’y engouffre et siffle à
l’intérieur ne ressasse plus rien depuis longtemps, il ne transporte
ni les adieux, ni les mots d’amour, ni les serments prononcés sur
un quai. Il brasse le vide, la violence et les démentis du présent
comme du passé. Les mots s’en sont allés avec les gens. »

Judith Perrignon, Là où nous dansions (2021)

Ces questions Desartsonnantes sont également irriguées de souvenirs, nocturnes, déambulants, dépaysants… Ceux par exemple d’explorations nocturnes dans le quartier des Ardoines, à Vitry/Seine, longeant une ancienne centrale thermique à charbon, et d’autres arpentages sonores aux abords de Charleroi, dans ses gigantesques friches industrielles… Tous ces tuyaux, turbines, cheminées, obscures machineries tout droit sorties de l’imaginaire de Jules Verne, François Schuiten, semblant soupirer, ronronner, grogner, grincer, gémir… à qui sait les entendre.

@Gare au théâtre, PAS Desartsonnants nocturne en Ardoinais – Frictions urbaines
@Zoé Tabourdiot – Transcutures City Sonic – Desartsonnants – Exploration nocturne Charleroi.

Point d’ouïe, fabrique de paysages sonores en commun à oTo, Ouvroir des Territoires de l’Ouïe

@Photos Arnaud Laurens, oTo

De retour de résidence artistique, de nouvelles expériences de paysages sonores au fil de l’eau, de la mat!ère sonore, textuelle, imagée, à trier, agencer, à construire comme objets de traces récits immersifs.
Tout cela irrigué de belles rencontres, des échanges, la découverte de sites magnifiques, des eaux généreuses, des discussions où écoute et cuisine travaillent à de subtiles réductions, des expériences collectives pour agencer, improviser en live des paysages sonores singuliers…


Au fil des résidence, le paysage sonore dans tous ses états prends du poids, de la consistance, de l’hétérogénéité en même temps que de la cohérence.
Il permet la rencontre, la remise en question de nos rapports au monde, la recherche de beautés tant esthétiques qu’humaines, qui nous feront, dans l’idéal et écoute aidant, mieux vivre ensemble. Écouter est un geste de partage, où il nous faut assumer notre modeste place dans des espaces habitables, sociétaux, de plus en plus fragiles et menacés.
Construire des paysages sonores comme des communs écosophiques, humanistes, est une façon de défendre des valeurs humaines qui nous font trop souvent cruellement défaut.

@Photos Arnaud Laurens, oTo

Projet intinérant « Bassins versants, l’oreille fluante« 

Résidence création accueillie pas oTo – Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron (16)

Merci à cette belle équipe, et tout particulièrement à Arnaud Laurens et Jean-Michel Ponty, à la municipalité de Montbron et à sa Médiathèque, au public aux écoutes attentives et échanges stimulants, pour cette riche ouverture culturelle à portée d’oreille.

D’autres textes, sons, images, récits, suivront…

Points d’ouïe, l’apaisement des eaux

Ces jours-ci, j’ai promené mes oreilles sur les rives de la Tardoire, belle rivière dans des écrins ripisylvestres verdoyants, au sud de la Charente et aux portes du Périgord.

Le cours d’eau charrie fort, irrigué quasi quotidiennement de vivaces averses printanières.

Il est au meilleur de sa forme, y compris à l’écoute !

Ce dévalement fluant, presque ensauvagé, me fait un bien fou.

Après, et pendant une période agitée, voire parfois compliquée, ce bain de nature ondoyante, liquide, recharge mes batteries, m’apaise, et me fait rentrer de repérages pédestres bien fourbu, mais rassasié, nourri de sonorités toniques.

Ici, la vue, l’oreille, mais aussi le nez, émoustillé d’odeurs d’herbe mouillée, de fleurs naissantes, de terres humides, offrent un univers sensible d’une incroyable richesse, entre puissance et subtilité, contrebalançant un instant la fureur des folies climatiques, sociétales et guerrières.

Les arpentages, à l’affut d’ambiances sonores aquatiques, exacerbent des sensations qui varient subtilement au détour du chemin, à la rencontre d’un bief, des roues à aubes grinçantes d’un moulin, d’un remous sur des pierres-barrières-récifs, toute une histoire fluant à portée d’oreille.

C’est une énergie rassérénante qui m’enveloppe et me porte au fil des ondes, des chemins creux et des rivages enherbés…

Un parcours aqua-sensible, qu’il me tarde de partager par une rencontre avec les habitants, des agencements sonores concertants et un PAS – Parcours Audio sensible en marche écoutante.

D’autres sons, mots, images en découleront en aval.

Projet en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante »

Résidence de création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron (16)

Point d’ouïe, et avec ta rivière, comment tu t’entends ?

En arpentant et en auscultant la Tardoire, à Montbron, je réfléchis aux façon dont un cours d’eau relie les hommes au territoire, à la nature, aux écosystèmes, aux animaux… Et inversement.


Paysages, moulins, pêche, sport, géologie, préhistoire, arts et culture, histoire, architecture et aménagements, tourisme, crues et tarissements, industries, patrimoine, écologie, faune et flore,mémoire(s), agriculture, gestion des eaux, hydrologie et bassins versants, identités sonores… comment le paysage auriculaire aquatique nous connecte t-il , ou non, et surtout nous implique t-il, parfois non sans heurts et sans dommages, à nos habitats partagés, à nos milieux de vie ?


Et avec ta rivière, comment tu t’entends ?

Projet Desartsonnants en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante »

Dans le cadre d’une résidence création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’ouïe – Field recording aqua-sonique, rencontre publique autour de l’écoute paysagère, PAS – Parcours Audio Sensible « L’eau traversante », concert-performance- improvisation en trio (instruments, électroniques et son paysagers), écriture sonore et multimédia…

Points d’ouïe et histoires d’eaux

Les voix du Bréda – PAS – Parcours Audio Sensible – Musée d’Allevard (38)

Imaginons que les rivières, les ruisseaux et torrents, aient des oreilles…

Imaginons qu’ils écoutent et gardent en mémoire tout ce qu’ils entendent en traversant de vastes territoires, dévalant les montagnes, lorsqu’ils affluent et confluent…

Imaginons que leurs voix nous racontent mille et un récits irrigués de leurs cheminements in-fluants,…

Imaginons que nous les recueillons, et qu’à notre tour, nous les racontions, au gré de nos imaginaires, de nos déambulations, et de nos rencontres.

Ausculter les eaux – PAS – Parcours Audio Sensible – Grand Parc de Miribel Jonage (69

Chantier d’écoute au fil des ondes « Bassins Versants, l’oreille fluante« 

Sonne eau ! Fichiers sonores en écoute

Tourbillon – Jeanne Schmid – Résidence « Écouter Voir » Luxor Factory – Le Locle (ch)

Les entrailles du Locle (Suisse)

Bassins Versants, Rançonnet mon ami

Eau dite

Aquaphonie, eaux chantantes sous les roches

Histoire d’eau sarde

Eau – sculptation

OH Eau !

Saône Eau

EauNirique

Tourbillons d’eau

Eaux rageuses

Territoire au goutte à goutte

Cumul d’eau, les oreilles montent à crue

Ode aux sons tant aimés de la vie 

J’aime tant à entendre

le presque silence de la nuit

Les rires d’enfants joueurs

Les tintements et carillons des cloches

Le grondement et clapotis des eaux

Les réverbérations des églises, cathédrales et tunnels

Le réveil des oiseaux

Les cris des fêtes foraines

L’endormissent du soir

L’écho des combes jurassiennes

Les fanfares festives, cuivres, bagads et bandas

Le vent qui fait claquer et grincer tout ce qui lui résiste

La pluie qui tambourine

Les rideaux métalliques qui s’ouvrent et qui se ferment

Les musiciens de rue

Les cornes des bateaux

Les crapauds accoucheurs et grillons d’un soir d’été

Les chuchotements amoureux

Les piétinements d’un bal folk

Le grésillement de plats rissolés

Le frissonnement des pages qu’on tourne

Les grands airs d’opéra

Un troupeau montagnard et ses clarines tintinnabulantes

Un feu d’artifice grésillant et pétaradant

Les voix fragiles de mes parents, et d’autres en mémoire

Les talons faisant sonner l’asphalte ou l’escalier de bois

Les stades aux holas enflammées

Le vent dans les haubans d’un pont sifflant

La poésie déclamée, récitée, hurlée

La cuillère touillant un thé chaud dans un bol de cristal

Les gouttes d’eau après la pluie

Les cris vociférants d’une manifestation

Les pas crissant sur la neige gelée

Le hululement des chouettes noctambules

Les vagues déferlantes et les graviers roulés

Les harangueurs de marchés

Les chants festifs de fin de repas

Des portes claquantes au bout de longs couloirs

Le tintement de verres entrechoqués

Les claquements de skates véloces

Le brouhaha des foules

Les musiques qui swinguent

Les chuchotis secrets

Le ferraillement des trains

Les claquements de drapeaux par grand vent

Les craquements de la glace qui dégèle sur un lac figé

Les crépitements d’un feu

La rumeur de la ville

Les radios par les fenêtres ouvertes

Le grondement du tonnerre en montagne

Les trots et galops des chevaux frénétiques

Les sifflets sur les quai d’une gare

Les séracs qui s’effondrent en fracas

Les fontaines glougloutantes

Les feuilles mortes raclant le sol

Le cliquetis d’un escalier roulant

Le glougloutement d’une fontaine

Les grondements sous le tablier d’un pont métallique

Des talons hauts sur un caillebotis

Le balancement de l’horloge comtoise

La pétaradance d’un bateau de pêche rentrant au port

Les étourneaux stridents dans leurs vols virtuoses

Et tout ce qui sonne en mémoire vive

Les avez-vous entendus ?

Je suis friand des ambiances acoustiques

Amoureux des mille sons qui les révèlent et les font vivre

Captivé par leurs présences fugaces et mouvantes

Faisant entendre la vie qui va…

Écoute quand tu me tiens !

L’écoute suit son cours, ou plutôt ses cours, elle m’y entraine, irrésistiblement.

Elle draine et galvanise mes envies, mes projets, mes chantiers, mes rêves, accompagne mes désillusions aussi…

Elle m’amène de nuit, dans les nocturnes urbains, forestiers, montagnards, et des ailleurs obscurs,

Elle me fait suivre les cours d’eau, entendre la voix des lacs et des rivières, des mers et des étangs, leurs forces et leurs fragilités.

Elle ausculte les interstices, les lisières du dedans/dehors, les écoutes confinées, celles des prisons, centres d’accueil, hôpitaux, des lieux aux publics empêchés. Elle est celle par qui les sons ouvrent des portes, élargissent des chambres et des cellules étroites…

Elle a toujours envie de me faire raconter ce que l’œil ne saurait dire.

Elle me saisit par l’oreille et me prend aux tripes, en auditeur conquis, et complètement accro.

La radio est pour moi un de ses univers, qui charrie mille histoires audibles, où le son est aussi chargé de sens et d’imaginaire que la plus belle littérature, image, danse…

J’ai fait de l’écoute une amie bienveillante, comme une arme absolue, pour contrecarrer la violence du monde, sans me voiler la face, ni me boucher l’oreille.

Et chaque jour, je replonge mon écoute obstinée, entêtée, dans le bouillon de la vie. Chaque jour, je me construis de nouvelles auricularités, en espérant qu’elles voyagent d’oreille en oreille, qu’elle y trouve des résonances et échos.

L’écoute suit son cours, dans un monde bruissonnant, voire parfois beaucoup plus, voire parfois beaucoup trop.

Elle me plonge dans le chaos du monde, souvent sans concessions.

Et quand elle fait défaut, le risque majeur est que le grondement s’amplifie, que la violence s’installe, qu’elle envahisse tout, m’assourdisse impuissant.

L’écoute me donne à entendre les plus belles comme les plus épouvantables choses. J’essaie de faire en sorte qu’elle désamorce un tant soit peu les secondes, à mon oreille défendante.

 Eurythmie et indisciplinarité 

En réfléchissant sur des orientations possibles, issues d’un séminaire autour des « Rythmologies« , je repensais à cette phrase inscrite dans un texte d’intention : Réfléchir à « l’eurythmie », « beauté harmonieuse résultant d’un agencement heureux et équilibré, de lignes, de formes, de gestes ou de sons » définition CNRTL.

Mais aussi à celle-ci  « … y compris pour un séminaire Rythmologies, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie… »

Construire des formes esthétiquement, socialement, éthiquement, équilibrées, notamment via des gestes et des sons. Des gestes liés au monde sonore, des gestes d’écoute, par lesquels les constructions s’amorceront à mon échelle, via des recherches et expérimentations d’un paysagiste sonore, musicien et promeneur écoutant.

Mettre une oreille exercée, aguerrie à l’écoute, au service d’un projet tissé d’interdisciplinarités, est un chantier stimulant.

Arpenter les territoires, les ausculter, en convoquant des approches croisées, des méthodes et processus décloisonnés, c’est faire du terrain, de l’in situ, un laboratoire à l’épreuve   du pragmatisme in discipliné.

J’ai déjà, dans un précédent article, tenter de lister quelques axes de l’indisciplinaire, liés au(x) geste(s) d’écoute(s) et à l’action de marches écoutantes, aux expériences de terrain.

Ils me sont apparus comme évidents. J’en  rappellerai ici quelques uns :

Artistique, esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie, écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère. Préserver des territoires d’un tourisme de masse .

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités, rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores, les sociabilités auriculaires, les croisements quantitatifs/qualitatifs, normatifs/sensibles…

Pluridisciplinarité, indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, arts/action/création, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire…

Ces approches, ces axes, n’étant bien évidemment pas exhaustifs, ni hiérarchisés en termes de de priorité ou d’efficacité. Nombre d’autres eux peuvent se dessiner, s’expérimenter, s’affiner, au fil des écoutes, de leurs formats, objectifs, dispositifs, mobilités, contextes, rythmes et temporalités…

Pour revenir à une recherche eurythmique, qui porte en elle un désir d’équilibre, de stabilité, de beauté, d’harmonie, en réponse à un monde incertain et parfois anxiogène, je remets en question le statut-même  de l’écoute, de la marche écoutante, comme des façons d’être connecté et réactif au monde, aux territoires (co)habités.

L’eurythmie, comme la protopie*, sont des réponses plus positives que celles des utopies ou des dystopies, face à des situations si complexes, qu’elles en sont parfois démotivantes.

Devant ces complexités inquiétantes, il nous faut croiser les savoir-faire, les compétences, les idéaux peut-être, pour ne pas se sentir trop isolé, impuissant, une forme de résistance à construire et consolider sur le terrain.

Marcher, écouter, prendre le temps de faire, dépasse la rêverie d’un Eden potentiel, d’un âge d’or à retrouver, c’est prendre la mesure d’enjeux vitaux, avec leurs possibles comme leurs limites, leurs aménités et leurs difficultés.

Je prendrai ici un exemple pour moi d’actualité. Je m’appuierai ici sur le fait d’écouter le flux et les tourbillons d’un fleuve ou d’un ru, qui me questionne autant sur des équilibres esthétiques, nourriciers, que sur une mémoire toujours en chantier, une existence fragile, frottée à des accélérations de tous bords. Croiser sur ces cheminements aquatiques, liquides, mouvants, des hydrologues, navigateurs, pêcheurs, marcheurs écoutants, riverains, poètes, danseurs… c’est penser une eurythmie portant attention et soin à des territoires fragiles, à des habitants et passants de tous genres.

L’approche rythmologique indisciplinée, eurythmique, autant que faire ce peut, n’apporte pas de réponses parfaites, pas de solutions clé en main. Cependant, elle permet de mutualiser des compétences, affinités, voire militances. Voyons là des projets partagés, qui se renforceront en se frottant les uns aux autres, aux réalités du terrain, comme à celles de l’imaginaire collectif.

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopie-un-futur-plus-desirable-que-l-utopie-et-la-dystopie-reunies

Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

Écologie de l’écoute

ECOLOGIAS DE LA ESCUCHA es un programa organizado desde el area de educación de La Casa Encendida, con talleres presenciales (en Madrid) y talleres-encuentros online a través de zoom que tendrán lugar durante 2024 )))

El ciclo de sesiones online reune las voces de diez artistas, investigadoras y pensadoras desde Argentina, Costa Rica, México, Portugal y España.

Participantes: Gabriela De Mola y Belén Alfaro (Dobra Robota Editora), Eloisa Matheu, Susana Jiménez Carmona, Raquel Castro, Clara de Asís, Luz María Sanchez, Marina Hervás, Carmen Pardo, Susan Campos Fonseca, Juan Carlos Blancas, Sergio Luque, Jesus Jara López, Pablo Sanz

Las actividades funcionan por inscripción directa a través de la web y se pueden reservar individualmente (plazas limitadas).

https://www.lacasaencendida.es/…/ecologias-de-la-escucha

ÉCOLOGIE DE L’ÉCOUTE est un programme organisé depuis la zone éducative de La Casa Encendda, avec des ateliers en présentiel (à Madrid) et des ateliers-rencontres en ligne via zoom qui auront lieu en 2024.))

Le cycle de sessions en ligne rassemble les voix de dix artistes, chercheurs et penseurs d’Argentine, du Costa Rica, du Mexique, du Portugal et d’Espagne.

Participants : Gabriela De Mola et Belen Alfaro (Dobra Robota Editora), Eloisa Matheu, Susana Jiménez Carmona, Raquel Castro, Clara de Assis, Luz Maria Sanchez, Marina Hervás, Carmen Pardo, Susan Campos Fonseca, Juan Carlos Blancas, Sergio Luque, Jesus Jara López, Pablo Sanz

Les activités fonctionnent par inscription directe via le web et peuvent être réservées individuellement (places limitées).

https://www.lacasaencendida.es/…/ecologias-de-la-escucha

Eaux courantes hivernales

L’hiver s’est installé

Il papillonne rude

Du duvet blanc flottant

Et des flocons fondants

Sur la peau chair de poule

Deux mois qu’il pleut beaucoup

Et voilà qu’il poudroie

Et voila qu’il blanchoit

Enfin l’hiver inonde

Et le ruisseau qui gronde

Il se fait écumant

Il se fait bouillonnant

Il se fait chuintant

Petit ru estival

Quasi torrentueux

Quand l’hiver s’installe

Je le suis de l’oreille

Il sillonne sonore

Gauche et droite dévale

Sillon traçant audible

Mon quartier qui s’entend

Par son ruisseau fluant

Je remonte son cours

Oreille droite inondée

Je redescends son cours

Oreille gauche inondée

Je le domine aussi

Passerelle enjambante

Aux lattes verglacées

Surplombant le ruisseau

Stéréo de deux eaux

Équilibre liquide

Aspergence glissante

Après des prés gelées

Des collines blanchies

Le voici citadin

Et caressant les murs

Pans guidant escarpés

Il passe sous la place

Coupure silencieuse

Il ressort du tunnel

En se faisant entendre

Il s’écoule fébrile

Après des temps arides

Il ruisselle à tout va

Impétueux liquide

Il m’abreuve l’oreille

Qui l’a connu si triste

Muet d’assèchement

Tari dans le silence

Il faut rester à flot

Se couler dans l’hiver

Écoutant fasciné

Au fil des eaux courantes.

Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante«  En suivant le Rançonnet (Amplepuis – Rhône)

Penser et agir pour une écosophie de l’écoute

Une des problématiques qui me questionne régulièrement, c’est le fait de confronter l’écoute, le paysage sonore, surtout dans ses versants écosophiques, à la création audio en règle générale.


Comment l’expérience d’écoute, dans le vaste champs des « arts sonores » soulève t-elle la question écologique, à laquelle je préfère d’ailleurs l’approche écosophique, médiatisant des actions de terrain, voire favorisant, dans une approche indisciplinaire, la recherche de perspectives et de projets alternatifs respectueux et éthiques ?


Et dans un autre sens, comment l’approche paysagère sensible, auriculaire, émule -t-elle une démarche créative, esthétique, soucieuse de préserver et de défendre des territoires sensibles Oh combien fragiles ?


Au final, par quel biais, quelles hybridations,(mé) tissages, la création sonore et les recherches bâties autour d’approches écosophiques, s’auto-alimentent-elles, via des interactions les plus efficientes et fécondes que possible ?


C’est un chantier complexe, qui peine à rassembler des acteurs ayant chacun des intérêts parfois divergents, des pratiques a priori fort différentes, mais qui je pense vaut le coup d’être mis en branle, même à des échelles locales modestes.
C’est sans doute pour moi par cette recherche de terrain, que l’approche d’une écosophie de l’écoute, plutôt qu’une écologie sonore essentiellement environnementaliste, prend tout sons sens, y compris dans ses propres incertitudes.

Je reviendrai prochainement sur l’analyse de quelques approches pratiques, in situ, contextualisées (jeux d’écoutes partagées, marches écoutantes, équipes d’aménageurs pluridisciplinaires, observatoires de territoires sonores, médiation dans différents terrains/événements artistiques et socio-culturels, projets éducatifs et artistiques…) qui conforteraient et activeraient cette approche audio-écosophique.

Paysages/sons et Sons/paysages

Le paysage est aussi sonore, en tout cas fondamentalement multisensoriel. iI s’écoute autant qu’il se regarde, se touche, se sent, se ressent…
Le sonore est aussi paysage, au sens large du terme, comme territoire sensible, espace de représentation, d’aménagements, de sociabilité…
Il s’entend et se construit (aussi) par et pour les oreilles, individuellement et collectivement.
Le sonore est une résultante physique, acoustique, perceptible, de différentes façons à à différentes échelles, selon les « écoutants ». Ces perceptions acoustiques sont relatives, souvent conséquentielles au vivant, mais également au non vivant.
Le paysage sonore polymorphe peut être porteur de mémoires, de patrimoines, matériels et immatériels…
On peut donc l’appréhender sous différents axes, de façon transdisciplinaire, si ce est indisciplinaire.
L’expérience du paysage se fait par le corps confronté aux ambiances sonores, corps sensible, plurisensoriel, voire corps sentient.
Sans écoute, le paysage sonore n’existe pas, en tout cas pas en terme de paysage.

Radio Ritournelles « Fictions de la forêt » Cartes postales sonores

Fictions de la forêt – Huit cartes postales sonores, forêt de la Double (Libournais)

Cliquez pour écouter

Carte postale sonore N°1

Carte postale sonore N°2

Carte postale sonore N°3

Carte postale sonore N°4

Carte postale sonore N°5

Carte postale sonore N°6

Carte postale sonore N°7

Carte postale sonore N°8

Cartes postales sonores installées dans les arbres. Montage réalisé par Gilles Malatray.
Restitution d’un projet d’éducation artistique et culturelle proposé aux enfants des écoles et centres de loisirs du Libournais qui ont pu mener une traversée sonore, artistique et littéraire du monde sylvestre.
Après l’écoute et l’enregistrement des bruits de la forêt de la Double avec Gilles Malatray -paysagiste sonore-, les enfants ont traduit leurs expériences et leurs sensations en poésie, accompagnés par les auteurs Laurent Contamin et Eduardo Berti.

Projet produit par Permanences de la littérature dans le cadre du dispositif de La Cali, L’Art de grandir.

  • Année de production 2022/2023
  • Restitution le 22 juin 2023, médiathèque BOMA, Saint-Denis-de-Pile (Gironde)

Parcours de bancs d’écoute(s)

Ouvrez le banc !

Performances assises d’écoutes bancales

Construire et tracer un cheminement bancal

S’assoir quelques minutes sur chaque point d’ouïe bancal

Écouter le monde bruisser bancal autour de nous.

Fermez le banc !

Organisons des assises de l’écoute bancale !

S’assoir par ici

S’assoir par là

Voix d’eaux, le Breda à Allevard

Création sonore à partir d’enregistrements audio à Allevard.

Suivre le cours du Bréda, torrent montagnard traversant Allevard, effectuer un PAS – Parcours Audio Sensible, atelier d’écoute en marche.


Desartsonnants est invité par le musée d’Allevard, autour de la thématique de la marche et de la montagne.

En écoute

Écoute au casque, ou avec de bonnes enceintes conseillée.

Chantier en cours « Bassins Versants, l’oreille fluante« , autour des territoires liquides et de la présence acoustique de l’eau dans le paysage.

Inaugurations (officielles) de Points d’ouïe et sites auriculaires remarquables

Et si votre commune, quartier, ville, village… avait son ou ses propres Points d’ouïe inaugurés, ses SITARs (Sites Auriculaires Remarquables) reconnus et valorisés. Et tout cela à l’issue d’une marche écoutante participative (choix du site sonore remarquable) et d’une cérémonie officielle décoiffant les oreilles ! Discours officiels et minutes d’écoute collective à l’appui

Ne laissez pas passer l’occasion de valoriser un patrimoine auriculaire local unique et inouï !

Cartographie et liens des Points d’ouïe inaugurés : https://www.google.com/maps/d/u/0/edit?mid=1pnyLlyY12C6HeaqKgJhOmLMFM-w&hl=fr&ll=45.60603047862419%2C4.040342017709362&z=8

Carnets de notes de Points d’ouïes inaugurés : https://desartsonnantsbis.com/tag/inauguration/

Référencement Art et aménagement des territoires Art – Plan – Le Polau : https://arteplan.org/initiative/points-douie/

Arts de l’écoute, arts écosophiques ?

Les rapports de l’art et de l’environnement, vers l’écologie, voire l’écosophie, écosophie sonore* entre autres, ne sont pas toujours très nets, c’est le moins qu’on puisse dire. Nombre d’articles écrits à ce sujet restent sur des approches assez théoriques, conceptuels, et ne nous permettent pas vraiment de comprendre les intrications, si intrications il y a, entre une création artistique et une pensée/action écologique, si ce n’est écosophique.

L’œuvre qui prend naissance dans un milieu particulier, s’en inspire, le magnifie, le protège, nous alerte sur ses fragilités, nous invite à le regarder, l’écouter autrement, à en admirer ses beautés, ses côtés obscurs, disgracieux, ou à y porter tout simplement attention… En soi un vaste programme.

De la création in situ à la représentation esthétique, symbolique, hors-lieu, en passant par des gestes performatifs, danses, marches, body-art, art action… Les champs créatifs susceptibles de tisser des liens entre des territoires urbains, liquides, montagnards, maritimes, et une écosophie de terrain… sont nombreux et parfois bien difficiles à cerner, à approcher.

Des modes de création conceptuels, qui sont légions, parleront aux férus d’art « contemporain », et laisseront sur la touche un public nombreux, non averti, ou a minima « éduqué ».

Certaines niches culturelles vont explorer, voire exploiter à satiété, des approches écolo-monstratives dans l’air du temps, fût-il de plus en plus pollué, voire vicié.

Le greenwashing est bel et bien l’apanage de nombreuses firmes et institutions, tentant de faire oublier leurs abominables méfaits et écocides en série. Certains « artistes » y adhèrent en parfaite connaissance de cause. A chacun son éthique, et son sens du profit à tout prix.

La patte de l’artiste devrait pourtant aider à élargir nos points de vue, d’ouïe, nos façons de comprendre des lieux, du vivant, des éléments, en sortant des sentiers battus. Mais aujourd’hui, les sentiers sont tellement battus et rebattus, les média nombreux et prolixes, pas toujours très objectifs, que l’écart n’est pas toujours facile. Et qui plus est, tout cela sans perdre le visiteur dans les tarabiscotages d’un verbiage ampoulé, ou la quasi nudité d’espaces de monstration aux concepts plus austères qu’un ouvrage de philologie en grec ancien.

Le message (sonore) écologique doit rester déchiffrable, ce qui est loin d’être toujours le cas. Que l’on parle environnement, éthique, politique, économie, biologie, l’artiste, dans le meilleur des cas en complicité avec un chercheur, un aménageur, un économiste, a un rôle de passeur. Il lui faut être celui ou celle qui trouvera les mots, les sons, les formes, les gestes, les parcours, les plus à même de satisfaire la curiosité des visiteurs auditeurs. Et là encore, la tâche est plus ardue qu’il n’y parait de prime abord.

Il lui faudra être celui ou celle qui parfois fait rêver, opère un pas de côté, parfois met en garde ou pointe le doigt ou l’oreille là où ça frictionne, là où on peut construire de nouveaux récits pro-éthiques.

A l’heure où l’éco-anxiété gagne du terrain, ni le catastrophisme spectaculaire, ni le défaitisme morbide, pas plus que l’utopie triomphante, ne constituent des approches idéales ou même satisfaisantes. Il ne s’agit pas de prêcher une écologie moralisante et accablante, accusatrice et donneuse de leçons, ou pire, de nier la réalité des faits.

L’artiste qui se mesure au moulins des grands lobbys, en Don Quichotte désespéré, doit commencer à trouver sa place, ses chemins, outils, si modestes fussent-ils, pour défricher des chemins de traverse, quitte à accepter certains renoncements, ralentissements, ou se défaire d’illusions glorieuses, remettre en question ses propres pratiques.

Sans viser un grandiose art universel salvateur, les petites gestes mis bout à bout, effet colibri, sont importants, dans l’ensemble des champs artistiques. Il faudrait d’ailleurs avancer « à travers champs », en hybridant, décloisonnant, indisciplinant autant que puisse se faire nos compétences.

En matière de petits gestes, par exemple, travailler sur une cuisine où chacun peut inventer sa façon de manger sainement, sans engraisser les géants de l’agro-alimentaire qui empoisonnent sans vergogne, est une possibilité parmi tant d’autres. Une écosophie nourricière pragmatique et partageable, de proximité. La transmission orale et gestuelle de savoir-faire, les ateliers de terrain, sont ici les leviers d’une écosophie participative et partagée.

De même, les artistes designers rudologistes*** qui explorent des façons de créer, de construire, où le recyclage, le réemploi et le déchet sont roi.

Se promener en forêt, au bord d’un lac, au centre d’une mégalopole, dans des sentiers montagneux, tout en étant attentif aux ambiances sonores, aux mille récits auriculaires d’un lieu, est une autre façon de nous raccorder, ou de nous maintenir en accord avec le monde. Même si là encore, tout n’est pas rose, ni vert du reste, au royaume des sens.

L’art d’une écoute écologique, et qui plus est écosophique n’est pas un simple effet de langage, un vague discours ou une vision conceptuellement abstraite. Il est engagement physique, intellectuel et factuel, concrétisé en actions pragmatiques sur le terrain. Hélas, dans une société libérale où la représentation et le profit priment régulièrement sur l’action éthique, nous en sommes encore bien loin.

Envisager des formes d’actions engagées pour un mieux-vivre, dans une époque turbulente et violente, entre arts sonores et arts environnementaux, écologie et création sonore (y compris silencieuse), me pousse à réfléchir et expérimenter une écologie/écosophie de l’écoute. Cette dernière étant pour moi un embrayeur d’actions des plus pragmatiques et efficientes que possible. Écouter pour sensibiliser, informer, renseigner, apprendre, partager, agir de concert… même modestement, à l’échelle d’un quartier, d’un village, d’une forêt, avec les moyens et les énergies du bord.

Dans le monde du sonore, du paysage à portée d ‘oreille, des ambiances auriculaires abordées par le prisme d’une écosophie sonore, dans la façon d’entendre, d’écouter, d’agir, beaucoup de choses, de postures, de militance, de gestes restent à inventer.

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Écosophie
**Les sonorités du monde, de l’écologie à l’écosophie – Roberto Barbanti

*** Les déchets, métamorphoses et arts de déchoir – Hélène Houdayer

Quelques autres sources et ressources

Forêt de micros pour champs de boue – Jean Philippe Renoult

Field recording et arts sonores, tendrez les micro, un geste artistique

Field recording, un art écolo ?

Décor sonore – Écologie sonore

Des pratiques d’artistes et de chercheuses en écologie sonore

Écologie sonore de Murray Schafer – Émission Radio France Inter

Expériences et récits d’écoutes en marche

La marche écoutante, le PAS – Parcours Audio Sensible, sont des pratiques pour moi assez courantes, depuis de nombreuses années
Dans des lieux très différents, été comme hiver, de jour et de nuit, avec des publics variés, des axes thématiques parfois, nous avons arpenté nombre de sites, tous singuliers dans leurs écoutes.
Aujourd’hui, je me pose régulièrement la question de savoir ce que ces pratiques de terrain nous font vivre, ce qu’elles nous racontent, au delà des gestes audio-déambulant ?

Marcher et écouter, et vice versa, c’est expérimenter des espaces-temps d’écoute in situ, et c’est aussi entendre ce que les milieux traversés, arpentés, auscultés, nous racontent, au creux de l’oreille. Histoires qui nous sautent aux oreilles, ou bien en filigranes, ténues, à déchiffrer patiemment.
L’expérience est kinesthésique, en mouvement, les pieds et le corps reliés au sol, à l’air ambiant. Le geste de l’écoutant l’immerge dans une scène auriculaire environnante, embrassant un volume audible comme une architecture d’écoute quasi tangible.
L’expérience est aussi haptique, on touche au plus près la matière sonore, ou l’objet sonnant, en ressentant physiquement des vibrations à fleur de peau, de tympan.
Nous vivons ainsi des traversées peuplées d’une multitude de sons, d’enchevêtrements complexes et mouvants, qui peuvent désarçonner notre écoute, voire notre approche sensible dans sa globalité.
Faire un PAS vers, et dans le sonore, nous met en résonance avec un monde vibratoire excitant.
Nous sommes dans du vivant, du corporel, du charnel, proche de la danse comme un geste performatif, a minima, connecté au sol, à l’air, aux innombrables vibrations dynamiques, reliés à la terre, l’eau, l’air, le vivant bruissant…
Nous traversons des espaces résonants, des volumes sonores habités, des ambiances auriculaires, comme une série de peaux ultra sensibles, tendues pour vibrer sympathiquement, nous faire vibrer au plus profond de nous-même.
Le paysage auditif nait de cette confrontation au corps à corps, corps sonore est corps écoutant.
Nous sommes une enveloppe corporelle réceptive, baignée d’ondes fluantes autant que fluctuantes.
La cloche, le vent, le ressac, le cri enfantin, le cours d’eau voisin, tout nous parle, nous interpelle, pour peu que nous prêtions l’oreille.
Un récit se fait jour. Ou plutôt une infinité de récits enchâssés, nous contant des mondes sonores capricieux, instables, furtifs, et pourtant si fascinants.
Des récits informatifs qui nous renseignent sur notre présence dans un milieu que nous tentons d’apprivoiser, y compris par l’oreille, dans lequel nous vivons, ou que nous découvrons. Qui nous renseignent aussi sur les milles et unes traces du vivant, au sens large du terme, de notre cohabitation, souvent complexe et difficile, pour ne pas dire plus, avec les éléments, les milieux, le monde.
L’aventure est à portée d’oreille, de corps. Elle n’est pas toujours spectaculaire, souvent intime, fragmentaire et fragile.

Le récit peut-être mémoriel, tel celui qui fait ressurgir des scènes auriculaires parfois enfouies dans les profondeurs, les strates de notre mémoire, et qu’un son, ou la vue d’une cheminée d’usine, ravivent avec parfois une intensité troublante.
Un récit souvent fictionnel, où les sons peuvent évoquer, inviter, mille monstres, légendes et histoires tapis dans les recoins de notre imaginaire fécond.
Un récit également frictionnel, entremêlant le vécu et la fiction, le passé et le présent, comme ce qui pourrait advenir, pour le meilleur et pour le pire.
Marcher et écouter, s’est s’exposer de bonne grâce, à une plongée sensori-motrice, dans un territoire aussi physique qu’immatériel, en même temps que de laisser surgir des histoires sonores, parfois plus improbables les unes que les autres.

J’ai récemment pratiqué des parcours d’écoute avec des personnes dans des milieux qui m’ont fait côtoyer des modes de vie contraintes, pour différentes raisons. Handicap psycho-moteurs, maladie, enfermement carcéral, des lieux de vie où les sens, et tout particulièrement l’ouïe, développent des modes d’appréhension de l’environnement que le commun des mortels, dans sa vie quotidienne, est à mille lieux d’imaginer. Des récits en naissent, dépaysants, désarçonnants, qui nous font faire un pas de côté dans le train-train de nos routines. Nouvelles expériences, nouveaux récits, qui font qu’après, rien ne sera plus jamais comme avant pour qui a vécu ces temps forts. Marcher et écouter les coursives d’une prison, puis la montagne, avec des détenus permissionnaires, explorer une forêt avec de jeunes autistes, un hôpital psychiatrique avec des étudiants en musique et des patients, une ville avec des aveugles… Autant d’expériences fortes, qui ouvrent des portes vers de nouveaux gestes, ressentis, et imaginaires.

L’expérience de la « marchécoute » engage aussi une éthique du soutenable, une lenteur et un silence assumés, une volonté de ralentir le geste, de porter une écoute consciente vers les fragilités des espaces acoustiques traversés, de leurs écosystèmes sensibles, à l’équilibre instable et incertain. Elle convoque également une prise de conscience, celle par exemple de la disparition définitive de moult sonorités du vivant, comme des signes flagrants d’effondrements rapides, plus qu’inquiétants.
Les expériences, tout comme les récits intrinsèques, superposent et alternent des moments de jouissances sensorielles, de plaisir, à des récits oscillant entre le constat d’une succession de crises que l’oreille peut capter, et une protopie pragmatique. L’entendement d’un monde (plus) désirable se profile, la marche et l’écoute associées pouvant ainsi nous y aider. Espaces sonores introspectifs collés au monde frénétique, tout en le désirant meilleur.

Pour entendre de nouveaux récits porteurs, de ceux qui nous aident à avancer, à rester debout, dans des périodes plus que chahutées, des zones de turbulences à répétition, il nous faut cultiver la curiosité de l’expérience auditive vivace. Non pas d’une expérience forcément compliquée, mais plutôt celle à portée d’oreille de tout un chacun, emprunte de gestes simples. Ouvrir sa fenêtre, ou partir marcher dans son quartier, l’écouter, traverser ce qui nous plait comme ce qui nous dérange, nous agresse, se demander pourquoi, échanger avec son voisin, tenter de se sentir bien, ou mieux, dans des espaces sonores quotidiens, ne pas penser que par le bruit, la nuisance et la pollution, mais aussi chercher les aménités sonores…

Depuis ses origines, le soundwalking mêle le plaisir de l’écoute à la volonté pédagogique de mieux entendre le monde, de mieux s’entendre avec lui, et parfois d’en soigner, ou mieux d’en prévenir les dysfonctionnements qui le rendent inaudible, si ce n’est inentendable.


Dans l’idéal, il nous faut vivre la marche et l’écoute, l’expérience et les récits associés, comme des moteurs stimulants qui nous permettent d’aller de l’avant, de garder un cap soutenable, entendable, l’oreille hardie, envers et contre tout.

Chronique écoutante, tout doucement

Écouter est, ou peut être un geste discret, parfois totalement inaperçu.
Sciemment envisagé comme tel, en toute discrétion.
Il n’est pas nécessaire de bousculer radicalement des espaces où installer les scènes sonores, l’écoute dans l’espace public, les lieux d’audition potentielles, pour construire un projet quasi infra-sonique pertinent. Bien au contraire !
Il est possible d’ériger l’écoute en jeu, comme un instant ludique, une performence a minima, qui ne se montrerait pas forcément, et qui plus est ne ferait pas de bruit
Il est opportun d’écrire une interprétation de paysages le plus que possible à l’abri des regards, mais accessibles aux oreilles, furtive, complice, tel un mode d’intervention discrètement malicieux.
Du geste discret de tendre l’oreille à celui de re-composer les sons capturés, toujours en mode doux, sans les emprisonner, juste en en conservant la trace, on construit ainsi tout un parcours aux milles variantes possibles.
Exemple : l’écoutant invite d’autres écoutants à lui emboiter le pas, oreilles concertantes, lenteurs partagées, silences aussi. Des gestes partagés simples mais opérants.
Tout doucement, sans faire de bruit, ne rien perturber dans la ville, ni la campagne, ni nulle part ailleurs. Ceci pour laisser s’entendre les murmures et rumeurs, intimités décelables, sans ostentations acoustiques.
L’artiste écouteur n’est pas forcément sur le devant de l’audio-scène, comme un personnage aux oreilles ostentatoires et postures imposantes. Il peut, voire doit être un discret écouteur-emprunteur de sons, qui ne bouscule rien, ou si peu.
S’assoir sur un banc ou arpenter paisiblement le village, oreilles aux aguets, grandes ouvertes, comme fondues dans les ambiances, immergées dans les flux soniques, tout cela reste à l’échelle d’un modeste audio-théâtre de proximité.
Nous ne chercherons pas forcément le spectaculaire, l’événementiel auditif grand format, l’audiorama booster d’effets spéciaux, plutôt la balade intime, l’écoute posée, sans jeu grandiloquent, sans dispositifs bluffants.
Tout doucement, dans l’allure, les gestes, l’attention portée, le partage, une discrétion intrinsèque, une économie de moyens, semblent s’imposer, ou tout au moins proposer des gestes respectueux et pertinents.
Ne pas forcer le trait, ni amplifier à outrance les choses entendues, ou celles potentiellement imaginaires, sonifiées, relève d’une sagesse pragmatique, sans emphase sonique.
Trop souvent, la fureur et le bruit s’imposent comme des quotidiens violents.
Raison de plus pour ne pas brusquer outre mesure l’écoutant, régulièrement malmené, ballotté dans des tempêtes sonores, traumatisé jusqu’à fleur de tympan, voire au plus profond de son entendement.
L’efficacité ne passe pas forcément via l’injonction péremptoire, mais plutôt par des propositions laissant de larges champs exploratoires ouverts, à discrétion, en prenant le temps de faire, d’expérimenter, de partager.
Il est contre-productif de rajouter pléthore de sons spectaculaires, comme d’ insipides muzaks, de les imposer à l’ouïe de toutes et tous, mais plutôt profitons modestement, raisonnablement, ethniquement, de l’existent, du trivial quotidien, sans remous.
Si parfois la mise ben scène du geste d’écouter dans l’espace public peut être un fait assumé, voire joué et sur-joué devant de nombreux publics, comme une proposition participative, la discrétion est, version micro ou infra écoutante, aussi différente que complémentaire de l’audio-spectaculaire
Le paysage sonore se construit ainsi d’une écoute aussi modeste qu’intense.
L’écoute non spectaculaire va fouiller les micros-sons, les .ambiances intimes, les ambiances cachées, sans trop déranger la vie qui bat, via une approche où la monstration imposée n’est pas de mise.
Imaginons une attitude éthique, qui va creuser l’écoute telle celle d’un traqueur de sons qui, efficacité oblige, doit être le plus discret que possible, ne pas se faire repérer, ne rien perturber dans son proche milieu, de façon à (faire) entendre la vie sonore en toute intimité.
Le chasseur de sons est un personnage qui se confond à l’environnement ambiant, de façon à en jouir du plus profondément que possible, sans se montrer conquérant, mais discret écoutant respectueux de l’équilibre sonore préexistant à sa venue.
Il s’agit de ne pas user d’une posture conquérante, intrusive, irrespectueuse, mais au contraire de rester dans une humilité d’écouteur accueilli et accepté à la condition de ne pas s’imposer. Rappelons-nous que, en forêt ou ailleurs, l’écoutant est aussi écouté en retour.
Contrairement à se qu’affirmait un slogan radiophonique, le monde n’appartient pas à celui qui l’écoute, ce dernier s’offre simplement à lui comme un don du son intrinsèquement généreux.
Qu ‘on se le dise !

Arts sonores publication – Revue Document(s)

L’Autre musique et le Projet Bloom s’associent et s’engagent dans la publication d’une nouvelle revue papier consacrée aux arts sonores au sens large dans leurs relations aux autres arts.

Cette nouvelle revue veut combler un manque cuisant dans le champ artistique contemporain : l’absence de textes qui osent poser des questions artistiques, qui prennent des partis pris forts et sans concession, une revue qui se décolonise d’une langue prête-à-porter.

​Parce qu’il est proprement insupportable de se laisser envahir par des textes et des discours formatés qui ressemblent à de la mauvaise propagande égotique quand il s’agit de texte proposé par des artistes, ou à des patchworks plus ou moins alambiqués, faits de raccourcis non inspirés et sans fond, quand il s’agit d’articles musicologiques ou de recherche en art ( et souvent sans l’art) :

Documents veut, dans l’esprit de la revue du même nom dont elle s’inspire de manière très lâche, mettre en tension des textes, des images, des représentations, des sons, des partitions. Un rapprochement lointain et juste, une unité disjonctive, qui proposera une pensée critique et sensible dans le sensible.

Des contenus qui poseront, par leurs heurts parfois violents, les symptômes artistiques de notre époque, prendront le risque d’émettre des hypothèses poétiques, et mettront en chantier des manifestes sonores. Nous ne sollicitons, vous l’aurez compris, non pas des articles d’analyses musicologiques, mais des textes et documents qui témoigneraient d’une réflexion artistique critique, sensible, et résolument de son présent. Pas de thèmes donc pour chaque numéro, mais un travail éditorial qui consistera à mettre en tension les propositions reçues ou sollicitées.

​Les propositions seront publiées au fil des numéros si des mises en tensions apparaissent possibles. Vous pouvez proposer des partitions (non publiées) que nous souhaitons publier en intégralité, des images ou des séries d’images, des dessins, des schémas, et toutes formes textuelles qui rentrent dans le sensible. Un dictionnaire critique accompagnera chaque numéro de la revue, proposant des points de vue terminologiques personnels et engagés ; il appartiendra à chacun des contributeurs de l’étoffer, au fil des publications.

Document(s) est une nouvelle revue papier consacrée aux arts sonores au sens large dans leurs relations aux autres arts.

Cette nouvelle revue veut combler un manque cuisant dans le champ artistique contemporain : l’absence de textes qui osent poser des questions artistiques, qui prennent des partis pris forts et sans concession, une revue qui se décolonise d’une langue prête-à-porter. Parce qu’il est proprement insupportable de se laisser envahir par des textes et des discours formatés qui ressemblent à de la mauvaise propagande égotique quand il s’agit de texte proposé par des artistes, ou à des patchworks plus ou moins alambiqués, faits de raccourcis non inspirés et sans fond, quand il s’agit d’articles musicologiques ou de recherche en art (et souvent sans l’art) :

Documents veut, dans l’esprit de la revue du même nom dont elle s’inspire de manière très lâche, mettre en tension des textes, des images, des représentations, des sons, des partitions. Un rapprochement lointain et juste, une unité disjonctive, qui proposera une pensée critique et sensible dans le sensible.

Des contenus qui poseront, par leurs heurts parfois violents, les symptômes artistiques de notre époque, prendront le risque d’émettre des hypothèses poétiques, et mettront en chantier des manifestes sonores. Nous ne sollicitons, vous l’aurez compris, non pas des articles d’analyses musicologiques, mais des textes et documents qui témoigneraient d’une réflexion artistique critique, sensible, et résolument de son présent. Pas de thèmes donc pour chaque numéro, mais un travail éditorial qui consistera à mettre en tension les propositions reçues.

Vous pouvez proposer :

Des textes

– Toutes formes d’écriture critique et réflexive qui ont la rigueur des textes académiques, mais qui en questionnent la forme : théâtre, bande dessinée, fiction…

– des articles académiques (anthropologie, sociologie, esthétique…) s’ils s’inscrivent dans la dynamique de la revue ou s’ils sont des articles de recherche-création.

Tout ce à quoi nous n’avons pas pensé, mais qui trouverait largement sa place dans cette revue.

Des œuvres

– des partitions (non publiées) que nous souhaitons publier en intégralité ;

– des images ou des séries d’images, des dessins, des schémas qui rendent comptent d’une œuvre plastique en lien avec le sonore et/ou le musical (ou le contraire) ;

– toutes formes textuelles qui questionnent le sonore et/ou le musical (poésie sonore, poésie visuelle, fiction…).

De plus, un dictionnaire critique accompagnera chaque numéro de la revue, proposant des points de vue terminologiques personnels et engagés, vous pouvez dès à présent nous proposer un mot.

Modalités

Envoyez-nous votre proposition ou un résumé de votre proposition accompagnée de tout ce qui vous paraîtrait utile quant à la compréhension de celle-ci (site, bio, liens vidéo et/ou sonore…) à colin.roche(at)projetbloom(dot)com et frederic.mathevet(at)projetbloom(dot)com

Aqua Vivace

2024 sera bouillonnante
Une année au fil des ondes
Des territoires liquides
Des dérives en rives
Eaux courantes
Eaux dormantes
Eaux étales
Eaux profondes
Eaux souterraines
Terres karstiques
De cénotes en dolines
Résurgences
A fleur de terre
Eaux torrentueuses
De rus en cascades
Puits et fontaines
Biefs et lavoirs
Canaux et écluses
Les flux aquatiques se feront entendre
Tendons-leurs l’oreille
Écoutons leurs secrets
Leurs puissances
Leurs discrétions
Leurs fragilités
Et parfois agonies
Remontons les berges
De la goutte affleurante au majestueux delta
D’embouchures en estuaires
Mers et océans
Traversons les gués
Donnons la paroles aux cours d’eaux
Et à ceux et celles qui les côtoient
Des sources en estuaires
D’affluents en confluents
De glaciers moribonds en moraines glissantes
Entendons des paysages sonores aquaphoriques
Qui tracent et modèlent des paysages audibles
Des méandres soniques
Façonnées à petits ou grands bruits
Entre crachins, pluies et déluges
Lisons l’histoire des villes, des industries, des moulins
Par le biais de leurs eaux
Racontons les à notre façon
Au travers les flots d’une mémoire nourricière
Les voies d’eaux reliantes
Les hydro-énergies déployées
Les végétations bordantes
Les cours des lits sinuants
Entendons les récits
Les contes et les légendes
Les monstres engloutis
Toujours prêts à resurgir
Bonhommes ou maléfiques
Maillons un territoire extensible
De points d’ouïe aquatiques
Dressons une cartographie sonore
Humide et rhyzomatique
Un inventaire de sites audio-aquatiques remarquables
Protégeons les comme des communs à portée d’oreille
Déchiffrons les textes influents, odes aux ondes rafraichissantes
Construisons un réseau auriculaire irriguant
Des trames bleues et chemins de halage
Des douces mobilités riveraines apaisées
Des sentiers nichés dans des vallons modestes
Mêlons la vue et l’ouïe au long cours
Croisons les arts et les sciences
Hydrologiques et humaines
La culture scientifique et la création sonore
L’histoire et la géographie des flux
Celle des riverains mariniers ou marins
Meuniers ou sauniers
Indisciplinons des approches mouvantes
Entre crues et tarissements
Débordements et assèchements
Prêtons attention au flux salvateurs
Prenons en grand soin
Affirmons l’urgence de le faire
Écoutons pendant qu’il en est encore temps
Les milles et unes sonorités liquides
Les poésies aux images ondoyantes
Et les chants ruisselants des eaux vives.

Visitez « Bassins Versants, l’oreille fluante »

Postures

Cette courte vidéo, en pied d’article, montre quelques postures d’écoute qui peuvent être proposées, sans aucunes consignes verbales préalables, en silence, par des invitations corporelles, à un groupe de promeneurs écoutants.

Ici des étudiants en écoles d’arts média à Saint–Pétersbourg.

Ce fut une belle série d’expériences, soundwalks, conférences, concerts – performances, field recordings, échanges fructueux… à Saint-Pétersbourg, Kronstadt, Kaliningrad…

Je repense très souvent à ces jeunes étudiants, aux opérateurs culturels qui m’ont si généreusement accueilli, aux artistes, enseignants… croisés durant ce voyage. De belles rencontres dans un pays aujourd’hui isolé par une guerre insoutenable, comme toutes.

Partition de PAS – Parcours Audio Sensible, partition n°23 – «Presque rien, infra »

Public


Solitaire, à 2, en  groupe

Temporalité et durée


De jour, de nuit, durée variable, de quelques minutes à quelques heures

Lieu


Ici ou là, en ville ou en milieu naturel, ailleurs…

Actions

  • Opérez à oreilles nues, non appareillées, non augmentées
  • Tendre l’oreille vers le son le plus loin, limite inaudible
  • Tendre l’oreille vers le son le plus faible, limite inaudible
  • Tendre l’oreille vers le son le plus fugace, le plus furtif, le plus éphémère
  • S’attacher à l’infra ordinaire (Pérec), à l’infra mince (Duchamp), en faire son miel auriculaire
     
    Remarques et variations
    Dans un deuxième temps, on peut, à l’occasion, s’équiper de stéthoscopes, pour aller fouiller la matière en surface ou à cœur.
    On peut de même, s’équiper d’enregistreurs et des casques audio faisant « effet loupe  sonore ».

Références

Presque rien : Luc Ferrari

Infra ordinaire : Georges Pérec

Infra mince : Marcel Duchamp

Les histoires d’écoutes sensibles ne sont pas toujours heureuses, mais elles sont nécessaires

Histoires de dire, de faire, de ressentir, de parler, d’aménager, le sensible est un outil de lecture, d’analyse et d’écriture, participant au processus d’aménagement du territoire.…

Un territoire est donc un espace qui se construit (aussi) via une approche dite sensible.

Parlant du territoire sonore, comment dire un morceau du monde en l’écoutant, en pensant comment il sonne ?

Comment construire une relation écoutant – écouté, la plus féconde et bénéfique que possible au plus proche du terrain ?

Il nous faudra tendre une oreille ouverte, curieuse, qui cherche à proposer de nouvelles façons d’entendre le monde, des ouvertures soniques originales, acoustiques, humaines, de nouveaux champs d’écoute les plus inouïs que possible.

Le sensible peut être ici une sorte de clé de lecture, un angle d’attaque porté par l’expérience, voire l’expérimentation d’écoutes in situ, par l’auscultation du quotidien, y compris celui de l’infra-ordinaire surprenant.

Néanmoins, et malgré tous nos efforts, l’expérience d’écoute ne nous révèle pas que des choses idéalement positives. Loin de là même.

L’expérience d’écoute nous fait parfois, souvent, entendre là où ça fait mal.

Elle peut nous plonger dans des ambiances des plus inconfortables, bousculantes, parfois même traumatisantes, là où ça sature, ça distord, ça grince, ça violente, ça perturbe, ça angoisse, au fil de pollutions aussi sclérosantes que néfastes, nuisibles.

Chercher l’agréable, l’équilibre, le vivable, le soutenable, chemine à travers des espaces-temps inconfortables, si ce n’est douloureux.

Le sensible à fleur de tympan nous place dans des situations oscillant entre l’agréable, le beau, dirons-nous, dans le caractère éminemment subjectif de la chose, la jouissance, comme il verse parfois dans des expériences qui mettent notre corps écoutant à rude épreuve.

Nous traversons des alternances d’aménités et d’agressions, d’entre-deux désagréables, qui bousculent nos sens, notre pensée, et au final notre corps tout entier.

Bien sûr, nous recherchons des espaces apaisées, et souhaitons que nos paysages ne sombrent ni dans le vacarme chaotique, ni dans la paupérisation silencieuse.

Nous tentons d’écrire, de composer, envers et contre tout, des partitions qui font sonner les lieux comme des musiques, recherchant avant tout l’harmonie, même dans des formes potentiellement discordantes.

L’écoute n’est jamais un long fleuve tranquille, elle s’aventure dans des terrains où les bruits peuvent prendre le pas sur les musiques, brouillant ou déformant, couvrant les messages qui se voudraient rassurants, faisant résonner bien trop fort des sons violents, guerriers, haineux, clivants.

Des voix se taisent, disparaissent, d’animaux, d’humains, de ruisseaux, emportés par une succession de crises qui secouent notre monde. Et tout cela s’entend. On ne peut pas y échapper, même en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles.

Écouter implique de se frotter, de se confronter, au meilleur comme au pire.

L’essentiel est de ne pas baisser ni les bras ni les oreilles, pour aller chercher les réflexions, les actions, les gestes, les espaces qui sonnent bien, pour construire un commun entendable, qui servirait le mieux-être, l’intérêt général, et proposerait des modèles combattant l’excès comme le manque.

L’approche auriculaire sensible ne doit ni idéaliser, ni fuir des réalités pour le peu des plus difficiles à vivre, ni renoncer à la recherche d’une belle écoute, entre autre chose, celle qui nous aidera à trouver un mieux être, au sein d’un monde ballotté de crises en crises.

Écouter, c’est (aussi) résister !

Novembre 2023

Fabrique et médiation de Parcours d’écoute(s)

Le travail entrepris en collaboration avec PePaSon – Pédagogie des Paysages Sonores, questionne, sur et hors terrain, les approches liées aux parcours d’écoutes, balades sonores, PAS – Parcours Audio Sensibles, et autres marches écoutantes.

Expériences in situ dans l’espace public, en sites urbains, ruraux, naturels, propositions pour des pédagogies actives autour de l’écoute, outils de création sonore, domaines de recherche-action entre les mondes de l’auricularité, les paysages sonores et les questions écosophiques contemporaines, les approches de ces pratiques sont aussi riches que variées, souvent transdisciplinaires si ce n’est indisciplinaires.

En testant différentes formes sur le terrain, et invitant des artistes, chercheurs, praticiens du son, de l’écoute, de l’environnement, de l’aménagement, des acteurs politiques ou scientifiques, à partager, à expérimenter leurs approches audio-déambulantes, un vaste chantier se fait jour.

Se rencontrer, agir in situ, échanger, se former, documenter, relayer, coorganiser, ressourcer, médiatiser, mettre en place des rencontres… constituent autant de gestes collectifs, participatifs, expérimentaux.

De ces mises en situations expérientielles, pragmatiques, situées, une série d’axes dans des champs esthétiques, techniques, environnementaux, sociétaux, se dessinent progressivement.


Les quelques directions données ci-après, sans tri, hiérarchisation, ni formes de développement, pointent des approches, domaines, modes d’action multiples, pouvant se croiser, voire s’hybrider.

Parcours et promenades écoutantes à oreilles nues
Points d’ouïe et Inaugurations de Points d’ouïe
Dispositifs embarqués, parcours augmentés, réalité virtuelle
Technologies multimédia, installations mobiles
Objets d’écoute et lutherie auriculaire acoustique et électroacoustique
Spectacle vivant, arts en espaces public, musique des lieux
Arts performance, postures et installations d’écoutes
Paysages, écologie, géographie, aménagement
Géolocalisation et cartographie
Interactivité espaces sonores – artistes – publics
Ressources, mémoire et traces
Banques de données, inventaires
Sites auriculaires remarquables, observatoires
Workshops, conférences, rencontres
Organisation d’événements et rencontres autour du Soundwalking

Paysages sonores et créations polymorphes

Dans la création audio, un paysage sonore est un objet, une œuvre, hautement polymorphe.

Trace et mémoire, représentation, interprétation, imaginaire, projet prospectif, arts et sciences, rituel et célébration, espace immersif dedans-dehors, recherche-action, recherche-création, interactions performatives et in-corpore, militance écosophique, matérialité et virtualité, contemplation et distanciation, mobilité et point d’ouïe, récits croisés et indisciplinarité, technologie et dénuement minimaliste, politique, véracité et fiction, dans et hors-le-murs, in situ et volatilité, permanence et furtivité éphémère, poétique et poïétique…

Toute une gamme de gestes, de postures, de scénari, de mises en situations, d’installations, de contextuatisations/décontextualisations… permettent d’imaginer, de fabriquer et de donner à entendre d’innombrables potentiels inouïs

Osons l’oreille nue !

Osons l’oreille nue !

Embarquer un public pour un parcours d’écoute « à oreilles nues », à l’ère de la techno-monstration et du tape-à-l’oreille, n’est pas sans risques.

En effet, il faut avoir confiance en la capacité des écoutants à se laisser charmer par l’infra-ordinaire, façon Georges Perec, le presque rien, aurait dit Luc Ferrari.

Il faut également faire confiance aux multiples richesses sonores des lieux arpentés, qui se révéleront si on leur prête attention, oreilles aux aguets.

Un PAS – Parcours Audio Sensible se met en scène comme une installation d’écoute performative à l’air libre, via un travail sur les postures, les silences, la lenteur, les rythmes, le partage d’attention…

Parfois rituel, parfois fête improvisée, le PAS ne sera jamais identique, ni reproductible, d’un espace-temps à l’autre.

C’est une performance unique, performance dans le sens de jeu, d’interprétation, où le ludique et le décalage font faire un pas, ou une écoute, de côté.

Les lieux, leurs acoustiques et les sons qui les animent sont les héros du cheminement auriculaire, il suffit de les révéler.

Encore faut-il dénicher les espaces bien-sonnants, les points d’ouïe remarquables, les effets acoustiques à exciter pour les rendre audibles et « jouables »…

Sans compter sur l’improviste, l’inattendu, l’improbable parfois. Il nous faut prendre en compte l’événement impromptu, « l’accident », le contretemps, qu’il conviendra d’intégrer, de mettre en écoute, pour écrire de concert un paysage sonore inouï. Une part d’improvisation en l’écoute.

Des paysage sonores qui ne se reproduira plus jamais dans leurs singularités et dans la magie du moment, des ambiances mises en exergue.

Un travail de longue haleine qui, dans son apparente simplicité, sobriété, économie de moyens, nous conduit vers des explorations sensibles, des expérimentations à fleur de tympan, et je l’espère, à une forme d’ouverture au monde élargie.

Ces déambulations écoutantes nous révèlent, sans grands dispositifs audio-augmentés, des beautés auriculaires éphémères, ignorées autant que fragiles.

Pour en jouir sans les altérer, osons installer le silence, l’écoute partagée, et mettre l’oreille à nue !

Bassins versants, Rançonnet mon voisin d’enfance

Le Rançonnet est une petite rivière qui a bercé mon enfance en coulant au pied de la maison familiale. Nous sommes dans la petite ville d’Amplepuis, nichée au cœur du Haut-Beaujolais, pays de sapins et de prairies de moyenne montagne aux reliefs assez pentus..

Le tronçon proposé ici court le long du quartier dit de l’Industrie, au bas de la ville, appelé localement « le fond du bourg « 

Détourné en bief pour alimenter la chaudière de la grande usine textile voisine, le Rançonnet traversait le quartier, en partie recouvert par la chaussée du carrefour du quartier de l’Industrie.

Le ruisseau sillonne aussi, en amont, le quartier dit de la Viderie, rivière affluent du Rançonnet aussi dénommé la Jonchée. Que de jolis noms ruisselants.
Il se jette ensuite dans le Reins, lui-même alimentant autrefois deux autres usines textiles aujourd’hui plus en activité, avant que celui-ci n’aille confluer vers la plaine de Dame Loire. Celle-ci coulera par monts et par vaux vers le Grand Ouest Nantais. Un bien beau et long périple en perspective.


Au sortir de la bourgade, le cours d’eau serpente le longs de prairies paisibles vers le versant ligérien.


Au pied de chez moi, le bief était bordé d’une végétation assez touffue, où vivaient salamandres et tritons qui parfois s’aventuraient jusque dans la fraicheur du couloir d’entrée de notre maison.
Plutôt silencieuse, la petite rivière se manifestait indirectement par de longs lâchers de vapeur via la chaudière de l’usine qu’elle alimentait, faisant rugir de longs sifflements, bruits blancs puissants qui ne manquaient pas de m’inquiéter les premières fois que je l’entendis lorsque j’étais enfant.
Aujourd’hui, l’usine a disparu, s’est tu, rasée pour laisser la place à un sympathique parc urbain, avec une halle couverte pour accueillir un marché hebdomadaire et des fêtes locales. Autre époque, autres sonorités.


Le Rançonnet a quasiment retrouvé son cours naturel, longeant tranquillement le parc, plus ou moins présent à l’oreille selon les saisons et les pluies. Des seuils ont été arasés afin que le ruisseau réintègre son cheminement d’origine.
Parfois quasiment inaudible, tout juste quelques clapotements lorsqu’on se penche dessus, surtout vers un glacis pierreux canalisant son cours vers l’ex usine, il peut se faire entendre plus généreusement au fil des averses, des orages, des périodes humides. Jamais toutefois il n’aura l’audace acoustique d’un torrent montagnard dévalant des hautes vallées. Il restera un ruisseau assez sage qui néanmoins égaie tranquillement le quartier.


J’aime écouter sa présence estivale discrète, rafraichissante, presque rassurante, en lisant sur un banc ombragé qui le surplombe, une petite trame bleue qui fait partie, au fil du temps de l’âme du quartier, le façonnant acoustiquement.
La disparition des usines qu’il alimentait lui a apparemment redonné une pureté aux écosystèmes riches, où chabots, truites fario et écrevisses à pattes blanches sont à leur aise, et où de belles libellules bleutées folâtrent parmi les renoncules des rivières.


Cette petite incartade auriculaire, aquatique, dans le quartier qui m’a vu grandir, et où, après de nombreuses années plus urbaines, je me suis récemment réinstallé, est marqué de souvenirs, de transformations, démolitions, réaménagements, au fil de la disparition du tissu industriel local. Des affects un brin mélancoliques qui s’écoulent dans les flux et reflux mémoriels
Retour aux sources pourrait-on dire littéralement.

Données hydromorphologiques

https://onde.eaufrance.fr/acces-aux-donnees/station/K0943031

Cliquer pour accéder à 820031385.pdf

Les sons du Rançonnet enregistrés ici ont été captés sur une petite dizaine de points d’ouïe, puis remixés pour suivre une progression vers une petite chute en glacis. Cette dernière divisait la rivière en deux branches, en orientant une vers l’usine via un bief aménagé à cet effet, et une autre contournant les bâtiments.
Le cheminement de cette petite trame bleue s’effectue sur un court trajet, quelques deux cent mètres au maximum.


La captation a été réalisée via un enregistreur numérique équipé de microphones système MS, pour rendre plus pertinentes les variations aquatiques allant crescendo..
De gros orages ayant éclaté sur la ville et ses alentours les jours précédents, le courant est assez fort pour un milieu juillet, donnant à l’oreille l’impression d’un cours d’eau beaucoup plus important qu’il n’est.
Ambiance qui peut cependant très vite changer si un épisode plus sec et chaud s’installe.

Les heures d’écoute attentives et de douces rêverie passées à ausculter le petit tronçon du Rançonnet n’étant pas retranscriptibles dans la durée, elles ont été ramenées à quelques 60 minutes d’enregistrement, et au final à 8 minutes de montage audio assorti d’images et de mots. Une « vision » synthétique qui tente de condenser l’espace-temps poétique d’un fragment de cours d’eau dans son plus long cheminement. Un bout d’histoire sonore fluante qui invite l’oreille vers de multiples autres rives. Un échantillon comme prélude à un projet « Bassins Versants, l’oreille fluante » qui arpentera bien d’autres rives et dérives.

En écoute

En images

https://photos.google.com/album/AF1QipM3kWKP4oZA06a3vmEu4xNqoJILZgdd7FUYBQ1h

Cette publication s’inscrit dans le projet « Bassins Versants, l’oreille fluante« 

Glissement vers la nuit « S’enforester les esgourdes » Festival Back To The Trees 2023

Il est 21H30.
Après une courte montée caillouteuse et bien pendue, nous nous retrouvons en forêt. Enfin, dans une autre partie de la forêt, celle qui s’échappe, vers les hauteurs, des chemins balisés d’un festival.
Une forêt franc-comtoise dense, peuplée de feuillus élancés et entremêlés.
Au bas, le festival Back to The Trees bat son plein, ses rumeurs se font encore entendre.
Je le quitte progressivement, momentanément, entrainant à ma suite une bonne vingtaine de personnes, en silence, telle est la règle.
Jusqu’à nous retrouver dans une ambiance purement forestière, quasi silencieuse, à nuit tombante.
C’est un moment de glissement, de bascule, de transition, de fondu, moment interstitiel toujours magique pour moi.
Un glissement entre la lumière et l’obscurité, entre les chants d’oiseaux diurnes et ceux nocturnes, entre une vie qui s’estompe peu à peu et une autre qui s’active, sans rien bousculer, bien au contraire.
Un appel à l’écoute dans tous ses états, où le corps entier est invité à vibrer aux sons de la forêt qui s’endort et se réveille tout à la fois.
Nous marchons avec le plus de discrétion que possible, pour ne pas troubler la quiétude des bois alentours, et surtout de leurs habitants.
De petites histoires boisées, disséminées dans une clairière, viendront néanmoins animer ponctuellement, discrètement, le parcours. Des sons d’une autre forêt, lointaine, bordelaise, avec les voix d’enfants contant des haïkus sylvestres, créés sur place. Un décalage d’une forêt à l’autre, transposition spatio-temporelle, ludique et facétieuse.
Avant que tout rentre dans l’ordre, doucement, sans que rien n’ait été brusqué, tout juste une petite incartade discrète entre bordelais et Franche Comté.
La nuit s’avance, les formes s’estompent, la scène sonore devient de plus en plus ténue, intime, laissant aux oreilles un espace très aéré, où le moindre son trouve sa place dans une ambiance apaisée, loin des turbulences sonores.
Auscultation des troncs, des mousses, des branchages, des rochers, on amène l’écoute vers la matière, au plus proche du toucher auditif, de la granulation sonore, de la micro aspérité. La nuit donne à l’oreille une joyeuse complicité ludique.
Avant de redescendre vers la civilisation, plus sonore, où les voix viendront à nouveau ponctuer les lieux, mais néanmoins sans grands éclats, la forêt suggérant aux festivaliers de ne pas brutaliser les lieux, d’en respecter ses zones protégées, loin des grandes rumeurs urbaines.
Le glissement dans la nuit nous ramène vers le bas, sans doute un peu plus à l’écoute de tout ce qui bruisse autour de nous, c’est en tous cas un des objectifs recherchés.

Notes suite à un PAS – Parcours Audio Sensible pour le Festival Back To The Trees 2023
Forêt d’Ambre à Saint-Vit (25)
Samedi 02 juillet 2023

Lien album photos @Lorraine Moliard – Back To The trees
https://photos.app.goo.gl/yb8Lyo5FexfNJpVZ6

Histoires sons dessus-dessous

Voyez-vous, si je puis dire, nous rêvions de l’entendre. Et puis un jour… Dites moi mais, quel est donc ce bruit ? Lequel ? Celui qu’on entend, là, qui envahit l’espace, tout en restant furtif ? Est-ce que je sais moi, ce n’est pas celui que nous voulions écouter ? Je ne sais pas, à force de l’attendre, je ne l’ai plus dans l’oreille. Si tant est que je l’eusses déjà eu. Alors comment le reconnaitrons-nous, comment savoir si c’est bien lui ? Aucune idée ! Mais est-ce si important de le reconnaitre, de s’assurer que c’est bien celui dont nous rêvions. En effet pourquoi s’attacher à ce souffle plutôt qu’à ce choc, à ce tintement plutôt qu’à ce vrombissement, à ce cri plutôt qu’à ce murmure… ou bien en espérer la naissance d’un autre ? Surtout qu’ils n’arrêtent pas de bouger, de changer, de se cacher, de s’entremêler, ces foutus sons. Difficile en effet de trouver celui qui nous conviendrait, et peut-être celui qui qui nous ferait défaut, qui serait tout nouveau, à proprement parler inouï. Mais tout n’est-il pas inouï dans le monde plein des sens ? In ouïe ou hors ouïe, intra ou extra auriculaire, c’est la mémoire qui nous joue des tours de sons. Crois tu ? Elle nous fait crôôôââârre dans la mare, glisse en dos, et sa muse gueule en entrée. Et si ce son tinte à mare, l’écoute s’égoutte à goutte, sans qu’on en chasse rien. Glissement calembourdien. Tout ça pour les cris d’un mémoire dit sonnant, qui ne nous dit rien au final, en preste eau. Flux et reflux, sons passons. Alors, difficile de rêver de l’entendre, lui ou un autre, ça frise la phonie douce. L’utopie serait-elle ultra sonique, sons de nulle part, ou de partout, uchronie-usonie ? Qu’en sais-je, écoutant de malheur, qui creuse un puits sans son. Alors puiser dans sa même ouïr et chercher le bruit qui s’est tu, il, nous, vous, mais qu’on ne connait toujours pas. Beaucoup de bruit pour rien ? Qu’en savons-nous, peut-être sommes-nous devenus sourds de trop entendre, de trop attendre, pavillons en berne et coutilles noyées. Mais le bruit continue de courir, même si la rue meurt. Cours-y vite il va s’éteindre ! Silence, on détourne ! L’ingé son, et l’autre pas. Acoustiquement parlant, nous voilà guère avancés ! Heureusement, il y a des non-dits pour combler les lacunes et imaginer l’histoire, entre les silences taiseux. Mais histoire y a t-il s’il nous manque des sons ? Et puis, même si on les trouvait tous, ou simplement celui ou ceux que l’on recherche, ce qui est fort improbable, nous raconteraient-ils quelque chose ? Histoires sons paroles, où le muet trouvera sa voie, au grand dam du mime, qui se taira encore plus. Le son fait son cinéma, pour l’oreille. Et tout cela sans avoir résolu l’e problème, si un son qui manque à l’appel, ce dernier de fait reste sans réponse. Laissons les sons là où ils sont, c’est à dire partout. Croyez-vous ? Ne serait-il pas judicieux d’en chasser quelques uns, d’enchâsser quelques autres, sacro-sons de bruits collages. Mais comment faire le tri, savoir reconnaitre le son sauveur, celui, encore plus improbable, qui ferait paysage, histoire ou symphonie, même fantastique, voire pathétique. C’est une histoire sons dessus dessous, des accords imparfaits, des arts sonnés, des à croches arpégées, ou du bruit de son, tout simplement. Il y aurait de la friture sur la ligne, de la bruiture sur l’écoute, on est jamais à la bruie de rien. Du verbe bruire, bruira bien qui bruira le dernier. Clap de fin, silence ! Mais aussitôt, rompons le silence et revenons à nos sons, à nos mous sons qui pluivent ou pleuvent, en plics et en plocs. En gouttes qui font déborder la vase, y’en à mare ! Et pluie voilà, un jour… Rien ne se passa, en tout cas comme prévu, le silence resta quiet et ne bruissa point. Alors, que se mettre sous l’oreille si le silence demeure, sans requiem aucun. Cela ne dura pas. Et même s’empira tant et si bien, que l’oreille expira, ou bien faillit le faire, le cochléaire furieux, la mastoïdienne rageuse. Les sons dégelèrent en tempête pantagruélique, autant que véhémente. Même la muse Écho n’arrivait plus à répéter les quelques bribes qu’on lui avait laissées. Un monde chaotique et brouhahatique, où l’histoire perdait toute intelligibilité. Mais avait-elle, dans ses bruissement incessants, déjà eu un sens ? Question carolienne s’il en fut. Qu’en savons-nous au final, nous fiant à nos oreilles aussi curieuses qu’imparfaitement brouillonnes ? En quoi nous reconnaissons-nous dans ce paysage acoustique qui n’en finit pas de se dissoudre en ondes a priori désaccordées, pour se reconstruire, tant bien que mal, en discours discordants, mais qui parfois chantent malgré tout. Si la cadence est parfaite, au mieux que cela puisse se faire, on avance de concert. Si elle est rompue, maudits musicologues, on ne sait plus où donner de l’oreille, au risque de bruitaliser le monde. Alors la pause est bienvenue, quitte à soupirer, entre deux sons bruits sonnants. A trop entendre, l’hyperacousie nous guette, où chaque murmure devient hurlement, chaque bruissement cataclysme, à en perdre le sens de toute nuance, à s’en péter les tympans, parfois bien trop frêles pour la fureur du monde. Écoutons malgré tout, nous disons-nous, contre vents et marées, et même dans le vent démarré, car au matin des musiciens, et d’autres écoutants impatients, l’oiseau chante encore au monde qui s’éveille. Et il y aura bien encore, quelques sons que nous rêverions d’entendre beaux.

Construire une écoute partagée, intentionnalités et processus

Problématique : l’écoute et la construction de paysages sonores partagés

Thématiques : paysages sonores, esthétiques, sociabilités et écologie écoutante

Lieux et espaces : de préférence hors-les-murs, partout où le monde bruisse

Publics et partenariats : artistes, enseignants, chercheurs, aménageurs, décideurs, et toute oreille de bonne volonté

Processus et dispositifs : la marché écoutante, l’arpentage et le corps performatif, l’installation de situations d’écoute et de micros sonorités éphémères, les postures, cérémonies et rites d’écoute(s).

Modes opératoires : actions in situ, contextualisées, collectives et participatives, trans, inter et indisciplinaires

@Pascal Lainé – Festival L’arpenteur – Scènes obliques 2022 –

Traces et partages : parcours d’écoute, cartographies, récits polyphoniques, créations sonores et multimedia, enseignement, médiation et ateliers, conception d’outils pédagogiques

Remarques : pratiquer un ralentissement sensible, prendre le temps de faire ensemble, privilégier la sobriété dans la mobilité, les dispositifs et matériels non énergivores, rechercher les échanges pour co-construire avec de nombreux acteurs de terrain…

Contacts : Gilles Malatray Desartsonnants desartsonnants(at)gmail.com 00 33 (0)780061465

Balade sonore nocturne – Field-processing with Boris Shershenkov

par PePaSon

Le 30 mai 2023, de 22h à 23h30

Balade sonore nocturne exclusive le Mardi 30 Mai 2023 avec l’artiste Boris Shershenkov autour du projet « LightHub » à l’écoute des ondes électromagnétiques omniprésentes dans l’espace urbain. RDV : Place de la République – Sous la statut devant le Lyon (22H)

*** Emmenez tant que possible un casque audio personnel avec prise jack stéréo

*** Une petite participation vous sera demandée à prix libre en liquide sur place pour rémunérer l’artiste. Merci de prévoir en conséquent .

Le mardi 22 mai 2023, à 22h00, place de la République se déroulera la balade sono-lumière Lighthub de l’artiste sonore Boris Shershenkov.

Le projet Lighthub explore l’essence des lumières électriques, qui est fondamentalement différente des sources de lumière naturelle. Les conceptions des flux lumineux technogéniques sont basées sur l’inertie visuelle humaine. Ils véhiculent une quantité importante d’informations cachées à l’œil mais situées dans les limites temporelles de notre perception auditive.Les participants à cette promenade au moyen de convertisseurs phonoptiques sur mesure auront la possibilité d’étudier de manière synesthésique les lumières de la ville telles que les publicités, les phares de voiture et les systèmes d’éclairage public, et de créer une carte lumineuse de la zone enregistrée en son.Au cours de la première partie de la marche sonore, les participants marcheront ensemble et exploreront l’environnement lumineux des zones environnantes. La deuxième partie de la promenade – l’enregistrement de la pièce cartographique « Lighthub Paris : République », au cours de laquelle les participants se déplaceront le long d’itinéraires prédéterminés en fonction de la partition spéciale de la carte.

Boris Shershenkov (né en 1990, Vladivostok, Russie) – artiste et chercheur indépendant, Ph.D. (candidat en sciences techniques), éducateur et concepteur d’instruments de musique. Se concentrant sur des projets qui développent de nouvelles méthodologies dans l’art technologique et sonore, il étudie la relation entre les humains et la technologie en combinant les techniques modernes avec la recherche archéologique des médias. Site web : https://shershenkov.com/

La durée totale de la promenade est de 1h00.

Pour participer à la marche, vous devez avoir :

1. smartphone ou enregistreur audio avec une entrée mini-jack 3,5 mm (micro cravate ou entrée casque) ;

2. une paire d’écouteurs filaires avec un connecteur minijack 3,5 mm.

Inscription Hello Asso ICI

English version 

On Tuesday, May 2023, 10:00 PM, at the Place de la République will take place the Lighthub light-sound walk by the sound artist Boris Shershenkov.The Lighthub project explores the essence of electric lights, which is fundamentally different from natural light sources. The designs of technogenic light streams are based on human visual inertia. They carry a significant amount of information hidden from the eye but located within the temporal limits of our auditory perception.Participants of this walk by means of custom-made phonoptic converters will have the opportunity to synesthetically investigate the city lights such as advertisements, car headlights and street lighting systems, and create a light map of the area saved in sound.During the first part of the soundwalk, participants will walk together and explore the light environment of the surrounding areas. The second part of the walk – the recording of the « Lighthub Paris: République » cartographic piece, during which participants will move along predetermined routes according to the special map score.

Boris Shershenkov (b. 1990, Vladivostok, Russia) – independent artist and researcher, Ph.D. (candidate of technical sciences), educator and musical instrument designer. Focusing on projects that develop new methodologies in technological and sound art, he investigates the relationship between humans and technology combining modern techniques with media archaeological research. Website: https://shershenkov.com/

The overall length of the walk is 1 hours.

To participate in the walk, you must have:1. smartphone or audio recorder with a 3.5 mm minijack input (lavalier microphone or headset input);

2. a pair of wired headphones with a 3.5 mm minijack connector.

Inscription Hello Asso Here

Arpenter, écouter, aux rythmes de la lenteur

PAS – Parcours Audio Sensible nocturne – Loupian (34) Centre culturel O34rjj

Parce que l’écoute demande de la disponibilité, et que la disponibilité demande du temps.

Le temps de l’arpentage en l’occurrence, celui qui nous mesure à l’espace, physique et acoustique, matériel et sensoriel, topologique et symbolique, celui qui nous incite à y trouver notre place, sans rien précipiter. 

Il nous faut nous glisser discrètement à notre place d’écoutant, celui qui désire se plonger dans les ambiances sonores, sans les brusquer, tout doucement, sans faire de bruit, ou très peu.

Nous nous sentirons notre place en prenant le temps de nous glisser entre, et dans les sons, de les laisser nous entourer, avec plus ou moins de douceur, et parfois de brusquerie, il faut en avoir conscience.

La lenteur est aussi dans la façon de marcher, donc d’arpenter, sans presser le pas, voire en le ralentissant de plus en plus, jusqu’à s’immobiliser (situation de point d’ouïe).

Les sons quant à eux, ne s’arrêteront pas pour autant, ils continueront leur ronde environnante, vivante et incessante.

Parfois cependant, il sembleront ralentir, comme dans le murmure d’un ruisseau courant, sans heurt, ni ressac, ni crescendo. Un flux reposant.

Dans une écoute attentive, le rythme est intrinsèquement empreint de lenteur, et si il ne l’est pas, il faudra la rechercher, la fabriquer même, en ralentissant franchement, contre vents et marées.

La nuit par exemple, est un moment propice à plus de lenteur, à des rythmes apaisés, enveloppés d’ obscurité, de demi-teintes, lumineuses et sonores. L’écoutant peut ainsi partir à la recherche d’espaces nocturnes, ceux peu habités, peu fréquentés, aux heures creuses, qui compenseront ses journées trépidantes.

Il peut aussi se frotter à des forêts profondes, là où marcher tranquillement, loin des routes aux flux énervés.

Dans l’idéal il peut également aspirer à une cité épurée de ses innombrables déchets sonores, de ses pollutions qui mettent l’oreille et le corps entier à mal.

La lenteur est, avec le silence, un amplificateur d’écoute, accueillie comme une respiration bienfaisante.

Exemple vécu, lors d’un PAS – Parcours Audio Sensible nocturne, dans un trajet de la place de la Croix-Rousse jusqu’à la place de l’Opéra, via les pentes et les traboules lyonnaises.

Distance : environ 1 km, zigzags compris.

Durée : deux bonnes heures.

Conditions : silence du groupe

Vitesse de déambulation : à peine 0,5 km/h, arrêts compris.

Taux de satisfaction des promeneurs écoutants : 100 %

La vitesse est sans doute, un vecteur d’inhabitabilité chronique, dans un monde qui file à grands pas vers l’insoutenable, en produisant un chaos lui-même de plus en plus inécoutable.

Il faut casser les rythmes trop effrénés, trop agressifs, pour réécouter, et au-delà, vivre et survivre au tumulte menaçant.

Il nous faut encore et toujours ralentir pour mieux entendre, nous entendre, pour tenter de mieux comprendre, pour que les paroles circulent sereinement, pour qu’on puisse en saisir la teneur, pour réduire les maltraitances de décisions et d’actions violentes et arbitraires.

La lenteur est un facteur qui conforte une pensée et une action collective pacifiée, ici celle de l’écoute, comme un acte écologique a priori anodin, néanmoins nécessaire au quotidien, en l’occurrence vers une écologie auriculaire et sociétale.

Le monde, y compris sonore, pour qu’il soit vivable, doit être pensé via une recherche d’apaisements, de ralentissements, d’économies de gestes et de réflexions, hors des réseaux épidermiques, frénétiques, générant des actions irréfléchies, à l’emporte-pièce. La recherche de paysages sonores vivables ne peut faire l’économie d’une éthique écoutante, fondamentalement relationnelle. Le plaisir de faire ensemble, de résister collectivement à un emballement sclérosant nos relations sociales, n’en sera que plus fort.

Pour conclure, les PAS – Parcours Audio Sensibles, offrent des arpentages de territoires, au fil d’expérimentations sensorielles, où la lenteur et de mise, jusque dans une certaine radicalité performative, néanmoins tout en douceur.

L’absence de tout dispositif technique, scénique, la simplicité du geste, son inscription dans un espace-temps non précipité, à la recherche de zones apaisées, militent pour une approche sensible, non invasive, non stressante, respectueuse des lieux arpentés comme des acteurs arpenteurs.

L’écoute au grand frais

Un immense super-marché revisité de l’oreille en périphérie de la ville d’Istres
Un groupe de promeneurs.euses écoutants.es
Une tournée nationale de balades sonores via PePason
Une artiste chercheuse doctorante, Caroline Boé
Une recherche-action en chantier
Des bruits envahissants
Ceux que l’on écoute pas, ou plus
Ceux qui pourtant sont omniprésents
Insidieusement perturbants
Un terrain d’aventure et d’exploration
Le rayon hyper Grand Frais
Des alignées impressionnantes de banques réfrigérées
Des allées de frigos à casiers
Des victuailles à perte de vue
Un temple de la consommation de masse
Des viandes, glaces, plats cuisinés, légumes emballés
Le tout à satiété
Débauche de couleurs dégoulinantes
Et surtout pour nous
Traqueurs de micros sons
Une incroyable collection de sonorités réfrigérantes
Ronronnements, vrombissements, cliquetis, souffles et soupirs
Le vocabulaire peine à circonscrire le panel bruitiste
Une variété d’objets sonores
Qui seraient presque objets musicaux
Si l’oreille les extrait du global
Les scrute en mode rapproché
Les examine en curieuse
Parfois des ambiances organiques
Ça respire sous les vitrines
Ça gémit dans les casiers
Ça ronronne au cœur des frigos
L’expérience est pour le peu inouïe
Performance dans un univers hyper marchandisé
De charriots à gaver
De tentations perfides
Même la Muzak surpermaketisée est ici en partie gommée
De mille souffles refroidissants
Jusqu’au creux de l’oreille.
Du grand Frais dans les esgourdes
Mais pas vraiment l’air du large.

Texte Gilles – Malatray – Desartsonnants – PePaSon – Le 18/03/2023

Balades PePaSon à Istres/Étang de Berre

Listening After Nature

Field Recording, Ecology, Critical Practice

Description

Listening After Nature examines the constructions and erasures that haunt field recording practice and discourse. Analyzing archival and contemporary soundworks through a combination of post-colonial, ecological and sound studies scholarship, Mark Peter Wright recodes the Field; troubles conceptions of Nature; expands site-specificity; and unearths hidden technocultures. What exists beyond the signal? How is agency performed and negotiated between humans and nonhumans? What exactly is a field recording and what are its pedagogical potentials?

These questions are operated by a methodology of listening that incorporates the spaces of audition, as well as Wright’s own practice-based reflections. In doing so, Listening After Nature posits a range of novel interventions. One example is the “Noisy-Nonself,” a conceptual figuration with which to comprehend the presence of reticent recordists. “Contact Zones and Elsewhere Fields” offers another unique contribution by reimaging the relationship between the field and studio. In the final chapter, Wright explores the microphone by tracing its critical and creative connections to natural resource extraction and contemporary practice.

Listening After Nature auditions water and waste, infrastructures and animals, technologies and recordists, data and stars. It grapples with the thresholds of sensory perception and anchors itself to the question: what am I not hearing? In doing so, it challenges Western universalisms that code the field whilst offering vibrant practice-based possibilities.

Table of Contents

Acknowledgments
Introduction
1. Recoding the Field
2. Constructing Nature
3. Stretching Site
4. Following the Flow
Conclusion: Pressing Record & Pressing Play-On Suspicious Listening & Affirmative Ethics
Bibliography
Index

Author biography

Mark Peter Wright is an artist, researcher, and member of CRiSAP (Creative Research into Sound Arts Practice), University of the Arts, London. His practice intersects sound arts, ecology, and experimental pedagogy across exhibition, performance, and publishing.

http://markpeterwright.net/

Écoutes dedans/dehors et vice versa

Laisser l’oreille gambader ci et là, urbaine ou buissonnière
Explorer l’indoor et l’outdoor du sonore fugitif
Cueillir et accueillir les sons hors-les murs
Les jouer en forêt, au fil d’une rivière, au cœur de la ville
Les faire sonner en modes doux, tout juste un discret contrepoint non intrusif
Ouvrir des brèches dans les murailles
Chanter l’oreille décloisonnée
Laisser les sons venir dans les murs, même les plus enfermants, comme des respirations
Installer l’écoute au ras du sol nourricier, de l’herbe renaissante, de la sève montante, de l’eau tourbillonnante
Prendre le temps d’ouïr, d’être en écoute, d’être écouté
Marcher en fabriquant des paysages à portée d’oreilles
Partager les moindres bruissements, more deep listening again
Jouer des interstices, aux frontières de la ville, du jour déclinant, de l’orée forestière
Partager des paroles sans entraves, dans la mesure du possible
Faire voyager les sons, hors frontières, sans frontières,
Cultiver l’entendre à caractère universel
Faire du monde un Écoutoir Potentiel Imaginaire
Le peupler de Points d’ouïe nomades et indisciplinées
Laisser du jeu dans l’écoute
Mettre l’écoute en jeu, plus qu’en je
Faire des fêtes où les sons réconfortent, électrisent, protestent, résistent, ouvrent des brèches
Penser le paysage sonore dans son immense diversité et complexité, tout simplement
Écrire des scènes sonores comme des communs habitables et partageables
Ne pas craindre l’utopie, dans le cas où il en subsisterait des bribes d’aménités sonores
Ne pas être une éponge écoutante, apprendre à trier et à combattre la parole mensongère
Infuser l’écoute active comme une vraie politique humaniste, non partisane
Persister à croire que tout ce qui est écrit et dit ci-avant est, au moins en partie, réalisable.

Points d’ouïe et Écoutoir Potentiel Imaginaire en chantier

2023

Desartsonnants, chantiers de choses en écoute, Écoutoir Potentiel Imaginaire en cours et à venir …

– Début d’un nouveau travail Dedans/Dehors avec la Maison d’arrêt de Chambéry, le SPIP et l’association ASDASS (Association de Soutien et de Développement de l’Action Socio-culturelle et Sportive)

– Travail sur la mobilité, l’ancrage, PAS – Parcours Audio Sensibles et autres créations à venir, avec l’Atelier – Tiers Lieu d’Amplepuis.

Axe rythmologique, Université de Grenoble Alpes, Maison des Sciences humaines, EPFL de Lausanne, École supérieure d’architecture de Toulouse…

– Développement du chantier PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores), résidences, ressources, rencontres, Tournée des balades sonores (la prochaine autour de l’étang de Berre)…

Semaine du son du Québec, intervention (distanciée) autour des balades sonores…

– Publication autour de l’écologie sonore avec le journal Belge KingKong

– PAS – Parcours Audio Sensibles et sons aquatique, Grand Parc de Miribel Jonage

– PAS – Parcours Audio Sensibles à Saumur en Auxois, rencontres acousmatiques de CRANE Lab

– PAS – Parcours Audio Sensibles avec la Commune et le Musée d’Allevard

Rencontres autour des paysages sonores en Pays de Loire

Festival Back To The Trees en forêt d’Ambre (Près de Besançon)

Festival City Sonic à Liège

– Écritures sonores « Fictions de la forêt, l’art de grandir » à , installations, parcours en libournais, avec Permanence de la littérature et la CALI (Communauté d’Agglomération du Libournais)

Chantiers d’écritures et d’écoutes indisciplinées, entre ancrage et itinérance…

Et avec vous ?

Points d’ouïe asséchés

Printemps déjà silencieux…

Les cours d’eau et fontaines se taisent précocement.

L’écoute s’assèche en même temps que les flux se tarissent et que les bonnes ondes se font rares…

On traverse hors les gués, les torrent ne coupent plus le chemin et tout ça s’entend bien, ou plutôt ne coule plus de source.

Fin d’hiver déshydratée.

Paysages que guettent les déserts, dévastent les coulées de boue, et que plus rien n’irrigue.

Oreille racornie faute de flots nourriciers.

Point d’ouïe, écouter, par le petit bout de l’oreillette

@Photo Rodolphe Alexis – Workshop parcours sonore – Design sonore TALM Le Mans

Écouter, c’est le petit bout d’un grand tout.

Écouter, c’est entendre, marcher, échanger, écrire, bidouiller (des sons et plein d’autres choses), rêver, militer, rencontrer, s’indiscipliner, être multiple et insatiable…

Desartsonnants

« Laboratoire d’écoute(s) – L’Écoutoir Potentiel Imaginaire« 

Mettre du jeu dans l’écoute, mettre l’écoute en jeu

Un cadre d’écoute trop rigide bride un geste auriculaire dans sa folie tympanique.

Un jeu fonctionnel est aussi un jeu frictionnel, permettant de frotter entre eux des espaces sonores, de ce fait toujours plus surprenants.

Le jeu de l’ouïe, de case en case, active des percussions d’osselets, jusque dans le vestibule.

Le jeu en vaut la chandelle, qui, contrairement à ce que dit la chanson, est encore bien vivante pour éclairer nos écoutes.

Il faut oser un jeu performatif, permettant d’interpréter de mille façons les musiques des lieux, la symphonie auriculaire du monde.

Il faut expérimenter un jeu d’écritures qui ne fait pas que comptabiliser les sons mais les (re)met en jeu de multiples manières.

Se prendre au jeu (de l’écoute) est une belle entrée pour se laisser embarquer au gré des ambiances sonores, toutes oreilles devant.

Car il nous faut jouer de la ville et des forêts sonnantes, des mers et des montagnes, ici ou là, sans faire de bruit…

PARTITIONS EN MARCHE ET MARCHES – TERRITOIRES PARTITIONNÉES

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS — Parcours Audio Sensibles. Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? 

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS – Parcours Audio Sensibles.

Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? Enfin, la question serait de comprendre comment certaines pratiques enseignent et transmettent à des promeneurs-écoutants, ré-interprètes potentiels, tout à la fois des actions, via un système de consignes, inscrivant les signes d’une forte corporalité dans les territoires arpentés.

Sons, territoires, entre écologie et esthétisme

Pour ce qui est des rapports sons/territoires, un paysage sonore se dessine via l’écoute, en fonction des sources auriculaires, de leurs localisations, mouvements, des échelles sonores dynamiques, spectres timbraux, de leur densité… La topologie, les reliefs, la végétation, la nature des sols, les aménagements, contraindront également tant la propagation des sources, des effets sonores associés, que des postures d’écoute soumises aux contingences territoriales. Entre échos et réverbérations, points d’ouïe panoramiques et espaces enserrés, l’écoutant sera confronté à une multitude d’espaces acoustiques, d’autant plus qu’il pratiquera des écoutes en déambulation. Les soundwalks joueront sur la mise en scène, l’écriture d’une succession d’ambiances, tel un mixage sonore paysager en mouvement, propre au promeneur auditeur.

Nous pouvons, pour creuser le sujet, nous rapporter aux travaux du musicien nord-canadien Raymond Murray Schafer, notamment à son ouvrage emblématique The Soundscape, The Tuning of the World. Cette notion d’accordage du monde, sous-titre de l’ouvrage, pose d’emblée le postulat d’une écoute musicale, esthétique, voire d’un geste d’écoute mêlant une conscience écologique, à la recherche esthétique d’aménités paysagères.

La conscience écologique nous fait alors comprendre la fragilité de nos paysages sonores, ballottés entre la saturation chaotique des milieux urbains et la paupérisation des espaces naturels où la biodiversité souffre de multiples disparitions, que l’oreille saisit et analyse du reste mieux que le regard.
 

Le fait d’arpenter le terrain, toutes oreilles ouvertes, prend quant à lui sa source dans la pratique des soundwalks, que l’artiste new-yorkais Max Neuhaus a érigés en œuvres d’art, actions performatives, collectives, relationnelles autant que perceptuelles. Nous avons ici affaire à la construction d’une « œuvre de concert » en marchant et écoutant, dans les pas de John Cage – qu’admirait beaucoup Max Neuhaus. L’artiste avait d’ailleurs commencé à partitionner ses soundwalks comme des marches reproductibles. Nous y reviendrons ultérieurement.
 

De l’écriture à la relecture, de l’interprétation à l’improvisation, comment jouer et rejouer en mouvement la « musique des lieux » ?

À travers ces questions, les notions de jeu in situ, de traces et de consignes, tendent à montrer des formes d’écritures audio-kinesthésiques in situ ou ex-situ, singulières, partitions marchées pour promeneurs écoutants interprètes, voire ré-interprètes.

Écrire et lire, voire re-lire le paysage sonore comme une partition musicale

Penser et parcourir des cadres espaces-temps peut être une dé-marche proche de la psychogéographie debordienne. Comment revisiter des villes, quartiers, espaces péri-urbains, en décalant les modes d’appréhension, les temporalités, les grilles de lecture, en défaisant les codes fonctionnels (et politiques) urbains ? L’écoute nous offre ici, associée à la marche, une approche singulière, qu’elle soit individuelle ou collective. Privilégier un sens, dans des parcours sensibles, nous met à la fois dans un déséquilibre pouvant être ressenti comme très déstabilisant, en même temps que cette posture peut nous apporter de nouvelles jouissances quasiment inouïes. Le sentiment de, modestement, refaire la ville à sa façon, à l’oreille.

C’est également, dans une vision post-Debord, une partition politique, tracée notamment sur une conscience écologique, sans doute un brin anthropocènique, voire sur celle de participer, avec des aménageurs par exemple, à un partitionnage de la ville, dans ses travaux et aménagements incessants.

La notion de partition, « Action de partager ce qui forme un tout ou un ensemble ; résultat de cette action, partie d’un ensemble organisé… Division (d’un territoire, d’un pays) en plusieurs États indépendants… »1apparaît alors logiquement, comme un tracé à l’échelle du terrain, et une proposition d’écoute mouvante, tel un magnétophone à la fois traceur et liseur.

Ville à re-composer

Dans l’espace urbain notamment, il nous est permis de jouer. Jouer, dans un sens musical, des rythmes et dynamiques acoustiques, de construire des superpositions, de mettre en place des transitions, des effets dynamiques, des fondues d’ambiances, des coupures, des mouvements/arrêts — points d’ouïe… Bref, nous devenons une sorte de chef d’orchestre imprimant in situ une expérience kinesthésique sensible, dans l’écriture d’un parcours aux limites du rejoué (post repérage) et de l’improvisé, selon les événements-stimuli que nous rencontrerons.

La rue, la place, l’escalier tracent des lignes qui, vues de dessus, font apparaître les formes d’un parcours jalonné au gré des sons, et qu’il est possible de rejouer à l’envi, en se jouant des aléas du moment.

Nous sommes sur des lignes-mouvements, façon Kandinsky, partition graphique, esthétique, physique, dynamique, sonore et kinesthésique. Le corps traceur et mémoire(s) est en jeu d’éc(h)o-interprétation des milieux, dans des marches sensibles et symbiotiques, où le promeneur se fond dans le paysage qu’il écrit en « marchécoutant ». L’écoutant devient lui-même paysage sonore, comme une sorte de réceptacle synecdotique.

Les traces et rendus comme partitions à re-parcourir

Repérage, plan-guides, signalétiques, cartes sensibles, textes descriptifs, autant d’objets-partitions qui permettent de fixer des parcours — avec leurs marges de manœuvre, d’incertitude, leurs chemins de traverse et les libertés que l’on peut prendre. Physiquement, guidées ou non, les traces nous tissent un jeu de pistes sonores pour jouer, rejouer, ou déjouer, différents espaces à l’oreille.

La notion de déjouer est ici assez intéressante. Mot à mot, qui déjoue ne joue pas, ne joue plus, ou joue autrement. On trouve ici la possibilité de contrarier, de mettre à jour une histoire jouée d’avance. Une forme d’improvisation où les tracés se perdent face à une intuition stimulante.

La musique (des lieux) à la carte n’est jamais totalement acquise, ni parfaitement maîtrisée. Mais l’est-elle plus dans des processus d’écritures de musiques dites contemporaines ? Rien n’est moins sûr selon les œuvres.

Continuant sur des rapprochements textuels, sémantiques, le mot déchiffré, par hiatus interposé, ou coquille, peut glisser rapidement vers défriché. On déchiffre une partition, y compris sonore, en même temps qu’on la défriche, qu’on l’apprivoise en éclaircissant ses zones touffues, en traçant un itinéraire de lecture plus clair. De la page carte au territoire partition, je m’avancerais à dire qu’il n’y a qu’un pas. Plus ou moins grand selon les cas.

La carte-partition nous fait effectuer des allers-retours entre le terrain arpenté et la page pouvant être écrite, déchiffrée, interprétée comme une partition/action.

L’écriture captation traces

Le field recording (enregistrement in situ/de terrain, ou sonographie) sera également une forme de trace organisée, parfois composée, pour re-vivre ex-situ un parcours sonore, en sons fixés, selon la définition de Michel Chion.

Cette pratique, liée parfois à des secteurs spécifiques dont l’audionaturalisme, lui-même intrinsèquement lié à l’écologie sonore et à la bioacoustique, est un exemple très pratiqué aujourd’hui, sous de nombreuses formes et esthétiques.

Les plus « purs » enregistrements bruts, non ou peu retouchés, traces du « réel », dans les limites acceptables du terme, sont une sorte de constat, état des lieux, à l’instant T et dans un espace donné. 

Le field recording peut ainsi être une mémoire, une fixation de parcours d’écoute, ce dernier étant de fait un geste qui ne laisse pas d’œuvre matérielle, tangible et a minima pérenne.

Néanmoins, à défaut de re-présentation fidèle, cette trace, capture sonore, pourra faire œuvre également. Plus ou moins retravaillé (montage, mixage, effets sonores), le field recording prendra ses distances avec le terrain pour devenir à son tour création sonore, prenant le pas, si j’ose dire, sur le geste original.

Pour moi, il s’agit souvent de deux œuvres différentes, certes assez fortement liées par l’écoute, le lieu, mais néanmoins autonomes d’une certaine façon.

La première est l’action performative de la marche d’écoute in situ, en générale collective.

La seconde est le résultat d’une captation donnée comme création sonore, pouvant être scénographiée par des dispositifs d’écoute, installations audio-plastiques, applications géolocalisées…

À noter d’ailleurs que dans le cas d’applications géolocalisées, l’auditeur marcheur équipé d’un smartphone, retrouvera généralement le principe d’une petite icône marcheuse parcourant une carte GMS, le guidant vers des points d’ouïe. La carte application se fait là interactive, comme une forme de partition serious game à lire en cheminant.
 

La vidéo fournira également un média particulièrement intéressant pour rendre compte des actions, paysages, ambiances, parcours, avec une approche « naturelle », sans sources ni colorant sonore ajouté, respectant les sons environnementaux, silences compris.

Quelques vidéos de PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants

Les partitions — consignes de soundwalks

À l’instar de Max Neuhaus (les Listen), ou de happenings façon Fluxux, voire des partitions graphiques des chorégraphies de Cunningham, des partitions-consignes proposent de jouer ou rejouer des marches d’écoute.

Il existe d’ores et déjà un répertoire, en cours de recensement (Neuhaus, Westerkamp, Corringham, Plastic Acid Orchestra, Cluett, Patterson, Kogusi…).

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, construit petit à petit, un répertoire personnel de partitions PAS – Parcours Audio Sensibles, à jouer en solitaire ou en groupe, guidé ou en autonomie.

Liens partitions de PAS

Aujourd’hui les technologies mobiles, embarquées, les réalités virtuelles et autres serious games nous font imaginer de nouveaux dispositifs ludiques, pouvant étendre sensiblement les modes opératoires de la partition papier, vers de nouvelles interactions marcheur/écouteur-territoire.
 

Les relations du marcheur écouteur aux territoires arpentés ont sans doute encore de nombreuses pistes de cartographies hybrides, d’écritures kinesthésiques à développer, entre expériences sensibles et dispositifs embarqués, explorations in situ et traces re-composées.

Article paru dans « L’autre Musique Partition »

Vous avez dit écologie sonore ?

@ Photo Fabien Lainé, Festival de l’Arpenteur 2022 – Scènes Obliques – Les Adrets en Belledonne

Écologie sonore, quelle drôle d’expression quand on y pense ! Des mots qui englobent large, très large, tellement qu’on a l’impression d’un grand flou, où pointe le risque d’une coquille vide, qui plus est teintée d’immatérialité… Si ce n’est d’un opportunisme politique qui sonne démagogiquement creux.


Par contre, si on pense une écologie de l’écoute, des écoutants, des choses écoutées, avec des postures éthiques, humanistes, on voit là se dessiner des perspectives plus concrètes et réjouissantes. En poussant plus loin le bouchon (d’oreille ?), si des formes de pensées et d’actions écologiques, au prisme du sonore, convoquent le soin, la santé, la biodiversité, l’enseignement, l’habitat, la mobilité, les arts, l’aménagement du territoire… on a alors à disposition des leviers d’action potentiellement forts.

Des propositions plus concrètes, sans doute moins démagogues, autour du discours sur la maison écoutante, ou l’habitat auriculaire, au sens littéral du terme, deviennent alors force de réflexion, d’étude et d’action. Surtout si la « Grande Maison Écoutante » est envisagée comme une co-habitation la plus large que possible.

 Times Square, Installation sonore de Max Neuhaus à New York, by Ulrich Loock 

L’œuvre sonore de Max Neuhaus a été installée pour la première fois à Times Square en 1977. Elle a cessé de fonctionner en 1992. En 2002, la Dia Art Foundation a remise en état cette œuvre d’art et l’a incluse dans sa collection. Ulrich Loock analyse le travail et décrit comment l’artiste fait le distinguo entre la matière sonore et sa dimension temporelle. Sans que l’installation soit véritablement présent ni visuellement ni matériellement, Neuhaus crée ce qu’il appelle une expérience, une mise en situation individuelle et authentique du lieu.

Le scandale qui a abouti au retrait de « Tilted Arc » de Richard Serra de la place Fédérale à New-York diffère d’un certain nombre d’autres incidents comparables sur essentiellement deux points.

Rarement des moyens apparemment démocratiques n’avaient été été appliqués aussi rapidement pour un acte de ce que Benjamin Buchloh a qualifié de «vandalisme d’État», afin de littéralement détruire une œuvre d’art publique. Cet acte de vandalisme a été dirigé contre une sculpture qui pourtant incarne, comme peu d’autres, la contradiction entre la revendication d’autonomie dans l’art moderne et son intégration dans l’espace public. La sculpture de Serra est une œuvre abstraite, dont la forme et l’emplacement répondent à des données spatiales et architectoniques de la place fédérale et créent des situations singulières dans la perception de l’espace. En opposition intransigeante à la domination de l’espace public par le spectacle de l’architecture et des médias, Serra revendique avec son travail la possibilité d’une expérience esthétique directement lié de l’espace, qu’il considère comme la prérogative d’un art qui ne ferait appel à aucune justification en dehors de lui-même.

Comme Le note clairement Neuhaus: «Après la création de la pièce, l’espace sera appréhendé avant tout en fonction de la sculpture ». Il exprime quelque chose d’implacable et d’exclusif par sa revendication esthétique quand il dit que, en créant « Tilted Arc », « j’ai trouvé un moyen de disloquer ou de modifier la fonction décorative de la place et d’intégrer activement les gens dans le contexte de l’œuvre ». Le potentiel expérimental convoqué par cette dislocation est la condition préalable à la possibilité d’une mise en situation spatiale unique. L’expérience vécue, par la présence de la sculpture en acier découpant la place, est une chose à laquelle les utilisateurs de l’espace urbain ne peuvent échapper. Pour ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se conformer à l’injonction spatiale de la sculpture, cela devient vite un obstacle monumental. Ainsi, la proposition artistique de résistance par la suppression de libertés individuelles est contrebalancée par l’accaparation de la place via le geste esthétique et individualiste de Richard Serra. Surmonter cette contradiction n’est pas son objectif.

Tout comme la volonté contradictoire de s’opposer à l’expérience d’une aliénation de l’espace public sous la forme d’un obstacle inévitable ne peut difficilement être invoquée pour justifier la destruction de l’œuvre de Richard Serra, il en va de même pour un caractère essentiel du travail de Max Neuhaus, d’éviter les attaques teintées de populisme. L’aversion pour l’art contemporain dans les espaces publics. Cependant,le travail de Neuhaus peut être considéré comme un moyen de résoudre certaines des contradictions révélées par « Tilted Arc ». En ce qui concerne la complexité de la perception, sa différence entre l’expérience totale de l’espace urbain, la taille même de l’œuvre et l’importance géographique de son site, l’œuvre sonore de Neuhaus à Times Square peut se distinguer à l’instar la sculpture de Serra. C’est pourtant une œuvre dont la matière est uniquement sonore. C’est un travail sans matérialisation visible ou tangible. Il est construit de telle sorte qu’il incombe à chaque passant d’y prêter attention ou non. Ceux qui choisissent de ne pas le faire ne sont pas dérangés par le travail.

 Changement de paradigme 

Max Neuhaus a commencé sa carrière artistique fin des années 50 en tant que percussionniste, avant de composer ses propres œuvres, ancrées dans des pratiques contemporaines visant à défaire la séparation trop enfermante du compositeur et de l’interprète. Il s’est ensuite intéressé à des concepts contemporains, qui élargissaient la pratique musicale pour inclure, par une sorte de renversement, ce qui avait été auparavant rejeté, afin de parvenir à une définition plus large de la musique: la « musique des sons/bruits ». Ceci nous rappelle le mouvement bruitiste des futuristes italiens, mais aussi la convocation du silence, dans 4’33 ‘par exemple, de John Cage. Ainsi, si les approches musicales étaient au départ centrales pour Max Neuhaus, des œuvres telles que Times Square et d’autres antérieures et postérieures, marquent une sorte de rupture radicale avec la pensée musicale »classique ». Neuhaus décrit ce changement de paradigme en formulant une notion fondamentale pour l’art sonore – «celle de supprimer le son du temps pour le placer dans l’espace». Ce changement de paradigme rend évident le fait de considérer la sculpture comme point de référence dans son travail, car la sculpture est le support d’une pratique artistique qui crée ou modifient les conditions de la perception spécifiques à un lieu. Cependant, seules les formes les plus avancées de la sculpture de la fin des années 1960, évoquées par Rosalind Krauss dans son essai «La sculpture dans l’espace élargi», pourraient être considérées ici comme une référence.

Rosalind Krauss écrit: «Dans l’époque postmoderne, la pratique n’est plus seulement définie et cadrée par un médium donné – la sculpture par exemple -, mais plutôt par rapport à de nouvelles logiques sur un ensemble de champs culturels, dans lesquels tout média – photographie, livre,lignes tracés sur des murs, miroirs, ou la sculpture elle-même – peuvent être utilisés. Ainsi, le champ artistique fournit à la fois un ensemble d’outils étendu, mais ouvre à des pratiques pouvant être explorées par nombre d’artistes , via un mode de travail non hyper-contraint par l’utilisation d’un média spécifique. En ce qui concerne l’oeuvre de Max Neuhaus, ces conditions présentent un intérêt dans lequel le geste artistique est lié d’une part au paysage, et d’autre par à l’architecture, deux domaines traditionnellement relativement ignorés de la «sculpture», dans une définition « classique » et non équivoque de ce champ. Dans la suite de cet article, je vais décrire la construction d’un espace sonore parmi les œuvres emblématiques de Max Neuhaus. Cependant, je voudrais d’emblée que nous gardions à l’esprit l’importance du fait qu’il n’a utilisé que du son, sans aucun autre matériau pour cette œuvre in situ. Le son est-il alors un nouveau matériau envisageable comme média sculptural autonome, dans une pratique sculpturale ou plutôt non sculpturale, dans une approche élargie, ou propose t-il une rupture importante, celle d’être face à une œuvre sensuellement perceptible, mais sans être véritablement un objet tangible? Ce n’est sans doute pas une pure coïncidence si les divers matériaux énumérés par Krauss sont tous des matériaux et objets visuels et tangibles, quelque part rassurants.

 Traffic Island 

Le lieu choisi pour ce travail de Max Neuhaus, à Times Square, est une zone a priori délaissée, située vers Broadway,la 7ème avenue et entre les 45ème et 46ème rues; une ilot de circulation déserté, à la limite nord d’une place qui est par ailleurs très utilisée et circulée. En 1977, lors de la première installation de l’œuvre par Neuhaus, celle-ci n’était pas le fait d’une commande. L’artiste avait découvert par lui-même cet étrange espace et, conscient de son potentiel, avait demandé à la New York Transit Authority l’autorisation d’utiliser les conduites de ventilation du métro, situées sous l’îlot routier pour installer le dispositif technique de son œuvre. Afin de financer ce travail, Neuhaus avait fondé sa propre organisation à but non lucratif, Hear, grâce à laquelle il a pu solliciter des fonds de la Fondation Rockefeller, de la « National Endowment for the Arts and private donors ». Son installation sonore initiale a fonctionné sans interruption durant quinze années, jusqu’à ce que Max Neuhaus la mette lui-même hors-service en 1992, pour argumenter plus fortement sa demande qu’un établissement had-oc prenne en charge la maintenance de l’installation à Times Square. Dix ans plus tard, une telle institution a été créée: la Dia Art Foundation. L’œuvre a ainsi été intégrée dans la collection de la Fondation Dia, début 2002. Une nouvelle technologie plus moderne et réactive a été conçue pour générer et diffuser le son. Plus encore, le dispositif électronique initial a été converti en processus numérique et ré-écrit en conséquence. Cela signifie par exemple qu’un son, même le plus éphémère, peut être rejoué à tout moment. Cela permet entre autre de dissiper les craintes concernant la viabilité et la pérennité d’une œuvre d’art électronique. Le 22 mai 2002, Times Square a été réinstallé, et peut désormais – du moins techniquement parlant – fonctionner quasiment indéfiniment.

Nulle part, l’installation Times Square n’est signalée, ou signalisée, ne donnant aucune indication concernant l’œuvre, son auteur, ses sponsors. Quiconque visite ce travail, soit en connait déjà l’existence, soit le découvre inopinément, par les sons étranges provenant du sous-sol, s’échappant d’une grille métallique. Max Neuhaus décrit Times Square ainsi: «L’œuvre est un bloc sonore invisible et non signalisé, situé à l’extrémité nord de l’île. Sa texture sonore, riche en harmoniques, peut suggérer à les sonneries anciennes de grandes cloches, chose improbable contextuellement dans ce lieu. Nombreux sont ceux qui traversent l’espace en prenant conscience d’un son inhabituel provenant de quelques étranges machines souterraines. Pour ceux qui le découvrent et acceptent l’anachronisme des sons, l’île devient un lieu différent, décalé, à part, mais sans pour autant être coupé, isolé des espaces environnants. Ces personnes réceptives, n’ayant aucun moyen de savoir si cela a été pensé et installé délibérément, pensent généralement l’œuvre comme un espace acoustique singulier qu’elles auraient découvert par elles-mêmes. Le son a spatialement des limites assez clairement marquées, qui correspondent à la taille du réseau de diffusion. C’est ce qui explique le ressenti sans équivoque de l’auditeur passant d’une zone où le son ne peut pas être entendu à une zone où il peut être entendu, celle où il se retrouve entouré, immergé dans le flux sonore. En revanche, il est impossible de percevoir le son «vu de l’extérieur», en prenant du recul. Même si ce dernier possède «l’objectivité» d’un objet situé hors de la conscience d’un écoutant et, en tant que tel, est un objet de perception purement sensoriel, il diffère fondamentalement des choses visibles et tangibles qui peuvent être appréhendées à distance, en tant qu’objets discrets mais néanmoins concrets ».

 Perception auditive 

La perception visuelle semble différer de la perception auditive du fait que nous parlons de la «vue», de la perception visuelle, en acceptant qu’elle puisse être modifiée, même si la chose reste la même, comme par exemple dans des variations d’éclairages, de lumières. Mais nous refusons de parler d’un spectacle qui ne serait pas vraiment un spectacle, avec du spectaculaire donc. Voir semble se rapporter à des choses et objets parfaitement identifiables. La vue de choses que l’œil ne serait pas capable de saisir de prime abord, des choses qui iraient au-delà de l’identification visuelle, nécessitant un concept plus abstrait dans l’appréhension et la compréhension des choses, pourraient être considérées comme un cas limite de l’expérience visuelle. Je me réfère ici à une expérience visuelle, proche des théories de la sublimation, et présente, par exemple, dans la peinture expressionniste abstraite, notamment celle de Barnett Newman. Si nous sommes conscients qu’il existe une source pour chaque son, un objet physique d’où il provient et par lequel il est généré, tels une voiture, un violon, un haut-parleur, nous semblons parfaitement disposés d’accepter les sons indépendamment de leurs sources originelles. Dans la perception visuelle, il n’est pas facile de trouver un équivalent à l’affirmation «j’entends un grondement», c’est-à-dire «j’entends un son qui pourrait avoir plusieurs sources différentes, plus ou moins identifiables. Je ne parle pas de l’objet matériel qui génère ce bruit, mais d’une sorte de résonance perceptible que je peux sentir et sur laquelle je veux attirer votre attention.»

Il semble y avoir une très nette différence de temporalité entre ce qui peut être vu et ce qui peut être entendu. Une des qualités essentielles du son semble être sa dé-coloration, une certaine neutralité – un début et une fin, une évolution qui ne semblent pas être directement liés à la présence ou à l’absence de la source matérielle du son. Il existe une relation interne entre le son et le déroulement temporel, le temps qui passe. Cependant, le temps du regard, dans la plupart des cas, est égal à celui pendant laquelle l’élément visible est présent, quelle que soit les variations circonstancielles de lumière par exemple. On pourrait être tenté de relier le décalage entre la temporalité du visible et celle de l’audible au fait que la personne concernée par le visible a le choix de fermer les yeux ou de détourner le regard. Une option similaire serait-elle envisageable pour l’écoute?

La perception d’un son est comparable à la perception d’un courant d’air, d’une sensation de chaleur ou de froid, nécessitant un contact physique. Il se peut que la corporéité du son, son caractère concret, réduise l’importance, ou l’urgence de l’identification de sa source. Il se peut aussi que le privilège accordé à l’œil plutôt qu’à l’oreille, à travers l’histoire et le développement de notre civilisation, ait permis d’éloigner le son de sa source, l’identification acoustique n’étant plus forcément nécessaire à notre survie. Comme pour confirmer cette notion ex négativo, Max Neuhaus lui-même renvoie à un exemple précis, confirmant la nécessité toujours vitale d’identifier un son, sa source? Il constate en effet qu’un accident peut survenir lorsque des personnes prises dans un flot de circulation automobile entendent la sirène d’un véhicule d’urgence, mais sont incapable de le localiser. En 1988-1989, il a travaillé sur un projet de sirène dont le son est conçu pour permettre une meilleure évaluation de la direction et de la distance une localisation plus fine des véhicules d’urgence en mouvement.

 Temps et Espace 

L’espace d’audibilité à Times Square est celui où est installé une zone sonifiée. Grâce au son, cette zone est mise en exergue de son environnement et est requalifiée par sa propre qualité perceptible sur le plan auditif. Neuhaus « construit » un son en relation avec ceux de l’environnement, qui sont déjà présents in situ. En un sens, il est hasardeux de comparer le son de Times Square à la résonance d’énormes cloches anciennes. Le son de l’œuvre est beaucoup plus proche de ceux présents à Times Square, et diffère en même temps de ceux-là, de sorte que, bien que ces situations auditives ne soient pas tout à fait improbables à cet endroit, l’ambiance n’en reste n’en reste pas moins étrange, décalée. Il est donc toujours possible à une oreille curieuse, de discriminer le son issu du travail de Max Neuhaus et la masse des autres sonorités ambiantes – les autres sons se confondent en un magma informe, comparés à ceux de l’œuvre – sans doute subtilement travaillés pour créer un véritable contraste.

Plus précisément, la zone sonorisée est un bloc émergeant des profondeurs, dont l’étendue et la forme ne peuvent être identifiées qu’en marchant, en se déplaçant dans l’espace de l’installation, que l’on soit dans le périmètre ou à l’extérieur de l’œuvre.
Dans le cas de Times Square, le son lui-même n’est pas toujours identique, mais possède des qualités différentes selon les zones qu’ils occupe. Ces différences sont dues à des combinaisons de fréquences particulières, qui pourraient être assimilées à différentes couleurs sonores. La modélisation interne de la zone, sa topographie, topophonie pourrait-on dire, ne peut être perçue distinctement que par un auditeur en mouvement, un marcheur écoutant. La topographie elle-même restant une approche statique. La différenciation sonore est perceptible, bien que ne subissant pourtant aucun développement dans le temps, ni aucune scansion, extension, ralentissement ou accélération temporelles, que ce soit sous la forme d’une séquence présentant des sons différents, ou d’intervalles organisés de sons et de silences. Contrairement à toute expérience sonore « traditionnelle », le son tel qu’il est travaillé et installé par Max Neuhaus est continu et inchangé dans sa durée. Seule la diversité des sons disséminés dans l’espace permet de percevoir les contours de l’installation.

Lorsqu’il n’y a pas vraiment de séquences temporelles écrites, la dimension spatiale du devient prioritaire – c’est l’espace qui décrit la portée sonore. Max Neuhaus compose le son de telle manière que la question de «quand?» Ou de «combien de temps?» soit remplacée par celle du «où?». L’endroit où le son est à sa juste place. Si nous définissons l’espace comme la condition principale régissant la possibilité de juxtaposer une variété sonore intéressante, nous définissons le lieu comme une entité spatiale, qui voit le jour grâce aux relations interférant des volumes acoustiques les uns aux autres. Max Neuhaus perçoit les sons comme des corps autonomes, formant un lieu de par leurs inter-relations. Le lieu où le son est audible est déterminé en opposition à l’endroit où il ne doit pas être entendu. L’œuvre a ainsi toute sa place dans la mesure où elle diffère constamment d’un lieu existant à un autre. Ce qui fait dire à Denys Zacharopoulos: « Le lieu que nous percevons dans le travail de Neuhaus est presque toujours un lieu dans un lieu, un lieu autre, que l’expérience singulière et la perception stimulée proposent comme un espace étant là et nulle part ailleurs ». Parce que le son global de l’installation est proche des autres bruits ambiants, en termes de volume et de couleur tonale, et ne se distingue pas directement de l’ambiance générale, il nécessite, pour être perçu, une attention particulière et une activation extra-ordinaire de l’ouïe: s’il y a une différence entre perception visuelle et perception auditive, ceci est particulièrement remarquable dans une installation comme Times Square, qui pourtant pourrait être plus susceptible que d’autres lieux de confirmer la suprématie visuelle sur l’écoute.

 La somme de tous les bruits ? 

Si l’œuvre sonore ne peut pas vraiment être perçue clairement « de l’extérieur », il est vrai que, conjointement, et distinctement de l’installation, la masse sonore de Times Square restera audible. Le travail du son dans son environnement fait qu’il reste perceptible au premier plan comme à l’arrière-plan. Cependant, lorsque l’attention est focalisée sur l’œuvre, les autres bruits de Times Square semblent se déplacer également, par un phénomène psycho-acoustique, aspirés vers le centre de la perception. Un changement d’attention, qui peut dépendre des variations du volume des bruits de circulation, peut entraîner des phénomènes de bascules entre arrière-plan et premier-plan: des bruits ambiants peuvent apparaître distinctement ou s’estomper dans l’arrière-plan de l’installation. Des bruits ambiants peuvent être entendus mixés à l’oreille, avec ceux de la composition de Max Neuhaus – ou ne pas mélangés avec elle (il n’en résulte pas forcément une somme de sons), comme ils peuvent également être colorés par l’écriture sonore. Un bon exemple de coloration créé par un travail sonore est l’effet des vitraux d’une cathédrale médiévale: tout dans l’église – personnes présentes, meubles, piliers et murs – peut être vu comme des éléments de décor colorés d’effets lumineux, abstraits jusque dans leur existence humaine-même. Travailler à une coloration sonore ambiantale, doit en principe conduire à une perception plus agréable des espaces, les sons de l’environnement prenant parfois le devant de la scène, ou étant entendus sans en être vraiment conscients – si bien sûr ils ne sont pas perçus comme des bruits hégémoniques et irritants. Les bruits de tous les jours peuvent se détacher, dans une certaine mesure des connotations négatives qui leurs sont normalement associées, en particulier dans l’idée de « pollution sonore ». La coloration des bruits environnants par l’œuvre de Neuhaus a au contraire quelque chose qui se rapprocherait d’un effet purifiant. A la différence de l’exemple des vitraux, dans l’œuvre de Max Neuhaus, la perception de la corrélation des sons entre eux, est en grande partie laissée à une liberté d’écouter en auditeur individuel et singulier. Ceci explique pourquoi Neuhaus décrit son travail en termes de «catalyseurs de modifications d’esprit»

Ecouter, percevoir le travail de Neuhaus demande une approche active, une questionnement sur l’espace, la discrimination, l’exploration, la perception des variations, et non pas une question liée à une seule « humeur contemplative ». Times Square demande, rappelons-le, un auditeur en mouvement. Le son lui-même doit être découvert comme une source exogène, et identifié comme le son d’une œuvre installée. Puis il nécessite une adaptation constante de l’attention. C’est ici que la notion de temps entre en jeu. Le travail étant géographiquement stable, étroitement lié au site, la perception auriculaire requiert une activité liée à des actions d’écoute et de déambulations dans le temps, attirant l’attention sur les séquences temporelles qui qualifient le site. En conséquence, chaque auditeur perçoit quelque chose de différent, à la fois en raison des changements réels de tout ce qui se produit de manière irrévocable dans le temps, intrinsèquement à l’œuvre, mais aussi en raison de la disposition individuelle de chaque auditeur. La perception de l’installation émerge et varie à travers une participation active; ce qui n’est pas toujours une évidence, quelque chose de spontanément offert à chacun.

Avec chacune de ses œuvres sonores, Max Neuhaus plaide en faveur de l’expérience d’une immédiateté esthétique. Son utilisation du son, parfois quasi informel, s’inscrit dans le champ élargi de la sculpture, qui n’est pas pour autant liée à un objet visuel ou tangible. Ainsi, il maintient la propension de l’œuvre sonore à nous faire accéder de plain-pied à une expérience authentique de l’espace – sans toutefois imposer à quiconque la rencontre de son œuvre: c’est à chacun, à tout moment, de d’accepter ou non la confrontation, la visite, la reconnaissance de l’objet sonore installé. Le sens, l’importance du présentiel, qui est intimement lié à l’expérience d’une création sonore, est aussi celui d’une présence constamment fluctuante. C’est ce qui implique singulièrement un matériau à la fois aussi physique et aussi insaisissable que le son dans des espaces publics.

Ulrich Loock (Switzerland) was director of the Kunsthalle Bern and Kunstmuseum Luzern in Switzer­land. Since 2003 he has been the Deputy Director of Museu Serralves in Porto, Portugal, where he has curated exhibitions of work by Raoul de Keyser, Robert Grosvenor, Moshe Kupferman, Thomas Schütte, Herbert Brandl, Adrian Schiess, Helmut Dorner and others. His most recent publication was Thomas Schütte (Cologne: Friedrich Christian Flick Collection and DuMont Verlag, 2004).
Text November 1, 2005 –  

Traduction Desartsonnants – Avril 2019  

Études aux sirènes – Max Neuhaus

Max Neuhaus testant les sirènes

Ce copieux article, rédigé par Max Neuhaus en 1991, et corrigé en 1993, montre une nouvelle facette du travail de l’artiste. Ce dernier se glisse dans la peau d’un designer sonore, repensant des « sons utiles » sous formes de sirènes d’alarmes, tout à la fois esthétiques, fonctionnels et plus efficacement sécurisants. Comme à son habitude, Max Neuhaus nous décrit méticuleusement tout le processus de création de ce projet, mettant en avant tant ses heureux aboutissements que ces nombreux freins, voire échecs. Un panel de questions singulières sont soulevées, touchant aussi bien les problème techniques de dispositifs à tester et à faire approuver, les financements, marchés, pressions commerciales et politiques, modes de pensées à ébranler, égos à ménager… De même sont posés ici des problématiques de fond, qui convoquent à la fois le statut de l’artiste concepteur sonore et ses marges, et du son lui-même, entre œuvre esthétique et objet fonctionnel. Un débat somme toute assez dans le monde du design, mais assez original à cette époque, en tous cas en ce qui concerne l’objet son. D’ou sur le terrain, une série d’incompréhensions, de retards, de freins et de résistances, d’espoirs et de désillusions, aux confins des arts, du design et de l’écologie sonore…

Sirènes  

En 1978, je ai décidé de tenter d’améliorer les signaux sonores équipant les véhicules d’urgence. Je suppose qu’une des premières questions qui vient à l’esprit de chacun, est de savoir pourquoi un artiste, même s’il est créateur sonore, est tenté de s’écarter du monde de la culture, plutôt rassurant pour lui, pour aller concevoir de sons à destination des voitures de police, ambulances, et camions de pompiers. En fait, pour moi ce fut un passage assez naturel, comme une sorte de défi somme toute assez logique à relever.

Au regard de nombreux problèmes urbains, les sirènes pouvaient sembler un objet d’assez peu d’importance, mais pour ma part, je ne le pense pas du tout. La bande sonore d’un un bon exemple de l’impact que le son peut avoir sur la façon dont nous percevons l’environnement, agissons en conséquence. Par exemple, deux pistes sonores différentes, appliquées à une même scène cinématographique, peuvent créer des scénari quasiment opposés, évoquer des émotions très différentes et contrastées.

Pour revenir à notre sujet, lorsque l’on considère l’évolution des sons d’alerte, notamment sur des véhicules d’urgence, nous constatonsqu’elle est liée à l’histoire, à la volonté et aux savoir-faire de l’homme à façonner des sons ambiants. A New York, au siècle dernier, les pompiers tiraient eux-mêmes des charriots à bras transportant des pompes et des échelles, tandis que l’un d’eux ait à l’avant, en criant et en soufflant dans une trompette pour avertir du passage et de la priorité du convoi. Au XXe siècle, la sirène mécanique a été inventée. Ses sonorités, avec de longs glissendi, étaient associées également à des sons d’alertes prévenant attaques aériennes pendant la guerre. Cette sirène à main était montée sur le charriot des pompiers, et activée manuellement, à l’aide d’une manivelle.

Lorsque les véhicules de pompiers furent motorisés, quelqu’un a eu l’idée de mettre un de sifflet à l’extrémité du tuyau d’échappement, et de laisser les gazs d’échappement du moteur activer eux-même la sirène. Cela produisait une sorte de cri, un hululement tellement horrible à entendre, qu’il a finalement été abandonné. Avec l’arrivée de l’électricité, la sirène mécanique a elle-même été motorisée. Le conducteur l‘actionnait grâce une pédale sur le plancher du véhicule, la mettant en marche ou l’arrêtant selon les besoins. Dans les années 1960, il était ainsi devenu facile d’émettre ponctuellement des sons d’alertes assez puissants.
En regardant l’histoire de ces dispositifs, il devient clair que les sons eux-mêmes n‘ont jamais réellement été pensés et de. Ils sont, au contraire, un résultat assez malheureux de ce qui pourraient être mis en branle pour faire de grands bruits peu maîtrisés. Pourtant, avec l’introduction de la sirène électroniques, un changement fondamental s‘est produit. Pour la première fois les possibilités sonores devenaient quasiment illimitées. On détenait là une technique pour synthétiser, pour concevoir n’importe quel son. Mais, au lieu de rechercher de nouvelles sonorités plus pertinentes, on s’est contenter de copier, d’imiter d’anciennes sirènes, avec des sonorités électroniques qui ont désormais équipé les véhicules.

Il se avère que ces sons possédaient de nombreux inconvénients, le principal étant qu’ils étaient quasiment impossibles à localiser. D’un commun accord, les gens disaient qu’ils ne percevaient pas, ou peu, qu’ils ne localisaient pas un son de sirène qui venait dans leur . Il était impossible de localiser un son qui devenait de plus en plus prégnant lorsqu’il s’approchait, et ainsi de nombreux conducteurs s’arrêtaient tout simplement en bloquant le trafic jusqu’à ce qu’ils comprennent ce quelle manœuvre effectuer. D’autres ignoraient totalement l‘alerte sonore jusqu’à ce qu’ils se retrouvent nez à nez avec un véhicule de pompier, ce qui pouvait parfois provoquer des accidents mortels. Évidemment, il ne suffit pas d’informer les conducteurs qu’il y a une voiture de police qui circule quelque part dans la ville, il faut leurs fournir des informations plus précises quand à son positionnement et sa trajectoire, pour qu’il puissent anticiper des manœuvres.

A New York, la caractéristique la plus remarquable de sirènes étaitde provoquer une sorte d’ambiance proche de d‘hystérie sonore. La police et les pompiers, constatant que les alertes sonores étaient en fait peu efficaces, ont demandé à ce que l’on fabrique de sons plus puissants, donc plus agressifs. Ils ont ainsi contribué à atteindreun point de saturation sonore à la limite du supportable. Et pourtant, cela ne fonctionnait toujours pas mieux !

Si, en Europe comme dans le reste du Monde, des sons plus mélodieux semblent avoir été choisis instinctivement comme signaux d’alerte, c’est peut-être grâce à des interventions de musiciens non designers, suggérant des idées à des ingénieurs responsables des travaux effectués avec les constructeurs de sirènes. Sans doute aurait-il fallu se laisser plus porter par une inspiration créatrice que beaucoup de designers sonores ont jusque là totalement oublié de convoquer. Les sons européens partagent d’ailleurs les mêmes problèmes fonctionnels que ceux des sirènes américaines, ils sont également très difficiles à localiser dans l’espace urbain.

Il est intéressant de noter cependant, que les sonorités des sirènes européennes pourraient bientôt être remplacées par celles venant d’Amérique. En effet, vu la propagation des émissions américaines présentant des flics traditionnels, émissions très largement diffusées à la télévision dans les autres pays, notamment européens, chaque policier à Paris ou à Bombay peut désormais comme un super flic à la Kojack. Le son hurlant de se voiture de police fonçant dans les rues de New-York constitue une part importante de son image de marque. J’ai récemment vu et entendu en France, en Italie ou en Espagne, des tests de voitures de polices équipées avec les sirènes américaines ! Ces dernières, New-yorkaises à la base, deviennent une sorte son-type archétypal, symbolique et reconnu dans le monde entier. ils constituent des exemples sonores emblématiques comme une sorte d’image représentative, commune à tous.

Il ne est pas nécessaire d‘effaroucher les gens pour ‘attirer leur attention. Je pense qu’il est tout à fait envisageable de concevoir un ensemble de signaux sonores facilement identifiables et localisables,ans pour autant écrire des sons trop agressives ou trop quelconques.

Au début des années quatre-vingt, ces idées en tête, je ai commencé à approcher les institutions et personnes concernées. Tout d’abord le bureau du maire, avec lequel j’ai organisé une réunion avec les directeurs des structures new-yorkaises impliquées. Ils furent de prime abord très sceptiques. Comme beaucoup, les responsables de ces départements étaient intimement convaincus que les sons d’alarmes étaient les seuls pertinents, incontournables, qu’ils constituaient ce que l’on pouvait faire de mieux en la matière. La première pierre d’achoppement fut donc les convaincre que l’on pouvait chercher ailleurs dans le registre des sonorités, que l’on pouvait en construire de nature très différente.

En fait, les services e police étaient si sceptiques qu’ils n’ont même pas répondu à l’invitation. Au lieu de cela, ils m’ont appelé à mon studio, plus tard cet après-midi, et convié à leur siège. L’injonction fut que, si je ne venais pas, ils viendraient me chercher ! Quand je suis arrivé, après une brève discussion sur mes tickets de stationnement impayés, accueil destiné à « me mettre dans un bon état d’esprit », ils ont commencé une sorte d’interrogatoire et de sermon assez virulents : les artistes n’étaient pas, d’après eux, censés plaisanter avec le Département de la police de New York, même s’ils ont des relations avec l’Hôtel De Ville.


Au bout du , il s »est avéré que l’entretien fut plus productif que son amorce ne l‘avait laissé envisager. Bien que, par la Police New-yorkaise, ils pensaient avoir pratiquement tout les cas de figures ou individus bizarres dans la vie, je ne pense pas qu’ils aient jamais d’artiste vraiment entêté pour défendre ses projets avant moi. Après trois heures d‘âpre discussion, j‘ai quitté les lieux, encadré de deux voitures de police. Ils se sont alors dits volontaires pour fournir au projet toute l’aide et les moyens dont ils disposeraient. Ils n‘étaient pas dupes, réalisant que cela pourrait sans doute changer le quotidien de leur vie professionnelle. Ils m‘ont également flanqué d’un détective pour me tenir à œil. J‘ai alors réalisé que ce projet n‘allait pas être des plus simple !

Envisager de sons supposait que ces deniers ne pouvaient être conçus sur le papier. Il y avait trop d’inconnu pour être en mesure de les imaginer virtuellement. J’étais donc fermement décidé à travailler sur des situations de terrain les plus proches que possible de la réalité, en extérieur avec des outils de synthèse sonore modulables, pour produire des sons les plus réalistes que possible équipant des voitures en mouvement. C’était une logistique lourde assez complexe techniquement, nécessitant le tournage d’un petit film maquette in situ. Il me faudrait également disposer d’un certain temps. D’après mon estimation, j’avais envisagé huit semaines de travail en l’extérieur. Il était clair qu’il me faudrait également trouver un budget pour cela..

Être un artiste n’était pas forcément la position la plus favorable. La communauté scientifique n’était pas intéressée par mon projet. Ils se sentaient bousculés dans leurs idées, par un artiste qui refusait fermement de penser que la puissance sonore était l’une des seules valeurs fiables. Mon propre milieu, celui des producteurs artistiques, se désistait toujours, prétextant pas que ce projet n’était pas dans leur domaine de compétence. Voilà pour l’état des lieux, en ce qui concerne en tous cas la théorique relation autour des collaborations et interactions art/science.

En 1981, j’avais réuni assez peu d’argent, mais juste assez en tous cas pour m’attirer de sérieux ennuis. Dans une volonté de contrer le manque d’imagination, le manque d’audace, j’ai décidé de foncer, même sans l’argent nécessaire, pour prouver le bien fondé de mes idées. J’étais persuadé que quelqu’un allait finalement me venir en aide. J’ai alors improvisé un dispositif mobile et, en utilisant les voitures empruntées à la police, réussi à mettre en place une expérimentation sur un terrain d’aviation abandonné à Brooklyn. Je n’avais pas franchement assez de temps disponible pour pousser assez loin l’expérience, mais je pensais que, si nous avions pu tourné un petit film vidéo durant cette approche in situ, je réussirai au moins à démontrer l’importance, la portée, de ce que nous avions commencé de mettre en place. Hélas, cela n’a pas du tout fonctionné comme je l’avais espéré. Personne n’a vraiment ni soutenu le projet. J’avais épuisé toutes mes ressources financières, sans autre appui, et les gens semblaient très surpris du fait que je n’avais pas encore réussi à terminer le moindre nouveau son de sirènes.

Je suis revenu vers des activités artistes plus « classiques », me promettant de rester dans une conduite plus sage à l’avenir. En 1988, j’ai été chargé de réaliser une œuvre sonore à Aspen, dans le Colorado, et de faire une intervention à la Conférence Internationale sur l’innovation créatrice, qui ce tenait là-bas. J’ai alors trouvé un site idyllique, un bosquet de grands pins, s’étendant jusqu’à une colline au bord d’une rivière à fort courant. Je fus très intéressé par les sonorités de la rivière: une texture sonore comme une nappe a priori assez puissante et stable, mais qui, en fait, présentait constamment de nombreuses évolutions, de fines variations. J’ai composé une autre texture sonore très subtile, dans la pinède environnante, afin de faire écho à la rivière. Les deux sons étaient complètement différents, mais mixés à l’écoute lorsque vous marchiez entre le cours d’eau et la forêt vous ne pourriez jamais dire où se produisaient les changements, les variations, les passages de l’une à l’autre des ambiances. C’était très réussi et assez beau.

On avait donc supposé que je parlerais de ce travail lors de ma conférence. Au lieu de cela, j’avais décidé d’aborder à nouveau le sujet concernant mes recherches autour des sirènes. Les gens qui m’accueillaient faisaient partie d’un organisme international dont le souci était principalement l’architecture, la construction et la planification urbaine. Son approche était essentiellement, uniquement visuelle. Cet organisme me semblait une sorte de service public susceptible de s’intéresser à l’amélioration de certaines qualités de vie.

Bien qu’il y ait beaucoup de discussions autour des notions de civisme, il était clair que je ne pouvais pas facilement m’aventurer, avec mes arguments sur la création sonore, dans des sujets concernant « l’amélioration du monde ». A cette époque, en Amérique, le discours de fond tournait désespérément autour d’une sacro-sainte économie. Bien que l’introduction d’une nouvelle sirène ne soit pas un sujet aisé pour facilement de l’argent, le marché n’étant pas immense, et avec un chiffre d’affaire qui pourrait prendre beaucoup de temps avant de se développer, il me semblait que je tenais néanmoins des arguments suffisamment convaincants avec mon projet, financièrement parlant, pour pas commettre une nouvelle grosse erreur d’appréciation.

J’ai donc décrit mon projet, ses problématiques et contraintes, développé des arguments commerciaux, puis littéralement enfoncé le clou en diffusant un simulation auditive réaliste d’un camion de pompiers de New York semblant rugir, toute sirènes dehors, au milieu-même du public. Cette démonstration a fait son effet et a eu finalement les résultats escomptés. J’ai en effet trouvé un bailleur de fonds. Heureusement, ce dernier était assez ouvert sur ce genre de pari. Je me suis donc trouvé, exactement dix ans après l’amorce de ce que je pensais être au départ un projet simple, avec les moyens effectifs de le mener à bien !

J’ai choisi un site près de la mer de Salton, dans le désert californien, pour y travailler deux mois durant. Ses routes pavées ont été largement testées, permettant aux voitures sonorisées par des sirènes, de voyager à des vitesses modérées. Ce site était isolé, éloigné d’environ 40 km de toute habitation. Bien que j’espérais concevoir une série de sons destinés à améliorer le confort acoustique, le cadre de vie des habitants, le processus de fabrication et les expérimentations lors de leurs conceptions pouvaient se révéler très désagréables, voire d’une grande nuisance sonore pour les riverains. Il y a en effet une grande différence entre aller volontairement à un récital de piano, pour son plaisir, et subir les répétitions quotidiennes d’un pianiste voisin, travaillant quotidiennement les mêmes traits..

En tout cas, j’ai senti qu’ici, ma première tâche était de me pencher sur des problèmes les problèmes liés à la sécurité. Il fallait faire un bon son, qui soit donc efficace en matière de sécurité, chose que j’expérimentais in situ.

Cette semaine, j’ai commencé à réfléchir sur le sujet. il s’est d’ailleurs produit un tragique accident dans les environs de Los Angeles. Deux voitures de police, arrivant à vive allure pour répondre à une même urgence, venant de deux directions opposées, sans se voir, sont entrées en collision, tuant ainsi sept personnes. Un comble ! La première question que l’on puisse se poser, est de comprendre pourquoi, même s’ils ne pouvaient se voir, ils n’ont pas entendu l’autre arriver ? En y réfléchissant, la réponse semble évidente. Si vous vous trouvez dans une voiture de police avec une sirène hurlante au-dessus de votre tête, la seule chose que vous puissiez entendre est votre propre alarme. Tous les autres sons sont complètement couverts, masqués par cette dernière.

Les citadins disent qu’ils ne peuvent pas dire d’où vient le son de la sirène avant qu’ils n’aient vu le véhicule. Pourtant, nous sommes nés dotés d’une capacité auditive très performante pour localiser les sources sonores à l’oreille. Ce dernier a probablement évolué, peut-être s’est-ol émoussé, à partir du moment où nous ne vivions plus dans d’hostiles forêts, habitats où localiser les dangers à l’oreille était une question de vie et de la mort. Pourquoi connaissons nous aujourd’hui-nous de vraies difficultés à localiser des sons, pourtant puissants, nous informant de certains dangers dans la ville? La réponse réside dans la nature-même de ces sons. Rien de comparable à ces sonorité n’a jamais existé dans la nature!

Tout d’abord, l’environnement sonore très réverbérant de la ville contemporaine se comporte comme un véritable espace acoustique qui serait recouverts de miroirs sonores. Plus vous introduisez et produisez des sons dans la ville, plus vous obtenez des effets « déroutants ». Il devient alors clair que, pour réduire la confusion ambiante des réflexions, la diffusion sonore doit être rigoureusement maîtrisée, à la fois sur les côtés et vers le haut. Il faut également émettre le son là où il est absolument nécessaire, tout en le réduisant dans des endroits où il ne s’impose pas, voire devient gênant, sinon dangereux, ceci dans la mesure du possible. À bien des égards, un son devrait être pensé comme une lumière.

Toutefois, une rapide analyse des systèmes de haut-parleurs utilisés par la plupart des sirènes m’a montré que ces dispositifs étaient plutôt pensés pour leur aspect visuel que pour leurs qualités et performances acoustiques. L’une des ambiances sonore les plus courantes a même été promue comme un «jet Scoop », et crée pour imiter l’envol d’un avion de combat, je suppose pour donner au policier le sentiment qu’il était un pilote de chasse. Cette conception était tout fait inutile, voire nuisible, de par son manque de contrôle pour diffuser et de projeter correctement le son. Ces modèles de sirènes, qui utilisaient des cornes directionnelles, avaient en fait leur axe mal orienté avec leurs longs tubes verticaux, de sorte que les sons étaient propagés vers le haut plutôt qu’en destination des usagers de la rue, alors qu’ils auraient dus être dirigés de préférence vers l’avant. Ces haut-parleurs auraient pu tout aussi bien été montés dans « le bon sens », acoustiquement plus logique et efficace, mais leurs aspects esthétiques n’aurait pas été aussi agréable.

Il me semblait que les systèmes d’alarmes actuels avaient tous pris le parti de la puissance sonore avant tout – plus il y a de son, et plus il arrose large, mieux il est considéré. En faisant cela, les constructeurs ont, à l’encontre de toute logique, ôté au son sa capacité de transmettre des informations lisibles. Une grande partie du son est non seulement totalement inutile, mais lorsqu’il est mis en branle, il ajoute en fait de la confusion à la situation. Pourtant, le principal objectif devrait être d’informer clairement les gens en cas de danger. Une de mes principales idées, lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, était justement de de transmettre un maximum d’informations, qui seraient contenues dans les sons-mêmes et véhiculées par ces derniers. Il ne s’agissait pas d’apprendre aux gens à distinguer de nouvelles formes d’alarmes sonores, mais plus simplement qu’ils puissent « lire » intuitivement les alertes ambiantes, par le biais d’une sorte personnage sonore communiquant,pour tenter de donner une métaphore significative.

La signification du message d’une sirène, pour les piétons et les automobilistes, diffère, voire se trouve altérée selon l’endroit d’où arrive la sirène, et d’où se trouve l’auditeur. Il faut savoir précisément où se situe la source sonore, si elle vient vers moi, si elle s’éloigne… Si elle se approche, vient-elle de la gauche de la droite, de devant ou de derrière? Pourquoi alors ne pas chercher à clarifier la situation par le son lui-même? J’ai compris que le type hyper directionnel d’un pavillon de haut-parleur employé, possédait une caractéristique intéressante que je pourrais utiliser pour réaliser mon dessein. Les sons les plus aigus étant les plus directionnels, les plus faciles à diriger et à focaliser, les basses fréquences sont plus faibles, et projetés dans toutes les directions, alors que les fréquences plus hautes se focalisent en un faisceau plus directif plus concentré, à la trajectoire précise. Réfléchissant à cela, je pouvais alors concevoir pour la voiture différents sons, positionnés dans plusieurs plans, de côté, devant, derrière… Je pourrais ainsi donner à la voiture une sorte de forme, de volume sonore, au sens architectural du terme. Les sons au volume élevé marquent généralement un caractère plus urgent que les plus faibles, je pourrais donc construire cette image/volume sonore de sorte qu’il reflète le danger différemment selon les circonstances. J’envisageais de diffuser de la voiture une sonorité évoquant plus le danger lorsque vous vous trouviez devant elle que sur le côté, ou derrière.

J’ai entamé la construction de certains timbres, hauts-parleurs métalliques, avec des fréquences aigües, très incisives. Placé sur les côtés de la voiture, vous entendiez plutôt des sons graves, aux harmonies assez tempérées. Lorsque la voiture se dirigeait vers vous frontalement, des sons plus aigus et agressifs vous mettaient en garde contre l’imminence d’un plus grand danger potentiel. Si vous vous trouviez dans un rayon proche, trop proche, face à la voiture, le son se faisait encore plus violent. Intéressant principe!

Un des principes de base de la psychologie humaine semble être d’ignorer à la longue les situations stationnaires et de mieux réagir au stimuli des changements. Tous les conducteurs de véhicules d’urgence avec qui j’ai échangé m’ont parlé de leur technique, de leur « truc »,qui consiste souvent à moduler les sons, les rythmes,différemment, avant d’aborder une intersection dangereuse, pour recapter une attention qui se serait un brin relâché à l’écoute d’un continuum sonore. Il ne s’agit pas dans ce cas de jouer sur le type de sons utilisés, mais plutôt d’introduire un changement dans l’utilisation du son, des modulations, pour attirer d’avantage l’attention des passants. Une voiture qui posséderait une image sonore modulable, conçue comme celle que j’étais en train de mettre en place, et qui aurait à se faufilerait à travers les flux automobile surbains, serait en capacité de produire des sons différents selon les circonstances. Cela lui donnerait une vraie valeur ajoutée, avérée par les expérimentations, qui permettrait de capter plus facilement, plus efficacement, l’attention des piétons comme des automobilistes.

Ayant décidé de concevoir des sortes de salves sonores espacées, la question était qui se posait alors était de définir le temps optimum séparant ces rafales soniques. Il l’est apparu assez rapidement que le facteur important n‘était finalement pas le temps, le rythme, mais plutôt la distance à laquelle on écoutait, liée à la vitesse du véhicule. Un son s’éteint assez rapidement à l’oreille lorsque sa source prend de la distance, il était donc nécessaire de respecter une distance relativement courte, dans le parcours de la voiture, entre les salves sonores, peu importe à quelle vitesse la voiture se déplacerait. Alors, pourquoi ne pas lier  l’intervalle temporelle au facteur distance ? De cette façon, logiquement, quelle que soit la vitesse de la voiture, les sons seraient toujours diffusés à une distance optimale: plus la voiture allait vite, plus les sons seraient denses, nombreux, rapprochés. Il fallait mettre en œuvre toute l’énergie sonore nécessaire, mais pas plus qu‘il était utile d’en dépenser. Il y avait aussi le fait que plus une voiture roulerait vite, plus elle sonnerait en annonçant un danger, une urgence, comme il était logique et prudent de le faire. On faisait là d’une pierre deux coups ! Une situation des plus intéressantes à explorer !

Spaced sound bursts at an optimum distance irregardless of speed, Siren Project,
Drawing #1, 1991

Bien que la recherche sur une sorte d’éclatement rythmique du son, dont la diffusion serait au maximum maîtrisée spatialement, avait beaucoup fait progresser sa localisation, je pensais que ce n’était pas encore suffisamment abouti pour être vraiment satisfaisant. Dans des villes très denses où se trouvent de nombreux immeubles de grande hauteur, les ambiances acoustiques sont devenues extrêmement complexes. Le verre est d’ailleurs un bon, trop bon, réflecteur sonore, à tel point que des réverbérations trompeuses peuvent nous induire en erreur par des effets « trompe-l’oreille », en entendant le son là où il n’est pas en réalité. Il fallait donc être en mesure de situer à l’écouteprécisément l’emplacement d’une voiture, même si ses sources sonores étaient plus ou moins brouillées par des bâtiments, si on voulait que le système soit efficace. Il restait pour cela encore beaucoup à faire !

Une des raisons pour laquelle j’ai choisi, comme un site de travail, cet endroit particulier qu’est le désert près de la mer de Stalton en Californie fut qu‘une route y traversait un canyon aux parois abruptes, avec une double courbe en ‘S’. L’acoustique reproduisait étonnamment celle des grandes avenues de Manhattan, tout en étant encore plus complexe. La topologie du canyon produit en effet certains échos et réverbérations des plus déroutants que j‘aie jamais écoutés. Si je parvenais à y créer un prototype de son efficace, aisément localisable, que je pourrais suivre à l’oreille tout au long de ce canyon, je serais alors en mesure de travailler n’importe où avec des dispositifs similaires.

J’ai commencé par me poster au milieu de la double «S», alors que mon assistant conduisait la voiture équipée de sirènes, en parcourant le canyon dans les deux sens, d’une extrémité à l’autre. J‘ai modifié et amélioré les sons à chaque passage et les ai écouté pour les comparer dans leur pertinence. Quand je  trouvais une sonorité que je pouvais suivre plus aisément suivre à l’oreille que d’autres, je testais des variations pour comment je pouvais encore l’améliorer. Peu à peu, j‘ai ainsi commencé à obtenir ce que je cherchais, à savoir sur quelles typologies sonores je travaillerai désormais. Après plusieurs semaines, j‘avais développé une série de sons qui pouvaient être localisés et  facilement à l’écoute. On pouvait entendre clairement où se situait la voiture dans le canyon, mais il restait par contre très difficile de dire se si elle venait vers nous où si elle s’éloignait. Les deux sens de circulation se confondaient acoustiquement. De toute évidence, il me manquait encore un élément très important de l’information pour que mon système soit opérationnel. J‘ai alors réalisé que je n’avais équipé que la partie avant de la voiture, une demi image sonore en quelque sorte, incomplète. J’ai donc monté une autre sirène à l’arrière du véhicule, et lui ai composé des motifs sonores assez différents de ceux diffusés l’avant.

J‘ai demander à mon assistant d’effectuer de petits parcours concentriques, dans différents endroits du canyon, avec la voiture équipée de sons avants et arrière. Ce fut un moment assez merveilleux. Je pouvait  facilement différencier l’avant puis l’arrière de la voiture alors celle-ci tournait, et ce à presque deux kilomètres, dans ce véritable labyrinthe acoustique !

Aural images of hidden cars, Siren Project, Drawing #4, 1991

A cette étape du travail, il était maintenant temps de commencer à définir un véritable corpus sonore. Cette volonté de re-capter l’attention par des interconnections sonores exigeait de travailler sur toute une série de sons. Dés lors, tant qu‘à faire de créer des modèles différents, pourquoi ne pas leurs donner des significations plus précises ? Un ensemble gradué de différents degrés d’urgence semblait nécessaire pour proposer au conducteur, pompier, ambulancier,de nouvelles possibilités – métaphoriquement parlant, une sorte d’accélérateur ou de frein, de ralentisseur acoustiques pour ainsi dire. Durant la genèse de ces indices sonores singuliers, j‘ai commencé à travailler sur les sons qui évoquaient le « moins urgent »: une petite « décharge sonore »liée à la vitesse de déplacement, à la position du véhicule, plus aigue à l’avant de la voiture (danger imminent), plus grave à l’arrière(danger s’éloignant). J‘ai composé les sons pour les sirènes avant de sorte que leurs apparitions soient illustrées par une tonalité spécifique, et pensé comment ils s‘effaceraient à l’écoute,dans une sorte de boucle-cycle sonore assez complexe dans sa timbralité. Cettebouclecomprenait également de hautes fréquences lumineuses qui étaient, simultanément aux sons, projetée à l’avant de la voiture, comme une nouvelle couche d’information délimitant acoustiquement une zone de danger sonore que j’ai déjà évoqué précédemment.

Sound burst patterns, Pitch contour, amplitude and tone color over time, Siren Project,
Drawing #2, 1991

Le pattern sonore que j’ai élaboré ensuite a été construit autour de deux émergences sonores différentes, se succédant rapidement – La sirène avant proposait un mouvement sonore ascendant, du grave vers l’aigu, alors que celle de l’arrière, à l’opposé, descendait de l’aigu vers le grave, simultanément. Pour la troisième alerte, celle avertissant des situations les plus dangereuses, urgentes, J‘ai composé une sorte de balayage de fréquences, de glissendo, en distinguant à l‘avant de l’arrière par des motifs opposés – l’enceinte avant effectuait un balayage vers le haut, celle à l’arrière vers le bas.

A cette époque, je en avais assez de parler « avec des cailloux dans ma bouche » comme Démosthène. Je voulais tester les sons in situ dans une vraie ville ! Sous l prétexte de réaliser un , j’ai demandé la permission d’opérer durant plusieurs soirées dans un quartier du centre-ville d’Oakland. En fait, même pour une bonne cause, de renforcer la sécurité urbaine dans les rues de la ville, cette opération avérée impossible, face à une bureaucratie tatillonne, alors que vous pourriez pratiquement assassiner n’importe qui, n’importe où, si vous faite une belle publicité pour la ville dans . La collaboration avec des agents de la police locale et des pompiers en repos, en tant que chauffeurs, dans un imbroglio administratif, a fait comprendre aux institutions que nous faisions plus que tourner un simple film, et qu’ils ne savaient pas trop quoi et comment faire à ce sujet. Les policiers en service eux, ont soutenus ceux qui conduisaient les voitures.

Une autre raison concernant l’emploi de vrais pilotes de véhicules d’urgence était qu’il me fallait recueillir leurs réactions, discuter avec eux autour de l’utilisation in situ ces nouvelles sonorité. Ces personnes avaient en effet une longue expérience au quotidien de l’usage des sirènes et en quelque sorte, leur propre vie en dépendait. Ils ont été très impressionnés d’être enfin en mesure d’entendre les sirènes des autres véhicules. Ils ont également apporté quelques nouveaux paramètres à prendre en . Lors des interventions d’urgence, sirène actionnée, ils utilisent très souvent leurs radios interne pour recevoir ds instructions. Avec les nouvelles sirènes, ils pouvaient pour la première fois entendre clairement les messages de leurs radios. Ils ont également parlé d’une diminution de leur propre niveau de stress, grâce à ces nouveaux sons. Pour ma part, j’étais également extrêmement rassuré de constater qu’il était beaucoup plus facile de suivre les sons à la trace, à l’oreille, dans une ville, que dans mon canyon tortueux.

j’ai passé beaucoup de temps à expliquer des aspects fonctionnels des sons d’alerte. Aussi importants soient-ils, leur aspect esthétique est tout aussi importante. Qu’en est-il vraiment du caractère esthétique des sons d’alarme ? Dans les sociétés primitives, l’autorité a été souvent affirmée et représentée par des sorciers portant un costume qui évoquait la puissance et la peur: le sorcier était vêtu comme un véritable monstre. Visuellement, aujourd’hui, notre représentation de l’autorité a beaucoup évolué. Nous n’habillons plus nos policiers comme des monstres terrorisants (quoique que). Pourquoi devrions nous alors encore penser que notre représentation de l’espace sonore devrait à des représentations monstrueuses, dans une idée de pouvoir ? Acoustiquement, nous sommes toujours à l’âge de pierre ! Nous pensons encore que la voiture de police doit incarner l’Autorité, se mettant ainsi en scène comme un objet menaçant. Pourtant, si nous l’avions imaginé et construit dans un aspect aussi négatif que cela, nous serions tentés de ne pas le prendre au sérieux, d’en rire. L’avertissement d’une sirène traversant une ville reste très ciblée, très personnelle, subjective, en tous cas pour le plus grand nombre qui ne sont pas directement concernés. Son effet (ou non effet) sur des passants non impliquées, nous pose la question de savoir quelle influence ont, ou n’ont pas, ces signaux d’alerte dans l’espace public. Les sons de la sirène ne sont pas vraiment quantifiables, évaluables, nous pouvons précisément mesurer leur impact sur l’ensemble de la population. Mais finalement, peu importe, Il nous reste possible de concevoir des sons à la fois puissants et informatifs, et surtout qui ne constituent pas eux-même de nouveaux dangers urbains ?

Les sons que j’ai testés à Oakland sont de véritables esquisses sonores de ce qu’ils pourraient être au final. En en éprouvant les aspects fonctionnels, je voulais également prendre en compte leurs qualités esthétiques, culturels. Par exemple le fait qu’ils nous paraissent familier à l’oreille, qu’ils nous évoquent la sonnerie d’une cloche, sans être pour autant ni trop banals, trop quelconques, ni trop stressants. Ils peuvent en fait être quasi agréables, ni plus, ni moins que leur efficacité ne l’exige. Je qualifierais même l’un d’eux de beau. Je voulais démontrer qu’on pouvait faire se garer les gens, libérer le passage pour les véhicules d’urgences sans pour autant les menacer d’une façon trop autoritaire, terrorisante. Je suis d’ailleurs content de vous affirmer que cela est possible. Bien qu’aucuns de ces sons n’aient jamais été entendus auparavant, qu’ils ne soient donc pas identifiés comme des signaux d’alerte et que l’essai dans l’espace public n’ai pas été annoncé publiquement, toutes les voitures que nous avons croisées se sont rangées sans hésitation sur le bas-côté de la route.

La prochaine question qui se pose dés lors est de savoir comment mettre en œuvre pratiquement  ces nouvelles idées sur le terrain. Comment les vendre, équiper des véhicules de pompiers, des ambulances. On pourrait penser que cela s’avéreraitchose facile, du fait notamment qu’il s’agisse d’une proposition pouvant contribuer à sauver des vies humaines et à améliorer les conditions de vie en milieu urbain. Cependant, les institutions de tutelle qui gèrent le parc automobile des véhicules d’urgence sont contraintes à appliquer des procédures d’achat très strictes. Ces dernières impliquent des appels d’offres relatifs aux marchés publiques, des contrats de très cadrés et bien, d’autres réglementations et procédures administratives. Une structure industrielle et commerciale spécifique devrait quasiment être créée de toutes pièces,pour fabriquer, distribuer et et la maintenance des sirènes. De plus les concepts ont dû être protégés par des dépôts de brevets de protection intellectuelle,pris en charge par un fabricant spécifique.

L’office des brevets Américain a hélas les mêmes préconçus sur la chose sonore que la plupart des gens. L’idée qu’un son puisse construire quelque chose d’utile pour la société n’était pas encore, tant s’en faut, dans l’air du temps. Un brevet, par définition, dépose en générale de nouvelles idées sur des conceptions d’objets ou de dispositifs matériels, tangibles. Ma proposition de fabriquer de nouvelles sonorités impactant la circulation, les modes de déplacements de véhicules d’urgence dans la ville,les a beaucoup questionné, laissé assez septiques sur la crédibilité de l’affaire. Il s’agissait là d’une première dans le monde de la propriété intellectuelle, personne n‘avait jamais fait breveter un son auparavant. Deux ans après la fin de l’expérimentation de mes dispositifs sonores, le 30 Avril 1991, l’Office des brevets des États-Unis a enfin reconnu le procédé et publié le brevet no 5,012,221, donnant ainsi une existence légal et un droit de propriété à quarante-six méthodes visant à l’intégration de sons d’alerte sur des véhicules d’urgence.

On pourrait donc penser que le plus dur était fait. Quel constructeur de sirènes ne profiterait pas de l’occasion offerte par un produit original, produit qui pourrait donner un nouvel essor à ses productions et lui ouvrir un marché inédit ? Malheureusement, le monde ne fonctionne pas de cette façon là face à de concepts. Les idées nouvelles, celles qui nécessitent un changement assez radical dans la façon de penser, de fabriquer quelque chose d’aussi immatériel qu’un « son d’utilité publique », vont généralement à l’encontre la pensée commune. Ces idées là, si jamais elles se réalisent un jour, demandent beaucoup de temps avant que d’être vraiment acceptées.

Les fabricants et vendeurs de sirènes insistent lourdement sur le fait que les conducteurs de voitures de police, de pompiers et d’ambulances tiennent à conserver leurs sons désagréablement forts, afin de renforcer leur image de pouvoir dominant exercé sur l’espace public. Selon les cas, cela peut être vrai, comme ne pas l’être !. En 1989, le Département de Police de New York m’a commandé une série de nouvelles alertes sonores, pour les comparer aux modèles existants dans dans une de leur circonscription. Dans les faits, aucun fabricant de sirènes n’a jusqu’à aujourd’hui montré le moindre intérêt à réaliser une série de prototypes qu’ils pourraient eux-même tester.Les fabricants et distributeurs n’ont en fait aucune envie de bousculer le ronronnement de leurs habitudes commerciales. Ils se contentent de conserver les produits traditionnels, année après année, sans chercher de nouvelles modes de pensées ou d’action, pour rester dans les petits papiers des chefs de police, ceux qui aiment se présenter tels des pilotes d’avions de chasse, avec des images sonores façon guerre de l’espace. Dans une société régie par l’aveuglement d’une mentalité trop mercantile, un «produit», qui remettrait en cause les habitudes bien enracinées des acheteurs potentiels, est tenu comme un objet parfaitement inutile.

Derrière cette forme de léthargie, se pose bien entendu aussi la question de l’argent. Le marché des nouvelles sirènes n’est pas énorme. De plus, il ne se renouvelle pas rapidement. Généralement, lorsqu’un véhicule est remplacé, une ancienne sirène est tout simplement réinstallée dans ce dernier. Fabriquer une nouvelle alarme demande un de départ, pour la concevoir, la produire et la distribuer, et même avec une part de marché potentiellement accrue, cela ne fera pas du constructeur un . Le gouvernement de son côté n’exige pas que les sirènes deviennent plus efficaces et plus sécurisantes, alors les fabricants font pression pour imposer leurs produits à ceux qui sont censés les réglementer. Il n’y a pas non plus de pression de la société civile, du fait que le public ne connaisse pas l’existence de meilleurs alternatives.

Les sons d’une sirène traversant une ville constituent les événements sonores des plus prégnants dans la vie quotidienne. Dans les grands centres urbains, à l’habitat très dense, de tels événements sonores se produisent habituellement plus d’une centaine par jour ! Dans des villes comme New York, les sons de sirènes sont quasiment omniprésentes. Une meilleure gestion de ces signaux sonores pourrait, non seulement épargner des vies humaines, mais aussi, au regard de la densification de la population mondiale urbaine, contribuer à long terme à rendre les cités plus vivables.

Bien que vous puissiez mener un cheval au ruisseau, vous ne pouvez jamais le forcer à boire !

Max Neuhaus, 1991 (with addenda in 1993)

Originally published in Kunst + Museum Journaal (Amsterdam) . 4, no. 6 (1993).

Lien complémentaire http://www.kunstradio.at/ZEITGLEICH/CATALOG/ENGLISH/neuhaus1-e.html

Max Neuhaus, modifier la perception des lieux plus que les lieux eux-même  

  

L’exemple de Max Neuhaus  

  installer imposer ? 

Tout geste de création sonore s’inscrivant dans un espace public modifie généralement ce dernier en lui ajoutant une couche audible supplémentaire. L’artiste utilise ainsi tout un panel de système ou de dispositifs, amplifications électroacoustiques, installations acoustique ou non, interactions numériques, pour installer des sons destinés à être entendus par un (large) public. Que ces sons soient composés in situ ou non, plus ou moins en relation avec l’espace investi, ou totalement déconnectés du terrain, l’auditeur se verra proposer une scène acoustique qui modifiera généralement très sensiblement  l’espace d’écoute, jusqu’à parfois le phagocyter en imposant on hégémonie qui recouvrira l’essentiel de l’ambiance préexistante.

Les lieux sont ainsi grandement chamboulés, et parfois relativement malmenés, ainsi d’ailleurs que l’oreille des visiteurs par effet boule de neige.

Ce choix artistique peut cependant, dans une ponctualité événementielle, être assumé et pertinent, s’il ne s’impose pas sur des durées déraisonnable, voire nuisibles pour l’environnement et surtout ses propres habitants, humains ou non.

 Le choix du ménagement des lieux 

Si les lieux sont souvent sujets d’aménagement, y compris parfois sonore, pour le meilleur et pour le pire, nous parlerons ici de ménagement de l’espace public. Ménager un lieu, c’est tout d’abord en respecter ses qualités intrinsèques, ses équilibres, ou toutefois ne pas les amplifier, voire en ajouter de nouvelles. Dans le meilleur des cas, il faut également le garder relativement protégé de toute invasion acoustique trop prégnante, en tentent de rester dans des situations où l’écoute ne devienne pas trop fatiguante, où la parole et le dialogue puissent s’exercer sans trop hausser le ton, ou les surenchères pour se faire entendre malgré tout n’amènent pas un trop grand brouhaha urbain.

Le ménagement c’est le respect du site, mais sans doute surtout de ses résidents. Cette posture ne voulant pas pour autant dire qu’il faille tomber dans un immobilisme sclérosant, ou le territoire serait plus figé qu’un muséum d’histoire naturelle (à l’ancienne), sous prétexte de la garder dans son intégrité sécurisante et sans relief. On peut penser pour cela une façon de percevoir différemment le terrain, ses ambiances, de décaler ou d’amplifier les expériences sensorielles, plutôt que de chercher à  modifier ou à asservir le territoire via des expériences sonores trop présentes en puissance et en durée.

 Modifier les perceptions des lieux, façon Max Neuhaus 

Je reprendrai ici trois exemple d ‘interventions sonores plutôt douces de l’artiste Max Neuhaus dont je pense que les actions autant que les propos illustrent la posture respectueuse qu’avait l’artiste, à la fois des sites et des  écoutants potentiels.

Le premier exemple, sans doute pour moi un des plus emblématiques, est celui des soundwalks, ou promenades sonores, auxquelles il avait donné en sont temps nommées du nom évocateur de « Listen ». Rappelons que, dans l’esprit de John Cage qu’il admirait profondément, Max Neuhaus avait parmi ces objectifs artistiques, de faire sortir la musique des sacro-saints lieux de concert, pour aller l’offrir à un maximum de public. L’espace public, la ville, les rues se posaient donc comme un théâtre sonore des plus pertinents pour ce faire, à une époque où la chose n’était pas encore si courante que cela. Donc, au lieu de ramener dans les lieux de nouvelles sonorités, fussent-elles musicales, pourquoi ne pas envisager les ambiances sonores urbaines comme LA ou LES Musiques des lieux, qui se suffiraient donc à elles-mêmes comme installation in situ, à condition de les révéler comme telles. Sitôt dit sitôt fait, Un groupe de promeneurs écoutants était emmené au travers des lieux judicieusement choisis pour la diversité des sources sonore et des acoustiques ambiantes, comme un parcours qui offrait un concert de sons « naturels », sans autre adjonction de sonorités exogènes. Pour renforcer l’immersion, ou garder les visiteurs dans un état d’attention optimum, le mot « Listen » était tamponné sur leurs mains, leurs rappelant ainsi tout au long du parcours la motivation de cette déambulation. Max Neuhaus a ainsi proposé su plusieurs années à partir de 1966,  de nombreuses marches, d’usines en parcs, de places en gares, dans le but de partager dans sons sans forcément chercher à en établir une hiérarchie dans leur valeur esthétique, avec un public le plus nombreux que possible, et de préférence non averti, et tout en respectant l’intégrité territoriale puisque c’est juste son écoute qui installait des des sons in situ. Une façon d’axer l’attention sur la perception auditives sans modifier l’environnement initial qui fonctionne encore parfaitement un demi -siècle plus tard !

La deuxième œuvre de Max Neuhaus à laquelle je ferai référence ici est son fameux Time Square, installé à l’embranchement d’une grand carrefour de New York, à proximité de Broadway en 1977. Toujours dans l’idée de toucher un maximum d’auditeurs hors lieux dédiés à l’art, l’artiste utilise une « chambre  acoustique » constituée par un espace d’aération souterrain du métro, recouvert d’une grille donnant sur un passage piéton. Utilisant les fréquences de résonances du lieux, et se servant de cette cavité comme une chambre de réverbération, Max Neuhaus fera entendre  son installation dont le son s’échappera par la grille d’aération, en jouant sur des sonorités qui se distingueront de l’acoustique ambiante sans pour autant s’impose dans le le lieu, ou s’y frotter de façon véhémente. Les piétons, confrontés de façon inopinée  à l’œuvre, sentent qu’il se passe quelque chose, que l’ambiance n’est plus tout à fait la même que l’ordinaire, sans toutefois parvenir à dire en quoi consiste ce changement. Ils ne se doutent pas un instant qu’ils sont en fait postés sur une installation artistique. C’est bien encore une fois dans le décalage de la perception plutôt que dans une transformation radicale de l’espace de diffusion que se crée un nouveau paysage sonore qui se déploie très discrètement à l’oreilles des promeneurs, sans faire violence à l’espace public, mais plutôt en le questionnant délicatement. Il s’agit là de jouer sur un effet de surprise en colorant légèrement l’espace pour désorienter l’oreille du passant qui va se demander pourquoi il n’entend plus le lieu comme d’habitude, qu’est ce qui a vraiment changé. Jeu autour de la perception et de la psycho-acoustique. Et si le passant n’est pas un habitué des lieu, sans doute se demandera t-il pourquoi l’ambiance acoustique est si étrange en cet endroit précis, ambiance que l’on ne retrouvera pas sur d’autres grilles ‘aération du métro new-yorkais.

Je prendrai un troisième et dernier exemple, toujours tiré de l’importante production artistique de Max Neuhaus, pour continuer d’argumenter ces recherches perceptives, qui touchent au final plus le contexte paysager que l’œuvre elle-même, lesquelles œuvre se matérialisant comme une installation et diffusion de compositions sonores dans des espaces donnés. Ici, max Neuhaus ira encore cueillir le public dans un lieu inhabituel pour des installations artistiques : Les piscines. Lorsque l’on parle d’immersion, ou de bain sonore, quoi de plus naturel que de le proposer à des écoutants plongés dans des masses d’eau. Précisons ici que ce travail, réalisé lui aussi sur une série de lieux différents et sur plusieurs années, a été réalisé bien en amont de celui des concerts aquatiques de Michel Redolfi, tout début des années 70. En fonction des bassins de piscine, lMax Neuhaus installait des sifflets immergés, donc uniquement écoutables sous l’eau, les Water Whistle Series. Toujours dans cette volonté de modifier la perception des lieux, ici dans un milieu aquatique inhabituel, sans forcément faire subir à ces derniers d’importantes et radicales transformations.

Ces trois types lieux, une ville où l’on déambule, un square au centre de New-York et des piscines sont ont été des terrains d’expérimentations sonores  tout indiquées pour que Max Neuhaus puisse exercer son art, tout en finesse, sans même imposer l’œuvre d’art comme une œuvre d’art à proprement parler, je veux dire en tous cas dans la perception qu’en avait le public. Nus sommes ii dans une approche qui non seulement ménage les lieux, mais où le statut même de l’artiste omniscient s’efface pur laisser la part belle au seul paysage sonore. Il faut ici faire en sorte que le visiteur involontaire soit interpelé par une anomalie, plutôt esthétique, sans qu’il sache vraiment qui en est l’auteur, même si un cartel vient au final le renseigner sur le dispositif et son auteur.

Dans une société de plus en plus urbanisée, et dans des villes de plus en plus densifiées, Max Neuhaus prône une modération qui donne à entendre, sans rentrer dans un jeu de surenchère à qui parlera le plus fort, le paysage sonore lui-même, et c’est sans doute un des aspects des plus remarquables dans ces jeux de perceptions décalées.

Desartsonnants 2022-2023

Points d’ouïe et Paysages sonores à portée d’oreilles

« Le silence est dehors »

Franchir un nouveau PAS

Installer le silence
pour installer l’écoute
pour installer le paysage sonore

Le silence est habité
partageable
révélateur
fédérateur
ouïssible

La parole disparait
le geste invite
le corps joue, performatif
la lenteur s’installe

Le paysage alors se fait entendre


« Dedans dehors et entre »

Projet décloisonnant in/out

Dedans/Dehors, cet axe, ce mouvement est induit par son propre énoncé.
C’est la volonté de faire bouger des sonorités, des paysages, des ambiances, entre les murs, entre les personnes, à l’extérieur et à l’intérieur d’espaces a priori Oh combien cloisonnés.

C’est le désir de faire naviguer des ambiances auriculaires, via des passages aller-retours, des fenêtres ouvertes, des passe-murailles symboliques. Et ce au travers la construction de paysages sonores, substrats incontournables de mon travail, ceux-là même qui contribuent à ouvrir des espaces relativement, voire très fermés.

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@photo Nicolas Frémiot


« Bancs d’écoute »

Événements bien assis

Considérer les bancs publics comme des installations urbaines qui nous permettent d’écouter la ville, ou ailleurs, autrement.
D’effectuer des parcours d’écoute en solitaire, en duo, à plusieurs…
Des bancs comme un cheminement tramé in situ, un maillage cartographié de Points d’ouïe, d’affûts proposant des postures en focales, en arrêts sur sons…
Des lieux où se poser, rencontrer, se frotter à des endroits parfois surprenants, pour ne pas dire Desartsonnants.


« Inaugurations de Points d’ouïe »

Cérémonies officielles autant que sonores


« Akoustiks trans-posées »

Acoustiques auriculaires

Enregistrer, comme des signatures sonores, des acoustiques architecturales remarquables, notamment par leurs réverbérations (églises, passages couverts, usines désaffectées…)
Les (ré)installer hors leurs murs, avec des dispositifs ad hoc, dans d’autres espaces, leux de monstration et d’audition.
Agrandir les lieux par des perceptions sonores, décaler des écoutes en jouant sur des écritures ambiantales, via les Akoustiks Trans-Posées.
Désorienter les relations entre les choses vues et les choses entendues…
Jouer avec des espèces d’espaces, sonores, les frontières sensibles…

Et bien d’autres actions sur mesures, cousues mains, autour de partitions marchécoutées, de paysages sonores nocturnes, d’écosophie écoutante, de résidences d’écritures audio-paysagères, workshops et groupes de travail…

Desartsonnants cherche lieux d’accueil sonophiles, sonifères, sonophages, festivals curieux de la feuille et autres terrains de bonnes ententes.

Si l’oreille vous en dit !

Points d’ouïe et oasis sonores lyonnais

Place Bellevue – Lyon 4e – Point d’ouïe panoramique remarquable

Je travaille actuellement autour d’espaces que l’on pourrait qualifier « d’oasis sonores », généralement en milieu urbain, mais pas forcément.

 L’oasis sonore c’est, pour moi, un lieu ou une zone calme, acoustiquement intéressant, où l’on peut faire une pause, se délasser, parler sans élever la voix, écouter (de belles choses) sans tendre l’oreille; un espace ni saturé ni paupérisé, bref, où l’on peut bien s’entendre, dans tous les sens, ou l’essence du terme… 

Ayant mon camp de base à Lyon, j’expérimente pour l’instant ce type d’espaces dans cette ville, mais également lors de déplacements, ici ou là. 

Cet article écrit à titre d’exemple, s’appuyant donc géographiquement sur la seule ville de Lyon, non pas qu’elle ait l’apanage de posséder ce genre de lieux, mais qu’il m’y est plus facile de débuter une forme de recensement, à titre d’expérience de terrain. 

Je vous livre donc ici, non pas une méthodologie, elle est en chantier, mais une série de coups de cœur, issus de “coups d’oreilles”, d’expériences sensibles plutôt instinctives. Ces dernières étant néanmoins appuyées sur mes nombreuses balades et errances urbaines, oreilles aux aguets.

Ces exemples, brièvement commentés, et ce de façon très personnelle, ne sont donc pas, tant s’en faut, exhaustifs. Ils peuvent appuyer, ou être irrigués par un travail de terrain servant d’appui à des expériences, des installations d’écoute, projets éducatifs, des écritures audio-paysagèress, des inventaires, inaugurations et autres festivités collectives, aménagements…  

Traboules et cours intérieures

Commençons par un type de lieux emblématiques à Lyon, les traboules, notamment celles des pentes de la Croix-Rousse, quartiers des canuts, et celles des cours intérieures Renaissance, situées dans le Vieux Lyon, rue Saint-Jean et avoisinantes.

Il ne faut pas hésiter à pousser des portes, qui cachent souvent de petites perles acoustiques, et visuelles, de vrais oasis sonores.

Des espaces acoustiquement privilégiés, refermés, à l’abri des zones circulantes pour ce qui est des pentes. Des acoustiques minérales, réverbérantes à souhait. Des séries de passages ouverts/fermés, de couloirs en escaliers, de courettes en passages couverts, avec une énorme variétés d’ambiances, des porosités dedans dehors, intimes extimes en été, fenêtres ouvertes… Mille petites histoires pour l’oreille séduite. 

Essayer de descendre, ou de monter pour les plus courageux.ses, la célèbre Cour des Voraces, et prenez le temps de l’écouter lentement, attentivement, de faire des poses sur les  différentes terrasses, de vous poster dans les escaliers, de naviguer dans les espaces, d’y lire un texte à haute voix… Il m’est arrivé de passer plusieurs heures, avec des groupes, dans ce seul espace, moments magiques !

un conseil toutefois, si vous les parcourez en groupe, veillez à respecter la quiétude des lieux et la tranquillité de leurs résidents, ce qui n’est hélas pas toujours le cas et à malheureusement conduit à la privatisation de certains lieux aujourd’hui devenus inaccessibles.

Voir les guides et listes

Cloîtres et églises

Autres types de lieux que j’adore, les cloîtres et les églises.

Lyon ayant un passé historique où l’église, depuis longtemps déjà, tient une place des plus importantes dans le pouvoir ecclésiastiques, beaucoup de quartiers possèdent des cloîtres, certains intacts d’autres non.

Citons par exemple la cour intérieure du jardin des Beaux-Arts, Palais Saint-Pierre place des terreaux, petit bijou de calme que les lyonnais adorent en été pour grignoter tranquillement, à tel point que les places assises s’y font chères à midi, autour du glougloutement de la fontaine et des oiseaux qui piaillent à qui mieux mieux.D’autres sont superbes, mais hélas, entre le sécuritaire et le sanitaire, de moins en moins accessibles; ceux par exemple des Augustins à l’ancienne Martinière Terreaux, du CNSMD, avec ses jardins en terrasses… Notons, à l’extrémité de la rue de la Vieille,

dans le 1er, le cloître, ou Clos Saint-Benoît, surprenant lieux qu’il faut dénicher au bout d’un parking intérieur dissimulé dans un recoin urbain.

Côté églises, ou cathédrales, basilique, il n’y a que l’embarras du choix. petites et intimes ou monumentales, ce sont des lieux où en dehors de toute considération religieuse, j’aime me ressourcer l’oreilles dans la quiétude de ses épais murs et de toutes ses micros sonorités joliment réverbérées. Quand l’acoustique n’est pas saccagée par une Muzac religieuse nous pourrissant l’écoute de chants grégoriens et autres polyphonies envahissantes.

De la majestueuse cathédrale Saint-Jean à la basilique romane Saint-Martin d’Ainay, en passant par la basilique Saint-Bonaventure, l’église Saint Polycarpe, Fourvière (dont sa crypte) et autres édifices plus modestes, la collection et la diversité  de réverbérations apaisées est à même de satisfaire et de réjouir l’oreille la plus exigeante et gourmande. Des espaces de pauses lors de déambulations dans lesquels, là encore, il faut prendre le temps de l’écoute, de sentir l’âme bien sonnante de ces lieux souvent chargés d’histoire, histoire qui occulte parfois les subtilités des ambiances lumineuses sonores.

Amphithéâtres

Ville gallo-romaine, Lyon possède de beaux spécimens de théâtres antiques, à commencer par celui de Fourvière, dit théâtre antique, le plus connu et majestueux, mais aussi celui, en contrebas de la colline de la Croix-rousse, celui des Trois Gaules. Du haut de ces édifices gradinés, les fameuses acoustiques, en points d’ouïe panoramiques, montrent la maîtrise des constructeurs de l’époque, plaçant ces lieux de représentation sur des pentes déjà théâtres naturels et les aménageant de façon optimale, tant pour la vue que pour l’écoute. A tester immanquablement. 

Cimetières

Autre lieu de calme auquel que l’on ne pense pas souvent à visiter par l’oreille, et pourtant, les cimetières. Les parisiens, ou touristes, penseront immanquablement aux belles ambiance du père Lachaise à Paris, que j’adore traverser en automne, l’âme vagabonde et romantique… À Lyon, c’est celui de la Loyasse, ancien cimetière aux nombreuses tombes monumentales, perché sur les hauteurs de Fourvière, que j’aime traverser comme un vaste îlot de calme apaisant.

Places et placettes

Pour revenir vers le monde des vivants, même si Foucault qualifie les cimetières de lieux hétérotopiques – monde des morts construits et gérés par des vivants, je parlerai ici des places et placettes lyonnaises, plus ou moins vastes et conviviales du reste. j’avoue, niveau qualité d’écoute, très largement préférer les placettes, plus retirées, intimes, et souvent socialement plus vivables et habitées. Les grands espaces que l’on traverse sans forcément les vivre, places monumentales de représentations du pouvoir, Bellecour, les Terreaux, ne sont pas forcément, voire loin de là, des exemples d’aménagements apaisés et conviviaux. Par contre des places aux dimensions plus resserrées, plus intimes, telle la place Sathonay, à deux pas des Terreaux, enclavée hors des grandes voies circulantes, ombragée et bien équipée en bancs publics, avec son sol sablé accueillant jeux d’enfants et pétanqueurs, reste un modèle de lieux vivants, où il fait bon se poser.

De même, plus haut dans les pentes croix-roussiennes, au pied du Gros caillou, la Place Bellevue offre un magnifique panoramique urbain, pour saisir la rumeur de la ville, ses émergences, et toutes les sonorités des passants et passantes devisant sur la pelouse et en contrebas.

J’adore aussi les squares en cœur d’îlots, enfermés de bâtiments formant de grands carrés arborés, avec souvent des bancs, objets/points d’écoute privilégiés pour moi, d’où l’on échappe aux grandes rues alentours pour retrouver une ambiance acoustique très favorable à l’échange, à la rencontre; on en trouve de magnifiques, tant quartiers de la guillotières que dans les gratte-ciel villeurbannais.

Pour les repérer, car les entrées sont souvent, volontairement, discrètes, il suffit d’utiliser une carte urbaine en ligne, qui les dessine très visiblement, et de vérifier sur le terrain lesquelles sont accessibles au public, parfois traversantes d’une rue à l’autre.

Grands parcs et petits squares

En périphérie ou en centre ville, on trouve de grands parcs historiques. Celui de la Tête d’Or à lyon étant, de par sa taille et la qualité, l’esthétique  de ces espaces, un des plus remarquables. et lyonnais et touristes ne s’y trompent pas en allant s’y promener, ou s’étendre régulièrement. de superbes ambiances sonores, spécifiques à chaque partie du site s’y font entendre, et j’y ai guidé nombre de PAS-Parcours Audio sensibles.

Celui du Vallon, montant du haut de Vaise (9e) jusqu’à la colline de la Duchère, permet notamment, grâce à une astucieuse installation acoustique, de plonger l’écoute jusqu’au ruisseau enfoui.

Celui de la Feyssine, longeant le Rhône est également très prisé, de même que l’immense Grand Parc de Miribel Jonage, vaste réservoir d’eau périurbain, propice à de nombreuses explorations, oreilles aux aguets.

Mention spéciale pour un square que j’adore, et dans lequel j’y emmène régulièrement des oreilles promenantes, le jardin dalle Rozier, dans la rue éponyme, sur les pentes de la Croix-Rousse. Il faut franchir un petit portillon discret, ressemblant à l’entrée du parking attenant, gravir quelques marches, traverser un premier jardinet, puis, modèle traboule contemporaine, arriver à un espace clos, entouré de bancs et de végétation, avec un sol en caillebotis très agréable à fouler. Les rumeurs de la ville nous arrivent très filtrées, mêlées aux sons ambiants des cages d’escalier et fenêtres ouvertes voisines, une douce mélodie dans un espace privilégié.

Autre coup de cœur, le Parc Sutter, dont les entrées sont vraiment plus que discrètes pour qui ne les connaît pas. Un vaste parc très arboré, très pentu, sorte d’amphithéâtre de verdure, avec une crèche tout en bas. Du haut, un point d’ouïe absolument remarquable, où tous les sons trouvent leur place dans un espace acoustique ciselé. A consommer sans modération.

Il se trame ainsi des liaisons vertes, où le confort et la qualité d’écoute sont généralement au rendez-vous.

Underground

Passages underground. Les parkings souterrains, pour beaucoup lieux anxiogènes, règne de la voiture, sont a priori à l’opposé des oasis sonores dont il est ici question. et pourtant je les adore de l’oreille, avec leurs réverbérations cahédralesques, surtout au tout dernier niveau, qui souvent n’est que très peu occupé et circulé. Deux ont ma préférence; celui du parking des Célestins, avec l’incroyable œuvre kaléidoscopique de Daniel Buren “Sans dessus dessous” mettant en valeur l’immense spirale du parking; et des sons tournoyants, sans être, du bas, jamais, ou très rarement envahissants. Un point d’ouïe et de vue spectaculaire ! L’autre étant celui de l’Hôtel-de-ville à villeurbanne, toujours immense fosse spiralée où à l’étage inférieur, un long poème “Le regret des oiseaux” de Philippe Favier, se déroule vers le haut.  D’autres espaces souterrains sont très intéressants de par leur dépaysement acoustique et visuel, tels les souterrains du fort de Vaise dans le 9e ou les fameuses arêtes de poisson des pentes de la croix rousse, mais uniquement en mode visite patrimoniale pour les premiers, et urbex sauvage pour les secondes.

Coulées, trames vertes, bleues, noires, blanches

Entre autres grandes coulées ou trames urbaines, le réaménagement des quais du Rhône, puis de ceux de la Saône ont ouvert de nouvelles promenades en bas-quais, souvent isolées des voies sur berges, dans des passages en talus gommant l’essentiel de la rumeur automobile.

Notons que ces trames sont qualifiées de vertes pour des corridors écologiques végétalisés, bleues pour celles suivant les cours d’eau, noires pour les espaces préservés de trop de pollution lumineuse, et blanches en ce qui concerne les espaces non pollués par le bruit. Certains aménagements s’inscrivent donc dans ces grandes trames écologiques favorisant la biodiversité. L’une d’elle permet de traverser une grande partie de Lyon sur l’axe nord-sud (ou inversement), de Gerland au Grand Parc de Miribel Jonage, avec une diversité de paysages, y compris sonores très riche.

D’autres longues coulées cheminantes, souvent suivant d’anciennes voies de chemins de fer, permettent de beaux parcours piétons. Citons la Voie verte de Caluire et Cuire, inscrite dans un sentier de plus de 10 kilomètres reliant la Confluence à l’Ile Barbe, ou celle de Champvert (5e arrondissement vers Tassin la demi-lune). Toutes nous offrent points de vue et points d’ouïe dépaysants, dévoiturés, dans Lyon ou sa proche périphérie. 

Remarques éc(h)ologiques

Concernant les trames ou coulées, corridors écologiques notons celles dites bleues, cours d’eau, vertes, végétales, noires, espaces nocturnes protégés de pollution lumineuse et, petites dernières, blanches, espaces protégés de la pollution sonore.

Notons aussi la directive européenne(2002/49/CE) préconisant des zones calmes dans l’aménagement du territoire, directive non contraignante donc au peu (re)connue ou suivie d’effets.

Notons également la récente recension des îlots de fraîcheur, suite à l’augmentation des niveaux de températures dans les espaces urbains, ces derniers se superposant souvent à des oasis acoustiques, parcs, îlots ombragés et espaces piétonniers en voies douces notamment. Il serait d’ailleurs intéressant de coupler le repérage, la mise en place, voire l’aménagement de ces îlots de façon complémentaire, comme des  espaces de confort acoustique-température, ce qui n’est pas réalisé à ce jour.  

On pourra s’inspirer des fascicules édités par le Grand Lyon la Métropole sur des sentiers de randonnées urbaines et périurbaines, parcs, pour découvrir d’autres sites acoustiques remarquables.

Les exemples cités ici ne représentent qu’une petite partie de potentiels oasis, qui peuvent du reste, d’un moment à l’autre de la journée ou de la nuit, au fil des saisons et des aménagements, voir leurs qualités acoustiques évoluer, en bien ou en mal. Chacun et chacune peuvent donc se faire leurs propres réserves de lieux ressources où l’oreille, et tout le corps, y trouveront leurs compte, voire peuvent  contribuer à faire connaître leurs espaces de prédilection, à enrichir ce début d’inventaire, à proposer des visites écoutantes…

desartsonnants@gmail.com

Cet article est inspiré tout à la fois par l’idée esthétique des paysages sonores, ceux à contempler, découvrir, partager, vivre, préserver, par la militance pour un confort auditif, une qualité de vie préservée  et la résistance contre un envahissement sonore dont chacun porte une part de responsabilité. Sans oublier l’espoir sociétal de vivre en bonne harmonie, en sachant s’entendre du mieux que possible avec notre ville et ses habitants et usagers.

C’est un vœu récurrent, voire omniprésent dans mon travail au quotidien, mais “Vingt fois sur le métier », il nous faut remettre notre ouvrage, et ici mes oreilles !

Points d’ouïe, lieux, moments et ressentis d’écoutes

@Photo Zoé Tabourdiot – Festival City Sonic -Transcultures be

Il y a des lieux où l’on peut sereinement s’assoir sur un banc, entouré de mille friandises sonores, qui nous font nous sentir investis par et dans le monde.

Il y en a d’autres, plus instables, où des marchands de cigarettes et autres produits, nous harcèlent, et où l’on sent le pugilat, toujours prêt à vous exploser à l’oreille et au regard.

Il y en a où l’on prend plaisir dans l’explosion ferraillante de multiples trains, lancés à grande vitesse, interminables, décoiffants, qui vous agressent d’une jouissive sidération.

Il y a ces forêts, ruisseaux, oiseaux et soleil complices, qui semblent vous faire la fête sans vergogne, ni contreparties aucunes.

Il y a ces forêts d’où l’on se sent exclus, hors-jeu, tant les lémuriens hurleurs et les insectes stridulants empêchent tout sommeil ; jusqu’à ce que l’on soit rassurés, voire bercés par l’insistance évidente de cette vie trépidante.

Il y a ces ressacs obstinés, hypnotiques, roulant des galets soumis, anesthésiant toute pensée rationnelle, quitte à laisser le champ libre à la rêverie folâtre.

Il y a des choses sonores, qui scandent les moments d’une vie qui s’écoule inexorablement, sans que nous en soyons vraiment maîtres.

Il y a ces faux silences, toujours troublés d’un iota de quasi indicible, mais qui nous rassurent sur le fait que la fureur guerrière n’est pas (toujours) maitresse d’un monde bruissonant.

Et puis il y a tous ces lieux où je n’ai encore jamais posé les oreilles, mais où j’aimerais tant !

Point d’ouïe subjectivement avifaune

Je ne connais que couic, cui-couic aux zaffaires zoizelières, à leurs ramages, plumages et autres fromages…

Guère plus en leurs chants syrinxées, pépillages et bavardages compris…

Certes, je reconnais parfois une pie criarde, un pigeon roucouleur, un martinet strideur, une chouette hululante, guère plus.

Je les repère de l’oreille, comme d’incontournables narrateurs, du platane urbain au chêne cévenol, de jour comme de nuit. Ils sont acteurs incontournables, faiseurs d’audio-paysages, en alerte, en quête territoriale, semble-t-il… Mais les ornithologues déchiffrent.

Lorsque leurs voix se taisent, l’espace hélas se paupérise, nous renvoyant à nos propres désastres en chantier.

J’admire leur persévérance entêtée, le tissage itératif comme un ruban volubile inlassablement déroulé au fil des heures et des saisons.

J’admire leurs façons de pointiller l’espace, de le traverser en flèches soniques, d’en marquer des lisières, des orées, des allées, des frontières aussi, des heures, des friches embroussaillées résistantes au bitume.

J’imagine leurs audaces en aubades et sérénades amoureuses, viens dans mon petit nid et oiselons en c(h)œur.

Vinciane Despret l’a raconté, d’autres l’ont enregistré, certains en on fait musique*.

Oiseleurs et oiseaux-leurres, à chacun sa facétie.

J’aime les oiseaux du bout de mes oreilles paraboles.

*Clément Janequin, Olivier Messiean, Bernard Fort

Notes concernant la pièce sonore :

Une pièce en forme d’installation sonore autour de l’univers avicole. Attention, ceci n’est pas un enregistrement de « vrais » oiseaux, mais un paysage sonore totalement oisonirique. Toute ressemblance avec une espèce existante n’est pas forcément fortuite.
Aucun mauvais traitement, hormis les traitements audionumériques, n’a été fait aux espèces enregistrées ici.

Je prie mes amis audionaturalistes, biophonistes, ornithologues, et même musiciens, de bien vouloir m’excuser pour toutes ces histoires sonores incongrues, j’en conviens. Mais faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée. Pour ce qui est de l’autre moitié, les oiseaux me la pardonneront je l’espère.

Zone Libre, points d’ouïe et histoires-traces bastiaises

According the World, Murray Schafer

Lorsque je reviens d’un séjour Desartsonnants, forcément sonore, j’ai dans la tête, en mémoire, mille souvenirs de rencontres, de beaux moments d’écoute, en concerts, performances, installations, ambiances urbaines… des choses que j’aime conserver, triturer, partager… Faire chanter les lieux…

Ce qui est le cas aujourd’hui, de retour de mon récent séjour au festival Zone Libre à Bastia.

Retrouvailles corses (de paysages comme de gens), découvertes, échanges, écoutes et promenades auriculaires, prises de sons, une semaine riche à tous points de vue (et d’ouïe).

J’ai donc envie, comme de coutume, de partager tout cela, via les sons glanés sur place, d’écrire une petite pièce, carte postale sonore personnelle, qui tentera de convoquer des sonorités, ambiances, capturées et mixées à ma façon. Une fiction qui rassemble ce qui ne va pas de soi, et pourtant me parait fidèle à ma petite histoire.

Ceci n’est pas une réalité acoustique, tant s’en faut, ceci est un paysage, sonore qui plus est !

Une musique bastiaise au fil des rues, pour qui sait l’entendre.

Avec la participation, et j’espère ne pas en oublier, de : Thibaut Drouillon, Hélène Blondel, un pianiste invisible et anonyme devant Una volta, une fontaine, des bateaux pétaradants et des passerelles grinçantes, des publics, la cloche de Saint-Marie, des passants, leur voix et leurs talons, les ouvriers de la place du musée et leurs incroyables poulies chantantes, Marc Veyrat et des élèves bastiais, Philippe Franck, Tommy Lawson, Roberto Paci dalo, La mer, Jean-Daniel Bécache, la ville de Bastia toute bruissonnante…

En écoute – According Bastia

Forum « Création sonore en espace urbain » à Bastia

Le 04 février 2022, à 17.30, centre culturel Una volta de Bastia, se tenait le forum « création sonore en espace urbain ».

Ce dernier était proposé dans le cadre du festival d’arts sonores Zone Libre.

Trois participants animaient ce débat/rencontre avec le public, Philippe Franck, notamment directeur du festival international des arts sonores City Sonic et de Transcultures en Belgique, Tommy Lawson, directeur artistique du festival Zone Libre à Bastia, et Gilles Malatray, écouteur activiste Desartsonnants.

La place de la création sonore en espace public, avec la naissance des festivals dédiés, la diversité de pratiques parfois hybrides, les parcours urbains, les relations entre artistique et espace public, y compris dans les approches politiques, sera abordée et discutée.

En écoute

En écho (parce que le paysage sonore accueille souvent de beaux échos !)

À visionner et écouter : Forum des Paysagistes sonores 2022 (PePaSon à Lyon)

Forum des Paysagistes sonores 2022

Se mouvoir et s’émouvoir, écouter

@Photo Sophie Barbaux – le Jardin Joyeux – Marseille

 

En pré-ambule

Marcher en écoutant la ville ou écouter la ville en marchant…

Ces actions transitives s’invitent comme une approche kinesthésique, oreilles et corps en mouvement, convoquant des postures sensibles, des perceptions affectives, une expérience esthétique, celle notamment d’entendre et de composer une potentielle musique des lieux…


 Et sans doute aussi, comme un geste prônant une écologie auriculaire, sociétale, dans la façon de considérer les sons, les ambiances sonores, mais aussi de vivre et de construire avec ces derniers.


 Le PAS-Parcours Audio Sensible, se pense et se vit comme une inscription dans une poétique de la ville, ou d’espaces périurbains, voire non urbains, à portée d’oreilles.


 Cette approche poétique pourra se traduire par exemple par une aspiration au ralentissement, un besoin de prendre le temps de faire, de marcher, d’écouter, de ressentir et peut-être de s’émouvoir.


 C’est également le repérage et l’agencement de points d’ouïe immersifs, comme une manière de laisser venir et être au cœur de l’écoute, dans une écriture performative, celle notamment de jouer avec les espaces sonores, de jouer la ville en la faisant sonner.


 Se construisent aussi des états perceptifs, descriptifs, comme des tentatives d’épuisement, des mondes tissés d’infra-ordinaire (Georges Pérec). Des micros événements qu’il nous faudra percevoir comme essentiels pour mieux être en phase avec nos milieux sans cesse chamboulés… Prendre le monde par le petit bout de l’oreillette, l’environnement proche, la série de détails qui, mis bout à bout, feront sens, remuant parfois nos affects les plus intimes.


 Bref, tout un réservoir de gestes et de postures pour performer la ville, cité sonore, via des jeux de l’ouïe et autres expériences décalées.


 On peut y trouver prétexte et occasion pour un « faire surgir », dans le mouvement, y compris et sans doute surtout dans une lecture sociétale et politique, au sens premier du terme, comme le sont les marches urbaines de Francis Alÿs… Parmi tant d’autres situations expérientielles possibles in situ.


 Le PAS-Parcours Audio Sensible, est ainsi un geste de lecture/écriture audio-paysagère, appuyé d’un un partage d’écoute, une esthétique contextuelle et relationnelle, (Nicolas Bourriaud), où le ressenti  peut pallier la difficulté de fixer ou d’expliquer des situations d’écoutes immatérielles, mouvantes, éphémères, néanmoins toujours subjectivement signées.


La marche d’écoute s’entend alors comme une forme d’œuvre intimiste, au final désœuvrée dans son immédiateté situationnelle, dans son immatérialité performative, ainsi que dans son (apparente ) improductivité. (Max Neuhaus et les Listen).


 Nous touchons là une approche sensible transdisciplinaire, voire indisciplinaire, telle que la prône Myriam Suchet, pouvant convoquer l’aménagement du territoire, la géographie, les arts, la sociologie et l’anthropologie, la philosophie, les sciences de l’acoustique et de la psychoacoustique, des neuroperceptions… et surtout ne cloisonnant pas, voire hybridant l’expérience, l’étude, la création esthétique… Un réservoir d’émotions potentielles !


 Ces parcours sensibles favorisent une écriture plurielle, faisant un pas de côté en arpentant les matières sonores bruissonnières, composées et traduites en textes, images fixes et animées, chorégraphies, graphismes et autres transmédialités…


Ce sont des récits de rencontres, entre des écoutants et des paysages-espaces-mouvements, appréhendés sous le prisme de sociabilités sonores amènes, où tendre une oreille (tendre) relie des actions et réflexions communes, au travers l’écoute médiatrice.


 L’émotion peut surgir au détour d’une rue, d’une ambiance sonore, de nouvelles signatures auriculaires surprenantes, des paysages auriculaires inouïs, d’événements perturbateurs ou réconfortants… Autant de moteurs pour des ressentis à fleur de tympans, des situations immersives, expérientielles, des dispositifs interagissant, stimulant les affects, transformant parfois radicalement, et à long terme, nos façons de faire, d’entendre.


L’émotion est indissociable de l’action de terrain, intrinsèquement ici dans la marche d’écoute, dans des perceptions sensibles, entre le bien-être et le mal-être, la jubilation et le stress, la lassitude et l’énergie, et tous les états intermédiaires.


 Elle l’est pour le meilleur, comme l’activation d’une écologie perceptive, amène, porteuse d’espoir, et pour le pire, le constat d’un effondrement bruyant, tout autant que silencieux.


 L’émotion suscite ici un balancement stimulant, entre deux pôles, positifs et négatifs, et leurs inter-réactions. Le fait de se mouvoir et de s’émouvoir, par le regard, comme par écoute, permet de mieux comprendre les dysfonctionnements et dangers multiples, saturations et disparitions, de périls plus que jamais cruciaux, tout en gardant la volonté de construire une Belle Écoute collective.


 L’émotion, y compris celle procurée par l’écouter, est une réaction qui nous aide à tenir le cap dans une époque semée d’embûches et de chausse-trappes.

Bastia, Zone Libre et sonore, au PAS !


 
 Retour 

Depuis quelques années, Desartsonnants revient, au mois de février, dans la belle ville de Bastia, lors du festival d’arts sonores Zone Libre.


Il y retrouve et découvre des compères activistes et  des œuvres sonores, des espaces d’échanges; et aussi des paysages à portée d’oreilles où, cette année, le bleu du ciel et de la mer offraient un bel écrin aux sonorité de la ville, du haut de sa Citadelle, au pied des montagne, jusqu’au port et bords de mer.


Cette année, le partenariat des amis de Transcultures et des Pépinières Européennes de Création étoffait encore un programme riche dans la diversité des genres accueillis.

Premiers PAS en pré-ambule

Digital Camera

Sous le soleil la vieille ville nous attire, comme un aimant sensoriel irrésistible.
A peine les valises posées, l’envie d’arpenter la cité, perchée entre mer et montagne, est plus forte que tout, et c’est avec un immense plaisir que nous y cédons sans retenues.


De ruelles en places fortifiées, de remparts en jardins, d’escaliers en piétonniers, je retrouve avec joie les sonorités bastiaises, l’accent chantant du Sud, les ambiances acoustiques qui modulent l’espace au gré de la promenade…
Et les succulents canistrellis de chez Raymonde…


Les cités et villes retrouvées, revisitées régulièrement, deviennent de petits laboratoires d’écoutes, où petit à petit, d’années en années, se creusent des pratiques, des réflexions, s’affinent des expériences, s’écrivent des histoires.
Leurs paysages sonores se construisent, se matérialisent en prenant de l’épaisseur, du sens, dans une histoire auriculaire, partageable avec qui veut bien l’entendre.

Repérage

Comme pour tout PAS qui se respecte, le repérage est une phase clé dans l’écriture du parcours.


Savoir où l’on va, où l’on met les oreilles.


Anticiper les acoustiques que l’on traversera, les relations Points d’ouïe/Points de vue, les activités (espaces portuaires, commerçants, sites spécifiques…), ambiances des lieux, quelques marqueurs (fontaines, clochers…), des événements ponctuels (travaux, marchés, festivités…), envisager des temporalités (diurnes, nocturnes, à certains moments de la journée, selon la saison…).


imaginer laisser place aux aléas, rencontres fortuites, événements imprévus…
Doser le maîtrisé prévu, anticipé, et les moments où l’improvisation sera de mise en fonction des objets et ambiances sonores de l’instant.


Sentir les « envies » des promeneurs écoutants que l’on accompagne pour rester autant que faire se peut dans une forme de complicité tacite. Une belle scène acoustique pourra faire que l’on s’arrachera difficilement à tel espace/temps, où l’oreille aura envie de faire une pause pour prendre le temps de l’écoute, sans que l’on vienne la forcer à quitter prématurément une harmonieuse place d’écoute.


Un autre critère ici était pour moi d’éviter les rues trop circulantes, trop bruyamment motorisées, en empruntant des espaces plutôt piétonniers, entre citadelle, jardins et traversées de la ville commerçante.


Bref, un jour et demi de repérage, pas mal de kilomètres parcourus, et de belles dénivelées en prime. Une belle écoute se mérite !

Franchir le PAS

Le jour j, à 14 heures, devant la cathédrale Sainte-Marie de la Citadelle, au cœur de la cité historique..

Un groupe de promeneurs écoutant se retrouve, pour partir à l’affût des sonorités bastiaises, sous un beau soleil printanier malgré l’époque hivernale.

Quelques consignes, suggestions, mises en condition; installer le silence, puis l’écoute; l’un invitant l’autre, et nous partons, du pas lent de l’écoutant.
Nous sommes ici dans une expérience audio immersive. il s’agit de recevoir, d’accueillir les sons, de s’y baigner. Sans doute ne faut-il pas résister aux affects, voire émotions qui peuvent surgir en nous, fussent-ils et elles dérangeant.es;

Un premier spot intérieur, plutôt serein, pour se mettre les oreilles en condition, sans les brusquer. Entrée en matière tout en douceur;
Le calme de la cathédrale, sa pénombre intime, ses espaces réverbérants, sa faible porosité avec l’extérieur, l’amplification des pas, des micro-bruits, jusqu’à notre propre respiration….
Un cadre est posé.

Nous poursuivrons par une petite déambulation dans les rues piétonnes de la Citadelle, au cœur historique de la cité.
Calme serein.
Quelques voix ici et là.
De belle percées lumineuses vers la mer, silencieuse.
Débouché sur la place du musée, et là, une très belle scène acoustique.
Un chantier de ravalement de façade.
Des voix du sud de de l’Italie.
On se hèle du haut en bas de l’échafaudage.
On chante.
Une poulie manœuvrée pour monter des seaux de crépis cliquette joyeusement.
Le tout dans une superbe réverbération minérale.
Un régal pour les oreilles !

Nous empruntons ensuite les sentes et escaliers du jardin Romieu, qui nous mènent vers la ville basse, le port, la mer.
Nous perdons en quelques pas la circulation de la route voisine;
A nouveau un espace calme, mais très différent de la vieille cité, ouvert sur le bleu de la mer à l’horizon.
Espace végétal où les oiseaux s’éveillent à la douceur en pépiant.
Les rumeurs du port nous parviennent feutrées.
Un Ferry embarque lentement vers le large dans un doux ronronnement.
Nous le suivrons des yeux et des oreilles, assis sur des bancs surplombants.
Nous finirons la descente dans une large fenêtre qui encadre le ferry prenant le large.
Traversée du port de plaisance.
Nos pas résonnent sur un large caillebotis.
quelques gréements tintinnabulent sous un vent mollasson.
Des coques grincent en se frottant aux passerelles.
Des voix croisées de promeneurs nonchalants.
Ambiances toujours apaisées d’un Bastia encore à l’heure hivernale.

Pénétrante dans la ville par des petites ruelles.
Des commerces et quelques terrasses, voix devisantes.
une très grande place minérale où des scouts jouent, yeux bandés, à des exercices de repérage en aveugle, se dirigeant vers les collègues qui les guident vers eux. un jeu d’écoute de circonstance dans notre exploration auriculaire.
Passages de ruelles en escaliers, de terrasses en parvis, nous gravissons la ville en serpentant.


Ouvertures et fermetures des espaces acoustiques; Toujours les voix comme une sorte d’étalon référentiel.


Quelques passages tonitruants de motos ou scooters qui viennent déchirer les zones tranquilles mais disparaissent rapidement, laissant les espaces s’ébrouer dans une résilience auriculaire.

Passage dans un parking à flanc de colline;
J’adore encanailler l’oreille dans ces lieux a priori mal famés pour l’oreille.
Et pourtant les réverbérations s’y déploient magnifiques.Grincemenst de roues.
Claquements de portières.
Cliquetis de barrières.
Passages de véhicules dessus, dessous, loin, prêts…
Tour est superbement mis en espace.

Dernier tronçon de ville pour revenir à la citadelle et boucler notre boucle d’écoute.

Une promeneuse écoutante de notre groupe nous invite à prendre un verre.
Terrasse qui accueille nos retours et ressentis.


Nous faisons connaissance.


Parlons bioacoustique, spécialité de certains d’entre nous.
Écologie sonore, paysage collectionnés, voyages effectués ou à venir.
Et mille autres choses encore pour clore en douceur ce PAS – Parcours Audio Sensible, sous la belle lumière méditerranéenne déclinante.


L’un d’entre nous, preneur de sons passionné, à capturé l’ensemble du parcours.


Traces à monter, en attente de faire récit, de fixer un brin de mémoire, de raconter l’aventure d’un instant d’écoute partagée.

S’il il a des lieux et des contextes favorables à l’accueil de PAS, la cité bastiaise, sa Citadelle historique et le festival des arts sonores Zone Libre sont assurément de ceux là !

Point d’ouïe, face à la mer, Jardin Romieu, dominant le port de Bastia

En écoute, des travaux comme une belle musique des lieux, place du Musée, Citadelle de Bastia 

point d’ouïe, mettre l’oreille en condition

Cathédrale Sainte-Marie, calme, sérénité et belles réverbérations

Face à la mer, les oreilles aux larges

Écoutes portuaires


Vidéo de Philippe Franck – Transcultures

 

En écoute, prise de son Gilles de Bastia

Voix douces en voie douce

Repérage marchécouté – une ancienne voie de chemin de fer, sur un tronçon Privas-Chomérac, vallée de la Payre, en Ardèche. Balade en duo pour construire un prochain PAS- Parcours Audio Sensible en groupe.

Organisé par le CAUE d’Ardèche, dans le cadre du programme « Paysages mobilisés« 

Ponts dessous – Scansions paysagères, lignes de fuite cassées, ou recadrées, jeux acoustiques dessous, de voûte à voûte, réflexions, réverbération, courbures minérales en parloirs, et dialogues en dos tournés, postures ludiques !

Ponts dessus – Franchissements de nombreux cours d’eau, de différentes tailles; oreille plongeante, glougloutis à droite, à gauche, rumeur indécise au centre, mixage stéréopheaunic d’un bord à l’autre…

Revêtement – Un long ruban goudronné, assez lisse, peu sonore; il faut faire un pas de côté, sur les bas-côtés, pour entendre bruisser nos pieds foulant le gravier et les feuilles mortes, textures écrasées, et en jouer…

Ouvertures et fermetures – chemin bordé de hauts talus avec une seule perspective devant, ou bien des ouvertures latérales vers des vallées, collines, hameaux, débouchés proches ou lointains, espaces larges ou resserrés, intimes ou non, de chaque côté, rythmes de fenêtres visuelles et sonores, coupures, sons lointains et écrans acoustiques isolants… Plans, paysages au loin, ou tout près…

Passages et flux – Croisements ponctuels de marcheurs et cyclistes, assez rares en ce jour pourtant ensoleillé. Certains d’entre eux, sur deux roues, agacés par la lenteur des bipèdes flâneurs, jouent de la sonnette autoritaire, d’autres sourient, s’annoncent plus amènes… Cohabitations de mobilités parfois contrariées…

Liaisons – D’une vallée ou vallon à l’autre, d’une ville/village à l’autre… succession d’ambiances, progressivement, dans le flux de la marche, des fondues.

Zoophonie avicole – Des oiseaux, beaucoup d’oiseaux. Ils nous font des haies sonores, phoniques, ponctuent l’espace de chants et cris, nous saluent, ou non, sans doute nous ignorant, tout à leurs histoires de territoires. Nous sentons les avant postes du printemps s’avancer, le désir de s’extirper des frimas hivernaux, de bouger enfin, au grand air…

Lumières et couleurs – Douces, égayées de soleil, pré-printanières, un bleu soutenu pour le ciel, des ocres hivernaux, des verts renaissants pour une nature encline à croitre.

Dialogues – Échanges autour de ce bout d’Ardèche qui déboule vers le Rhône, grand ruban bleu, frontière, flux irriguant, nourricier, structurant, invisible d’ici, néanmoins incontournable.

Villes et villages – Ci et là, adossées aux collines, en fond de vallées, les urbanités, petites et moins petites, se font entendre discrètement, assourdies par l’éloignement, et pourtant bien présentes.

Rubans et flux – Des routes en vallées, ou prenant de la hauteur en serpentant, une rumeur assourdie, quelques émergences, jamais envahissantes ouïes de notre sente.

Travaux – Un engin fouisseur remue une terre fraiche, des herbes gorgées, au croisement d’une route, une puissante odeur d’humus qui remue des souvenirs pourtant bien enfouis.

Tranches et séquences – Deux boucles arpentées dans la journée, marchécoutées, des ambiances, quelques douces saillances, de nombreuses similitudes.

Perspectives et lignes de fuite – Un long ruban asphalté, parfois interminable coup de sabre filant au loin, propre à démoraliser le flâneur, parfois sinué de courbes généreuses, ménageant la surprise, des sons à l’avenant, souvent plus imprévisibles que la topographie ambiante.

Hors-piste – Un sentier canaille, sente sauvage, nous extrait de notre voie douce, sur le côté, en échappée belle, jusqu’à un pont enjambant un ruisseau murmurant en contre-bas, engoncé de verdure, qui nous permettra un retour progressif à la civilisation.

Fin de parcours – Les jambes, yeux et oreilles repus, un bol d’air et de calme pour sortir de l’hiver en douceur, des idées de lectures audio-paysagères en attendant d’amener le public à nous emboiter le PAS.

Vendredi 04 mars 2022 – Privas

Indisciplinarité et continuité stimulantes

Forum des paysagistes sonores, Lyon, Le Périscope

« L’indiscipline s’attaque à la paroi qui veut séparer la recherche de l’action, ainsi qu’à celle qui prétend étanchéifier la pensée et l’isoler de la création. » (Myriam Suchet)


Dans les trois derniers projets développés en tout début d’année 2022, une certaine continuité, voire une complémentarité stimulante, néanmoins nourries d’indisciplinarité, se dessinent incontestablement, pour mon plus grand plaisir..


Le premier, via un Forum des paysagistes sonores, impulsé par PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores) se déroule à Lyon, dans le cadre de la Semaine du son de Unesco. Il invite une dizaine de participants, artistes, chercheurs, pédagogues.. à venir présenter leurs pratiques lors d’une rencontre publique. L’objectif est ici de montrer la diversité et la richesse des acteurs, preneurs de sons, créateurs sonores, bioacousticiens, concepteurs de parcours d’écoute, pédagogues… qui œuvrent à penser le monde par les deux oreilles, voire à l’aménager en prenant en compte les ambiances sonores, tant celles existantes que celles à imaginer. Ce forum est aussi un espace de débat, incontournable pour qui veut impulser une pédagogie active et participative.

PAS – Parcours Audio Sensible – Festival Zone Libre à Bastia


Le second projet m’emmène à Bastia, tout au nord de la belle ile Corse, lors d’un festival des arts sonores « Zone libre« . j’y organiserai et guiderai un PAS – Parcours Audio Sensible, à la découverte au pas à pas des ambiances sonores du vieux Bastia, et participerai activement à un autre forum, fomenté avec plusieurs partenaires, dont nos amis belges de Transcultures, autour de la « Création sonore en espace urbain« . La ville inspiratrice et théâtre d’événements artistiques où le son, dans tous ces états, est privilégié, la ville espace de parcours d’écoute; sont abordés également la cité politique et l’engagement d’artistes vers une écologie sonore plus que jamais d’actualité, les dispositifs faisant sonner la ville, la mettant en écoute… des sujets où la création sonore est ici questionnée via ses multiples formes d’installations urbaines.

Arts, sociabilité et urbanité nous conduisent à des approches indisciplinaires qui me sont de plus en plus chères.

Workshop École Polytechique d’architecture de Sousse


Le troisième projet, dans la foulée chronologique des deux précédents, se déroule à l’École Polytechnique d’Architecture de Sousse, en Tunisie. Il va donc être à nouveau question, avec des étudiants et enseignants, d’urbanité, d’aménagement, mais aussi de patrimoine, puisque des parcours/relevés sonores s’effectueront au cœur de la médina historique, classée Patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco. Arpenter, écouter, capter, composer de petites cartes postales sonores, argumentées, illustrées de croquis, maquettes, cartes sensibles, imaginer de nouveaux espaces où la sensorialité est convoquée… Une approche expérimentale, expérientielle, d’une ville à portée d’oreilles, pensée (aussi) par des sons.


Cette entame de l’année, toutes oreilles ouvertes, met donc le promeneur écoutant, paysagiste sonore de surcroît, dans une dynamique oh combien stimulante ! Trois approches qui, dans des lieux et avec des dispositifs spécifiques, me donnent du grain à moudre par leurs singularités, géographiques, thématiques, mais aussi par le fait de creuser leurs communs universaux, l’écoute en tout premier lieu !

 Six bonnes raisons pour (se) construire des paysages sonores

PAS – Parcours Audio Sensible – Kaliningrad (Ru)

Du plaisir avant tout 

Dans une société où les tensions anxiogènes ne manquent pas, avoir du plaisir, à faire, à entendre, à écouter, est une chose plus que bénéfique, sinon vitale.

Bien sûr, le monde est complexe, brouillon, bouillonnant, parfois au bord de la saturation, et tout n’y est pas, tant s’en faut, réjouissant, y compris dans les scènes et ambiances sonores au quotidien.

L’oreille ne peut, par un coup de baguette magique, gommer les dysfonctionnements, ignorer les choses qui nous agressent le tympan, envahissent nos nuits.

Néanmoins tout n’est pas que bruit et déplaisir, y compris au cœur des grands complexes urbains.

A nous de rechercher, voire de construire, de préserver, des espaces où le monde sonne bien à nos oreilles, où la parole est intelligible, claire, non obligée de « passer par dessus ».

A nous de profiter de belles scènes acoustiques et autres points d’ouïe, une place où jouent des enfants, un marché volubile, une volée de cloches, les clapotements du fleuve…

Le plaisir est sensoriel, parfois sensuel, multiple, dans nos ressentis environnementaux, nos bains de sons. Il passe par la contemplation d’un coucher de soleil rougeoyant, l’odeur des croissants chauds au détour d’une rue, l’écorce d’un arbre que l’on caresse au passage, nos pieds foulant le sol, l’air frais du matin, la lumière qui nimbe la colline nappée de brouillards ténus, le soleil de printemps qui nous réchauffe enfin, les gazouillis qui se répondent dans le parc voisin…

Scènes de la vie quotidienne.

Tout cela peut nous paraître anodin, futile, peu digne d’intérêt. Et pourtant nous avons besoin de ces stimuli, de ces ambiances et repères entre autres auriculaires , qui vont rendre nos lieux de vie agréables, sinon vivables.

S’imaginer un monde gris, atone, sans relief, aseptisé, relève du cauchemar inspirant les pires dystopies science-fictionesques.

L’écoute procure, si on la laisse s’installer, de véritables émotions stimulantes, que l’on arpente la ville où qu’on l’entende de son banc, poste d’écoute et  point d’ouïe.

Et tout cela se construit, se favorise, se ménage et s’aménage, les postures d’accueil, l’ouverture sensoriel, le choix des lieux et des rencontres amènes… Nous ne sommes pas forcément dans des gestes de méditation, de transe, ni même de spleen ou de contemplation, simplement dans une réceptivité à fleur d’oreilles, de celles qui nous relient au monde.

Partager le plaisir 

Prendre du plaisir personnel, quasi hédoniste, est une bonne chose pour nous maintenir à flot. Le partager est encore plus riche.

L’écoute, dans un cadre d’action collective est donc, dans l’idée de construction relationnelle, au cœur du processus.

Marcher ensemble.

Écouter ensemble.

Faire ensemble…

Bien sûr, l’écoute collective ne sera pas la même pour chacune et chacun, même si les espaces et temporalités se superposent.

C’est même ce qui en fait sa force et sa richesse, le fait de pouvoir échanger sur nos ressentis propres, de partager nos émotions, parfois intimes, nos moments apaisés ou non, nos ralentissements dans une marche immersive, nos façons de nous entendre, plus ou moins bien, avec le monde, avec ses sonorités, avec ses écoutants…

Écouter de concert, c’est puiser dans un silence partagé, installé comme un rituel, une énergie, une synergie, que le groupe amplifie, comme une bulle qui favorise l’expression de nos affects.

Si l’après d’une déambulation auriculaire collective n’est plus comme son avant, une porte est alors ouverte sur de nouvelles expériences à venir, que les moments vécus ensemble auront sans aucun doute inspirés.

Que les déambulations s’appuient sur des perceptions esthétiques, écologiques, sociétales, urbaines, ou mieux, sur un mixe d’approches croisées, plus ou moins indisciplinaires, le partage d’expériences reste une manière de faire corps en restant ouvert à différentes sensibilités. l’échange, même non verbal de  savoir-faire est un terreau enrichissant nos inter-relations.

Façons plurielles de décupler le plaisir d’installer une écoute partagée.

Chercher à comprendre 

Si la curiosité est, dit-on, un vilain défaut, chercher à comprendre comment fonctionne notre environnement sonore, comment s’associent les sons, se génèrent les ambiances, évoluent nos bande-son au fil du temps, des événements, des aléas au quotidien, nous renseigne sur la façon dont, écouteurs-producteurs, nous vivons avec les sons.

De nombreuses approches investissant les domaines de l’écoute, physique, psychoacoustique, questionnent nos rapport au monde sonore, de ses modes de perceptions, d’analyse, mais aussi d’acteurs participants que nous somment à modeler, à fabriquer des scènes sonores, pour le meilleur et pour le pire.

Des outils de sensibilisation, des approches pédagogiques, des processus de description, de modélisation, croisant différents domaines des arts, des sciences, des problématiques éthiques, philosophiques nous aiderons à mieux comprendre les enjeux du sonore, notamment dans l’aménagement.

Être sensibilisé à ces problématiques participe à ce que nous soyons plus attentifs, non seulement au monde sonore lui-même, dans toute sa complexité, son côté éphémère et instable, mais aussi à nos propres gestes impactant le milieu et ses habitants, humains ou non. Questions de cohabitation oblige.

Depuis le travail de feu Murray Schafer les environnements sonores n’ont cessé d’évoluer, parfois dans le sens de raréfactions, disparitions, souvent dans un état d’accroissement, d’extension, de saturation, en tous cas pour ce qui est des grandes cités.

il est donc nécessaire d’accroître notre vigilance, de porter attention aux dysfonctionnements chroniques, aux pollutions parfois insidieuses qui nous rendent la vie difficile, faute d’espaces de calme où reposer nos oreilles et nos corps écoutants, parfois contre leur gré.

Malgré tout les dispositifs de filtres cognitifs, neuro-perceptifs, qui nous permettent d’effacer, d’atténuer ce que l’on pourrait qualifier ici de gêne, de choses plutôt négatives, brouillant souvent nos entendements, de paroles, de signaux et plus généralement de la lecture globale de nos milieux, nous sommes fortement impactés, voire perturbés par les sons ambiants.

Il est clair que l’on agira d’autant plus efficacement que l’on maîtrise le sujet, ici celui de notre cohabitation active avec les milieux acoustiques.

Il n’est pas cependant besoin d’étudier la physique vibratoire ni les neurosciences, il s’agit déjà, à la base, de rester à l’écoute et d’entraîner celle-ci à une lecture où plaisir et curiosité œuvrent de concert.

Défendre 

Si le fait de chercher à (mieux) comprendre  nos milieux sonores, à apprendre comment ils fonctionnent et évoluent, nous pousse à développer des sensibilités, et  peut-être des savoir-faire, cette curiosité activiste peut aussi faire de nous des militants de la belle écoute.

Nous touchons là le domaine de l’écologie sonore, prônée et développée par Murray Schafer, et plus que jamais d’actualité. Être sensible, sensibiliser, protéger, améliorer, construire, dans une idée écosophique, ou l’environnemental, le sociétal et le mental, sont portés par une éthique, une philosophie et une volonté d’agir plus que de parler, nous fait prendre la défense de ces milieux si fragiles que sont les espaces acoustiques.

Artistes, scientifiques, pédagogues, aménageurs, décideurs politiques… chacun à sa place, avec ses compétences, ses réseaux d’influence et terrains d’action, et si possible en interaction, peut se faire défenseur de paysages sonores, les plus accueillants et vivables que possible.

l’Éducation Nationale, l’Éducation populaire, l’enseignement supérieur et la recherche, les centres culturels, les festivals, les associations de terrain, les collectivités publiques,  autant de structures, de lieux, d’institutions, publics ou privés, où peuvent, voire doivent s’exercer des actions militantes.

L’apprentissage de l’écoute sous toute ses formes restant au centre de nos préoccupations d’écoutants impliqués, comme un levier  pédagogique incontournable.

De la « simple » promenade écoute, PAS – Parcours Audio Sensible, en passant par des actes performatifs, des créations sonores, installations interactives, des groupes de travail, séminaires, conférences, débats publics, interventions scolaires, publications, des études autour de la bioacoustique, de l’éco-acoustique… beaucoup de moyens d’interventions, d’actions de terrain peuvent être mis en place pour faire entendre la voix des défenseurs sonophiles.

C’est encore par le partage du plaisir de faire ensemble, et au départ d’écouter, de s’écouter, que se puisera sans  nul doute l’énergie militante.

Être sur le terrain, croiser les chemins de nombreuses personnes, mobiliser des énergies, expérimenter de façon transversale, quitte à emprunter les chemins de traverses, tout un champ d’action ne demande qu’à être activer.

Et c’est sans doute, au delà de tout discours, par l’expérimentation de terrain que passeront les actions les plus engagées et efficaces.

Expérimenter 

Plutôt agir que parler, même si la parole est source d’enseignement, d’échanges et de transmission, d’invention même, l’action de terrain reste la meilleure façon de faire vivre et évoluer des idées, des projets. Et donc ici, de construire des paysages sonores dignes de ce nom. Écoutables.

L’expérimentation, ou l’expérienciation, le fait d’acquérir des connaissances par l’expérience personnelle, sont donc moteurs dans ces constructions audio-paysagères.

Si je dis par exemple que le paysage sonore est particulier, spécifique, voire reconnaissable pour chaque lieu géographique, mon affirmation ne sera valide que si je l’appuie par des exemples concrets, si je prouve en quelque sorte sa véracité, son fondement.

Il faudra alors aller sur le terrain, tester plusieurs protocole d’écoute, temporalités, moyens techniques, façons de rapporter les résultats, de les comparer, de tester ces expériences sur différents lieux, à différents moments, avec différentes personnes, de diffuser l’information…

L’expérience joue ici un rôle déterminant. Tout d’abord pour mettre en place un processus efficient. On déclinera ainsi plusieurs variations dans les modes d’actions possibles, pour que la notion de paysage sonore prenne vie, peut-être sous forme de différents modèles, typologies.

Expériences humaines, relationnelles également, quels groupes, comme travailler en équipe, à combien, croiser des expériences… Comment se répartir les tâches, croiser nos savoir-faire, et surtout, vibre en ensemble une expérience auriculaire riche pour chaque membre du groupe ?

Expérimentations de matériel, d’outils, de méthodes.

A chaque visée, à chaque lieu, des façons de faire, de penser, de récolter, d’analyser, de construire… Il m’est difficile, sinon impossible, de concevoir une méthode clé en main, transposable à l’identique d’un endroit à l’autre, sans que l’expérimentation de terrain n’implique la mise en place de gestes et de stratégies appropriés.

Expériences de transmission, de diffusions, de traces tangibles.

Rapporter les faits et gestes, décrire, analyser, tirer des conclusions, ouvrir de nouvelles investigations, diffuser, vulgariser… L’expérimentation va là aussi nous aider à trouver des supports ad hoc, des réseaux, des relais, partenariats, sans se cantonner dans l’utilisation de modèles clé en main, figés, mais vers des solutions plus adaptatives en regard du terrain;

L’expérience de terrain est, dans toutes les phases, primordiale. Le terrain est laboratoire. On part de l’expérience in situ pour se forger, au fil du temps, une expérience globale. L’expérience professionnelle comme on dit. Celle qui nous permet de réagir à terme, assez rapidement, selon les contraintes des projets, à la mise en place d’outils répondant au besoins, ou à leurs adaptations, si ce n’est à l »invention » de nouveaux outils.

Avoir fait une belle expérience, c’est avoir vécu et qui plus est entendu de fort belles choses, qui resterons gravées en mémoire, qui jalonneront notre parcours, chacune  apportant une petite pierre à l’édifice sonore en continuelle évolution.

D’ailleurs, dans le mot expérience, il y a expert, ou expertise. Par l’expérience, et l’expérimentation, on devient « expert », expert en perpétuelle construction  certes.

Cent fois sur ton métier tu remets ton ouvrage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écoutant qu’on devient écouteur, c’est parce qu’il y a des écoutants qu’il y a des paysages sonores… Suite de maximes avérées.Et croyez moi, j’en parle d’expérience.

Confronter  

Confronter, se confronter à, littéralement en face à face, de front à front, proche d’ailleurs du fait de s’affronter…

Mais ici, évacuons la notion belliqueuse, ne montons pas au front, prenons la confrontation dans son sens plus positif, celui d’espaces de comparaison, de frottements, de rencontres et d’échanges. Et c’est dans le sens de la rencontre, non pas guerrière, mais plutôt en la pensant féconde en échanges que la confrontation s’opère ici.

Confronter des paysages.

Imaginons.

Plusieurs parcours, plusieurs points d’ouïe, plusieurs moments, plusieurs contextes…

Chacun singulier, dans ses événements, son déroulé, les enchaînements,  les itérations, les superpositions d’ambiances, de sources…

Les comparer, en tirer de chacun la substantifique moelle, les faire de croiser, s’entre-écrire, se fictionnaliser, de façon à proposer une série d’expériences parfois improbables mais Oh combien stimulantes.

Confronter les participants

Imaginons.

Acteurs sur différentes actions, acteurs de différents champs, confrontons nos vécus sur un projet commun, ou pourquoi pas, sur l’ensemble de nos activités. Ne pas garder pour soit mais avoir l’envie de créoliser, d’hybrider, de malaxer une pâte aux ingrédients multiples, penser et pratiquer une ouverture sur de multiples possibles offerts à la rencontre.

Confronter les moyens

Imaginons.

Comme des coopératives qui mettraient en commun(s) des savoir-faire théoriques, techniques, opérationnels, allons plutôt vers le partage que le pré carré aux « secrets » jalousement gardés.

Concoctons ensembles des dispositifs, outils pédagogiques, ressources open sources, développons des passerelles participatives, des portails et autres outils qui confrontent, sans esprit de concurrence, et croisent nos projets.

Ces confrontations positives, bénéfiques, sont parfois inscrites dans des réalités de terrain, mises en œuvre, expérimentées, et parfois restent en formes de vœux pieux,  de choses potentiellement faisables à plus ou moins long terme, voire de parfaites utopies dans des tiroirs oubliés.

Osons néanmoins confronter idées et  réalisations, acteurs et savoir-faire.

Osons faire en sorte de sortir de notre petite niche confortable, pour que les raisons et les motivations de construire des paysages sonore écoutables et vivables restent plus que jamais une priorité d’actualité.

Et comme je le répète régulièrement, les choses étant ce qu’est le son.

Paysages sonores singuliers, des ambiances

L’écho des falaises
la quiétude des cimetières
les réverbérations et signaux des gares
la gouaille des marchés
le bouillonnement des ruisseaux
la rumeur des belvédères urbains
le silence habité des églises
le bourdonnement des avions
l’électricité grondante des orages
l’onirisme de la nuit
le grondement des boulevards
l’apaisement des jardins
le ressac de l’océan
le tintement des cloches
les chuchotis des bibliothèques
le fracas des cascades
le feulement du vent
la vie qui s’écoule
la vie qui s’écoute