Max Neuhaus, modifier la perception des lieux plus que les lieux eux-même  

  

L’exemple de Max Neuhaus  

  installer imposer ? 

Tout geste de création sonore s’inscrivant dans un espace public modifie généralement ce dernier en lui ajoutant une couche audible supplémentaire. L’artiste utilise ainsi tout un panel de système ou de dispositifs, amplifications électroacoustiques, installations acoustique ou non, interactions numériques, pour installer des sons destinés à être entendus par un (large) public. Que ces sons soient composés in situ ou non, plus ou moins en relation avec l’espace investi, ou totalement déconnectés du terrain, l’auditeur se verra proposer une scène acoustique qui modifiera généralement très sensiblement  l’espace d’écoute, jusqu’à parfois le phagocyter en imposant on hégémonie qui recouvrira l’essentiel de l’ambiance préexistante.

Les lieux sont ainsi grandement chamboulés, et parfois relativement malmenés, ainsi d’ailleurs que l’oreille des visiteurs par effet boule de neige.

Ce choix artistique peut cependant, dans une ponctualité événementielle, être assumé et pertinent, s’il ne s’impose pas sur des durées déraisonnable, voire nuisibles pour l’environnement et surtout ses propres habitants, humains ou non.

 Le choix du ménagement des lieux 

Si les lieux sont souvent sujets d’aménagement, y compris parfois sonore, pour le meilleur et pour le pire, nous parlerons ici de ménagement de l’espace public. Ménager un lieu, c’est tout d’abord en respecter ses qualités intrinsèques, ses équilibres, ou toutefois ne pas les amplifier, voire en ajouter de nouvelles. Dans le meilleur des cas, il faut également le garder relativement protégé de toute invasion acoustique trop prégnante, en tentent de rester dans des situations où l’écoute ne devienne pas trop fatiguante, où la parole et le dialogue puissent s’exercer sans trop hausser le ton, ou les surenchères pour se faire entendre malgré tout n’amènent pas un trop grand brouhaha urbain.

Le ménagement c’est le respect du site, mais sans doute surtout de ses résidents. Cette posture ne voulant pas pour autant dire qu’il faille tomber dans un immobilisme sclérosant, ou le territoire serait plus figé qu’un muséum d’histoire naturelle (à l’ancienne), sous prétexte de la garder dans son intégrité sécurisante et sans relief. On peut penser pour cela une façon de percevoir différemment le terrain, ses ambiances, de décaler ou d’amplifier les expériences sensorielles, plutôt que de chercher à  modifier ou à asservir le territoire via des expériences sonores trop présentes en puissance et en durée.

 Modifier les perceptions des lieux, façon Max Neuhaus 

Je reprendrai ici trois exemple d ‘interventions sonores plutôt douces de l’artiste Max Neuhaus dont je pense que les actions autant que les propos illustrent la posture respectueuse qu’avait l’artiste, à la fois des sites et des  écoutants potentiels.

Le premier exemple, sans doute pour moi un des plus emblématiques, est celui des soundwalks, ou promenades sonores, auxquelles il avait donné en sont temps nommées du nom évocateur de « Listen ». Rappelons que, dans l’esprit de John Cage qu’il admirait profondément, Max Neuhaus avait parmi ces objectifs artistiques, de faire sortir la musique des sacro-saints lieux de concert, pour aller l’offrir à un maximum de public. L’espace public, la ville, les rues se posaient donc comme un théâtre sonore des plus pertinents pour ce faire, à une époque où la chose n’était pas encore si courante que cela. Donc, au lieu de ramener dans les lieux de nouvelles sonorités, fussent-elles musicales, pourquoi ne pas envisager les ambiances sonores urbaines comme LA ou LES Musiques des lieux, qui se suffiraient donc à elles-mêmes comme installation in situ, à condition de les révéler comme telles. Sitôt dit sitôt fait, Un groupe de promeneurs écoutants était emmené au travers des lieux judicieusement choisis pour la diversité des sources sonore et des acoustiques ambiantes, comme un parcours qui offrait un concert de sons « naturels », sans autre adjonction de sonorités exogènes. Pour renforcer l’immersion, ou garder les visiteurs dans un état d’attention optimum, le mot « Listen » était tamponné sur leurs mains, leurs rappelant ainsi tout au long du parcours la motivation de cette déambulation. Max Neuhaus a ainsi proposé su plusieurs années à partir de 1966,  de nombreuses marches, d’usines en parcs, de places en gares, dans le but de partager dans sons sans forcément chercher à en établir une hiérarchie dans leur valeur esthétique, avec un public le plus nombreux que possible, et de préférence non averti, et tout en respectant l’intégrité territoriale puisque c’est juste son écoute qui installait des des sons in situ. Une façon d’axer l’attention sur la perception auditives sans modifier l’environnement initial qui fonctionne encore parfaitement un demi -siècle plus tard !

La deuxième œuvre de Max Neuhaus à laquelle je ferai référence ici est son fameux Time Square, installé à l’embranchement d’une grand carrefour de New York, à proximité de Broadway en 1977. Toujours dans l’idée de toucher un maximum d’auditeurs hors lieux dédiés à l’art, l’artiste utilise une « chambre  acoustique » constituée par un espace d’aération souterrain du métro, recouvert d’une grille donnant sur un passage piéton. Utilisant les fréquences de résonances du lieux, et se servant de cette cavité comme une chambre de réverbération, Max Neuhaus fera entendre  son installation dont le son s’échappera par la grille d’aération, en jouant sur des sonorités qui se distingueront de l’acoustique ambiante sans pour autant s’impose dans le le lieu, ou s’y frotter de façon véhémente. Les piétons, confrontés de façon inopinée  à l’œuvre, sentent qu’il se passe quelque chose, que l’ambiance n’est plus tout à fait la même que l’ordinaire, sans toutefois parvenir à dire en quoi consiste ce changement. Ils ne se doutent pas un instant qu’ils sont en fait postés sur une installation artistique. C’est bien encore une fois dans le décalage de la perception plutôt que dans une transformation radicale de l’espace de diffusion que se crée un nouveau paysage sonore qui se déploie très discrètement à l’oreilles des promeneurs, sans faire violence à l’espace public, mais plutôt en le questionnant délicatement. Il s’agit là de jouer sur un effet de surprise en colorant légèrement l’espace pour désorienter l’oreille du passant qui va se demander pourquoi il n’entend plus le lieu comme d’habitude, qu’est ce qui a vraiment changé. Jeu autour de la perception et de la psycho-acoustique. Et si le passant n’est pas un habitué des lieu, sans doute se demandera t-il pourquoi l’ambiance acoustique est si étrange en cet endroit précis, ambiance que l’on ne retrouvera pas sur d’autres grilles ‘aération du métro new-yorkais.

Je prendrai un troisième et dernier exemple, toujours tiré de l’importante production artistique de Max Neuhaus, pour continuer d’argumenter ces recherches perceptives, qui touchent au final plus le contexte paysager que l’œuvre elle-même, lesquelles œuvre se matérialisant comme une installation et diffusion de compositions sonores dans des espaces donnés. Ici, max Neuhaus ira encore cueillir le public dans un lieu inhabituel pour des installations artistiques : Les piscines. Lorsque l’on parle d’immersion, ou de bain sonore, quoi de plus naturel que de le proposer à des écoutants plongés dans des masses d’eau. Précisons ici que ce travail, réalisé lui aussi sur une série de lieux différents et sur plusieurs années, a été réalisé bien en amont de celui des concerts aquatiques de Michel Redolfi, tout début des années 70. En fonction des bassins de piscine, lMax Neuhaus installait des sifflets immergés, donc uniquement écoutables sous l’eau, les Water Whistle Series. Toujours dans cette volonté de modifier la perception des lieux, ici dans un milieu aquatique inhabituel, sans forcément faire subir à ces derniers d’importantes et radicales transformations.

Ces trois types lieux, une ville où l’on déambule, un square au centre de New-York et des piscines sont ont été des terrains d’expérimentations sonores  tout indiquées pour que Max Neuhaus puisse exercer son art, tout en finesse, sans même imposer l’œuvre d’art comme une œuvre d’art à proprement parler, je veux dire en tous cas dans la perception qu’en avait le public. Nus sommes ii dans une approche qui non seulement ménage les lieux, mais où le statut même de l’artiste omniscient s’efface pur laisser la part belle au seul paysage sonore. Il faut ici faire en sorte que le visiteur involontaire soit interpelé par une anomalie, plutôt esthétique, sans qu’il sache vraiment qui en est l’auteur, même si un cartel vient au final le renseigner sur le dispositif et son auteur.

Dans une société de plus en plus urbanisée, et dans des villes de plus en plus densifiées, Max Neuhaus prône une modération qui donne à entendre, sans rentrer dans un jeu de surenchère à qui parlera le plus fort, le paysage sonore lui-même, et c’est sans doute un des aspects des plus remarquables dans ces jeux de perceptions décalées.

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