POINTS D’OUÏE EN MOTS DITS

desartsonnants_affiche-chut_gilles-malatrayDES MOTS POUR ÉCOUTER

Je n’ai pas l’intention ici de refaire un énième dictionnaire thématique de citations choisies, glanées sur internet.

Je voudrais plutôt partager des coups de cœur, rencontrés au fil de mes lectures, où je note sur un calepin, ou sur les 4e de couverture, une phrase, un extrait de texte, qui viennent titiller mes oreilles, tout en me faisant lire/entendre de belles scènes sonores.

Je voudrais juste partager de petites perles littéraires autant que sonores



 

En grêles notes d’or, sur les graviers polis,
Les eaux vives, filtrant et pleuvant goutte à goutte,
Caressent du baiser de leur léger roulis
La bruyère et le thym, les glaïeuls et les lys ;
Et le jeune chevreuil, que l’aube éveille, écoute
Les eaux vives filtrant et pleuvant goutte à goutte
En grêles notes d’or sur les graviers polis.

Le long des frais buissons où rit le vent sonore,
Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant
Où la molle vapeur bleuit et s’évapore,
Tous deux, sous la lumière humide de l’aurore,
S’en vont entrelacés et passent lentement
Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant,
Le long des frais buissons où rit le vent sonore.

Leconte de Lisle
Poèmes tragiques
Alphonse Lemerre, éditeur, s.d. (1886 ?) (pp. 17-18).



 

.. .J’ai à me faire pardonner je ne sais combien d’années d’écart, entre nous… et j’allais me réfugier dans une excuse compliquée à dessein, quand je fus arrêté par le son même de ma voix.

Était-ce la résonance particulière à cette chambre-là, très grande, très vide à la fois et fort encombrée d’objets disparates, ou bien l’effet de mon trouble… Je m’entendais parler comme au travers d’un orchestre harmonisant chacune de mes syllabes ; et ma surprise tenait de l’éblouissement…

Dans un monde sonore – Mercure de France, t. 68, n° 244, 15 août 1907, 1907 (pp. 648-668). Max-Anély (Victor Segalen)

 



« …La rumeur a beau s’amplifier à tous les carrefours, avec une longue frange de fracas pareil à l’effondrement renouvelé d’une vague, on perçoit le silence fondamental grâce à un faible tintement. Proche ou lointain, on ne saurait dire, mais net, et celui d’une cloche en tous cas. Où est-ce ? Très loin, sans doute, comme clignoterait une petite lampe dans la masse obscure d’une forêt…« 
La liberté des rues – Jacques Réda -1997



 

« … Rendez-vous compte, dit la femme en me disant au revoir, son bout de chou dans les bras, il y a des gens qui n’ont jamais fait de route sous la pluie.

Elle lève les yeux vers le rocher en surplomb, son pull est mouillé. Arrivé à l’embranchement, il me vient à l’idée que j’ai peut-être mal entendu, que mon ouïe commence à baisser ces temps-ci  et qu’en réalité elle a dit :

Rendez-vous compte, il y a des gens qui n’ont jamais été à l’écoute de la pluie.

Et elle aurait alors tendu l’oreille vers le ciel, dans son pull trempé. »

Audur Ava Olafsdottir – L’embellie – 2004




 

« … Des lieux où l’on ne peut croire en rien. C’est par la possibilité qu’ils ont d’encaver de riches silences et d’engranger des histoires sans paroles, ou plutôt par leur capacité de créer partout des caves et des greniers, que les légendes locales (legenda : ce qu’il faut lire, mais aussi ce qu’on peut lire) permettent des issues, des moyens de sortir et de rentrer, et donc des espaces d’habitabilité… »

Michel de Certeau – L’invention du quotidien – L’art de faire – 1998



 

« …Ce n’est pas facile de vivre dans un studio de San José avec un homme qui apprend à jouer du violon.
C’est ce qu’elle a dit aux policiers, en leur tendant le revolver vide…« 

Richard Brautigan – La vengeance de la pelouse : (Nouvelles, 1962-1970)



 

« Et maintenant, me voici en train d’écouter une causerie, parce qu’il pleut des cordes dehors et que je n’ai rien d’autre de mieux à faire de mes oreilles.« 

Richard Brautigan – La vengeance de la pelouse : (Nouvelles, 1962-1970) 



 

 « le disque, la radio, la « filo-diffusion », le juke box fournissent à l’homme une sorte de « continuum »musical qui l’accompagne tout au long de sa journée. Le réveil, les repas, le
travail, les achats dans les grands magasins, les loisirs, les voyages en voiture, l’amour, la promenade à la campagne, le moment qui précède le sommeil baignent dans cet « aquarium sonore » où la musique n’est plus consommée en tant que musique, mais en tant que « bruit ». Ce bruit est tellement indispensable à l’homme contemporain qu’il faudra attendre quelques générations pour se rendre compte de l’effet d’une telle pratique sur la structure nerveuse de l’humanité. » 

Umberto Eco – La musique et la machine – 1965




 

« Le fond des histoires que je me racontais importait moins que la forme,qui jamais ne fut
écrite : il serait cependant impropre de la qualifier d’orale,puisque ce murmure dans ma
tête ne fut jamais voisé.ce n’était pas non plus des histoires pensées, puisque le son y
revêtait une importance capitale ­ le son à zéro décibel qui n’est que vibration des cordes
muettes et rythmes purement craniens, auquel seuls s’apparente le bruit des stations de
métro désertes quand il ne passe aucune rame. C’est avec ce genre de mugissement
sourd que l’ion sidère le mieux l’esprit. »

Amélie Nothomb ­ Biographie de la faim ­ 2004




 

Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.

La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit,

Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.

C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! – Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l’enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! – Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.

D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit…
J’écoute : –
Tout fuit,
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit.

Victor Hugo – Les Djinns – 1829

 



 

LES BRUITS DE PARIS
Paroles : Charles Trenet
Musique : Charles Trenet et Léo Chauliac
© – 1941 – Raoul Breton
 

 
 Chaque nuit je rentre si tard,
Que sur mon chemin, tous les balayeurs,
Les fantômes noirs changent de couleur
Et dans le ciel rose on comprend
Qu’il se passe quelque chose de grand.

Quand j’entends, dans mon quartier,
La voiture du laitier,
Je m’dis : « C’est sept heures et quart.
Il faut s’lever sans retard. »
Quand j’entends la boulangère
Qui porte son pain, légère,
Je m’dis c’est : « Sept heures et d’mi
Et je suis encore au lit. »
Dehors c’est l’printemps.
Les gens sont contents.

Quand on leur demande si c’est Jeudi,
Ils répondent tous : « Oui ! C’est Jeudi. »
Quand j’entends, près du métro,
La voix du marchand d’journaux,
Je m’dis : « C’est déjà midi
Et je suis encore au lit. »
Je m’dis : « C’est déjà midi
Et je suis encore au lit. »

Chaque nuit, je rentre si tôt
Que j’éteins la lune d’un coup de chapeau,
Que j’éteins le ciel. Adieu, belle nuit.
Voici ma maison et mon lit
Et voici les bruits de Paris.



 

« Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s’arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s’abrite comme il peut, ou s’oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos. Il se peut que l’enfant saute en même temps qu’il chante, il accélère ou ralentit son allure ; mais c’est déjà la chanson qui est elle-même un saut : elle saute du chaos à un début d’ordre dans le chaos, elle risque aussi de se disloquer à chaque instant. Il y a toujours une sonorité dans le fil d’Ariane. » Extrait de De la ritournelle (Mille plateaux – Gilles Deleuze, Félix Guattari ; Minuit – 1980

 



Le fond des histoires que je me racontais importait moins que la forme,qui jamais ne fut
écrite :il serait cependant impropre de la qualifier d’orale,puisque ce murmure dans ma
tête ne fut jamais voisé.ce n’était pas non plus des histoires pensées, puisque le son y
revêtait une importance capitale ­ le son à zéro décibel qui n’est que vibration des cordes
muettes et rythmes purement craniens, auquel seuls s’apparente le bruit des stations de
métro désertes quand il ne passe aucune rame. C’est avec ce genre de mugissement
sourd que l’ion sidère le mieux l’esprit.
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