
Claire Daudin, artiste plasticienne marcheuse, nous convie, lors d’une sortie de résidence artistique à l’Espace d’Arts Plastiques, à une traversée Nord-Sud de la ville de Vénissieux. Une quinzaine de kilomètre à pied, en mode urbain et périurbain, pour arpenter les seuils de la ville. Seuils que l’artiste à découvert avec la complicité des habitants qui l’on emmené marcher à Venissieux.
Ces résidents, avec l’équipe du centre d’art et quelques curieux, lui emboiteront le pas, dans cette sortie de résidence singulière, tout en mouvement.
Les seuils sont multiples, nous le constaterons, des plus imposants au plus modeste, minimaux, quasi invisibles, imperceptibles.
Limites de la ville, lisières parfois affirmées et parfois ténues, voire indicibles, pas de porte où l’on échange entre le dedans et le dehors, y compris comme des espaces symboliques ou métaphoriques, lignes de tram, entrées de métro en espaces de télétransportation qui nous emmènent rapidement au centre de Lyon, vieille ville industrielle et post industrielle, immense cité des Minguettes des années 60, marchés, zones commerciales, écoles, périphériques franchis par dessus et par dessous, chantiers, jusqu’à la petite bordure de trottoir qui vient entraver la circulation d’un fauteuil roulant, les seuils nous montrent une ville qui ne cesse de se redessiner.
Autant de riches sujets d’échange lors de cette marche urbaine, dans une ville d’ailleurs déjà connue pour une longue déambulation historique, celle pour l’égalité et contre le racisme (1983), rebaptisée Marche des beurs.
Je laisserai ici à Claire l’exploration plastique et kinesthésique, et la construction de ses récits des seuils, d’entre-deux, sur lesquels elle a œuvré plusieurs mois durant, et qui lui a permis de rédiger un blog carnet de notes avec textes et photographies à l’appui.
Ce jour là, j’avais pour ma part décidé, en contrepoint au travail de Claire, de tenter de comprendre si un seuil était décelable à l’oreille, et si oui, comment le retranscrire par la captation et le montage sonore. Un seuil est-il (aussi) auriculaire, acoustique, sonore ? Les ambiances écoutées au fil de cette marche tracent-elles des lisières, dessinent-elles des espaces, des passages, des contrastes, des fondus progressifs, des îlots, des porosités, des fermetures, des sas… ?
Bien sur, à force de promener mes oreilles urbi et orbi, j’avais déjà une petite idée de la chose. Néanmoins, sur cette longue traversée, pourrais-je, avec les autres marcheurs, construire une trace audible qui confirmerait, infirmerait ou nuancerait l’idée de seuils acoustiques ?
J’allais donc, micros en main, capter non pas l’intégralité de la marche, mais ici et là, de petits espaces-temps qui me semblaient significatifs. La ville quadrillée de ses axes de circulation, où s’infiltrent parfois de façon virulente et intrusive, voitures et autres engins motorisés, y compris sous-terrains. Ville ponctuée de voix, les nôtres, d’autres, de travaux, d’activités diverses, d’oiseaux, même en cette période hivernale, des bruits de pas, des commentaires, de questions… Un patchwork sonore montrant une cité multiple, complexe, parfois bouillonnante, parfois apaisée, parfois dans un entre-deux.
La réécoute des sons enregistrés me confirme qu’ils y a bien des espaces sonores qui font seuils, qui font entre-deux, qui font coupures, qui font transition, donc qui font sens.
Émerger d’un chantier, traverser une immense cité d’habitations, la regarder du haut d’un tertre enherbé, y assister au nettoyage d’un imposant marché achevé, se tenir sous un pont au cœur d’une circulation tout autour et au-dessus de nos têtes… des expériences sensorielles parfois déroutantes, mais qui nous font cheminer de l’oreille dans les méandres urbains. On passe parfois très rapidement d’une ambiance à un autres, seuils de coupures où tensions et apaisement se succèdent au fil d’une urbanisation chaotique, incertaine, surprenante.
Comme souvent, j’ai pris le parti ici de ne pas suivre un trame purement chronologique. Le parcours est revisité plutôt comme une forme de partition sonore discontinue qui, si elle reste assez fidèle à l’esprit des lieux, est réagencée pour nous faire sentir des seuils montrant une ville sans cesse en mouvement, à la fois tonique, parfois oppressante et parfois plus intime, où des oasis de calme installent des espaces de vie quiets, des proximités rassérénantes.
Les seuils, pour qui apprend à les déceler, nous font jouer avec les marges. Ils nous autorisent, notamment en marchécoutant, de prendre du plaisir à les appréhender, à les reconstruire, espaces hétérotopiques, urbanistiques, sensibles, esthétiques, sociaux, à fleur de tympan.
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