Point d’ouïe, faire récit des territoires de l’eau

Les fleuves, océans et ruisseaux ont été peints, écrits, poétisés, photographiés, chantés, dansés, mis en musique…

On peut aussi leurs donner de la voix, les faire entendre, en les écoutant traverser nos paysages à fleur de terre et de tympan, en en suivant les rives.

On peut les raviver, les garder bien présents, bien vivants, en recueillant leurs intimes bouillonnements comme leurs furieux grondements.

On peut les défendre en en faisant récit par leurs propres sons recomposés, comme par des mots associés…

Bassins versants, l’oreille fluante

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Pour une fois j’y ai pensé, et elles étaient bien là !

Elles étaient bien là, mais qui donc ?
Et bien celles que j’entends sonner et hululer depuis chez moi, en me disant que je les ai encore ratées.
Mais pas ce matin, j’avais, une fois n’est as coutume, agrafé un pense-bête bien en vue.
Donc j’étais là, à la bonne heure et au bon endroit pour les cueillir, les accueillir, micros et oreilles tendues.
Les sirènes du toit d’un théâtre voisin, les cloches perchées sur le clocher tout proche, et à leurs pieds, les voix du marché.
La sirène, c’est ponctuel et bien marqué dans l’espace temps, une fois par mois, à midi sonnante, les premiers mercredis du mois.
De grandes glissades trouant l’espace en alerte. Crescendo, decrescendo.
Des images surgissantes de catastrophes et de dangers, pour certains, des réminiscences de guerre, surtout dans ce quartier dont le centre fut presque entièrement rasé lors d’un bombardement, église comprise !
Des sirènes qui viennent judicieusement alimenter un travail en chantier autour… des sirènes, entre mythes et objets tonitruants. Ce n’est pas anodin.
Et puis les cloches, qui prennent le relai à midi passé de quelques minutes, prenant soin de ne pas emmêler les signaux, de laisser de l’espace pour chaque son, de préserver une lisibilité en évitant une polyphonie trop confuse.
Dans la réalité en tous cas.
Dans l’écriture, j’en jouerai, en variation contrapuntique improbable.
Car l’écriture n’est pas le terrain, c’est plutôt, dans la cas qui nous concerne, son empaysagement auriculaire.
Et puis il y a les voix. Les voix-ci les voix là.
Celles, habituelles pour le résident que je suis, du marché du mercredi matin. Des timbres et intonations dont je reconnais de loin les vendeurs à la verve chantante, à la gouaille sympathique.
Comme un fond, un tapis, déployé à même le sol pour accueillir les émergences venues du ciel, dirait l’ami Michel Risse, ou en tous cas d’un peu plus haut. Cloches et sirènes perchées en l’occurrence.
Chaque source possède sa propre ponctualité.
Chaque source possède sa propre territorialité, sa spatialité, même si, acoustique oblige, ces espaces sonores se fondent, s’entremêlent, se jouent du territoire de l’autre, multiphonique.
Pour ce qui est de l’apparition temporelle, il s’agit des mercredi, jeudis et dimanches pour les voix du marché, de chaque midi matin et soir pour mesdames les cloches, en tous cas pour les volées d’Angelus, et de chaque premier mercredi du mois à midi même pour les sirènes.
Et c’est là, à cette date et heure, notamment aujourd’hui premier mercredi du mois à midi, que la conjonction se fait entre ces événements sonores. C’est là que s’opère un croisement dialogué qui se déploie sur la place; une histoire de quartier, celle que l’on veut bien entendre, ou se raconter.
C’est donc là où j’ai attendu, micros en mains, sous un petit vent frisquet, que cloches, voix et sirènes, soient au rendez-vous pour composer une scènette sonore, que je m’empresserai de réécrire à ma façon.
Situation qui me donne envie d’être dans d’autres lieux, d’autres premiers mercredis du mois à midi, vers d’autres églises et d’autres sirènes, et peut-être marchés, pour réitérer l’expérience, autrement n’en doutons pas. Points d’ouïe en variations paysagères pour voix cloches et sirènes…

Point d’ouïe, donner de la voix

Donner de la voix,
un cadeau,
une friandise sonore,
un don offert sans contre-partie,
juste pour le plaisir d’entendre parler.
Pas de message,
pas d’explication,
pas de contenu sensé,
juste une musique,
des timbres,
des accents,
des ambiances,
des bribes glanées ici et là
la vie quoi.
Un marché,
une place bordée de bancs,
une ruelle,
des commerces…
une scène acoustique multiple,
habitée de voix multiples.
Donner de la voix,
comme un jeu,
un plaisir d’entendre dire,
un paysage sonore,
une énergie communicative,
qui vient réveiller l’espace,
dans des temps d’enfermement,
dans des temps qui s’ébrouent,
dans des temps où la vie sociale à besoin de donner de la voix.

Résidence audio paysagère accueillie par

Le Hang-Art à Esquièze Sère

Le Ramuncho Studio à Luz Saint-Sauveur

Chemins de voix

 

Il faut partir de quelques chose.
Une voix peut-être.
Dans une rue passante,
une impasse déserte,
peut importe où.
Il faut tenter de la garder,
cette immature voix fugace
de la garder en ligne d’écoute,
cette voix-ci, cette voix-là
ou bien s’accrocher à une autre
tisser tracer filer
tricoter l’écheveau
écheveau vocalique,
via la corde sensible
via la corde vocale
tendre l’organe pavillonnaire
d’une épopée tympanique
laisser du moût aux amarres de la langue
ou des dialectes entre-choqués
vers un cri haut perché
un éternuement tonique
un soupir par trop résigné
un rire qui n’en finirait pas.
Il faut partir de quelque chose.
Et si la voix s’éteint,
et si la voix s’enroue,
se perd dans l’urb-espace saturé,
se dissout dans le brouhaha,
s’englue dans le dialogue piétiné
il nous faut recommencer encore
à traquer la parole indocile
comme chair vibrante
même si l’on perd le sens,
le mot de la fin repoussé
ne reste alors que sonore,
matière crûment indéchiffrable.
Il faut partir de quelque chose.
Du bord du souffle volatile,
cycle et rythme de brises fragiles,
de l’articulation maladroite,
apprivoisant le phonème revêche,
d’une respiration diffuse,
corporellement évanescente,
d’un murmure aux confins de l’inaudible,
susurrant tout en retenue,
aux frontières d’une bouche,
coincée dans un palais sans trône,
à l’instar d’une labiale,
dite du bout des lèvres,
d’une explosive non létale
d’une mue anamorphosée,
autant qu’incontrôlée
allant vers d’autres corps,
enveloppes charnelles à peine connues,
espaces organiques à peine reconnus.
Il faut partir de quelque chose,
dont l’oreille saurait que faire,
comme une nourriture langagière,
une rumeur bétonnée d’urbanité,
ou vers d’autres leurres acoustiques,
sirènes mielleuses susurrantes,
sirènes aux traces-Dopler hullulantes,
des voix cassées fracassées contre une rude altérité
éraillées comme les graviers du chemin,
des stentors criant sans vergogne,
un magma de langues babélisées,
Il faut partir de quelque chose,
même si la voix n’est jamais vraiment sûre.
pas plus qu’un ersatz de route
une voie in-définitivement tracée,
Il faut partir de quelque chose,
Pour dire en corps et écouter encore,
ou bien inversement.

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POINTS D’OUÏE – BEAUMONT, UN MATIN ESTIVAL

BEAUMONT MATINAL

Ce post fait suite à celui consacré au Sentier des Lauzes puisqu’il s’agit d’une séquence enregistrée au cours du même séjour.

Il fait écho également à la prise de son de Raymond Delepierre, qui m’accueillait dans ce magnifique site, captation effectuée sans concertation aucune, peu de temps après, entre autre dans la même église.

7 heures du matin, à Beaumont, petit village joliment perché à flanc de collines, au cœur des cévènes  ardèchoises, il fait encore une relative fraîcheur. Le village est endormi, il se repose d’une éprouvante journée aux températures très élevées. Je jette un petit coup d’oreille sur la place centrale du village avec tout d’abord, l’Angelus entendu de ma chambre, puis un petit test acoustique vocal dans l’église pour finir avec une note rafraîchissante du lavoir juste en contrebas de cette même église. Les cigales quand à elles ne sont pas encore réveillées. Sans doute ont-elles trop fait la fête et chanté la veille, dans ces journées caniculaires de juillet. Chose surprenante à la réécoute, la cloche, la voix et la résonance de l’eau dans le lavoir voûté de lauzes sont toutes quasiment accordée sur une même fréquence… Une douce musique des lieux en quelque sorte.