Point d’ouïe – Traversée N° 4 – Postures, de la tête au pied, et réciproquement

L’écoute est affaire de posture(s).

L’écoute est posture in corpore audio .

L’écoute sans le corps n’existe pas.

Le corps sans l’écoute est privé d’un sens qui participe grandement à nous relier à la vie.

Posture physique, se tenir toute ouïe, devant, dans, autour, au sein, se tenir avec, contre, tout près, au loin, aller vers, s’éloigner… Se tenir dans une posture laissant l’écoute naitre, émerger, se développer, s’épanouir, jusqu’à s’éteindre.

Le corps écoutant est un réceptacle avide de ce qui bruisse, sonne résonne, vibre, comme une caisse de résonance amplifiant toute onde vibratoire, potentiellement sonore.

Assis, adossé, couché, l’oreille collée, dos à dos, nous trouvons des positions pour plonger dans les sonorités ambiantes. Nous cherchons les plus appropriées, ou les plus surprenantes, les plus décalées ou les plus rassurantes.

Toutes les cavités, les creux, les vides, les matières, viscères, peaux, membranes, de notre corps, sont comme des antennes internes, résonateurs sensibles qui tentent de nous synthoniser avec les champs de résonances nous entourant, nous traversant, nous mettant en sympathie avec la matière sonore vivante, et éventuellement ceux/celles qui la produisent.

Il nous faut accepter la posture d’être écoutant, donc d’être vibrant, voire la rechercher, pour en jouir plus pleinement.

La posture est aussi mentale.

Elle est ce que nous accepterons, rechercherons, développerons comme état d’esprit favorable à une immersion audio-sensible, à une expérimentation auriculaire partagée, parfois des plus excitantes.

Laisser se développer des images mentales propices à une écoute profonde1 qui nous reliera avec le vent chantant, l’oiseau pépiant, l’eau clapotante, le feu crépitant, le tonnerre roulant au loin, jusqu’à l’inaudible ressenti à fleur de peau.

La posture est également collective. C’est la façon dont un groupe communique non verbalement, par des gestes, regards, sourires, frôlements, danses, rituels pour communier d’une joie d’écouter ensemble. Écouter en groupe, c’est sublimer une scène sonore, couchés dans l’herbe nuit tombante, assis sur un banc dos à dos à ressentir la peau de l’autre vibrer contre la notre au gré des sons, le dos tourné aux sources acoustiques, les yeux fermés, main dans la main…

La posture peut donc être suggérée sans aucune paroles, par une proposition d’un corps écoutant et guidant, les mains en cônes derrière les oreilles, le regard visant un point sonore, l’index sur la bouche, invitant au silence, le regard dirigé vers, un arrêt soudain, statufié… Le non verbal développe un silence éloquent, peuplé de gestes comme autant d’invitations.

La posture s’en trouve parfois théâtralisée, jouée, comme un spectacle de rue qui ferait de chaque écoutant un acteur mettant l’écoute en scène, ou créant des scènes d’écoute. Les écoutants se mettent en scène d’écoutants, interpellant ainsi, dans l’espace public, des passants non avertis, posant la question d’une étrange oreille collective en action. Gestes étranges et singuliers, marcher en silence, très lentement, s’arrêter sans rien dire, garder une immobilité surprenante, sans même se regarder, repartir de concert, au gré des sons… venir gentiment perturber des espaces de vie quotidienne, par un corporalité tournée vers un bruitisme inattendu, car souvent inentendu.

Et ce jusque dans la posture de nos pieds, eux aussi antennes reliées au sol, au tellurique, aux courants souterrains invisibles mais tangibles, aux vibrations urbaines des mouvements et circulations underground. Une relation entre la terre, le solide, à l’aérien.

Des pieds qui nous mettront en mouvements vers une écoute en marche, qui imprimeront une vitesse, des cadences, qui infléchiront la posture de promeneur écoutant, invité à parcourir des espaces sonores infinis.

La posture peut être de se tenir poster, à l’affût du moindre bruit qui courre, non pas pour le capturer, ou l’éliminer, mais pour le percevoir dans une chaine d’éléments sonores où chaque bruissonance fait paysage. Laisser venir à soit les mille et une sonorités du monde dans une attitude curieuse et amène.

La posture est souvent dictée par le contexte et les aléas du moment. Elle nait de rencontres entre les corps et l’espace, les corps entre eux, l’espace et les sons, le corps et les sons. Elle peut naitre d’un simple toucher vibratile. Elle paraît s’imposer naturellement dans des circonstances qui poussent inconsciemment le corps à se fabriquer des jeux d’écoute, des situations ludiques qui répondront aux sollicitations de l’instant, et sans doute ouvriront de nouvelles perspectives.

Les ambiances sonores, mais aussi lumineuses, chaleureuses, les climats, les ressentis, influeront sur nos comportements d’écoutants, en développant des gestes qui mettront nos corps et nos esprits en situation symbiotique d’ouverture sensorielle, ou de fermeture, nous protégeant ainsi d’agressions stressantes, voire traumatiques.

La recherche de postures, si importante soit elle, n’est sans doute pas, pour moi, pour l’instant, un concept ou un processus théorisable, ou réduisible à un catalogue de gestes et d’attitudes possibles, boite à outils corporelle et mentale susceptible de répondre à des situations sensorielles subtiles et complexes.

C’est souvent une geste, une série de gestes, de connivences, d’interactions, de réflexes épidermiques, naturels, spontanées, plus ou moins, liés à des formes d’improvisations dans des parcours d’écoute dont nous ne maitrisons pas, loin de là, tous les accidents potentiels.

Il nous faut laisser émerger la posture comme un état corporel et mental stimulant, enrichissant, sans la forcer, pour ne pas tomber dans l’im-posture d’un corps qui jouerait faux. Et d’une écoute qui forcément, en pâtirait.

1Hommage à la Deep Listening de Pauline Oliveros

point d’ouïe – Traversée n° 3 – Rythmes et cadences, ralentissements, arrêts et progressions

point d’ouïe – Flux aquatique – Cirque de Gavarnie, Hautes Pyrénées
Résidence Audio Paysagère Hang Art

La traversée n°3 sera rythmée, cadencée, ponctuée, tout en mouvements et en pauses, en arrêts et en départs, en mobilité et en immobilité.

Le monde sonore n’est pas, tant s’en faut, un flux régulier, prévisible, un espace temps qui se déroule uniforme, continuum sans surprises.

Le monde sonore suit son train, qui peut être chahuté, et/ou nous suivons le sien, avec toujours la possibilité/probabilité d’accélérer, de ralentir, de suivre des cycles, ou non.

Le flux temporel écouté nous fait mesurer l’incertitude du son dans le courant du temps qui passe, de la chose sonore qui apparaît ici, disparaît là, dans les caprices d’espaces métriques capricieux.

Bien sur, il est des repères que le temps nous indique, nous assène, des découpages rythmant une journée, une semaine, un mois, de façon quasi rassurante…

La cloche de l’église, lorsqu’elle sonne encore, de quart d’heure en quart d’heure, d’heure en heure, ponctue nos espaces de vie en graduant inlassablement le temps fuyant. Une façon rassurante ou anxiogène de nous situer dans un chronos auquel nous n’échappons pas. Notre vie s’écoule en un sablier tenace qui se fait entendre ans ménagement.

Les tic-tacs métronomiques habitent des espaces d’écoute découpée, pour le meilleur et pour le pire.

Parfois l’accidentel ponctue la scène auditive, un mariage qui passe, un coup de tonnerre inattendu, une altercation au coin de la rue… Un brin de chaos que nos oreilles agrippent, y compris contre leur gré.

Les sons font parfois habitude, voire rituel, dans leur itération, même les plus triviales. Le rideau de fer de la librairie d’en face, la sonnerie d’une cour d’école, la présence d’un marché quelques jours par semaine, la sirène des premiers mercredis du mois à midi… Des marqueurs temporels que l’on pourrait croire immuables si la finitude ne les guettait. Des jalons que l’on apprend à déchiffrer au fil du temps. Carte/partition du temps qui fait et défait.

Et puis il y a la façon de progresser dans les milieux sonores, de les arpenter par exemple.

Le rythme d’une promenade, sa cadence, sa précipitation ou sa lenteur, ses inflexions, infléchiront la façon d’écouter, d’entendre, et sur la chose écoutée elle-même.

Avancer vers des sons plus ou moins rapidement, accélérer par curiosité, ralentir par prudence, s’arrêter là où quelque chose se passe, où la musique jaillit, où la cloche sonne, où le rire fuse, où mugit la sirène…

Les sonorités sans cesse en mouvement, ponctuelles pour beaucoup, dans les flux soumis à moult aléas, influent, parfois subrepticement, nos rythmes de vie, de faire, de penser, tout comme nos faits et gestes, réciproquement, peuvent écrire des rythmicités au quotidien.

Le mouvement de réciprocité, les interactions, les gestes sonores scandant des situations audibles (le marteau d’un forgeron, la frappe du percussionniste), comme les sons déclenchant des gestes ou des mouvements (le sifflet de départ, l’ordre crié) viennent se frotter dans des mouvements que l’oreille perçoit plus ou moins clairement.

La voix de Chronos, père et personnification du temps, dieu ailé porteur de sablier, nous fait entendre notre vie s’écoulant, comme celle de Kaïros parfois, le moment opportun.

Le ralentissement est-il propice à une meilleure écoute, à une entente plus profonde. Sans doute oui. Surtout dans le contexte d’une société où l’oisiveté est non seulement mal vue, mais sacrifiée à l’autel d’un productivisme forcené. Russolo décrivait déjà une cité de bruits où puissance vociférante et guerre sont au final de vieilles compagnes.

Prendre le temps de faire des arrêts sur sons, des pauses écoutes, des points d’ouïe, résister à la course du toujours plus, qui jette dans les espaces publics des torrents de voitures ne laissant guère de place au repos de l’oreille, et de fait de l’écoutant malgré lui… Ralentir, douce utopie ou rythme salutaire à rechercher avant tout ?

Retrouver, à l’aune d’un Thoreau, une oreille qui vivrait au rythme des saisons. Paysages printaniers où, dans une sorte d’idéal enchanté, tout chante et bruissonne, un été plombé de soleil et d’une torpeur écrasante secouée par l’orage, un automne où la vie ralentit au rythme des pluies, un hiver engourdi que la neige ouate dans des quasi silences…

Images d’Épinal où le son est partie prenante, répondant aux ambiances attendues, présupposées, voire participant à les forger à nos visions clichés d’un chronos saisonnier.

Nous progressons dans un monde sonore qui ne répond pas toujours à nos représentations, à nos attentes, trop lent ou trop emballé, trop frénétique ou trop engourdi.

Chaque individu, lorsqu’on le regarde agir, a sa propre dynamique temporelle, selon les contextes, les moments, les événements… Et d’innombrables temporalités se font entendre dans des espaces auriculaires, espaces publics notamment, qui ne sont pas toujours aisément partageables.

Chacun semble avoir sa propre partition, ses propres tempi, ses propres variations rythmiques qui font qu’il n’est pas toujours facile d’accorder nos violons, de se régler sur la même heure, et de jouer de concert une œuvre collective, comme un orchestre parfaitement synchrone. Risque de vacarme résiduel, car non orchestré ?

Ces discordances de tempi se font entendre à qui sait écouter les flux de la vie qui passe, comme deux cloches qui ne sonneraient pas, par un désynchronisme chronique, dans une même temporalité.

Mais néanmoins, nous nous forçons d’adapter la longueur comme la vitesse de nos pas, de caler des moments de rencontres où nos paroles prennent le temps de s’échanger, ou nos métronomes font entendre des pulsations accordées, qui permettent à une vie sociale d’exister, de perdurer, malgré toutes les incontournables arythmies possibles.

A condition comme le chantait Georges Moustaki, de prendre le temps à minima le temps de vivre, et d’écouter la vie qui passe.

Point d’ouïe – Écoute installée pour paysage et duo d’écoutants – Prendre le temps de pause.

Point d’ouïe – Traversée n° 2 – Choses entendues de nuit

@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest

Ce n’est pas la première fois que j’écris sur les paysages sonores nocturnes, et encore moins que je les expérimente, toujours avec un plaisir certain. Peut-être le sentiment de gentiment m’encanailler l’oreille dans des contrées auriculaires débutant entre chiens et loups et se poursuivant parfois jusque tard, après la nuit tombée.

La nuit, tous les sons ne sont pas gris, tant s’en faut !

Ils sont, plus que jamais, mis en valeur, et ce dans toute leur diversité. Et Dieu sait si diversité il y a. La palette des sons semble infinie, et sans doute l’est-elle, plus encore au cœur de la nuit comme un écrin intime.

Car la nuit exacerbe les sens, leurs donne un appétit vorace, ouïe comprise.

Et surtout l’ouïe… En ce qui me concerne, en tous cas ici.

La nuit, les sons prennent une place qui n’est pas, ou peu, ou moins disputée, voire évincée par l’hégémonie d’autres sonorités diurnes, dont et surtout celles motorisées.

C’est une histoire d’ambiances. Là où sons et couleurs sont colorés d’obscurité. Pas de noirceur non, mais bien d’obscurité. L’obscurité qui gomme certaines choses, certains détails, en efface d’autres, tout au moins visuellement.

Mais le son lui n’en a cure. Il s’en joue même, en profitant pour se faire émergence, pour affirmer sa présence, même et surtout dans un presque silence.

Si je ne te vois pas, chose sonore, je ne t’en entendrai que mieux, quitte à ne pas reconnaître ce que je perçois de l’oreille, le confondre, en ressentir comme un inquiétant malaise dû au non identifié, dû au non rassurant, voire au franchement inquiétant.

Mais laissons là ce qui peut nous paraître négatif pour aller chercher les aménités noctambules, comme on le ferait dans les nombreuses hymnes à la nuit, apanage des poètes de tout temps.

Je pourrais citer, voire conter maintes expériences, plus ou moins préméditées ou impromptues, qui ont profité de l’immersion nocturne pour nous plonger plus profondément au cœur de l’écoute, ou tout au moins au cœur d’une forme d’écoute singulière, qu’elle soit solitaire ou collective.

Un banc public, une petite place, Orléans, un soir d’hiver, by night. Une jeune femme marche, elle longe lentement le pourtour de la place en chantant, mezzo voce, d’une fort belle voix, Summertime. Instant magique s’il en fût.

Un autre banc, perdu au dessus d’une vaste combe des montagnes du Bugey. Nous sommes trois, assis, contemplant plus d’une heure durant, en silence, l’obscurité s’installer. Quelques rapaces nocturnes trouent l’espace de leurs brèves stridences éraillées, des clochettes de chèvres au loin. Autre instant magique.

Mon quartier lors d’une panne d’éclairage public. Étrange ambiance où tout semble aller en catimini, entre fascination et inquiétude. Les voitures-même semblent murmurer…

Une balade nocturne sur les Monts du lyonnais, dans la chaleur tombante de l’été. Une vingtaine d’écoutants se coucheront longuement dans l’herbe, d’un commun accord, sans préméditation, enveloppés de chants de grillons, de vaches et chiens au loin… La nuit porte tout cela délicatement à leurs oreilles ravies.

Traversée nocturne et pluvieuse des abords d’une gare urbaine. Le paysage ruisselle de couleurs réverbérées sur l’asphalte des trottoirs et des chaussées, de couleurs moirées, en tâches irisant les sols, mais aussi de sons clapotis clapotant. Sans compter les soupirs ponctuels des trains impatients de quitter les quais, les ventilations obscures, entêtantes ferrailleuses et cliquetantes…

Une traversée de forêt nocturne. Nos pas font craquer des brindilles et branches sèches comme des petits feux d’artifices crépitants, nos souffles halètent, chacun à son rythme, quelques rapaces effarouchés s’envolent bruyamment ; désolé du dérangement ! une cloche tinte au loin, un rien fantomatique. Et la nuit poursuit son chemin comme nous le notre en son sein…

Et tant d’autres expériences où l’oreille s’accroche, s’étire, s’ébroue, enroule son écoute dans une obscurité complice.

La nuit festive… Où des rires et chansons d’étudiants s’échappent des fenêtres ouvertes, où des scansions rythmiques laissent imaginer des corps dansant.

Des plaisirs parfois contraints, empêchés, interdits même, bridés, par un méchant virus, des voisins chatouilleux, des législations intransigeantes.

La nuit urbaine contrainte, d’où disparaissent peu à peu les espaces de liesse, pour ne laisser que quasi pesant silence au final ; le droit au sommeil à tout prix, y compris celui d’assécher les ville de ses moindre soupçons de plaisir un brin canaille.

La ville policée, peau lissée, nettoyée de ses scories sonores risquant de devenir tapageuses si l’on y prend garde.

Heureusement ici et là, de petits foyers de résistance persistent à festoyer à grands renfort de musiques et de rires, éclaboussant la nuit d’une énergie sonique autant que vivifiante.

N’allez pas croire ici que je prêche une quelconque désobéissance civile, la révolte des noctambules. J’apprécie néanmoins ces trouées audio libertaires venant parfois bousculer la nuit trop bienséante. En règle générale, tout rentrera, un peu plus tard, dans l’ordre d’un calme socialement convenu et partagé.

A trop vouloir brider, on s’expose à des résistances parfois plus inciviles, de rodéos sauvages en tirs d’artifices guerriers qui nous hurlent « Mais j’existe quand même ! ».

Entre nuit apaisée et espaces d’équilibres fragiles, quiétude et soubresauts, la nuit se pare de milles ambiances, parfois ambigües, mais riches d’expériences sensorielles, qu’il faut savoir traquer par des arpentages laissant au vestiaire, autant que faire se peut, des a priori enfermants.

Parce que mes nuits d’écoute sont aussi belles que vos journées…

@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest

Point d’ouïe, traversées de paysages sonores in progress

Emprunter les chemins traversant des paysages sonores, via donc une écoute ambulante, pédestre, me fait les entendre au fil d’expériences qui, géographiques, environnementales, sociales, esthétiques, symboliques, tendent à construire une approche croisée autour de parcours parfois plus complexes qu’ils n’y paraissent de prime abord.

D’autant plus complexes, lorsqu’on les creuse de l’oreille, qu’ils superposent des couches d’écoutes que l’on pourrait qualifier d’hétérotopiques, comme d’ailleurs tout territoires arpentés qui se respecte.

Bref, traverser des paysages auriculaires, s’y frayer des chemins de traverse, de travers, des arpentages, des plus sauvages, erratiques, aux plus balisées, itinérarisées, c’est se garder sous le coude, si ce n’est sous l’oreille, une série d’outils, d’approches, de point de vue, de façons, ou possibilités de faire. C’est ce qui nous permettra sans doute de décaler les points d’ouïe, tout en conservant une approche sensible, et qui plus est sensorielle.

Cette approche, entre expérimentations de terrains, chantiers in situ, une approche du Faire, côtoie les processus descriptifs, l’élaboration de processus d’écritures contextuelles, de modèles conceptuels, de réflexions introspectives…

Le Faire et le Penser s’auto-alimentent dans des aller-retours féconds, qui font traverser le paysage auriculaire en empruntant moult voies, parfois clairement tracées, parfois incertaines, erratiques, superposées, mixées, dans leurs enchevêtrements complexes.

De quoi à ne jamais être sûr de son chemin, ce qui garantit de nouvelles traversées, toujours renouvelées, développées, dans leurs conceptions comme dans leurs mises en situation.

Cette réflexion en cours va se concrétiser par une série de traversées sonores thématiques, prenant vie pour l’instant à partir des textes rédigés pour la circonstance.

On peut envisager par la suite des pièces sonores venant dialoguer avec ces textes, en contrepoint, pas forcément illustratifs, mais amenant une façon de voir par l’oreille certaines traversées et leurs potentiels modes et processus exploratoires.

On peut également envisager une série de PAS-Parcours Audio Sensibles, autour des traversées, expérimentations concrètes, collectives, sur le terrain, qui amènera une couche de pratique et de sociabilité, chose pour moi primordiale à tout projet de recherche.

Action !

Voyons ici quelques façons, non exhaustives et non hiérarchisées, de traverser les paysages sonores sans trop s’y perdre, quoiqu’en osant les explorations favorisant les pas de côté.

Les traversées, des modes et processus exploratoires

Traversée n° 1 – Les seuils, frontières et espaces intersticiels

Être à la limite, être aux limites, voire les dépasser, y compris de l’oreille.

Où les chercher, car ces dernières ne sont pas forcément clairement marquées, identifiées comme telles.

Comme des frontières plus ou moins matérielles, plus ou moins immatérielles, parfois indécises.

Où rentre t-on dans la ville, ou ailleurs, par l’oreille ?

Où en sort-on, et le cas échéant comment ?

Existe t-il des seuils par où passer du dehors au dedans, et inversement, d’un plan sonore à un autre, ou d’une scène acoustique à une autre ?

Des seuils où se tenir en attente, attente d’une invitation à pénétrer dans un paysage sonore, invitation à le quitter ?

Les lieux interstices où les sons fondent, se confondent, en des espaces mouvants.

Se tenir ici et entendre au-delà, ou inversement.

Être au croisement de champs acoustiques qui se télescopent, agrandissent ou resserrent leurs bulles, notre audio-bulle, nous questionnent sur la place à tenir, comme écoutant, plus ou moins actif, ou non…

Les espaces intersticiels sèment le doute dans une géolocalisation auriculaire. Suis-je encore ici, ou déjà là, ou temporairement ici et là ? L’entre-deux fluctue dans ses flux-mêmes.

Les interstices sont aussi espaces de jeu, faire de l’incertitude, du flou audio-géographique, de l’entre-espace, des terrain d’explorations, de transitions, des zones tampons, par exemple dans un parcours friand de surprises, qu’il nous faut, sérendipité oblige, laisser venir.

La notion de passage se noie t-elle dans l’écoute, ou l’écoute dans le passage ?

Le passage, en terme de parcours devient un jeu de mixage d’une ambiance à une autre, le promeneur un DJ se jouant en marchant des frontières poreuses mais néanmoins tangibles, audibles. Les pieds et les oreilles comme une table de mixage à 360°, et en mouvement. L’instabilité intrinsèque du son rajoute une dose de piment stimulant la traversée d’espaces dont on ne peut jamais savoir exactement ce qui se passera lorsqu’on l’arpentera.

Les seuils et frontières acoustiques sont par essence mouvants, au gré des vents, des écoutants, des perceptions, des déplacements…

Lorsque l’on entend deux clochers de deux villages ou quartiers différents, chacun interpénétrant le territoire de l’autre en bonne entente, sans velléité conquérante, la notion d’espace élargi, de repères spatio-temporaires partagés est alors bienveillante.

La notion de porosité acoustique doit être pensée comme un facteur déterminant. On peut enfermer une lumière entre quatre murs aveugles, pas forcément épais, mais il est plus difficile de contraindre une onde acoustique qui met les matériaux eux-mêmes en vibration. Les espaces intérieurs et extérieurs, sauf traitements complexes, mêlent leurs ambiances acoustiques, pour le meilleur – sentiment d’ouverture, de non enfermement; et pour le pire – sentiment d’intrusion, voire d’invasion, dans des espaces parfois intimes.

Dans des lieux d’enfermement, la prison en étant un par excellence, la communication sonore, est très impressionnante lorsqu’on la découvre pour la première fois. Un vacarme organisé, qui tente de faire exploser les murs, de garder a minima un contact humain, car décloisonné, autant que faire se peut.

Dans la scénographie sonore muséale, peut-être que cette notion de porosité acoustique nous pousse à penser des ambiances globales plutôt que cloisonnées, ce qui d’ailleurs fonctionne rarement correctement ou tend le visiteur à chausser des casques audio l’isolant du milieu ambiant.

Dans l’aménagement du territoire, ces porosités capricieuses devraient nous faire réfléchir à des cohabitations plus vivables, amènes, pour des habitants/usagers, dans leurs déplacements, activités, leurs besoins des zones apaisées, oasis acoustiques non pas coupées du monde, mais simplement protégées de ses sur-tensions sonores, ou autres. Des lieux ou parler reste chose facile sans crier…

Construire un mur anti-bruit est mettre une frontière sonique entre deux espaces, dont l’un doit généralement être protégé d’un vacarme invasif, intrusif, si ce n’est hégémonique.

La tentative de segmentation d’espaces acoustiques, supposons l’un calme et l’autre non, fait naitre des expériences de zonages acoustiques, recherchant des bulles de confort, pas forcément pertinentes, voire insoutenables, socialement parlant.

Se couper des bruits en s’enfermant derrière des doubles vitrages et des murs acoustiques peut vite virer à une forme d’autisme sclérosant, enfermant, isolant, dans le pire sens du terme.

Mieux vaut réfléchir en amont aux problèmes de cohabitations sonores potentiels, et prévenir que guérir, ou réparer partiellement les dégâts d’un territoire sonore non pensé.

Les limites et les seuils ne doivent pas être envisagés comme des espaces géographiques excluants, clivants, mais comme des interstices féconds, où un brassage dynamique favorise les bonnes ententes.

La belle écoute doit rester un objectif articulant le plus harmonieusement que possible les espaces et milieux sonores toujours très fragiles. Trop ou trop peu de frontières est un écueil à prendre en compte.

Points d’ouïe, les voix de la ville

Mais c’est quoi ce son là ?
Celui qui colle à mes pas
celui qui colle à mes oreilles ?
Ce son là ?
Mais ce sont les voix de la ville.
Le son de la ville qui chante
comme de celle qui déchante.
Mais si on l’écoute bien, des fois, il enchante.
Mais oui, il l’enchante, mais ouïe !
Après, faut coller l’oreille, à la ville.
Faut coller l’oreille à l’asphalte chaud
qui a peut-être emprisonné le bruit des pas passants
pas gravés dans une mémoire du sol
gravées en vibrations figées mais re-jouables
faut coller l’oreille aux murs transpirants de poussière
des fois qu’ils se souviennent
faut coller l’oreille aux chantiers
ceux qui n’en finissent pas de déconstruire
ceux qui n’en finissent pas de reconstruire
faut coller l’oreille aux passants
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en devisant
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en silence
faut coller l’oreille au passé
passé enfoui
celui qui suinte par les fissures
fissures des industries en friche
des maisons abandonnées
des terrains vagues
des vagues terrains
aujourd’hui tous barricadés
sans cris d’enfants aventuriers
des espaces indéfinis
ou non finis
où se perdre l’oreille
rares espaces
retenant des couches audibles en strates sonores
de celles qui explosent en bulles
qui explosent presque muettes
faut coller l’oreille aux fontaines aussi
celles qui s’ébrouent en flux liquides
quitte à noyer ou en perdre le bon entendement
faut coller l’oreille aux métros
ceux qui font vibrer la ville
la ville du dessous j’entends
il faut plonger dans le bruit des chaos
il faut plonger dans le murmure des oiseaux nocturnes
il faut plonger nuitamment dans un parc livré aux auricularités noctambules
il faut suivre les vibrations des souffleries essouflantes
il fait espérer que la cloche nous maintienne entre trois géographies soniques
celle du haut aérienne
celle du bas terrienne
et celle de l’entre-deux hésitante
il nous faut jouer des lieux
ceux discrets
et ceux tapageurs
passer de l’un à l’autre
et de l ‘autre à l’un
mixer les chemins d’écoute
histoire de dérouter l’esgourde
de désorienter le pavillon
d’émouvoir les écoutilles
et pourquoi pas !
Il faut trouver le lieu ad hoc
le banc d’écoute où l’oreille peut se déployer
où l’oreille peut se tendre
où l’oreille peut se détendre
Il nous faut marchécouter la cité
se fier aux ambulations bordées de sons
et s’en défier sans doute
praticien de dérives à en perdre le sens de l’Orient à sons
quitte à virer de bord
sonique instinct…

Un brin d’écoute

Installer et partager l’écoute
un brin de musique
de sonore
d’architecture
de poésie
d’urbanisme
de danse
de récits
de politique
d’arts en espace public
de parcours
d’expérimentation
de brassage
de théâtre
d’images
d’hybridation
de rencontres
de notes
de partage
de bonne humeur
d’écologie
d’écosophie
d’action
de recherche
de nomadisme
d’amitié (beaucoup)
d’imagination
d’humilité
de transmission
de persévérance
de militance
de rêve
de réalisme
d’utopie
d’ouverture
de doute
d’opportunité
de sérendipité
de plaisir
de résistance
de pas de côté
de curiosité
d’aménité
de tolérance
de réseau
de bienveillance
de folie
de sagesse
de philosophie
de sociabilité
d’espoir
de révolte
d’écritures polymorphes
d’incertitude
de fête
d’attente
d’espoir
d’engagement
d’errance
de probabilité
d’esthétique
de contextualité
de relationnel
et plus si affinité

Paysage sonore, pour en finir avec la colère du bruit

Depuis des années, je questionne la notion de paysage sonore, j’expérimente des approches de terrain, des outils d’écoute et d’analyse. 
Depuis des années, je tente de me poser des problématiques les plus ouvertes que possible. 
Depuis des années, je me heurte encore et toujours à la récurrente et envahissante question du bruit, de la pollution, de la nuisance. 
A consulter les médias, à quelques rares exceptions près, on a l’impression que c’est par le bruit qu’il convient en priorité d’aborder le sujet, au risque d’occulter, ou d’ignorer toute autre approche qui s’appuierait sur des notions plus positives, et en tous cas moins enfermantes.
Certes, il n’est pas question ici de remettre en cause les dysfonctionnements acoustiques de nos milieux de vie, entre saturation polluante et paupérisation mortifère, mais d’éviter l’écueil du « tout bruit », qui  nous conduit à une vision étriquée et parcellaire, à ce qu’une écologie sonore raisonnée devrait avant tout éviter.
Cette approche moins traumatisante passe par l’ouverture d’une réflexion croisée, convoquant différents champs et pratiques, qui limiteraient les analyses mono-spécialistes péremptoires et souvent moralisatrices.
Très souvent, on a l’impression que les acousticiens métrologues sont les références incontournables. 
Bien sûr, leurs savoir-faire et leurs expertises sont nécessaires, indispensables, à l’analyse et à la définition, voire à la création, à l’aménagement de paysages sonores en espace public. 
Mais sont-elles les seules, les plus importantes, approches à privilégier ?
Dans l’idéal, plusieurs compétences pourraient, voire devraient être convoquées pour une approche plus satisfaisante. 
Associées à celles des acousticiens, l’expertise des  résidents, habitants, usagers, est sans doute au départ plus que jamais nécessaire. 
Se promener avec les autochtones, dialoguer, recueillir leurs ressentis, leurs analyses, via leurs expériences au quotidien est un premier pas des plus importants.
Il est une première pierre de l’approche sensible, sensorielle, esthétique, artistique.
Comment par exemple, un artiste écouteur arpenteur aura la possibilité de créer des mises en situation, des décalages ludiques, qui pourront faire vivre autrement des espaces d’écoute trop souvent ignorés.
Comment un groupe de géographes rompus à la cartographie, y compris sensible, d’artistes sonores, photographes, plasticiens, poètes, danseurs, d’urbanistes, d’élus, d’habitants, d’acousticiens… pourraient questionner de concert un terrain auriculaire, et le mettre en résonance avec d’autres approches techniciennes autour du paysage, avec un grand P ?
Comment, avant de s’enfermer dans la nuisance, des parcours expérimentaux, cartographiés, performés, installés, pourraient offrir des plages de lectures et d’écritures sans le couvercle plombant du bruit qu’il fait ?
La recherche d’aménités paysagères, versus, ou frottées à la pollution omniprésente peut-elle offrir un cheminement de réflexions qui nous permettrait de sortir des sentiers battus, si ce n’est des impasses; celles qui nous empêchent un brin de folie, de liberté salutaire, pour entendre les choses autrement ?
Ainsi, les notions de qualitatif, de richesses auditives, de patrimoine et de signature sonores, de qualité d’écoute, d’aménités paysagères, et d’autres approches positivantes viendront contrebalancer la seule vision bruitiste de l’environnement acoustique.
Ainsi nous pourrons trouver des modèles de paysage équilibrés, agréables, qui pourront servir de prototypes à des formes d’aménagements qui ne fassent pas qu’isoler à grands coups de murs ant-bruits et de triples vitrages. Il en coûte moins de prévenir que de guérir, ou de réparer les pots cassés, suite à une méconnaissance, ou une connaissance trop partielle, étriquée, des différentes typologies de paysages sonores, non diluées dans un carcan bruitaliste.
Bien sûr, si l’idée d’approches hybrides et croisées peut séduire, si on peut en saisir la richesse des enjeux, la réalité du terrain, entre autre économique, met bien vite des freins à ces croisements potentiellement fructueux.
Les contraintes du marché, des commandes publiques, mettent rapidement à mal des expériences sensibles souvent mortes-nées.
L’approche sensible, lorsqu’elle elle est seulement envisagée, est très vite réduite à sa portion congrue, voire à néant par les contraintes économiques.
Les questions de définitions plurielles d’un paysage sonore, via des rencontres et concertations, avec des modes de représentations singulières, des traces fécondes, des expériences d’aménagements ludiques, restent donc Oh combien difficiles à mettre en place concrètement. 
Mais doucement, les choses bougent, dans l’idée de donner au paysage sonore un statut qui puisse faire envisager nos territoires en prenant aussi en compte leurs potentiels qualitatifs, y compris acoustiques, afin notamment de créer du mieux vivre, du plaisir d’entendre. 

Faire un PAS – Parcours Audio Sensible ?

@Transcultures – City Sonic 2016- PAS à Mons

Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est se promener dans un lieu donné, mais plus encore.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est écouter un lieu donné, mais plus encore.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est envisager de construire et d’écrire une, des histoires inspirées, autant que possible collectives, via, entre autres, nos oreilles, curieuses et canailles.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est rencontrer plein de gens, échanger, questionner, savoir ce qu’ils aiment entendre, et où, et quand, et comment, et comprendre ce qu’ils aimeraient entendre, et comprendre ce qu’ils aimeraient ne pas, ne plus entendre.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est raconter in situ une géographie sonore, parmi bien d’autres géographies.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est tout d’abord chercher les aménités, celles qui réconfortent, pour néanmoins se frotter inévitablement aux dysfonctionnements auriculaires, qui ne manqueront pas de se dresser en chemin.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est imaginer des scénari, des mises en écoute, des mises en scène, des processus, des rêves, voire des utopies, qui partiront du terrain, et reviendront au terrain.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est frotter des sons à des images, des couleurs, des odeurs, des saveurs, des matières, des textures…
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est frotter du sensoriel, du matériel, du social, du politique, du poétique, de l’aménagement, et plus si affinité.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est accepter que le terrain, et les co-écoutants présents sur le dit terrain, orientent la lecture et l’écriture vers une aventure sonore la plus inouïe que possible, histoire de se dépayser en faisant un (ou plusieurs) PAS de côté.
Faire un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est encore bien d’autres choses, qui restent à découvrir, qui restent à expérimenter.

Pour conclure, sans pour autant en avoir fini avec le sujet : Partout où il y a du vivant, il y a des sons. Partout où il y a du vivant et des sons, on peut imaginer écrire des choses collectives autant que singulières, donc très modestement inouïes.

Point d’ouïe automnal

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Aujourd’hui, en écoutant/ressentant la ville, j’ai perçu une franche bascule automnale.

Le gris profond du ciel est balayé d’un vent capricieux, complice gémissant. Les feuilles se rouillent en grattant et raclant le sol, s’accumulent dans des tapis ramassés en camaïeux ocrés.

Les gouttes de pluie toquent et ploquent sur ces obstacles végétaux, comme des poignées de sable jetées dans une eau étale, micro miroirs urbains.

La nuit tombante se complait de ces ambiances en demi-teintes, voire les débauchent de pénombres chuchotantes.

Les passants se faufilent entre les rafales primesautières et au besoin s’abritent silencieux sous un porche, tout en ombres fugaces.

Les lumières s’étalent en flaques sur un l’asphalte indolent, entourant les feuilles encore frémissantes.

Des sons et lumières restent à l’échelle de l’intime, sans débordements indécents, l’oreille en témoignera.

Il faut aller, il faut sortir, il faut vivre la cité, dans un brèche d’espaces enfermés, ou refermés, mi-clos mi-ouverts.Il faut déguster à l’envi ces ambiances qui ne s’offrent pourtant pas franco.

Il faut aller gratter, fissurer la croute, celle qui nous mène au sensible, vent debout sons debout.

Rien ne presse, ou presque

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Aller
on va crapahuter la ville
sans se presser
on va s’y détendre l’oreille
on va y marcher sirènement
à l’appel d’un grand large urbanique
hola, doucement j’ai dit
plus lentement
bien plus lentement
qui va lento va sono
ou plutôt qui va lento va audio
alors moins vite STP
elle nous va attendre la ville
et puis on s’en fout si on rate des choses
il s’en passera toujours bien d’autres
on prend le temps de faire
on prends le temps de défaire
on prends le temps de parfaire
on prends le temps de refaire
un ou des théâtres sonores in progress
chantier d’écoute en cours
on s’ébroue dans la lente heure
on s’ébruite comme dans un flux continuum
on s’étire l’oreille gentiment augmentée par notre seule attention
care audio ou audio care
doucement les basses
molo les aigus
du calme les médiums
on joue sur tous les tons
ou presque
tessiture étendue et néanmoins apaisée
on joue dans les heures creuses
côtoyant le calme à fleur de pied
en le recherchant si besoin est
en le privilégiant quiètement
on joue dans les recoins que le vacarme ignore
on joue dans les ilots que la rumeur évite
on joue dans les oasis où tinte l’eau gouttante
on joue dans les refuges camouflés et étanches au tintamarre
on se planque à l’affut du moindre bruit qui coure
on cherche la surprise du presque rien roi du silence
on avance à l’oreille-boussole audio-aimantée
quitte à se perdre pour une ouïe pour un non
hypothèses de vespéralités et d’heures bleues
d’aubades en sérénades surannées
dans une ville qui nous susurre
de ses mille anfractuosités sonnantes
des chuchotements ou des cris derrière ses murs
de l’intimité volée en voyécouteur
des frémissements végétaux
qui plissent et déplissent l’espace acoustique
des fontaines qui pleurent comme il se doit
mais je n’insisterai pas encore ici
sur les pesanteurs morbides et plombantes
d’un silence par trop silence
préférant glaner des friandises sonores
les extraire de leur gangue potentiellement bruyante
si ce n’est assourdissante
les poser comme un souffle tout contre l’oreille
notre oreille
nos oreilles
tout contre ton oreille aussi
je t’offre des sonorités toutes fraiches si tu veux
tirées de gisements et d’extractions audiorifères
celles que l’on creuse et où l’on recueille sans rien excaver
sans meurtrir le milieu en bruitalités stressantes
sans laisser de violentes cicatrices soniques
comme ceux qui strient et défigurent parfois la ville de pièges à sons
juste en accueillant dans nos pavillons sidérés et bienveillants
des bribes de mondes en délicates boules de sons
que l’on pétrira de mille sonorités amènes
pour s’en faire une histoire à portée d’oreilles
une histoire que je pense à remodeler sans cesse
dans une polysonie complexement contrapuntique
modulations à tue-tête ou chuchotements mezzo voce
et dans toutes les nuances et subtilités entre-deux
un concert déconcertant par sa trivialité pourtant tissée d’in-entendu
qui fait de nous des ravis béats auditeurs auditant
alors allons y tout doucement
très doucement si tu veux
adagio adagietto rallentendo
ralentissons encore cette marche de concert
presque jusqu’à l’immobilité du point d’ouïe
qui nous livre la bande passante de la ville ébruitée
quitte à la recomposer sans cesse
à la recomposer de toute pièce
mais ne sommes-nous pas là pour ça
compositeurs d’audio-urbanités
agenceurs de slow listenings
et au final de paysages sonores pour qui
dans l’idéal
rien ne presserait
ou presque
sauf l’urgence d’en préserver les aménités
et d’en inventer d’autres.

Le 29/10/2020 à Lyon
Sans avoir anticiper le confinement #2

Points d’ouïe, nouveaux écrits

 

Dernières mises en ligne

Une compilation d’écrits « Chronique d’un promeneur écoutant confiné » autour de la crise sanitaire que nous traversons et de ses ambiances sonores

https://www.academia.edu/43306986/Chronique_dun_promeneur_%C3%A9coutant_confin%C3%A9

 

Un texte « L’écoute à la carte » autour des cartographies sonores

https://www.academia.edu/43307361/L%C3%A9coute_%C3%A0_la_carte

Entre presque silence et bruitalisation urbaine

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Solitaire sifflant @Blandine Rivière

 

Après la stupeur de l’effondrement, de la ville fantômisée, des espaces démesurément vierges d’activités, passé l’installation d’un calme plus inquiétant que serein, la ville s’ébroue à nouveau.

Elle s’ébruite progressivement.

Pas besoin de la regarder, juste lui tendre une oreille de sa fenêtre ouverte.

Le silence, à défaut d’être rompu, perd du terrain, en même temps que son calme.

Les ouatures cotonneuses se déchirent.

Les voitures rouleuses se déconfinent sans vergogne, redonnant du moteur et du claque qui sonne à tour de roues.

Les gazouillis s’estompent car eux sont aussi masqués, et ce n’est qu’un début.

Et comme l’espace public, ainsi que l’autre, notre co-habitant, sont potentiellement de dangereux ennemis semant la pandémie.

Et comme le transport en commun est aujourd’hui trop en commun, terreau de germes viraux, brouillon de culture insanitaire, espace bardé de contraintes…

L’habitacle carrossé fait effet de refuge inviolable, invirussable.

La sécurité distanciée d’un chez-soi sur pneus.

Et la voiture de reprendre la route, peut-être plus que jamais, ou pire que jamais, ou les deux on ne sait jamais.

A tombeau roulant, bruitalisant la cité, et même urbi et orbi.

Mais le piéton aussi repeuple la cité.

D’abord ombre fugitive esquivant le voisin trop pressant.

Heureusement, les postillons ne roulent plus, le crachat de la poste faisant froid !

Ainsi le passant, masqué, défie croit-il, la reconnaissance faciale, pour un instant, pour un instant seulement.

Piéton redonnant de la voix dans la voie.

D’ailleurs à propos du masque,  c’est à l’origine objet de théâtre, antique.

Il se nomme personna, mon nom est personne, et mon masque le personnage que je joue…

Du verbe latin per-sonare, qui sonne par, à travers, et par extension qui parle à travers, et non pas à tord et à travers. Quoique…

Car le masque d’alors ne cache pas la parole, bien au contraire, artifice acoustique, il l’amplifie, la fait porter, publique.

Pas sûr que cela soit vraiment le cas aujourd’hui.

Un théâtre urbain d’ombres solitaires distanciées n’aide pas l’échange cordial.

C’est un terrain miné, qui musèle brutalement des velléités de révolte, jugées sanitairement bien trop bruyantes !

L’ether nu ment !

Si le silence se déchire par voix et voitures, la société s’est  sensiblement désociabilisée, sans doute via la politique entretenue de la peur généralisée, bâillon plus redoutable que bien des masques, même de fer.

 

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Ombres urbaines @Blandine Rivière

 

Photos Blandine Rivière – Texte Gilles Malatray

Écrit et ouï  de mes fenêtres 06 mai 2020 – https://soundatmyndow.tumblr.com/

Les écrits urbains, ce que la voix ne peut aujourd’hui faire entendre

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Sur fond de crise sanitaire

entre autres crises

la révolte s’étouffe

ou se fait étouffer

taclée d’espaces empêchés

la parole

surtout celle dissidente

se confine

se tait

se fait taire

des rassemblements proscrits

interdits

sanctionnés

réprimés

des voix muselées

parfois éclatées en fenêtres

confinées en silence

confinées au silence

alors

le texte

l’écriteau

la banderole

donnent de la voix

s’affichent publiquement

sur murs support

fenêtres support

mobiliers urbains support

portes support

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ainsi la grogne couve toujours

s’écrit

se placarde

ce que l’on met sous cloche d’un côté

réapparait d’un autre en mots collés

le fait n’est pas nouveau

mais en ces temps de crises

crises multiples et sclérosantes

nourries de silences imposés

de censures généralisées

l’écrit prend du poids

prend un autre poids

en guerilla de mots dits

et parfois

rassérénante ou non

s’installe la poésie.

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@ Photos Blandine Rivièretexte Gilles Malatray

Fenêtres d’écoute/Listening windows : https://soundatmyndow.tumblr.com/

https://soundatmyndow.tumblr.com/archive

Point d’ouïe, comme un pesant silence

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Ici 

ma rue

déserte

désertée

abandonnée 

ou presque

quartier fantôme

ville fantôme

trottoirs fantômes

parfois secoués

en quelques minutes vespérales

de liesses passagères

ou d’un camion vrombissant

vomissant ses vivres

et chaque sons grinçants

ferraillant le trottoir

ronronnements de chambre froide

claquements de porte

prennent des proportions décuplées

si bien que même dans la durée

des gestes ralentis

des mouvements confisqués

l’oreille s’étonne encore

de ce quasi silence 

pesant

que nargue l’insolent soleil

et que les cloches perchées

animent sans scrupules

toniques scansions

bouffées d’oxygène auriculaires

ce printemps manque d’air.

 

@photo​ Blandine Rivière @texte Gilles Malatray

 

Fenêtres d’écoute – Listening windows – https://soundatmyndow.tumblr.com/

Un banc, point d’ouïe modifié

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Ceci est un banc

tout près de chez moi

un banc où

très souvent

je m’assois

j’écoute

je regarde

je lis

j’écris

je parle à des habitués

ou à des rencontres fortuites

un lieu de repos

parmi d’autres bancs

un point d’observation urbaine

d’observation curieuse

des choses répétées

des choses singulières

des aléas du moment

un point d’ouïe ittéré

un espace de tentative d’épuisement

comme une terrasse façon Pérec

une forme de rituel urbain

intervention minimaliste

prenant corps dans la durée

les rencontres causeries

ma présence qui s’installe

mais aujourd’hui

confinement sanitaire oblige

je l’ai déserté

lui préférant

dans mes rares sorties

une marche dégourdissante

ma fenêtre est alors devenue

l’erzatz d’un banc

momentanément inoccupé.

 

@Photo Blandine Rivière @texte Gilles Malatray

Points d’ouïe et questionnements

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@photo Laurent Jarrige

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’entre les périls climatiques s’amplifiant à la vitesse grand V et la pandémie qui nous frappe de plein fouet, cette situation inédite nous questionne, parfois violemment, en grattant là où ça fait mal, en nous montant les terribles dérives financière, sociales, économiques, humaines…
Elle nous ramène surtout à notre modeste, voire misérable condition de vivants (encore), parmi les vivants, dans un espace fini, si grand nous paraisse t-il, et rien de plus.

Ces questions nous assaillent sans ménagement.
Quelle est notre propre part, personnelle et collective, d’inconscience, de responsabilité, de négligence, de déni, d’incapacité, de passivité, de complicité ?
Peut-on encore se ressaisir, faire quelque chose qui, à défaut d’inverser la tendance, mettrait de l’huile dans les rouages, voire infléchirait des décisions politiques jusqu’alors plutôt catastrophiques, dans le vrai sens du terme, évitant si possible une violence croissante et exacerbée ?
Utopie ou brin de sagesse ?
En a t-on vraiment la volonté, la capacité, les moyens ?

je ne me complairais pas pour autant dans un constat nihiliste et irrémédiablement désespéré, bien que…
J’essaie sans doute de ne pas me laisser submerger par ces questionnements, justifiés, mais qui peuvent, in fine, devenir par trop anxiogènes et paralysants.

Par l’écoute, en situation de confinement, mesures sanitaires obligent, je croise les sons, les images, les vidéos, les textes, comme des bribes d’existences, d’expériences sociales au prisme de l’oreille.
Par l’écoute, je me questionne sur les changements radicaux de l’espace public, de ses acoustiques, de ses fréquentations, de ses contraintes actuelles, de ses usages, en grandes parties suspendus.
Comment se rééquilibrent des paysages sonores qui, tout à la fois s’apaisent, laissent ré-émerger notamment des chants d’oiseaux, tout en se paupérisant par la brusque diminution de la vie sociale in situ.
Mais aussi vu de l’intérieur, comment un enfermement assez rigoureux, modifie en profondeur nos modes de vie, jusqu’aux cœur même des cellules familiales, entre exiguïté et séparation.
Tout cela se sent, se ressent, et bien évidemment s’entend.

Il y a quelques semaines, je travaillais encore ferme autour des parcours sonores, des marches d’écoute, du soundwalking, en arpentant la ville et battant la campagne.
Brusquement, une bascule aussi radicale qu’imprévisible a confiné mon écoute vers des intérieurs, où la fenêtre est devenue l’espace échappatoire, le cadre d’écoute quasi imposé, si se n’est de très rares sorties pour des courses.
Les rapports humains se sont physiquement distendus, et de nouveaux, via notamment les réseaux sociaux se sont mis en place, parfois pour le meilleur et pour le pire.
Des rituels, par exemple France les applaudissements et vivats de soutien, mêlés aux huées et charivaris de protestation, apportent, à nos fenêtres, balcons et terrasses, des réconforts, plaisirs partagés d’être encore un peu ensemble, solidaires, et de dire en commun nos reconnaissances et colères.
D’autres échanges, autour de choses entendues, toujours de nos fenêtres, tissent un réseau informel d’écouteurs confinés, panel d’ambiances, de gestes domestiques, de points d’ouïe issus de territoires géographiquement assez larges. Une chaine active d’écoutants reliés. https://desartsonnants.bandcamp.com/album/des-sons-ta-fen-tre-sounds-at-your-window

Mais aussi des photos, des textes, des vidéos, contrepoints de ces écoutes covidiennes.
Et des échanges, projets, via cams, messages, sms…
J’y entends, vois et lis des traces qui expriment parfois l’étonnement, la sidération, l’inquiétude, la solitude, l’espoir, la colère…

Pour ne pas rester que dans l’ordre de l’affect, des projets de recherches croisées s’amorcent entre spécialistes de différents champs, artistes et autres activistes impliqués et désireux de partager leurs pratiques, savoir-faire et réflexions, de les faire se développer dans un pot commun.

Ma pratique repose toujours sur le champ acoustique, auriculaire, et autour des sociabilités acoustiques, considération qui prend de plus en plus de poids dans ces temps compliqués.
Comment, à l’aune de cette crise multiple, collecter, tisser des écoutes, les mettre en commun, les questionner, en faire à la fois des créations esthétiques et/ou es objets d’études, et pourquoi, pour qui ?
Des questionnements se font jour, cette fois-ci un peu plus positifs que ceux que j’évoquais en début de ce texte.
Une façon de rebondir, au cœur des événements, tout en prenant un peu de recul salvateur.
Une opportunité de créer du commun, même si je manie cette expression avec moult pincettes tant elle est parfois galvaudée, si ce n’est politiquement instrumentalisée.

Entre constat d’impuissance et réaction stimulante, je n’irais pas à prétendre, comme certains, à une grande prise de conscience qui changerait (sauverait ?) le monde à jamais, néanmoins, l’écoute portée sur le monde environnant, et sur ceux qui l’habitent, le vivent, le construisent et le défont (moi y compris) n’a jamais été, pour moi en tous cas, si remuée, re-mise en questions avec tous les pluriels que cela implique .

Paysages (rien que) pour les oreilles ?

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Paysage(s),
représentation
artistique
d’un fragment de nature,
de lieu
de scènes
de mythologies…

Peinture,
paysage-toile,
vue de et par l’homme,
homo artiste,
picturaliste
naturaliste
urbaniste
idées à listes…

Représentation(s),
étalée de couleurs,
agencée sur la toile,
paysage re-présenté,
non naturel,
re-construit,
transmission,
vision,
artefact
inclinaison dominatrice
environnement capturé
entoilé.

Paysage et picturalité,
des écoles,
des genres.

Paysage photographique,
carte postale,
tout est
en partie
affaire de cadrage
ou de décadrage
d’éclairage
ou d’obscuricissement
polysémies lumineuses.

Paysages cinématographiques
le mouvement en plus
kinesthésie à volonté.

Le paysage se montre
dans et par l’espace
délimité,
points de vue,
parti-pris
que le regard choisit
en s’aidant de la main.

Quid d’un paysage sonore ?

Idem,
parcelle d’espace
de temps
d’espace-temps
mis en boîte,
capté
enregistré
conservé.

Traces in-fidèles ?
fossiles d’écoute ?
reliquats acoustiques
résidus acoustiques
échantillonnages de territoires…

Technicité
choix du lieu,
des sources
des sujets
de l’instant
de la durée
des mouvements…

Composition,
re-composition,
de l’espace
plan auditif,
réagencé,
remixé pour l’oreille.

Décision de captation sonore
geste prémédité,
volontaire,
contraint de subjectivité latente.

Le micro,
asservi par l’écoutant,
manipulé,
à l’instar de l’objectif,
à effet loupe
grossissant jusqu’au presqu’ inaudible,
aspirant les sons,
travellings auditifs,
gros plans auriculaires
fabrique d’artifices…

Micro parfois complice de l’oreille,
et parfois dissident

Les sons nettoyés,
certains expurgés,
débarrassés de leur gangue
ou de résidus indésirables,
selon la définition de chacun
sons traités
parfois maltraités;
renforcés
amoindris
mélangés
malaxés,
étirés ou raccourcis dans le temps,
séquencés,
déplacés,
pour de trompeuses histoires.

Paysages en fabriques,
admirés,
dénoncés,
caricaturés,
incarnés,
par ou pour l’oreille.

Nouvelles histoires
à croire ou ne pas croire.

Paysage sonore
volonté politique
une approche sonore écho-citoyenne,
une pensée et des gestes d’écosophie sonore
les utopies s’entendent-elles ?

Le paysage,
sonore,
n’est pas fidèle au réel,
mais sans doute un reflet
un miroir déformant
de l’écoute elle-même,
personnelle,
parcellaire,
modelée
contaminée de culture,
et c’est en cela
que le son se fait paysage,
ou bien inversement.

Points d’ouïe sur l’écoute

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Point d’ouïe, PAS-Parcours Audio Sensible à Saint Pétersbourg- Institut français de Russie – Rencontres Paysages sonores –  Juin 2019

Écouter de concert, c’est repérer et s’approprier des marqueurs paysagés.
 
 C’est partager une expérience sensible, relationnelle.
 
 C’est agir pour défendre des causes sociales, chercher du bien -être,
des partages de sensibilités, d’aménités…
 
 C’est construire, avec des artistes, chercheurs, pédagogues, aménageurs, politiques, écoutants au quotidien… une recherche-action contextualisée, in situ.
 
 C’est mieux s’entendre avec…
 
 
 L’écoute se déploie dans une multitude de paysages, ou de pratiques, liées à :
l’esthétique/L’artistique
le patrimoine
l’écologie/l’écosophie
la citoyenneté
la communication
le travail
la santé/le handicap/le bien-être
l’étude de genres
l’aménagement du territoire…

Installer une écoute en mouvement

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Installer une écoute en mouvement

Installer une écoute en mouvement

 

Pro-page à sons

Ce texte est une écriture cheminante, celle qui ne serait pas la narration d’un parcours bien tracé, mais plutôt d’une Escriptura camina, prenant des chemins de traverse, sans plan nettement défini, et encore moins arrêté. Ou arrêts ponctuels.

Une forme d’errance bien plus que d’itinéraire.

Néanmoins le projet est guidé par l’idée que le son, ou plutôt l’écoute, peut s’installer au gré des pas. Que nos mises en situations peuvent installer des paysages sonores fluctuant dans leur impatience de se transformer, de muter d’un état à un autre, et qu’il faudra saisir sur l’instant, sur le vif.

Installer l’écoute en mouvement, c’est prendre le risque d’une stratégie fragile; mais aussi se laisser une marge de liberté, façon « L’Usage du monde entre nos deux oreilles », référence explicite aux merveilleux récits de voyage de Nicolas Bouvier, pour emprunter les espaces sonores de travers.

Les mots-clés, qui ne verrouillent pas mais au contraire ouvrent de nouveaux champs, des phrases et des textes en mouvement, seront bien souvent des guides qui pourront motiver des envies de faire, et de refaire encore, des cheminements joliment capricieux.

Tout comme nos gestes, intuitifs ou réfléchis, convoqueront des mots et des pensées pour en fixer quelques bribes d’expériences en chantier, voire les stimuler.

PAS – Parcours Audio Sensible

Pour embrayer ce parcours auriculaire, je dirais que la marche d’écoute, que je nomme souvent PAS – Parcours Audio Sensible, est sans doute un des moyens des plus engageants, physiquement et mentalement, voire même spirituellement, pour se frotter à son, à ses milieux de vie, de traversées, de résidences, furent-elle brèves et ponctuelles.

Milieux construits, naturels, si tant est qu’il en reste beaucoup, humains, sociaux, complexes

Milieux dont nous ne sommes pas le centre, dans une persistance humaniste, mais juste partie prenante, partie faisante, et c’est déjà beaucoup, si ce n’est parfois beaucoup trop.

Alors la marche, lente, parcours ou errance, excite nos sens à fleur de peau, de nez, de regard, d’oreille, de pied…

Arpentage

J’aime le geste d’arpentage, celui répétitif, itératif, un brin obstiné, qui mesure et nous fait nous mesurer à…

Qui nous fait également rester à notre place, dans un paysage habitat souvent trop façonné, si ce n’est mal-façonné.

Alors l’oreille se déploie, plus ou moins vivement, dans les méandres et strates hétérotopiques de forêts et de villes, de rues en rives…

Les sons viennent à nous, creuset auriculaire, ou bien nous allons vers eux, ou bien on ne sait plus qui bouge, mais tout bouge, assurément, parfois malgré nous.

Nous sommes vibrations, parmi l’infinité de vibrations qui maintient le monde en vie, en mouvement, celui que nous habitons, co-habitons physiquement.

Les sons, tout comme les lumières, les couleurs, les odeurs, les matières, participent à cette immense et perpétuelle auto-construction vibrillonnante.

La marche les installe, les dispose autour de nous, des autres, ou bien nous installe dans un paysage donnant l’échelle acoustique d’un lieu à celui qui y déambule.

Son rythme lent, mesuré, encore une référence à une forme d’arpentage étalon, convoque une sorte d’état de transe.

Transcendance.

Transit aussi, d’un point – géographique – à un autre, mais également d’un état à un autre.

Transport et plaisir

Être transporté, ailleurs, au-delà du quotidien, de l’habituel, du rassurant, ensemble, dans une communion sensorielle, avec le groupe, l’environnement, l’intérieur/extérieur entremêlés.

Une notion une plaisir se dégage, un transport quasi amoureux.

Ne jamais renoncer au plaisir. Plutôt le rechercher. Comme une évidence qui parfois semble nous échapper, ou que nous oublions de convoquer.

Plaisir de faire, de ressentir, de dire, de penser, par les pieds, les oreilles, le corps, le groupe, le vent, les acoustiques, les autres

Pauses

Sans omettre de se ménager des pauses, encore des plaisirs, même infimes, entrecouper la marche, comme l’écoute, de répits, cassures, éléments rythmiques nécessaires à un équilibre entre mobilité et l’immobilité.

Recherche de stabilité, d’équilibre. D’ailleurs l’oreille interne, lorsqu’elle dysfonctionne, est la cause de bien des déséquilibres et autres vertiges. Gare à la chute.

Points d’ouïe

Envisageons les points d’ouïe, nés de ces haltes, ou même les constituant.

Punctum, le point, ponctuation, jalonnement et repère, nécessaires, si ce n’est vital dans un jeu de paysages auriculaires complexes.

Ponctuer le PAS – Parcours Audio Sensible façon Desartsonnants, par des points d’ouïe, choisis, autant que faire ce peut, pour leurs qualités auriculaires, comme de vrais oasis sonores, où se détendre l’oreille, ou non.

Tendre l’oreille est souvent nécessaire, la détendre bien autant, si ce n’est plus. Histoire d’équilibre.

Mais tendre, à entendre, à s’entendre, toutefois en évitant les tensions nocives, les sur-tensions ; encore une question d’équilibre entre le trop et le pas assez, le confort ou l’inconfort, le saturé et l’absence, les sons en creux, et un trop plein de silence, sorte de vide mortifère.

Poser des points contre point.

La ponctuation itérée, répétée, peut se faire pointillisme.

Une écoute ou chacun des micro-sons, juxtaposés, telles des touches de couleur, dans un paysage post-impressionniste, seraient proche d’une écriture par assemblage, en pointillé, post schaéfferienne1 et son idée de la matière composée…

Encore et toujours des points. Point e trève, on avance.

Faire le point, où en suis-je dans mon parcours d’écoutant, mes approches audio-paysagères, où et comment et pourquoi, avec qui, poser une oreille bienveillante ?

Mise au point, affiner l’écoute, à l’image d’une prise de vue qui règlerait des nettetés, des plans à privilégier, des façons d’inciter l’œil et l’oreille à regarder l’ensemble, dans une globalité nette et précise, ou un point émergent sur un background savamment flouté, par une habile focalisation. Sons et images e concert.

Focalisation de l’écoute sur un moment/lieu, l’œil écoute et l’oreille regarde.

Partage d’aménités

Poursuivant la notion de points d‘ouïe comme une recherche de lieux auriculaires remarquables, accueillants, j’ai discuté il y a quelques temps avec un enseignant en géographie, lequel bâtissait ses projets pédagogique autour des aménités paysagères.

Cela m’a interpelé et j’ai été voir, ou entendre, de plus près, ce que cette notion impliquait.

Historiquement et littéralement ce mot provient de Locus amoenus, ou l’agrément d’un lieu, d’un lieu par définition amène. Ce sont donc des aménités paysagères qui ont prévalu, avant-mêmes les aménités humaines.

Un paysage accueillant, voir paradisiaque à certaines époques, chose de plus en plus rare aujourd’hui. Pure utopie ?

Des aménités auriculaires, à l’instar de ce que Raymond Murray Schafer2 nome un paysage Hi-Fi, haute -fidélité, où l’oreille se régale, où l’écoute pourrait être jouissive.

Chercher des aménités pour, toujours en marchant, écoutant, se posant, contrebalancer un environnement de plus en plus chaotique, sans toutefois nier l’évidence d’un, ou d’une somme de déséquilibres croissants.

Chercher le refuge amène, bienveillant, tant dans le lieu que dans la relation humaine entre, par exemple marcheurs écoutants. Une communauté souvent éphémère mais soudées par la choses sonore entendue, écoutée de concert.

Croire encore à des poches de résistance, des ZAD (Zones Auriculaires à Défendre), ZEP (Zones d’Écoute Prioritaire, ou Partagée) des oasis de calme où échanger sans hurler ni tendre l’oreille, et qui plus est dans une bonne entente… Encore une utopie à cultiver dans le grand vacarme des temps présents, et à venir ?

Partage de sensibilités

Un autre enseignant chercheur me parlait lui de partage de sensibilités.

Avant que de les partager, il faut bien sûr les construire, les vivre, les expérimenter.

Gardons cela dans un coin de l’oreille, sensible pour le peu, voire hypersensible parfois.

Nous pouvons revenir vers une notion de plaisir, si la sensibilité ne côtoie pas les phases d’une hyper exacerbation, pouvant être humainement, physiquement, dévastatrice.

Comme souvent, je reviens à la racine, à la souche source.

« Le sensible est une propriété de la matière vivante de réagir de façon spécifique à l’action de certains agents internes ou externes »3.

On est sensible à la lumière, certaines matières ou êtres, photosensibles, les végétaux vivent et croissent de leur propre photosynthèse, les hommes également qui sans la lumière du jour, pâlissent, s’étiolent et perdent beaucoup de tonus. On est sensible au chaud, au froid, à la douleur, mais aussi à l’émotion, aux affects, aux sentiments, à l’altérité. Sensible quand tu nous tiens !

La sensibilité, ou les sens en action, réagissent aux stimuli d’’environnements divers. Certains équilibrés, d’autres non. Être sensible à un beau chant d’oiseau n’est pas la même chose que réagir sensiblement à une agression bruyante, s’en protéger.

Entre sensibilité physique et le fait de ressentir des sensations, ces ressentis contribuent à nous informer sans cesse sur les états et les modifications de nos milieux ambiants. ces réactions nous protègent ainsi de nombre de périls au quotidien, qui vont de ne pas traverser lune rue lorsqu’on entend un véhicule s’approcher, jusqu’à mettre un manteau plus épais lorsque l’on ressent un froid plus intense, mais aussi de nous protéger émotionnellement de traumatismes psychiques en prenant parfois du recul salutaire. Tant que faire se peut.

Décrypter le monde de nos sensibilités, par nos sensibilité. Nous côtoyons la phénoménologie ici de Merleau-Ponty.

Nous fabriquons donc du sensible, des sensibilités à longueur de temps.

La marche, l’écoute, pour revenir à nos sujets de préoccupations, sont bien évidemment des vecteurs, des catalyseurs de sensibilités, tout autant que des gestes et et des situations privilégiées pour les partager.

Relationnel

Lorsque Nicolas Bourriaud parle d’esthétique relationnelle, de l’importance de la façon de faire ensemble, plus que de celle de produire, de faire œuvre, nous sommes bien dans ces intentionnalités constructives, positives même.

Mettre nos écoute en commun, lors d’une soundwalk4, procède de ce désir de partage qui enrichit indéniablement l’expérience, même si celle du promeneur solitaire n’est pas ans attrait.

Alors, c’est un pas de l’aménité à la sensibilité, et vis et versa.

Il nous faut participer, animer, rassembler un grand cœur d’écoutants, de marcheurs, de cueilleurs d’ambiances sonores, et autres, d’amplificateurs de rêves apaisants. Il est parfois bon de rêver à des fabriques de joies simples, sans grandes machineries, dispositifs, techniques, qui ne demandent qu’un peu (beaucoup) d’attention à notre monde et à ceux , tout ceux, qui le co-habitent.

Géographie sonore

Une géographie du sonore commence à de dessiner au fil des PAS. Décrire-écrire, modestement, le monde, les territoires, les milieux, y compris par le son, avec des oreilles géomaticiennes et cartographes pour la circonstance.

Y a t-il une géographie sonore ?

Certes oui, sinon pourquoi poser la question !

De la géographie du bruit à la géographie sonore, question d’angle d’attaque, de point d’ouïe, d’approches orientées entre différentes sciences sociales. On peu de référer en autre à l’article de Frédéric Roulier « Pour une géographie des milieux sonores »5

Décrivons, ou tentons la description, à travers les ambiances qui feraient territoire, espace singulier, ou non. Un port, une forêt, une zone commerciale, une chaine montagneuse, un parc urbain, le lit d’un torrent… Tokyo, Le Caire, Rio de Janeiro… ne sonnent vraisemblablement pas de la même façon. L’oreille s’y reconnaitra bien vite, si elle possède néanmoins a minima, une culture de l’écoute. Nous nous y reconnaitrons, dans des espace apprivoisés où des repères spatio-temporels – la cloche, la fontaine – nous permettrons d’écrire/décrire notre territoire acoustique, et pourquoi pas, cela se fait régulièrement aujourd’hui, de le cartographier. Sentiment rassurant d’appartenance, en se méfiant de trop d’identitarisme sonore cocardier.

Carte des bruits urbains, cartes mentales de Soundwalking, carte de lieux auriculaires remarquables, inventaires cartographiés… Les sons se mettent à la carte, en carte, pour rendre compte d’espaces acoustiquement animés, multiples dans leurs phonographies, leurs audio-graphies.

Géographie d’appartenance pourrait-on dire aussi. Je me sens chez moi, y compris et surtout avec le volet du voisin qui grince, son coq qui chante, la cloche matinale, la saison des foins, ou celle du tourisme… C’est aussi une géographie sentimentale, intime, des ressentis… De la carte du Tendre à la carte de l’entendre il n’y a qu’un PAS – Parcours Audio Sensible sauce Desartsonnante, ou pas de côté avec une oreille bruissonnière. Et nous revenons à la notion de plaisirs, d’aménités, de jouir d’un bel espace acoustique, de se sentir rassuré sous une sorte de toit sonore d’une cloche qui trace des espaces, des volumes, une géographie sensible autant que physique, sans néanmoins entretenir, j’y reviens, l’esprit de clocher. Penser la géographie comme une description de paysages et de territoires sonores est une façon d’installer l’écoute. Un écoute, des écoutes, et par-delà, de faire exister ce paysage sonore aujourd’hui tant décrié, et pourtant Oh combien présent, pertinent dans ses différentes approches ouvertes, non chapellisées.

Installation

Il nous faut installer l’écoute comme une valeur essentielle, qui ne souffre pas (trop) de contestation, ou de remise en question, ce que pourtant ne manquent pas de faire des systèmes politiques qui appuient leur pouvoir sur des messages biaisées, une écoute normalisée, sans recul aucun.

Installer, encore un terme aux origines curieuses.

Littéralement, c’est mettre en stalles, dans le terme le plus religieux qui soit « Mettre solennellement en possession de sa charge (et du lieu où il est appelé à l’exercer), par une cérémonie canonique »6

Installer était au départ une prise de fonction ostentatoire, aux yeux de tous, qui affirmait un pouvoir religieux, celui sui serait dorénavant exercé par un représentant de l’Église.

On s’est ensuite installer dans des professions, plus forcément religieuses, mais qui mettait toujours en avant la fonction exercée, l’art pratiqué, la boutique ou l’atelier avec pignon sur rue.

Dans ces boutiques, on y a installés des objets, nourritures, marchandises sur des étals, bien en vue, commerce oblige.

Toujours une façon de montrer.

Aujourd’hui, les arts contemporains installent des œuvres en situation, faisant éclater le cadre des formes visuelles, sonores, invitant le spectateur souvent au cœur même du dispositif, quand il n’en est pas acteur, co-œuvrant. Principe au terme un brin barbare de monstration.

Alors pourquoi et comment installer une écoute, si tant est que l’on puisse raisonnablement employer ce verbe pour cette matière intangible et immatérielle. Ce n’est plus ici un corps professionnel, une activité ou des objets et denrées que l’on va montrer, mais une sensorialité par définition in-montrable car in-visible.

Et qui plus est, c’est une installation qui se ferait en marchant, bien loin de celle qui se pose au regard comme un agencement plutôt statique, même arpenté.

Ceci étant, on installe bien du silence, ou en tous cas on laisse s’installer le silence, avant par exemple que de prendre la parole ou de faire entendre la musique.

Alors si le silence s’installe, parfois religieusement, on y revient, l’écoute peut bien elle aussi s’installer. Installer sans imposer, chercher là encore les limites de l’équilibre entre le bien-être recherché, accepté et le subi fuit car stressant, si ce n’est traumatisant

Installer l’écoute pour entendre ce qui peuple le silence, une hypothèse, une posture parmi d’autres.

Mise en situation d’écoute.

Créer le contexte, le cadre, l’envie, les conditions ad hoc…

Jouer sur l’effet de groupe, les aménités, encore, ou les discordances, dissonances paysagères, les événements et aléas convoquant une fertile sérendipité, titillant les sensibilités, pour prolonger nos précédentes réflexions.

Tel John Cage qui, dans 4’337, installait une musique de silence(s), faisant entendre les comme amplifiés les bruits alentours, au départ ceux des auditeurs mécontents, mais aussi ceux de l’extérieur si, comme il le proposait, on laissait les portes ouvertes.

Ou bien encore max Neuhaus qui, dans ses Listens8, performance inaugurant tout une génération à venir de Soundwalking, invitait les auditeurs à parcourir en silence, des territoires urbains surprenants, inouïs. Inouïs car abordés par le prisme d’approches expérimentales sensorielles, esthétiques, détournées des schémas d’écoute musicale « classique », frontale, assise, en salle de concert.

L’écoute est donc bien installée, si je puis dire, autour de situations généralement décalées, de sortes de happenings invitant le public à des immersions collectives sensori-motricielles.

L’installation de ces écoutes demande donc une appropriation d’espaces-temps dans des pratiques in situ, en acceptant le fait les « accidents », puissent être du spectacle, que des zones d’inconfort ne sont pas exclues, même si l’idée initiale reste de chercher plutôt l’apaisement amène. Pour moi en tous cas.

Faire récit

Nous voila donc arrivés, ou revenus, vers ces fameux récits ! Ces histoires rapportées, orales, écrites, triturées au fil des voyages, aujourd’hui de plus en plus visuelles, sonores, de plus en plus mixed média.

Le récit, par définition, relate des faits, réels ou imaginaires. La littérature puise abondamment dans le réel pour produire de l’imaginaire, du fictionnel, du presque réel teinté de la vision de l’auteur, comme de l’interprétation des lecteurs. Ces versions, interprétations, broderies, variations sont riches en métaphores et autres effets de styles nous conduisant à accepter les décalages, dérives, les glissements du « vrai » au remanié, comme des sources de curiosités savamment entretenues du reste par le ou les récitants.

La part, plus ou moins grande, de fiction dans récit, amène des évasions, vers des ailleurs, des échappées belles, des échappées pas toujours idylliques du reste, quand elles ne sont pas tragiquement sans issue.

Mais n’envisageons pas ici le récit du pire, prenons parti de le teinter d’un optimisme vivable.

Une des force du récit, qu’il soit Homérique, mythologique, biblique ou qu’il narre des situations contemporaines plausibles, triviales, c’est certainement sa capacité à se démultiplier, à se réinventer au fil des versions racontées.

Gardons cette propriété en ligne de mire, faire le récit d’un fait, d’un paysage, d’une ambiance, d’un territoire sonore c’est toujours ménager des espaces de libertés, des marges et des lisières mouvantes, à l’image-même du son, si je puis dire.

Si on demande à différents écouteurs placés dans des espaces spatio-temporels similaires, de nous raconter leurs expériences auriculaires, gageons, sans prendre trop de risques, que les narrations seront fort différentes, chacune singulière. Certaines plus ancrées dans une description « fidèle », d’autres plus portées par des retours d’expériences affectives, émotives, d’autres passant d’un registre à l’autre, entremêlant les points de vue et points d’ouïe, le réel et l’imaginaire.

Une ambiance sonore qui sera ressentie comme saturée, agressive, stressante par un auditeur, lors d’une promenade par exemple, sera toute autre pour une tierce personne qui n’aura pas éprouvé les mêmes sentiments de mal-être, voire même qui se sera complu dans le même milieu acoustique arpenté.

Sans compter sur la réception singulière de celui à qui s’adresse le récit, ou qui va en profiter via différents média, de l’oralité au texte en passage par la création sonore. Selon son attention du moment, sa culture sonore, les aspects phatiques qui ne seront forcément pas perçus de la même façon d’un individu à un autre, feront du récit initial un conte polymorphe, à chaque fois lu et reçu différemment, même s’il s’agissait d’un mythe fondateur avéré, ou d’un récit collectif partageant des bases sociétales.

Le récit contribue lui aussi à installer une écoute sans cesse renouvelée, entre transmissions d’expériences factuelles, et entrelacs imaginaires, qui font prendre la véracité du récit non pas comme argent comptant, mais comme l’évocation, la composition de nouveaux lieux de possibles, jusqu’à peut-être l’utopie d’un monde sonore rêvé.

Que raconter de ce qu’on entend ?

Quels sont les média les plus appropriés ?

Le texte n’est-il pas aussi pertinent que le son enregistré et retravaillé ?

Un paysage sonore se raconte t-il ?

Est-il soluble dans le récit ?

Fait-il récit, tout ou partie ?

Gageons que l’on pourrait encore poser moult questions, soulever bien des problématiques sans pour autant en épuiser le sujet.

Mais le récit, à l’instar du conte, est intarissable, dans les paysages des milles et un sons.

Voyager dans, par, ou faire voyager les sources

L’écoute marchée est forcément une écoute mobile aurait dit monsieur de Lapallisse. Elle implique des gestes en mouvement, des perceptions et ressentis dynamiques, qui tiennent comptent d’un ensemble de transitoires spatio-temporelles, voire qui jouent avec, jusqu’à fabriquer in situ e nouvelles formes de mobilités.

Peut-on imaginer une installation du sonore, donc de l’écoute, qui irait plus loin dans l’espace pour conquérir d’autres lieux jusqu’aux antipodes de la source. Bien sûr, la radio est déjà un vecteur diffusant et installant des écoutes, souvent en temps réel, et qui viennent se poser dans un salon, une salle de bain, une cuisine, l’autre bout du monde. Les nouvelles, des formes de création, de narration, images sonores audio-cosmopolites choisies ou en flux non maitrisés arrivent à nos oreilles depuis déjà bien longtemps. Orson Wells à défrayé l’histoire radiophonique, à défaut du mouvement de panique Oh combien amplifié, relayé par la presse outrageusement exagératrice de l’époque, en invitant des martiens belliqueux9 sur notre Terre. Il a construit et conté un malicieux récit fiction radiophonique presque plus vrai que nature. Le pouvoir des sons invisibles intègre bien la représentation mentale, le cinéma pour l’oreille qui nous ouvre des perceptions très subjectivement personnelles ? C’est un peu comme les sons/images et des voix perçus de l’intérieur, à la lecture d’un roman ou d’u poème. Aujourd’hui, avec les baladodiffusions10 et autres streamings, les robinets à sons se démultiplient vers des écoutes à la cartes, des playlists à l’infini, de riches brassages de styles, dans le meilleur de cas, ou une écoute paupérisée et mondialisée dans le pire. Nous installons notre propre écoute, souvent le casque vissé sur les oreilles, en courant, prenant le métro, cuisinant… Écoute mobile, archi mobile, qui, pourrait-on dire, peine à s’installer quelque part tant elle s’installe partout. Et si elle le fait, c’est souvent de façon très fragmentée, instable, volatile, se faisant certainement archi-consommatrice de débits constants. Ou bien alors dans l’hégémonie envahissante de grands vagues de Muzzac aseptisée. On est bien loin des fidèles rendez-vous autour de la grosse radio d’antan, pleine de lumières et de belles boiseries, devant laquelle se rassemblait la famille à l’heure du feuilleton radiophonique, ou de l’émission de variété à l’actualité yéyé. On est bien loin aussi du « silence radio », tant on installe une écoute de flux, parfois parasitaire dans son envahissement permanent, néanmoins souvent assumé et recherché. Une forme d’autisme fuyant la vitesse du monde, où le regard de l’autre dans les espaces confinés des transports en commun devient une violation de sa bulle personnelle, et un sourire ou une parole une agression à notre sacro-sainte tranquillité, intimité rempart prônant l’isolement par le son (et l’image). Si je noirci le tableau, c’est néanmoins la sensation que j’éprouve, aussi bien dans les transports en communs que dans un jardin public. Des écoutants appareillés de prothèses déversant des flots de sons à jet continu au cœur de nos oreilles asservies. Ces dernières se feront-elles, par une mutation audiomorphique récepteurs-haut-parleurs internes branchés sur un monde playlisté que nous commanderont à des distributeurs sonores en gros (ils existent déjà bel et bien), moyennant un abonnement à vie. Une dystopie sonore, façon de nous installer une écoute calibrée, pour ne pas dire contrôlée sur mesure. La société de contrôle que dénonçait Deleuze passe aussi par le contrôle de paysages sonores sciemment installés.

Cartographies

Ceci étant, pour rester sur une idée plus positive, d’écoute installée sur de longues distances, la cartographie, que l’essor de l’informatique a considérablement boosté via les réseaux online, permet de franchir un pas de plus vers une mondialisation de l’écoute. Toujours ici pour le meilleur et pour le pire. Ainsi des spaces contributifs ont pu voir le jour et ainsi se faire entendre aux yeux du monde.

Prenons par exemple la LocusMap11, de Locus Sonus, une carte qui ouvre des fenêtres d’écoutes streamées un peu partout sur la planète.

Il suffit d’aller sur la carte, de cliquer sur l’icône d’un microphone et d’écouter, en temps réel, ce qui se passe ici ou là, micros soundcams. C’est la magie des technologies numériques de nous installer dans des paysages audio instantanées, de prendre l’air du temps auriculaire à l’autre bout du monde, d’Aix-en-Provence à Chicago en passant par Nagano et autres lieux où promener nos oreilles ébaudies. Le récit sonore du monde se fait par micros ouverts aux travers un réseau sans cesse tissé des sons vivants du monde. Nous pouvons ouvrir des fenêtres auriculaires de notre fauteuil, et nous baigner dans une ambiances acoustique en temps réel, même à des milliers de kilomètres de notre points d’écoute. Point d’ouïe vertigineux.

Autre exemple de cartographie sonore, non plus en temps réel cette fois-ci, mais plutôt bâtie sur un projet de compilation de field recordings12 collaboratifs, via le célèbre site Aporee13. Cette carte est une véritable mine d’or pour les oreilles, les écoutants curieux, les voyageurs immobiles, par le nombre de documents sonores, leur qualité et diversité, leur actualisation, et la vélocité du moteur de recherche qui nous permet de naviguer dans un océan de sons14, pour emprunter une référence à David Toop15.

Les cartes sont des modes de représentations multiples, qui nous guident ou aujourd’hui nous perdent dans les méandres des datas proliférants, big data, SIG, mais où on peut, de façon post encyclopédique, se perdre avec plaisir. La délectation du pèlerin écoutant de l’hyperlien.

On pourrait passer des heures et des heures à naviguer au gré des sons maritimes, festifs, des cloches, des bruits de machines, un panel sonore qui dresse un véritable paysage complexe et fascinant dans son incroyable diversité… Nous sommes ici devant une installation rhizomatique, prolifique et nomade dans ses sources, même encartées, si tant est qu’une installation nomade ne soit pas en elle-même un joyeux paradoxe spatiotemporel.

Matérialité et dispositifs

L’artiste va imaginer, pour installer des écoutes parfois décalées, tout au moins dans leurs approches et postures, moult situations, dispositifs, appareillages, technicités…

Dispositifs immersifs, interactifs, participatifs, relationnels, la chose sonore, qu’elle soit préexistante – un paysage acoustique – ou entièrement fabriquée – une composition sonore électronique – peut ainsi prendre corps dans nos espaces auriculaires de bien des façons.

L’installation se fait alors conceptuelle, voulue, recherchée, même dans des gestes priori les plus simples, prendre un cône acoustique pour amplifier et ou orienter notre écoute par exemple, jusque dans des dispositifs convoquant d’imposantes machineries ou l’écriture de programmes informatiques ad hoc complexes.

Les postures proposées à l’écoutant joueront également un rôle important. Déambuler, suivre un parcours, se laisser guider, écouter en aveugle, s’assoir, s’allonger, toucher pour déclencher, modifier, faire activement partie partie de l’œuvre, jusqu’à ce qu’elle n’existe que par notre seule présence, autant d’approches installées, sans compter une foultitude d’autres dispositifs hybrides, inclassables, ou restant à concevoir.

Ici, l’installation marque le pas, fait une pause pour mieux poser ses sons, les confronter à un espace donné, tout comme aux oreilles des auditeurs. Ces derniers seront d’ailleurs très souvent invités à parcourir l’espace audio qui leur est proposé. Changer de point d’ouïe, d’axe, de rapprocher, s’éloigner, zoomer, l’oreille guidera les pas qui guideront eux-même l’oreille. Interaction encore. Jusque parfois à perte d’écoute.

Le jeu pour l’artiste étant de proposer une situation d’écoute qui décale, en principe, notre perception de l’espace (sonore), de ses sources, jouant des accidents, des effets acoustiques, des procédés narratifs, scénographiques, pour mieux le questionner.

Quelle est notre place d’écoutant dans un lieu où parfois, comme disait Maurice Lemaitre, le film est peut-être déjà commencé, les sonorités installées, superposant l’ambiance « habituelle » aux rajouts, juxtapositions, triturages audio ?

Comment infléchissons nous, plus ou moins consciemment, un paysage sonore installé, bon gré mal gré ?

Comment nos mouvements, parcours, approches, dans le sens physique du terme, celui qu’explorait notamment Max Neuhaus, reconstruisent t-ils, ou déconstruisent t-ils des œuvres sonores dont nous sommes régulièrement les acteurs invités ?

Comment les dispositifs et mises en situations usités nous proposent-ils différents formes de mobilités sensibles, d’appréhensions d’espaces auriculaires singuliers car propres à notre façon d’écouter et de bouger ? En corps tendre l’oreille.

Ces question n’ont pas forcément de réponses définitives, et c’est heureux, car il nous reste encore un beau champ d’investigations concernant l’installation d’écoutes, situations où la corporalité est convoquée dans toute sa mobilité intrinsèque, où que porte notre écoute.

Stabile et/ou mobile, mon oreille balance

L’écoute est donc, dans ma pratiques construites sur des situations généralement en mouvement, elles-mêmes oscillant entre marches et arrêts, avancements et pauses, marches d’écoute et Points d‘ouïe fixes.

Être toujours en mouvement est certes un gage de dynamisme, mais il convient aussi de savoir se poser. Se re-poser.

Poser l’oreille en plan fixe, en laissant venir à nous les sons, sans forcément les traquer, ou aller sans cesse vers eux.

Prendre l’air du temps, air au sens polysémique, musical de la chose, est important, par exemple s’offrir un banc d’écoute, partagé ou solitaire, un repos après une longue pérégrination audio urbaine

Stabile/mobile, c’est comme être dans une alternance de tensions/détentes, de postures actives et passives, les deux ont leurs mots à dire à certains moments du projet.

Des postures qui se répondent, se complètent, s’installent à tour de rôle.

L’écoute en mouvement ne doit pas être forcenée, au risque de devenir aliénante et sclérosante, par manque de ruptures, de cassures, de trêves ; les musiciens, jazzmen en l’occurrence, savent très bien au cours d’une longue phrase musicale déroulée, « faire le break », casser le rythme pour amener une respiration, avant que de repartir de plus belle dans une envolée swinguante.

La marche est par ailleurs l’espace où le mouvement est déséquilibre. Je lève un pied qu’il me faut reposer assez vite pour que l’autre emboite le pas si je puis dire, dans une synchronisme qui me fait conserver mon centre de gravité pour rester debout. Au moindre dysfonctionnement de cet enchainement physique, je chute. Et l’enfant en fait bien des chutes avant de maitriser l’art de la marche. Entre stabile – équilibre au repos, et mobile – équilibre en mouvement, quitte à risquer la chute, mon corps écoutant marche de tensions en détentes, de repos en actions, installant ainsi des formes d’écoutes dynamiques, dans les contraintes d’espaces arpentés, de moments écoutés, de parcours pétries d’improvisations comme autant de réactions aux stimuli ambiants.

Pourquoi pas

Un pas en avant

un grand pas en avant

faire le premier pas

un pas de côté

pas redoublé

revenir sur ses pas

marcher sur les pas de l’autre

faire un faux pas

faut pas

pas cadencé

pas qu’à danser

un pas vers le bonheur

pas de quoi

au pas de l’oie

avancez d’un pas

reculer d’un pas

un grand pas pour

franchir le pas

rouler au pas

pas à pas

d’un pas ferme

se mettre au pas

se remettre au pas

marquer le pas

à un pas de la réussite

regretter ses pas

d’ici à là, il n’y a qu’un pas

ébaucher un pas de danse

pas de deux

emboiter le pas

à pas de géants

faire les cent pas

céder le pas

se tirer d’un mauvais pas

à pas comptés

compter ses pas

allonger le pas

ralentir le pas

avoir le pas sûr

pas sûr…

Mettre l’écoute au pas

ou le pas à l’écoute !

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Rêver !

Un bureau nomade

Un désir d’espace

Une installation à ciel ouvert

Une invitation à l’écoute

Une pause dans la marche d’écoute

Une école bruissonnière…

Dream !

A nomadic office

A desire for space

An open-air installation

An invitation to listen

A break from soundwalking

An acoustic bushy school …

Notes

1Qui relèverait de l’expérimentation et de la théorie de Pierre Schaeffer concernant la musique concrète

2In «The Tuning of the World » Raymond Murrau Schafer – 1977 – « En Français, Le paysage sonore » – réedité par Wild Project » Marseille – https://www.wildproject.org/schafer-table

3Définition du CNRTL « Centre National de Ressources Textuelle et Lexicale »

4 Terminologie anglaise désignant la marche d’écoute, ou balade sonore dans des pratiques artistiques, mais aussi écologiques et sociales

6Définition du CNRTL « Centre National de Ressources Textuelle et Lexicale »

9La guerre des Monde, fiction radiophonique d’Orson Wells 1938 – https://www.franceculture.fr/histoire/la-guerre-des-mondes-histoire-dun-canular-radiophonique

10Traduction qhébecoise et francophone de podcasting

2020 échorésonances 2020

20202020
2000 vins
chercher les ivresses
celles amènes
à venir
à construire
séparer le bon grain (acoustique)
de l’ivraie-son
mettre de l’ordre dans ses pas
ses écoutes
ou pas
ou chercher le dé-sordre
erratique
en chantier
risquer l’impasse
et l’autre non
la perdurance
la zigzagance
l’arpentance
la synthonance
mobile body ears appli
l’audioaltéritance
des ZAD
Zones d’Écoutes Prioritaires
de cités en forêts
et vice et versa.
marchécoutécrire
pluriels
le bruit qui coure
le son de choses
oreille en coin
en colimaçon
en partance
audiomorphosance
la voix de son mètre
échelles et talons
walking in the sounds
with the sounds
by the sounds
for the sounds
via the sounds
listen to
tout
on sonne tout
instrumenter le monde
le musiquer
le sonner
résonner
vibrer
vibrionner
sans excès
juste mesure
juste tempi
justance
modérance
empathance
ralentissance
se garder des rumeurs
des on-dit
des on-dit pas
des non-dis
des poncifs
dits sonnants
des sonterrances
desartsonnances en cours
tendre l’oreille
l’oreille tendre
la prêter
l’apprêter
écoutance
écoussonnance
projeter en des-marches
mettre l’oreille au pas
ou l’inverse
sans contraindre
ouïssance
jouissance
jouissonnance
consonance
points d’ouïe
arrêts sur sons
sweet spots
focalissonance
paysager l’auricularité
auriculariser le paysage
façons d’écouter
objets d’écoute
soundmapper
soundmappance
calligraphissonance
espaces acoustiques qu’on signe
taguer l’acoustinance
griffer les murs-murs
graphissonance
récitance
écouter
bruissonnance
2020

PAS – Parcours Audio Sensible, Soundwalking

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(English below)

Marcher
Les pied accordés au sol
à l’humus nourricier
humus et humilité ont une même racine
écouter le sol
l’air
le vivant
donc le Tout
les oreilles accordées aux vibrations sonores
dans une écologie où la sociabilité est au centre du projet
un process écho-logique où la bienveillante est essentielle
l’expérience collective est avant la connaissance
être ouvert à l’immédiateté du mouvement
de la perception
du ressenti
déployer des antennes sensibles
traverser les sons et lumières
en être traversé
partager les traversées
accumuler les marches d’écoute
pour un récit tissé de mémoires des lieux
les raconter
même enjolivées
extrapolées
réécrites par la parole
le mot
le son
Sentir le monde sous ses pieds
sous nos pieds
entre ses deux oreilles
et par celles des autres
par tous les pores de son corps membrane
chercher l’accordage du monde*

* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer

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Walk
Foot granted to the ground
to the nourishing humus
humus and humility have a same root
listen to the ground
the air
the living
so the All
ears tuned to sound vibrations
in an ecology where sociability is at the center of the project
an echo-logical process where the benevolent is essential
collective experience is before knowledge
be open to the immediacy of the movement
of perception
feeling
deploy human sensitive antennas
to cross the sounds and lights
to be crossed
share the crossings
accumulate the listening steps
for a story woven of memories of places
tell them
even embellished
extrapolated
rewritten by speech
word
the sound
Feel the world under his feet
under our feet
between his two ears
and by those of others
by all the pores of his membrane body
seek the tuning of the world *

* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer

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Marchécouter

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PAS – Parcours Audio Sensible – Workshop à l’ENSBA Bourges, Post diplôme création sonore

L’oreille met un pied devant l’autre
les pieds n’en font pas qu’à leur tête
ils déploient des orteils tympans
choient le colimaçon vibrant
les pieds sont des moteurs d’écoute
l’écoute jusqu’à la pointe du talon
jusque sous la plante sensible
jusqu’à la membrane tympanique
et tout vibre de concert
concert parfois déconcertant
oreille projetée dans la ville
pieds qui cherchent la pulsion sollidienne
de croûtes terrestres trop souvent étouffées
sous des couches d’asphalte et de béton
le corps déploie ses antennes frissonnantes
les sons à fleur de vibrante peau
chaque pores en tressaillement écoutant
body parabolique réceptacle
capteurs des magmas bien urbains
de rumeurs montagnardes
de bruissements forestiers
et d’autres sonitudes du monde
entre vacarme et chuchotement
tension étouffante et quiet relâchement
marchécouter au corps de la ville
plonger dans des bruyances soniques
des ondes pernicieusement invisibles
traversant la matière de chair éponge
marchécouter comme un appel au silence
non pas silence mortuaire
mais celui qui supporte les sons
gardien d’un temple par trop prolixe
intimes espaces en creux de scansion
villes de grandes sonitudes
où se justifient et contrarient le co-vivant
jusque dans ses folles résonances
comme dans ses aménités rassurantes
marchécouter pour rester debout
en état de comprendre un peu
ne pas se noyer inconscient
dans les rumeurs manipulées
les trucages des média trop en verve
le flot des beaux parleurs
le torrent des masses subjuguées
marchécouter pour préserver des bulles acoustiques
espaces protégés des excès vibrillonnants
espaces où la parole n’a pas à lutter contre les chaos ambiants
où la muzzac ne coule pas à flots
où l’écoute à prise sur la scène acoustique
où le marchécoutant peut s’entendre sans tendre l’oreille
et s’offrir une pause comme une friandise auriculaire.

Sabugueiro, impressions estivales

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Vers le haut
Des odeurs de poussière tournoyante
de pierre écrasée
de blocs granités
crissements des cailloux roulant
sous nos pas incertains
et puis des eaux moussues
gouleyantes
des herbes écrasées
arbustes desséchés
carqueja odorante
arbres calcinés
car le brulé persiste
des sonnailles grêles
de troupeaux invisibles
fondus dans la pierraille
des chiens au loin
se jouant des échos
le souffle du vent chaud
aux commissures des lèvres
dans la bouche entrouverte
comme à fleur de narines
tel un bouillon d’été

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vers le bas
des voix
profondes et joyeuses
riantes impétueuses
s’hêlant de rues en rues
devisant sur un banc
une terrasse ombragée
où pétille une bière
aux contours embués
Olà Boa tarde obrigado
musique à mes oreilles
qui ne décryptent rien
Ou bien si peu de choses
Un tracteur haletant
une moto d’un autre âge
sa charrette de paille
brinquebalante
ferraillante
le jardin que l’on bine
quelques voitures en prime
encore des chiens errant
en premier plan cette fois-ci
en concert impromptu
qui secoue la quiétude
du village assoupi
une cloche qui tinte
marqueur du temps qui passe
l’Angélus s’annonce
la fontaine qui s’égoutte
un lavoir en réponse
des bidons sont remplis
des sceaux y sont lavés
des enfants aux ballons
qui font sonner les lieux
de rebonds en rebond
les pavés cliquetants
des portes et des fenêtres
qui s’ouvrent et qui se ferment
des poubelles qui claquent
la fraîcheur qui s’installe
la lumière déclinante
des lampadaires s’allument
et la vie qui s’écoute
Sans accrocs apparents
comme l’eau des fontaines.

 

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Résidence artistique Paysage sonore à Sabugueiro (Portugal) avec le Festival DMEHostel Criativo – Juillet 2019

Écoutez voir, contrepoint n°1

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Entre chiens et loups
un moment que j’affectionne tout particulièrement
un instant de bascule
un fondu presque au noir amenant à la nuit
un apaisement discret
des choses qui font place à d’autres
des lumières déclinantes
puis à nouveaux des multiples soleils encagés
l’oreille s’adapte
règle ses focales
l’œil en fait de même
tout s’épaissit
ou s’éclaircit
c’est selon
une fenêtre s’ouvre sur le bas de la ville
une fenêtre visuelle
le lointain en perspective
la ville basse à nos pieds
une percée vers la vallée du Gers
barrée au loin des contreforts des Pyrénéens
la cloche
en bourdon imposant
de la cathédrale dominante
vient d’arroser la cité d’un claironnant Angelus
une fenêtre auditive
une percée sur la rumeur de la ville
les murailles trouées d’escaliers abruptes
des couloirs sonores
l’oreille vise le son
l’œil les décrypte
bien qu’on ne sache plus trop qui fait quoi au final
les horizons se brouillent
des voix proches
des piétinements cliquetant le pavés
une poussette grinçante hors-champ
la nuit tombée diffuse
des traines de couleurs d’un ciel chargé
au sortir de l’hiver
des traines de sons
s’accrochant aux murailles
ricochant sur des parois séculaires
une grue tournoyante ferraille joliment
hors-champ elle aussi
une musique en chantier
et pourtant tout est calme
chaque son à sa place
pas d’envahissements frénétiques
les sonorités et les lumières décroissent de concert
un decrescendo glissant tout en quiétude
le groupe d’écoutants jouit de l’instant
dans un silence peuplé de mille bruissements
regardécoutant la ville d’un posture panoramique
orientée par la trouée d’une ruelle pentue
peu de choses filtrent du bas
des rumeurs contenues
par d’inextricables chemins de pierres
un piège à sons
le temps est à l’écoute
comme il est au regard
des polyphonies de lueurs sonores
comme de sons colorés
le point de vue titille l’oreille
et sans conteste réciproquement
la ville paysage s’accroche sensoriellement
nous charme d’aménités offertes à qui sait être là
pour les cueillir fragiles dans l’instant.

 

PAS – Parcours Audio Sensible, des marches, des silences, des sons, des parcours, des paroles

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Suite à un PAS récemment effectué, sur la thématique de l’écologie sonore, que finalement très peu connaissent, je réfléchissais, une fois de plus, aux tenants et aux aboutissants de cette pratique, pour moi incontournable qu’est le Parcours Audio Sensible.

Un PAS est tout d’abord un espace-temps, un instant marché, où mille particules sonores, infimes bruissements, fragments d’un puzzle acoustique morcelés, épars, avec lesquels nous reconstituons un flux-paysage cohérent, un tout écoutablement logique et logiquement écoutable.
Le parcours tisse des lignes géographiques sonores, où se répondent places et jardins, cours et impasses, rires d’enfants et harangueurs des marchés. Une géographie sonore se dessine. Les espaces et les sons, au départ fragmentés, éparpillés en événements disséminés, disparates, sont recollés, recousus à l’aune de l’écoute et des traversées sensibles, kinesthésiques. Ces parcours écrivent un chemin qui prend sens au cœur d’un paysage sans cesse renaissant à l’écoute.
Le promeneur écoutant devient alors à même de se re-trouver dans des écoutes peuplées d’indices auriculaires, qui lui donnent petit à petit des clefs, confortant ses quêtes et recherches. Clés de lectures, ou d’écriture, parmi celles qui nous proposent de reconsidérer le paysage sonore comme un objet d’étude, ou comme une source de plaisirs. Entre autre, plaisir de se reconnaître dans un parcours non pas entièrement balisé, ce qui serait assez mortifère, mais au moins jalonné, tout en gardant la possibilité de se perdre encore à certains moments, pour mieux se retrouver ensuite.

Un PAS, c’est encore une série de gestes qui font que le silence est instauré, installé et entretenu au sein du groupe de promeneurs. Ce silence accepté, y compris sur une assez longue durée, celle de la déambulation, contribue fortement à rendre le monde audible, ou tout au moins un peu plus audible, et ce de façon plus efficace que mille savants discours. C’est dans ce silence qu’est perçue plus finement la complexité de notre environnement sonore, et que nous pouvons devenir un peu plus acteur, ne serait-ce qu’en posant une oreille curieuse sur ce qui nous entoure.

C’est également le moment où, lorsque le silence, intrinsèquement peuplé de sons, est rompu, que la parole collective peut à nouveau se libérer. Après un long silence, pas toujours facile à maintenir, les voix collectives ont à nouveau le pouvoir d’échappées belles, d’exprimer des ressentis, des frustrations, de narrer des gestes ayant donné naissances à de beaux moments, comme à des espaces-temps parfois discordants, dans une expérience d’écoute à la fois commune, et néanmoins individuelle et singulière, que la marche silencieuse a cependant souvent unifiée.

Ce que, pour moi, écouter veut dire

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Tendre l’oreille
l’oreille tendre
audio, j’entends
je vous entends
ausculto, j’écoute
je vous écoute
mais avec attention
attention portée au Monde
au vent, à l’eau, au tonnerre roulant
aux végétaux et aux animaux
aux choses et aux gens
sans doute plus encore aux gens
attention bienveillante à tout ce qui bruisse
à la parole donnée
à la parole recueillie
à la parole partagée
qui n’est rien sans écoute
comme lettre morte sans auditeur
écouter pour discerner
entendre le sujet et son environnement
percevoir le sujet dans son environnement
distinguer le sujet, ses valeurs, ses limites, ses faiblesses
sa véracité, ses contresens, ses manipulations
entendre en se gardant des choses confondues
par erreur ou à dessein
écouter pour résister
à la frénésie ambiante
aux grondements climatiques
aux murs qui s’érigent en protectionnisme sourd
en barrières de mésentente
en cloisons mortifères
aux parois de silence
dans l’étouffement des voix
muselées de discours totalitaires
qui s’emploient à faire taire
écouter pour comprendre
un peu mieux
pour ralentir la course
dans des marches apaisées
dans un calme silence
écrin de mille bruissements
écouter le Monde par plaisir
s’immerger dans les sons
en prenant garde de ne pas s’y laisser submerger
en prenant garde de ne pas s’y noyer
Ouïr par empathie, altérité aidant
syntonisation de l’oreille et des espaces auriculaires
paysages sonores en communs
plus qu’en lieu-commun
laisser sourdre la sympathie, les émotions
des sentiments et ressentis
des bonheurs bien sonnants
des aménités sonnifères
chercher des oasis quiets
et s’ils n’existent pas
les construire d’urgence
des refuges où parler et écouter sont choses faciles
et avant tout choses tolérées
écouter d’une oreille curieuse
se laisser surprendre pas l’inattendu
par l’inentendu
dans les limites de l’audibe
aux lisières de l’inaudible
des petites parcelles soniques
des micros sons intimes
de la plume soyeuse
de la caresse d’Éole
écouter pour rester vigilant
ne pas s’endormir sur nos certitudes
accepter la sérendipité
voire la rechercher
paysages sonores à perte d’entendement
pensés du petit ou grand bout de l’oreillette
des marteaux, enclumes et étriers
comme un jeu d’osselets sonores
le paysage s’honore
écrit à l’aune d’un tympan réactif
membrane vibrante et fragile
réceptacle des musiques du monde
oreille en coin
oreille verte
oreille en colimaçon
au creux de l’oreille
sans la faire sourde
en tenant compte que les murs aussi en ont
et que ce qui rentre par l’une peut ressortir par l’autre
qu’en cas de bêtise, on risque de se les faire tirer
qu’il arrive qu’ont les ait battues
qu’on en ait par-dessus
quelque soit notre écoute
participons à bien s’entendre
pour nous entendre mieux.

Notes et chroniques d’Audiobaladologie

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Un document sous forme de dossier téléchargeable, compilant différents articles audiobaladologiques postés sur ce blog ou ailleurs.

Pour lire et ou télécharger : https://www.dropbox.com/s/zlpl83dqn69i2p0/NOTES%20AUTOUR%20DE%20L%E2%80%99AUDIOBALADOLOGIE.pdf?dl=0

 

jecoute

Écouter-marcher pour occuper le monde

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PAS – Parcours Audio Sensible à Mons – Transcultures, École d’Architecture et d’Urbanisme –  ©Zoé Tabourdiot

Pour moi, effectuer un PAS – Parcours Audio Sensible, c’est chercher à occuper, peut-être un peu plus activement, le monde.

Non pas tout le monde, le monde entier, mais au moins les espaces traversés, dans la bulle d’écoute qui m’entoure, et que je déplace ici et là.

Laquelle bulle d’écoute varie, s’élargissant ou se rétrécissant au gré des pas, se déformant constamment selon les lieux, leurs dimensions, constructions, topologies, horizons, les événements et centres d’intérêt, et surtout se mêlant, parfois en résonance, à une multitude d’autres.

Occuper le monde n’est pas se l’accaparer, le dominer en conquérant. Il s’agit au contraire d’y trouver une modeste place, où bienveillance et respect sont deux postures qui contribueront à une belle écoute.

Il nous faut nous positionner comme des promeneurs à l’affût, naviguant à l’oreille dans des espaces peuplés d’objets, de paysages écoutables et d’êtres également écoutants et communicants.

Occuper le monde, c’est mettre en scène des actions, des gestes, notre propre corps, celui d’autres, dans l’espace public, ou privé, c’est être concerné, acteur, influenceur, même comme un simple ouïsseur quasi invisible, voire quasi inaudible.

Occuper le monde c’est y avoir prise, se le forger à notre façon, dans une sphère auditive aussi immatérielle que fragile, qui n’appartient qu’à nous seuls, et pourtant que nous avons à cœur de partager, de confronter, d’altériser, dans des actions in situ et in auditu.

Occuper le monde, c’est prendre conscience des universalités comme des singularités, d’une sociabilité complexe, multiple, incontournable, d’une éco-politique intrinsèque, d’une géographie du sensible. Ceci pour appréhender des espaces acoustiques au départ non tacites, et au final plus humainement vivants, dans une perception à la fois individuelle et collective, moteur de prises de conscience.

Occuper le monde, c’est arpenter ensemble en croisant nos écoutes respectives pour le rendre un brin plus vivable.

Occuper le monde, c’est vouloir sortir l’oreille du trivial trop identifié, trop (re)connu, via des décalages sensibles, créer des fenêtres ouvertes sur un imaginaire acoustique, performer un faisceau de gestes et de postures qui élargissent une conscience de l’espace physique et social, souvent anesthésiée par une lénifiante habitude.

Écouter en occupant le monde, même dans une proximité intime, nous permet de faire ce pas de côté nous attirant vers de nouvelles sphères sensorielles à arpenter, où il reste encore tant à explorer.

Les PAS nous offrent une, ou de multiples façons d’occuper le monde, ou de nous occuper du monde, en se gardant bien de l’envahir, de lui imposer des sonorités prégnantes. Il s’agit a contrario de l’entendre, voire de le faire sonner humblement, à échelle humaine, néanmoins en y étant éminemment présent et acteur, avec toutes les oreilles de bonne volonté !

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PAS – Parcours Audio Sensible, École Nationale Supérieure d’Arts de Bourges – © Roger Cochini

Brasser les expériences, des Marchécoutes transdisciplinaires !

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Le PAS – Parcours Audio Sensible, la « Marchécoute », prédisposent des terrains d’entente qui me permettent de déployer et décliner différentes formes d’écoutes mobiles, ambulantes, souvent « minumentales » transdisciplinaires et collectives.

Les trois qualificatifs, à savoir mobiles, minumentales et collectives, sont d’autant plus importants qu’ils posent un premier cadre d’action, une première forme structurelle, à laquelle on pourrait ajouter une dimension temporelle, qui se situerait dans une durée plutôt longue, plus propice à l’immersion esthétique.

L’idée de transdiciplinarité quand à elle, implique la collaboration de différents protagonistes, issus d’univers professionnels, ou de champs de recherches, si possible différents.

Enfin, l’idée de pratiques hors-le-murs, hors des lieux généralement dédiés à certaines réalisations et recherches artistiques, scientifiques, vient compléter cette idée de « terrains d’entente ». Voici donc posé comme préalable, un cadre d’intervention qui pourrait convenir à un brassage d’expériences annoncé dans le titre de et article.

Je souhaiterais d’emblée, rencontrer, ou bien même construire, des espaces de rencontres entre des pratiques qui, je le déplore souvent, restent très cloisonnées, si ce n’est très chapellisées.

Ces terrains d’entente, au sens large et polysémique du terme, sans doute territoires hétéropiques façon Foucault, pourraient dans l’idéal, accueillir tant l’oreille et le geste du musicien, de l’artiste sonore, du marcheur-danseur-performeur, plasticien, écrivain, poète, scénographe, philosophe, paysagiste, urbaniste, architecte, sociologue, médecin, anthropologue, écologue… Et de tout citoyen marcheur écouteur de bonne volonté !

Imaginons des formes de laboratoires ouverts, où les paysages s’entendent autant qu’ils se voient, sinon plus, où la parole et les idées circulent sans avoir peur des silences, voire même en les privilégiant comme des ferments propices à la germination de nouvelles hybridations.

D’autre part, Nicolas Bourriaud, dans son approche de l’esthétique relationnelle, nous explique que fabriquer de la sociabilité, au-delà de fabriquer de l’œuvre, serait un des enjeux primordiaux de l’art, et ce afin de mieux habiter le monde. Le faire, et la façon de faire, de co-faire, est donc ici plus importante que toute résultante matérielle, dispositifs ou installations. La question esthétique, et au-delà d’un projet sociétal, le partage d’expériences, de savoir-faire, le fait de mettre son propre projet dans un bain collectif, implique d’accepter le risque de le voir se faire contaminer par d’autres, donc parfois d’être sensiblement détourné de son chemin initial. Gageons qu’il en ressortira plus riche encore, nourri de rencontres et de sérendipités fécondes.

Partir marcher en groupe, parfois sans leader guide, sans même des thématiques bien définies, hormis le fait de pratiquer collectivement un parcours auriculaire, et de laisser se développer des échanges assez libres, permet de quitter les sentiers battus, de ne pas se laisser enfermer dans une habitude sclérosante. L’altérité née du mouvement est une valeur ajoutée indéniable, pour qui sait l’accepter, la cultiver.

Dans cette idée, les corps marchants, mobiles, nomades, réceptifs, sont eux-même des espaces de création intérieure, en résonance avec les lieux, les co-acteurs et co-arpenteurs. Il est toujours stimulant de croiser de nombreux points de vue, d’ouïe, autour du monde sonore, des territoires d’écoute, de favoriser des pratiques mixtes, pour faire bouillonner tout cela, qui plus est à ciel ouvert. C’est une expérience somme toute assez rare. J’ai eu néanmoins la chance de participer très activement, il y a quelques années, à une de ces actions hybridantes. Un projet – une utopie ?- hélas aujourd’hui bel et bien terminé.

Sans avoir vécu une telle aventure, on a bin du mal à imaginer la richesse de rencontres, d’ateliers véritablement transdisciplinaires. Il est difficile, de l‘extérieur, de mesurer les bénéfices de tels brassages, où se mêlent les expériences et réflexions de musiciens, acousticiens, musicologues, poètes sonores, chercheurs en neurosciences, créateurs radiophoniques, audio naturalistes, éditeurs, aménageurs, enseignants, élus…

Ces espaces foisonnants sont des creusets effervescents, lieux de débats où l’écoute est sans cesse remise en question, et ravivée par des expériences dedans/dehors, des partages de savoirs, des écritures communes, et une foule d’interrogations fertiles…

C’est là où la marche, l’écoute, rassemblant des individus d’horizons divers, dans des lieux pas forcément dédiés, dans une mouvance polyphonique, ouvrent des espaces inédits, aux lisières et aux interstices jamais figées, offrant donc des parcelles de liberté exploratoire sans pareille.

Le problème étant de trouver, de créer, d’entretenir des occasions propices à ces échanges, à faire accepter de mettre en place des conditions de création originales. Ces dernières s’avérant parfois fort improbables, aux vues de l’institution, du centre d’art, de l’association, souvent peu habitués à de telles pratiques un brin déstabilisantes.

Sans parler du fait, hélas incontournable, de réunir des moyens matériels et financiers, logistiques, pour mener à bien ce genre de projets.

Même aujourd’hui où le système universitaire par exemple, met en place des UMR (Unités Mixtes de Recherches) et Labex (Laboratoires d’Excellence) réunissant plusieurs laboratoires de recherche, il faut néanmoins convaincre les partenaires potentiels de l’utilité de telles démarches croisées. Une difficulté étant, dans le domaines de l’écoute, du paysage sonore, de la marche comme outil perceptif, de considérer les recherches comme faisant une large part au sensible, parfois difficile à évaluer quantitativement, dans des résultats attendus, notamment dans le secteur des sciences humaines.

En premier lieu, défendre le fait qu’une recherche puise se dérouler hors-les-murs, dans des cadres théoriques bousculés, mêler création sonore, esthétique, artistique, et approches de territoires acoustiques, sociaux, écologiques, n’est pas forcément chose facilement saisissable. D’autant plus si la proposition émane de l’extérieur de l’institution !

On comprendra donc que les enjeux sont de taille, et le défi bien réel. Au-delà des contraintes administratives et financières, le fait même de réunir des activistes de domaines qui, a priori, n’ont pas obligation d’œuvrer de concert, dans un esprit de création, d’écritures collectives, est un premier challenge à surmonter. Se risquer à se frotter à l’autre dans toute sa différence, sa diversité, ne va pas toujours de soi.

Faut-il pour cela créer de nouvelles formes de structures, imaginer des équipes et des modes opératoires peut-être plus souples, plus informels, plus éphémères ? La question est posée, ne trouvant sans doute pas de réponses définitives et pleinement satisfaisantes.

Une forme de cas par cas doit-elle être envisagée, comme une fabrique de communs qui se retrouverait toujours différente, selon les projets et les protagonistes ?

L’itinérance, la mobilité, le non rattachement à des structures fortement structurées, voire un brin figées dans des habitudes professionnelles freinant certaines spontanéités innovantes est-elle une partie de réponse envisageable ? Ou bien un handicap supplémentaire ?

Un projet de territoire questionnant la diversité des acteurs, des lieux et des modes opératoires doit certainement questionner les contraintes contextuelles pour émuler des actions où chacun apporterait sa pierre à l’édifice tout en bénéficiant de véritables acquis partagés au sein d’une communauté, fut-elle éphémère, d’activistes marcheurs écouteurs.

Prendre le temps de… un PAS, de côté

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Prendre le temps de faire un PAS*, de côté, à côté, ensemble, comme un geste poético-politique ?
Prendre le temps de marcher la ville, ses lisières, et hors d’elle
Prendre le temps de le faire lentement, en mode doux
Prendre le temps d’être sur le terrain, de l’arpenter
Prendre le temps de nous reconsidérer en piéton citoyen
Prendre le temps de regarder, de sentir, de toucher, d’écouter
Prendre le temps d’écouter ensemble
Prendre le temps d’écouter le territoire
Prendre le temps de nous écouter
Prendre le temps de re-sentir son corps, de faire corps
Prendre le temps d’échanger
Prendre le temps de partager
Prendre le temps de critiquer
Prendre le temps de (mieux) comprendre
Prendre le temps d’apprécier
Prends le temps d’être bousculé, contrarié, retourné
Prendre le temps de prendre du recul
Prendre le temps d’errer sans but, a l’envi
Prendre le temps d’être encore surpris du quotidien
Prendre le temps de faire des pauses
Prendre le temps d’être dépaysé, y compris chez soi
Prendre le temps de rêver, d’être un corps-oreille sensible
Prendre le temps de rechercher les aménités environnementales
Prendre le temps de militer pour une belle écoute
Prendre le temps de militer pour une écologie sonore**
Prendre le temps de s’indigner
Prendre le temps d’être en résonance, en empathie
Prendre le temps de refaire le Monde même partiellement, même très imparfaitement.

* PAS – Parcours Audio Sensible
** https://www.wildproject.org/journal/4-glossaire-ecologie-sonore

Parcours d’écoutes et esthétique minumentale

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Des parcours

J’ai découvert récemment, dans un roman de Will Self, écrivain prolixe, marcheur à ses heures qui me fascine littéralement, le concept du « Minumental », un pendant inverse du Monumental.

J’ai eu dés lors envie de rattacher ce concept à une exposition qu’avait organisé le MAC/VAL autour de l’ Imagination miniaturante.

Deux approches qu’il me plait de mettre en résonance avec et dans certains PAS – Parcours Audio Sensibles.

Will self évoque le Minumental dan un roman intitulé « Le piéton de Hollywood », ce qui fait qu’implicitement, la marche est d’emblée rattachée au Minumental. Self part du Monumental, et par frottements, par résistance sans doute en contre-pied, laisse entrevoir l’idée, l’existence d’un Mimumental qui lui ferait l’opposé garde-fou. D’ailleurs, dans l’œuvre de l’écrivain, Dieu sait si la folie n’est jamais loin, si ce n’est omniprésente.

Une œuvre minumentale, un courant minumentaliste seraient pour moi, tout ce qui, de prime abord, ne sauterait pas aux yeux, et par delà aux oreilles. Loin de la monstration ostentatoire, du désir parfois mégalomane de créer de l’imposant, du voyant, jusque dans une démesure envahissante. Loin de la débauche de matière et de matériaux, prouesse technique, de désir inassouvi de montrer sa puissance de feu et de création coûte que coûte, quitte à l’imposer sans vergogne dans un espace public souvent saturé dans les hyper centres, est de mise.

Certes, la généralisation amène une banalisation réductrice, et tous les artistes du monumental ne sont certainement pas atteints d’une paranoïa du gigantisme.

Pour ma part, je préfère l’idée du Minumental comme un espace physique et mental plus discret, moins envahissant, plus intime, et au final peut-être plus respectueux.

Le PAS – Parcours Audio Sensible tel que je le développe tente de rester dans des dimensions modestes, tant par ses dispositifs techniques, quasi inexistants, que par les jauges publiques volontairement resserrées, en passant par une règle du silence en générale de mise.

Les postures proposées sont également très souvent des prétextes, ou des occasions, pour aller chercher la plus petite chose ouissible, le détail, le micro bruit, qui résistera à la rumeur ambiante, si forte soit-elle, en se glissant vers l’intimité du micro-paysage. Oreille collée à la source, écoute en duo, dos à dos, stéthoscopes et longues-ouïe bricolés, il faut traquer le micro organisme sonore. Ainsi, la plus grande partie du parcours jouera à passer de larges ambiances vers le microscopique minumentaliste, et retour.

D’ailleurs le monde sonore est d’une grande complexité pour l’aborder dérechef, dans son ensemble, sans risquer de s’y noyer, voire de fatiguer prématurément l’auditeur déambulateur. Prendre le parti d’en écouter, d’en saisir des fragments, c’est commencer à tirer des fils d’écoute qui nous raccrocheront à des choses plus aisément saisissables, sans se perdre dans l’écheveau, ni l’emmêler dans la complexité de ses enroulements, de ses emplilements. Proche des courants philosophiques de la phénoménologie, vers laquelle je reviens régulièrement pour reconstruire des processus de lectures, d’analyses, des gestes perceptuels, je pense que le fait d’entreprendre le monde dans des parties à l’échelle desquelles on pourra circonscrire des espaces auriculaires, construira au final une cohérence du tout.

D’aucuns diront que le tout est parties, et que dans chaque partie est contenu le tout, conception avec laquelle mon écoute résonne, voire raisonne souvent. Dissocier pour assembler, y compris le monde des sons me paraît une saine logique à portée d’oreilles.

J’entrevois l’idée du microcosme minumental qui nous permettrait de sortir la tête des sons indemnes, ou tout au moins pas trop ballotés par des flots sonores aux ondes tsunamiques. Une question qui interroge également des formes de protection contre la violence de l’information massive, y compris sensorielle, en même temps que la recherche d’une bienveillance que le Monumental ne me semble pas des plus apte à partager. Le tout jeune enfant ira chercher le petit bout de laine, le petit gravier, avec lesquels il jouera longuement, pour comprendre progressivement la structure du monde qui l’entoure, et comment il peut y avoir prise en manipulant la petite chose, à son échelle. Il testera par de micro gestes sur d’infimes matières, la place qu’il occupe dans le monde de géants environnant.

Si l’on garde un tant soit peu une âme d’enfant, le Minumental nous fera construire des objets perceptuels à notre échelle, quitte à les ré-assembler au fil de nos découvertes. Un oiseau pépiant, une branche qui craque, un arbre qui bruisse, un ruisseau qui tintinnabule, des pommes de pins qui tombent autour de nous, des feuilles bruissantes qui s’envolent ou que l’on froisse du pied, petit à petit, morceau par morceau, comme des notes de musique élaborant une symphonie en devenir, la forêt se construit morceau par morceau, sous nos oreilles émerveillées.

Le Minumental nous permet de partir du tout petit, pour aller vers le plus grand, sans limitation, en ouvrant notre écoute à une multiple somme de modestes récurrences, pour l’emmener vers un univers infiniment plus complexe, qui échapperait à notre vision de la finitude.

J’écrivais un jour, dans un commentaire d’article, que le PAS – Parcours Audio Sensible offrait quelques variations de marche d’écoute dans la grande famille des Soundwalks, lesquels, lorsqu’ils sont joués sans autre dispositif que les oreilles nues, pouvaient être qualifiés d’Arte Povera des arts sonores. C’est d’ailleurs une façon de citer ces pratiques artistiques singulières, dont l’incroyable travail de Giuseppe Penone autour des arbres et de la nature.

L’imagination miniaturante

Cartes, maquettes et objets

Comme je l’ai précisé en début de ce texte, l’idée d’imagination miniaturisante est empruntée au thème d’une exposition organisée par le MAC/VAL de Vitry sur Seine .

La présentation de cette exposition note en sous-titre, « De la projection d’un imaginaire, d’un idéal, à la modélisation du réel ». Projection, imaginaire, idéal, réel, modélisation, des termes qui construisent une, ou des formes de paysages, de représentations, entre concrétude de terrain et abstraction mentale, comme un idéal de rêve, ou un rêve d’idéal. Il nous faut réduire le sujet pour nous l’accaparer, en faire une maquette, un modèle réduit, une représentation. Réduction certes, mais surtout à l’échelle du volume, pas forcément sonore, de l’encombrement, du poids, non pas une réduction du sens qui serait simplifié, trop épuré. Bien au contraire, cette réduction apparaît comme un condensé en capacité de nettoyer les scories d’un paysage trop encombré, pour nous en faire percevoir, toucher, la substantifique moêlle. L’équivalent d’une réduction culinaire, d’un fumet.

Ramenant le sujet vers la marche, l’écoute, la première réduction qui me vient à l’esprit est celle de la carte, du topo-guide. Une représentation graphique, à une échelle donnée, d’un territoire complexe, avec, vus du dessus, ses reliefs, végétations, bâtiments, voies de circulation, étendues d’eau… espace symbolique, mais oh combien parlant pour celui qui en détient les codes, les grilles de lecture.

Lorsque nous parcourions, avec un ami, les immensités de certaines montagnes, dont le fascinant massif de la Vanoise, ses forêts, alpages, glaciers, lacs, une des premières choses que nous faisions était de consulter des cartes. Nous utilisions celles du randonneur marcheur, les « classiques » IGN au 1:25000, qui assurent une bonne lisibilité du terrain, et où apparaissent suffisamment de détails, de sentiers, pour guider la marche. Ces cartes sont une forme de réduction d’un terrain qui prend place dans un sac à dos, pouvant être déployées à l’envi. La consultation préalable nous permet de construire, presque mentalement, un itinéraire, de repérer les chemins, les passages, les escarpements et dénivelés, les points de vue potentiels. Pour qui sait lire une telle carte, on se représente le paysage de façon assez fidèle, ses vallées, ses sommets, ses cols, ses refuges, la végétation… Un véritable livre d’images codifiées puis décrypté par le randonneur aguerri. Au retour de randonnée, la carte est également mémoire. On peut y tracer, y retracer les cheminements, les passages non balisés pour les retrouver par la suite, se faire défiler le film de nos marches, où chaleur, lumières, effets kinesthésiques, parfois déplaisir de la fatigue physique, mais aussi sons du torrent, du vent sur les crêtes, de la fontaine à l’eau glacée sont inscrits comme gravés dans un simple bout de papier, « par chemin » vecteur d’imaginaire et de réel confondus. Cette carte, réduction a posteriori de nos marches, a le pouvoir de réactiver, bien des années plus tard, des expériences humaines physiques, sensorielles, et bien sur pour moi auditives. J’entends encore nettement, en regardant des cartes de la Vanoise, tels échos capricieux d’une combe, les ensonnaillements de troupeaux traversés, des cris d’alerte des marmottes guetteuses, dont le pelage d’été se confond avec le gris des pierriers, des pierres qui glissent sous nos pas avec des crissements métalliques, le vacarme d’un torrent qui nous surprend au détour d’un chemin forestier… Et celui de nos longs silences respectueux des lieux, et plus complices que bien des paroles futiles. Plus que la photo, elle-même réduction miniaturisante et figée, fixée, d’un territoire, la carte, guide et mémoire, conserve les souvenirs, les crayonnements, les plaisirs et parfois souffrance de marches au final jouissives.

La carte est pour moi une forme d’objet synecdotique, dont la surface réduite contiendrait un tout, à la fois constitué d’actes physiques, de sensations, de ressentis, de mémoire et de condensés de territoires/paysages arpentés, auscultés. D’autres objets dont je reparlerai ultérieurement peuvent également jouer ce rôle.

Une autre réduction modélisatrice est incontestablement la maquette, d’ailleurs très proche de la carte si ce n’est dans le fait qu’elle prend forme dans des volumes à trois dimensions, et avec une matérialité plus tangible, du fait-même de ses matières et matériaux. La maquette est une autre représentation territoriale, non pliable, donc plus difficile à déplacer.

Je prendrai ici comme exemple une carte confrontée à trois maquettes urbaines Lyonnaises. Toutes les trois ont ceci en commun de représenter la ville de Lyon, tout au moins une partie son hyper centre pour deux d’entre elles, et un bâtiment spécifique pour la troisième.

La première n’est pas une maquette mais une représentation cartographique au sol, à l’entrée d’un parking urbain, d’une partie du centre de la cité. Lyon sur lequel on marche, la ville à ses pieds, situation de domination, ou posture plus humble du flâneur qui l’arpenterait en raccourcis, traversant métaphoriquement, en deux enjambées la Presqu’ile Lyonnaise.

Ce qui est intéressant, c’est qu’à quelques mètres, d’ici en entrant dans la librairie Archipel, centre de ressources autour de l’urbanisme et de l’architecture du territoire Lyonnais, nous nous trouvons face à une maquette monumentale de Lyon intra muros. Celle-ci est exposée au mur sur les trois niveaux du lieux. La maquette monumentale réduit néanmoins la ville en relief en une minumentalité posée sur l’espace d’un mur. Une façon d’embrasser presque tout Lyon d’un regard, en en découvrant ses reliefs, notamment architecturaux.

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Cette vision de maquette verticale nous propose un regard curieux d’une ville modélisée, donc réduite pour entrer dans les murs, et posée verticalement, vue non pas par-dessus, comme habituellement, mais de coté. Un pas de côté donc. Cette monu-minumentalité produit un curieux effet de décalage. Cependant, le tissu urbain est bien reconnaissable, surtout pour un Lyonnais marcheur urbain, qui peut se projeter dans cette espace-maquette, jusqu’à en entendre les rumeurs suggérées par la cité. Rumeurs et émergences qui s’échapperaient de cette représentation pour venir titiller nos oreilles urbaines. L’imaginaire permet de mettre en relation des sens synesthésiques, l’image suggérant les sons, et vis et versa, pour qui veut bien se laisser aller à une certaine forme de modélisation du réel, pour reprendre les mots du MAC/VAL.

La deuxième maquette Lyonnaise qui m’intéresse, dans le cadre de cette idée de réduction miniaturisante, est situés sur l’un des plus beaux belvédères (littéralement joliment voir) de la ville, sur le parvis de la basilique de Fourvière, embrassant une large étendue à 180°du paysage Lyonnais. Paradoxalement, et avec bonheur, cette maquette située dans un des plus remarquables points de vue de la cité, est prévue à l’usage de ceux qui n’en profiteront pas, les aveugles. Elle se touche, s’ausculte de la main, se suit des doigts, pour justement avoir conscience de la ville qui s’étend à nos pieds. Cette réduction offre à qui ne voit pas le plaisir de contempler la ville, ses collines, ses architectures singulières, ses promontoires. Et le plaisir est bel et bien de voir avec ses mains, y compris pour un voyant. Si on ajoute alors nos oreilles à ce petit festin sensoriel, Lyon nous apparaît comme un objet modèle réduit décalé, poétique, sensible, à fleur de peau, et de tympan. C’est un jeu que je propose aux promeneurs des hauteurs, fermez les yeux, toucher la ville, écoutez la en même temps, et percevez les espaces en contre-bas, au loin, comme rarement sans doute vous ne l’avez fait. La petite taille de cette maquette nous offre des panoramas incroyablement larges, des projections mentales surprenantes.

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Et pour en finir avec les maquettes Lyonnaise, une qui réduit et modélise cette fois-ci une seule structure et ses jardins environnants. Elle est située dans la Maison des aveugles de Lyon, sur les sommets du 9e arrondissement, à quelques encablures au-dessous du site de Fourvière, dont je viens de parler. Cette fois-ci encore, cette maquette est à destination d’aveugles, ceux qui résident dans la maison. Elle a été réalisée pour et avec les résidents, dans le cadre d’un projet de « Carte sonore », en complément d’un audio guide géolocalisé autour de la vie de l’établissement, de la parole des résidents, et d’un imaginaire bâti sur et autour ces lieux. Cette maquette s’inscrit dans un important dispositif culturel et artistique mis en place sur trois années, avec des captations de portaits vidéos, sonores, l’intervention in situ de musiciens et danseurs qui travailleront avec les résidents, des paysagistes, graphistes, designers, archéologues… qui apporteront chacun à leur façon leur compétence pour lire et écrire les lieux de vie de cette maison. Dans cet ambitieux projet où le son, et donc l’écoute, tient une place prédominante, la maquette n’est qu’une petite partie du travail, mais néanmoins une représentation qui occupe une place symbolique intéressante. Ce n’est pas une maquette « classique », figurative, reproduction à l’échelle réduite descriptive. Elle est avant tout à toucher, utilise des matériaux, des codes formels, et même des échelles qui sont issus de la représentation des résidents. Comme sa voisine de Fourvière, lle donne à voir en touchant, au milieu d’un tissages de traces sonores, où l’imaginaire d’un non-voyant nous fait appréhender des espaces autrement. Cette forme minumentale illustre pour moi parfaitement cet imaginaire à la fois miniaturisant et ouvrant des portes perceptives pour le peu très élargies.

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Objets

Objets (inanimés) avez-vous donc une âme, se demandait en son temps Lamartine ?

La question reste aujourd’hui posée.

Objets symboles, objets récits, objets synthèses, objets de l’imaginaire, objets de l’affectif, que peuvent traduire, nous raconter, nous résumer parfois, une chaussure, une carte, un micro, du point de vue du marcheur pu du promeneur écouteur ?

Lors de rencontres nationales des concepteurs et animateursde Sentiers métropolitains, au Mucem de Marseille, une très longue vitrine a été mise en place, racontant à sa façon une vraie fausse chronologie de ces projets de randonnées urbaines, depuis la mise en place du GR 2013 jusqu’aux expériences marchées dans les cités et franges – lisières de la ville aujourd’hui.

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Cette vitrine est un peu comme un livre déplié en longueur, offrant à lire les réflexions, méthodes, explorations, objets usuels, tracés… qui ont jalonné, et jalonnent encore le parcours, ou plutôt les multiples parcours d’un marcheur baliseur animateur de parcours urbains, péri-urbains, métropolitains…

Nous avons là une forme de carte en relief, donnant à voir, mais surtout à imaginer, à extrapoler, les milliers de kilomètres possibles, et les infinies façons de les arpenter. Une modélisation pédestre en quelque sorte. Un imaginaire au pas à pas. Un chemins d’histoires, au sens large des termes.

L’objet re-prend ici toute sa place, bribes de narrations qui, mises bout à bout, façonnent une histoire, une ribambelle d’histoires des marches exploratoires, sensibles, sociales, esthétiques, politiques, poétiques, des marches qui projettent la marche plus loin que la marche, dans le sillage des flâneurs baudelériens, des psychogéographes situationnistes debordiens…

La chaussure éculée, le carnet de croquis, le tracé d’une carte, la boussole, le topo-guide, le porte-voix, la photo de paysages urbains, le bâton, le sac à dos, les pierres collectées ici ou là, le texte griffonné sur un calepin, sont autant de petits bouts faisant récit, ou tissant récits, de traversées urbaines parfois surprenantes dans la trivialité de leur décalage. On ne montre plus ici, ou pour ma part on ne fait plus entendre, les beautés grandioses d’une montagne, le mystère d’une forêt obscure et profonde, la puissance des vagues s’écrasant sur une falaise, mais des pavillons de banlieue, les lisières incertaines de la ville en perpétuelle construction, des zones industrielles, des parcs urbains, des voies ferrées abandonnées…

Pas de grands discours pour cela, l’objet, la suite d’objets, concentre, dans son pouvoir évocateur, une force d’imagination à toute épreuve.

Une chaussure de marche en bout de course, trouée, au cuir craquelé, aux formes avachies, suggérera parfois plus que tout autre média, les épreuves physiques du marcheur, la répétition des gestes, la fatigue, l’usure, la persistance, la trace, le rêve, le corps repu.

Des objets traces, des objets traceurs, des objets diseurs, des objets condensés d’expériences, déportés de leurs actions in situ pour venir nous faire voire, quitte à user d’un imaginaire collectif, ou non, l’aventure des cheminements urbains. Un racontage de rêves pedestro-citadins, des chemins de traverse en devenir.

Si Desartsonnants, « marchécouteur », faisait sa propre vitrine, à son image, y compris sonore, on y trouverait également des trompes, morceaux de vuvuzellas, des mini haut-parleurs, des casques, des stéthoscopes, des micros, un magnétophones, des cartes SD, des carnets de notes, paraboles… Un petit monde symbolisant en le réduisant dans un espace confiné, loin des étendues à ciel ouvert, une infinités de PAS – Parcours Audio Sensibles, offrant au corps kinesthésique à voir et à entendre.

Des marches, des cartes, des maquettes, des objets, nous fabriquons ainsi tout un panel de fictions miniatures, de micros récits, de minumentalités qui préfèrent l’intime à l’extime, de discret à l’ostentatoire, le creux de l’oreille au porte voix.

PAS – Parcours Audio Sensibles et Marchécoute, des générateurs d’émotions contemplatives

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Un PAS – Parcours Audio Sensible, une Marchécoute doivent chercher l’empathie territoriale, sensitive, parfois transcendée via une forte charge émotive. Quitte à assumer une subjectivité à fleur de peau et de tympan. Ne pas ressentir une affinité pour le terrain, ses ambiances sonores, visuelles, lumineuses, olfactives, kinesthésiques, c’est risquer de passer à côté de tellement de micros événements, ceux qui donnent tout le sens, l’essence de la marchécoute.

…Une nuit, un lieu sombre, un commerce encore ouvert, un groupe qui devise en sirotant des bières, des espaces résonnants…Nous jouons les voyeurs auditeurs dénués de toutes mauvaises intentions, si ce n’est que d’emprunter quelques bribes sonores dans la chaleur d’une nuit d’été pour écrire notre histoire…

Marcher pour trouver des aménités, ce n’est pas refuser l’inhospitalier, c’est lui trouver son pendant, comme une réponse en négatif, un miroir ou un écho généreux. Je me sens souvent comme électrisé par l’immersion auriculaire que je mets en place par la marche, l’écoute, le déploiement d’antennes sensorielles qui vont puiser les sucs invisibles de la cité comme de la forêt. Je me nourris de mille détails qui mettront en branle mon récit.

…Une sente qui s’enfonce dans un espace indéfini, aux lisières de la cité, couloir vert habité d’oiseaux pépiants, espace abandonné, ou pas encore colonisé par l’excroissance citadine, espace fragile, entre les rumeurs de la ville et les abords d’une campagne voisine, entre-deux incertain et de ce fait attirant…

Marcher pour se sentir vivant, les corps animés d’une jouissance à pousser les pieds et les oreilles vers les frontières du tangible, de l’audible, vers d’autres corporalités en mouvement, vers l’in-habitude chronique des lieux sonifères. L’altérité est comme une rencontre permanente, laissant venir au marchécouteur les rumeurs les plus tenaces comme les douceurs sucrées de sonneries et autres tintements campanaires.

…Une traversée, elle aussi nocturne, d’un très ancien hôpital, des voûtes, jardins intérieurs aux fontaines accueillantes, des charriots qui émergent en ferraillant de ces couloirs enchevêtrés, les ronronnements de distributeurs de boissons, les souffles rauques d’une multitude de ventilations cliquetantes… Une cloche sonne au loin. Une science-fiction estivale, post Tarkoskienne…

La géographie des émotions, des sentiments, n’est pas chose délétère, mais source de plaisirs vagabonds, d’expériences sociales, humaines, affectives, tant avec les lieux arpentés qu’avec les êtres qui les parcourent, habitent, aménagent, racontent…

…Une balade de banc en banc, fabriquant des affûts auriculaires, espace matérialisés où s’assoir devant, au centre, contre, derrière, des scènes sonores dessinent un parcours singulier, des haltes comme des oasis sonores, accueillant le flâneur urbain avec tout l’égard qui lui est dû…

La marchécoute ne peut pas être simple outil d’analyse, d’expertise, carnet écritoire et réceptacle de données, elle doit remuer des émois, exalter des forces vives, riches en sons en couleurs, exacerber des ressentis, peut-être des résistances, comme une symphonie vibrante d’une orchestre chauffé à blanc…

…Une traversée d’un gigantesque marché à Tananarive; tout y est pour moi démesure, l’espace, la foule, les couleurs les odeurs, les sons… Je m’y noie avec au départ une certaine apréhension, puis avec allégresse. J’avale de tout mon corps ce maelström sensitif, ce torrent sensoriel, qui laisse pantois le primo promeneur que je suis, et marquera à vie ma mémoire, aujourd’hui encore stupéfaite…

La Marchécoute doit être une forme d’abandon, d’acceptation de l’imprévu, de l’irrationnel, du trivial, comme objets de surprises tonifiantes. Il nous faut quitter les sentiers rebattus pour les chemins de traverse canailles, ou bien alors avoir un regard/écoute qui va creuser notre connaissance des lieux, jusqu’à lui donner une autre consistance, une autre vie, une perception chamboulée, une remise en question du beau et de ce qui pourrait ne pas l’être, une exaltation de celui qui se défait pour refaire autrement, auraient dit les situs.

…C’est un long tunnel urbain, humide, sauvage, ténébreux, où coule une rivière, où les sons et les lumières paraissent, dans l’étalement, dans la durée, surréalistes, où le corps expérimente le passage avec la curiosité d’un explorateur qui ne risque pas de se perdre, juste de s’étonner d’être là, de vivre ce moment hors du temps où des ombres et des voix flottent sur sa tête, tout étourdi de vivre la ville dans ses dessous cachés…

La Marchécoute doit souder un collectif, ou tout au moins affirmer une action collective, une communauté d’oreilles grandes ouvertes, prêtes à ausculter les recoins du paysage sans a priori discriminant. Un guide écoutant est en mesure de proposer des espaces de contemplations auriculaires, une forme de visite tel un musée de l’écoute en plein-air, où les œuvres seraient sérendipitiennes, ou l’état contemplatif serait accentué par la valorisation d’une esthétique relationnelle – telle que la conçoit et défend Nicolas Bourriaud.

…Plus de trente personnes mirent presque deux heures, en nocturne, pour descendre les pentes de la Croix-rousse, lentement, très lentement, zigue-zaguant, en silence, s’arrêtant, traversant des terrasses de bars, des jardins publics, s’asseyant ici ou là sur des bancs, s’offrant aux regards étonnés des promeneurs croisés, bousculant les ambiances, passant d’ouvertures en fermetures spatiales, de rumeurs en sonorités ténues… Le groupe y résista, se solidifia, fit corps, et oreilles, adopta et partagea un rythme quiet de déambulation, des points d’ouïe mettant en scène le moindre son. Peu de consignes, beaucoup de postures non injonctives, plutôt généreusement proposées…

Je pratique et propose une écoute, ou plutôt une collection d’écoutes manifestes, volontaires, assumées dans un mixage esthético-écologique, ou plutôt écosophique, des cheminements avant tout sensoriels, souvent réfléchis par la suite, des constructions-traces mémorielles ne prétendant pas être la réalité environnementale, plutôt un faisceau de fausses ou de réalités biaisées de subjectivité, et pourquoi pas de pures inventions… Mais je doute que les pures inventions naissent ex-nihilo, le terrain, le vivant, l’arpentage, abreuvent sans cesse les récits, d’autant plus riches si collectifs, s’ils sont notre. Je construis également des collections de chemins, de terres sonores, de promenades, de rencontres, d’échanges, d’autre-parts itinérants, salons à la fois publics et intimes, au bord d’une route, d’un sentier, d’une place, d’une clairière… En duo ou en groupe, l’échange et la partage, le plaisir de faire, de se glisser dans l’espace sonore, y compris silencieux, sont les maitres mots.

Des lieux anachroniques déportent nos habitudes; parkings souterrains, terrasses de hautes tours, tunnels, chantiers, églises, impasses, gares, centres commerciaux, chemins et rivages obscures, forêts en nocturne… Ce sont des lieux de décuplement sensoriels, amplificateurs d’émotions, vecteurs de contemplations, prêtons leurs l’oreille, suivons des guides passionnés de curiosités en marge du rassurant, en marche jubilatoire et communicative…

Si nous considérons que les choses étant ce qu’est le son, il nous faut parfois aller à la limite de perdre connaissances pour remettre à neuf des modes perceptifs décuplés. Cent fois sur ton sentier tu remets ton courage.

A bon machécouteur salut !

A votre sentier !

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Prologue pro podologiste

Au départ, j’avais pensé écrire un texte qui serpenterait dans les idées brassées par les marcheurs, et trop rare marcheuse, lors de notre rencontre Marseillaise, entre faiseurs de sentiers-parcours métropolitains.

Un texte un peu sage, ou pas sage, un passage.

Et puis tout c’est un brin entremêlé. Une incertaine Fédération à venir qui sort insidieusement des sentiers battus, une charte qui prend des chemins de traverse, une rencontre post rencontres, au pied de la gare Saint-Charles, où on re-questionne ce qui  semblait évident.

Les visées se révèlent, a postériori, plus dérivantes que prévues, de l’ordre d’une belle collection d’écritures multiples, sensibles, politiques, esthétiques, sociales, où chaque projet trace à sa façon des chemins singuliers, parfois en devenir, parfois aux lisières du non chemin…

Mais le chacun croise fort heureusement le brassage, et remet en question la singularité-même des projets.

Le chantier en sentier serait-il de l’ordre – ou du désordre, d’un laboratoire d’écritures in situ, ex situ, au foisonnement qui ne craint pas l’inextricable, le fil conducteur indémêlable, aux tracés qui ne sauraient parfois rester en place ?

Toujours est-il que mon projet de texte a cheminé autrement, de façon plus sauvage, b(r)uissonnant, aphorismatique, quitte à risquer le hors-piste.

Pré-texte et texte

C’est à Massalia, l’ancienne et bouillonnante cité, que nous avons été conviés à participer aux Assises Nationales – ce terme par trop statique remet déjà en cause le cheminement, ou propose la pause – des Sentiers métropolitains.

Rencontres, raout, retrouvailles, voire trouvailles, Saint Posium et autre conglomérations urbi et orbi, parfois péri humaines, avec autant de démarches, ou dé-marches.

Justement, des marcheurs, arts penteurs, déambulateurs, et à travers, activateurs écriveurs de chemins post Machado, constituent une brochette de gens qui, au final,  ne savent guère tenir en place.

Ils sont béta-testeurs en chantier, en sentiers, ou l’inverse, .

Ils marchent en maniant le stylo, poétisent, politisent, poëtisent, griffonnent, ont le verbe haut, le pied alerte (polysémiquement), sont agitateurs, Ik(r)éateurs, traceurs, tracteurs, des tracteurs en campagne…

Si bien que nous étions au MuCEM invités à fédérer, peut-être à nous fédérer, métropolitainement parlant, voire charter, voire friser ou oser du manifeste… mais l’heureux doute s’installe au fil des paroles. On re-doute la Grande Redonnée, en s’appuyant hardiment sur des lignes fuyantes, le point de fuite est une perspective paysagère en soi, sans compter des lignes brisées, si ce n’est tremblantes.

On refait le monde, un pied à terre, là où nous habitons, enfin on aimerait le refaire d’un pas qui ne serait pas ricide.

A votre sentier !

Carnets de sentiers, collections de traces partagées.

Sans forcément aligner des rangs donneurs.

On apprend par cours, ou presque, à dé-marcher, sans forcément baliser, des ports en peurs vagues, à l’horizon, où le marcheur n’aura plus pied. Ne restons pas pour autant en rade dans la cité Phocéenne.

Le menu est dense à la carte, au risque d’en perdre le Nord, et ses quartiers. Heureusement les hôtels (du Nord) restent de chaleureux guides, avec leurs bureaux attenants.

En bref, on devient plus sens cibles que prés vus.

Cependant, attention à la marche ! on se dé-file conducteurs, ductiles diraient certains d’entre nous, mais de quoi ils semelles.

Auteurs autour d’une table de dés-orientations pas noramique, l’axe, tout comme le centre, ne font plus toujours ni foi ni loi.

Alors on raconte, on se le raconte (le sentier), on brode, on tri-côtes, en montrant les évidences, les évidements. On invente celles qui le sont trop (évidences), dans le paysage de l’un connu et l’autre pas, de côté.

Traits, points, discontinuités, l’impasse (et l’autre pas), la trace ne fait pas le tracé, et inversement, sans parler du demi-tour ou du rebrousse chemin.

Voix, discours, théorie de la marche en marche, comment restons nous en phase avec le No Made, et le risque du méga pôle éthique.

On peut facilement se perdre en chemin, comme en conjonctures.

Si l’un passe, en silence, l’autre mure murs. Les frontières ne sont pas toujours aussi étanches que le marcheur, grand et généreux ordonnateur universel, le voudrait. Les franchissements parfois risqués, dans un chaotique droit du sol renversé à l’extrême.

Les pieds sur Terre gardons, en prose, en vers,  et contre tout.

De calanques en traboules, d’estuaires en portuaires, les lisières se brouillent, ou se débrouillent au mieux. L’écriture partagée tisse des iles marginaires, archipels et mouvants, entre utopies et hétérotopies. Les gros mots sont lâchés !

Territoires de flous s’il en est !

Chemins faisant, ou défaisant, on trace, on signe, on désigne, mais pas trop, on sonifie, on signifie, ou on tente de le faire. Battre le faire pendant qu’il est chaud n’est pas une posture tiède.

Certains ponctuent le parcours d’abris, nids, où les corps se couchent comme les écrits, en douces performances qui conduisent au rêve, partagé, co-habitatif, reliant des chemins habités.

Bords d’eau et des rivages des rivants.

L’inter se tisse entre des haltes, non injonctives.

Il y a également les ceintures, grandes ou petites, vertes ou noires, qui tentent de circonscrire la cité, barrant parfois la route au marcheur, celui qui n’a de cesse que de transgresser les obstacles, passer et outrepasser, pour relier le disjoint.

Mais les cités comme le marcheur sont indociles, indicibles parfois, à défaut d’invisibles.

Fédérer des marcheurs n’est pas chose facile. Il est toujours un franc-tireur qui vient casser le rythme, fait un pas de côté, quand ce n’est demi-tour; mais c’est là que réside la force,  qui ne nous fait que nous ne croyons guère en l’immobile absolu, quitte à ne jamais boucler la boucle.

Les péripraticiens que nous sommes au final, se rejoignent pour ne pas perdre pied, et résister à la grande route d’une pensée trop commune.

Apologie, podologie, promenadologie sont les semelles du destin cheminant.

Les talons sont mesures d’art d’ares, côtes comprises, et marché, si l’on fait œuvre.

On périurbanise en décentrant le cœur de ville, quitte à s’encanailler du quotidien trivial, caminant en étoiles, en grands huits, en Y, en virtualités des errantes.

Il nous faut chercher les limites pour mieux s’en extraire, ou les repousser plus loin.

Chacun à sa façon, ou en conjuguant nos pas, au risque d’aller vers l’extinction de voies.

Le tracé est-il rang donnable ? Soluble dans la marche ?

Le tracé est-il rassurant, ou somme de fuyantes à la recherche de vérités flux tuantes ? Il peut forcer le trait d’utopies bétonnées, de cités radieuses, ou de tiers-lieux politiquement corrects, ou non.

L’archi texture emboite la cité, comme on emboite le pas d’autrui. Mais le marcheur qui a l’âme pèlerine ne se laisse pas si facilement arrêter pas une mise en boite. Il a besoin d’aires plus vastes et de plus d’air qu’il souhaiterait moins vicié.

L’urbanisme est parfois producteur de chausse-trappes. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il n’est jamais trottoir pour bien faire, mais le terrain est souvent glissant, dans toute l’essence du terme.

Reste à creuser d’autres sillons à fleur d’asphalte, car le marcheur est citoyen, parfois en déplaçant les bornes, voire en les dépassant.

Méfiance, même le marcheur court le risque d’être borné !

Trouver les bords sans être débordés, aurait dit Debord…

GR de rien en réécrivant des prés sentis, ou vers les prés textes, pas toujours échos logiquement fleurs bleues.

Pro-meneur, pro-metteur – en scène, en espace – on conte nos pas super posés, on muse comme à musé. Mais que montrer dans les vitrines sentiers ?

L’entrelacs des sentes montre bien des différences de niveaux, au dessus ou au dessous de l’amer, mais le marcheur résiliant, résidant, résiste mieux aux pires des enlisements. Prendre racine n’est pas mieux que perdre ses racines.

Si le guide a le pied ferme, la ruralité n’est pas trop vacharde, comme traire d’union et pis encore, et pis aller. Le laid peut-être le calcium de nos pérégrinations.

Battre la campagne, sans méchanceté, n’exclue pas la péri-féérie, clin d’œil Nantais.

Périphérie Gonzo, je cite encore, un brin voyeuriste, qui surgit parfois sans prés venir, sujets à banlieues arts, écritures perverses, jouissives ou cathartiques.

Le péril urbain est-il ex-croissance mal ligne. Plus mégapole tumeurs ! Ou tu t’inventes, te réinventes dans l’urgence, comme fée Nixe.

Le syndrome de la grenouille qui périt sans s’en apercevoir, parce que la température de ses eaux ambiantes augmente très très lentement, est-il un symbole d’une décoassance inévitable ?

D’autre part, conter n’est pas duché, ni baronnie, quoique… Les châteaux s’écartent à jouer, pouvant s’écrouler, comme chacun sait. Et pourtant le marcheur s’écarte en corps.

Parler ici, à Marseille, d’écroulement est hélas relié à une funeste actualité, même si je sens la cité à la fois bouillonnante de rage et forte d’une solide résilience.

Le récit n’est jamais si loin du terrain que lorsqu’il y prend sa source, et si proche que lorsqu’il invente, sans vers grogne, le cheminement qu’il va, ou pourra  traverser.

 

Les participants aux Assises : Julie Le Muer, Noémie Galvez, Baptiste Lanaspeze, Philippe Piron, Jens Denisen, Paul-Hervé Levassière, Patrick Mathon, Gilles Malatray, Pierre Gonzales, Fabrice Frigout, Nicolas Maimain, Thibault Berlingen, Yvan Detraz, Alexandre Field, Denis Moreau

 

Suite aux Assises Nationales des Sentiers métropolitains, au MuCEM de Marseille, dans le train du retour, après une discussion impromptue avec Baptiste Lanaspeze au pied de la gare Saint Charles. Le 09 novembre 2018, Ouigo entre Massalia et Lugdunum.

Points d’ouïe, Points de vue, résidences, résistances

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Une résidence artistique est un moyen de s’immerger dans un territoire, ville, espace naturel, ou autres lisières et interstices hybrides.

C’est un moyen de gratter les lieux, d’y imprimer le poids de ses pas arpenteurs, de s’y asseoir aussi, écouteur observateur, à la recherche de balises urbaines spacio temporelles.

Par exemple sur cette place publique, presque tous les jours, à certaines heures, se retrouvent des personnages sur des bancs, souvent les mêmes, moi compris.

Couples, ados, marginaux, retraités, cadres…

L’histoire se tisse, se lit, s’écrit, façon Pérec.

Les rythmes se précisent.

Et de ce fait les espaces.

Sortie d’écoles, flux de travailleurs, une acmé, un apaisement avec la nuit qui tombe; des cycles qui au final ne varient que par de menus événements.

Les sons et lumières entretiennent de réelles accointances.

Les ambiances se précisent aussi, au rythme des jours et de la saison.

La résidence nous offre de nouveaux repères, qu’ils nous faut aller chercher, des rituels, des ailleurs à se construire, des surprises à accueillir.

L’ailleurs stimule la sérendipité qui nous ouvre des portes inattendues.

Ici, des évidences, des récurrences, quasi universelles, des voix, du vent, de l’eau, des flux.

Ici des singularités, des accents, des expressions, des codes couleurs qui changent, des signalétiques du cru, des architectures singulières, anachroniquement entremêlées.

Ici, nous nous re-créons nos propres symboles, dans un lieu où nous n’avons pas (encore) d’espaces qui puissent nous situer fortement dans l’ancrage d’une géographie sensible.

Une résidence, c’est un moment, plus ou moins long, où le temps et l’espace s’offrent autrement. Ils nous permettent à la fois de développer des gestes, des postures, des dispositifs d’écritures nomades, et de nous créer une nouvelle palette de jeux, ou tout au moins de l’élargir, de l’adapter aux contextes, aux ambiances in situ.

L’hétérotopie de Foucault y prend souvent tout son sens, strates de territoires géographiques, esthétiques, politiques, sociaux…

Mon oreille par exemple, procède par une forme de syntonisation, ocsillant entre le paysage intérieur de mes souvenirs, de mes expériences, et le paysage extérieur plus ou moins inconnu, que j’appréhende peu à peu, me mettant autant que faire se peut au diapason des lieux.

Mon œil sans aucun doute en fait-il de même.

Mon corps entier cherche une syntonie où accorder un maximum de fréquences, internes et externes, tendant à vibrer et résonner de concert.

Le dépaysement est pour cela un stimulateur sans pareil.

Une résidence, c’est augmenter une collection de parcours et de sites liés à des expériences sensibles, ici des Points d’ouïe, Points de vue, des parcours sensibles, entre autres choses.

C’est aussi se frotter à d’autres personnes, autochtones ou non, à d’autres pratiques, d’autres connaissances, hybridations.

Un moyen de travailler l’altérité, de pourfendre l’a priori.

De résidence, non assignée, à résistance, quelques pas, sans plus.

Quitte à déstabiliser notre confort bâti sur une série de repères (trop) bien identifiés.

Une résidence, ou plutôt l’enchainement de différentes résidences, nous fait nous sentir appartenir à un monde multiple, complexe, mouvant, si possible accueillant, sans enraciner nos pensées et gestes dans un cocon terreau trop sédentarisant.

 

Gilles Malatray – Texte en résidence à LuXor Factory (Jura Suisse), avec L’artiste plasticienne Jeanne Schmid

Le Locle, Octobre 2018

Des règlements temporels ?

Spirale barrée 72dpi

©dessin Jeanne Schmid

 

Le temps tic

vraiment vrai ?

le temps tac

passe comme il peut

s’écoule comme il pleut

comme il veut

en non fleuve tranquille

il s’ébroue

soubressaute

est compté

mesuré

scandé

montré

montres en main

mécanismes à l’appui

roues âge défilants

chronos féériques

faucheuse irrémédiable

hors loges sécurisantes

balanciers funambules

sur le fil de je ne sais quoi

et de fils en aiguilles

globe-trotteuses

et réveils difficiles

secondes et moi

une minute s’il vous plait

vous n’êtes pas alors

en retards retors sans excuse

pont que tu, elle

nous avançons

ou retardons

dés lors d’été qui n’est plus

dés lors diverses

qui est un tic

qui est un tact

toujours fuyant

tout passe en ses temps dans

passés composés, ou bien décomposés

de rendez-vous manqués

l’heure des traqués

sur des ruines battant la chamade

y’a quelque chose qui cloche

et quand sonne l’heure

la retraite fuyante

vie est, est-ce demeure

le temps l’emporte levant

car l’arythmie nous guette

en cassures métriques

des pas cadencés

des non cas danses

coucou, montre moi

ce qui s’écroule en sablier

ce qui flux en son temps

aiguilles âges des croisements

l’horloge rit toujours

de nous voir retardés

nous croyant en avance

des mesurés sommes nous

m’user du temps

musée du tant

tempus fugit.

 

 

©Dessins Jeanne Schmid – ©Texte et création sonore Gilles Malatray – Résidence artistique le Locle – LuXor Factory – Octobre 2018

 

En écho

https://jeanne-schmid.com/2018/10/16/le-temps-du-locle/

Marcher, parler, danser l’espace Matières/manières d’écoutes

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Le corps est dans l’espace
Il y bouge
s’y déplace
s’y déploie
s’y replie
y prend place
danse
écoute
sensible aux stimuli
réceptacle sensoriel
miroir de soi
de l’autre
d’un iota de ville toujours en devenir
le corps construit sa bulle
il occupe sa bulle
croise celles des autres
les traverse
les modifie parfois
y crée des interstices
espaces privés publics
personnels et communs
intimes et extimes
imbriquements complexes
tissu de gestes physiques
tissu de gestes perceptuels
tissu de gestes relationnels
tissu de gestes conceptuels
l’espace est dans le corps.

 

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La ville comme terrain kinesthésique
arpenter
sentir
se sentir
re-sentir
se protéger
s’ouvrir
entre les entre-deux
les entre-sols
les entre-soi
entre-l’autre et entre autres choses
aller vers ou s’éloigner
tendre l’oreille
prêter l’oreille
bien ou mieux s’entendre avec
une ville un corps autrui
oreille arpenteuse
oreille épieuse
oreille un brin voyeuse
oreille généreuse
oreille voyageuse
oreille cartilagineuse
organe prolongement d’un corps
comme un cap tendu vers
ou aimant sonifère
l’écoute est mouvante
La kinesthésie comme terrain urbanique.

 

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Tout espace est in-carné
à prendre corps
à bras le corps
à corps perdus et retrouvés
de villages en cités
l’oreille au pied du mur
le mur à portée d’oreilles
et le mouvement syncrétique
telle hétérotopie mouvante
cité de sons en friche
rumeurs et signes
magmas et émergences
accrochés au construit
architecture liquide
flux et autres flux
le corps s’y noie
le corps s’y baigne
adapte sa rythmie-cité
aménage sa sur-vie
via les sens chahutés
des résistances salutaires à terre
tout in-carnation est espace.

 

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La marche met en branle
le mouvement architecture
la trajectoire balise
le parcours accomplit
l’espace contraint
l’obstacle stimule
la barrière se contourne
ou donne envie de franchir
la lisière se dessine
comme parfois structure
le sensible y fait sens
le phénomène y apparait
la carte peut guider
ou tracer les traces
ou faire perdre le Nord
à celui qui s’y fie
tandis que l’oreille entre autre
jauge juge repère
l’ébranlement met en marche.

 

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La parole se fait nomade
elle dit
commente
invente
raconte
récite
interpelle
appelle
urbanise
ré-unit
critique
revendique
résiste
va de paire à l’action
réinvente l’Agora
fabrique le récit
les mythes de cités inaccomplies
elle se colle à l’écoute complice
s’encanaille d’emprunts
part du corps racontant
des histoires ambulantes
les propose à autrui
ou en son for intérieur
le mot peut se coucher
sur le grand livre des villes
ou s’oraliser façon griot
le nomade se fait parole.

 

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Aller plus loin que la marche
danser l’espace
lâcher prise
un brin de révolte douce
des corps à l’unisson
des corps frictions
forcer l’union
prendre prises
les aspérités aidant
des contrepoints urbains
les sons comme musique(s)
donnent le la comme le là
façon de chorémarchécouter
les acoustiques s’en mêlent
la ville est corps écoute
réceptacle sonique
spectacle auriculaire
le bruit se fait complice
le groupe crée de l’espace
l’espace soude les contacts
le spectateur peut y emboiter le pas
ou pas
la marche s’organiser autrement
ses rythmes impulser le tempo
en cadences stimulantes
chamboulements urbains
l’oreille se démultiplie
relie la ville au corps
et le corps à la ville
danser plus loin pour aller.

 

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Ce texte est né de rencontres d’ami.es complices de marches/expériences, qui dansent et performent la cité, la traversent autrement, et me donnent l’énergie d’expérimenter encore en frottant mon oreille et battant le pavé.
Lyon, dans la chaleur de l’été 2018

PAS – Parcours Audio Sensibles, carnets de marche

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Le carnet griffonné est-il une forme d’in-carné, in carnet, de la marche parcours, de la marche écoute ?
Les notes et autres relevés donnent-ils chair à un corpus audio kinesthésique, et une certaine matérialisation de déambulations de pieds en cap ?

J’annote les distances, les reliefs, les matières, lumières, ambiances sonores, divagations, hésitations, interrogations, bifurcations, explorations, plus ou moins abouties, comme la matrice d’une mobilité en quête de points d’ancrage.

J’écris l’écoute comme on graverait un interminable sillon, offrant de la place à une mémoire/partition, qui nous permettrait d’innombrables re-lectures audio paysagères, et plus largement pluri-sensibles.

Je couche des mots, jetés en pâture, où des chemins à peine tracés, encore Oh combien broussailleux, qui interrogent de potentiels marcheurs en devenir, quitte à les égarer d’emblée un peu plus encore. Un chemin interrogé est d’ors et déjà une voie possible en construction.

Je m’octroie le droit de re-faire le monde, celui que je traverse de l’écoute, oreille en avant, comme celui que j’aurais pu traverser, ou que je fabrique à contrecoup.

Mes carnets, quels qu’ils fussent, agglutinent des signes à l’âme vagabonde, tentant de mettre de l’ordre dans la marche, dans sa re-présentation, tout comme le promeneur écoutant impénitent en ordre de marche.

Le pied, l’oreille, l’esprit, le corps, entité ou dissocié, contribuent, souvent sans en avoir conscience, à marquer quantité de cheminements perceptuels, envisageables dans leurs multiples déclinaisons.

Mon être, à son corps arpentant, marche-écoute, mais s’écoute aussi, comme il le peut, au rythme de ses pieds et à l’invitation de ses oreilles, traçant des notes caminantes et quasi musicales. Il fabrique ainsi, par carnets interposés, une de ces milles histoires aux trajectoires parfois erratiques. Fixer le rituel, un rituel, de son stylo fébrile.

Les notes griffonnées entassent des particules de monde, qui ne cessent de s’agréger ou de se dissoudre dans l’action capricieuse de la marche.

Entre insatisfaction et apaisement, fatigue et enthousiasme, coucher des signes sur le papier, ou ailleurs, affirme le désir de parcourir encore, des chemins bruissonnants autant que sauvageons, dont une infime partie se laissera au final capturer.

Mon crayon, prolongement des pieds et des oreilles, tente de fixer un marquage, en partie factuel et en partie symbolique, comme le guide facétieux d’un chemin d’écoute, ou d’un chemin tout court, mu par la volonté de tracer la route, un peu plus loin devant.

Carnet de voyage, de point d’ouïe en point d’ouïe

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Mon carnet de voyage, toujours en chantier, est fait de sons et de silences, d’ombres et de lumières, de couleurs et de matières, d’odeurs et de goûts, de visages et de paysages, d’architectures et de natures, de haltes et de mouvements, de trajectoires et d’errances, et surtout, d’une infinité de réminiscences furtives…

L’imprécision chronique d’un réel parcellaire, où le corps et l’esprit semblent pourtant trouver ce qui pourrait faire sens, enracine moult paysages sensibles, complexes, aussi présents que volatiles, dans une mémoire vibrante.

Se nouent ainsi à l’envi, des espace-temps déliés ou entremêlés à l’aune des périples cheminants.

Strate par strate, se compile un mille-feuilles à jamais inaccompli, un sédiment mémoriel où la pensée s’aventure parfois, sans doute pour se rassurer d’être encore bien là, et d’aller de l’avant.

PAS – Parcours Audio Sensibles, tentative de définitions non définitives

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Des mots et des actes, tentatives de définitions contextualisées. Une réflexion lexicologique en chantier, non exhaustive tant s’en faut ! Liste non triée, non hiérarchisée, écrite selon ce qui me venait à l’esprit dans l’instant de la rédaction.

– Écoute : Tendre l’oreille et oreille tendre, se tendre vers et se détendre ici…

– Paysage sonore : Nos lieux de vie, des villes, des forêts, des parcs, des espaces péri-urbains, des sites naturels, entre nos deux oreilles exactement.

– Ensemble : Un groupe de promeneur écoutant à l’oreille solidaire, en synergie de faire avec les autres.

– Parcours : Partir d’un points pour aller vers un ailleurs qui transformera, peut-être, notre façon de voir, et d’entendre, les choses, sonore et autres.

– Ville/cité : Une entité géographique, sociale, territoriale, complexe, que l’on abordera par le petit bout de l’oreillette, ou par le grand, selon les cas.

– Point d’ouïe : un arrêt sur son, un point focal où il fait bon écouter, un espace-temps immobile surprenant.

– Lenteur : Où il faut prendre le temps de marcher et d’écouter sans rien presser, en sentant la présence d’autrui dans chaque geste partagé.

– Partage : Faire ensemble, créer une dynamique collective pour mieux échanger sur nos ressentis, nos émotions, colères, espoirs, désirs…

– Géographie : Une géographie du sensible qui trace des espaces à portée de tympan.

– Société : Des espaces – temps où les communs sont en écoute, voire se construisent en écoutant.

– Marche : Le moteur-même de l’action. un geste kinesthésique, une façon de lire et d’écrire le cheminement, le territoire, de le traverser collectivement et d’en être traversé.

– Repérage : Découvrir des lieux pour en saisir les saillantes auriculaires, les ambiances caractéristiques, se qui nous tire l’oreille.

– Improvisation : Jouer avec l’inattendu, les événements sonores, composer l’espace d’écoute en fonction de ce qui s’y passe, jouer de la sérendipité.

– Corps : Un corps agissant, sensible, émetteur et récepteur, en lien avec d’autres corps, immergé dans une sonosphère vivante.

– Oreille : Le réceptacle de nos petits et grands plaisirs auriculaires, mais aussi de potentiels désagréments.

– Aménités (humaines, paysagères, urbaines…) : Ce qui nous charme, nous met en joie, nous servira de modèle pour embellir notre marche, voire notre vie.

– Nuit : Un espace privilégié pour re-découvrir de l’oreille nos villes et campagnes. Des instants d’apaisement propices à la rêverie de promeneurs solidaires.

– Effets acoustiques : Chercher et jouer avec des échos, des réverbérations, des lieux surprenant nos écoutes.

– Marqueurs sonores : Ce qui fait qu’un espace se révèle singulier, un carillon, une fontaine…

– Sensible : Nos sens en émoi, en éveil, en alerte, en jouissance de l’instant présent, paysage à fleur de peau, d’oreilles, nous sommes des êtres pluri-sensoriels. Développer notre sensibilité pour ne pas rester de marbre.

– Voir : L’œil guide l’oreille, et vice et versa, une complicité/complémentarité bien entendu(e).

– Mixage : L’espace acoustique comme un vaste terrain de jeu, jeu de l’ouïe, parcours en fondues, en ruptures, en glissements progressifs, agrégations sonores, diminution, amplification, zooms… La marche secoue des sons.

– Ambiances : Harmonies ou dysharmonies, atmosphère plus ou moins agréables, fonctionnements ou dysfonctionnement, ce qui nous imprègne.

– Audio : Littéralement, j’écoute !

– Silence : Ce qui permet aux sons de (mieux) trouver les place, espace qui, ou inquiet, poétique ou trivial. Le PAS se fait en silence, pour mieux laisser la place aux sons.

– Oasis : Une zone de calme « naturelle » ou construite, un lieu Agora ou l’échange sera privilégié.

– Récit : De l’histoire qui fait naitre, qui explique, qui transmet, qui charme, à la trace qui conserve en mémoire.

– Traces : Des paroles, des images, des sons, des façon de ré-incarné un geste passé, une action éphémère, immatérielles, ou de la transposer.

– Territoire : Là où la présence humaine se montre, se fait sentir, où l’oreille se socialise (ou non).

– Auriculaire : Une des synonymes d’acoustique que j’aime bien il sonne joliment.

– Mémoire : Ce qui restera en nous d’un parcours, d’une action d’écoute collective, qui peut-être changera notre façon de ressentir les choses.

– Art (sonore) : Une modeste façon de décaler notre regard, notre écoute, notre vision-audition du monde.

– Écologie (sonore) : Sensibiliser, prévenir, conserver (les aménités paysagères), améliorer, prendre conscience d’un patrimoine sonore Oh combien fragile et souvent bruyamment malmené.

– Patrimoine : Des spécificités territoriales et humaines hérités de traditions, de savoir-faire, des cloches, des langues et des accents, des chants et des sonnailles, ce qui fait vie.

– Écho : Un mythe ou un phénomène physique dont je ne me lasse pas, avec lequel j’adore jouer.

– Campanaire : Relatif à la cloche, un objet musical installé de puis fort longtemps dans l’espace public, à défendre envers et contre tout.

– Chemin : Ce qui nous mène à, vers, et aussi ce que l’on construit en marchant, y.

– Poésie : Ce qui nous emmène vers une sensibilité exacerbé, un imaginaire bienveillant, un décalage stimulant.

– Environnement : Ce qui nous entoure, écosystèmes fragiles, agréables ou oppressants, voire hostiles, là où nous sommes à la fois écoutant récepteurs et hommes sonores producteurs, pour le meilleur et pour le pire.

– Philosophie : Ce qui est lié à la sagesse (d’entendre et de s’entendre) à la recherche de clés auditive, à une phénoménologie descriptive du geste d’écoute et de ses sources.

– Hétérotopies : Concept de lieux superposés selon Michel Foucault. Un espace sonore à la fois physique, social, artistique, territoire et paysage en couches.

– Mouvement : Tout ce qui nous empêche de trop prendre racine, met en marche notre corps, notre oreille et notre pensée, nous unis dans une réflexion sociale parfois revendicative, voire résistante.

– Résistance : Ce qui nous évite de tomber dans la pensée unique, l’écoute pré-fabriquée, de résister à la folle accélération du monde, d’accepter l’altérité et l’hybridation pour vivre plus dignement.

– Groupe : Ensemble d’individus potentiellement ou temporairement communauté de promeneurs écoutants, mettent en commun leur énergie et volonté à mieux entendre le monde, et par delà, à mieux s’entendre.

– Chemins de travers : Emprunter des passages inhabituels, décalés, écouter le quotidien le trivial, rompre avec les habitudes des chemins machinaux; mettre du piment dans notre écoute, notre parcours.

– Errance : vagabondage sans itinéraire préalable, utilisation de cartes pour mieux se perdre, et sans doute se retrouver.

– Images : Images acoustiques, visuelles, mentales, tout ce que la promenade écoute peut générer, entre interprétation et rêverie.

– Politique : Au sens premier, qui est partie prenante dans la vie de la Cité, mais peut-être contestataire aussi, marcher/écouter, c’est aussi montrer, questionner, résister, proposer…

– Quotidien : Montrer sous un autre angle (sonore) les richesses d’un dépaysement à partir de nos quotidiens, faire sortir nos trajets d’un geste machinal, ouvrir les oreilles sur le détail comme sur le panorama in-entendu, ou inécouté.

– Universalité : Entendre le Monde comme un vaste chantier d’écoute où se partagent des valeurs universelles, de la voix aux sons des pas en forêt, du vent et de l’eau ruisselante…

– Transmission, apprentissages : Faire passer ses expériences, ses valeurs, ses récits, ses joies et questionnements, donner envie de poursuivre plus avant les chemins d’écoute.

– Promeneur écoutant : Emprunté au compositeur Michel Chion. Dans mon cas, personnage engagé dans une écoute collective, en mouvement, et rune réflexion autour de ce qui fait sens dans nos vie par le prisme, entre autre, du sonore. Atelier our marcheurs entendant à ciel ouvert.

– Installation sonore : Par extension, ou imagination/décalage, considérer que toute écoute peut permettre une posture mentale qui nous ferait considérer le paysage sonore comme une immense installation sonore à ciel ouvert, à 360°, interactive, auto-générative, et plus si affinités…

– Audition/addiction : L’écoute à forte dose peut générer des habitudes addictives dont il fait parfois savoir se dégager our remette les oreilles sur terre, ou les déconnecter de leur activités d’écoutantes forcenées.

– Parole : Source sonore très présente par le biais de la voix. La parole qui précède, qui ritualise, qui fait entrer dans, celle qui suit, qui se libère après une marche silencieuse , qui partage les ressentis, qui exprime son propre parcours et celui du groupe, cette qui aide à conserver en mémoire, celle qui matérialise et parfois combat, ou réunit.

– Postures : Des postures mentales (attention, bienveillance, ouverture, curiosité…) ou physiques, faire ensemble, être guidé (ou guider), s’assoir, tourner le dos à, ausculter, se toucher, s’allonger…

– Plaisir : Un des moteur essentiel pour des parcours d’écoute dont on gardera un souvenir agréable, une impression forte, une envie peut-être de refaire.

– Synesthésie : Quand un son devient forme, couleur, abstraction mentale…

– Transitions : Passer d’un lieu ou une ambiance à l’autre en ressentant les espaces intermédiaires, passer entre, par, dedans, à côté, transiter pour appréhender les vides et les creux, les espaces indéterminés, quasi indéfinis.

– Collaborations : Inviter un graphiste, un élu, un habitant, une danseuse, un musicien improvisateur… à découvrir, faire sonner, élargir ses savoir-faire, hybrider ses pratiques, cultivé une altérité féconde, construite ensemble…

– Acoustique :Tout ce qui vibre autour de nous, colore l’espace, révèle et signe des topophonies, des architectures…

– Acousmatique : Écoute immersive, sans voir les sons, point d’ouïe enfermé qui ne laisse de la place pratiquement qu’à nos oreilles, plaisir et surprises du hors-champ, très fréquent dans l’acte d’écoute.

– Écrit : ce qui peut venir fixer l’écoute, la transposer, la matérialiser via des mots et images mentales, mais aussi substituer au microphone lorsque celui-ci ne parvient pas à faire ressentir le sensible et l’émotion du parcours.

– Questions : Retrouver des questions façon fraîcheur enfantine. Pourquoi le paysage sonore n’existe t-il que s’il y a des auditeurs pour l’écouter ? Pourquoi le chemin n’existe t-il que s’il y a des marcheurs pour le tracé ?

– Synergie : Lorsque la somme de nos énergie amplifie nos capacités perceptives.

– Variations : Sur la base d’un parcours, d’une thématique, explorer les différentes façon de faire, comparer les différentes phases, étapes, modification, ne jamais reproduire à l’identique, une faon d’avancer sans se répéter.

– Contexte : Ce qui entoure la marche, l’écoute. Le lieu de l’action, les circonstances, le climat, l’ambiance, l’histoire, les personnes… Tout ce dont il faut absolument tenir compte pour ne pas dénaturer l’action, mais au contraire la rendre plus crédible.

– Partage : Un élément moteur pour que les PAS – Parcours Audio Sensibles prennent tous leurs sens. Il faut que les expériences et ressentis soient généreusement partagés.

– Guide : Celui qui accompagne, qui montre le chemin, qui imprime l’allure, qui propose des postures, qui sait « sentir » les attentes du groupe et y répondre. Celui qui parfois désoriente et parfois fait se retrouver.

– Sérendipité : Transformer l’imprévu, l’inattendu, l’in-entendu, l’accident, la perturbation en un élément de jeu, de découverte. Rester ouvert à tout ce qui peut venir modifier le parcours et s’en servir comme une nouvelle richesse. Une forme d’improvisation positive.

– Rituel : Ce qui permet d’assoir une base reproductible et rassurante. Mise en condition, mise en marche, offrande et cérémonie de l’écoute, inauguration de points d’ouïe…

– Relationnel (art /esthétique) : Le fait que le faire ensemble soit plus important que la chose faite. Une œuvre immatérielle, construite sur des relations avant tout humaines.

– Nature : Un espace naturel, la nature des chose. Question d’origine. ce qui se fait tout seul (nature) face à ce qui est fabriqué (culture). Un son naturel, culturel, résiduel, conceptuel, hybrides ?

– Couleur : Ce qui donne des aspects singuliers aux sons, des timbres, des chaleurs, des éléments reconnaissables,identifiables.
– Humanité :

– Sens : Le sens de la marche, géographiquement parlant, ou la recherche de définition, de justification, d’un forme de philosophie ambulante, nomade. Les sens qui nous font aborder le paysage sonore comme une construction sensible, pluri-sensorielle.

– Culture : Ce qui fait qu’un son ne sera pas forcément le même ici ou là, que ces perceptions, jugements de valeur, appréciations esthétiques varieront beaucoup. L’écoute et la perception auditive st éminemment culturelle. On peu t également parler de culture de l’oreille lorsque l’écoute est développée comme un apprentissage visant à améliorer l’acuité auditive, sa (re)connaissance des sources. Le chemin de campagne n’a rien de naturel, u-il est construit à travers champs et bois. Comme la campagne aménagée, l’environnement est donc culturel. Quand aux sons… 

– Inauguration (de points d’ouïe) : Une cérémonie officielle, publique, discours et moment d’écoute à l’appui, certifiant un Point d’ouïe comme un site reconnu, identifié, cartographie, renseigné. Un repérage préalable, souvent public, aide à le choisir, à l’aide d’une série de critères esthétiques et sensibles.

– Nomadisme : Ce qui met le promeneur écoutant en mouvement, évite qu’il ne s’enracine dans un paysage trop figé par l’habitude.

– Dépaysement : Un changement plutôt positif, stimulant, à l’inverse du « Mal du pays », dans notre façon de voir les chose, d’aborder un territoire inconnu. A lire le superbe ouvrage de Jean-Christophe Bailly « Dépaysement, le voyage en France »

– Empathie : Entrer et rester en contact avec autrui, et les territoires explorés… Ne pas se faire engloutir par l’émotionnel mais néanmoins, le cultiver comme une émulation créative, et généreuse.

– Bruit de fond : Une masse résiduelle, arrière-fond sonore peu ou pas maitrisée ni contrôlée, un brouillage assez désagréable et perturbant dans son invasion chronique et parfois hégémonique.

– Kinesthésie : Le corps en marche, dans l’espace public, dans l’espace humain, dans un forme de danse, le monde ressenti comme une expérience toujours en mouvement.

– Itinéraire : Se tracer un chemin à suivre tout en sachant que l’on pourra s’en éloigner parfois, bifurquer, hésiter, prendre la tangente…

– Tourisme (culturel) : Visiter en s’imprégnant du patrimoine des langues, des coutumes, des savoir-faire, des sonorités intrinsèques… Mais surtout sans envahir, sans dégrader, sans imposer une présence, une idée, surtout dominante, un préconçu….

– Identité (sonore) : A l’origine, ce qui est identique. Aujourd’hui, surtout ce qui est identifiable, reconnaissable – la cloche, la fontaine, l’écho de la montagne… Des sons et ambiances dans lesquels on se reconnait. Mais attention aux dérives phobiques et excluantes !

– Zoom : Objectif à focal variable, grossissement et dé-grossissement. Se rapprocher d’un son, coller l’oreille à, focaliser un point d’ouïe, isoler, user de la parabole (acoustique)… Tout un monde de micro sonorités inouïes…

– Plans (sonores) : Étagement spatial du plus près (1er plan), au plus loin (rumeur), avec tous les intermédiaires selon les lieux. Mais les sons bougent très vites, s’éloignent, se rapproches, plans mouvants, fugaces, qui peuvent brouiller les carte de l’écoute. Ne restons pas en plan, en tous cas pas systématiquement. Sans parler des bons plans qui se révèlent parfois des mauvais plans…

– Signal : Signe ou geste convenu pour montrer, alerter, déclencher… Sonal, bip, sirène, cloche… Signaux informatifs, de préférence qualitatifs. Signal sur bruit (rapport), rechercher la qualité d’une information qui se détache du bruit de fond, très utile e milieu urbain.

– Scénario : Construction, trame, qui permet, si tout ce passe bien, de raconter, de montrer, de faire entendre, de mettre en scène, à portée d’oreilles, une histoire. Évitons les scénario catastrophes.

– Carte/cartographie : La représentation, ou les procédés représentatif d’un territoire géographique donné, avec la mise en exergue parfois de ses spécificités (dont les sources sonores). Carte mentale, du sensible au subjectif. Outil pour (moins) se perdre. Approche audio-géomatique en chantier.

– Enregistreur : Ce qui sert à enregistrer, à capturer à conserver des données, en un instant T et un lieu donné. Appareils, microphones, pas si objectif qu’on veut bien le dire, l’oreille reste la grande cadreuse. Parfois impuissant à retranscrire la charge émotive que l’on croyais capturée. Les mots peuvent perdre le relai si nécessaire.

– Field recording : Enregistrement in situ, de terrain, de choses existantes, issue à l’origine de la volonté de garder des traces ethnographiques (langues, chants…) et audio-naturalistes (espèces animales menacées). Également sources inspiratrices de paysages sonores.

– Sources (sonores) : Ce qui sourd de, l’eau, de la terre à l’origine. Ne pas confondre ici l’état de surdité et le verbe sourdre. Ce qui nous fait identifier un son par son producteur, son origine. Ce qui ne coule pas toujours de source à l’oreille.

– Décalages : Écart temporel, spatial, ou perceptif. Créer un décalage poétique par des gestes inhabituels, écoute de lieux où l’oreille n’as pas coutume à s’y frotter. Le décalage est bien souvent ce qui permet de vivre plus fortement une action, et de la mémoriser à plus long terme.

– Flux : Déplacements, dans un même sens, de données, de personnes, d’objets, de fluides, de sons… Attention de ne pas se laisser emporter, il faudrait parfois aller à contre-courant, mais pas si facile que cela !

– Coupures (effet de) : Brusque changement dans une ambiance acoustique, généralement disparition ou affaiblissement important et rapide. Il suffit pour cela qu’une source s’éteigne, ou de tourner à l’angle d’une rue, d’un bâtiment… En urbanisme, nous trouvons aussi un effet de coupure, mais en général beaucoup plus préjudiciable. Voie de circulation coupant une ville, un quartier…

– Dispositif : Agencement d’éléments, matériels ou non, pour mettre en scène, en pratique, un parcours, une écoute, une pédagogie, une installation sonore…

– Création sonore : Composition, installation, performance, à dominante sonore, mais non musicale, ou au frontières (imprécises) de…

– Soundwalk : L’équivalent anglophone des balades sonores, promenades écoute, et pour moi, une des formes des PAS – Parcours Audio Sensibles.

– Radio/radiophonie : La radio est un incroyable écran sonore. Terrain de jeu, d’exploration sonore, de diffusion, boite à images sonore, je ne cesserai de défendre ce média, lorsqu’il n’est pas trop médiatiquement instrumentalisé.

– Technologie : Des outils et des techniques qui, lorsqu’elles se font transparentes et ne prennent pas tout l’espace, sont d’incontournables leviers de création, même si parfois on peut faire sans.

– Casque : Dispositif et espace de diffusion intime (trop ?), permettant d’emmener des sonorités nomades au ras les oreilles. Parfois objet d’isolement, parfois prétextes à de beaux parcours d’écoute, parfois destructeurs de tympans… Personnellement, je limite drastiquement son usage. J’utilise aussi des casque anti-bruits plus ou moins trafiqués.

– Microphones : Matériel entonnoir à la base de la captation sonore, permettant de nombreuses techniques de prises de son. Ce qui, côté matériel, remplacerait nos oreilles. Enfin, l’émotion et les filtres psycho-acoustiques en moins.

 

Gare aux oreilles, un point d’ouïe, un banc d’écoute, une liste

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Des pas et des pas
beaucoup de pas
discrets ou claquants
assurés ou hésitants
rapides ou flâneurs…
Des voix et des voix
beaucoup de voix
féminines et masculines
Jeunes ou matures
dans différentes langues
différentes accentuations
des voix annonceuses aussi
microphoniques et amplifiées
des trains au loin
à gauche, au-dessus du talus entr’aperçus
grondant et ferraillant par intermittence
klaxonnant vivement
ponctuation virulente déchirant l’espace ferroviaire
et nocturne de surcroit
des métros chuintant en dessous
s’arrêtant puis repartant cycliques
des bips de composteurs véloces
stridences aigus sur bruit de fond magmatiques
des portes coulissantes
feutrées feulantes et sans claquement
et d’autres portes sésames
soumises aux cliquetis des tickets approuvés
parfois une sonnerie rageuse
bad compostage ou hors délai
puis un balai effleurant les dalles
en traquant l’immondice
un charriot cliquetant
des bruits de papiers froissés
de bouteilles jetées
decrescendo avec la nuit tombante
un apaisement gradué s’installe
des bus qui s’arrêtent tout près derrière la vitre
des portes qui s’ouvrent alors
des flux de pas et de voix en déferlantes
puis un relâchement détente résiliant
un calme envahissant qui revient
les espaces qui ’apaisent discrètement
les voix au loin encore
se perdant dans un enchevêtrement de réverbérations
un bébé braillard s’égosille
un curieux effet d’écho
au fond d’un long couloir vitré et obstinément dallé
deux enfants passent en trombe
de l’énergie dans les voix
de l’énergie dans les corps
des boules de vitalité
bousculant la presque somnolence des lieux
avant que de lui rendre
la sirène d’une escouade policière
parcourant furieusement les quais
une valise à roulette fait chanter le jointoiement des dalles
scansion entêtante qui marque son trajet indécis
crescendo decrescendo chaotiques
et vis et versa entremêlés
jusqu’à l’extinction lointaine irrémédiable
un tintement de clés des gardiens médiateurs
le vacarme oh combien envahissant
d’un rideau de fer qui coulisse en grondant
en fermeture d’un commerce fatigué
une gare toute aux oreilles en somme
sa multiplicité
ses acoustiques
ses activités
ses passagers
ses objets
fixes ou ambulants
ses ambiances changeantes
ses paysages forgés par l’écoute postée autant qu’obstinée
des scènes remodelées par les mots du récit adjacent.

 

 

Points d’ouïe, un abécédaire

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En écho, en lien hypertextuel à un précédent article « Parcours et paysages sonores, des oreilles, des pas et des mots », traitant des rapports des PAS – Parcours Audio Sensibles et de l’ écrit, des procédés littéraires, voici un exemple d’abécédaire.
Dans une forme d’écriture quasi spontanée, d’élan instinctif, cet abécédaire n’est ni achevé ni parfaitement maitrisé. Il est un exemple parmi bien d’autres possibles. Il est un renvoi d’un texte à l’autre, dans un jeu de miroirs où le mot s’associe aux gestes d’écoute, de marche, et à des formes un brin oulipiennes de réflexions socio-acoustico-littéraires. Il est mien et peut être autre.

Mais commençons par le commencement, et suivons le programme à la lettre !

A – Audio (j’écoute) – Auriculaire – Acoustique – Admiration – Aménités – altérité – actions – anthropocène

B – Bruit – binaural – brisures – basses

C – Calme – couleur – colimaçon – créativité – colère

D – Densité – désinence – destination – drôle

E – Écoute – écho – éclats – extinction

F – Force – fragilité – fixation – fuite – fabrique – fête

G – Grâce – gêne – généralités – grelot – glissement (glissando)

H – Heurts, histoire – heuristique – Hululement

I – Indice – identité – incidence – irréversibilité – icône

J – Joie – jaillissement – jeux – je – justesse – juxtaposition

K – Kilowatt – kaléidoscope – Kermesse – Kant

L – Limite – lancinante – litanie – littérature – labial

M – Mouvement – micro/macro – musique – mixage – mort – monodie – mélodie marche

N – Nuisances – nuit – narration – neutralité – noir- neurones

O – Organisation – originalité – organisme – obsession – ouverture

P – Paroles – paysages – puissance – paix – phénomène – pluri – partage

Q – Quotidien – quiétude – quantitatif – qualitatif – quoique

R – Repos – ressac – rythme – résistance – résilience – récit

S – Silence – saturation – société – secret – suspension – soi-même

T – Timbre – ton – tension – tonicité – ténacité – terminaison

U – Uniformité – unicité – uchronie – utopie – ultime

V – Voyage – vie – vélocité – variantes/variations – versatilité

W – Web – Wiki – workshop

X- X/inconnu – xylophone – xénophilie

Y – Yoddle – Y avait-il ? – Y a t-il ? – Y aura t-il ?

Z – Zéro (absolu ) – zones – zénitude – zygomatiques

Réminiscence en marche

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C’était une fin de soirée,
c’était une fin d’été
une chaleur tenace
C’était un rendez-vous
des marcheurs
des arpenteurs
des diseurs
des écouteurs
et des marcheurs encore
et en corps
des mouvements, pérégrinations, déambulations
de jours comme de nuit
des collines tranquilles
des fruits mûrissants
des bâtisses de pierres séculaires
une collégiale marquant le centre
un vieux lavoir blotti dans un espace verdoyant
des chats félins de pierre également
ou de chair d’os et de poils vivants
prolongement d’une légende gravée
dans une histoire de délivrance

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c’est un carrefour pérégrinant
axe vers  Compostelle
La Romieu nous accueillait
c’est en pré-ambulation
une silhouette blanche, diaphane
qui nous offre la lenteur d’une marche extatique
partagent des offrandes sur la place publique
dans un silence posé sur la chaleur déclinante
trajet tout en douceur
éloge de la lenteur
les murs sont frôlés
les pierres caressées
nous suivons ce chemin, et cette ombre blanche
traversons le village en cortège quasi religieux
le temps s’étire sereinement
prendre le temps de marcher
marcher pour prendre le temps
guidés par une silhouette butoïste
tout au bout du village
tout au fond d’une allée
derrière une porte de bois
c’est ici que nous avons été guidés
pénétrons
installation
des toiles colorées, organiques, suspendues
des fils de couleurs organisent ou brisent l’espace
des images fluctuantes s’accrochant ça et là
des reflets miroitants, univers mouvants
des chemins tracés de moirures organiques
entre lesquels nous nous faufilons prudemment
des aquarelles d’itinérantes labyrinthiques
des nappes sonores, aquatiques, à fleur de tympans
des prolongements de la marche en quelque sorte
une étape, ou bien une arrivée, ou bien un oasis, ou un nouveau départ
pèlerinage spirituel autant que silencieux
vision intime d’Isabelle la marcheuse, traces d’un narrateur subjectivant.

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Vendredi 16 février, un TGV filant entre les brumes d’un jour levant, quelque part en Lyon et Paris, des mots à la volée

Point d’ouïe, vers une phénoménologie de l’écoute paysagère

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Apprendre, décrire, ressentir, percevoir

Je me pose régulièrement la question de la transmission, de la retransmission de Parcours Audio sensibles, du partage d’expériences, et de la réflexion qui pourrait emmener mes marches un peu plus loin, au-delà de la marche-même.

Le travail de Maurice Merleau-Ponty, autour de la phénoménologie de la perception amène incontestablement quelques gouttes d’eau à mon moulin. Et justement, l’une des énergies faisant du moulin un puissant moteur, c’est bien l’eau.


Chercher l’essence – de l’écoute, du paysage, de l’écoutant, des sens-sensations, des rapports intrinsèques entre eux…, décrire en profondeur, minutieusement, replacer le corps, ses membres-extensions sensibles, sa propre proprioception comme vecteurs d’expériences d’écoute in situ, penser la corporéité, le langage, le caractère complexe de la sensation… Autant de fils à saisir, à tirer, à démêler, à entremêler, à tisser.

 

J’ai également, pour alimenter cette réflexion, relu un texte de Brian Eno, faisant implicitement écho à la notion phénoménale de l’écoute, que je vous livre ici.

« Il y a une expérience que j’ai faite. Depuis que je l’ai faite, je me suis mis à penser que c’était plutôt un bon exercice que je recommanderais à d’autres personnes. J’avais emmené un magnétophone DAT à Hyde Park et, à proximité de Bayswater Road, j’ai enregistré un moment tous les sons qui se trouvaient là : les voitures qui passaient, les chiens, les gens. Je n’en pensais rien de particulier et je l’écoutais assis chez moi. Soudain, j’ai eu cette idée. Et si j’en prenais une section — une section de trois minutes et demies, la durée d’un single — et que j’essayais de l’apprendre ? C’est donc ce que j’ai fait. Je l’ai entrée dans SoundTools et j’ai fait un fondu d’entrée, j’ai laissé tourner pendant trois minutes et demie, puis un fondu de sortie. Je me suis mis à écouter ce truc sans cesse. Chaque fois que je m’asseyais pour travailler, je le passais. J’ai enregistré sur DAT vingt fois de suite ou quelque chose comme ça, et donc ça n’arrêtait pas de tourner. J’ai essayé de l’apprendre, exactement comme on le ferait pour une pièce de musique : ah oui, cette voiture, qui fait accélérer son moteur, les tours-minute montent et puis ce chien aboie, et après tu entends un pigeon sur le côté là-bas. C’était un exercice extrêmement intéressant à faire, avant tout parce que je me suis rendu compte qu’on peut l’apprendre. Quelque chose d’aussi complètement arbitraire et décousu que ça, après un nombre suffisant d’écoutes, devient hautement cohérent. Tu parviens vraiment à imaginer que ce truc a été construit, d’une certaine façon : « Ok, alors il met ce petit truc-là et ce motif arrive exactement au même moment que ce machin. Excellent ! » Depuis que j’ai fait ça, je suis capable d’écouter beaucoup de choses tout à fait différemment. C’est comme se mettre dans le rôle de quelqu’un qui perçoit de l’art, de décider simplement : « Maintenant, je joue ce rôle. »

(Brian Eno, cité in David Toop, Ocean of Sound, pp. 165-166.)

Brian Eno se pose la question de l’apprentissage d’une séquence sonore, non musicale, où les sources seraient des « thèmes », des motifs, où la construction d’un univers a priori non organisé musicalement, non composé, se re-construirait au fil d’écoutes mémorisant et décrivant, jusqu’à trouver au final une cohérence liée à la signature de l’écoute minutieuse. Exercice qui permet de passer logiquement de la captation à l’écoute, puis vers une analyse structurante, compositionelle, donnant au final du sens à notre écoute.

Il s’agit là d’une  façon expérientielle pour poser une écoute pragmatique, inhabituelle, sans doute sur les traces de Raymond Murray Schafer et de Max Neuhaus. Il nous faudra pour cela nous s’astreindre à l’exercice de mémoriser une tranche de paysage en écoute, avec ses composantes, ses ruptures, transitions, ses ressentis. La phénoménologie versus Ambiant Music, façon Brian Eno en quelque sorte.

 

Pour revenir à la phénoménologie « historique » de la perception, une expression de Merleau Ponty trouve chez moi un écho assez fort via « notre contact naïf avec le monde », qui implique « l’être présent et vivant » (dans l’exercice de la perception du monde). Ceci étant, au-delà d’une naïveté novice, évitant des a priori trop enfermants, le travail archéologique autour de la sensation, conduit par le philosophe, nous emmène du terrain « naturel » vers un cogito renaturant, réinterprétant. Cette fouille intellectuelle autant que physique, exigeante, me pousserait entre autre à sans cesse décrire et écrire mes expériences corporelles, sensorielles et perceptives. Peut-être à les partager également. C’est là sans doute un travail acharné et de longue haleine, voire de longue-ouïe, qu’il me faudrait mener plus en avant, pour emmener modestement mes PAS à percevoir un peu plus loin que de la sensation, du ressenti, des aménités paysagères, mais vers la perception du sens-même, comme l’a remarquablement fait et explicité Maurice Merleau Ponty.

2018, paysage sonore arpenté et autres utopies

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Je vais faire en sorte d’avancer d’un bon pas
croisant sur mon chemin des personnes que j’aime
d’autres que je découvrirai, j’ai hâte, dans l’action,
dans le geste et la parole réciproques
partageant avec eux des routes incertaines
des idées à défricher de concert
à tracer de l’oreille toujours insatiable
et de nos corps kinesthésiques
être dans leur pas ou bien modeste guide
l’oreille en sentier, l’oreille en chantier, l’oreille enchantée
des points de vue et des points d’ouïe
des lignes de vie, lignes de fuite, en perspective
des croisées de chemins pour tenter de se perdre
pour égarer la certitude d’un tracé par trop tracé
la sérendipité comme un attrape-rêve d’inattendus,
comme un cueilleur fidèle d’in-entendus
un ou deux pas de côté pour sortir des sentiers battus
un chemin de travers(e) pour contourner les idées rebattues
des écritures multiples, forgées d’aménités paysagères
inspirées de rencontres fertiles d’humanité
des forêts traversées telles d’initiatiques démarches
les frontières et lisières incertaines voire  piétinées et confondues
franchissables sans heurts violentant le droit du sol
les itinéraires qui deviendraient paradoxalement  errances
et vice et versa nous perdant pour mieux nous retrouver
des cartes qui n’en feraient sensiblement qu’à leur tête
des obstacles qui, de gré ou de force, nous confortent le pas
des détours d’horizons qui nous échappent encore,  et toujours
des altérités sédentaires comme d’autres en mouvement, ou bien en alternances
une société parcourue à fleur de pieds librement vagabonds
leur plante qui ne s’enracine que pour mieux repartir
des postures, de pied en cap, à oreille comprise
des récits dignes des plus beaux clochards célestes
et de ceux qui sont restés rivés aux solitudes terrestres
des road-movies qui tracent et filent vers des espaces fuyants
des empreintes éphémères modestement effacées de résilience
des balades entre chiens et loups, où on ne sait plus qui est qui
dans l’obscurité bienveillante d’un entre-deux fertile
des espaces temps ou l’imaginaire s’exalte
des communautés de marcheurs soudés de nomadisme
des cités aux contours flottant entre béton et jardins
de grandes avenues et d’infimes intimes passages
des oasis de calme et des agoras bavardes
des mains comme des oreilles, tendues
des escales dans des ports bien sonnants
où jeter l’encre noire ou bleue, écritoires de nos pérégrinations
des labyrinthes en colimaçons complices et complexes
une boussole effervescente qui parfois perdrait le Nord
des bancs havres de paix, refuges d’urbanité,
accueillant nos plus folles rêveries urbi et orbi
des envies de lenteur comme décroissance prospère
un logis planétaire bien ancré, autant que rhizomatique
des hôtes bienveillants, avec qui refaire généreusement le Monde
un arpentage salvateur pour se mesurer à soi-même, comme à l’autre
une ligne droite qui n’est pas toujours, tant s’en faut, le meilleur des chemins
il nous faudra également combattre des exodes planifiés, à l’échelle de la barbarie
des migrations qui marchent hagardes d’atrocités
sur les routes d’une terre qu’on épuise à grands pas
accepter de ne pas toujours connaître le bon sens de la marche
mais ne pas renoncer à en chercher sans relâche l’essence vitale
avancer toujours pour ne pas tomber dans le piège du hiatus
forger des utopies sans fin vers lesquelles sans doute, on titubera
rien ne sert de courir, il faut marcher à point
rien ne sert de courir, il faut marcher ensemble.

 

 

 

PAS – Parcours Audio Sensible – Où il s’agit de faire entendre le dépaysement

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© Photo Philippe Joannin

Il s’agit de faire entendre les angles morts d’une ville labyrinthique, d’une forêt non balisée, des abords d’une rivière sinueuse, et d’autres lieux tout aussi imprévisibles.

Il s’agit de faire entendre des lieux que les cartographies ignorent parfois, tout au moins dans des interstices et la mouvance de tiers-espaces (temps) transitoires.

Il s’agit de faire entendre des espaces a priori sans histoire, sans saillance manifeste, des territoires occultés, inécoutés, dans et par leur apparente trivialité.

Il s’agit de faire entendre une forme de paysage sonore vernaculaire, dépourvu de tout artifice ostentatoire.

Il s’agit de faire entendre des points d’ouïe non spectaculaires, en les considérant avec précaution, comme une série non figée, non définitive, de points estimés*

Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre la surprise.

Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre le dépaysement.

Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre la rencontre.

* « On appelle point estimé celui qui donne la position d’un bateau par le fait d’un jugement prudent, ou de données dans laquelle entre une grande part d’incertitude »
Gabriel Ciscar, Cours de navigation – 1803

 

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©Photo Philippe Joannin

Sounds Automn leaves

Ces derniers jours, sous l’effet d’une saison où se raccourcissent rapidement les jours, et où le vent du Nord vient s’enrouler, parfois sans ménagement, dans les arbres qui se déplument, l’espace sonore se teinte d’automne. Dans les allées tranquilles d’un parc urbain, un crépitement de feuilles tombantes nous entoure, de gros papillons marrons/ocres qui viennent tapisser le sol. Le vent pousse ces objets bruissants sur l’asphalte des routes, en les faisant joliment chuinter. Nos propres pas rythment nos déambulations, sur des tapis de feuilles qui crissent sous nos pieds. Petit concert urbain annonçant (peut-être) les frimas à venir.

 

L’image contient peut-être : arbre, plein air et nature

En PAS, ceux d’être

 

 

Je suis un promeneur,

promeneur écoutant,

arpenteur paysageur,

marcheur au gré des sons,

insatiable partageur d’écoutes,

traqueur de choses bien-sonnantes,

guide accompagnateur Desartsonnants,

installateur de micro points d’ouïe,

aménageur de pauses arrêts sur son,

metteur en scène jusque-bruitiste…

 

Petites et grandes oreilles joueuses,

je vous invite au jeu de l’ouïe,

à l’orée du chemin sinueux,

dans la flânerie des grandes villes,

au travers d’amènes villages,

aux confins des forêts séculaires,

au fil des ruisseaux miroitants,

dans de grands parcs labyrinthiques,

au long de murailles circonvenantes,

vers la parole du marcheur devisant,

vers silence de l’écoute partagée,

partout,

portons l’oreille généreuse !

PAS – Parcours Audio Sensible, l’exercice de l’incertitude stimulante

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PAS – Parcours Audio Sensible – Transcultures, École d’arts de Mons (Be) – février 2016

 

Ce qui maintient un projet en vie, ce qui conserve et exacerbe l’envie, ce sont les choses qu’on ne maîtrise pas, ou pas totalement. C’est tout ce qui échappe à notre contrôle, qui peut nous faire tomber les préconçus et habitudes  bridant la poésie du geste, et parfois le rêve tant espéré. C’est tout ce que l’on attend pas, et qui, à chaque instant, joue à nous surprendre, à nous faire connaître des égarements superbes.

C’est le terrain inconnu qu’il va falloir découvrir assez vite, pour ne pas trop s’y perdre, ou bien pour s’y perdre, pour en sentir la substance sensible, au-delà ou en de ça du paysage, de ses sons, de ses apparences, d’ailleurs souvent trop apparentes.

C’est la pluie, le vent, la lumière, la fraîcheur ou la canicule, l’environnement capricieux qui, à chaque PAS, remettent le rythme de la marche en question et la participation même d’autres marcheurs, stimule ou éteint l’énergie de chacun, consolide ou fragmente le groupe.

Ce sont les rencontres, fortuites ou programmées, celles du repérages, celles des marches collectives, celles en marge, qui précèdent ou qui prolongent. C’est de l’humain au corps du projet, avec toutes les interrogations possibles, qui naitrons ou resterons en suspend.

Ce sont les apprentissages des lieux, le fait de se sentir heureusement Candide et fragile, face à des terrains riches, car intrinsèquement semés d’incertitude.

C’est l’itinéraire que l’on trace, que l’on dessine, que l’on projette, que l’on suivra au pas à pas, ou pas, que l’on modifiera à l’envi, au gré des aléas, contretemps, ou joyeuses surprises.

C’est l’événement qui fera qu’au lieu de passer ici son chemin, on s’y arrêtera, brièvement, ou très longtemps, quitte à chambouler radicalement l’ordre des choses.

C’est tout ce qui fait qu’avant chaque nouveaux départ, il nous faudra garder en tête le fait de savoir jouer à l’improviste, d’adapter nos PAS aux caprices des choses, d’aller vers où on ne pensait pas, de rester ouvert, yeux, oreilles, corps en éveil, à toute chose mâtinée de sérendipité; en bref, de se garder  une marge d’incertitude.

 

 

Points d’ouïe et paysages sonores partagés ?

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Construire un paysage sonore ?

Un paysage sonore n’est pas monolithique, Il convoque différentes strates acoustiques, esthétiques, sociales, écologiques, entre tourisme culturel et aménagement, pédagogie et création artistique… Je donne ici quelques approches, qui  peuvent, voire devraient s’envisager comme un tissage de différents gestes et postures.

– Des lieux révélés à l’oreille au cours de PAS – Parcours Audio Sensibles, leurs sources et ambiances sonores, leurs acoustiques et événements…
– Des ateliers d’écoute collective favorisant des échanges sur la qualité, ou les dysfonctionnements de nos lieux de vie.
– Un sujet valorisant la, les mémoires (vivantes) des lieux,des récits de vie liés au patrimoine industriel, aux différentes communautés, ethnies, aux mémoires et traditions locales…
– Une façon de parler de l’écologie sonore, concept et mouvement de Raymond Murray Schafer, de considérer des espaces urbains, périurbains, naturels, comme des lieux où nous devons prôner, conserver, voire aménager des espaces de belle écoute.
– Une approche esthétique conviant des artistes sonores plasticiennes, musiciens puiser dans les sources sonores pour composer, créer des installations sonores in situ… Une représentation artistique liée à un territoire en écoute.

 

Points d’ouïe, vers une éco-écoute sensible, sociale et politique

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PAS – Parcours Audio Sensibles, Points d’ouïe et paysages sonores partagés, vers une éco-écoute sociale et écologique

Dés le milieu des années 80, les rencontres que je fis, notamment avec Elie Tête et l’association ACIRENE, m’ouvrirent tout un champ de pensée, d’actions, que je ne pensais pas alors si durables, voire essentielles aujourd’hui.
C’est à la lumière des travaux de Raymond Murray Schafer que nos réflexions, recherches et constructions se firent, m’engageant d’emblée dans une démarche liée à l’écologie sonore*.
Aujourd’hui, plus que jamais, face à des réels dysfonctionnements, pour ne pas dire dangers qui guettent nos sociétés, tant écologiquement que géo-politiquement, les deux étant d’ailleurs souvent liées, mes simples PAS – Parcours Audio Sensibles, si ils ne révolutionnent pas les modes de pensées et d’agir, s’inscrivent franchement dans une démarche politique et sociale. Ré-apprendre à écouter, à s’écouter, à écouter l’environnement, à sentir ce qui reste en équilibre, ce qui dysfonctionne, ce qui est devenu véritablement intenable, ce qui crée des liens, ce qui les mets en péril, ce qui peut être pris comme modèle esthétique, social, partageable, aménageable… Le monde sonore ne peux plus être, selon moi, pensé dans une seule visée esthétique et artistique. Il nous avertit par des signes ou des disparitions, des hégémonies et des déséquilibre, par une série de marqueurs acoustiques, des dérèglements sociaux et écologiques. La raréfaction des silences, ou tout au moins des zones de calmes, l’homogénéisation d’écosystèmes, l’accroissement des villes mégalopoles, avec leurs sirènes hurlant nuit et jour, la violence des affrontements et des armes ici et là… tout un ensemble d’alertes qui, malgré la résistance d’oasis sonores, nous obligent à considérer notre environnement, et global, comme sérieusement menacé de toutes parts.
Emmener des promeneurs écoutants au travers une cité, dans une zone d’agriculture céréalière intensive, ou ailleurs, c’est forcément les confronter, à un moment ou à un autre, à des situations d’inconfort, et parfois de stress. Les questions qui suivent ces déambulations le confirment bien d’ailleurs.
Sans tomber dans les excès d’une dramaturgie du chaos, un anthropocène omniprésent, on ne peut rester insensible à des phénomènes d’amplification, ou de raréfaction, qui se traduisent à nos yeux comme à nos oreilles.
Le promeneur écoutant, même s’il le souhaiterait bien intérieurement, ne peut plus se retrancher derrière une cage dorée pour l’oreille, territoires idylliques, âge d’or d’une écoute peuplée de chants d’oiseaux, de bruissements du vent et de glouglouttis des ruisseaux.
L’acte d’écouter est bien liée à l’écologie, au sens large du terme, voire de l’écosophie façon Guattari Deleuze, qui décentre l’omnipotence humaine pour replacer l’homme dans une chaine globale. Chaine qu’il faut aborder avec des approches environnementales, sociales et mentales, économiques, si ce n’est philosophiques, donc éminent subjectives et diversifiées. Prendre conscience de l’appartenance à un tout au travers une a priori banale écoute replace, modestement, l’écoutant dans un rôle de producteur/auditeur et surtout acteur de ses propres écosystèmes, fussent-ils auditifs.
La démarche liée au paysage sonore implique que le son soit pensé à l’échelle d’un paysage en perpétuelle construction, évolution. Un paysage où le jardinier aurait pour rôle de préserver, d’organiser sans trop chambouler, de cultiver des ressources locales, de retrouver et de partager du « naturel », d’éviter l’envahissement hégémonique, de préserver la diversité… Imaginons filer la métaphore paysagère et jardinière avec la notion, ou le projet d’un jardins des sons. Un espace abordé non pas comme un simple parc d’attractions sonores ou d’expériences ludiques, mais comme une forme approchant les systèmes ouverts, favorisés par exemple par la permaculture. Un espace (utopique?) où il y aurait des friches sonores, sans pour autant qu’elles soient colonisées par la voiture ou la machine en règle générale, où il y aurait des accointances favorisées, entre le chants des feuillages dans le vent, des espèces d’oiseaux et d’insectes liés à la végétation, les sons de l’eau, liés à des topologies d’écoutes, des Points d’ouïe aménagés de façon la plus discrète et douce que possibles, façon Oto Date d’Akio Suzuki. Appuyons nous sur des modèles « naturels », qui pourraient servir à concevoir l’aménagement au sein-même des villes tentaculaires, alliés aux recherches scientifiques, acoustiques, économiques, dans lesquelles l’écoute serait (aussi) prise en compte d’emblée, comme un art de mieux vivre, de dé-stresser les rapports sociaux. Recherchons une qualité d’écoute tant esthétique qu’éc(h)ologique, en rapport avec les modes d’habitat, de déplacements, de travail, de loisirs, de consommation, de nourriture… Conservons des espaces d’intimité où la parole peut s’échanger sans hausser le ton, ni tendre l’oreille. Il ne s’agit pas ici d’écrire une nouvelle utopie d’une Cité radieuse de l’écoute, bien que… mais de placer l’environnement sonore en perspective avec un mieux vivre, un mieux entendre, un mieux s’entendre, un mieux communiquer, un mieux habiter, ou co-habiter. Il faut considérer le paysage sonore à l’aune des approches économiques, des savoir-faire, de la santé publique, des domaines des arts et de la culture, de l’enseignement et de la recherche, tant en sciences dures qu’humaines. Il nous faut l’envisager dans une approche globale, systémique, où l’humain et ses conditions de vie restent au centre des recherches.
A chaque nouveaux PAS, je me pose, et pose régulièrement et publiquement la, les questions liées aux lieux avec lesquels on s’entend bien, on se sent bien, que l’on voudrait conserver, voire installer, aménager ailleurs. A chaque fois, les réponses sont diverses, même divergentes, prêtant à débat, mais en tout cas très engagées comme une réflexion sur la nécessité de considérer le monde sonore comme un commun dont nous sommes tous éminemment responsables, pour le meilleur et pour le pire.
L’écoute d’un paysage, sans forcément l’ajout d’artifices, le fait entendre ses pas sur le sol, sur différentes matières, sa respiration mêlée au souffle du vent, ses gestes et sensations kinesthésiques qui construisent des cheminements singuliers, intimes, mais aussi collectifs et partageables, sont des prises de conscience de nos corps et âmes éco-responsables d’un environnement qui concerne aussi nos oreilles. Ces gestes de lecture-écriture territoriales en marche, tentent de mettre en balance les lieux où il fait « bon vivre », dans un bon entendement, comme les lieux plus problématiques, plus déséquilibrés. Une des question étant de savoir comment les premiers pourraient sensiblement et durablement contaminer les deuxièmes, et non l’inverse. Comment de ce fait, le politique, l’économiste, l’aménageur, mais aussi le citoyen, peuvent mettre l’oreille à la pâte, dans une action où le son n’est certes qu’une infime partie d’un système complexe, mais néanmoins partie importante pour l’équilibre social.

* https://www.wildproject.org/journal/4-glossaire-ecologie-sonore

 

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Carnet de sentiers

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Le terrain est un immense laboratoire à ciel ouvert.
La marche est un exercice sans cesse renouvelé, un dispositif, un processus à la fois simple et complexe.
La marche est également une création en mouvement, combinée à l’écoute, comme un acte d’écriture sonore indissociablement liée au territoire. C’est ainsi qu’elle franchit le PAS – Parcours audio Sensible.
Avec chaque marcheur impliqué à un moment ou à un autre, dans chaque lieu arpenté, nous œuvrons à construire des pièces singulières, Points d’ouïe spécifiques, esthétiques, vécus en chemins d’écoute.

Les sentiers de l’écoute

Dans un modeste PAS

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Le sentier, ou plus joliment dit la sente, est pour moi une possibilité, une discrète voie offerte, ou à m’offrir, pour quitter l’arrogance de la Cité, l’imposition de la rue, et même la sagesse du chemin, fut-il de traverse.

C’est ainsi une façon de me laisser gagner par une douce forme d’insécurité, que je ressens intérieurement comme féconde et revitalisante.

Sortir des sentiers battus ne me fait pas pour autant emprunter les sentiers de la guerre, tant s’en faut !

Sentir n’est pas forcément parcourir le sentier, même si cette idée qui m’effleure, faussement étymologique, ne m’aurait pas déplu, bien au contraire !

La sente, étymologiquement Semina, n’est pas sans me rappeler la semence, la fertilité, comme une modeste mais généreuse offrande au corps et à l’esprit.

L’arpentage de multiples sentes m’a fait, et me fait encore, découvrir quantité d’infimes parcelles de paysages. Paysages qui m’échappent sans cesse, s’estompant au détour d’un buisson foisonnant, d’un muret moussu, d’un jardin abandonné, et filant vers d’autres espaces replis, où mon oreille-même peut s’en trouver surprise, désarçonnée dirais-je innocemment.

Si la sente existe bel et bien, le verbe senter n’a pas que je sache d’acception, alors que, par le jeu de l’homonymie, il crée, par cette facétie, une relation des plus intéressantes.

Le sentier me fait prendre de travers de vagues terrains ou des terrains vagues, avec parfois la poétique du vague à l’âme, un quasi effet Wanderer, qui pourrait m’entrainer en des terrains à peine défrichés, donc à peine déchiffrés. Un PAS de côté que je fais et refais à l’envi

C’est alors que je me rends compte qu’il me reste tant de choses paysagères à lire et à relire, pour mieux pouvoir les écrire, dire et redire.

La sente me met également à l’épreuve de l’intime, de mon intimité, quitte à accentuer positivement mes propres indécisions, incertitudes et contradictions.

Son étroitesse sinueuse ne m’offre souvent que des perspectives restreintes, me ramenant à jouir de l’instant présent, sans autre motivation qu’un plaisir immédiat – Carpe Diem (quam minimum credula postero), pour m’échapper un moment au stress ambiant in progress. Lui échapper n’est pas cependant le fuir.

Et en ce qui concerne mon écoute, mon écoute en sentier, je tente de la contenir humblement aventureuse, pour éprouver, ou opérer la syntonie de discrets espaces, tout à la fois physiques et mentaux.

Dans un infime craquement, ruissellement, chuintement, le paysage en sentier s’accommode de peu, voire fuit sans détours l’exubérance sur-enchérissante.

Je retrouverai celle-ci au premiers détours de la ville, car paradoxalement, elle me manquerait bien vite, et je fais là un grand écart assumé.

Néanmoins, emprunter un sentier me fait me retrouver au cœur d’un paysage, y compris sonore, en règle général paisible, sans trop d’artifices, qui me replace, dénudé d’une pesante vanité, dans une chaine bien vivante. Et c’est dans cette chaine complexe, que la sente contribue à me rappeler, régulièrement, le fait je ne suis in fine qu’un très modeste et infime maillon, promeneur écoutant impénitent.

 

Point d’ouïe – Les flâneries d’un promeneur solidaire

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Marcher, même seul, même sans but annoncé, est pour moi un geste éminemment social
Pour cela il me faut
Sortir de ma boite, de mon appartement, de mon cocon, prendre l’air, prendre l’air du temps, l’air de rien, et surtout l’air non conditionné
Faire corps, de pied en cap, avec le monde qui m’entoure, ma ville, mon quartier, mes espaces investis d’écoutes
Regarder au long cours, mon quartier, ou d’autres qui n’en finissent pas de se transformer, en démolitions – reconstructions – requalifications, avec de nouvelles rues, de nouveaux parcs, de nouveaux magasins, de nouvelles personnes, et moult espaces et bâtiments qui s’effacent, pour laisser place à d’autres, ville chantier, ville tentaculaire
Instaurer des sortes de rituels spatio-temporels à mes PAS – Parcours Audio Sensibles, mais aussi en faisant mes courses, ou en flânant tout simplement
Regarder, sentir, apprivoiser là où je vis, ou ailleurs, les aménités et dysfonctionnements, les apaisements et crispations, les transformations et résiliences
Oser se croiser, se regarder, s’écouter, se parler, s’humaniser urbaniquement, un peu plus encore,
Aller à ma propre vitesse, et à celle des passants non pressés, de mes sensations, sans forcer la marche, dans une forme de décroissance pédestre et mentale assumée
Ressentir des paysages tracés par la relation kinesthésique le mouvement de nos corps arpentant l’espace public
Déambuler de concert, tout en devisant de tout et de rien, façon refaire le monde, ou dans un silence partagé
Saluer des inconnus, leur sourire, au détour d’un parc, d’un sentier, d’une ruelle, et pourquoi pas d’un boulevard, d’une place publique, ou d’une avenue
Sortir des sentiers battus, se surprendre, se laisser surprendre, ou surprendre, par des trajectoires inhabituelles, des écarts poétiques, des gestes décalés, de drôles de situations voire des situations drôles
S’encanailler dans les délaissés touristiques, les recoins de la ville non patrimoniale, non monumentale, en tout cas hors d’une historicité visiblement répertoriée et valorisée en tant que telle
Partager des histoires, des tranches de ville, ou de vie, des récits d’expériences, mais aussi des repas, pique-niques, grignotages dans l’herbe d’un parc, ou sur des bancs, y compris entre deux périphériques
Faire œuvre de pédagogie, transmettre au PAS à PAS, l’écoute, ou d’autre valeurs perceptuelles
Résister, quitte à aller manifestement contre
Se poser sur un banc, ici ou là, tout simplement
S’immerger dans une société qui, pour le meilleur et pour le pire, les longues marches urbaines me le faisant bien voir, reste avant tout ce que nous en faisons, et ce que nous en ferons

À votre sentier les oreilles !

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Le sentier, la sente, le passage presque secret, intime, un brin aventureux, dépaysant, à demi-caché, sinueux, embroussaillé, celui tissant un entrelacs d’espaces où l’on a envie de se perdre, ou de jouer à se perdre…

Le sentier peut être également urbain, d’un monde bétonné et asphalté, faufilant ses trajectoires contraintes de bloc en bloc, suite d’allées, cours et placettes, longeant une jungle verticale qui ne se laisserait pas appréhender du premier regard, ni de la première écoute.

Le sentier est un fil rouge, ou vert, ou gris, trame d’un terrain parcours d’écoute incitant à pratiquer des cheminements de travers, piégés d’incertitudes rayonnantes.

Le sentier est souvent un moyen de tendre une oreille canaille en des lieux résistants, qui ne se livrent qu’aux écoutants aimant ou osant sortir du droit chemin.

Le sentier est parfois à peine visible, tout juste lisible, à deviner du bout des pieds par d’infimes traces, quand il n’est pas à inventer.

À d’autres moments, à d’autres endroits,  il est parfaitement marqué, poli, comme patiné et tassé d’une multitude de foulées faisant trace.

À votre sentier les oreilles !

 

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Écoutant marcheur, acteur chercheur

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Suite à une semaine riche en rencontres avec des chercheurs et laboratoires de recherches, notamment dans des rencontres-actions marchées, une petite pause écriture s’impose.

Il me faut parfois tenter de prendre du recul sur mes propres pratiques pour voir comment elles évoluent au fil du temps et ces expériences, et surtout faire en sorte qu’elles continuent d’évoluer.

Je marche, j’écoute, je triture des idées, malaxe des concepts, écris, partage des réflexions et actions de terrain, marche encore…

Du terrain, de l’action à la réflexion, de l’expérience individuelle ou collective à la cogitation intellectuelle, et vis et versa, la « des-marches » avance, empruntant souvent des chemins de traverse à peine défrichés, ni donc déchiffrés.

Je reprends ici un extrait de texte du chercheur Hugues Bazin*, que je trouve très intéressant dans son approche d’activisme décloisonné.
« … L’acteur-chercheur n’est pas défini par un statut, une mission, une appartenance professionnelle ou sectorielle. Il peut jouer sur ces rôles, mais ne peut se cantonner à une posture entre agent, acteur et auteur. Qu’il vienne du milieu de la recherche ou d’autres environnements socioprofessionnels, sa posture est de nature hybride et se définit par la capacité de construire une démarche réflexive vers laquelle il ira puiser les éléments méthodologiques utiles. Autrement dit, l’acteur-chercheur se définit par l’espace circulaire qu’il crée entre implication et distanciation.
C’est un espace aussi bien social, mental que géographique qui le caractérise comme sujet autonome, auteur de sa pratique et de son discours. C’est dans cet espace que l’on peut s’impliquer tout en impliquant l’autre… »

Revenons de ce fait à la marche et au marcheur écoutant les environnements sonores qu’il a choisi d’investir.

Marcher pour marcher n’est pas une fin en soi, pas plus qu’écouter pour écouter, et au final théoriser ces actions sans volonté d’agir sur le territoire n’est pas très stimulant ni productif. Il faudra que le geste de mettre un pied devant l’autre, comme celui d’ouvrir ses oreilles au monde environnant, engendre non seulement de nouvelles formes de récits, de pensées, mais s’ancrent dans un processus d’aménagement du territoire, autant que faire se peut.

Emmener des personnes écouter la ville, ou une forêt, est un engagement physique et intellectuel dans lequel chaque individu, quel qu’il soit, peut devenir co-auteur d’une petite histoire d’écoute, voire d’un paysage sonore collectif en gestation.

Ensuite, souvent, les rencontres feront le reste. Dans tel ou tel atelier d’écoute en marche, des habitants, géographes, artistes, chercheurs en sciences humaines, élus, aménageurs, seront amenés à croiser leurs gestes de marcheurs écouteurs, leurs ressentis, retours d’expériences personnelles et travaux… Et c’est peut-être à cet endroit que naîtront de nouveaux projets, des actions partagées in situ.

Battre le pavé, courir la campagne, flâner le long des rues, qu’elles qu’en soient les raisons premières, font que le territoire à la fois se révèle et se construit, se raconte et se partage, mais aussi que les réseaux s’étoffent, que les recherches gagnent en profondeur, tout en me laissant dubitatif devant l’étendue croissante de ma propre ignorance.
Du bout de l’oreille, du pied, de l’action, du verbe, le projet devient aussi passionnant que fuyant, chaque rencontre entre des lieux et des personnes dérobant un peu plus des réponses, des problématiques et postulats de départ. L’effet chemin de traverse de l’arpentage du terrain jouant certainement le rôle de questionneur permanent qui nous montre au jour le jour une multitude de chemins possibles, dans un parcours qui n’a de cesse de se modifier au gré de la marche.
Le statut du paysage sonore se trouve à cet endroit confronté ainsi à une belle incertitude.
C’est ainsi que mes propres PAS – Parcours Audio Sensibles, et les productions qui en découlent, se trouvent constamment remis en question, mais qu’ils gagnent de ce fait une in-stabilité jubilatoire.

*chercheur indépendant en sciences sociales depuis 1993, animateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Actionhttp://recherche-action.fr/hugues-bazin/presentation-de-lauteur/

Paysages – espaces sonores, une prolifération mise en récit

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L’écouteur, et qui plus est le promeneur écoutant que je suis est un vaste réceptacle sonore. Il reçoit en lui, parfois à son corps défendant, via l’oreille et tout un système de capteurs sensitifs osseux, aqueux, neuronaux, des milliers et des milliers de sons.
Par exemple, je suis ici, à ce moment, sur un banc, urbain (moi et le banc), écouteur assis au centre du paysage
moteurs cliquetants
voix à droites, étouffées
voix à gauche, criardes
train devant, en hauteur, sur sa voie talutée, ferraillante, coulée mécanique
bus à l’arrêt, soufflant et haletant
poussettes et planches à roulettes conjointes
voix riantes, derrière moi
claquements des perches de trams sur les lignes électriques…
Il y va d’une formidable accumulation a priori sans fin, exponentielle déferlante.
Fort heureusement, des portes, des masquages, des gommages, des évictions, un panel de filtres psycho-acoustiques, régulent le flux, rangeant au passage dans des casiers le déjà entendu, le déjà nomenclaturé, le (re)connu, et engrangeant et domptant l’inouïe.
Mais à certains moments, le rangement ne suffit plus. Il me faut aller plus loin pour ne pas me noyer  dans une méandreuse galerie sonore, labyrinthique à souhait, pour la requestionner à l’envi.
Peut-être, même certainement user du mot, de la phrase, de l’énonciation, chercher l’incarnation. La parole, comme verbe incarné, ou incarnant, tel un prédicat prenant possession des sons jusqu’à leur adjoindre une vie dans une histoire retricotée.
Le récit s’avance alors.
La parole se déploie, métaphorisant de multiples écoutes où des traces sonores, des particules mémorielles partiellement enfouies, sont réactivées dans des moments d’audition contés.
La ville à cet instant et dans ce lieu, vue et entendue comme un agencement métastasé et proliférant de grincements, de vocalises, de bruissements, souffles, tintamarres, ferraillements, tintements et mille autres sonifiances.
Les sons s’agencent par un récit qui les décrypte, les convoquant dans une forme de matérialité, les reconfigure à la lettre près, à la phrase près, à la métaphore près, néanmoins approximativement.
Le tissage de mots tire les sons vers une vie organique, les extrayant d’une éponge captant sans égards ni filtrages, la moindre vibration acoustique, ou presque, harmonique ou dysharmonique.
C’est l’instant de la matière extirpée d’un magma informel, reconstruite par un récit multiple et ouvert.
Ce sont des flux de vibrations du dehors – la ville, l’espace ambiant, et du dedans – une forme de construction, d’abstraction intellectuelle, sans compter d’innombrables  allers-retours et chevauchements entre ces pôles.
Des cheminements incertains, qui se déclinent au fil d’une mémoire, d’une trajectoire validant les zones d’incertitude, quitte à les prendre pour des réalités, tout en sachant bien qu’elles ne le sont pas, ne le seront jamais.
Nous voila à l’endroit où la matière sonore impalpable se cristallise  comme une cité Phénix renaissant de ses propres ondes.
Nous voici dans l’usinage d’un paysage sonore puisant dans une forme d’immatérialité hésitante, elle-même croissant sur un terreau de sono-géographies fuyantes autant qu’éphémères.
Le récit aura sans doute charge de faire un tant soit peu perdurer ce ou ces paysages complexes.
C’est donc d’ici, assis sur un banc par exemple, stylo en main, à  l’ancienne, que peut se rebâtir un espace sonore parmi tant d’autres, reliant oreille, parcelle de ville, images, stimuli, pensée, à un territoire vibratoire bien vivant.
C’est donc également à cet endroit-ci que les sons matières engendrerons par le récit leurs représentations, toutefois propres à chacun.
C’est sur ce banc de bois, ici en espace stratégique, symbolique, que des trajectoires ponctués d’ingurgitations, d’emmagasinements, de régurgitations, feront que l’écoutant que je suis ne sera sans doute jamais assez repu pour capituler devant une pourtant surabondance chronique.
J’en arrive à penser parfois qu’une forme de  récit, par définition fictionnel, est plus bénéfique que la tentative d’embrasser une insaisissable réalité, bien trop complexe dans sa perpétuelle mouvance. Tout au moins dans un récit qui soit, qui reste nourricier, gorgé d’aménités échappant à une matière trop plombée d’expansions systémiques.
Toujours à l’endroit de ce banc d’écoute, parcelle de ville comme de Monde, point d’ouïe, sweet-spot, mille et une sonorités ne renoncent jamais à me raconter un paysage sonore singulier, un récit auriculaire urbain, écrit et réécrit à ma façon, comme un territoire audio habitus, quitte parfois à rechercher la jouissance dans l’excès magmatique de la chose sonore.

PAS – Parcours Audio Sensible « Échos de la Saline »

Saline et pluie voila !

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Semaine en saline
écoutes en projet
projet en écoutes
cristallins salins craquants
et l’eau révélatrice
et l’eau décantatrice
et l’au génitrice
du grain de sel aqueux
hors cette semaine
la saline plic
la saline ploc
la saline s’égoutte
la saline s’écoute à gouttes
n’en finit pas de s’éponger
n’en finit pas de s’ébrouer
ruisselle quasi sans sel
paysage dissout noyé
plic ploc de métronomes
désaccordés
arythmiques à souhait
les chemins plaqués de flaques
les marches entre-deux
dans les intervalles de trêves ondées
l’intérieur en audio refuge
le parapluie comme amplificateur plicploquant
horizon barré gris souris nué de blanc
les sons giclent vivaces
malgré tout ces déversements
ces écoulements aqueux
la saline se rit de la pluie
et nous avec de concert
heureux écoutants
écoutants contaminés
des sons jubilent en averses
des lumières mouillées
les gouttes explosent doucement
indociles éclats de sons
qui dessinent l’espace au goutte à goutte
aqua ? Répond l’oreille…

Saline Royale d’Arc et Senans – Résidence écriture sonore « Échos de la Saline » – 09 mars 2017

POINT D’OUÏE GARES TRACES

TRACES Z’AUDIBLES

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Assis, chaise urbaine ou
une gare
un banc
ou marchant
selon
la ville gare trace l’oreille
comme
l’oreille trace la ville gare
bips
bips
bips signe
pas
voix
trains
encore voix
encore train
train train
et pourtant non
question d’apaisement bruyant
et d’absence de silence
sonic Station list
la rumeur
diffuse
alentours
ou
le détail
juste à côté
juste devant juste derrière juste présent
souffles
des souffles
ses souffles
à quasi perte d’entendement
ventilation anthropomorphique comme in/expirante
gare toujours encore peut-être sûrement passages
hybridation de mon ici et de mes ailleurs
on ne sait où d’ailleurs
voix et autres voies
chants – gutturalités – tonalités
crissements à même les dalles
et autres contaminations et autres…
traces et fondus de métal sifflant
des collections ambiantementales
éclaboussées parmi d’autres
postures immobiles
propices à
ou
remises en marche
tout aussi propices à
halte stop pause arrêt sur dans pour
un cri des cris j’ai cris
…………………..
observatoire noyé
discret comme présent
assis dans les flux-mêmes
je suis-je siège écoutant
j’ai ouï je vois, cadrages enfilade de couloirs en perspectives
Je sens pressens ressens
espace gare à nous à vous à eux
terrain dit sonnant
je dis-je ludique
en écoute postée
je mes gares m’entendez-vous ?

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Et les sons

 

Promeneur manifeste !

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PAS – Parcours Audio Sensible au Grand Parc de Miribel Jonage – Desartsonnants, Avec Abi/Abo et Le centre culturel de l’Armée du Salut de Lyon

Manifeste du promeneur (écoutant)

Marcher dans la ville, la périphérie, la campagne, les forêts, les sentiers côtiers, la banlieue… Battre les chemins, avenues,  toutes oreilles ouvertes
Marcher sans a priori, considérant que tout paysage, objet ou personne est digne d’être entendu.
Marcher au rythme de ses pas, de sa respiration, du groupe, des aléas, de ses envies de flâneur, sans rien précipiter…
Marcher pour prendre l’air du temps, de l’espace, de l’humain, dans une sagesse utopique autant qu’écosophique
Marcher pour communier, avec le souffle de l’air, la caresse de la pluie, le crépitement du feu, le chant des étoiles, les rumeurs de la ville, les passants que l’on croisent, et ceux qui co-cheminent, vers un œcuménisme du sensible…
Marcher pour mesurer la fragilité des choses, l’éphémère des sons, comme les solides montagnes
Marcher pour entreprendre un parcours, tout au dedans de soi, accordé aux complexes battements du monde
Marcher dans une altérité sereine, de rencontre en rencontre, au travers moult paysages sonores partagés
Marcher pour se construire en tête, une bibliothèque inamovible de sons, d’images, de lumières, de sensations, d’expériences gravées, d’itinéraires inscrits, des chemins de vie
Marcher pour éprouver son corps aux vibrations du sol, aux souffles de l’air, aux caresses tonifiantes des arbres, et à celles rugueuses des pierres
Marcher humblement, sur ou dans les traces de guides aguerris, de défricheurs hardis, d’oreilles intrépides
Marcher de jour comme de nuit, convoquer une perte de repères, telle une tentative d’uchronie assumée
Marcher pour, marcher contre, pour dénoncer, défendre, faire savoir, transmettre, résister à l’intoxication chronique
Marcher pour tracer des chemins de fortune, écrire des kinesthésies géopoètiques, entreprendre des  errances symboliques, conter des histoires mouvantes, partager des récits hétérotopiques
Marcher pour relier le sol matière au ciel éthéré, les confondre dans la ligne de fuite, à l’horizon du regard en écoute
Marcher pour prendre du recul, mais tout en avançant, en assumer ainsi, les paradoxes questionnant
Marcher pour raconter encore, de mots et de sons, d’images et de formes, de corps et d’esprits, la musique des lieux, l’harmonie dissonante, œuvre d’écoute transmédialement euphorique
Marcher enfin, pour se sentir en vie, dans un flux de résonances humanistes, généreuses à l’envi

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Inauguration d’un Point d’ouïe à Drée (21) – World Listening Day 2015 et Festival Ex VoO- Avec CRANE Lab – ©photo Yuko Katori

Parcours en corps

PAS – Parcours audio Sensibles
Parcours en corps

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©Collectif Abi/Abo – Intervention « Sommes nous libres ? » – Givors 2015

Le glissement sémantique
De la balade sonore au Parcours Audio Sensible, n’est pas anodin
Au delà du PAS jeu d’acronymie
La balade est frivole
Le parcours part d’un point
Pour aller vers un autre
Même erratique
Il construit le marcheur
Que je suis – polysémie…
Mon parcours, intime, ou même partagé
Peut-être initiatique
L’après n’est plus comme avant
Audio
J’écoute
Action au centre de l’action
Le paysage n’existe que parce que je l’écoute
Audio
Parce que nous l’écoutons
Audi nos
Et plus fortement si on le partage
Sensible
Un élargissement de l’écoute
Pas seulement les oreilles
Parcours des odeurs,
Parcours des images
Parcours de choses goûtées
Parcours de choses touchées
Des choses caressées,
Parcours kinesthésique
Le sol sous mes pieds
Vibrations du chemin
J’imprime une allure
Une perception des espaces
L’air sur mon visage
Le trajet dans la ville
Ou ailleurs
Comme une carte interne
Carte de l’étendre
Ambulavero ego
Parcours en corps…

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©Dragan – Flickr

Points d’ouïe nocturnes

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La nuit
tous les sons ne sont pas gris
tant s’en faut !

La nuit
D’autres couleurs,
des ambiances
des amplifications
des amenuisements en fondus.

L’obscurité urbaine tissée de lumières
points diffus
halos laiteux
raies lignes trainées
évanescentes colorées…

Les sons ne s’en sortent pas pour autant indemnes.

Ils fricotent canailles
enserrés noctambules
des lumières ambiantes
couleurs sonores
lumières bruissantes
pas tout à fait la vie commune.

Écoute de l’incertitude
entre chiens et loups
Glissement vers l’obscur
vers la nuit affirmée
amoindrie d’urbanité
contrariée de lumières
sécuritaire oblige

Écoute allant decrescendo

Des spots frissonnants
souffleries ronronnantes
cliquetis hyper-basses
concert d’air brassé
ville respire expire
bouches grillagées de métal
crachant à même les trottoirs
gémissements organiques ventilés.

Des présences s’affirment
presque fantomatiques
voix rires traces habitées
clic-clac pressés de pas
inquiets du macadam
détails auparavant noyés
exacerbés dès lors
de noctambulisme bienveillant.

Une déclinaison parfois apaisante
décroissante en pente de clair-obscur.

La rumeur souvent résiste et signe.

Nuit de l’écoutant posé
hardi jusqu’au oreilles
de rêves et inquiétudes.

Des ilots blocs bétonnés
cousant des cités sirènes
attirantes comme des phares de silence
du moins croit-on.

Expériences de sombres marcheurs
traque d’obscurs passages
abrités des trop plein de lumière.

Nuitées en refuges demi-teintes
chuchotements lunaires
confidences d’étoiles cachées
tout ce que jour délaisse
qui sourd en nuit sens.

Une chaleur amène
emmagasinée d’estivale
au cœur de la pierre
de réfractaires cloisons
des effluves torrides
libérés en vagues nocturnes.

Les sons résistent
presque apaisés
presque silence doucereux
havre de tympans épuisés
que la nuit réconforte.

Règne de l’imprécision emprunte de pénombre
gardons les incertitudes à mi-voix
que fertilisent la nuit tombée.

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