Points d’ouïe, Points de vue, résidences, résistances

Stadt

Une résidence artistique est un moyen de s’immerger dans un territoire, ville, espace naturel, ou autres lisières et interstices hybrides.

C’est un moyen de gratter les lieux, d’y imprimer le poids de ses pas arpenteurs, de s’y asseoir aussi, écouteur observateur, à la recherche de balises urbaines spacio temporelles.

Par exemple sur cette place publique, presque tous les jours, à certaines heures, se retrouvent des personnages sur des bancs, souvent les mêmes, moi compris.

Couples, ados, marginaux, retraités, cadres…

L’histoire se tisse, se lit, s’écrit, façon Pérec.

Les rythmes se précisent.

Et de ce fait les espaces.

Sortie d’écoles, flux de travailleurs, une acmé, un apaisement avec la nuit qui tombe; des cycles qui au final ne varient que par de menus événements.

Les sons et lumières entretiennent de réelles accointances.

Les ambiances se précisent aussi, au rythme des jours et de la saison.

La résidence nous offre de nouveaux repères, qu’ils nous faut aller chercher, des rituels, des ailleurs à se construire, des surprises à accueillir.

L’ailleurs stimule la sérendipité qui nous ouvre des portes inattendues.

Ici, des évidences, des récurrences, quasi universelles, des voix, du vent, de l’eau, des flux.

Ici des singularités, des accents, des expressions, des codes couleurs qui changent, des signalétiques du cru, des architectures singulières, anachroniquement entremêlées.

Ici, nous nous re-créons nos propres symboles, dans un lieu où nous n’avons pas (encore) d’espaces qui puissent nous situer fortement dans l’ancrage d’une géographie sensible.

Une résidence, c’est un moment, plus ou moins long, où le temps et l’espace s’offrent autrement. Ils nous permettent à la fois de développer des gestes, des postures, des dispositifs d’écritures nomades, et de nous créer une nouvelle palette de jeux, ou tout au moins de l’élargir, de l’adapter aux contextes, aux ambiances in situ.

L’hétérotopie de Foucault y prend souvent tout son sens, strates de territoires géographiques, esthétiques, politiques, sociaux…

Mon oreille par exemple, procède par une forme de syntonisation, ocsillant entre le paysage intérieur de mes souvenirs, de mes expériences, et le paysage extérieur plus ou moins inconnu, que j’appréhende peu à peu, me mettant autant que faire se peut au diapason des lieux.

Mon œil sans aucun doute en fait-il de même.

Mon corps entier cherche une syntonie où accorder un maximum de fréquences, internes et externes, tendant à vibrer et résonner de concert.

Le dépaysement est pour cela un stimulateur sans pareil.

Une résidence, c’est augmenter une collection de parcours et de sites liés à des expériences sensibles, ici des Points d’ouïe, Points de vue, des parcours sensibles, entre autres choses.

C’est aussi se frotter à d’autres personnes, autochtones ou non, à d’autres pratiques, d’autres connaissances, hybridations.

Un moyen de travailler l’altérité, de pourfendre l’a priori.

De résidence, non assignée, à résistance, quelques pas, sans plus.

Quitte à déstabiliser notre confort bâti sur une série de repères (trop) bien identifiés.

Une résidence, ou plutôt l’enchainement de différentes résidences, nous fait nous sentir appartenir à un monde multiple, complexe, mouvant, si possible accueillant, sans enraciner nos pensées et gestes dans un cocon terreau trop sédentarisant.

 

Gilles Malatray – Texte en résidence à LuXor Factory (Jura Suisse), avec L’artiste plasticienne Jeanne Schmid

Le Locle, Octobre 2018

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