Chronique bancale franc-comtoise, qui ne manque pas de sel

Chaque jour un banc différent
Adossé à une grande berne
Dans un jardin d’eau, ou zen, ou boisé
Dans un lieu très passager, pour échanger des bonjours, voire discuter un brin
Dans une allée isolée, en solo avec les corneilles graillantes et quelques insectes tenaces
Vers la gabelle ancienne, mal-aimée
La salle des commis, aussi mal aimés en administrateurs zélés
En leurs temps
Au centre des écuries du maitre
Sous un trio de châtaigniers séculaires
Dans un espace animé, à une heure animée
Ou un espace presque silence lorsque le site s’est vidé de ces visiteurs
A tombée de nuit, abrité d’une pluie qui a pris l’habitude, depuis quelques mois, de me suivre partout, en s’égouttant sans scrupules
Une eau tenace et qui s’entend
C’est vrai qu’ici, elle, l’eau, quittait le gemme pour donner du salant
Dans une démesure architecturale entre néoclassique et post baroque
Ponctuée de bancs, beaucoup plus récents
Lieu magnétique, qui m’attire toujours, toujours depuis longtemps
Et où je reviens comme en retraite ponctuelle, ressourçante, donner du sel à mon histoire
Des passages dedans-dehors, hors les murs de l’enceinte
En route vers la Loue furieuse et la forêt de Chaux
Immensité feuillue où il ne fait pas bon perdre ses repères
Et retour en Saline, vers un banc accueillant
Et retrouver les sons de la porte monumentale claquante
Des valises qui peinent et raclent sur les allées gravillonnées
Attendre que tout s’éteigne, entre chien et loups (et Loue voisine)
A la veille d’un solstice qui nous semble trop précoce, entre deux pluies battantes
Les impressionnistes ont gavé les paysages alentours de fleurs, d’arbres et d’eau, jusqu’à saturation
Et l’Absinthe y est née, comme une verte eau tonique
Je tricote toutes ces histoires et des sons
De banc en banc
Dans un cercle où je sens rayonner milles tonicités, comme des nœuds telluriques, que l’histoire des lieux aurait renforcé
Dans une salinité mouillée d’utopies dissoutes.
Les bancs sont mes bureaux multiples, d’un moment hors-les-murs
Mes lieux d’observation, d’écoute et de mots griffonnés
Lieux de chroniques saunières soniques, épicées de sels régénérants.

Projet « Bassins Versants, l’oreille fluante »
Divers bancs de la Saline Royale d’Arc-et-Senans (25)
20 juin 2024

 Paysages et territoires sonores, approches et écoutes imbriquées 

Plus j’avance dans les expériences de terrain et les réflexions, plus j’éprouve la nécessité de mêler, de frotter, d’hybrider, des pratiques, des champs sociaux, des domaines de compétences, des structures agissantes, des passions et des espoirs.

Au départ, il me semblait évident que certains domaines se croisaient notamment autour du paysage sonore, en œuvrant de concert. Pour ces derniers, les champs de l’esthétique, de l’acoustique et de l’aménagement des territoires paraissaient des alliés incontournables. Sur le terrain, les collaborations entre ces champs, et qui plus est la difficulté à trouver les espaces pour agir ensemble n’étaient, et ne sont toujours pas, pas si évidentes, si faciles à mettre en place. Cependant quelques timides expérience, art-science, art-action, art-territoire, voient le jour ici et là.

Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus complexe, frénétique, incertain, il me semble qu’il faut élargir encore les espaces de croisements, les interstices, les lieux aux possibilités hybridantes…

Je prends ici quelques exemples liés à mes activités en chantier.

Il y a quelques années, j’ai intégré un groupe de travail autour des thématiques Éducation Santé Environnement, où se retrouvent des professionnels de la santé, des activistes militants autour  de projets environnementaux, écologiques, des acteurs de l’enseignement et de l’éducation populaires, des techniciens des domaines de l’air, l’eau, le bruit,… Aujourd’hui, je me rends compte, via ce réseau,  à quel point le mouvement « One Heath » (une seule santé), prenant en compte les rapports entre humains, animaux, écosystèmes… présente des ouvertures vitales pour tenter de maintenir en bonne santé, à l’écoute, tout un monde en mal de rencontres, de respect, de bienveillance.

De même, mes approches, déjà anciennes, autour des PAS-Parcours audio Sensibles, m’ amènent à marcher avec des protagonistes des mobilités douces, à l’heure où il n’est pas toujours facile de traverser une ville à pied, et même une forêt! La marche dans tous ses états, y compris écoutants, est un levier pour arpenter et se frotter collectivement à un territoire de proximité. Mettre en branle des imaginaires en mouvement par la flânerie, l’errance parfois, est une approche philosophique et éthique, situationniste, qui donne du sens à la vie.

Un autre groupe de travail autour des rythmologies me montre que, dans beaucoup de domaines, entre flux et scansions, les modes de vie, les aménagements, la climatologie, les sciences de la terre, la réflexion entre arts, territoires, sociologie, philosophie… questionnent nos rythmes de vie. On constate des phénomènes d’accélérations croissantes, chroniques, en même temps que des besoins de ralentissements, d’apaisement, le tout impactant la qualité de vie au quotidien…

Un actuel projet autour de la présence acoustique des eaux dans les territoires, pointe les aménités, comme les fragilités, voire les périls liés des eaux nourricières, et pourtant si malmenées. La question politique de la gestion, et parfois de l’appropriation des eaux , problématique hautement conflictuelle, met en garde contre des risques majeurs de plus en plus probables. Écouter les eaux courantes ou dormantes, nous montre là encore les fragiles équilibres, parfois les points de bascule irréversibles.

Le croisement régulier avec des architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, donne des lectures transversales, indisciplinées, de territoires (acoustiques) soumis à de nombreuses évolutions, contraintes, dans des écosystèmes, ensembles urbains fort différents.

Les paysages sonores, envisagés comme des communs parmi d’autres, sont pensés et vécus à l’aune de rencontres stimulantes. Je pourrais ainsi continuer d’énoncer les espaces/temps où les échanges et expériences interdisciplinaires, malgré toute la difficulté de leurs mises en place, donnent des formes d’ouvertures dynamisantes, dans un monde parfois désespérant, qui semble s’acheminer inéluctablement vers un redoutable cul-de-sac.

Bien entendre nos pas

Et mes talons qui claquent

Clairs sur  sol gelé

Ils font bruisser les sentes

Amortis automnaux

Tapis aux feuilles mortes

Percevoir mon allure

Me donnent la cadence

M’invitent à ralentir

Ou à presser le pas

La marche s’entend bien

Comme un geste ambulant

Étouffé d’herbe grasse

Ou de neige ouateuse

Réverbérée de gel

Et dalles de marbre lisse

Traversant des séquences

Et jouant des cadences

Aux rythmes indécis

Aux rythmes chaloupés

Métronomes de marche

Testant sols et matières

Bien présents ou discrets

Quand aux pas ceux d’autrui

Ceux des autres allant

On les entend passer

S’approcher à l’oreille

S’éloigner à l’oreille

Différentes allures

Fières ou presqu’effacées

On peut suivre ces pas

Filer le lent flâneur

Pister le promeneur

Talonner l’arpenteur

S’attacher à ses basques

En écoutant marcheur

On se glisse à sa suite

L’oreille au pas à pas

Jeu de l’ouïe lien mobile

Qui infiltre l’espace

Des marcheurs prestes urbains

On avance sonore

On trace mouvements

On écrit des parcours

On les marque ambulant

Groupe bruissant des pieds

Traversant la forêt

Les pavés résonnants

Bien entendre nos pas

Ceux des autres aussi

se sentir piéton

Geste ambulant liant

Aux pas (dé)concertants

La vie qui est en marche

Et que l’oreille entend

Et qui nous tient vivants.

Souvenirs sonores jurassiens et communs auriculaires

Lors de repérages de sites auriculaires remarquables, 1989/90, avec Acirene, passage au lac D’Antre, à Villards – d’Héria, PNR du Haut-Jura. Un lac miroir qui, avec sa falaise rocher,, réfléchit et amplifie les sons de façon très spectaculaire d’une rive à l’autre.

Le rocher d’Antre, le surplombant d’un faut d’une falaise abrupte, nous offre une écoute et une vue panoramique tout aussi remarquables.

Il existe nombre de sites acoustiques remarquables qui ne demandent qu’à être écoutés, parfois sonnés, à leur échelle, mais aussi parfois protégés en en taisant les richesses. C’est du ressort de promeneurs écoutants impliqués dans une écosophie de l’écoute, considérant qu’une forme de patrimoine auriculaire qualitatif est un bien commun à défendre.

Ingrédients audio-paysagers

Dans l’écoute, la construction du paysage sonore, il y a (ou peut y avoir) :
De l’attention
De l’intention
Des corps, de l’action, des gestes, des postures
De la marche, de l’arpentage, de l’errance
Du partage, des confrontations, des échanges
Une part de réalisme, une part de rêve, une part d’entre-deux
Le désir de beautés révélées
La volonté d’apaisement, de ralentissement
Une militance politique, éthique, écosophique
L’envie de raconter, de fantasmer, de faire entendre des choses
Le plaisir d’expérimenter, de faire in situ, de l’approche pragmatique
Et celui de transmettre
La recherche de nouveaux postulats
L’approche sensible frottée à des protocoles de mesures quantitatives, normatives
L’indisciplinarité chronique et stimulante
La joie et l’inquiétude du pas de côté
L’effervescence de se perdre, enfin
L’imaginaire et le prospectif, le brassage des deux
Le collectage, l’état des lieux, l’inventaire
La trace, la mémoire, le patrimoine
Le collectif, le participatif, le faire ensemble
Les mises en situations, des immersions à ciel ouvert
L’installation d’écoutes à oreilles nues
La performance du corps écoutant dans l’espace
Des outils de création, de composition
Des matières et matériaux à triturer
Des dispositifs à mettre en place, à inventer
Des protocoles et rituels
Des fêtes et des cérémonies
Des cartographies et géographies sensibles
Une philosophie auriculaire, repenser le monde en l’écoutant
Des récits croisés, des fictions à n’en plus finir
Et bien d’autres choses inouïes.

Revisiter le paysage sonore ?

Depuis les années 60, l’émergence de l’écologie sonore, celle des arts sonores, investissant, via notamment le field recording, différents champs d’esthétiques audio-paysagères, le paysage sonore ne cesse de questionner nos rapports à l’écoute, au sens large du terme.

Néanmoins, certaines problématiques et hypothèses mériteraient d’être remises en question, ou tout au moins requestionnées, dans un contexte socio-politique et environnemental en pleine mutation, en pleine crise, c’est le moins qu’on puisse dire.

Des postures dichotomiques, tranchées, clivantes, entre le low-fi et le hi-fi (notions de Murray Schafer), le beau ou l’inesthétique, pour ne pas dire le laid, le bruit et le non bruit, le quantitatif et le qualitatif, le normatif et le sensible, l’artistique et la recherche…malgré toute les avancées techniques et intellectuelles, ont encore la vie dure.
La notion de paysage sonore est régulièrement remise en question, jusque dans la reconnaissance du terme, et au-delà, des pratiques qui lui sont liées, refusant ainsi de considérer le dit paysage dans toute sa complexité. Cette complexité qui en fait non seulement son grand intérêt, mais justifie une recherche-action potentiellement fructueuse à bien des niveaux.
Les cloisonnements entre l’artistique, la recherche, l’aménagement, les approches sociétales, malgré de nombreuses tentatives d’ouverture, restent entravées de querelles de clochers, de contraintes voire des barrières économiques, des critères de non « rentabilité », du scepticisme, des lourdeurs administratives, par la peur de « l’aventure »…
Les outils de lecture et d’écriture, tels le soudwalking (marche écoutante), le field recording (enregistrement de terrain) sont peu considérés, et guère envisagés dans des approches transdisciplinaires, voire indisciplinées, susceptibles de produire tant des créations esthétiques, que des leviers d’action sur le terrain.
Le questionnement écologique reste empêtré dans des approches environnementales, coincé dans une écologie sonore moralisatrice et punitive, qui ne tricote pas les aspects esthétiques, économiques, territoriaux, sociétaux, patrimoniaux.. La pensée décloisonnée, plus proche d’une écosophie guatarienne, d’une écologie de l’écoute, de l’écoutant, et des milieux écoutés, fait souvent cruellement défaut.
Entre une vision esthétiquement édulcorée et une approche techniquement aseptisée, reste à trouver des espaces de dialogue où les différences trouveront un terrain d’entente fertile.

Plus de trente ans de questionnement et d’expérimentation sur le terrain, de transmission, de « bidouillage » pédagogique, de rencontres et de chemins de traverse, entre festivals, collectivités territoriales, groupes de travail, écoles et universités… pour en arriver à un constat a priori si négatif.
Et pourtant, le fait que tant de voix hybrides restent à explorer, à expérimenter, que tant de cloisons restent à abattre, de bien-être à défendre, de communs à partager, font que, plus que jamais, dans des temps agités, le paysage sonore reste une entrée à privilégier pour un bon, ou un meilleur entendement.

Éco-écoute et pratiques artistiques respectueuses

L’art, et plus généralement le secteur culturel, sont susceptibles de prôner, si ce n’est de développer une pratique respectueuse, tant vers les milieux où ils opèrent, que vis à vis des personnes impliquées, artistes, opérateurs culturels, commanditaires, publics…


Au prisme des approches écologiques, on peut aller beaucoup plus loin que les toilettes sèches, le co-voiturage, les éco-cups et autres consignes, même si cela contribue déjà positivement à une économie (dans tous les sens du terme) raisonnée et raisonnable.


Il ne s’agit pas pour autant de me transformer en moralisateur donneur de leçon, mais simplement de prendre en compte certains paramètres conduisant à des gestes où la gestion énergétique, les matériaux utilisés, les modes de déplacements, les actions de sensibilisation, sont, du mieux que possible, pris en compte.


J’essaie par exemple de m’appuyer sur un réseau type circuit court pour monter, programmer et faire tourner des productions artistiques, écrites in situ, pour un territoire donné, en milieu urbain comme en milieu rural.


Les matériaux employés, les besoins (ou non besoins) d’alimentation électrique, les modes de transports (trains, bus) et l’étude de déplacements géographiquement cohérents sont également des paramètres importants.


La sobriété des dispositifs scéniques, le jeu en espace public, voire naturel, sont d’autres propositions envisageables, qui visent à réduire l’impact environnemental. La récupération, la production locale, le réemploi, autant de gestes a priori anodins mais qui, mis bout à bout, font de significatives économies de moyens.


Les PAS – Parcours Audio Sensibles collectifs, au pas à pas, les marches écoutantes à oreilles nues, la mise en scène et l’installation de l’écoute vers l’existant sonore brut, le fait qu’un dispositif a minima doit pouvoir voyager en train ou dans la soute d’un bus, en covoiturage, sont réfléchis comme des formes les moins que possible intrusives et énergivores.
La décélération et le fait de prendre le temps de vivre des expériences sensorielles in situ, dans une forme de lenteur assumée, apaisée, sont des tentatives de résistance à une frénésie sociétale généralisée.


D’autre part, la sensibilisation, toujours via le monde des sons, à une écologie de l’écoute, en même temps que la volonté de défendre et de préserver des territoires où l’oreille a encore le droit de citer, sont des moteurs dynamisants pour une écoute impliquée. Quels que soient les milieux arpentés, en cœur de métropoles comme en terres rurales, j’expérimente des transmissions au centre de mes préoccupations, qui influent et nourrissent mes façons de faire, et parfois de défaire des habitudes trop bien ancrées.
Rien ici de révolutionnaire, juste quelques efforts pour être en accord avec moi-même lorsque je parle d’écologie sonore, et la tentative de participer modestement à une action collective, pour que mes gestes soient un peu plus respectueux du monde qui nous entoure, et de tout ce qui l’habite et y cohabite.


Parce qu’à un moment, il me faut aussi, plus que jamais, sortir du discours pour être, même avec de très modestes moyens, sur le terrain du faire.

Paysages sonores à corps et à cris, écoutes à bras l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensible – Grand Parc de Miribel Jonage – Rencontres de l’Armée du Salut

Écouter n’est pas chose passive ! Tant s’en faut !
Cela engage tout notre corps dans un tourbillon physique et sensoriel.
La marche par exemple, est un stimulateur avéré d’écoute, et de bien d’autres choses.
Elle nous met en mouvement vers, par, et dans les sons.
Nos pieds font résonner la terre et celle-ci en retour nous renvoie l’énergie de ses vibrations.
Des espaces, parcourus et secoués de courants telluriques, nous traversent, en même temps que nous les traversons..
Notre peau toute entière est surface vibrante, comme une peau de tambour tendue au vent, une interface caisse de résonance entre le corps et le monde, et inversement.
Sans oublier la voix qui chante, qui murmure et exulte, dedans et dehors, fait sonner les lieux, révèle et dynamise les réverbérations et échos, qui n’existent que par nos excitations provocantes.
Même assis sur un banc, entouré de sons et de lumières, d’odeurs et de chaleurs, nous sommes des écoutants actifs et réactifs, à fleur de peau et de tympan.
L’écoute se fait parfois danse, fête dionysiaque, où tout frémit, bouillonne, éclabousse, de rires en rires…
C’est un univers d’air vibrant qui s’entend à réveiller nos plus timides instincts, jusqu’à nos hubris les plus démesurés.
L’écoute se fait aussi l’écho d’un monde chancelant, chant funèbre, comme une procession égrenant des litanies mortuaires à n’en plus finir.
Telle musique ou tel sons pourra nous donner des frissons, de peur comme de joie.
Un bol tibétain mis en vibration sur un corps le fera entrer dans une résonance apaisante, voire soignante.
Une musique judicieusement choisie, ou une ambiance sonore a propos, pourront avoir des facultés thérapeutiques, tant sur le corps que sur l’esprit.
Les puissantes masses de basses d’une danse, qu’elle soit tribale, chamanique ou d’une rave party, conduiront les danseurs vers des formes de transes extasiées, parfois aux extrêmes limites de la résistance corporelle.
Un parcours sonore, relevant d’un geste artistique et/ou d’une revendication écologique, s’envisage comme une performance sensible, où la déambulation, la lenteur, le silence, la synergie de faire ensemble, les rythmes, les postures partagées, mettront le corps, voire les corps en action, pour jouer une partition collective in situ.
Chaque parcours sonore est mouvementé, dans le sens physique du terme, celui qui donne du mouvement, fait aller de l’avant, nous frotte aux aléas, quitte a en être ballotté sans ménagement.
Le corps écoutant est en immersion, plongé dans un immense bain sonore, tel un liquide utérin nourricier, enrichi de sons qui nous laissent repus, rassasié, gavés, ou bien sur notre faim.
L’oreille est une éponge avide, absorbant un liquide sans cesse fluant, qu’il lui faut filtrer pour tenter de n’en garder que les sucs dégraissés de polluants magmatiques inaudibles.
Entre le corps, le cœur et le cor, les homophonies font sonner les accords des sons physiques, langage vibratoire aux ondes communicatives.
L’écoute est donc multiple, nous impactant de mille façons, d’une forme de supplice en passant par la gène, l’inconfort, jusqu’aux plaisirs intenses, aux exaltations de musiques somptueusement éthérées.
Le corps jouissant, comme celui subissant, est en interaction permanente avec les milieux sonores qu’il contribue lui-même à modifier, altérer, créer ou magnifier.
La ville comme la forêt, le littoral comme les hauts sommets, sont des scènes acoustiques qui ne demandent plus que l’écoutant, via ses oreilles conscientes et volontaires. Que celui-ci se pose en installant ici et là des écoutes grandeurs nature. Le spectauditeur, au gré des monstrations auriculaires pré-installées, avant même qu’il ne fit le moindre geste, et même qu’il arrivât sur l’espace scénique défini, n’a plus qu’à laisser emporter son corps tout entier. Et cela dans les incessants mouvements-vagues sonores, de l’infime frémissement au grand fracas cosmique

De tout corps, marcher écouter

Lorsque que je marche, j’écoute, et que cela fait rire mes oreilles et mes pieds, les enchante, ce sont des instants sans pareil.


Qui plus est si je guide un groupe de promeneurs écoutants, en espérant de tout mon cœur, de tout mon corps, que cette jubilation soit une énergie transmissible, communicative, partagée.


Des expériences où la marche et l’écoute se font danses concertantes, jubilatoires, une forme de paysage sonore dionysiaque.

Point d’ouïe, Strasbourg en écoute, une vraie fausse histoire auriculaire

Tout commence par une foule, nombreuse, joyeuse, bavarde, mouvante.
Des voix, beaucoup de voix, captées de près, en mouvement, sur la grande place historique de la cathédrale.
Une fête des structures culturelles et artistiques, autour et tout près de là cathédrale.
Des rythmes voisées, des déplacements, des captations discrètes, une ambiance festive.
Au loin une musique, percussions en contrepoint.


Et puis, sans qu’on y prenne garde, arrivent crescendo, de loin, puis de plus en plus présentes, les cloches de la cathédrale.
Une volée majestueuse qui envahit progressivement la place, fait contrepoint avec les voix ,puis finit par les couvrir, majestueuses.


S’ensuit une petite déambulation jusqu’à un manège d’enfants.


Des étudiants croisent la route des micros, ou sont-ce ces derniers qui vont à la rencontre des étudiants.
Un chant traditionnel, matinée de grivoiseries potaches. Un joyeux bizutage en chansons, car c’est l’époque.


Ces scansions chantées vont faire écho à un autre rythme, plus étrange, mécanique, énigmatique pour qui n’en connait pas la source.
Un contrepoids battant de portail métallique, dont le mouvement semble être une sorte de balancier perpétuel n’en finit pas d’osciller, et de s’éteindre
Clic clac, des gémissements, grincements…


Avant un retour fugace aux cloches dont la volée finissante fait échos aux battements du portail. Deux mouvements a priori très différents, mais qui ont en commun de s’entretenir longtemps en balancements, dans une longue extinction décélérante.

Cette histoire auriculaire, retranscrite par un montage audio écoutante ci-dessous, s’appuie sur des « vrais » sons et ambiances, bruts dans leur captation, véritablement strasbourgeois. Et pourtant rien n’est véritablement vrai dans leur déroulé. Les espaces géographiques, périodicités acoustiques, les temporalités, sont complètement remaniées pour une question de rythme du récit, et de dynamique de la narration, tout est reconstruit de toutes pièces .
L’histoire eut-été bien fade, ennuyeuse, dans une restitution phonographique « réaliste », si l’auteur, en l’occurence Desartsonnants, n’avait pris la liberté de raconter, par le biais des impressions, des ressentis, et de rythmes recomposés, un récit singulier, une fiction bien sonnante.
S’il y a ici un tricotage spatio-temporel où l’imaginaire trouve largement sa places il n’y a pas pour autant trahison de la part de la part de l’écoutant transcripteur compositeur, qui va donner à entendre sa propre image sonore, sincère, même si très subjective.
Les ambiances sont respectées, dans leurs dynamismes, leurs atmosphères enjouées, pou étranges, leurs diversités, et parfois complexité. Tout est à la fois bien réel in situ, et complètement remanié, pour que l’oreille y trouve son compte, prenne du plaisir d’entendre, et pour que les locaux puissent se reconnaitre, au sens propre et au sens figuré, dans cette vraie/fausse histoire strasbourgeoise.
Raconter un paysage par et pour les oreilles, c’est partager des expériences d’écoute. C’est aussi construire une scénophonie, une mise en son et en situation d’écoute contextuelle, dans un récit où le fictionnel est assumé, voire revendiqué.

Points d’ouïe strasbourgeois, invité, avec Pauline Desgrandchamp, par Studio Labut , Yerri Gaspar Hummel, pour une émission radiophonique Arrêt média (cliquez sur le lien pour écouter), un PAS – Parcours Audio sensible, et des échanges avec le public autour des paysages sonores partagés.
Août 2022

Écoutez

https://desartsonnants.bandcamp.com/track/strasbourg-loreille

Bien, ou mieux s’entendre avec…

« I love you, vous ne m’entendez guère, I love you, vous ne m’entendez pas... » Gilles Vignault

PAS – Parcours Audio Sensible à Auch

On me nomme régulièrement artiste sonore, ou paysagiste sonore, et la deuxième proposition me sied parfaitement.
Penser, créer, aménager des paysages sonores, vivables, écoutables, me semble un travail, une recherche louables, un objectif de vie sans doute.

Pour autant, il faut savoir raison garder.
Dans un monde qui s’emballe, de chantiers en chantiers, de voyages en voyages, où il faut aller vite, être mobile, parfois survivre, la vitesse et le bruit ne nous épargnent pas.

Rumeur insidieuse, vacarme assourdissant, communication parasitée, toutes les formes de bruits se stratifient parfois jusqu’à ce que l’oreille doute de son propre bon entendement.

Alors un paysagiste sonore doit en prendre la mesure, par forcément métrologique, sonométrique, mais plutôt mesure du milieu auriculaire ambiant, sensible, fragile, et de ses modes de vie induites.
Jusqu’où aller, comment freiner, éviter le mur du son, faire un pas de côté, préserver sa liberté d’écoutant communiquant ?
Là où la parole est plombée d’un chape sonore tonitruante, où elle ne se fait plus entendre, noyée dans un brouhaha incessant, le silence s’installe, malgré lui, malgré nous, ou par nous. Un silence de plomb caché sous un vacarme mortifère.

Un paysagiste sonore se méfie donc de ces écueils assourdissants autant qu’étouffants.
Pour faire paysage acceptable d’un monde sonore, il ne convient pas de surenchérir par des installations empilées, mais peut-être de commencer à prendre conscience de l’existant, à le rendre plus écoutable, plus entendable, plus vivable.

Arpenter la ville, y poser une oreille bienveillante, rechercher ses aménités auriculaires, les sociabilités d’un monde complexe à l’écoute, est sans doute une série de premiers pas à franchir.
Pour suivre la pensée de John Cage, artiste à l’écoute Oh combien ouverte, inventive, cherchant sans cesse l’expérience ludique, il faut laisser au vestiaire nos a priori pour accepter les sons, sans jugements trop hâtifs.

Une oreille pragmatique repose la question du bien entendre par l’expérience de l’écoute située, mise en situation.

Le simple fait de poser une oreille curieuse sur la ville « empaysage » celle-ci. Nous créons notre propre installation sonore à ciel ouvert, à 360°, pleine de surprises et d’aléas, de mouvements, d’apparitions et de disparitions, de transformations et d’hybridations.
Monde étonnant que celui de l’espace sonore dont tant de choses nous échappent. Entre flux et cadences, la ville offre un théâtre d’écoute sans cesse renouvelé, il suffit d’y tendre une oreille tendre, curieuse, peut-être un brin béate, ravie. Néanmoins pas naïve.

La scène acoustique prend forme, avec ses espaces et limites fuyants, ses hors-champs, ses séquences, ses transitions, autant micros scènes intriquées, qui trament une histoire entre les deux oreilles.

Le monde vue par les oreilles prend forme, s’agence, l’oiseau dans la ville, la voiture aussi, les cris des enfants fugaces, la cloche prenant de la hauteur, la rumeur en toile de fond. Tout s’installe, ou presque, s’entend, cohabite, le concert est déjà commencé pour paraphraser Maurice Lemaître, il suffit d’en prendre conscience.

Néanmoins, cette écoute concertée autant que concertante, ne suffit pas toujours, tant s’en faut, à faire oublier, voire à éviter de subir les violences du monde, auxquelles nos oreilles n’échappent malheureusement pas.

De nombreux artistes, dont Raymond Murray Schafer, Max Neuhaus, Paul Panhuysen, Michel Risse et son Décor Sonore, Michel Chion, Pierre-Laurent Cassière, Baudouin Oosterlinck, et bien d’autres, ont posé, ou posent encore sur le monde une oreille attentive. Ces postures d’écoutes, toutes singulières, contribuent à construire des espaces où l’auricularité contribue à mieux entendre, à mieux s’entendre. Il nous faut aujourd’hui faire face, collectivement dans le meilleur des cas, à une série de situations pour le moins tendues, parfois très anxiogènes. Aussi, gageons que prendre soin de nos milieux sonores, nous aidera, certes modestement, à améliorer un peu la qualité de vie, à l’heure actuelle fragilisée de toutes parts, et au final à prendre mutuellement soin de nous, de nos lieux de vie.

Peut-être que le désir, voire le rôle d’un paysagiste sonore, un tant soit peu humaniste, est de mettre des écoutes et écoutants en situation d’expériences collectives, pour tenter de préserver des espace de belles ententes, au sens très large, polysémique et polyphonique du terme.

Retours sur sons

Suite à une masterclass donnée au Conservatoire de Pantin (Ile de France), avec des étudiants en musique électroacoustique, dans la classe de Marco Marini et Jonathan Prager.

Cette Masterclass était entamée par un PAS -Parcours Audio sensible, dans les franges de la ville, poursuivie par une rencontre – échange autour du paysage sonore, sous ses aspects esthétiques, écosophiques et sociétaux.

S’ensuivent de riches échanges avec les étudiants.es, dont voici, ci-dessous, les textes de retours.

Lire des retours encourageants est toujours, pour l’artiste intervenant, avec ses propres doutes et questionnements, une forte stimulation, pour creuser encore et en corps, l’écoute à fleur de tympan, et de terrain.

Paysages sonores improbables

L’improbabilité même d’un paysage tient sans doute du fait que ce dernier est essentiellement né d’une série de représentations, de constructions, avec tous les aléas intrinsèques, du ressenti émotif, subjectivé, aux éléments contextuels plus ou moins maitrisés.

Suite à une série de déambulations auriculaires, à des enregistrements et montages audionumériques de terrain, et pour conclure une résidence d’écritures audio-paysagères, différentes créations, s’éloignant des modèles du field recording « classique », plutôt figuratif, vont nous amener vers des représentations sinon plus abstraites, en tous cas beaucoup moins descriptives.

Ce sont là ce que je nome des paysages improbables. Improbables car revisités, triturés, voire creusant des écarts significatifs entre l’entendu in situ, le ressenti, et le pur imaginaire, et souvant en naviguant entre les frontières du vécu et du rêvé, tricotant des espaces fictionnels, frictionnels, nourris néanmoins des ambiances puisées sur le terrain.

Prendre le paysage à contre-pied, si ce n’est à contre-oreille, c’est par exemple partir d’un photo prise lors d’un point d’ouïe, sur le Pic de Brionnet, promontoire basaltique, de son église et de sa cloche, pour sonifier cette représentation visuelle. De l’image transcrite, transcodée, transmédialisée vers un son dérivé, par l’utilisation d’un logiciel de sonification, ce qui donnera un résultat relevant plus de l’abstraction que de la représentation, où le sens même, celui initial, disparaitra tout ou partie.

Voici par exemple l’image de départ

Et le résultat audible de sa sonification

Et cette autre interprétation puisant dans différentes sources, mélangeant lieux et moments, des rushs audio inutilisés dans les précédents montages de spots parlés, autour de l’idée de paysages entre fluides et flux inspirés du contexte local – rivière, sources, fontaines, cloches, mais aussi véhicules traversant le village, impression rythmologique de « temps qui passe »…
Et puis encore, approche intermédiaire, un mixe de paysage sonifié via l’image d’un banc d’écoute et sa représentation audionumérique de choses entendues, mariage improbable de sons et d’images interlacées. 
Ces quelques exemples esthéthiques de tranformations de paysages plus ou moins dé-naturés, montrent à quel point l’expérience vécue peut être prétexte, inspiratrice et vectrice de re-créations, récits fictionnels oscillant entre traces plus ou moins identifiables et abstractions nous emmenant vers d’autres mondes connexes, inter-reliés, transmédialisés, ré-installés. De l’écoute in situ au paysage en découlant, il y a parfois tout un monde, tissé de relations de cause à effet, connections bien réelles, même si elles sont parfois quasi indécelables.

 

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

 

Tourzel Ronzières, un autre PAS – Parcours audio sensible

Après un premier PAS en forêt, un autre, qui va explorer, ausculter le cœur du village-même.

Nouveaux points de vue, points d’ouïe, nouvelles acoustiques, nouvelles scènes sonores…

Un spot chiens, écoute acousmatique, car nous ne voyons pas les bêtes, parquées derrière une haute clôture métallique, mais qui par contre se font entendre bruyamment à notre passage.

Éléments rythmiques intéressants de la promenade, timbres rauques et puissants, tensions, nuisance sonore pour un écoutant; les chiens sont en effet très présents dans le village; quel statut donner à ces sons et à quel moment, dans quelles dispositions d’écoute, dans quelle visée ?

Une fontaine, voire deux fontaines, très différentes, avec chacune leur propre signature acoustique.

Des jeux d’auscultation où l’oreille se mouille, où l’écoute se rafraîchit, où le ludique est de la partie, stéthoscopes et longue-ouïes en immersion, dans le vrai sens du terme.

Un sympathique théâtre de verdure, plus ou moins laissé à l’abandon. Des bancs de pierre en arrondi, une scène, un mur fond de scène, un espace entre sol gravillonné et entourage boisé.

Des sons festifs qui nous parviennent du haut du village.

D’autres cadres er prétextes à des jeux d’écoutes, ludiques, vocalisés, marchés, inspirés par le lieu…

Une église désacralisée, vide de tout mobilier, ce qui renforce la réverbération type romane du bâtiment.

Ici, je vais réinstaller des improvisations sonores  enregistrées la semaine précédente, d’un autre parcours, d’une autre église, sur la colline de Ronzières, surplombant celle où nous nous trouvons.

Des sons en décalages spatio-temporels, en frottements, d’une église à l’autre, transportés, audio-délocalisés, d’un moment et d’un lieu à un autre, en résonance, en discordance peut-être.

Jeux autour de perceptions décalées. Installer et faire bouger les sons, s’installer entre, chercher les postures, habiter fugacement l’espace…

Passage par une autre fontaine, avant que de profiter d’un dernier soleil couchant, et d’échanger sur nos expériences réciproques.

D’autres trames/traces sonores à mettre en récit, à historier.

Ausculter encore.

@ photos France Le Gall « Danser l’Espace – Sous les pommiers ba »

En écoute
Album photos : https://photos.app.goo.gl/1AkC3DWi5mHhUxGQ9

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Une église, une écoute, des histoires

Je pose mes oreilles et micros dans l’église, désacralisée, de Tourzel.

Un lieu donc, bâtiment roman, vide de tout mobilier, à l’acoustique très réverbérante.

Pierrette, la très accueillante voisine gardienne des clés, me conte quelques légendes locales.

Je joue, comme il se doit, avec l’acoustique des lieux.

J’imagine mon prochain passage, lors d’un PAS – Parcours Audio Sensible, avec un groupe d’écoutants.

Je saisis les porosités dedans-dehors, des véhicules, d’une conversation proche, et tisse une improbable histoire sonore.

En écoute

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Écrire l’écoute, de nouvelles traces

Du proche au lointain, je me rapproche, il s’éloigne, son d’ici ou d’ailleurs.

Près tout près, au plus près, ce sont les battements de mon coeur, le froissement des feuilles, le craquement des brindilles.

Le bourdon de la rivière, entêtant, envahissant….effet coktail!

Petits sons émergent des sous bois, assourdissants bruits de moteurs agressent mon espace sonore. Filtrer pour mieux écouter, choisir le son, l’accompagner et le laisser repartir.

Bulle sonore construit l’espace, délimite, tisse une toile.

Questions-réponses impromptues, insolites, sons s’emmêlent et organisent le vide.

Toile sonore.

Texte, Johana Fargeon

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Bancs d’écoute, vers l’Infra-ordinaire auriculaire

Régulièrement assis sur des bancs, mobiliers que j’utilise comme des points d’ouïe, des affuts d’écoute, des lieux d’échange, je parcours donc Tourzel Ronzières, mon lieu de résidence artistique, pour repérer ces derniers.

Le village, quelques deux cent âmes, est pourvu d’une dizaine de bancs dans le seul centre de Tourzel, ce qui est tout à fait satisfaisant, même si ces jours-ci, la saison estivale terminée et les températures fraîchissant, je suis un des rares à m’y poser.

Peu importe, c’est d’ici que je prends le pouls des lieux, que je m’immerge dans ses ambiances, que je capte les mille petits riens qui font vivre à mes oreilles le site investi, surgir ses paysages sonores du moment.

J’ai ainsi testé plusieurs assises, avant que d’en choisir une, au centre du village, en contrebas d’une fontaine, avec une belle vue sur les contreforts d’Issoire, un saule pleureur qui bruissonne joliment sous le vent, tout à côté. C’est ici que je me pose donc régulièrement, avec livres, carnets de notes et micros.

Considérant l’œuvre de Georges Pérec, si le concept d’Infra-ordinaire inspire mes écoutes et leurs narrations, sa tentative d’épuisement (d’un lieu parisien), descriptif localisé entêté dans l’utopique espoir de cerner un espace, d’en faire le tour, de se l’approprier pleinement, donne également du grain à moudre au projet d’installer l’écoute.

Lorsque dans le titre de cet article, je cite l’Infra-ordinaire, concept pérequien s’il en fut, je trouve cette approche, aux tendances minimalistes, on ne peut plus appropriée au lieu et à mes situations d’écoute, dans une ambiance où les sons sont assez ténus, nonobstant le passage parfois tonitruants de tracteurs et autres machines agricoles.

Et puisque nous en sommes à citer les acteurs et gestes inspirants, je ne saurais ignorer les « Presque rien » de Luc Ferrari, où le paysage sonore composé semble tout autant se construire que se dérober, (re)fluant sans vers d’autres espaces imaginaires.

Revenons à Tourzel et à mon banc d’écoute.

Quelques rares passants, pas et voix.

Le son de la fontaine voisine en continuum.

Des chiens qui se répondent d’un bout à l’autre du viillage.

Des véhicules  qui rompent brusquement une forme de torpeur pré-hivernale.

Des oiseaux, par séquences, pigeons et passereaux.

Quelques sons discrets, des portes s’ouvrent et se referment, presque en catimini…

Des feuilles mortes raclant le sol.

Des sons de la vie de tous les jours, non ostentatoires, non spectaculaires, loin de là, mais Oh combien présents, et signifiants dirais-je même.

Un infra ordinaire auriculaire, qui ne s’impose pas, qu’il faut aller chercher, vers lequel il convient de tendre l’oreille pour en saisir les nuances.

Et des nuances, il y en a ! Surtout lorsque nous installons l’écoute, persévérante, prête à pénétrer par l’exercice de la répétition, de la lenteur, de la réitération du geste d’écoute minimaliste, dans une surprenante trivialité, bien plus excitante qu’il n’y parait de prime abord.

Ces mille et un petits sons, habituels mais sans cesse ré-agencés, repositionnés, secrètement redéployés, offrent une scène acoustique au final très dépaysante, voire exotique, dans sa façon de ne pas se dévoiler, se révéler sans efforts.

L’Infra-ordinaire demande de creuser avec une certaine abnégation, les ambiances sonores, y compris les plus ténues, pour entrer dans le flux, l’immersif, le cœur-même du village, jusqu’à y reconnaitre avant qu’ils ne se montrent, des 4X4 bringuebalants, des tracteurs pétaradants, des voix… 

Il y a un monde entre les bancs de la place lyonnaise, au bas de chez moi, avec ses bars, commerces, scènes parfois  festives, urbaines pour le meilleur et pour le pire, et ce village de montagne isolé, hors des grands axes, que certains trouveraient sans doute bien trop « calme ».

Installer patiemment l’écoute, même si les choses écoutées semblent totalement dénuées d’’intérêt dans leurs apparentes petitesses, est une posture qui permet au paysage d’émerger de ses propres sons, et à l’écoutant de se fondre avec délectation dans les lieux pour en jouir pleinement.

Une forme d’Arte Povera sonore, et au final un profond dépaysement, qui délaisse la grandiloquence (dé)monstrative, ostentatoire, pour ausculter, au sens premier du terme, les petites pépites auditives du quotidien.

Album photos

Écoutez

 

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue laDRAC Auvergne Rhône-Alpes

Points d’ouïe – Installer l’écoute, de l’expérience aux récits

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Premier PAS – Parcours Audio Sensible public de ma résidence auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe »

Il s’agit de mettre en pratique l’intitulé de la résidence, en arpentant, oreille aux aguets, corps réceptacle sonore, et aussi bien entendu producteur, acteur, joueur, improvisateur selon les moments.

Un groupe d’écoutants de diverses pratiques, éducation, graphisme, danse, architecture, pour la plupart déjà rompus à l’exercice de la marche sensible.

Et des sentiers, prairies, une église, des sites préalablement repérés, et déjà marchés/dansés par plusieurs.

Faire corps avec les sons, expérimenter et installer l’écoute, en faire récit, trois visées principales de cet atelier.

Premières mises en oreilles, calibrage tympanesque, quelques gestes, des directions d’écoute, des visées auriculaires, et nous partons grand chemin petits sentier vers de soniques aventures.

Partir en silence, installer le silence de même que l’écoute, et nous le garderons sur une grande partie du trajet. une communauté éphémère, silencieuse, en tous cas par la parole communiquante. 

Traversée d’une rivière. Sur le pont, nous essayons quelques postures d’écoute pré-testées, pour faire entendre le fil de l’eau ondoyante sous toutes ses coutures, ou presque.

Un sentier en sous-bois, vent, oiseaux, rivière en contre-bas, qui s’éloigne, passe de gauche à droite, et se rapproche selon les détours caminés; quelques motos et quads, pas vraiment les bienvenus, heureusement, ils ne monteront pas vers nous et se feront très rares au fil de la journée.

Nous investissons un beau petit pré ouvert, chacun y trouve sa place, son point d’ouïe, un positionnement de corps écoutants qui maille l’espace instinctivement mais joliment.

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Des pierres qui sonnent, percutées, nous sommes dans la régions des phonolites qui, comme le nom l’indique, sont bien sonnantes, toutes désignés à musicaliser le chemin de percussions minérales.

Un autre espace de jeu s’ouvre à nous, au dessus de la rivière qui gronde par une percée, vers un contrebas aquatique.

Sthétoscopes ou stéthophones, longue-ouïe, on gratte, effleure, tapote, vise, improvisons chacun son concert intime, au creux de l’oreille. Les gestes exploratoires sont beaux à regarder, comme une sorte de ballet lent et silencieux, dans l’esprit de la structure qui m’accueille « Danser l’espace ». 

Espace danse au gré des sons, parfois dense, parfois moins, parfois peu, très aéré, fugace.

Des troués de vent, d’autres d’oiseaux, des guetteurs rapaces criards tournoient plus haut, des scènes au détour du sentier qu’il nous suffit de capter pour nourrir ce qui fait du paysage écouté, une véritable installation sonore à ciel ouvert.

Un triangle de verdure, espace idéal pour ajouter quelques sons parfaitement exogènes, urbains, venant titiller, décaler la scène acoustique. Un transport d’une ville vers cette forêt, surprise de ce facétieux chamboulement, cependant éphémère et discret, à l’échelle des oreilles écoutantes.

Une cupule sanctuaire ornée d’ex voto, dont nous respecterons le calme.

Passage de cyclistes et saluts.

Des voix chuchotantes, ou parlantes, les nôtres, qui se jouent des lieux en distillant onomatopées et bribes de phrases, mots parsemés, éclatés, impromptus.

Passage pentu, rocheux, le son de la respiration se fait plus présent.

Débouché sur un oppidum surmontant le village. Point haut. La vue s’ouvre. Une assez grande clairière herbeuse, un tilleul ancestral, majestueux, un petit cimetière dans l’enclos d’une église fortifiée. 

Le cadre inspirant de nouvelles expériences à portée d’oreilles, et de corps.

Pique-nique, le lieu s’y prête à merveille, entre sustentations et échanges nourris de l’expérience de chacun.

Reprise exploratoire, le cimetière et des lectures épithaphiques improvisées.

L’église romane et sa remarquable acoustique, idéale pour des jeux vocaux et percussifs. nous n ‘y manquerons pas.

On tuile, entrechoque, joue des grincements, souffles, cris et autres productions qui s’entremêlent dans un liant architectural  très réverbéré. 

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

On écoute aussi.

Aller-retours oreille, voix, gestes, dans un écrin sonore qui donne envie de jouer encore et en corps avec les sons les plus impromptus. Et de ce côté là, les promeneurs.euses du jour ne manquent ni de ressources, ni d’imagination.

Extérieur.

Jeux de marche, gravier, escaliers, recoins…

Devant nous, un belvédère, point de vue et d’ouïe panoramique par excellence, la vue et l’écoute à 180°.

Une ferme en contrebas, percussions métalliques de réparations agricoles.

Un tracteur au loin, dont on perçoit distinctement des cliquetis de sa herse, beaucoup plus que le moteur, qui le rendent bel objet musical.

Postures en surplomb, la vue parfois en désaccord avec les sons, parfois en concordance.

@photo France Le Gall – Danser l’Espace

Là encore, une invitation à s’attarder, se laisser happer par le soleil, généreux, les ambiances  lascives.

Le descente libère la parole.

Échanges sur le statut des sons selon les écoutes, ce qui fait groupe dans cette marche, ou ailleurs, les sons, le silence interne, la marche comme écriture œuvrée,  les synesthésies partagées…

De retour sur une terrasse toujours ensoleillée, quelques butins, délicats végétaux, exposés, et à nouveaux auscultés, dont en vedette, une bogue bien piquante de châtaigne… 

La petite magie des sthétophones qui courent sur les surfaces les plus variés, des cheveux, et aussi à la recherches des cœur battants, littéralement.

Une dernière séance d’écoute, en intérieur. 

Qu’est ce qui, dans les traces enregistrées, cueillies, fait paysage sonore, du plus figuratif, carte postale, au plus abstrait, où la matière sonore s’est diluée dans d’improbables manipulations, triturages, ou l’impression prime sur l’image ? 

Et ce que l’on a recueilli du jour, comment réécrire un paysage post marché, post écouté, post vécu ?

Des dessins, graphismes, fiches, cartes mentales commentées, ou plutôt racontées.

Des textes nés in situ et lus, parmi d’autres récits.

Des questions sur le faire ou le défaire paysagers, entre expériences esthétiques, militances écologiques, et sociabilités en écoute, celles du prêter attention, du prendre soin, du mieux être.

Une belle journée d’expérientiel s’achève.

A suivre…

Installer l’écoute…

@photo France Le Gall – Danser l’Espace
En écoute : Installer l’écoute – Expériences audio-paysagères
En écoute : Installer l’écoute, récits

Voir : Album photos
Voir : Album photos @Photos France Le gall

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Brumes

Ce matin

paysage brumeux

laiteux

comme étouffé

emmitouflé

les horizons rapprochés

gommés

les collines coiffées

et même les sonorités

les sonorités semblant amorties

dans une ambiance ouatée

versus wattée

la brume floute

dans un apaisement humide

où les sens flottent

entre des états incertains

des contours fuyants

joliment fuyants

des lumières tamisées

des oiseaux peu réveillés

des humains encore calfeutrés

jusqu’au déchirement

au soleil émergeant

où les choses vont bouger

autrement

s’ébrouer

s’éclairer

élargir les espaces

les horizons agrandis

l’oreille titillée

par des états audio-météorologiques mouvants.

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

L’apprentissage progressif et gradué de l’écoute paysagère

Après des années passées à entraîner l’oreille pour devenir progressivement plus efficace, pour lui procurer de plus en plus de plaisir, à ouïr une ville, une forêt, une gare, il me faut rester conscient que ce geste d’écoute n’est pas aussi naturel ni évident pour tous, moins en tous cas qu’il ne le paraît de prime abord. 

En guidant de nombreux parcours sonores, des PAS – Parcours Audio Sensibles, il m’a fallu progressivement amener l’oreille vers des espaces au départ relativement « évidents », simples à appréhender, à comprendre, ni trop saturés, ni trop paupérisés, ni trop minimalistes. Les parcours pourront par la suite, petit à petit, de façon graduée, se complexifier, en termes de densité, de longueur.

Il nous faut donc prendre conscience de de l’effort – même agréable – à fournir pour un promeneur écoutant débutant, pour entrer dans une écoute attentive et soutenue, qui sache dénicher les trésors de chaque lieu, et en jouir le plus naturellement que possible, sans trop d’a priori « bruitistes ».

Il nous faut également, comme dans toute forme d’enseignement, se garder de juger trop hâtivement, des formes « d’inculture sonore » alors que l’apprentissage, fût-il auriculaire, ne demande qu’à s’épanouir à son rythme, ici au rythme des pratiques d’écoutes.

Point d’ouïe – Traversée n° 2 – Choses entendues de nuit

@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest

Ce n’est pas la première fois que j’écris sur les paysages sonores nocturnes, et encore moins que je les expérimente, toujours avec un plaisir certain. Peut-être le sentiment de gentiment m’encanailler l’oreille dans des contrées auriculaires débutant entre chiens et loups et se poursuivant parfois jusque tard, après la nuit tombée.

La nuit, tous les sons ne sont pas gris, tant s’en faut !

Ils sont, plus que jamais, mis en valeur, et ce dans toute leur diversité. Et Dieu sait si diversité il y a. La palette des sons semble infinie, et sans doute l’est-elle, plus encore au cœur de la nuit comme un écrin intime.

Car la nuit exacerbe les sens, leurs donne un appétit vorace, ouïe comprise.

Et surtout l’ouïe… En ce qui me concerne, en tous cas ici.

La nuit, les sons prennent une place qui n’est pas, ou peu, ou moins disputée, voire évincée par l’hégémonie d’autres sonorités diurnes, dont et surtout celles motorisées.

C’est une histoire d’ambiances. Là où sons et couleurs sont colorés d’obscurité. Pas de noirceur non, mais bien d’obscurité. L’obscurité qui gomme certaines choses, certains détails, en efface d’autres, tout au moins visuellement.

Mais le son lui n’en a cure. Il s’en joue même, en profitant pour se faire émergence, pour affirmer sa présence, même et surtout dans un presque silence.

Si je ne te vois pas, chose sonore, je ne t’en entendrai que mieux, quitte à ne pas reconnaître ce que je perçois de l’oreille, le confondre, en ressentir comme un inquiétant malaise dû au non identifié, dû au non rassurant, voire au franchement inquiétant.

Mais laissons là ce qui peut nous paraître négatif pour aller chercher les aménités noctambules, comme on le ferait dans les nombreuses hymnes à la nuit, apanage des poètes de tout temps.

Je pourrais citer, voire conter maintes expériences, plus ou moins préméditées ou impromptues, qui ont profité de l’immersion nocturne pour nous plonger plus profondément au cœur de l’écoute, ou tout au moins au cœur d’une forme d’écoute singulière, qu’elle soit solitaire ou collective.

Un banc public, une petite place, Orléans, un soir d’hiver, by night. Une jeune femme marche, elle longe lentement le pourtour de la place en chantant, mezzo voce, d’une fort belle voix, Summertime. Instant magique s’il en fût.

Un autre banc, perdu au dessus d’une vaste combe des montagnes du Bugey. Nous sommes trois, assis, contemplant plus d’une heure durant, en silence, l’obscurité s’installer. Quelques rapaces nocturnes trouent l’espace de leurs brèves stridences éraillées, des clochettes de chèvres au loin. Autre instant magique.

Mon quartier lors d’une panne d’éclairage public. Étrange ambiance où tout semble aller en catimini, entre fascination et inquiétude. Les voitures-même semblent murmurer…

Une balade nocturne sur les Monts du lyonnais, dans la chaleur tombante de l’été. Une vingtaine d’écoutants se coucheront longuement dans l’herbe, d’un commun accord, sans préméditation, enveloppés de chants de grillons, de vaches et chiens au loin… La nuit porte tout cela délicatement à leurs oreilles ravies.

Traversée nocturne et pluvieuse des abords d’une gare urbaine. Le paysage ruisselle de couleurs réverbérées sur l’asphalte des trottoirs et des chaussées, de couleurs moirées, en tâches irisant les sols, mais aussi de sons clapotis clapotant. Sans compter les soupirs ponctuels des trains impatients de quitter les quais, les ventilations obscures, entêtantes ferrailleuses et cliquetantes…

Une traversée de forêt nocturne. Nos pas font craquer des brindilles et branches sèches comme des petits feux d’artifices crépitants, nos souffles halètent, chacun à son rythme, quelques rapaces effarouchés s’envolent bruyamment ; désolé du dérangement ! une cloche tinte au loin, un rien fantomatique. Et la nuit poursuit son chemin comme nous le notre en son sein…

Et tant d’autres expériences où l’oreille s’accroche, s’étire, s’ébroue, enroule son écoute dans une obscurité complice.

La nuit festive… Où des rires et chansons d’étudiants s’échappent des fenêtres ouvertes, où des scansions rythmiques laissent imaginer des corps dansant.

Des plaisirs parfois contraints, empêchés, interdits même, bridés, par un méchant virus, des voisins chatouilleux, des législations intransigeantes.

La nuit urbaine contrainte, d’où disparaissent peu à peu les espaces de liesse, pour ne laisser que quasi pesant silence au final ; le droit au sommeil à tout prix, y compris celui d’assécher les ville de ses moindre soupçons de plaisir un brin canaille.

La ville policée, peau lissée, nettoyée de ses scories sonores risquant de devenir tapageuses si l’on y prend garde.

Heureusement ici et là, de petits foyers de résistance persistent à festoyer à grands renfort de musiques et de rires, éclaboussant la nuit d’une énergie sonique autant que vivifiante.

N’allez pas croire ici que je prêche une quelconque désobéissance civile, la révolte des noctambules. J’apprécie néanmoins ces trouées audio libertaires venant parfois bousculer la nuit trop bienséante. En règle générale, tout rentrera, un peu plus tard, dans l’ordre d’un calme socialement convenu et partagé.

A trop vouloir brider, on s’expose à des résistances parfois plus inciviles, de rodéos sauvages en tirs d’artifices guerriers qui nous hurlent « Mais j’existe quand même ! ».

Entre nuit apaisée et espaces d’équilibres fragiles, quiétude et soubresauts, la nuit se pare de milles ambiances, parfois ambigües, mais riches d’expériences sensorielles, qu’il faut savoir traquer par des arpentages laissant au vestiaire, autant que faire se peut, des a priori enfermants.

Parce que mes nuits d’écoute sont aussi belles que vos journées…

@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest

Points d’ouïe, les voix de la ville

Mais c’est quoi ce son là ?
Celui qui colle à mes pas
celui qui colle à mes oreilles ?
Ce son là ?
Mais ce sont les voix de la ville.
Le son de la ville qui chante
comme de celle qui déchante.
Mais si on l’écoute bien, des fois, il enchante.
Mais oui, il l’enchante, mais ouïe !
Après, faut coller l’oreille, à la ville.
Faut coller l’oreille à l’asphalte chaud
qui a peut-être emprisonné le bruit des pas passants
pas gravés dans une mémoire du sol
gravées en vibrations figées mais re-jouables
faut coller l’oreille aux murs transpirants de poussière
des fois qu’ils se souviennent
faut coller l’oreille aux chantiers
ceux qui n’en finissent pas de déconstruire
ceux qui n’en finissent pas de reconstruire
faut coller l’oreille aux passants
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en devisant
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en silence
faut coller l’oreille au passé
passé enfoui
celui qui suinte par les fissures
fissures des industries en friche
des maisons abandonnées
des terrains vagues
des vagues terrains
aujourd’hui tous barricadés
sans cris d’enfants aventuriers
des espaces indéfinis
ou non finis
où se perdre l’oreille
rares espaces
retenant des couches audibles en strates sonores
de celles qui explosent en bulles
qui explosent presque muettes
faut coller l’oreille aux fontaines aussi
celles qui s’ébrouent en flux liquides
quitte à noyer ou en perdre le bon entendement
faut coller l’oreille aux métros
ceux qui font vibrer la ville
la ville du dessous j’entends
il faut plonger dans le bruit des chaos
il faut plonger dans le murmure des oiseaux nocturnes
il faut plonger nuitamment dans un parc livré aux auricularités noctambules
il faut suivre les vibrations des souffleries essouflantes
il fait espérer que la cloche nous maintienne entre trois géographies soniques
celle du haut aérienne
celle du bas terrienne
et celle de l’entre-deux hésitante
il nous faut jouer des lieux
ceux discrets
et ceux tapageurs
passer de l’un à l’autre
et de l ‘autre à l’un
mixer les chemins d’écoute
histoire de dérouter l’esgourde
de désorienter le pavillon
d’émouvoir les écoutilles
et pourquoi pas !
Il faut trouver le lieu ad hoc
le banc d’écoute où l’oreille peut se déployer
où l’oreille peut se tendre
où l’oreille peut se détendre
Il nous faut marchécouter la cité
se fier aux ambulations bordées de sons
et s’en défier sans doute
praticien de dérives à en perdre le sens de l’Orient à sons
quitte à virer de bord
sonique instinct…

Points d’ouïe, Audio-portraits de villes

Je commence à comprendre, après de nombreuses années d’écoute, ce qui peut construire une signature sonore urbaine, des marqueurs, des repères, des parcours, des rencontres, des mises en situation…

Mais il reste beaucoup à affiner.

Alors affinons.

Par exemple, quels seraient les marqueurs acoustiques d’une ville que j’appréhende via l’oreille ?

Les cloches, carillons des églises, ou des beffrois. Ce qui me vient spontanément et logiquement à l’esprit, et à l’oreille.
Les fontaines, même si elles se taisent parfois aux périodes hivernales.
Les espaces piétonniers.
Les squares et parcs urbains.
Les halls de gares, chacun ayant souvent une signature singulière.
Les marchés, avec leurs voix, leurs harangueurs, les formules litaniques, qu’on repère de loin.
Les acoustiques des ponts (dessous), si ponts il y a, ou des tunnels.
Les acoustiques des parkings publics, surtout ceux souterrains et ceux fermés, à plusieurs niveaux.
Les rives d’un fleuve, d’une rivière
Les espaces de loisir de plein-air
La vie nocturne
Les climatisations en continuum
Les acoustiques des églises, hors cérémonies, leurs souvent belles réverbérations…
Et plus encore selon les villes…

Donc capter ces sons, dans une sorte de collection, d’échantillonnage, de carottage urbain.
J’aime l’idée de la série.
Travailler sur la répétition, le motif, la récurrence, les variations, les déclinaisons…
Les séries permettent de donner un sens à l’écoute, de construire des formes de cohérences sensorielles, dans une urbanité parfois brouillonne et surchargée de signes.
Séries de cloches, d’acoustiques d’églises, de fontaines, de voix…

Vient le moment du tri.
Que conserve t-on et sur quels critères ?
Qualité sonore, affinité, émotion, représentativité… ?
Trier est une opération qui peut se révéler douloureuse, dans les affres de choix empêtrés d’hésitations. Mais l’écriture s’affine à ce stade incontournable.
Éviter la boulimie, aller vers une forme de concision épurante, simplifier, clarifier, comme en cuisine, trouver des textures limpides.

Vient le moment de l’écriture.
Quelle forme d’écriture, et surtout pour quelles mises en situation d’écoute ?

Les formes de mise en scène sonore, les façons dont on va jouer, ou faire rejouer des œuvres/ambiances dans des lieux singuliers, dédiés ou non.
Des questions clés intrinsèquement liées à la notion de paysage sonore en chantier.
J’avoue avoir une attirance pour les lieux non dédiés, de préférence dans l’espace public, ou des bâtiments publics.
Des espaces où on ne s’attend pas forcément à rencontrer des pièces sonores, qui questionnent le lieu-même, par résonance, frottement, effet de surprise.
Des installations/diffusions à l’échelle acoustique des lieux, qui ne viennent pas les agresser, et par là même nous agresser, mais plutôt les habiter respectueusement, s’y infiltrer, s’y blottir,y compris dans les plus subtils décalages et détournements.

Par exemple
Installer des acoustiques de bâtiments religieux dans d’anciens confessionnaux
Des sons de ville sous des ponts
Des sons qui remplaceraient temporairement la muzak des parkings
Des boîtes noires posées dans l’espace public, lieux de diffusions acousmatiques intimes
Des sons discrets dans des passages couverts
Des sons à écouter l’oreille collée à une palissade, une paroi…
Des mises en écoute et des postures d’écoutants proposés en fonction des spécificités urbaines, éminemment contextuelles.

Voilà quelques aventures d’audio-portraits urbains à décliner ici ou là, ou ailleurs.
Ce que je ne manque pas d’imaginer, et de faire.

Point d’ouïe, ambiances en échos

Digital Camera

C’est un petit PAS – Parcours Audio Sensible a minima, et aussi une réunion de travail, avec un collègue, lui aussi passionné de paysages sonores, il y en a.

Nous sommes sur les bords de Saône à Lyon.

Sous un pont, le pont Schuman pour être précis, qui enjambe la Saône en reliant le 9e arrondissement au 4e.

IL fait un temps magnifique.

Nous marchons en devisant des choses sonores et de projets en cours et à venir.

C’est un quartier, le mien, que je connais comme ma poche, et sans doute mieux encore, lieu d’expérimentations auriculaires.

Sous le pont, de beaux reflets aquatiques animés font spectacle, sous le tabouret bétonné de cette architecture réfléchissante.

Et en écho, le mot est ici adéquat, un effet sonore singulier et surprenant. L’écho justement.

Sept échos en réponse à nos sollicitations sonores, identiques à ceux rencontrés en paysage de moyenne montagne, le Haut-Jura étant un territoire on ne peu plus sonnant.

Trois puissants, suivis de quatre brutalement estompés, allant decrescendo jusqu’à tendre l’oreille.

On en joue sans compter, à la trompe, à la voix, au mains claquées.

Les passants sont interpellés par nos jeux, les oreilles titillées, amusés, surpris, dubitatifs…

C’est un de mes points d’ouïe fétiche, que je ne me lasse de faire sonner, et de faire découvrir.

C’est un micro spot d’écoute où il pourrait se jouer bien des choses, sans grand dispositif, juste les lieux sonnants et les sonneurs joueurs.

Et c’est ce que j’aime par dessus tout.

Point d’ouïe, de l’image vers le son, et vice et versa

Il y a des images sonores, celles, mentales, que procurent l’écoute de musiques, de pièces sonores, de reportages radiophoniques, semblables à celles générées par la lecture d’un texte.

Il y a des images sonores, des ambiances, des histoires pour l’oreille, qui peuvent être suggérées par la vision d’une image.

C’est de cette catégorie de représentation dont je vous parle ici.

Par exemple, regardez l’image ci-dessus, laissez aller votre imagination, écoutez le monde sonore qu’elle vous inspire.

Radiophonie, La croche Oreille et Desartsonnants

 (Photo : Yuko Katori, CRANE Lab, détail © 2016)

Artiste sonore, musicien et pédagogue, Gilles Malatray arpente les territoires sonores des villes et des campagnes depuis une trentaine d’années. Défricheur de l’onde musicale, il cogite des parcours pour l’oreille, met en scène des installations et multiplie les invites à écouter le monde. La Croche Oreille a le plaisir de le recevoir en entrevue. (Photo : Yuko Katori, CRANE Lab, détail © 2016)

Œuvres au programme :
Gilles Malatray, Un mythe d’Echo
Gilles Malatray, Les communs collectifs, et vis et versaet versa
Gilles Malatray, Nuitée
Gilles Malatray, City Sonic Soundscape
Gilles Malatray, Bestiaire et autres bêbêtes
Gilles Malatray, Miroir aux vents
Gilles Malatray, 20 heures à nos fenêtres
Gilles Malatray, Est-ce que tu me vois ?
Gilles Malatray, Arioso Barbaro
Gilles Malatray, Terra Sonata
Gilles Malatray, Valse le siffleur du jour
Gilles Malatray, 20h Lyon vaise le 06 mai 2020
Gilles Malatray, Lever du jour

Présentée sur les ondes de CKRL 89,1 le dimanche à 21 h, La Croche oreille est réalisée et animée par Gaëtan Gosselin.

Le contenu de l’émission est disponible en baladodiffusion.

Partition de PAS-Parcours Audio Sensible n°17 – Lieux étranges

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Rue couverte à Lyon, quartier des Terreaux

Lieux : Partout, de préférence en milieu urbain

Temporalités : Pas de contraintes, de jour comme de nuit, avec une préférence pour la nuit.

Public : Groupe de 2 à 20 personnes, ou parcours libre en autonomie…

Actions : Parcourir une ville en y repérant et explorant les lieux étranges, triviaux, délaissées, obscurs, inattendus… Par exemple des passages couverts, halls, passages souterrains, rues couvertes, parkings, travaux, zones industrielles, bâtiments désaffectés… Une forme d’audio-urbex ?

Mettre l’étrangeté du visuel, des ambiances, lumières, en adéquation avec une écoute décalée, des espaces acoustiquement résonants, vides, ou saturés…

Remarque : Ces expériences d’audio-paysages underground gagnent à être vécues en nocturne, pour renforcer le côté onirique et parfois sensoriellement déstabilisant des immersions.

Point d’ouïe et raisons d’être

Installer des sons, si esthétiques et agencés soient-ils, n’est pas au final un geste satisfaisant.

Ni même composer avec.

Ce qui importe, c’est d’imaginer, d’écrire, et qui plus est d’expérimenter, des ambiances sonores que l’on aimerait vivre, où l’on aimerait vivre, dans lesquelles on se sentirait bien, ou au moins à une bonne place, au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes, les bonnes motivations…

Installer des sons relève sans doute d’une douce utopie, mais de celle qui fait naitre et alimente les projets en chantier ou à venir.

Certainement une raison d’être ce que l’on est, fragilement, ou ce que l’on souhaiterait être, tout aussi fragilement.

C’est pourquoi que je préfère installer l’écoute plutôt que les sons, parce que l’écoute peut encore nous réunir autour des sons, autour de nous-même.

Pratiques de l’écoute, écoute des pratiques #16 : Paysages sensibles, entre expérimentations et recherche

Pratique de l’écoute et écoute des pratiques

Comité d’organisation

Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Elena Biserna (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Christine Esclapez (AMU, PRISM AMU/CNRS), Peter Sinclair (ESAAix, PRISM AMU/CNRS)

Thématique du séminaire

Le séminaire intitulé « Pratiques de l’écoute, écoute des pratiques » définit clairement son projet dans l’énoncé de son titre : il s’agit d’abord de s’intéresser à l’écoute et aux pratiques de l’écoute, c’est à dire aux pratiques qui à la fois supposent, engagent et déterminent des formes d’écoute.

Ces pratiques sont nombreuses et très différentes les unes des autres. Elles appartiennent à des domaines de la connaissance infiniment variés. Toutes supposent une relation au son ou au moins à des phénomènes ondulatoires qui sont de l’ordre du sonore – même s’ils défient les limites de la perception humaine et qu’ils impliquent la mise en œuvre de technologies qui étendent, déplacent et transposent les potentialités du sensible. Toutes aussi impliquent de mettre en place une logique dans laquelle la réception, la sensibilité et l’attention sont mobilisées comme des formes essentielles de l’expérience et de la connaissance, comme des moments qui déterminent et structurent notre relation à notre environnement, comme des vecteurs de notre capacité d’action, de représentation et d’invention.

Bien sûr, la musique et plus généralement les pratiques sonores en art sont essentielles à notre réflexion et nous nous sentons héritiers du tournant qui a consisté, par exemple avec John Cage, à placer l’écoute au cœur d’une pensée de l’esthétique comme expérience. Mais bien au-delà de la musique ou des arts du son et de l’audio, il existe de nombreuses pratiques, qu’elles soient

empiriques ou expérimentales et rationnellement formalisées, qui mettent en jeu de façon déterminante la question de l’écoute.

L’acoustique est évidemment la première d’entre elles et elle se trouve chaque fois impliquée d’une façon ou d’une autre. Mais notre énoncé suggère aussi que l’écoute n’existe vraiment que dans et par une pratique. De ce point de vue là, l’écoute s’apprend, se développe, s’affine et s’oriente dans la relation à un ensemble organique où l’expérience et la théorie doivent trouver les modalités de leur dialectique. Toute écoute prend sens dans le contexte d’une situation qui engage la relation entre des acteurs et le milieu mouvant dans lequel ils évoluent. Elle contribue à donner sens à ce milieu et elle présuppose l’orientation d’une perception qui ne reçoit que parce qu’elle attend et s’interroge. L’écoute est éveil, exercice, pensée, mouvement, relation aux autres et au monde. Elle mobilise du savoir et le met à l’épreuve d’une situation signifiante. Elle s’inscrit dans une histoire qui est aussi l’histoire des disciplines qui la mettent en œuvre.

L’écoute est donc une notion à la fois transversale et toujours inscrite dans des pratiques spécifiques, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, formalisées ou empiriques. Si elle engage des pratiques déterminées et multiples, elle ouvre aussi un espace de discussion, de partage et d’échange entre ces pratiques et ces savoirs, entre les arts et les sciences.

Partenariat

Institut d’Etudes Avancées d’Aix Marseille Université (IMéRA)

Comité d’organisation: Jean Cristofol (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Elena Biserna (ESAAix, PRISM AMU/CNRS), Christine Esclapez (AMU, PRISM AMU/CNRS), Peter Sinclair (ESAAix, PRISM AMU/CNRS)

L’écoute comme pratique sociale et comme comportement

Gilles Malatray, artiste sonore
Lire et écrire le paysage sonore ambiantal.
Par la pratique du soundwalking, de la marche d’écoute et de ses nombreuses déclinaisons, l’artiste participe à la lecture, comme à l’écriture, souvent collectives, de paysages sonores sensibles, quels que soient les milieux arpentés, explorés.
Dans une approche convoquant différentes formes d’esthétiques paysagères, des lectures écologiques, voire écosophiques, la prise en compte de sociabilités auriculaires, la recherche d’aménités, le partage de sensibilités, le promeneur écoutant* ne cesse de questionner les multiples façons d’écouter ses milieux de vie. S’il s’agit ici de se mettre dans l’ambiance, en empathie, il lui faut également tenter, avec un certain recul, de décrypter, voire de composer des ambiances.

Quelques questions se posent alors. Comment bien s’entendre avec sa ville, son quartier, son village ? Comment créer et partager de nouveaux points d’ouïe, de l’inauguration à l’inventaire ?
Comment partager des écoutes qualitatives, parfois chahutées entre des situations de saturation comme de paupérisation ?

Marcher et écouter, (soundwalking) prélever des sonorités (Field recording), composer ou recomposer, faire trace, cartographier, ré-écrire et questionner, convoquent autant de gestes et de postures potentiels pour explorer des démarches audio-paysagères in situ, émminament contextuelles et relationnelles.

*Terminologie empruntée à Michel Chion dans son livre au titre éponyme

Natacha Cyrulnik, réalisatrice, chercheuse (PRISM AMU-CNRS)

AtmosphèreS, un projet de recherche.
« AtmophéreS » est un projet structurant de l’UMR 7061 PRISM (Perception, Représentation, Image, Son, Musique) qui vise à fédérer des chercheurs issus de différentes disciplines.
A partir de points de vue différents, il sera question de construire une réflexion générale sur la notion d’AtmosphèreS, notion qui met l’humain au cœur d’un dispositif de représentation du milieu. A la fois fédération de points de vue et « lieu » où les différentes altérités pourront converser, le projet structurant « AtmosphèreS » vise à croiser les regards.
Nous aborderons dans un premier temps l’historique qui a donné naissance à ce projet structurant, puis, à partir de trois exemples précis issus de membres du laboratoire d’origine disciplinaires différentes, nous tenterons en voir en quoi ce croisement peut initier de nouvelles recherches, de nouveaux croisements et de nouvelles propositions artistiques.

Photo: Gilles Malatray Soundwalk, festival Around the Sound, Centre d’art contemporain de kaliningrad – Institut Français de Saint-Pérersbourg

Image sonore au fil de l’onde

Courant d’eau
comme un courant d’air
mais en plus liquide
plus tangible aussi
plus canalisé
bordé
rivé
semé d’obstacles
qui rendent audibles
un flux aquatique qui s’y cogne
contourne
et ça clapote
chuinte
glougloute
plique et ploque
dérive
écume
mousse
s’égoutte
bouillonne
érode
arrose
songe à crues
rafraichit les écoutilles
lave des scories bruyantes
se la coule douce
en sons rincés
en houle mouillée
en paysage liquide
qui s’écoule dans nos corps inondés.

Parce que la marche, tout comme l’écoute…

Balade en Ardoinais – Parcours Audio Sensible nocturne avec Gare au Théâtre – @Mairie de Virty sur Seine, photothèque culture

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Parce que la marche s’inscrit dans une démarche esthétique,
tout comme l’écoute.

Parce que la marche s’inscrit dans une démarche sociale,
tout comme l’écoute.

Parce que la marche s’inscrit dans une démarche écosophique,
tout comme l’écoute.

Parce que la marche s’inscrit dans une démarche politique,
tout comme l’écoute.

Ensuite, nous pouvons parler de paysages sonores.

Partitions de PAS – Parcours Audio Sensibles, des modes de jeu

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Dans l’un de mes chantiers actuels, les partitions de PAS – Parcours Audio Sensibles, ces dernières ne sont pas une fin en soit, même si l’idée de  construire un sorte de collection a , de prime abord, un côté assez jouissif.

Ces partitions vont plutôt dans le sens d’une joyeuse stimulation, conduisant à des déclinaisons où les postures d’écoute(s) sont des moteurs très actifs.
Ces déclinaisons, ou variations pour rester dans une métaphore d’écriture musicale, décentrent, ou recentrent, selon les points d’ouïe adoptés, l’objet-même de l’écoute, voire l’objet-même qu’est l’écoute.

L’écoute, envisagée comme pratique expérimentale, peut être ainsi décalée, parfois via la recherche de postures inouïes, même très simples, mais également affirmée comme un geste infléchissant sensiblement la perception d’ambiances auriculaires spatio-temporelles.

Il s’agit ici de remettre en question les gestes d’écoute, frottés aux lieux, mais aussi à leurs occupants et activistes divers.

On peut alors se positionner comme un acteur qui n’est jamais sûr de se trouver au bon endroit, au bon moment, ou dans le bon geste, mais qui questionne sans relâche sa position, la ou les postures de l’écoutant, de l’objet écouté, dans des espaces eux aussi en écoute.

Les interactions, inter-relations, synergies, hybridations, alimentent un jeu, ou plutôt des modes de jeux, qui seront partitionnés en vue d’être joués, re-joués, interprétés, offerts et soumis aux aléas de la variation, elle-même soumise aux contingences du moment.

Il est donc essentiellement question de jouer, de mettre en mouvement des situations ludiques, de construire des jeux comme autant de mises en situation in situ. Le verbe anglais « to perform », prend ici tout son – ses sens, celui d’exécuter (musicalement), d’interpréter, mais aussi de réaliser, de produire, même immatériellement, et qui plus est, si on le croise avec l’idée polysémique de performance dans notre langue, de frotter notre propre corps à l’expérience, parfois éphémère, fugace, de l’espace sonore, du groupe.
La partition/consignes, d’ailleurs plus suggestion que véritable consigne injonctive, nous donne des pistes à explorer de l’oreille et du corps. Jeux de déambulations, de postures physiques et mentales, de rapports à l’espace, au groupe, à la vibration des lieux, qui puisent dans des « scores »* pouvant s’écrire, se composer, se jouer en même temps parfois que le geste improvisé, celui en réponse à des stimuli souvent inattendus, sinon inouïs.

Un multitudes de situations, de sensations sont envisageables, possibles, de la plus écrite jusqu’à la plus spontanée, entre trame/canevas et improvisation, partition et expression libre.

* Dans l’acception anglaise de la partition

Page des Partitions de PAS : https://desartsonnantsbis.com/pas-parcours-audio-sensibles-partitions-de-pas/

Expérience sensorielle nocturne urbaine

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Un soir d’automne avancée, après une journée plutôt bureau-ordi, j’éprouvais, comme souvent à la nuit tombante, l’envie de faire ma promenade urbaine quasi quotidienne. Après un bon quart d’heure de marche, je constatais une ambiance très étrange, qui transformait sensiblement l’atmosphère de la ville, sans que je n’ai pu déceler de quoi il s’agissait vraiment.

Puis, la nuit tout à fait installée sur la ville, je remarquais que c’était en fait au niveau des lumières que l’ambiance était devenue singulière. Tout l’éclairage public, sur un très large secteur géographique était éteint, ou plus exactement ne s’était pas allumé. Les rues et places n’étaient éclairées que par les feux tricolores, les phares des voitures, et l’éclairage des enseignes et vitrines des commerces. Commerces qui d’ailleurs, vers 19H, fermaient pour la plupart leurs portes, ce qui contribuait encore à un assombrissement progressif et général du quartier. Pour autant, celui-ci n’était pas plongé dans un black-out total, car en fait, surtout dans les rues les plus passantes, subsistaient de nombreux points lumineux, de la luciole à la tâche éclaboussante selon leurs importances, maintenant la présence d’ambiances lumineuses suffisantes pour se déplacer sans problème. Ces lumières conféraient aux lieux un côté parfois assez fantomatique, avec des reliefs tellement différents de ceux vus et perçus habituellement, qu’une certaine poésie subjuguante imprégnait le quartier. Je décidais alors de profiter de cet obscur glissement assez sensible de la ville pour explorer de nouveaux « univers », en passant de rues très peuplées à de toutes petites ruelles et placettes, où peu de voitures ne circulaient et peu de boutiques avaient pignon sur rue.


Et là l’obscurité s’intensifiait de façon très marquée, quasi inquiétante. Les rares passants que je croisais, loin de partager mon plaisir de la ville d’ombres, semblaient plutôt inquiets et peu rassurés…


Ces allers-retours entre points assez lumineux et zones d’ombres, en transitions fondues ou rapides m’occupaient une bonne heure durant, jusqu’au moment où les lampadaires arrosèrent de nouveaux les trottoirs et chaussées de leur flux de lumière. Le charme était rompu, la ville redevenait espace de lumières, parfois dans une débauche exacerbée par ce retour brutal à la « normale ».


Une autre chose me frappa ce soir là. Je n’entendais plus du tout la ville de la même façon. Plus l’obscurité s’accentuait, plu les sons se faisaient présents, ciselés, perceptibles, discernables jusque dans leurs infimes détails, par une forme de synesthésie sensorielle qui fait qu’un élément sensitif semble vouloir occuper l’absence, ou la diminution d’un autre, dans une sorte rééquilibrage psychosensoriel.
De même, je suis persuadé que le comportement-même des piétons se modifiait au fil de l’obscurité croissante, dans une crainte à la fois de perturber cette « marée noire » ou peut-être de trop attirer l’attention sur soi, un sentiment d’insécurité naissant, parfois puissant, dans ses circonstances.
Les lumières revenues, les sons semblèrent s’estomper, comme un brin noyés dans une polyphonie retrouvée.


En tout cas, cette atténuation et exacerbation concomitantes me donnaient à voir et à entendre la ville d’une bien belle façon, en souhaitant presque que le phénomène, ou simple panne, se reproduisit de temps à autre pour poursuivre cette expérience sensorielle urbaine.

Partition de PAS – Parcours Audio Sensible N°15, s’allonger dans les sons

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Hamac d’écoute, parcours sonore Jardin des Allivoz, Le Gand Parc de Miribel Jonage

Lieux : Partout

Temporalités : Pas de contraintes, de jour comme de nuit

Public : Groupe de 2 à 20 personnes

Actions : Parcourir une ville, une forêt, un parc… De temps à autre, selon les points d’ouïe, scènes sonores, s’allonger sur le sol, écouter, se laisser totalement immerger, yeux fermés… Jalonner son parcours d’écoutes allongées, les comparer, les commenter….

Remarque : Pour votre confort, prévoir un tapis de sol si possible imperméable

Centre de découverte du son à Cavan

Point d’ouïe, connaitre et s’y re-connaitre

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Plus de 20 ans à habiter dans ce même quartier, malgré d’incessants déplacements, y revenir toujours, s’ y ancrer en quelque sorte, comme dans un port où il fait bon mouiller pour s’y ressourcer.
Forcément, le temps marque un territoire, forcément, le temps fait territoire.
Territoire de vie, d’activité, de loisirs, de rencontres, d’habitudes, d’habitus. Territoire vu sans être vu parfois, ni entendu vraiment.
Par manque d’exotisme et de dépaysement ?
Et pourtant mille détails le construisent au quotidien. Se stratifient en mémoire vive.
Et parmi eux des sonorités à foison.
Je m’entends finalement bien avec ce coin de la place de Paris à Lyon 9e.
J’y connais et reconnais tant de choses repères, balises, marqueurs…
Les cloches voisines.
Les voix de mes voisins.
De certains passants.
Des commerçants.
Des camelots et primeurs des marchés.
Des clients du bar en bas.
Des trains ferraillant sur le pont.
Des marchés qui s’installent, et se plient.
Des surprenants échos sous le pont Schuman.
Un haut-parleur qui crachote depuis des années dans le hall de la station de métro.
La sirène des premiers mercredis du mois à midi, sur le toit du théâtre.
Les cliquetis du volet roulant du bar en face
Et même la Saône silencieuse.

Toujours trouver un terrain d’entente.
Même s’il semble instable.
Surtout s’il semble instable.
Et avec ta ville, ton quartier, comment tu t’entends ?

PAS – Parcours Audio Sensible, art(s) dans la rue ?

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Le titre, volontairement ambigu, pose la question du positionnement des pratiques auditives et déambulatoires, façon Desartsonnants, notamment face et dans l’espace public.

J’ai rencontré les arts de la rue, théâtre de rue à l ‘époque, arts en espace public aujourd’hui, il y a de nombreuses années, alors que celui-ci était tout jeune et en plein essor, à Chalon sur Saône, où je travaillais sur le paysage sonore, déjà.

J’ai été très vite surpris, conquis, parfois emballé par ces créations souvent impertinentes, inattendues, parfois tout feu tout flammes, parfois très intimistes.

J’ai croisé beaucoup de personnages remarquables, dont certains questionnaient la chose sonore, ou l’utilisaient avec beaucoup de talent et d’inventivité, ce qui n’a pas manqué de questionner, et parfois sans doute d’influencer mon regard, mon écoute, mes approches de l’espace public, et du ou des publics eux-même.

J’ai vu et vois encore évoluer ces pratiques artistiques au fil du temps, de l’installation de ces formes dans des réseaux de création, de l’évolution du public qui est devenu de plus en plus averti, des contraintes économiques, sécuritaires, et aujourd’hui sanitaires… Contraintes qui d’ailleurs ne semblent pas avoir pas bridé ni affaibli la vivacité de ce vivier d’expérimentations, qui a toujours su s’adapter, se renouveler et se ré-inventer, malgré des périodes pour le moins compliquées telle celle que nous vivons actuellement.

De fait, mes parcours sonores croisent ces pratiques artistiques, pour lesquelles vous l’aurez sans doute compris, j’ai beaucoup d’estime et d’admiration, sans toutefois rentrer vraiment dans cette grande famille.

On m’a dit à différentes reprises que mes parcours, lents et silencieux, étaient une forme de performance, dans le sens de performance artistique j’entends, liée à des partages d’expériences auriculaires dans l’espace public, mettant le corps plus que le dispositif au cœur d’immersion dans des paysages sonores en devenir. Ce que j’accepte bien volontiers, sans toutefois là encore me considérer comme entrant vraiment dans le champs de l’art performance.

Je reste sur des seuils, des lisières, des entre-deux, des interstices, ce qui n’est pas pour moi contre-productif, mais au contraire plutôt inspirant.

L’hybridation est pour ma part une façon de résister aux multiples contraintes, et à rester dans un état mouvant, façon de penser mes interventions à l’aune de multiples synergies et modes d’écritures que propose et contraint le terrain et ses aléas de tous genres.

Pour la petite histoire, ce texte à été écrit sur les marches d’une scène nationale voisine, et sur la première page d’un tout nouveau carnet de notes, objet presque sacré pour moi, qui symbolise une rentrée où le mot d’adaptation est plus que jamais d’actualité.

Points d’ouïe et maillage

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Je relie de plus en plus les lieux et les moments d’écoute, non pas comme une somme d’identités plus ou moins indépendantes et singulières, mais comme une sorte de récit globalement cartographié, mis en son et en mots. A la façon de Gilles Clément, dont le Tiers-paysage est tissé d’une multitudes de friches, de dents creuses, par des parcelles de non emprise, dans un éco-système global et cohérent, je pense de multiples points d’ouïe, spots auriculaires appréhendés par l’écoute, comme la fabrique, le façonnage, d’un paysage sonore aussi diversifié que quasiment universel.

Certes je n’ai pas posé, loin de là, mes oreilles partout, il me reste tant de zones que j’aimerais tant entendre, mais j’ai sans doute suffisamment posté mes écoutes me me tisser, métisser, un large récit auriculaire à portée d’oreilles.

Des villes et des pays – Lyon, Mons, Cagliari Victoriaville, Tananarive, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Vienne, Paris, Sabugueiro…  endroits singuliers où j’ai installé, souvent se façon récurrente, diverses écoutes, parcours, solitaires ou collectifs, ont fortement maillé une géographie auriculaire qui se fait progressivement cohérente. Partout de l’inouï, partout du déjà entendu…

Et des entre-deux, comme des interstices où l’oreille cherche les seuils, les limites, les lisières et les passages…

Au fil des arpentages, collectages, rencontres, expériences de terrain, se construit un territoire sonore sensible et mouvant, mais néanmoins de plus en plus descriptible dans une forme d’entité perceptible.

Si chaque projet, dans sa contextualité spatio-temporelle, est écrit et cousu main, ou cousu-oreille, il apporte néanmoins à chaque expérience, une pièce supplémentaire à une sorte de carte-puzzle, un jeu dont les règles ne cessent de se ré-écrire, de s’adapter au milieu et aux personnes croisés.

Entre deux villages, voire deux hameaux, à quelques kilomètres ou centaines de mètres, comme entre deux métropoles distantes de milliers de kilomètres, le fil d’écoute est déroulé virtuellement, comme celui d’une pelote de laine vagabonde – un « fil qui chante » transmetteur, qui dessine un voyage au creux de l’oreille. Oreille collective dans le meilleur des cas.

Un voyage où l’image est aussi sonore que visuelle, si ce n’est plus.

Un voyage où les sensations kinesthésiques, haptiques, invitent le corps entier, y compris à gouter et à savourer les saveurs du monde. Le son d’une cuisine qui mijote, associé à sa tenace et jouissive persistance odoriférante, gustative est souvent un moment d‘exception, d’altérité amène. Les épices de la vie passent par et dans tous les sens.

Des voyages donc dans tous les sens, même sans presque bouger…

Lobe-trotters est le surnom que m’a donné un collègue, Michel Risse pour ne pas le citer, lui aussi voyageur et voyagiste de la chose sonore. J’avoue apprécier cette perspective d’une écoute nomade, assez librement déployée partout où un lieu se met à sonner à sa façon, c’est à dire vraiment partout !

Une belle offrande au promeneur écoutant insatiable dans sa quête d’un paysage sonore partagé par de multiples récits et expériences.

Éloignement et terrain

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Banc d’écoute et « bureau de plein-air » – Résidence d’écriture « Paisagem sonora » Juillet 2019 à Sabugeiro (Portugal) – Festival DME et Hostel Criativo do Sabugueiro

 

L’essentiel de mon travail, en tous cas dans les phases de maturation de projets, se passe dehors. Je veux dire en dehors de chez moi. Assis sur un banc, des marches d’escalier, en arpentant la ville, un hall de gare, d’aéroport (avant…). Carnet de notes en main, rempli de notes (parfois très difficiles à relire), signes, croquis, idées, projets à la volée, ou avec un magnéto… Puis retour au bercail, devant l’ordi, les idées se posent, s’enregistrent, se trient, se construisent, se peaufinent, se développent, se documentent, s’argumentent, s’organisent… Puis retour au dehors, à l’air libre, ou presque, pour tester, mettre en pratique, adapter aux lieux et aux moments, partager, encore améliorer, trouver des variantes, des espaces de jeux fonctionnels… Ces dernières phases qui, durant quelques mois, m’ont fait cruellement défaut, m’ont beaucoup manqué, m’ont laissé amèrement frustré, dans ces temps de crise qui nous éloignent sans ménagement du terrain, de l’espace public, et surtout de la « vraie » vie sociale…

PAS – Parcours Audio Sensible pour la World listening Day 2020

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Samedi 18 juillet, jour de la World Listening Day, premier parcours d’écoute de puis le mois de février. Public réduit, trois personnes, mais très belles écoutes.
Un immense parc urbain que connaissent bien tous les lyonnais, et touristes, le Parc de la Tête d’or, 117 ha offrant des zones vertes, un lac, un zoo, une très belle roseraie.
Un lieu idéal pour déconfiner l’oreille au grand air tout en gardant de sages distances.
Et pour trouver une vie acoustique entre joyeuse animation et espaces très apaisés.

Séquences
Partir d’une entrée principale très animée et, rapidement, entendre un grand decrescendo en traversant une pelouse. Les sons de la circulation et voix s’estompent, la marche comme un potentiomètre en fade out…
Longer le lac. Voix d’enfants, canards, pédalo, vélos…
Traverser une petite forêt. Retour au calme, crissement des pas sur des branchages et feuilles sèches.
Une petite ile avec un kiosque et un piano au bord du lac. Quelqu’un y joue maladroitement un air du parrain. Instant magique, hommage à Morricone.
L’entrée d’un passage souterrain permettant d’accéder à une autre ile est fermé. Dommage, c’est un couloir très réverbérant. Nous nous contenterons de le faire sonner en criant depuis la grille.
Traversée de la roseraie, plutôt calme. Les fontaines et ruisseaux sont à sec, des sources de fraicheur manquent à l’oreille.
Un train passe au loin, marquant les du parc en le longeant.
Une allée en sous-bois, de joggers rythment les lieux, martelant le sol sablé. Un bus passe à notre droite, en haut d’un talus.
Dans une clairière, une vingtaine personnes dansent sur un air oriental, guidées par une professeur à l’énergie communicative. Belle séquence surprenante.
Retour à la pelouse et à la grand porte, le petite train touristique dit le Lézard, faisant visiter le parc, arrive avec ses sifflets caractéristique. Un flot de voyageurs en, descend, un autre y monte. Le pilote donne ses dernières consignes au micro. Une ambiance qui me rappelle des souvenirs d’enfance…
Nous rompons le silence et trouvons un banc pour deviser autour de nos ressentis, de l’écoute, des sons ambiants, de la crise sanitaire, des rapports sons et images, de l’écologie, de la marche, de nos activités respectives… Comme à l’habitude, une heure de silence collectif favorise et stimule les échanges qui s’en suivent. Ils en seront d’autant plus riches et sympathiques et participent intrinsèquement, au fil du temps et des déambulations, à la construction d’un rituel marchécouté.

Et après quatre mois sans PAS publics, cela fait vraiment un bien fou de retrouver ces moments de sociabilités auriculaires !

En résonance avec le Festival des Humanités

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Points d’ouïe, l’entendu des choses et autres rêves et projets

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@photo Yuko Katori – Inauguration d’un Point d’ouïe à Drée – Festival Ex-VoO – CRANE – Lab

Marcher au débotté, lentement, sans se presser, sans rien presser
courir la ville, toujours dans la lenteur, et battre la campagne, sans violences aucunes
écouter de concert la symphonie du monde, dissonances comprises
inventer des jeux de rôles et des jeux drôles, jouer dans tous les sens
cartographier, partitionner et rejouer encore, en corps et en chœur, de tout cœur avec
mettre l’oreille au vert, mettre l’oreille ouverte
faire sonner à l’envi, mais en restant dans de modestes échelles, celles du respect d’autrui et celles du lieu en l’occurrence
entrer dans la résonance, vibrer de tous ses pores, se baigner dans les acoustiques enveloppantes
chercher les havres de paix, les oasis sonores, les aménités urbaines, et celles paysagères
aller de point d’ouïe en point d’ouïe, s’y arrêter, y contempler les sons,  prendre le temps,   laissons les sons sonner, au besoin les y aider
pratiquer les bancs d’écoute, les longues pauses en immersion, mettre à profit des échanges assises
choisir un point d’ouïe et oser l’inaugurer, officiellement
écrire ce qui nous passe par la tête, ce qui nous passe par les oreilles, ce qui nous passe par tout le corps accueillant
profiter de l’inattendu, de l’inentendu, de l’inouï, de l’in ouïe, le contexte faisant foi, le contexte faisant loi, ne la respectons pas
profiter de l’air du temps, de l’aire du vent, de l’air de fête
se construire un musée urbain, ou pas, à ciel ouvert, à 360°, où seront exposées des ambiances et émergences sonores hautes en couleurs
se fabriquer des chemins pour mieux s’en éloigner, dé-router, dé-localiser, oser se perdre, en soi et en dehors
errer hors-champs, hors-temps, hors-lieu, errer et rêver de
lutter contre l’enfermement et la pensée unique en ouvrant les écoutilles
regarder et écouter des théâtres de boulevards hors les murs
profiter des instants de bascule, de l’aube à vesprée, entre chiens et loups, lorsque les sens flottent entre deux mondes, lors d’un instant T mouvant
s’immerger dans l’heure bleue, comme un nouveau départ toujours recommencé, croire aux promesses de l’aube
mixer la ville en DJ – Déambulateur Joyeux – platiniste urbain, juste entre les deux oreilles sillonnantes
faire campagne pour une politique de l’auricularité partagée
penser et chercher le beau son, chercher la belle écoute, pour dé-stresser le monde
recueillir la parole, celle en laquelle nous croyons, en faire mémoire, en faire témoin, en faire force vive
être toujours surpris, se garder une marge d’incertitude, ne pas tout mesurer, apprécier les flous interstitiels, questionner à tout va
maintenir une oreille bienveillante sur le monde pour y rester à flots …

Point d’ouïe, l’oiseau au cœur de l’écoute

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« Les oiseaux sont responsables de trois au moins des grandes malédictions qui pèsent sur l’homme. Ils lui ont donné le désir de grimper aux arbres, celui de voler, et celui de chanter…
Alors, quand on pense à l’Everest, aux fusées et au prolongement naturel de ses suggestions habilement introduites dans la cervelle de quelques primitifs par le bec pointu d’un archéopteryx gloussant, on s’en prend un peu aux oiseaux, et l’on voudrait qu’il soit presque muets, qu’ils ne quittent pas le sol et qu’ils nichent sous les pierres. (Chose désespérante, la nature à pensé à tout. Il en est qu’il remplissent ses conditions. Ce sont des oiseaux d’une espèce un peu particulière : les crapauds.) »
Boris Vian « En avant la zizique » Pauvert 1958

Après ce préambule teinté de l’humour pataphysique de Boris Vian, je focalise aujourd’hui sur la gente ornithologique, ses chants, et surtout sa place incontournable dans un paysage sonore qui, au sortir du déconfinement, s’est retrouvé, notamment en ville, à nouveau chahuté, voir chaotique. Retour à la normale et quelque part à l’anormal.

Notons qu’à la même époque que celle du texte de Vian, Charles Trenet chantait « Les oiseaux me réveillent par leurs chants et leurs cris. Ils font bien plus de bruit que les autos, les oiseaux. » Il n’est pas sûr que l’on puisse en dire autant aujourd’hui…

Vinciane Despret à  consacré récemment à ces chanteurs volatiles, entendez ce mot dans le sens qu’il vous plaira, comme un nom ou un adjectif, ou polysémiquement comme les deux, un ouvrage de plus intéressants « Habiter en oiseaux »(1)(2), approches philosophiques, éthologiques, au croisement de pensées vivifiantes.

Ces animaux volants sont pourvus, à la différence de nombreux vertébrés, de syrinx siffleurs de douces mélodies. Quoi qu’entre un rossignol virtuose, un merle moqueur et chanteur, un corbeau coasseur et une pie jacassante, tous n’ont pas, à mon avis, le même degré de raffinement dans leurs chants et cris respectifs. Esthétiquement parlant. Mais n’étant ni ornithologue, ni audionaturaliste, ni grand connaisseur de chants d’oiseaux (respect posthume Mr Messiaen), ni philosophe éthologue, je me contenterai de parler des oiseaux comme des acteurs, que j’espère incontournables, dans la construction de paysages sonores.

A priori chantres des forêts, icône sonore égayant nos déambulations sylvestres, cible très prisé des preneurs de sons animaliers, le genre ailée n’en est pas moins bien présent en ville, souvent beaucoup plus que l’on ne croit.
Bien sûr, certaines espèces sont particulièrement visibles, et/ou audibles, selon les époques et les lieux.

Pour ce qui est des oiseaux en forêt, sa présence est essentiellement acoustique, voire acousmatique (écoute dont on ne voit pas la source) car, dans les forêts les plus densément boisées, on ne voit en fait que très peu d’oiseaux chanteurs. Par contre on peut en entendre beaucoup, si cependant la forêt n’a pas trop été abimée. Ici commence le règne des ornithologues et des identifications des espèces par l’oreille. Redoutable et ludique exercice. Ces chants, marqueurs sonores de biocosmes, de microcosmes forestiers, sont aussi des alertes, entre autre de la disparition progressive d’espèces, pour différentes raisons (monoculture, déforestation, incendies, changements climatiques…). Chaque chant qui ne se fait plus entendre, chaque syrinx qui se tait, a hélas de fortes chances de signaler la disparition, ou au mieux la migration d’une espèce, ou de plusieurs espèces.

Par exemple, les nuées d’étourneaux grappilleurs automnaux, qui viennent se reposer dans les grands platanes urbains, après une journée de piratage viticole, qui « enfientent »les voitures d’une belle couleur lie de vin, et même les passants téméraires s’aventurant sous les arbres, tout cela dans un incroyable nuage acoustique qui parfois se déplace dans l’espace avec une vélocité remarquable.

Citons aussi les combats de pies et de corbeaux qui se poursuivent d’arbre en arbre avec des cris guerriers, affaire de territoires, querelles qui n’appartient pas seulement à l’homme… Bon ce ne sont pas là les exemples les plus flatteurs en terme d’espaces sonores, quoique…. ni en terme sanitaire, avec le risque de se faire crotter le chapeau, au meilleur des cas si vous en portez.

Et que dire des parfois exaspérants roucoulements monotones des envahissants pigeons et tourterelles…

Le craquètement des cigognes qui jouent, sans chant ni cri de syrinx, des claquettes avec leurs becs, est assez surprenant pour qui l’entend pour la première fois, en Alsace ou ailleurs.

Certains soirs orageux, les martinets, réputés pour rester des jours en vol, voire y dormir, plongent très bas chasser les insectes en vol, dans de grandes flèches sonores assez stridentes, mais qui dessinent des espaces et des mouvements auriculaires des plus spectaculaires.

Le merle noir, migrateur, chanteur virtuose de ville, adore chanter haut et fort, au fait d’une toiture ou juché sur une cheminée. Un vrai phare auditif qui surveille la ville tout en sifflets, moqueurs, dit-on.

Dans certains sites architecturaux très minéraux, ce sont des chouettes et autres hiboux qui élisent domicile au creux des pierres et murailles, hululant à qui mieux mieux dés la nuit tombée. Je me souviens entre autre de beaux concerts nocturnes lors de résidences dans de superbes lieux tels l’Abbaye de Cluny et la Saline Royale d’Arc-et-Senans, toutes deux en Région Bourgogne Franche Comté.

Des éperviers habitent les tours des cathédrales et chassent en pleine ville, redoutables rapaces silencieux en hiver, et poussant de brefs « kiou kiou kiou » à l’époque de la nidification.

Et on pourrait encore longuement parler de ces oiseaux concertants, parfois déconcertants dans leurs rapports aux villes, à leur prédateurs, et aux hommes mais là, je sortirais de mon domaine de compétence.

Profitant du confinement des hommes lors de la crise du Covid, et surtout de celui de leurs polluantes automobiles, l’oiseau urbain s’est fait entendre à qui mieux mieux. Non pas qu’il est été plus nombreux, ni même qu’il ait piaillé plus fort, mais tout simplement parce qu’il n’avait plus la concurrence déloyale des sources sonores motorisées. L’émergence, ou plutôt la ré-émergence de ces sonorités avicoles en ont surpris, voire ravi plus d’un.e, redécouvrant une face cachée de leur environnement sonore quotidien et faisant de l’oiseau une nouvelle star chantante de la ville apaisée. Nombre d’articles, de commentaires, d’interviews l’ont démontré et en attestent au plus fort du confinement.
Pourtant, tout écouteur attentif, praticien de la ville comme une entité sonique, entendait, avant l’installation du méchant virus, chanter moult oiseaux urbains, ou de passage, dans les périodes de calme ou au cœur de lieux plus protégés, voire même au cœur des cités, sans forcément tendre l’oreille. d’autant plus que le spectre acoustique des oiseaux se situe dans un champ (chant) beaucoup plus élevé plus aigu dirait-on, que celui des transports. Il constitue donc constitue ce que l’on appelle justement une émergence sonore, se détachant nettement de la rumeur, du bruit de fond ambiant.

En fait, si on l’entend bien, c’est à dire en écoutant bien, le chant des oiseaux donne aux lieu une spatialisation qui en définit des contours, des champs, des mouvements toniques.
Prenons une place arborée ou un parc urbain, focalisons l’écoute sur les volatiles chantants, écoutons les dialogues, réponses, leurs déplacements sonores, froissements d’ailes compris. On a très souvent, surtout dans les matinées et les fins de journées printanières et estivales, un véritable pointillisme sonore, très précisément situable dans l’espace, qui vient d’ailleurs rompre avec les nappes épaisses et brouillonnes des circulations automobiles. Il peut s’agir pour nous de repères auriculaires donnant géographiquement l’échelle du lieu, et aussi un forme d’échelle sonore dans les fréquences comme dans les intensités.
C’est sans doute là un effet de filtrage acoustique qui peut nous permettre d’échapper à des formes sonores chaotiques fatigantes, en se accrochant à des éléments plus apaisants, moins agressifs, en principe, comme on peut le faire via des voix d’enfants dans un parc ou une cour d’école.
D’ailleurs, en parlant filtre ou psychoacoustique, pour employer un gros mot, nos protections acoustiques gomment sans doute la présence de voitures, comme celle d’oiseaux, dans une écoute urbaine globale peu consciente, ou peu aiguisée. Si par un réglage de type syntonisation (accord de fréquences en radiophonie), nous nous rebranchons sur la canal oiseau, alors nous constaterons qu’ils sont bien toujours là, et bien toujours perceptibles, voire clairement audibles.

Néanmoins, le bruit constant de la ville semble perturber le sommeil des moineaux, qui de plus, entendent moins, ou n’entendent plus les appels des oisillons qui ont faim, mettant en danger une espèce cohabitant depuis longtemps, de façon familière et sympathique avec les citadins.

Un des jeux de l’écoute paysagère consiste parfois à filtrer notre écoute en la canalisant, en tendant l’oreille vers des sources sonores choisies, animaux, enfants, fontaines, cloches, bruits de pas, vent, et en constatant que nous pouvons mettre en avant, ou quasiment ignorer des éléments auriculaires de notre environnement. Un sympathique jeu de filtrage et de mixage pour aiguiser l’oreille et en affuter ses capacités de discrimination (positive) des sons.

Notons également que des artistes ornithologues, ou passionnés d’oiseaux, trouvent mille richesses à noter, enregistrer, retranscrire sous forme musicale, de Clément Janequin à Olivier Messiaen, mais aussi aujourd’hui Bernard Fort et sa « Grive solitaire » ou encore Sainkho Namtchylak et ses impressionnants Night Birds.

Sans oublier l’immense travail de l’ornithologue Jean Rocher, un des pères de l’audionaturalisme qui a ouvert bien des oreilles à l’incroyable diversité des chants d’oiseaux dans le monde.

Les oiseaux, marqueurs acoustiques très présents dans nos environnement urbains, y compris dans les « mauvais jours », inspirateurs de compositeurs, sont une constituante importante du paysage sonore, et s’ils disparaissent de notre champ d‘écoute, chacun sait, ou devrait savoir, qu’il se passe alors des choses inquiétantes, voire plus, au niveau de nos milieux de vie.

 

1) https://www.actes-sud.fr/catalogue/nature-et-environnement/habiter-en-oiseau
2) https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/profession-philosophe-4974-vinciane-despret-philosophe-des-oiseaux

 

Écouter : Le chardonneret – France Culture –

Réouvrir des chemins d’écoute

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@visuel: Franz – texte GillesMalatray – Résidence d’écriture à Luxor Factory « Écoute voir le Locle » avec Jeanne Schmid – – Octobre 2018 – Le Locle (Suisse)

Le resserrement brutal de mes espaces d’écoute, durant les mois de confinement sanitaire, me fait d’autant plus apprécier aujourd’hui la réouverture de mes terrains d’aventure auriculaire favoris.

Durant une période drastiquement liberticide, certains média, pour moi la radio, ont maintenu l’accès à des paysages sonores, au sens large du terme, dépassant et élargissant les fenêtres de mon appartement, ou le kilomètre alentours, sans toutefois compenser un rétrécissement spatio-temporel pour le moins contraignant. Rétrécissement qui réduisit comme peau de chagrin nombre d’expériences et d’explorations sensibles.

Dans ma pratique au quotidien, dans le cœur-même de mon travail, ces dernières explorations m’étaient en fait devenus si familières que, bien que persuadé de leur bien-fondé, je n’en mesurais plus vraiment l’étendue de leurs richesses intrinsèques.

La levée de certaines mesures, notamment celles limitant les déplacements à un court périmètre, m’ont fait retrouver une sensation de liberté jusqu’alors muselée, entre autre celle de marcher loin dans la ville, de sentir l’air et le soleil caresser ma peau, d’être encore dehors entre chiens et loups, d’écouter les sons vibrer autour de mes oreilles, ceux ces cris d’enfants revenus dans les écoles et des conversations en terrasses de bars réouverts.

Certes, d’aucuns rétorqueront, et sans doute n’auront-ils pas tout à fait tord, qu’ils regrettent les « silences » de la ville et les oiseaux chanteurs stars de la scène sonore urbaine apaisée car dégraissée de son trop-plein automobile.

Néanmoins, réexpérimenter, après une période de sevrage sensoriel à l’air libre, les plaisirs d’arpenter à nouveau des espaces retrouvés, de s’immerger sans trop de contraintes dans des ambiances sonores, il est vrai parfois bien bougeonnes, me procurent, promeneur écoutant invétéré que je suis, une véritable ivresse, au cœur du bouillon (ou brouillon) de ville.

Ville qui aurait retrouvé tout à la fois ses good vibrations comme ses bad vibrations, mais néanmoins en serait redevenue vivante à mes oreilles avides.

Réouvrir des chemins d’écoute*, c’est reprendre, même en partie, même progressivement, et avec moult incertitudes concernant l’avenir proche, et celui plus lointain, des déambulations auditives; c’est remettre mes oreilles en chantier auriculaire, à l’affût de mille traces sonores ré-offertes, comme de simples et pourtant beaux et généreux cadeaux de la vie quotidienne.

* Appelés aussi, dans le langage Desartsonnants PAS – Parcours Audio Sensibles

Point d’ouïe, s’assoir et rencontrer le monde

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© photo Jeanne Schmid, banc au Locle, résidence artistique à Luxor Factory

Il y a des marches, des déambulations, des arpentages…
il y a des pauses…
S’assoir, se poser dans la ville, l’écouter, la regarder, rencontrer, échanger…
Un banc, des marches de pierre, un auvent…
Ritualiser le geste, l’action itérée, réitérée.
Rituel d’occupation tranquille des lieux.
Micro performance en toute discrétion.
– Bonjour Monsieur !
– Bonjour !
– Qu’est-ce que vous faites, souvent assis sur ce banc ?
ou bien encore
– Vous lisez beaucoup, qu’est-ce que vous lisez là ?
Réponses en fonction, des entames de conversation.
Échanges sur nos lectures, notre travail, le temps qu’il fait, ou qu’il fera, les sons qui passent, le Covid, le climat, la politique, le tout et le rien, et inversement…
Lorsque je pense à ces moments, quasi quotidiens, je m’aperçois combien j’ai déjà pratiqué, et pratique encore, ce « dispositif d’être et de faire sans le paraitre » doucement, de façon instinctive, dans bien des villes, villages, parcs publics, places…
Un brin d’intimité réconfortante.
Histoire d’apprivoiser les lieux, d’entendre leurs histoires, récits, pures fictions ou non,  de la bouche de ses habitants aussi…
La ville à ouïr ouverte.
La ville à dires ouverts.
Souvenirs, bancs d’écoute à Mons, Lausanne, Le Locle, Victoriaville, Tananarive, Vienne, Sabugeiro, Lisbonne, Paris, Lyon, Saint-Pétersbourg, Malves-en-Minervois, Toulouse, Orléans, Kaliningrad…
Chroniques bancales, et pourtant…
Si le banc n’existait pas il faudrait l’inventer, et surtout l’installer, comme un maillage de points d’ouïe, de points de mire, de points de dire…
Rien n’est plus triste qu’une ville sans bancs.
Prendre le temps…
Et combien par l’entremise de ces assises publiques, de personnes ainsi rencontrées, un fois, ou de nombreuses fois.
Combien d’histoires entendues, discutés, tricotées, inachevées, en chantier…
Combien de conversations entamées, parfois poursuivies au jour le jour, paroles croisées, petits ou grands malheurs et joies échangés, espoirs et désespoirs, états d’âmes, colères ou résignations, aménités curieuses…
La répétition de gestes simples, se poser, ici ou là, lire, écrire, être ouvert au temps qui passe, qui va qui vient, au monde alentour, aux passants et passantes.
Être une présence qui questionne, une présence récurrente, bienveillante, parfois un poil anachronique.
Ce soir, trois personnes connues et deux nouvelles rencontrées…
 
 

 

Bruitalité urbaine

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Bruitalité ?
Mot-valise
Barbarisme briutal
barbarisme bruitiste
Bruitalisme…

Comme bruissonnance
indice vie
contre silence demeure
bruitalité frétille oreille
s’ébruite comme gouttes
gouttes sonifères
s’égouttent comme bruits.

Bruitalité briutale
bruitalisme
comme assourdissement
attaque sonique
crue ondes bruitoniques.

Ici je banc d’écoute
écrivant bruitique
voiture déverse torrent musique
festive électro
agressive électro
points d’ouïe…

Flux voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues…

beaucoup  passager unique
si de rien n’était
bruitatalement parlant.

Vroum…

Bruité.

Bruitalité métaphore
monde mal traitance
sous traitance
lobbies bruitalisants
monde oreille peine
corps entier
trouver repos.

Bruitalité ça
et contraire
verre trop plein
trop vide
moitié de tout.

Et…

Scènes villes
non saines villes
épipandémie sonore
proliférante
paupérisation aseptisée
pandémisée
silences étouffés…

Bruitalité multiple
déploiements écoutes
faire entendre
faire entendre meilleur
faire entendre pire
pire meilleur
meilleur pire
sous pires
ex pires
en pires…

Bruitalité oasis
source bruit sonnante…

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La marche urbaine, l’écoute, et les calculs salutaires

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PAS – parcours Audio Sensible – Saillans Drôme – Festival « Et pendant ce temps les avions –  avril 2017

Mon activité de marcheur écoutant, bien que dernièrement drastiquement réduite lors du confinement réducteur de distance, m’a poussé à observer mes co-marcheurs urbains, croisées de chaussées en trottoirs.

Lors de cette crise sanitaire, loin de la meilleure façon de marcher en mettant un pied devant l’autre et en recommençant, nos sourdes anxiétés virales ont très sensiblement transformé nos gestes d’homo-déambulatori.

Tout d’abord, durant la phase de confinement stricte, qui nous a cueilli de façon brutale et assez radicale, l’espace comme la durée, ainsi que les motivations à marcher, y compris pour écouter la ville, se sont drastiquement réduits. Des espaces interdits, confisqués à l’usage du piéton.

Plus question d’aller flâner sur les berges d’un fleuve (fermées) ou de faire du lèche-vitrines de magasins en magasins (fermés). Difficile également de profiter, de jouir d’une décroissance sonore contextuelle. Il fallait agir fonctionnellement et rapidement.

Un kilomètre, une heure, avec une auto-dérogation de sortie en poche pour éviter la verbalisation.

Tout cela à changé radicalement nos habitudes, en tous cas pour ceux qui, comme moi, prenons la cité, et ses abords, comme des espaces d’expérimentations sensibles, où la marche, et pour moi la marche d’écoute, est une forme de jeu exploratoire modulable à l’infini. Et qui plus est, restriction des expérimentations majoritairement collectives, dont la pratique est fortement remise en question par les barrières sanitaires.

On est alors obligé de composer avec ces nouvelles règles, et dés lors de calculer bien plus qu’avant. Il nous faut calibrer notre espaces entre un intérieur très enclos et un extérieur ouvert, mais néanmoins Oh combien rétréci.

Nos calculs porteront sur les distances parcourus, nos périmètres d’arpentages tolérés, attentifs à rester, approximativement, dans les règles, dans les espaces-temps autorisés, surveillés, quadrillés, encadrés… une sorte de nouvelle prison à ciel ouvert. Espace déambulatoire resserré, qui nous pousse parfois à refaire invariablement les mêmes trajets, sécurisants car respectant la proximité imposée, quitte à les user progressivement, sensoriellement compris.

Durant le confinement, et même encore aujourd’hui, alors que celui-ci est sensé être levé, ou assoupli, depuis plus d’une semaine, l’espace public marchable est encore calculé, anticipé, et quelque part rationalisé.

Quand sera t-il opportun de changer de trottoir, de descendre la la chaussée, de se glisser le long d’un mur, pour éviter autant que faire se peut la proximité potentiellement sanitairement dangereuse ? L’ennemi est partout, chez le passant croisé et soigneusement évité.

Comment feinter, sans trop toutefois le montrer, pour ne pas croiser l’autre, danger possible viralement parlant ?

Quels espaces risquant d’être les plus occupés, devraient-on éviter ?

Quelle sera l’heure la plus propice pour faire ses courses, et dans quel commerce se sentira t-on en sécurité, en rencontrant le moins de monde que possible ?

Autant de calculs stratégiques pour éviter, esquiver, ne pas se retrouver nez-à-nez avec l’autre, qui d’ailleurs en fera tout autant.

Des questions, des calculs, des contraintes, qui impacterons non seulement notre façon de marcher, d’écouter, de communiquer, mais notre vie sociale dans sa globalité.

Les stratégies d’esquive et de dérobade, le jeu des masques si je puis dire, loin de favoriser le relationnel, la proximité intime, celle que je recherchais et tâchais d’installer précédemment, de la façon la plus spontanée que possible, dans mes PAS – Parcours Audio Sensibles, se jouent aujourd’hui hélas dans l’évitement et la prise de distance. Une altérité et des sociabilités mises à mal.

Jusqu’à quand ces fameuses barrières sanitaires et sociales nous feront-elles souffrir d’un sentiment d’isolement qui nous réduit à des sortes de particules marchantes et écoutantes individuelles, plus ou moins distanciées et isolées les unes des autres ?`

Ces appréhensions, peurs, du risque encouru au contact d’autrui, au fait de marche et d’écouter ensemble, et parfois-même de se toucher pour mieux s’entendre dureront-elles encore longtemps, créant ainsi progressivement des vides, aussi bien culturels que sociaux ?

Combien nous faudra t-il encore calculer des stratégies de la distance spatiale, sociale, des temporalités, des itinéraires, des contraintes en tous genres, pour retrouver des espaces de sociabilités plus apaisés, plus ouverts ? Et je ne parlerai pas ici, pour ne pas noircir le tableau plus que de raison, des risques climatiques qui fondent sur nous à grande vitesse.

Les réponses ne sont pas des plus évidentes. En attendant, les gestes de marche, d’écoute, de constructions collectives de paysages sonores, tentent de se chercher des failles, des interstices, quitte peut-être à jouer avec les limites, tout en respectant les espaces de libertés de chacun, pour garder un cap préservant de belles écoutes, bienveillantes et constructives.

Lyon le 18 mai 2020

Points d’ouïe, Place de Paris charivaris

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Des ustensiles charivrisent

casseroles et écumoires

en fenêtres applaudissantes

tintamarres festifs

timbres de cuisines

non plus des ustensiles

mais de vraies percussions

instruments instrumentalisés

depuis longtemps déjà faiseurs de charivaris

dénonciateurs bruyants

montrant du doigt

à l’oreille

jamais il n’est bon de trainer des casseroles

et qui plus est retentissantes

 

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mais il y a aussi de la fête aux fenêtres

dans ses casserolades de 20h

entre mécontentements et soutiens

concerts et chahuts

retrouvailles confinées

on les ré-entend avec plaisir

de soir en soir

travaillant de nouveaux rythmes

se répondant parfois

l’orchestre est encore jeune

mais il gagne en dialogues

au gré des soirs chahutés

les casseroles se frottent à l’improvisation collective

sans même s’en douter

mêlées aux voix et claps concertants

que j’engrange au fil des jours.

 

@Fenêtres d’écoute – Listening windows avril 2020

 

Point d’ouïe – Quelque chose qui cloche ?

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A mesdames les cloches

J’ai déjà bien des fois

écrit et dit des choses

sur ces dames d’airain

mais sans doute pas assez

au-delà de leur fonction religieuse

elles sont

instrument musical

installation sonore ancestrale à ciel ouvert

animatrice de paysage

paysage à elles-seules

marqueur du temps qui passe

et ce depuis très longtemps déjà

à une époque et dans des lieux

journal local

des volées saluant naissances et mariages

des glas plus sinistres

des alarmes en tocsin

elles sont marqueur de territoire

phare auditif

signal géographique spatio-temporel

tenant les habitants sous leur bienveillante résonance

signature acoustique du quartier

jusque parfois à l’esprit de clocher

objet de controverse

à cloche-oreille

entre leurs admirateurs et leurs détracteurs

empêcheurs de sonner en rond

près de chez moi elles sont quatre

juchées tout en haut d’une imposante tour de pierre

surmontées de drôles d’angelots dorés

bien visibles dans leur chambre ajourée

elles tintent joliment

et chaque soir à vingt heures

en ces temps confinés

elles élargissent l’espace

en carillonnantes notes égrainées

et leur volée festive

se mêle aux applaudissements,

aux vivats et charivaris en fenêtres

il y a quelque chose qui cloche

mais c’est normal.

@photo Blandine Rivoire – @texte et sons Gilles Malatray

En écoute à 20heures, place de Paris, Lyon 9e

Point d’ouïe et crise sanitaire, réentendre et penser le monde, autrement

Soundsatyourwindow @photo contribution Mathias Arrignon – https://mathiasarrignon.tumblr.com/

 

Après deux semaines de confinement, l’oreille plus ou moins coincée dans les murs d’un appartement, si ce n’est quelques fenêtres ouvertes et de rares sorties rapides pour les courses, je n’envisage forcément plus l’écoute comme avant. Avant ce grand chamboulement dans nos modes de vie.

Un premier constat.
Le ralentissement forcé, brutal même, d’une grande partie des activités humaines, surtout visible dans l’espace public, élimine bien des scories sonores indésirables dans nos espaces de vie au quotidien. La voiture en tout premier lieu. De fait, l’écoute, mais aussi l’odorat, et la qualité de l’air que nous respirons s’en trouvent les premiers privilégiés, et ceci pour notre plus grand bien.
On constate un rééquilibrage sensible, gommant notamment des hégémonies sonores intrusives, invasives, hautement polluantes, au profit d’émergences qualitatives, oiseaux, fontaines, cloches…

Néanmoins, cet effondrement acoustique engendre aussi des effets pervers.
Une grande partie de l’activité humaine, confinée, suspendue, déserte ainsi l’espace public, qui en conséquence se paupérise grandement. Les sonorités de la vie quotidienne, de l’énergie humaine, palpable via l’oreille, disparaissent rapidement. Plus de sons de terrasses de bars, de restaurants, de passants flâneurs, de rires, de cris dans les cours d’écoles.
Le Covid vide l’espace de nombre de repères sonores qui irriguent notre vie quotidienne, la font entendre, et finalement rassurent par une forme de continuité acoustique humaine. La vie continue bat son plein, et continue vaille que vaille.
Une sorte de chape de plomb, en silence pesant, voire angoissant, s’installe dans les rues désertées.
Je songe à ces belles et terribles images de Mort à Venise, de Luchino Visconti. Il y a plus réjouissant comme parallèle.
D’un côté un calme retrouvé, d’un autre, une ambiance mortifère, verre à moitié plein ou à moitié vide.

Une autre question pointe aussitôt.
Que deviendra, ou redeviendra la paysage sonore de nos villes et campagnes lorsque la crise sanitaire sera derrière nous ?
quelle résilience, pour le meilleur et pour le pire s’imposera ?
Le trafic routier, avec ses engorgements, ses klaxons intempestifs et agressifs, ses pollutions en série, reprendra t-il son cours, redémarrant son lot effréné de saturations dégradant nos espaces de vie,  à l’échelle de la planète entière ?

Les choses étant ce qu’est le son, tout au moins en partie, nos ambiances sonores sont étroitement liées à l’activité humaine, économique, industrielle, sociale.
Quelles seront les leçons tirées, ou non, d’une expérience douloureuse, sidérante, dans ce grand chambardement qui a très vite et radicalement confiné une bonne partie du monde ?
Quelles seront nos espaces de libertés, certainement réduites, certaines peut-être jugulées, supprimées, pour garantir un minimum de sécurité sanitaire, politique, économique… ?

Il est bien difficile d’y répondre, malgré tous les vœux pieux et espoirs d’un futur plus raisonnable, si ce n’est raisonné.

Autres questions qui jalonnent mon quotidien d’écoutant.
Comment, sans passer le plus clair de son temps confiné à ingurgiter un énorme flot numérique déversé par les réseaux sociaux, pour nous aider à mieux vivre notre confinement, rester à l’écoute du monde, sans se noyer dans un raz-de marée médiatique ?
Rester connecté, mais à quel prix ?
Comment garder une activité d’écoutant impliqué, actif, avec une forme de bienveillance Oh combien nécessaire en ces temps compliqués ?
Comment rester tourné vers l’extérieur, fenêtres d’écoute ouvertes, sous-entendu, ou plutôt bien entendu, vers autrui ?
Pas de réponses absolues, définitives, mais des essais bricolés, pour l’instant au jour le jour.

Je songeais à une récente intervention que j’ai faite à la prison des Baumettes à Marseille.
J’y avais été invité, par Sophie Barbaux, une amie paysagiste, pour parler paysages et parcours sonores, et faire entendre des prises de sons paysagères, commentées et discutées..
Je suis rentré, pour la première fois de ma vie, dans cette imposante architecture carcérale, non sans une certaine appréhension je dois bien l’avouer.
Non pas celle de rencontrer et d’échanger avec des détenus, bien au contraire, mais plutôt face à la façon de présenter le sujet. Comment parler à un public captif, dans le sens premier du terme, de paysages sonores ouverts, de parcours sonores en extérieur… ?
Quelle était la pertinence de cette intervention, cela avait-il du sens ?
Bref des questions purement contextuelles, mais aussi plus généralement éthiques.
Fort heureusement, mes craintes ont été vite balayées par l’écoute active, réactive, la sensibilité, la curiosité de ce groupe mixte d’une vingtaine de personnes.
De belles écoutes, des commentaires et questions pertinentes, sans détour, des souhaits clairement formulés, et même l’idée de prolonger cette question du paysage sonore en utilisant des outils numérique d’un atelier radiophonique.
Rassuré, j’avais donc, en sortant de ce labyrinthe de portes, de murs et de grilles, l’impression d’avoir, très modestement, entrouvert quelques fenêtres d’écoute, vers un ailleurs (un peu) moins carcéral.

Une semaine plus tard, et contre toute attente, je vis une situation de confinement subi qui, sans être aussi rigoureuse et sans doute humainement pesante, résonne comme une suite bien inattendue à cette intervention.
Je repense alors à ces prisonniers et prisonnières, aujourd’hui privés de toute visite en parloir, suspendues pour raison sanitaire, se retrouvant ainsi un peu plus encore coupés du monde, dans un isolement humainement très difficile, avec toutes les sources de tensions que cette situation peut induire.

Je pense également qu’en septembre prochain, je suis invité par l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Bron, la FERME, sa structure culturelle et le CFMI voisin (Centre de Formation des Musiciens Intervenants) à conduire un travail autour des paysages sonores de cet établissement, avec des patients, étudiants musiciens et habitants.
Un autre lieu d’enfermement parfois, où les vies sont généralement placées sous haute surveillance.
Comment dresser un portrait sonore, fabriquer des parcours d’écoute, dans ce très grand espace de soin, 37 ha, véritable ville dans la ville ? Peut-être relier intérieurs et extérieurs ?
Portrait sonore en regard des contraintes, des modes de vie, des spécificités du lieu, d’ailleurs actuellement secoué aussi de plein fouet par la crise sanitaire, qui ne facilite pas les relations patients, soignants et exclue sans doute également les visites extérieures.

Certes, il ne faut pas tomber dans un catastrophisme morbide, ni pour autant dans la confiance absolue vers un avenir doré, mais sans doute repenser autrement les relations entre les hommes, au travers de leurs espaces de communication, et bien sûr d’écoutes intrinsèques.
Nous devons réfléchir plus que jamais à la chose sonore comme un lien pétri de sociabilités, y compris au travers des tensions, via des actes et  des gestes de communication, mais aussi de construction esthétique où le politique et le social ne peuvent être ignorés.
Nous sommes invités à appréhender des espaces extérieurs qui nous auront été un temps confisqués, interdits, risques sanitaires obligent, avec une oreille qui, sans aucun doute, n’entendra plus de la même façon l’après que l’avant.
Nous sommes également amenés à imaginer, dans nos isolements respectifs, comment les techniques du numérique, les réseaux de communication, contribuent à construire des espaces d’écoute élargie, partagée, et dans lesquels le plus grand nombre puisse y trouver sa place de co-écoutant et co-fabriquant.
Mais aussi, à la base, comment ces technologies nous permettent tout simplement de maintenir un minimum de continuité, le mot est dans l’air du temps, comme une nécessité vitale pour que tout ne s’écoule pas, qu’elle soit auriculaire ou autre.

Ces perspectives, à la fois inquiétantes et stimulantes, ouvrent de vastes chantiers questionnant des formes d’écologie acoustique, sociale, et une pensée politique faisant son possible pour que, au cœur du projet, des actions, tout écoutant puisse s’exprimer, et surtout être entendu en retour.
Au-delà des créations sonores induites, se pose la question d’une participation active à la construction d’espaces d’écoutes, pluriels et au pluriel, de lieux de vie apaisés, contrebalançant, autant que faire se peut, la fureur et à l’emballement du monde, si ce n’est misant sur l’impérieuse nécessité de réduire cette course chaotique au plus vite.

 

Projet de confinement sonore en réseau :

Des sons à ta fenêtre – Sounds at your window

https://soundatmyndow.tumblr.com/

Points d’ouïe, dans nos confinements réunis, des sons à nos fenêtres

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@ photo – Judith Lesur, contributrice
Après un peu plus de trois journées pleines, l’appel à contributions « Des sons à ta fenêtre – Sounds at your window », s’inscrivant dans la crise sanitaire du Covid19, compte presque 30 sons, pour un peu plus de 5h de matière brute.
Sons de fenêtres, de balcons, terrasses, et pour les plus chanceux de jardins.
Sons de villes, de villages, de hameaux, de quartiers…
Sons de France, du nord au sud et d’est en ouest…
Mais aussi de Suisse, du Danemark, d’Allemagne…
Sons et photos, parfois textes, vidéos.
Sons isolés ou en séries quasi quotidiennes.
Sons très brefs, ou qui prennent tout leur temps.
Sons au hasard de l’instant ou sur des événements prévus, anticipés (les 20h, rituels de soutien collectifs aux fenêtres).
Sons, images et textes, voire vidéos, qui marquent des changements progressifs, comme des ruptures, des effondrements, des apaisements, de silencieuses tensions.
Sentiments d’étonnement, d’isolement, de solitude, mais aussi volonté de faire encore, autrement dans nos confinements réunis.
Si l’oreille vous en dit
A suivre
A alimenter encore
In progress
Une cartographie à venir

Points d’ouïe, crise sanitaire et ambiances acoustiques dystopiques

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Amateur de science-fiction, j’ai connu bien des dystopies littéraires, où se raréfiait la foule, l’humain, sous des menaces diverses; plus terribles les unes que les autres. Un peu comme maintenant quoi.
Arpenteur urbain, écouteur public, j’ai traversé nombre d’ambiances sonores chaotiques, parfois jusqu’à l’oppression chronique.
Depuis quelques jours, marcheur urbain confiné en appartement, je regarde et tends l’oreille à ma fenêtre. Je vois et j’entends la cité se déserter, se taire, passe progressivement du joyeux chahut au chuchotement.
Je vois les passants esquisser, des pas de cotés, chorégraphies ‘évitement corporel lorsqu’ils se croisent, à vrai dire assez rarement, sur le trottoir..
Bien sûr, j’en vois d’autres passer de longues heures à siroter des bières sur un banc, néanmoins avec gants et masques… A chacun la façon d’interpréter son confinement
Aujourd’hui, enfermé depuis trois jours, je sors faire des courses, autorisation dérogatoire en bonne et due forme en poche.
Quelques centaines de mètres jusqu’au magasin, une promenade de luxe quoi.
Le soleil, outrageusement généreux ces jours-ci, et l’air sur la peau me font un bien fou. Comme si j’avais subi des lustres de privation de ces éléments qui me paraissent si agréables. Un petit plaisir retrouvé qui en devient un grand
On s’aperçoit ici, très vite, surtout pour quelqu’un qui a l’habitude dans son travail de battre le pavé, que l’enfermement pèse rapidement très très lourd.
On repense l’univers carcéral autrement, peut-être. Surtout qu’étant intervenu récemment à la prison des Baumettes de Marseille, je considère maintenant avec un œil et une oreille interpellés, les notions de dedans/dehors, et de libertés fondamentales.
Sinon, une sorte de sidération sensorielle.
À 17 heures, période généralement qui fait grouiller les trottoirs de passants et les rues d’engins motorisés, presque rien ne bouge.
Ou si peu.
Si peu de voitures, et ça c’est un vrai luxe à tous les niveau, acoustique, piétonnier, respiratoire…
Si peu de gens, dans des espaces fantomatiques un brin inquiétants, presque anxiogènes.
Le regard embrasse la longue alignée d’une rue en générale très passante, et ne voit que peu de véhicules ni de piétons.
On peut traverser tranquillement une trois voies urbaine sans courir.
Beaucoup, ceux qui le peuvent en tous cas, la crise n’est pas la même pour tous, ont quitter la ville pour se mettre au vert.
Les autre évitent, ou sont contraints à bouger le moins que possible.
Je n’aurais jamais penser connaitre ça.
Et si peu de sons en conséquence.
Une sorte d’étouffoir acoustique, de chape de plomb, qui fait ‘ailleurs d’autant plus ressortir les sirènes des ambulances, pompiers, policiers… et nous remet à l’oreille un monde sanitaire malmené, des espaces publics devenus suspects, voire dangereux, plus que d’habitude en tous cas.
Une ville métamorphosée, transfigurée, réduite au presque silence.
Certes pas un silence de mort, mais sans doute de peur oui.
On peut jouir maintenant d’une forme de calme sans doute rarement observé, écouté, au cœur des grandes villes en principe si sonifères.
Un calme que je trouve cependant plus paupérisant qu’apaisant, qui aurait effacé toute l’énergie d’une ville, ou les élans dynamiques seraient bridés, si ce n’est brisés, où l’oreille chercherait des repères perdus, gommés, des voix gouailleuses et des cascades de rires par exemple.
Merci les oiseaux d’entretenir une forme de gaité pépiante.
Merci également, sur le coup des vingts heures, au initiatives citoyennes spontanées, cris, vivats, applaudissements, charivaris, mais aussi colère et protestation, de balcon en balcon, à l’instar des concerts italiens.
Par ces manifestations bruyantes, toniques, vivantes, rassemblantes, il y a aussi des conspuations de politiques privilégiant les chiffres et le rendement plutôt que la santé publique.
Après les places, les rond-points, ls balcons et fenêtres.
Même contraints à quitter l’espace public, l’espoir et les colères se font encore entendre.
Rassurant quelque part !

 

Le charivari de 20 heure à ma fenêtre : https://desartsonnants.bandcamp.com/track/lyon-vaise-le-charivari-de-20-heures

Pour en écouter plus de nos fenêtres : https://desartsonnants.bandcamp.com/album/des-sons-ta-fen-tre-sounds-at-your-window

Participer au projet collaboratif : https://desartsonnantsbis.com/2020/03/17/appel-a-contribution-ouvert-point-douie-quentends-tu-de-ta-fenetre/

 

 

Appel à contribution ouvert – Fenêtres d’écoute – Listening windows

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English below

Cet article est écrit alors que, face à une sérieuse crise sanitaire due au Coronavirus, Covid-19 de son petit nom, des mesures de confinements ont été prises à l’échelle internationale.

Ce qui signifie pour moi, et pour bien d’autres hélas, l’annulation de toute pratique publique, parcours d’écoute, point d’ouïe, atelier, workshop, conférence…. Bref l’oreille confinée, l’écoute en appartement, au mieux à la fenêtre, hormis de rares sorties ravitaillement. Mais l’ampleur de la crise oblige à se montrer très prudent.

Donc, comme beaucoup, je réfléchis comment continuer à pratiquer, non plus des PAS – Parcours Audio Sensibles, l’appartement ne s’y prêtant guère, mais à développer des formes de Points d’ouïe adaptés aux circonstances contraignantes. Je réfléchis aussi à la façon de les partager, de les faire circuler, sans rapprochements physiques, mais en conservant des sociabilités humaines, plus que jamais nécessaires dans ces temps compliqués et anxiogènes.

Inspiré des performances chantées et musicales des fenêtres et balcons italiens, mixés à mes propres points d’ouïe et autres bancs d’écoute, je lance donc un appel collaboratif et participatif à des « Écoutes en fenêtres ».

La forme est simple et assez libre.

Ouvrir sa fenêtre, ou aller à son balcon, à une heure choisie, diurne ou nocturne, écouter le paysage ambiant, l’enregistrer, ou le décrire vocalement, ou par écrit, graphiquement, ou bien encore mixer les genres, inventer nos propres modes de description, de représentation… Le faire autant de fois que bon nous semble…

Créer ainsi une sorte de chaine de Points d’ouïe et d’écoutants, histoire de garder l’oreille tournée vers l’extérieur, et vers l’autre !

M’envoyer tout ça par mail desartsonnants(at)gmail.com (remplacer le (at) par un  @), ou via ma page FB, un wetranfer ou autres média…

Préciser l’heure et le lieu de la captation sonore, et envoyer une photo du Point d’ouïe embrassé.

Les contributions reçues seront inscrites dans sur une carte pour les sons, et un espace numérique sera ouvert pour les documents reçus autres et complémentaires (visuels, multimédia, …).

A noter que dans un second temps, ces captations sonores pourront être matière à (re)composition par des artistes audio et musiciens expérimentaux internationaux qui seront, dans les prochaines semaines, sollicités das un autre appel et que les personnes participant à la première phase de récolte des sons qu’ils ont enregistrés marquent leur accord pour en participant à ce projet collectif.

Merci beaucoup pour votre participation et bonne captation !

Site in progress : https://soundatmyndow.tumblr.com/

Open call for participation – Listening windows

This text is written when, faced with a serious health crisis due to the Coronavirus or Covid-19, containment measures have been taken on a national and international scale.This means for me, and unfortunately for many others, the cancellation of any public practice, listening course, hearing point, workshop, workshop, conference…. In short, a confined ear, listening in and to an apartment, at best by the window, apart from rare outings for supplies. But the scale of the crisis means that you have to be very careful.

So, like many others, I am thinking about how to continue practicing, no longer PAS – Sensitive Audio Courses, the apartment space is not appropriate for that, but to develop forms of hearing points adapted to the constraining circumstances. I am also thinking about how to share them, to circulate them, without physical connections, but while preserving human sociability, more than ever necessary in these complicated and anxiety-provoking times.

Inspired by the sung and musical performances of Italian windows and balconies, mixed at my own hearing points and other listening benches, Desartsonnants have therefore launched, with the support of Transcultures (Centre for digital and sound cultures – Belgium – which has initiated the sound arts festival City Sonic, longtime partner of desartsonnants) along with European Pepinieres of Creation (international network to promoting and developing exchanges in various forms of contemporary arts)  a collaborative and participative call for the ongoing project/online platform Listening windows.

The application form is simple and fairly free.

Open your window, or go to your balcony, at a chosen time, day or night, listen to the surrounding landscape, record it, or describe it vocally, or in writing, graphically, or even mix genres, invent your own modes description, representation … Do it as many times as we want …

Create a kind of Hearing/Listening Points  chain, just to keep your ear turned  towards the outside, and towards the others!

Send it to me by email desartsonnants (at) gmail.com (replace the (at) with an @), or via my FB page, a wetransfer or other media …

Specify the time and place, if you have a picture of the kissing point, it’s great.

I will retransmit the documents on a Soundmap, and an open digital space for other types (visual, multimedia…) of documents .

Please note that in a second step, the gathered sound recordings could be material for (re)compositions/revisitations by international audio artists and experimental musicians who will, in the coming weeks, be invited to submit their artistic proposals via another call, and that the participants in this first phase of this in progress project/platform mark their agreement for this possible creative use of their recordings.

Thanks a lot!

A mon corps marchant, mon oreille écoutante

Nature-Brain

Est-ce l’oreille qui met en branle le pied, le pousse à se mettre en marche, le motive à parcourir, ou bien le pied qui invite l’oreille à mieux entendre, l’oriente, la guide, lui donne des points de fuite, des points d’ouïe ?
En tout cas pour le marcheur écoutant que je suis.

Ou bien encore, plus vraisemblablement, une connivence réciproque, gestes favorisant des espaces-temps de connectivité, décidant pieds et oreilles de faire route ensemble, défrichant des territoires sensoriels entrelacés.

Cependant, cette affirmation me semble encore un peu trop simpliste et un brin réductrice.
Cette dualité complice suffit-elle à mettre en état de marche un promeneur écoutant ?
Le corps entier ne se mobilise t-il pas pour déployer, dans ses espaces d’exploration, toutes sortes d’antennes sensorielles, pour éprouver la résistance et une forme de plasticité du terrain, des choses, des ambiances, et se déplacer comme un réceptacle d’une foule de stimuli sonores, autant que kinesthésiques.
D’ailleurs, le verbe mobiliser a bien, à l’origine, une racine impliquant le mouvement, tout d’abord rendre un immobilier meuble (dans le cas d’un contrat de mariage) puis mettre sur le pied de guerre, et enfin, rassembler, mettre en œuvre, en action… Verbe tonique s’il en fut, pour le meilleur et pour le pire.

Différentes logiques et dynamiques, plus ou moins spontanées, se combinent pour traverser, dans un état d’éveil élargi, ou de veille, au sens premier du terme, des paysages sonores que le promeneur écoutant contribue à modeler, si ce n’est, et c’est souvent ma thèse, de construire a l’envi.
Il trace, dans des cheminements de lignes et des courbes, de repères et d’errances, un entrelacs de parcours possibles, de sentes bruissonnantes, de seuils et de lisières invitant à des marchécoutes sans cesse renouvelées.

Toute une machinerie organique d’interactions stimulantes, sensorielles, corporelles, affectives, nous baignent dans un environnement à la fois complexe, et néanmoins aisément, presque spontanément accessible, à fleur de peau, de tympan.

Ces expériences font émerger des terrains-récits auriculaires, traces/matières à re-composer comme des espaces son-cibles.

Dés lors, le chant d’un oiseau au détour d’un sentier, le grondement d’une cascade qui vient nous cueillir à la sortie d’une courbe minérale, la fontaine glougloutante au fond d’une cour repliée, le volet qui grince et bat au vent d’ouest… seront perçus comme des signaux esthétiques, marqueurs de paysages sonore mouvants, sans cesse en construction.

Ces ponctuations auriculaires, remarquables car émergentes, captées, presqu’isolées par une oreille attentive, influenceront l’écoute, le rythme de la pérégrination, invitant parfois à l’arrêt pour ménager un point d’ouïe, écoute oblige, comme le ferait le regard du haut d’un belvédère.

Les relations étroites nouées au sein d’un corps écoutant prennent ici tous leurs sens, si je puis dire, pieds et oreilles dans un duo sensible.

Le paysage sonore lui-même trouve, dans ces explorations ambulantes, sa propre raison d’être !
Un cheminement parmi tant d’autres, mille-feuilles de strates sensibles, qui nous donnera des repères, teintés d’affects, jalonnés d’indices et d’alertes, dans nos parcours multiples.

Bon pied, bonne oreille !

Installer une écoute en mouvement

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Installer une écoute en mouvement

Installer une écoute en mouvement

 

Pro-page à sons

Ce texte est une écriture cheminante, celle qui ne serait pas la narration d’un parcours bien tracé, mais plutôt d’une Escriptura camina, prenant des chemins de traverse, sans plan nettement défini, et encore moins arrêté. Ou arrêts ponctuels.

Une forme d’errance bien plus que d’itinéraire.

Néanmoins le projet est guidé par l’idée que le son, ou plutôt l’écoute, peut s’installer au gré des pas. Que nos mises en situations peuvent installer des paysages sonores fluctuant dans leur impatience de se transformer, de muter d’un état à un autre, et qu’il faudra saisir sur l’instant, sur le vif.

Installer l’écoute en mouvement, c’est prendre le risque d’une stratégie fragile; mais aussi se laisser une marge de liberté, façon « L’Usage du monde entre nos deux oreilles », référence explicite aux merveilleux récits de voyage de Nicolas Bouvier, pour emprunter les espaces sonores de travers.

Les mots-clés, qui ne verrouillent pas mais au contraire ouvrent de nouveaux champs, des phrases et des textes en mouvement, seront bien souvent des guides qui pourront motiver des envies de faire, et de refaire encore, des cheminements joliment capricieux.

Tout comme nos gestes, intuitifs ou réfléchis, convoqueront des mots et des pensées pour en fixer quelques bribes d’expériences en chantier, voire les stimuler.

PAS – Parcours Audio Sensible

Pour embrayer ce parcours auriculaire, je dirais que la marche d’écoute, que je nomme souvent PAS – Parcours Audio Sensible, est sans doute un des moyens des plus engageants, physiquement et mentalement, voire même spirituellement, pour se frotter à son, à ses milieux de vie, de traversées, de résidences, furent-elle brèves et ponctuelles.

Milieux construits, naturels, si tant est qu’il en reste beaucoup, humains, sociaux, complexes

Milieux dont nous ne sommes pas le centre, dans une persistance humaniste, mais juste partie prenante, partie faisante, et c’est déjà beaucoup, si ce n’est parfois beaucoup trop.

Alors la marche, lente, parcours ou errance, excite nos sens à fleur de peau, de nez, de regard, d’oreille, de pied…

Arpentage

J’aime le geste d’arpentage, celui répétitif, itératif, un brin obstiné, qui mesure et nous fait nous mesurer à…

Qui nous fait également rester à notre place, dans un paysage habitat souvent trop façonné, si ce n’est mal-façonné.

Alors l’oreille se déploie, plus ou moins vivement, dans les méandres et strates hétérotopiques de forêts et de villes, de rues en rives…

Les sons viennent à nous, creuset auriculaire, ou bien nous allons vers eux, ou bien on ne sait plus qui bouge, mais tout bouge, assurément, parfois malgré nous.

Nous sommes vibrations, parmi l’infinité de vibrations qui maintient le monde en vie, en mouvement, celui que nous habitons, co-habitons physiquement.

Les sons, tout comme les lumières, les couleurs, les odeurs, les matières, participent à cette immense et perpétuelle auto-construction vibrillonnante.

La marche les installe, les dispose autour de nous, des autres, ou bien nous installe dans un paysage donnant l’échelle acoustique d’un lieu à celui qui y déambule.

Son rythme lent, mesuré, encore une référence à une forme d’arpentage étalon, convoque une sorte d’état de transe.

Transcendance.

Transit aussi, d’un point – géographique – à un autre, mais également d’un état à un autre.

Transport et plaisir

Être transporté, ailleurs, au-delà du quotidien, de l’habituel, du rassurant, ensemble, dans une communion sensorielle, avec le groupe, l’environnement, l’intérieur/extérieur entremêlés.

Une notion une plaisir se dégage, un transport quasi amoureux.

Ne jamais renoncer au plaisir. Plutôt le rechercher. Comme une évidence qui parfois semble nous échapper, ou que nous oublions de convoquer.

Plaisir de faire, de ressentir, de dire, de penser, par les pieds, les oreilles, le corps, le groupe, le vent, les acoustiques, les autres

Pauses

Sans omettre de se ménager des pauses, encore des plaisirs, même infimes, entrecouper la marche, comme l’écoute, de répits, cassures, éléments rythmiques nécessaires à un équilibre entre mobilité et l’immobilité.

Recherche de stabilité, d’équilibre. D’ailleurs l’oreille interne, lorsqu’elle dysfonctionne, est la cause de bien des déséquilibres et autres vertiges. Gare à la chute.

Points d’ouïe

Envisageons les points d’ouïe, nés de ces haltes, ou même les constituant.

Punctum, le point, ponctuation, jalonnement et repère, nécessaires, si ce n’est vital dans un jeu de paysages auriculaires complexes.

Ponctuer le PAS – Parcours Audio Sensible façon Desartsonnants, par des points d’ouïe, choisis, autant que faire ce peut, pour leurs qualités auriculaires, comme de vrais oasis sonores, où se détendre l’oreille, ou non.

Tendre l’oreille est souvent nécessaire, la détendre bien autant, si ce n’est plus. Histoire d’équilibre.

Mais tendre, à entendre, à s’entendre, toutefois en évitant les tensions nocives, les sur-tensions ; encore une question d’équilibre entre le trop et le pas assez, le confort ou l’inconfort, le saturé et l’absence, les sons en creux, et un trop plein de silence, sorte de vide mortifère.

Poser des points contre point.

La ponctuation itérée, répétée, peut se faire pointillisme.

Une écoute ou chacun des micro-sons, juxtaposés, telles des touches de couleur, dans un paysage post-impressionniste, seraient proche d’une écriture par assemblage, en pointillé, post schaéfferienne1 et son idée de la matière composée…

Encore et toujours des points. Point e trève, on avance.

Faire le point, où en suis-je dans mon parcours d’écoutant, mes approches audio-paysagères, où et comment et pourquoi, avec qui, poser une oreille bienveillante ?

Mise au point, affiner l’écoute, à l’image d’une prise de vue qui règlerait des nettetés, des plans à privilégier, des façons d’inciter l’œil et l’oreille à regarder l’ensemble, dans une globalité nette et précise, ou un point émergent sur un background savamment flouté, par une habile focalisation. Sons et images e concert.

Focalisation de l’écoute sur un moment/lieu, l’œil écoute et l’oreille regarde.

Partage d’aménités

Poursuivant la notion de points d‘ouïe comme une recherche de lieux auriculaires remarquables, accueillants, j’ai discuté il y a quelques temps avec un enseignant en géographie, lequel bâtissait ses projets pédagogique autour des aménités paysagères.

Cela m’a interpelé et j’ai été voir, ou entendre, de plus près, ce que cette notion impliquait.

Historiquement et littéralement ce mot provient de Locus amoenus, ou l’agrément d’un lieu, d’un lieu par définition amène. Ce sont donc des aménités paysagères qui ont prévalu, avant-mêmes les aménités humaines.

Un paysage accueillant, voir paradisiaque à certaines époques, chose de plus en plus rare aujourd’hui. Pure utopie ?

Des aménités auriculaires, à l’instar de ce que Raymond Murray Schafer2 nome un paysage Hi-Fi, haute -fidélité, où l’oreille se régale, où l’écoute pourrait être jouissive.

Chercher des aménités pour, toujours en marchant, écoutant, se posant, contrebalancer un environnement de plus en plus chaotique, sans toutefois nier l’évidence d’un, ou d’une somme de déséquilibres croissants.

Chercher le refuge amène, bienveillant, tant dans le lieu que dans la relation humaine entre, par exemple marcheurs écoutants. Une communauté souvent éphémère mais soudées par la choses sonore entendue, écoutée de concert.

Croire encore à des poches de résistance, des ZAD (Zones Auriculaires à Défendre), ZEP (Zones d’Écoute Prioritaire, ou Partagée) des oasis de calme où échanger sans hurler ni tendre l’oreille, et qui plus est dans une bonne entente… Encore une utopie à cultiver dans le grand vacarme des temps présents, et à venir ?

Partage de sensibilités

Un autre enseignant chercheur me parlait lui de partage de sensibilités.

Avant que de les partager, il faut bien sûr les construire, les vivre, les expérimenter.

Gardons cela dans un coin de l’oreille, sensible pour le peu, voire hypersensible parfois.

Nous pouvons revenir vers une notion de plaisir, si la sensibilité ne côtoie pas les phases d’une hyper exacerbation, pouvant être humainement, physiquement, dévastatrice.

Comme souvent, je reviens à la racine, à la souche source.

« Le sensible est une propriété de la matière vivante de réagir de façon spécifique à l’action de certains agents internes ou externes »3.

On est sensible à la lumière, certaines matières ou êtres, photosensibles, les végétaux vivent et croissent de leur propre photosynthèse, les hommes également qui sans la lumière du jour, pâlissent, s’étiolent et perdent beaucoup de tonus. On est sensible au chaud, au froid, à la douleur, mais aussi à l’émotion, aux affects, aux sentiments, à l’altérité. Sensible quand tu nous tiens !

La sensibilité, ou les sens en action, réagissent aux stimuli d’’environnements divers. Certains équilibrés, d’autres non. Être sensible à un beau chant d’oiseau n’est pas la même chose que réagir sensiblement à une agression bruyante, s’en protéger.

Entre sensibilité physique et le fait de ressentir des sensations, ces ressentis contribuent à nous informer sans cesse sur les états et les modifications de nos milieux ambiants. ces réactions nous protègent ainsi de nombre de périls au quotidien, qui vont de ne pas traverser lune rue lorsqu’on entend un véhicule s’approcher, jusqu’à mettre un manteau plus épais lorsque l’on ressent un froid plus intense, mais aussi de nous protéger émotionnellement de traumatismes psychiques en prenant parfois du recul salutaire. Tant que faire se peut.

Décrypter le monde de nos sensibilités, par nos sensibilité. Nous côtoyons la phénoménologie ici de Merleau-Ponty.

Nous fabriquons donc du sensible, des sensibilités à longueur de temps.

La marche, l’écoute, pour revenir à nos sujets de préoccupations, sont bien évidemment des vecteurs, des catalyseurs de sensibilités, tout autant que des gestes et et des situations privilégiées pour les partager.

Relationnel

Lorsque Nicolas Bourriaud parle d’esthétique relationnelle, de l’importance de la façon de faire ensemble, plus que de celle de produire, de faire œuvre, nous sommes bien dans ces intentionnalités constructives, positives même.

Mettre nos écoute en commun, lors d’une soundwalk4, procède de ce désir de partage qui enrichit indéniablement l’expérience, même si celle du promeneur solitaire n’est pas ans attrait.

Alors, c’est un pas de l’aménité à la sensibilité, et vis et versa.

Il nous faut participer, animer, rassembler un grand cœur d’écoutants, de marcheurs, de cueilleurs d’ambiances sonores, et autres, d’amplificateurs de rêves apaisants. Il est parfois bon de rêver à des fabriques de joies simples, sans grandes machineries, dispositifs, techniques, qui ne demandent qu’un peu (beaucoup) d’attention à notre monde et à ceux , tout ceux, qui le co-habitent.

Géographie sonore

Une géographie du sonore commence à de dessiner au fil des PAS. Décrire-écrire, modestement, le monde, les territoires, les milieux, y compris par le son, avec des oreilles géomaticiennes et cartographes pour la circonstance.

Y a t-il une géographie sonore ?

Certes oui, sinon pourquoi poser la question !

De la géographie du bruit à la géographie sonore, question d’angle d’attaque, de point d’ouïe, d’approches orientées entre différentes sciences sociales. On peu de référer en autre à l’article de Frédéric Roulier « Pour une géographie des milieux sonores »5

Décrivons, ou tentons la description, à travers les ambiances qui feraient territoire, espace singulier, ou non. Un port, une forêt, une zone commerciale, une chaine montagneuse, un parc urbain, le lit d’un torrent… Tokyo, Le Caire, Rio de Janeiro… ne sonnent vraisemblablement pas de la même façon. L’oreille s’y reconnaitra bien vite, si elle possède néanmoins a minima, une culture de l’écoute. Nous nous y reconnaitrons, dans des espace apprivoisés où des repères spatio-temporels – la cloche, la fontaine – nous permettrons d’écrire/décrire notre territoire acoustique, et pourquoi pas, cela se fait régulièrement aujourd’hui, de le cartographier. Sentiment rassurant d’appartenance, en se méfiant de trop d’identitarisme sonore cocardier.

Carte des bruits urbains, cartes mentales de Soundwalking, carte de lieux auriculaires remarquables, inventaires cartographiés… Les sons se mettent à la carte, en carte, pour rendre compte d’espaces acoustiquement animés, multiples dans leurs phonographies, leurs audio-graphies.

Géographie d’appartenance pourrait-on dire aussi. Je me sens chez moi, y compris et surtout avec le volet du voisin qui grince, son coq qui chante, la cloche matinale, la saison des foins, ou celle du tourisme… C’est aussi une géographie sentimentale, intime, des ressentis… De la carte du Tendre à la carte de l’entendre il n’y a qu’un PAS – Parcours Audio Sensible sauce Desartsonnante, ou pas de côté avec une oreille bruissonnière. Et nous revenons à la notion de plaisirs, d’aménités, de jouir d’un bel espace acoustique, de se sentir rassuré sous une sorte de toit sonore d’une cloche qui trace des espaces, des volumes, une géographie sensible autant que physique, sans néanmoins entretenir, j’y reviens, l’esprit de clocher. Penser la géographie comme une description de paysages et de territoires sonores est une façon d’installer l’écoute. Un écoute, des écoutes, et par-delà, de faire exister ce paysage sonore aujourd’hui tant décrié, et pourtant Oh combien présent, pertinent dans ses différentes approches ouvertes, non chapellisées.

Installation

Il nous faut installer l’écoute comme une valeur essentielle, qui ne souffre pas (trop) de contestation, ou de remise en question, ce que pourtant ne manquent pas de faire des systèmes politiques qui appuient leur pouvoir sur des messages biaisées, une écoute normalisée, sans recul aucun.

Installer, encore un terme aux origines curieuses.

Littéralement, c’est mettre en stalles, dans le terme le plus religieux qui soit « Mettre solennellement en possession de sa charge (et du lieu où il est appelé à l’exercer), par une cérémonie canonique »6

Installer était au départ une prise de fonction ostentatoire, aux yeux de tous, qui affirmait un pouvoir religieux, celui sui serait dorénavant exercé par un représentant de l’Église.

On s’est ensuite installer dans des professions, plus forcément religieuses, mais qui mettait toujours en avant la fonction exercée, l’art pratiqué, la boutique ou l’atelier avec pignon sur rue.

Dans ces boutiques, on y a installés des objets, nourritures, marchandises sur des étals, bien en vue, commerce oblige.

Toujours une façon de montrer.

Aujourd’hui, les arts contemporains installent des œuvres en situation, faisant éclater le cadre des formes visuelles, sonores, invitant le spectateur souvent au cœur même du dispositif, quand il n’en est pas acteur, co-œuvrant. Principe au terme un brin barbare de monstration.

Alors pourquoi et comment installer une écoute, si tant est que l’on puisse raisonnablement employer ce verbe pour cette matière intangible et immatérielle. Ce n’est plus ici un corps professionnel, une activité ou des objets et denrées que l’on va montrer, mais une sensorialité par définition in-montrable car in-visible.

Et qui plus est, c’est une installation qui se ferait en marchant, bien loin de celle qui se pose au regard comme un agencement plutôt statique, même arpenté.

Ceci étant, on installe bien du silence, ou en tous cas on laisse s’installer le silence, avant par exemple que de prendre la parole ou de faire entendre la musique.

Alors si le silence s’installe, parfois religieusement, on y revient, l’écoute peut bien elle aussi s’installer. Installer sans imposer, chercher là encore les limites de l’équilibre entre le bien-être recherché, accepté et le subi fuit car stressant, si ce n’est traumatisant

Installer l’écoute pour entendre ce qui peuple le silence, une hypothèse, une posture parmi d’autres.

Mise en situation d’écoute.

Créer le contexte, le cadre, l’envie, les conditions ad hoc…

Jouer sur l’effet de groupe, les aménités, encore, ou les discordances, dissonances paysagères, les événements et aléas convoquant une fertile sérendipité, titillant les sensibilités, pour prolonger nos précédentes réflexions.

Tel John Cage qui, dans 4’337, installait une musique de silence(s), faisant entendre les comme amplifiés les bruits alentours, au départ ceux des auditeurs mécontents, mais aussi ceux de l’extérieur si, comme il le proposait, on laissait les portes ouvertes.

Ou bien encore max Neuhaus qui, dans ses Listens8, performance inaugurant tout une génération à venir de Soundwalking, invitait les auditeurs à parcourir en silence, des territoires urbains surprenants, inouïs. Inouïs car abordés par le prisme d’approches expérimentales sensorielles, esthétiques, détournées des schémas d’écoute musicale « classique », frontale, assise, en salle de concert.

L’écoute est donc bien installée, si je puis dire, autour de situations généralement décalées, de sortes de happenings invitant le public à des immersions collectives sensori-motricielles.

L’installation de ces écoutes demande donc une appropriation d’espaces-temps dans des pratiques in situ, en acceptant le fait les « accidents », puissent être du spectacle, que des zones d’inconfort ne sont pas exclues, même si l’idée initiale reste de chercher plutôt l’apaisement amène. Pour moi en tous cas.

Faire récit

Nous voila donc arrivés, ou revenus, vers ces fameux récits ! Ces histoires rapportées, orales, écrites, triturées au fil des voyages, aujourd’hui de plus en plus visuelles, sonores, de plus en plus mixed média.

Le récit, par définition, relate des faits, réels ou imaginaires. La littérature puise abondamment dans le réel pour produire de l’imaginaire, du fictionnel, du presque réel teinté de la vision de l’auteur, comme de l’interprétation des lecteurs. Ces versions, interprétations, broderies, variations sont riches en métaphores et autres effets de styles nous conduisant à accepter les décalages, dérives, les glissements du « vrai » au remanié, comme des sources de curiosités savamment entretenues du reste par le ou les récitants.

La part, plus ou moins grande, de fiction dans récit, amène des évasions, vers des ailleurs, des échappées belles, des échappées pas toujours idylliques du reste, quand elles ne sont pas tragiquement sans issue.

Mais n’envisageons pas ici le récit du pire, prenons parti de le teinter d’un optimisme vivable.

Une des force du récit, qu’il soit Homérique, mythologique, biblique ou qu’il narre des situations contemporaines plausibles, triviales, c’est certainement sa capacité à se démultiplier, à se réinventer au fil des versions racontées.

Gardons cette propriété en ligne de mire, faire le récit d’un fait, d’un paysage, d’une ambiance, d’un territoire sonore c’est toujours ménager des espaces de libertés, des marges et des lisières mouvantes, à l’image-même du son, si je puis dire.

Si on demande à différents écouteurs placés dans des espaces spatio-temporels similaires, de nous raconter leurs expériences auriculaires, gageons, sans prendre trop de risques, que les narrations seront fort différentes, chacune singulière. Certaines plus ancrées dans une description « fidèle », d’autres plus portées par des retours d’expériences affectives, émotives, d’autres passant d’un registre à l’autre, entremêlant les points de vue et points d’ouïe, le réel et l’imaginaire.

Une ambiance sonore qui sera ressentie comme saturée, agressive, stressante par un auditeur, lors d’une promenade par exemple, sera toute autre pour une tierce personne qui n’aura pas éprouvé les mêmes sentiments de mal-être, voire même qui se sera complu dans le même milieu acoustique arpenté.

Sans compter sur la réception singulière de celui à qui s’adresse le récit, ou qui va en profiter via différents média, de l’oralité au texte en passage par la création sonore. Selon son attention du moment, sa culture sonore, les aspects phatiques qui ne seront forcément pas perçus de la même façon d’un individu à un autre, feront du récit initial un conte polymorphe, à chaque fois lu et reçu différemment, même s’il s’agissait d’un mythe fondateur avéré, ou d’un récit collectif partageant des bases sociétales.

Le récit contribue lui aussi à installer une écoute sans cesse renouvelée, entre transmissions d’expériences factuelles, et entrelacs imaginaires, qui font prendre la véracité du récit non pas comme argent comptant, mais comme l’évocation, la composition de nouveaux lieux de possibles, jusqu’à peut-être l’utopie d’un monde sonore rêvé.

Que raconter de ce qu’on entend ?

Quels sont les média les plus appropriés ?

Le texte n’est-il pas aussi pertinent que le son enregistré et retravaillé ?

Un paysage sonore se raconte t-il ?

Est-il soluble dans le récit ?

Fait-il récit, tout ou partie ?

Gageons que l’on pourrait encore poser moult questions, soulever bien des problématiques sans pour autant en épuiser le sujet.

Mais le récit, à l’instar du conte, est intarissable, dans les paysages des milles et un sons.

Voyager dans, par, ou faire voyager les sources

L’écoute marchée est forcément une écoute mobile aurait dit monsieur de Lapallisse. Elle implique des gestes en mouvement, des perceptions et ressentis dynamiques, qui tiennent comptent d’un ensemble de transitoires spatio-temporelles, voire qui jouent avec, jusqu’à fabriquer in situ e nouvelles formes de mobilités.

Peut-on imaginer une installation du sonore, donc de l’écoute, qui irait plus loin dans l’espace pour conquérir d’autres lieux jusqu’aux antipodes de la source. Bien sûr, la radio est déjà un vecteur diffusant et installant des écoutes, souvent en temps réel, et qui viennent se poser dans un salon, une salle de bain, une cuisine, l’autre bout du monde. Les nouvelles, des formes de création, de narration, images sonores audio-cosmopolites choisies ou en flux non maitrisés arrivent à nos oreilles depuis déjà bien longtemps. Orson Wells à défrayé l’histoire radiophonique, à défaut du mouvement de panique Oh combien amplifié, relayé par la presse outrageusement exagératrice de l’époque, en invitant des martiens belliqueux9 sur notre Terre. Il a construit et conté un malicieux récit fiction radiophonique presque plus vrai que nature. Le pouvoir des sons invisibles intègre bien la représentation mentale, le cinéma pour l’oreille qui nous ouvre des perceptions très subjectivement personnelles ? C’est un peu comme les sons/images et des voix perçus de l’intérieur, à la lecture d’un roman ou d’u poème. Aujourd’hui, avec les baladodiffusions10 et autres streamings, les robinets à sons se démultiplient vers des écoutes à la cartes, des playlists à l’infini, de riches brassages de styles, dans le meilleur de cas, ou une écoute paupérisée et mondialisée dans le pire. Nous installons notre propre écoute, souvent le casque vissé sur les oreilles, en courant, prenant le métro, cuisinant… Écoute mobile, archi mobile, qui, pourrait-on dire, peine à s’installer quelque part tant elle s’installe partout. Et si elle le fait, c’est souvent de façon très fragmentée, instable, volatile, se faisant certainement archi-consommatrice de débits constants. Ou bien alors dans l’hégémonie envahissante de grands vagues de Muzzac aseptisée. On est bien loin des fidèles rendez-vous autour de la grosse radio d’antan, pleine de lumières et de belles boiseries, devant laquelle se rassemblait la famille à l’heure du feuilleton radiophonique, ou de l’émission de variété à l’actualité yéyé. On est bien loin aussi du « silence radio », tant on installe une écoute de flux, parfois parasitaire dans son envahissement permanent, néanmoins souvent assumé et recherché. Une forme d’autisme fuyant la vitesse du monde, où le regard de l’autre dans les espaces confinés des transports en commun devient une violation de sa bulle personnelle, et un sourire ou une parole une agression à notre sacro-sainte tranquillité, intimité rempart prônant l’isolement par le son (et l’image). Si je noirci le tableau, c’est néanmoins la sensation que j’éprouve, aussi bien dans les transports en communs que dans un jardin public. Des écoutants appareillés de prothèses déversant des flots de sons à jet continu au cœur de nos oreilles asservies. Ces dernières se feront-elles, par une mutation audiomorphique récepteurs-haut-parleurs internes branchés sur un monde playlisté que nous commanderont à des distributeurs sonores en gros (ils existent déjà bel et bien), moyennant un abonnement à vie. Une dystopie sonore, façon de nous installer une écoute calibrée, pour ne pas dire contrôlée sur mesure. La société de contrôle que dénonçait Deleuze passe aussi par le contrôle de paysages sonores sciemment installés.

Cartographies

Ceci étant, pour rester sur une idée plus positive, d’écoute installée sur de longues distances, la cartographie, que l’essor de l’informatique a considérablement boosté via les réseaux online, permet de franchir un pas de plus vers une mondialisation de l’écoute. Toujours ici pour le meilleur et pour le pire. Ainsi des spaces contributifs ont pu voir le jour et ainsi se faire entendre aux yeux du monde.

Prenons par exemple la LocusMap11, de Locus Sonus, une carte qui ouvre des fenêtres d’écoutes streamées un peu partout sur la planète.

Il suffit d’aller sur la carte, de cliquer sur l’icône d’un microphone et d’écouter, en temps réel, ce qui se passe ici ou là, micros soundcams. C’est la magie des technologies numériques de nous installer dans des paysages audio instantanées, de prendre l’air du temps auriculaire à l’autre bout du monde, d’Aix-en-Provence à Chicago en passant par Nagano et autres lieux où promener nos oreilles ébaudies. Le récit sonore du monde se fait par micros ouverts aux travers un réseau sans cesse tissé des sons vivants du monde. Nous pouvons ouvrir des fenêtres auriculaires de notre fauteuil, et nous baigner dans une ambiances acoustique en temps réel, même à des milliers de kilomètres de notre points d’écoute. Point d’ouïe vertigineux.

Autre exemple de cartographie sonore, non plus en temps réel cette fois-ci, mais plutôt bâtie sur un projet de compilation de field recordings12 collaboratifs, via le célèbre site Aporee13. Cette carte est une véritable mine d’or pour les oreilles, les écoutants curieux, les voyageurs immobiles, par le nombre de documents sonores, leur qualité et diversité, leur actualisation, et la vélocité du moteur de recherche qui nous permet de naviguer dans un océan de sons14, pour emprunter une référence à David Toop15.

Les cartes sont des modes de représentations multiples, qui nous guident ou aujourd’hui nous perdent dans les méandres des datas proliférants, big data, SIG, mais où on peut, de façon post encyclopédique, se perdre avec plaisir. La délectation du pèlerin écoutant de l’hyperlien.

On pourrait passer des heures et des heures à naviguer au gré des sons maritimes, festifs, des cloches, des bruits de machines, un panel sonore qui dresse un véritable paysage complexe et fascinant dans son incroyable diversité… Nous sommes ici devant une installation rhizomatique, prolifique et nomade dans ses sources, même encartées, si tant est qu’une installation nomade ne soit pas en elle-même un joyeux paradoxe spatiotemporel.

Matérialité et dispositifs

L’artiste va imaginer, pour installer des écoutes parfois décalées, tout au moins dans leurs approches et postures, moult situations, dispositifs, appareillages, technicités…

Dispositifs immersifs, interactifs, participatifs, relationnels, la chose sonore, qu’elle soit préexistante – un paysage acoustique – ou entièrement fabriquée – une composition sonore électronique – peut ainsi prendre corps dans nos espaces auriculaires de bien des façons.

L’installation se fait alors conceptuelle, voulue, recherchée, même dans des gestes priori les plus simples, prendre un cône acoustique pour amplifier et ou orienter notre écoute par exemple, jusque dans des dispositifs convoquant d’imposantes machineries ou l’écriture de programmes informatiques ad hoc complexes.

Les postures proposées à l’écoutant joueront également un rôle important. Déambuler, suivre un parcours, se laisser guider, écouter en aveugle, s’assoir, s’allonger, toucher pour déclencher, modifier, faire activement partie partie de l’œuvre, jusqu’à ce qu’elle n’existe que par notre seule présence, autant d’approches installées, sans compter une foultitude d’autres dispositifs hybrides, inclassables, ou restant à concevoir.

Ici, l’installation marque le pas, fait une pause pour mieux poser ses sons, les confronter à un espace donné, tout comme aux oreilles des auditeurs. Ces derniers seront d’ailleurs très souvent invités à parcourir l’espace audio qui leur est proposé. Changer de point d’ouïe, d’axe, de rapprocher, s’éloigner, zoomer, l’oreille guidera les pas qui guideront eux-même l’oreille. Interaction encore. Jusque parfois à perte d’écoute.

Le jeu pour l’artiste étant de proposer une situation d’écoute qui décale, en principe, notre perception de l’espace (sonore), de ses sources, jouant des accidents, des effets acoustiques, des procédés narratifs, scénographiques, pour mieux le questionner.

Quelle est notre place d’écoutant dans un lieu où parfois, comme disait Maurice Lemaitre, le film est peut-être déjà commencé, les sonorités installées, superposant l’ambiance « habituelle » aux rajouts, juxtapositions, triturages audio ?

Comment infléchissons nous, plus ou moins consciemment, un paysage sonore installé, bon gré mal gré ?

Comment nos mouvements, parcours, approches, dans le sens physique du terme, celui qu’explorait notamment Max Neuhaus, reconstruisent t-ils, ou déconstruisent t-ils des œuvres sonores dont nous sommes régulièrement les acteurs invités ?

Comment les dispositifs et mises en situations usités nous proposent-ils différents formes de mobilités sensibles, d’appréhensions d’espaces auriculaires singuliers car propres à notre façon d’écouter et de bouger ? En corps tendre l’oreille.

Ces question n’ont pas forcément de réponses définitives, et c’est heureux, car il nous reste encore un beau champ d’investigations concernant l’installation d’écoutes, situations où la corporalité est convoquée dans toute sa mobilité intrinsèque, où que porte notre écoute.

Stabile et/ou mobile, mon oreille balance

L’écoute est donc, dans ma pratiques construites sur des situations généralement en mouvement, elles-mêmes oscillant entre marches et arrêts, avancements et pauses, marches d’écoute et Points d‘ouïe fixes.

Être toujours en mouvement est certes un gage de dynamisme, mais il convient aussi de savoir se poser. Se re-poser.

Poser l’oreille en plan fixe, en laissant venir à nous les sons, sans forcément les traquer, ou aller sans cesse vers eux.

Prendre l’air du temps, air au sens polysémique, musical de la chose, est important, par exemple s’offrir un banc d’écoute, partagé ou solitaire, un repos après une longue pérégrination audio urbaine

Stabile/mobile, c’est comme être dans une alternance de tensions/détentes, de postures actives et passives, les deux ont leurs mots à dire à certains moments du projet.

Des postures qui se répondent, se complètent, s’installent à tour de rôle.

L’écoute en mouvement ne doit pas être forcenée, au risque de devenir aliénante et sclérosante, par manque de ruptures, de cassures, de trêves ; les musiciens, jazzmen en l’occurrence, savent très bien au cours d’une longue phrase musicale déroulée, « faire le break », casser le rythme pour amener une respiration, avant que de repartir de plus belle dans une envolée swinguante.

La marche est par ailleurs l’espace où le mouvement est déséquilibre. Je lève un pied qu’il me faut reposer assez vite pour que l’autre emboite le pas si je puis dire, dans une synchronisme qui me fait conserver mon centre de gravité pour rester debout. Au moindre dysfonctionnement de cet enchainement physique, je chute. Et l’enfant en fait bien des chutes avant de maitriser l’art de la marche. Entre stabile – équilibre au repos, et mobile – équilibre en mouvement, quitte à risquer la chute, mon corps écoutant marche de tensions en détentes, de repos en actions, installant ainsi des formes d’écoutes dynamiques, dans les contraintes d’espaces arpentés, de moments écoutés, de parcours pétries d’improvisations comme autant de réactions aux stimuli ambiants.

Pourquoi pas

Un pas en avant

un grand pas en avant

faire le premier pas

un pas de côté

pas redoublé

revenir sur ses pas

marcher sur les pas de l’autre

faire un faux pas

faut pas

pas cadencé

pas qu’à danser

un pas vers le bonheur

pas de quoi

au pas de l’oie

avancez d’un pas

reculer d’un pas

un grand pas pour

franchir le pas

rouler au pas

pas à pas

d’un pas ferme

se mettre au pas

se remettre au pas

marquer le pas

à un pas de la réussite

regretter ses pas

d’ici à là, il n’y a qu’un pas

ébaucher un pas de danse

pas de deux

emboiter le pas

à pas de géants

faire les cent pas

céder le pas

se tirer d’un mauvais pas

à pas comptés

compter ses pas

allonger le pas

ralentir le pas

avoir le pas sûr

pas sûr…

Mettre l’écoute au pas

ou le pas à l’écoute !

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Rêver !

Un bureau nomade

Un désir d’espace

Une installation à ciel ouvert

Une invitation à l’écoute

Une pause dans la marche d’écoute

Une école bruissonnière…

Dream !

A nomadic office

A desire for space

An open-air installation

An invitation to listen

A break from soundwalking

An acoustic bushy school …

Notes

1Qui relèverait de l’expérimentation et de la théorie de Pierre Schaeffer concernant la musique concrète

2In «The Tuning of the World » Raymond Murrau Schafer – 1977 – « En Français, Le paysage sonore » – réedité par Wild Project » Marseille – https://www.wildproject.org/schafer-table

3Définition du CNRTL « Centre National de Ressources Textuelle et Lexicale »

4 Terminologie anglaise désignant la marche d’écoute, ou balade sonore dans des pratiques artistiques, mais aussi écologiques et sociales

6Définition du CNRTL « Centre National de Ressources Textuelle et Lexicale »

9La guerre des Monde, fiction radiophonique d’Orson Wells 1938 – https://www.franceculture.fr/histoire/la-guerre-des-mondes-histoire-dun-canular-radiophonique

10Traduction qhébecoise et francophone de podcasting

Workshop Points d’ouïe lyonnais 2019

FireShot Capture 144 - Points d'ouïe 2019 – Google My Maps - www.google.com

 

Workshop « Points d’ouïe » avec des masters 1 de L’ENSAL – École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon – Épistémologie des ambiances

Au départ, une approche théorique – Qu’est-ce qu’un point d’ouïe ? Quelques définitions ? Des écoutes audio commentées, une approche technique de la prise de son, du montage audionumérique.

Les étudiants forment des groupes, par 4 ou 5, choisissent un lieu « point d’ouïe » dans la métropole lyonnaise, justifient ce choix, documents à l’appui (descriptifs, scénari envisagés, photos, cartes sensibles..)

Ils partent sur le terrain, l’arpentent, l’écoutent, le photographient, l’enregistrent

S’ensuit une série d’écoutes critiques en studio (qualité de la prise de son, adéquation des sons à la problématique, singularité du propos, technique de montage…).

Deux à trois minutes de rendu sont demandées, en format vidéo, s’appuyant sur des images ou graphismes types plans-fixes et une bande-son (montée à partir des prises in situ) en contrepoint, le tout prenant le partie de montrer très subjectivement un lieu. Deux « états des lieux » peuvent être montrés, donnés à entendre, interprétés, l’un actuel, l’autre, prospectif, imaginaire, dans un futur plus ou moins lointain.

Une cartographie interactive, géolocalisée, permet de visionner les vidéos sonores.

 

Carte en ligne : https://www.google.com/maps/d/u/0/viewer?mid=1LfRMbj6UMTfkcZBIIzTvxaQuql_43_Us&hl=fr&ll=45.77227274075625%2C4.866849832502339&z=12

Responsable Cécile Regnault
Enseignants intervenants :
Julie Bernard
Gilles Pathé
Gilles Malatray

Point d’ouïe – Pratiquer le Zone’Art

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Démarche essentiellement urbaine, en ce qui me concerne, pratiquer le Zone’Art, voire être Zone’Art.

Zone’Art pentage
Souvent entre chiens et loups, nuit tombante, voire plus tard, si ce n’est bien plus tard. Errances, déambulations au hasard des rues, des quartiers, parcs, places, escaliers, impasses, parcours d’instinct, au fil des choses croisées, vues, entendues, entr’aperçues… Post debordage. Dans des villes connues, celle où je vis par exemple, celles parcourues régulièrement, pleines de balises apprivoisées, ou en cités abordées de prime abord, ou depuis peu. Espaces peuplés d’inconnu(s) et réservoir de surprises sensorielles, lieux d’excitantes perditions géographiques, fabriques de repères en chantiers, parfois catalyseurs de dépaysements exosoniques, exotoniques. Pensées vagabondes, souvent fugaces, fugitives, recouvertes par d’autres, au fil des pas. Zone’Arthétérotopique.

Puis le besoin de pause se fait sentir.

Zone’Art soyez vous donc
Un banc, un recoin de muret, d’escaliers… Pause. Ne plus aller vers les choses, les gens, les laisser venir à moi, ou pas. Immersion, être au cœur d’une ville, même dans sa périphérie, ses lisières, plongée dans ses sons, lumières, mouvements, rythmes, ambiances, météo comprise, palpitations plus ou moins ténues, effrénées, mi-figue, mi-raisin… Regarder, écouter, lire, noter, rêvasser, échafauder des scénari, des plans d’actions, plus ou moins réalistes, laisser murir l’idée, celle qui parait pertinente, avoir des velléités d’écriture, désirs d’actions, de rencontres, creuser les choses, différemment… Croiser le chemin de passants, connus ou inconnus. Renseigner sur une direction, échanger sur la pluie et le beau temps, sur le roman qu’on lit, sur l’anecdote, le front social grondant, la galère quotidienne de celui qui a juste envie de s’épancher, et qu’on l’écoute un peu. Banc d’écoute, j’y reviens. Bureau nomade avec ses points habituels, ponctuels, ponctuant, et ses nouveaux spots Zone’Artendus. Parfois, voire souvent Art du presque rien. Zone’Artborés, bordés, ceux de la vie à ciel ouvert, du prendre place à 360°, assises hors-les-murs, espaces du fragile et du solide concomitant. Zone’ Artifices, sans cesse réécrits, pour le meilleur et pour le pire.

Zone’Artchitecture, urbaine, urbanique, lieux publics où vivent et parfois survivent certains, qui auraient pu presque être citoyens. Lieux qui peuvent se donner à entendre si on leurs prête l’oreille. Donner du grain à moudre à mes oreilles, perpétuelles insatisfaites, mais réjouies aussi.

 

PAS – Parcours Audio Sensible Approche kinesthésique et sensible d’un territoire à l’aune du duo photographie/phonographie

FireShot Capture 058 - cropped-paysage-en-c3a9coute.jpg (Image JPEG, 1440 × 812 pixels) - Re_ - desartsonnantsbis.files.wordpress.com

« Le veilleur retient son souffle… jusqu’à entendre le jour se lever » Marc Dugardin, Fragments du jour (Rougerie, 2004)

Un projet en chantier

Tracer, en marchant, un paysage sensible via les interactions du regard et de l’écoute, entre similitudes et dissemblances. Un travail en duo avec un phonographe et un photographe, ou l’inverse

Polysémie de la trace

– Traces et tracés indiciels, chasser, pister, chercher des traces, repérer ce qui peut nous mettre sur la voie, suivre la piste, suivre à la trace, épier, placer des signe, jeux de piste…
– Traces et tracés conceptuels, dessiner, esquisser, brosser à grand traits, portraiturer, crobarder, mettre en plan, en carte, composer avec des images, avec des sons, avec les deux, faire contrepoint…
– Traces et tracés mémoriels, garder, sauvegarder, mettre en forme des traces, archiver, mémoriser, patrimonialiser, collecter, organiser des traces matériaux et supports d’écritures croisées…

Questionnements

Comment faire paysage par l’image et le son comme média contrapuntiques ?
Comment faire intéragir les traces (audiovisuelles) dans une approche hétérotopique ?
Comment trouver les points de convergences tout en conservant les singularités, jouer dans les interstices du semblable et du dissemblable, du différent et du similaire ?
Comment ces jeux de frottements transmédia, intermédia, favorisent-ils des modes de perception, d’interprétation et de représentation singulières ?

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Desartsonnants@gmail.com
https://desartsonnantsbis.com/

PS :  Si un, une photographe est intéressé-e pour réfléchagir et croiser des expériences sur ces problématiques

Directions écoute(s)

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Inventaire
Épuisement
Observatoire
Arpentage
Errance
Sensible
Hétérotopie
Arpentage
Ambiance
Sociabilité
Point d’ouïe
Parcours
Paysage
Phénoménologie
Écologie
Esthétique
Écosophie
Éthique
Politique
Milieu
Écosystème
Mobilité
Réseau
Écriture
Mémoire
Territoire
Échange
Acoustique
Postures
Trace
Philosophie
Altérité
Contexte
Concept
Aménités
Relationnel
Narration…

Screenshot_2019-12-04 Gilles Malatray ( desartsonnants) • Photos et vidéos Instagram

Inventory
Exhaustion
Observatory
Survey (march)
wandering
Sensitive
Hétérotopie
Survey
ambience
Sociability
Point of hearing
course
Landscape
Phenomenology
Ecology
Aesthetic
ecosophy
Ethics
Policy
Middle
Ecosystem
Mobility
Network
Writing
Memory
Territory
Exchange
Acoustic
postures
Trace
Philosophy
Otherness
Context
Concept
Aménités
Relational
Narration…