Souvenirs sonores jurassiens et communs auriculaires

Lors de repérages de sites auriculaires remarquables, 1989/90, avec Acirene, passage au lac D’Antre, à Villards – d’Héria, PNR du Haut-Jura. Un lac miroir qui, avec sa falaise rocher,, réfléchit et amplifie les sons de façon très spectaculaire d’une rive à l’autre.

Le rocher d’Antre, le surplombant d’un faut d’une falaise abrupte, nous offre une écoute et une vue panoramique tout aussi remarquables.

Il existe nombre de sites acoustiques remarquables qui ne demandent qu’à être écoutés, parfois sonnés, à leur échelle, mais aussi parfois protégés en en taisant les richesses. C’est du ressort de promeneurs écoutants impliqués dans une écosophie de l’écoute, considérant qu’une forme de patrimoine auriculaire qualitatif est un bien commun à défendre.

PAS -Parcours-Audio-Sensible, la tourbière de Nanchez, Parc Naturel Régional du Haut-Jura

A l’invitation du Parc Naturel Régional du Haut-Jura, nous explorons de l’oreille un superbe site de tourbières, prairie humide, où faune et flore locale, activités rurales, lumières et autres ambiances font que les yeux et les oreilles sont à la fête !

Nous effectuons un parcours en boucle d’environ 3 km, une première fois pour le repérage, et deux autres en invitant le public à tendre l’oreille alentours.

Trois périodes de marche découpent l’après-midi, 13.30/15.00 – 15.30/17.00 et 18.30/20.00.

Ces traversées à différentes heures nous permettent de suivre l’évolution acoustique, mais aussi lumineuse, et globalement sensorielle du site, ce qui n’est pas toujours facile à expérimenter sur un même lieu et parcours.

La première boucle, un repérage préalable, est réalisée à deux personnes seulement, moi et Laurane, mon accompagnatrice, chargée de mission pour la conservation, la valorisation et la labèlisation de la tourbière. Connaissant parfaitement le terrain, elle me fait découvrir (presque) tous les secrets des lieux, faune, flore et autres singularités locales. 

Nous croisons un duo de chercheurs effectuant un relevé enthomologique, essentiellement des orthoptères et des papillons. Si les premiers sont clairement audibles, certains pour une oreille exercée, les seconds sont gracieusement silencieux, et commencent d’ailleurs à se faire rares en cette fin d’été.

Des activités agricoles, rythment la combe, une faneuse tractée met en roules le regain de foin coupé d’une prairie voisine, avec des ferraillements, cliquettements, parfaitement audibles.

Une route en milieu de pente, sur le versant opposé, est traversée de moteurs, discrets mais bien présents, n’envahissant cependant pas trop le paysage. Dès que nous descendons au creux de la combe, dans la zone humide, les moteurs disparaissent de notre champ auditif.

Nous nous saluons respectivement avec des promeneurs croisés en chemin.

Nous activons de la voix et d’une petite trompe des échos, caractéristiques à ces topographies de moyenne montagne, et en particulier au massif jurassien qui en compte de nombreux et de très impressionnants par le nombre de répétions, la puissance, la netteté de leurs réponses… En fond de combe, il faut allez les chercher avec beaucoup d’énergie acoustique, si nous montions à flancs de coteau, et mieux encore sur la ligne de crête, ils gagneraient fortement en présence et vélocité.

Sur le chemin de fond de combe, versant opposé, nous entendons clairement la voix de promeneurs, adultes et enfants, malgré les quelques centaines de mètres qui nous séparent; une caractéristique acoustique, en effet miroir, propre à cette topologie de moyenne montagne, qui plus est parfois accentuée par le sol calcaire, et le gruyère des phénomènes karstiques propres au Haut-Jura.

Des hameaux épars se signalent par quelques aboiements canins.

Un petit troupeau de vaches ensonnaillées, enclochatées dit on ici, fait entendre discrètement clarines et sonnailles, signature acoustique jurassienne, comme en d’autres espaces montagnards. 

Nos pas crissent sur les cailloux du sentier, avant que de résonner discrètement sur le patelage en bois qui traverse le chœur de la tourbière, évitant aux pieds indisciplinés de saccager cet espace Oh combien fragile, tout en en faisant découvrir les milles et unes beautés aux visiteurs.

Un couple de milans royaux semblent nous surveiller de haut, jouant majestueusement des courants ascendant, et poussant de temps à autre des cris brefs, touant l’espace de leurs fusées criardes.

Un épervier chasse, pialliant de temps à autre, nous attendons une belle piquée qu’il ne fera pas vraiment. 

La tourbière abrite de nombreux oiseaux, parfois discrets, furtifs, qui vont et viennent autour de nous.

Les insectes bourdonnent à loisir en cette chaude journée estivale. Certains se montrent un brin agressifs en fin de journée…

La cloche de Prénovel Les Piards, juchée sur un promontoire à quelques centaines de mètres,  ponctue joliment notre cheminement

Je me familiarise avec cet environnement si riche et bruissonnant, mais où aucun son n’est vraiment envahissant, voire où il faut tendre l’oreille pour pénétrer l’intimité foisonnante de ce paysage sonore tout en douceur.

Cette première boucle, entre chaleur du sentier traversant un léger pli anticlinal et fraicheur (parfois relative) de la tourbière enchâssée en fond de combe, à la végétation luxuriante, me plonge dans le bain sonore de Nanchez. Un vrai ressourcement après une période plus urbainement citadine !

La deuxième boucle, vers 15.30, se fera avec un petit groupe, trois personnes.

Je commence par dire quelques mots concernant le paysage sonore, l’écologie acoustique, la marche sonore – ou plutôt silencieuse ici – dédiant ces promenades écoutes à Murray Schafer, tout récemment disparu. Puis je lirai un texte, que je trouve magnifique, de Vinciane Despret, sur la nécessité de prêter attention au paysage (sonore) qui nous entoure, de façon à ne pas accélérer la disparition de la musique des lieux, et notamment celle des chants d’oiseaux.

Nous pratiquons une petite série de jeux d’écoute, yeux fermés, pour calibrer et mesurer le potentiel de nos oreilles, bien plus grand qu’il n’y parait de prime abord.

Comme l’essentiel de mes PAS, notre déambulation se fera en silence, pour laisser toute la place aux sons de la tourbière.

Un peu plus loin, je viendrai chahuter (gentiment et discrètement) le paysage ambiant en y installant de façon très éphémère, quelques sons exogènes, qui frotteront des ambiances africaines et francomtoises, avant que de retrouver l’équilibre résiliant et quiet du milieu ambiant.

Puis, dans un autre espace, j’inclurai  quelques tintements de mini cloches tubulaires, carillonnant en douceur, pour faire écho aux « vraies » sonnailles, celles de la colline d’en face.

En milieu d’après-midi, les promeneurs sont nombreux, ils rythment le cheminement de voix et sont de piétinements cailloutés, de rires et de bougonnements d’enfants, de chiens haletants, de bonjours partagés…

La présence de l’activité agricole est toujours bien présente, sur la même prairie, mais il s’agit cette fois d’une botteleuse laissant entendre ponctuellement des chocs sourds de bottes de foin recrachées, tombant sur la prairie comme de grosses déjections sonores, constellant le pré de rouleaux prèts à être engrangés. Un feuilleton agricole…

Les milans sont toujours là, plus discrets, apparaissant et disparaissant rapidement de notre vue.

Les éperviers aussi, toujours en chasse.

Un pic épeiche tambourine ponctuellement des troncs, cherchant un casse-croute d’insectes.

La circulation automobile est beaucoup plus présente, trop présente sans doute sur le chemin du haut, elle tend à gommer des sonorités plus fragiles, insectes, clarines, aboiements lointains, voix… 

Elle s’estompe fort heureusement lorsque nous descendons dans le creux de la zone humide.

Cette boucle sera la plus habitée et bruissonnante de la journée comme un acmé sonore, non pas assourdissante, loin de là, mais néanmoins très tonique en regard, ou en écoute de l’ambiance globale du site.

La troisième et dernière boucle, à 18.30, accueillera une dizaine de personnes.

Elle sera construite sur un déroulé analogue aux précédentes, si ce n’est que les postures, haltes sur des points d’ouïe, mini installation et jeux  d’écoutes seront, comme toujours, tributaires des événements sonores rencontrés, si discrets soient-ils.

Le fait d’avoir un groupe plus important, avec un nombre quasi optimum dans ce genre de marches sensorielle, modifiera grandement l’ambiance de notre déambulation, où l’on sentira une énergie palpable, collective, partagée, dans une écoute profonde.

La qualité du silence installé parmi nous, naturellement, spontanément, sans injonction ni consigne le montrera plus que toute autre parole.

Quand aux sonorités rencontrées, là encore, une atmosphère très différente des deux précédentes déambulations sera nettement perceptible, plus apaisée, laissant place à des sons jusque là moins discernables, gommés par d’autres sonorités.

Les sons de l’activité agricole auront disparu, laissant une place plus grande à ceux discrets de proximité, où à ceux que l’éloignement rend plus ténus.

Les milans ne feront qu’une brève et discrète intervention, comme pour nous saluer une dernière fois.

Les oiseaux de bosquets sembleront, et sans doute l’étaient-ils, plus présents, plus volubiles dans leurs piaillements et déplacements furtifs.

Nous ne rencontrerons que quelques très rares promeneurs en toute fin de parcours.

Une corne assez aigüe, brève et stridente, se déplaçant entre maisons et hameaux éloignés, peut-être le klaxon d’un marchand ambulant, déjà perçu lors de la précédente sortie, animera le paysage, faisant joliment sonner les échos alentours.

Les insectes bourdonneront de plus belle.

Les aboiements de chiens se découperont nettement sur la colline adjacente.

La cloche de l’église sera mise en évidence, sans pour autant s’imposer, dans un juste équilibre acoustique avec les lieux.

Et surtout, le petit troupeau ensonnaillé nous paraitra beaucoup plus présent, plus proche, accompagnant très agréablement notre retour de ses sonorités cristallines.

La lumière-même, étirant nos ombres, mettant en valeur des couleurs pré-automnales de la tourbière, et un ciel bleu qui prend une profondeur teintée de blanc et de rouge, marquera en les ciselant  les reliefs arborés. Ces atmosphères lumineuses se marient à merveille avec l’écrin sonore feutré et bienveillant du site.

Une ambiance tissée d’aménités paysagères, assez envoutante, nous immergera dans des espaces dont il est au final difficile de s’extraire en fin de parcours.

Comme à chaque fin de périple, la parole libérée, le silence rompu, nous échangerons nos ressentis, impressions, questions vis à vis des caractéristiques sonore du site, du massif, et de ce qui constitue au final un paysage sonore, fragile, que nous construisons de l’oreille. Une scène acoustique propre à chaque lieu, chaque moment, et sans aucun doute chaque écoutante et écoutant.

Une belle journée audio-jurassienne se termine, un brin fourbu des kilomètres parcourus et de l’attention portée vers les sons paysagers, le groupe, notre propre perception, mais heureux de cette nouvelle expérience in situ…

Des images et des sons, une multitude de ressentis, qui s’ajouteront à une collection d’expériences sonores s’ancrant progressivement dans une mémoire sensible que la marche tend à fixer solidement par la mémoire kinesthésique, celle du corps en mouvement.

Et une envie toujours plus grande de repartir au plus vite à l’écoute d’autres contrées à déchiffrer et à défricher collectivement de l’oreille.

Remerciements au Parc Naturel du Haut-Jura pour son invitation, et tout particulièrement à Laurane, ma guide accompagnatrice, pour sa gentillesse, le partage de son expérience et de son amour communicatif du le site arpenté de concert.