Marcher en silence A nuit tombée Arpenter les rives d’un fleuve Puis celles d’une rivière Vers sa confluence inéluctable Écouter Les rumeurs de la ville Exacerbées d’obscurité Le nappage au noir Éclaboussé de lumières Et les sons s’y faufilent S’y installent Et s’entendent à merveille Traversée noctambule Une nuit transfigurée D’auricularité en zones d’ombres Contrastes en clair-obscurs Des fêtes rythment nos arpentages Sauvages ou bien sages La nuit à portée d’oreille Nous invitent à marcher Dans la fraîcheur acoustique D’une cité bavarde Même au cœur des ténèbres Qui savent aussi êtres bienveillantes. Invitation à une exploration bruissonnante Tout en nuances et contrastes L’oreille se réjouit Des traversées nocturnes Où la ville murmure Où la ville s’entend Dans les furtivités canailles D’une nuit bien sonnante.
Desartsonnants est un artiste marcheur, paysagiste sonore, arpenteur écoutant. Il travaille autour du paysage sonore, notamment via des parcours d’écoute (PAS-Parcours Audio Sensibles), des installations mobiles et concerts environnementaux… Le projet PIC (Paysages Improvisations Concerts), les inaugurations (officielles) de points d’ouïe, les parcours sonores, font partie de sa démarche, entre esthétique, sociabilité auriculaire et écologie/écosophie.
Tout cela pour tenter de répondre à une simple question : Et avec ta ville, ton village, ta forêt, ta rivière… comment tu t’entends ?
Beaucoup ont fait l’expérience, dans un geste artistique, une expérience amoureuse, du fait que la première minute est souvent décisive ! Du coup de foudre à la sidération, ou de l’ennui à la désertion.
En tant qu’artiste par exemple, on embarque, plus ou moins, plus ou moins vite, ou pas, un public, dans notre univers, notre histoire, nos propositions… Surtout si celui-ci participe à une action en espace public, où il sera libre de quitter la « scène » quand il veut, quand il décroche, quand il s’ennuie, pour rester poli. En tant que musicien, parfois chef d’orchestre, j’ai souvent redouté le premier son, la première attaque comme on dit, ou le premier geste, le premier regard vers un orchestre. On sent très vite si le courant passe, l’attention des musiciens, l’énergie circulante entre le chef, l’orchestre et le public, une forme de communion galvanisante. Et parfois, la mayonnaise ne prend pas comme on l’aurait souhaité, ou le soufflé retombe.
Dès les premiers instants, la façon de démarrer, d’impulser, de transmettre une énergie, de mettre en marche, y compris physiquement, me questionnent, sur le fait de bien commencer, et des façons de faire pour cela.
Pour justement mettre en marche, en mouvement, une déambulation d’écoute, un PAS-Parcours Audio Sensible, en embarquant très vite un public parfois peu aguerri à ce genre d’exercice qui, dans ses phases de lenteurs silencieuses, peut désarçonner.
Je me questionne donc sur le premier instant, celui qui peut être un bon enclencheur, un vrai déclic. Alors comment mettre rapidement l’écoute en marche, en action déambulante ?
Faut-il préparer une intro bien rodée, rassurante, ou compter sur une forme d’improvisation libre ?
Mettre l’auditoire en situation, en lui racontant les origines historiques, les courants, contextes et projets du soundwalking et autres parcours d’écoute ?
Énoncer les objectifs, visées et attendus de l’expérience ?
Créer du récit, du rêve, de l’imaginaire, de l’intriguant, du titillant ?
Se mettre en condition, en situation, par des jeux et des postures d’écoute ?
Ne rien dire, ne rien expliquer, ni a priori faire, en tant que gestes préparatoire, et se jeter tête et oreilles baissées dans le parcours d’écoute, sans autres formes de préliminaires ?
Composer selon l’humeur, le ressenti du public, l’ambiance, l’instinct, le lieu ?
L’essentiel, c’est de prendre le risque de se frotter collectivement au terrain d’écoute, avec tous les aléas et risques inhérents, y compris celui de se planter ! Mais en essayant de bien commencer pour ne pas trop mal finir !
De retour de résidence artistique, de nouvelles expériences de paysages sonores au fil de l’eau, de la mat!ère sonore, textuelle, imagée, à trier, agencer, à construire comme objets de traces récits immersifs. Tout cela irrigué de belles rencontres, des échanges, la découverte de sites magnifiques, des eaux généreuses, des discussions où écoute et cuisine travaillent à de subtiles réductions, des expériences collectives pour agencer, improviser en live des paysages sonores singuliers…
Au fil des résidence, le paysage sonore dans tous ses états prends du poids, de la consistance, de l’hétérogénéité en même temps que de la cohérence. Il permet la rencontre, la remise en question de nos rapports au monde, la recherche de beautés tant esthétiques qu’humaines, qui nous feront, dans l’idéal et écoute aidant, mieux vivre ensemble. Écouter est un geste de partage, où il nous faut assumer notre modeste place dans des espaces habitables, sociétaux, de plus en plus fragiles et menacés. Construire des paysages sonores comme des communs écosophiques, humanistes, est une façon de défendre des valeurs humaines qui nous font trop souvent cruellement défaut.
Merci à cette belle équipe, et tout particulièrement à Arnaud Laurens et Jean-Michel Ponty, à la municipalité de Montbron et à sa Médiathèque, au public aux écoutes attentives et échanges stimulants, pour cette riche ouverture culturelle à portée d’oreille.
En arpentant et en auscultant la Tardoire, à Montbron, je réfléchis aux façon dont un cours d’eau relie les hommes au territoire, à la nature, aux écosystèmes, aux animaux… Et inversement.
Paysages, moulins, pêche, sport, géologie, préhistoire, arts et culture, histoire, architecture et aménagements, tourisme, crues et tarissements, industries, patrimoine, écologie, faune et flore,mémoire(s), agriculture, gestion des eaux, hydrologie et bassins versants, identités sonores… comment le paysage auriculaire aquatique nous connecte t-il , ou non, et surtout nous implique t-il, parfois non sans heurts et sans dommages, à nos habitats partagés, à nos milieux de vie ?
Dans le cadre d’une résidence création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’ouïe – Field recording aqua-sonique, rencontre publique autour de l’écoute paysagère, PAS – Parcours Audio Sensible « L’eau traversante », concert-performance- improvisation en trio (instruments, électroniques et son paysagers), écriture sonore et multimédia…
Pour moi, marcher, c’est un peu comme écouter. Et inversement, écouter, c’est un peu comme marcher. Mettre les oreilles et les pieds en branle, en phase, chacun et chacune reliés, de haut en bas, de bas en haut. Connectés par des gestes concomitants autant que résonants. Là où l’oreille se tend, se dirigent les pas. Là où les pas s’aventurent, se tendent les oreilles. Parfois, la marche devançant l’écoute, parfois l’écoute guidant la déambulation. Deux complices qui, sans forcément se concerter, mais néanmoins de concert, vont explorer les reliefs des sols bien tangibles, et ceux du monde sonore éthéré. Lesquels des pieds et des oreilles prendront l’initiative ? Sans doute les deux, parfois en alternance, parfois copains copines, parfois en discordance. Les trames sonores se suivent, au pas à pas, comme des coulées attirant nos écoutilles toutes ouïe. L’oreille en colimaçon, comme des chemins de ronde spiralés, s’enroulant et se déroulant. Ces gestes et postures, à l’affut de sensations à fleur de pieds et de tympans, sont garant d’explorations toniques et multiples. On cherche la surprise au détour du chemin bruissonnant, ou du belvédère surplombant en point d’ouïe, la ville basse. On ose se perdre, autant par les foulées vagabondes, que par les oreilles libertaires. On s’indiscipline au gré des marches écoutantes, comme via des écoutes déambulantes. De la plante du pied foulant le gravier crissant, à la membrane vibrante du tympan, qui réceptionne mille infos auriculo-sensorielles, se jouent des immersions ludiques. Le corps vertical, d’oreille en pied, nous fait ouïr curieusement le monde. L’écoute marchée embrasse large, en vastes panoramas acoustiques, ou en focales micro-soniques, du bruissement d’une brindille à la tourmente orageuse. La marche écoutante est un terrain de jeu aussi physique que sensoriel, à corps ouvert, vers tous les sons ambiants. Et le plaisir de « marchécouter » s’affirme au fil des chantiers et expériences auriculaires. Entendre, c’est un peu mieux comprendre, et ce chemin faisant, au gré des signaux sonores nous racontant des histoires au creux de l’oreille. L’interaction de pied en cap nous ouvre des horizons où les récits seront tissées de sons. Le monde à portée d’oreille, arpenté sans relâche, écouté tout autant, donne du sens à la vie. Ou peut-être, plus modestement, la rend un peu plus désirable, plus écoutable. Le bon entendement nous relie à la complexité du monde.
Réflexion autour d’un PAS – Parcours audio sensible Desartsonnants
Cette courte vidéo, en pied d’article, montre quelques postures d’écoute qui peuvent être proposées, sans aucunes consignes verbales préalables, en silence, par des invitations corporelles, à un groupe de promeneurs écoutants.
Ici des étudiants en écoles d’arts média à Saint–Pétersbourg.
Ce fut une belle série d’expériences, soundwalks, conférences, concerts – performances, field recordings, échanges fructueux… à Saint-Pétersbourg, Kronstadt, Kaliningrad…
Je repense très souvent à ces jeunes étudiants, aux opérateurs culturels qui m’ont si généreusement accueilli, aux artistes, enseignants… croisés durant ce voyage. De belles rencontres dans un pays aujourd’hui isolé par une guerre insoutenable, comme toutes.
PAS – Parcours Audio Sensible, Saint-Pétersbourg – 2019
Si les marches écoutantes, notamment les PAS – Parcours audio Sensibles mode Desartsonnants, ont pour objectif de (ré)apprendre à écouter les paysages sonores ambiants, à y prendre du plaisir via des gestes mettant l’esthétique en avant, d’autres buts sont également recherchés.
La marche comme outil de lecture paysagère, d’analyse et de diagnostique, le fait de comprendre un peu mieux, par les parcours sensibles, les relations que le marcheur habitant ou visiteur, entretient avec les espaces publics, naturels, d’appréhender ce qui fonctionne bien, tout comme ce qui dysfonctionnelle, constitue une approche pragmatique non négligeable. C’est une. Moyen de se doter d’outils d’observation et d’imprégnation aussi simple, quoique, qu’efficaces.
Dans une volonté d’aménagement du territoire, notamment via des mobilités douces, le fait de tracer des cheminements piétonniers sensibles, au fil de l’eau, des trames vertes, des zones calmes, de fraîcheur, de relier différents quartiers en ménageant des points d’ouïe apaisés, constitue un axe de recherche important.
L’écoute permet de faire des états des lieux, des inventaires parfois, pour mettre en exergue les aménités paysagères, tout comme les lieux difficiles à vivre, c’est parfois un doux euphémisme. Cela devrait conduire à protéger ce qui doit l’être, des zones de belle écoute, de s’en inspirer pour des aménageants à venir, et de tenter d’améliorer le cadre de vie aux acoustiques détériorées, si ce n’est franchement polluées.
Au-delà des écoutes portant une « oreille musicienne » et esthétisante sur l’environnement, ce qui n’est déjà pas rien, il est une oreille pragmatique, celle qui va explorer et expérimenter des situations d’écoute active. Geste qui apporte, de par ses postures écologiques, si ce n’est écosophique, une dimension audio facto constructiviste, engagée, au service des espaces de vie et de leurs résidants.
Dans « Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen* » de Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio, le droit au silence est d’emblée revendiqué comme une valeur qu’il faut défendre à tout prix, comme celui de l’horizon. Sans aller jusqu’au silence total, ou alors dans dans une acception symbolique, il nous faut rechercher a minima le droit au calme et à la belle écoute.
Aujourd’hui plus que jamais, les marches écoutantes, comme toutes celles liées à des parcours sensibles, font partie des actes militant, sociétaux, pour préserver des espaces écoutables, supportables et au final vivables.
Ce qui ne peut être volé, Charte du Verstohlen, de Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio (éd. tracts Gallimard) 31 mai 2022
Balade sonore nocturne exclusive le Mardi 30 Mai 2023 avec l’artiste Boris Shershenkov autour du projet « LightHub » à l’écoute des ondes électromagnétiques omniprésentes dans l’espace urbain. RDV : Place de la République – Sous la statut devant le Lyon (22H)
*** Emmenez tant que possible un casque audio personnel avec prise jack stéréo
*** Une petite participation vous sera demandée à prix libre en liquide sur place pour rémunérer l’artiste. Merci de prévoir en conséquent .
Le mardi 22 mai 2023, à 22h00, place de la République se déroulera la balade sono-lumière Lighthub de l’artiste sonore Boris Shershenkov.
Le projet Lighthub explore l’essence des lumières électriques, qui est fondamentalement différente des sources de lumière naturelle. Les conceptions des flux lumineux technogéniques sont basées sur l’inertie visuelle humaine. Ils véhiculent une quantité importante d’informations cachées à l’œil mais situées dans les limites temporelles de notre perception auditive.Les participants à cette promenade au moyen de convertisseurs phonoptiques sur mesure auront la possibilité d’étudier de manière synesthésique les lumières de la ville telles que les publicités, les phares de voiture et les systèmes d’éclairage public, et de créer une carte lumineuse de la zone enregistrée en son.Au cours de la première partie de la marche sonore, les participants marcheront ensemble et exploreront l’environnement lumineux des zones environnantes. La deuxième partie de la promenade – l’enregistrement de la pièce cartographique « Lighthub Paris : République », au cours de laquelle les participants se déplaceront le long d’itinéraires prédéterminés en fonction de la partition spéciale de la carte.
Boris Shershenkov (né en 1990, Vladivostok, Russie) – artiste et chercheur indépendant, Ph.D. (candidat en sciences techniques), éducateur et concepteur d’instruments de musique. Se concentrant sur des projets qui développent de nouvelles méthodologies dans l’art technologique et sonore, il étudie la relation entre les humains et la technologie en combinant les techniques modernes avec la recherche archéologique des médias. Site web : https://shershenkov.com/
La durée totale de la promenade est de 1h00.
Pour participer à la marche, vous devez avoir :
1. smartphone ou enregistreur audio avec une entrée mini-jack 3,5 mm (micro cravate ou entrée casque) ;
2. une paire d’écouteurs filaires avec un connecteur minijack 3,5 mm.
On Tuesday, May 2023, 10:00 PM, at the Place de la République will take place the Lighthub light-sound walk by the sound artist Boris Shershenkov.The Lighthub project explores the essence of electric lights, which is fundamentally different from natural light sources. The designs of technogenic light streams are based on human visual inertia. They carry a significant amount of information hidden from the eye but located within the temporal limits of our auditory perception.Participants of this walk by means of custom-made phonoptic converters will have the opportunity to synesthetically investigate the city lights such as advertisements, car headlights and street lighting systems, and create a light map of the area saved in sound.During the first part of the soundwalk, participants will walk together and explore the light environment of the surrounding areas. The second part of the walk – the recording of the « Lighthub Paris: République » cartographic piece, during which participants will move along predetermined routes according to the special map score.
Boris Shershenkov (b. 1990, Vladivostok, Russia) – independent artist and researcher, Ph.D. (candidate of technical sciences), educator and musical instrument designer. Focusing on projects that develop new methodologies in technological and sound art, he investigates the relationship between humans and technology combining modern techniques with media archaeological research. Website: https://shershenkov.com/
The overall length of the walk is 1 hours.
To participate in the walk, you must have:1. smartphone or audio recorder with a 3.5 mm minijack input (lavalier microphone or headset input);
2. a pair of wired headphones with a 3.5 mm minijack connector.
Un immense super-marché revisité de l’oreille en périphérie de la ville d’Istres Un groupe de promeneurs.euses écoutants.es Une tournée nationale de balades sonores via PePason Une artiste chercheuse doctorante, Caroline Boé Une recherche-action en chantier Des bruits envahissants Ceux que l’on écoute pas, ou plus Ceux qui pourtant sont omniprésents Insidieusement perturbants Un terrain d’aventure et d’exploration Le rayon hyper Grand Frais Des alignées impressionnantes de banques réfrigérées Des allées de frigos à casiers Des victuailles à perte de vue Un temple de la consommation de masse Des viandes, glaces, plats cuisinés, légumes emballés Le tout à satiété Débauche de couleurs dégoulinantes Et surtout pour nous Traqueurs de micros sons Une incroyable collection de sonorités réfrigérantes Ronronnements, vrombissements, cliquetis, souffles et soupirs Le vocabulaire peine à circonscrire le panel bruitiste Une variété d’objets sonores Qui seraient presque objets musicaux Si l’oreille les extrait du global Les scrute en mode rapproché Les examine en curieuse Parfois des ambiances organiques Ça respire sous les vitrines Ça gémit dans les casiers Ça ronronne au cœur des frigos L’expérience est pour le peu inouïe Performance dans un univers hyper marchandisé De charriots à gaver De tentations perfides Même la Muzak surpermaketisée est ici en partie gommée De mille souffles refroidissants Jusqu’au creux de l’oreille. Du grand Frais dans les esgourdes Mais pas vraiment l’air du large.
Chantiers en cours et à venir d’écoutes sylvestres Fictions de la forêt dans le libournais, Balades forestières en Haut-Beaujolais, en Belledonne, festival Back To The Trees en Franche-Comté cet été
Marcher pour écouter, entendre, mieux s’entendre Marcher contre l’accélération chronique Marcher pour résister aux écoutes uniques Marcher contre l’inaction mortifère Marcher pour chercher les beautés résistantes Marcher contre le mépris affiché Marcher pour prôner la belle écoute Marcher contre les territoires saccagés Marcher pour faire bloc et résistance Marcher contre les hégémonies tonitruantes Marcher pour l’accès aux savoirs Marcher contre la paupérisation du monde Marcher pour défendre des écosystèmes fragiles Marcher contre la privatisation des sols Marcher pour une intelligence collective Marcher contre un diktat avilissant Marcher pour frotter son corps au monde Marcher contre les libertés bafouées Marcher pour se sentir vivant Marcher contre l’inconscience suicidaire Marcher pour fertiliser l’utopie Marcher contre la marchandisation globale Marcher pour rester debout Marcher contre Marcher pour Marcher envers et contre tout.
Une nouvelle compilation de récits d’écoutes, de parcours sonores, expériences de terrains, formations, réflexions et autres textes auriculaires impromptus…
Un nouveau PAS – Parcours Audio Sensible, a été effectué sur le campus Pierre et Marie Curie de Jussieu Sorbonne, dessus dessous, dedans dehors, avec quelques passages assez undergrounds, que n’aurait pas dénié Max Neuhaus dans ses Listens.
Ce parcours d’écoute, a été effectué, dans le cadre des 9e Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement Sonore, organisées par le CidbBruitParis. Il s’est déroulé, entre chien et loup, de 19 heures à 20 heures, sur le site-même du campus universitaire. C’est d’ailleurs un moment que Desartsonnants apprécie tout particulièrement, pour la qualité des lumières changeantes, la bascule entre nuit et jour, l’estompage sonore progressif, et l’ambiance souvent poétique d’une fin de journée.
Ce soir là, après une journée particulièrement humide, la température est très frisquette pour l’époque, le fond de l’air vraiment frais, ce qui n’a pas empêché un groupe de promeneurs écoutants de marcher lentement, silencieusement, pour aller traquer les ambiances sonores des plus triviales aux plus surprenantes.
Le parcours avait été repéré la veille au soir, alors que le temps était déjà très pluvieux, et avait donc pris en compte un cheminement en grande partie abrité, tracé de passages couverts en parkings souterrains, proposant une porosité dedans-dehors, avec laquelle nous pourrions jongler, selon les conditions météorologiques lors de notre déambulation. Et ce choix se révéla judicieux, tant pour échapper un brin à la fraîcheur humide, que pour découvrir une collection de réverbérations, de coupures acoustiques, de filtrages et de mixages sonores, des plus surprenants et intéressants.
Après un très rapide aperçu oral des origines et pratiques du soundwalking, nous nous mettons donc en marche pour environ une heure de promenade écoutante. En ce début de soirée, les étudiants jusque-là assez nombreux sur le site, se font plus rares. Néanmoins, le site reste animé de pas, conversations, rires et chuchotements, tant féminins que masculins. Ce qui, en ce début de promenade, nous plonge dans une ambiance assez vivace, avec un équilibre très agréable, entre espaces calmes, et poches sonores plus animées.
Un passage en passerelle surplombe la bibliothèque universitaire. Nous pouvons voir des étudiants, en contrebas, lire et écrire, se déplacer pour aller chercher tel ouvrage. Il est alors aisé d’imaginer l’atmosphère très calme de la BU, tout en la regardant vivre en silence, sans rien en entendre, impression curieuse. Nous percevons les sons de surface, derrière nous, d’ailleurs très discrets, tout en voyant un autre univers sonore, dans un mixage que chacun peut se faire à son gré. Un décalage dedans-dehors, dessus dessous, qui ne manque pas, en cette nuit tombante, d’une certaine poésie. Espace apaisé où l’imaginaire a toute sa place.
Nous retrouverons une scène semblable, bientôt, quoiqu’assez différente, un peu plus avant dans notre déambulation. Cette fois-ci, nous longeons des salles où se pratiquent du yoga, des arts martiaux, de la danse, de la musculation… Nous observons les usagers derrière de grandes vitres qui ne laissent s’échapper aucun sons. Une nouvelle séquence à la fois muette et pourtant très évocatrice quand aux ambiances sonores que l’on imagine se dérouler à l’intérieur. Nous finirons par pousser une porte pour pénétrer dans un couloir menant à ces salles. De là, nous parviennent, très filtrées et atténuées, des bribes de musiques, avec en superposition le passage des usagers, leurs voix, leurs pas, leurs regards étonnées de nous voir ici, statiques, silencieux… Entre deux mondes, une fois encore dedans-dehors, un effet de sas mixant des ambiances de façon surprenante. Des lieux que le promeneur écoutant guide affectionne et ne manque pas d’explorer, surtout en groupe.
Sur une autre passerelle, très calme, très résonante, je dispose quatre petites enceintes autonomes, en une mini installation au carré pour jouer d’un espace immersif modifié. Deux HP diffusent de faux chants d’oiseaux qui se répondent, un autre des sons de cloches transformés par des manipulations audionumériques, et un quatrième des voix ténues dans un espace réverbérant qui se confond avec celui, « réel » où nous nous trouvons. Le tout discourant de façon plus ou moins aléatoire selon des boucles asynchrones. Au fil de la mise en place progressive des enceintes, l’ambiance est modifiée par de nouvelles couches sonores ajoutées, qui ne couvriront cependant jamais l’empreinte acoustique de l’espace, jouant plutôt en contrepoint à créer un décalage pour le moins inhabituel. La désinstallation se fait progressivement, dans un decrescendo qui nous ramènera à la situation auriculaire initiale, une forme de résilience auditive où chaque son « naturel », in situ, reprend progressivement sa place à l’écoute.
Un passage devant une cour entourée de hauts bâtiments en U, nous fait entendre mille micros sons, voix et pas, portes grinçantes, dans un halo assez lointain, de quoi à nous faire apprécier les choses ténues, délicates, loin du brouhaha ambiant de la ville pourtant toute proche.
Nous entamerons maintenant la partie souterraine, underground, de notre PAS, en empruntant un réseau assez labyrinthique de couloirs desservant des parkings souterrains et autres locaux techniques. Changement d’ambiance assez radical, tant au niveaux des lumières, artificielles, que des sonorités. La réverbération est ici accentuée, accompagnée d’un quasi silence qui pourrait paraître pesant. Néanmoins, apparait une signature sonore caractéristique de ce genre de lieux, le chant, non pas des sirènes, mais des ventilations et autres climatisations. Elles sont nombreuses, de tailles différentes, toutes assez singulières, déployant une gamme de souffles, tintinnabulis, cliquètements au final assez riches, presque musicaux oserais-je dire. Le jeu ici est de mixer par la marche et l’écoute par le passage de l’une à l’autre, de s’arrêter entre deux rangées, de se faire une petite composition live d’instruments à vent bien soufflants. Une seule voiture viendra animer notre exploration des parkings, excitant ainsi une belle réverbération bétonnée. J’en jouerai moi aussi en poussant quelques notes de chant diphonique, que l’acoustique favorise en les amplifiant, colorant, à tel point qu’on ne sait plus vraiment d’où vient le son. On retrouve ici l’acoustique fusionnelle des églises romanes, propice à révéler les effets immersifs, les situations de communion du chant grégorien, qui lui-même joue sur le développement de notes harmoniques semblant flotter dans l’espace.
Retour au niveau campus, pour une dernière traversée, nous conduisant vers la sortie, sur la place très animée jouxtant l’université. Les voix étudiantes quittant les lieux, le flux de voitures, la ville reprend ses droits à l’oreille, voire ses travers parfois un brin intempestifs. Néanmoins, nous pouvons tester l’effet de masquage en nous approchant tout près d’une fontaine, dont les bruits blancs, chuintants, les glougloutis, vont gommer une partie des bruits motorisés. Nous jouons à mettre nos oreilles en éventail, en élargissant et focalisant, voire inversant leurs pavillons de nos mains placées en conques derrières nos « longue-ouïes » encore toutes imprégnées de notre traversée sonore nocturne. Malgré la fraicheur de l’air, quelques courageux.euses resteront pour discuter des ressentis, essentiellement autour de l’occupation des espaces et de la vie sociale perçues en déambulant dans un campus, à l’heure où il se vide progressivement.
Comme souvent, je comparerai cette expérience collective, écoutante, avec d’autres, en particulier dans de nombreux campus explorés de l’oreille, lors de rencontres, workshops, colloques, actions culturelles. La présence étudiante confère à ces espaces de vie une sorte d’identité commune palpable, surtout du fait que, de nombreux campus ont été construits ou réaménagés durant les années 70, avec des architectures bétons, de grandes rues piétonnes, des auvents couverts, des places intérieures, tout ce qui favorise et génère des espaces acoustiques très réverbérants. Néanmoins, leurs tailles, leurs implantations géographiques, les proportions bétonnées et végétalisées, les activités, font que ces espaces restent des lieux toujours très intéressants, acoustiquement et socialement, à arpenter, seul durant les repérages, et plus encore de concert lors des PAS.
Campus Pierre et Marie Curie Jussieu Sorbonne , le 27 septembre 2022, Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement Sonore
PS : La traversée souterraine du campus m’a rappelé, avec tristesse et émotion, celle des sous-sols de la BU à Paris 8 Saint-Denis, guidée par Antoine Freychet, trop tôt disparu après avoir mené des travaux musicologiques remarquables, autour de l’écologie sonore, du soundwalking. Une dédicace hélas posthume !
Des montagnes de sons, de beaux moments, de rencontres, d’expériences, d’échanges, de fêtes partagées, de découvertes, de surprises, de rires et de sourires complices, émotions comprises…
Des moments où la marche malmène les genoux, mais ravit les oreilles.
Le bonheur d’avoir vécu d’intenses moments, avec l’incroyable énergie de mes complices détenus, insasiables faiseurs de son de la centrale pénitentière d’Aiton, dedans, puis dehors.
Aitonnement garanti…
Leurs sourires et leur énergie communicative, extériorisée si je puis dire, leur envie de croquer la vie du dehors à fond, à pleines oreilles, et d’aller vers l’autre avec des jaillissements débordant de générosité.
Leur élan pour se sentir et être comme les autres, ni plus ni moins.
La construction d’un PAS collectif en marche, où leurs paroles racontent les murs, dedans, de façon à amoindrir, au contact d’autrui, dehors, leur chape d’isolement.
La rencontre pleine de fraicheur avec des enfants, au travers l’écoute partagée.
Et la boule qui serre la gorge, les yeux qui s’embuent, au moment de se quitter. Leurs paroles encore, mercis sans fard, qui vous retournent comme une crêpe.
L’espoir qu’ils trouveront des chemins apaisés.
La rencontre émouvante de femmes artistes ayant fui l’Afghanistan. Leur résistance pour rester debout, créer, envers et contre tout.
Un échange à deux voix, stimulant, croisant, via l’ornithologie, les parcours sonores, les sons captés, puis composés, des paysages sonores multiples… Et un public curieux.
Entre coups de fraîcheur à nuit tombée, et coups de soleil au mitan du jour.
Entre dedans et dehors.
Entre et au centre de plein de choses, qui résonnent et font déjà traces, de celles que l’ont devine profondes et tenaces.
La fin du séjour est là, avec l’estompement des larges espaces lumineux, des reliefs invitants.
La redescente qui clôt une aventure humaine aussi pentue que revigorante.
Vient alors l’envie de repartir bien vite vers d’autres rencontres sonomadiques, envie d’arpenteur lobe trotters.
Workshop Desartsonnants, autour des relations architecture/paysage sonore, accueilli par GFI Universty, École Polytechnique Supérieure d’Architecture de Sousse.
Février 2022
Lieux d’exploration, la Médina de Sousse et ses alentours, ainsi que celle de Kairouan
Nous arpentons, avec les enseignants et les étudiants, la Médina de Sousse. Tout d’abord à oreilles nues, puis micros en main.
On m’accompagne également dans une visite de la médina de Kairouan. Deux sites, des atmosphères, des ambiances auriculaires, sensorielles, singulières.
Les étudiants, utilisant les sons captés in situ, mais aussi des modes d’expression relatifs à leur formation architecturale (cartes mentales, relevés axionomiques, croquis, maquettes, textes…), réalisent une carte postale sonore thématique. Il s’agit de narrer, en quelques minutes, via une création sonore accompagnée de documents annexes réalisés pour la circonstance, un moment, un espace de vie, des activités, des ressentis… Professions, parcours, acoustiques, voix, les thématiques et fils rouges narratifs sont aussi nombreux que peuvent l’être les modes de rendus, de représentations.
Pour ma part, je décide de me plier aussi au jeu.
Pensant de prime abord composer deux petites séquences sonores, plutôt du type field recording (enregistrement de terrain) figuratifs, l’une de Sousse et l’autre de Kairouan, j’opterai au final pour une pièce unique, mixant les ambiances des deux médinas et de leurs alentours.
Fiction donc, même si les sons restent plutôt bruts, le montage fait naitre un improbable récit, une narration empruntant à deux espaces-temps, remodelés via mon imaginaire.
Il ne faut jamais croire ce que nous content les faiseurs d’ambiances, fussent-elles sonores. Comme de nombreux paysages, au sens large du terme, le réel, ou supposé tel, joue avec l’écriture fictionnelle, dans des jeux de trompe-l’oreille assumés. Ici, deux médinas composent un espace hybride, à la fois plus réel et plus imaginaire qu’il n’y parait de prime écoute.
Des escaliers, ruelles, méandres labyrinthiques
des passages couverts, semi-ouverts, fermés
une collection de réverbérations et d’espaces acoustiques
des tintements, martèlements, claquements
des paroles enjouées, cris et rires
des scooters et autres deux roues pétaradants dans les ruelles sinueuses
une pompe électrique qui grésille derrière une fenêtre
la mer grondante au loin
les appels à la prière et lectures coraniques collectives
les oiseaux en cages, suspendues au-dessus des échoppes
des métiers à tisser à mains et leurs rythmes claquants
des odeurs aussi, cuirs, tissus, métaux travaillés, fruits, épices, poissons…
Des ambiances pour moi jouissives dans leur joyeux dépaysement…
Autant de matières à tisser, comme un tapis à motifs colorés et entremêlés, formes métaphoriques modestement empruntées au savoir-faire local.
Médinas et hors-les murs, façon patchwork, prolongeant ma mémoire, souvent capricieuse et infidèle, toujours prête à inventer, boucher des trous. Une manière parmi d’autres pour faire un micro-récit de ce voyage haut en couleurs sonores, sous le généreux soleil méditerranéen.
En écoute
Médinas en écoute (écoute au casque conseillée)
Merci à tous les enseignants et personnel de l’Université, à mon très sympathique guide chauffeur, aux étudiants et étudiantes pour leur curiosité et engagements dans des chemins inhabituels, à mon amie Souad Mani pour cette belle promenade nocturne, ces riches échanges, et à toutes les personnes croisées ici et là, au détour d’une parole ou d’un sourire…
Suite à une masterclass donnée au Conservatoire de Pantin (Ile de France), avec des étudiants en musique électroacoustique, dans la classe de Marco Marini et Jonathan Prager.
Cette Masterclass était entamée par un PAS -Parcours Audio sensible, dans les franges de la ville, poursuivie par une rencontre – échange autour du paysage sonore, sous ses aspects esthétiques, écosophiques et sociétaux.
S’ensuivent de riches échanges avec les étudiants.es, dont voici, ci-dessous, les textes de retours.
Lire des retours encourageants est toujours, pour l’artiste intervenant, avec ses propres doutes et questionnements, une forte stimulation, pour creuser encore et en corps, l’écoute à fleur de tympan, et de terrain.
@Photo Sophie Barbaux – le Jardin Joyeux – Marseille
En pré-ambule
Marcher en écoutant la ville ou écouter la ville en marchant…
Ces actions transitives s’invitent comme une approche kinesthésique, oreilles et corps en mouvement, convoquant des postures sensibles, des perceptions affectives, une expérience esthétique, celle notamment d’entendre et de composer une potentielle musique des lieux…
Et sans doute aussi, comme un geste prônant une écologie auriculaire, sociétale, dans la façon de considérer les sons, les ambiances sonores, mais aussi de vivre et de construire avec ces derniers.
Le PAS-Parcours Audio Sensible, se pense et se vit comme une inscription dans une poétique de la ville, ou d’espaces périurbains, voire non urbains, à portée d’oreilles.
Cette approche poétique pourra se traduire par exemple par une aspiration au ralentissement, un besoin de prendre le temps de faire, de marcher, d’écouter, de ressentir et peut-être de s’émouvoir.
C’est également le repérage et l’agencement de points d’ouïe immersifs, comme une manière de laisser venir et être au cœur de l’écoute, dans une écriture performative, celle notamment de jouer avec les espaces sonores, de jouer la ville en la faisant sonner.
Se construisent aussi des états perceptifs, descriptifs, comme des tentatives d’épuisement, des mondes tissés d’infra-ordinaire (Georges Pérec). Des micros événements qu’il nous faudra percevoir comme essentiels pour mieux être en phase avec nos milieux sans cesse chamboulés… Prendre le monde par le petit bout de l’oreillette, l’environnement proche, la série de détails qui, mis bout à bout, feront sens, remuant parfois nos affects les plus intimes.
Bref, tout un réservoir de gestes et de postures pour performer la ville, cité sonore, via des jeux de l’ouïe et autres expériences décalées.
On peut y trouver prétexte et occasion pour un « faire surgir », dans le mouvement, y compris et sans doute surtout dans une lecture sociétale et politique, au sens premier du terme, comme le sont les marches urbaines de Francis Alÿs… Parmi tant d’autres situations expérientielles possibles in situ.
Le PAS-Parcours Audio Sensible, est ainsi un geste de lecture/écriture audio-paysagère, appuyé d’un un partage d’écoute, une esthétique contextuelle et relationnelle, (Nicolas Bourriaud), où le ressenti peut pallier la difficulté de fixer ou d’expliquer des situations d’écoutes immatérielles, mouvantes, éphémères, néanmoins toujours subjectivement signées.
La marche d’écoute s’entend alors comme une forme d’œuvre intimiste, au final désœuvrée dans son immédiateté situationnelle, dans son immatérialité performative, ainsi que dans son (apparente ) improductivité. (Max Neuhaus et les Listen).
Nous touchons là une approche sensible transdisciplinaire, voire indisciplinaire, telle que la prône Myriam Suchet, pouvant convoquer l’aménagement du territoire, la géographie, les arts, la sociologie et l’anthropologie, la philosophie, les sciences de l’acoustique et de la psychoacoustique, des neuroperceptions… et surtout ne cloisonnant pas, voire hybridant l’expérience, l’étude, la création esthétique… Un réservoir d’émotions potentielles !
Ces parcours sensibles favorisent une écriture plurielle, faisant un pas de côté en arpentant les matières sonores bruissonnières, composées et traduites en textes, images fixes et animées, chorégraphies, graphismes et autres transmédialités…
Ce sont des récits de rencontres, entre des écoutants et des paysages-espaces-mouvements, appréhendés sous le prisme de sociabilités sonores amènes, où tendre une oreille (tendre) relie des actions et réflexions communes, au travers l’écoute médiatrice.
L’émotion peut surgir au détour d’une rue, d’une ambiance sonore, de nouvelles signatures auriculaires surprenantes, des paysages auriculaires inouïs, d’événements perturbateurs ou réconfortants… Autant de moteurs pour des ressentis à fleur de tympans, des situations immersives, expérientielles, des dispositifs interagissant, stimulant les affects, transformant parfois radicalement, et à long terme, nos façons de faire, d’entendre.
L’émotion est indissociable de l’action de terrain, intrinsèquement ici dans la marche d’écoute, dans des perceptions sensibles, entre le bien-être et le mal-être, la jubilation et le stress, la lassitude et l’énergie, et tous les états intermédiaires.
Elle l’est pour le meilleur, comme l’activation d’une écologie perceptive, amène, porteuse d’espoir, et pour le pire, le constat d’un effondrement bruyant, tout autant que silencieux.
L’émotion suscite ici un balancement stimulant, entre deux pôles, positifs et négatifs, et leurs inter-réactions. Le fait de se mouvoir et de s’émouvoir, par le regard, comme par écoute, permet de mieux comprendre les dysfonctionnements et dangers multiples, saturations et disparitions, de périls plus que jamais cruciaux, tout en gardant la volonté de construire une Belle Écoute collective.
L’émotion, y compris celle procurée par l’écouter, est une réaction qui nous aide à tenir le cap dans une époque semée d’embûches et de chausse-trappes.
« L’indiscipline s’attaque à la paroi qui veut séparer la recherche de l’action, ainsi qu’à celle qui prétend étanchéifier la pensée et l’isoler de la création. » (Myriam Suchet)
Dans les trois derniers projets développés en tout début d’année 2022, une certaine continuité, voire une complémentarité stimulante, néanmoins nourries d’indisciplinarité, se dessinent incontestablement, pour mon plus grand plaisir..
Le premier, via unForum des paysagistes sonores, impulsé par PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores) se déroule à Lyon, dans le cadre de la Semaine du son de Unesco. Il invite une dizaine de participants, artistes, chercheurs, pédagogues.. à venir présenter leurs pratiques lors d’une rencontre publique. L’objectif est ici de montrer la diversité et la richesse des acteurs, preneurs de sons, créateurs sonores, bioacousticiens, concepteurs de parcours d’écoute, pédagogues… qui œuvrent à penser le monde par les deux oreilles, voire à l’aménager en prenant en compte les ambiances sonores, tant celles existantes que celles à imaginer. Ce forum est aussi un espace de débat, incontournable pour qui veut impulser une pédagogie active et participative.
PAS – Parcours Audio Sensible – Festival Zone Libre à Bastia
Le second projet m’emmène à Bastia, tout au nord de la belle ile Corse, lors d’un festival des arts sonores « Zone libre« . j’y organiserai et guiderai un PAS – Parcours Audio Sensible, à la découverte au pas à pas des ambiances sonores du vieux Bastia, et participerai activement à un autre forum, fomenté avec plusieurs partenaires, dont nos amis belges de Transcultures, autour de la « Création sonore en espace urbain« . La ville inspiratrice et théâtre d’événements artistiques où le son, dans tous ces états, est privilégié, la ville espace de parcours d’écoute; sont abordés également la cité politique et l’engagement d’artistes vers une écologie sonore plus que jamais d’actualité, les dispositifs faisant sonner la ville, la mettant en écoute… des sujets où la création sonore est ici questionnée via ses multiples formes d’installations urbaines.
Arts, sociabilité et urbanité nous conduisent à des approches indisciplinaires qui me sont de plus en plus chères.
Workshop École Polytechique d’architecture de Sousse
Le troisième projet, dans la foulée chronologique des deux précédents, se déroule à l’École Polytechnique d’Architecture de Sousse, en Tunisie. Il va donc être à nouveau question, avec des étudiants et enseignants, d’urbanité, d’aménagement, mais aussi de patrimoine, puisque des parcours/relevés sonores s’effectueront au cœur de la médina historique, classée Patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco. Arpenter, écouter, capter, composer de petites cartes postales sonores, argumentées, illustrées de croquis, maquettes, cartes sensibles, imaginer de nouveaux espaces où la sensorialité est convoquée… Une approche expérimentale, expérientielle, d’une ville à portée d’oreilles, pensée (aussi) par des sons.
Cette entame de l’année, toutes oreilles ouvertes, met donc le promeneur écoutant, paysagiste sonore de surcroît, dans une dynamique oh combien stimulante ! Trois approches qui, dans des lieux et avec des dispositifs spécifiques, me donnent du grain à moudre par leurs singularités, géographiques, thématiques, mais aussi par le fait de creuser leurs communs universaux, l’écoute en tout premier lieu !
Contexte, Blois, École Nationale Supérieure de la nature et du paysage, Symposium international FLK « Inouïs paysages », Le CRESSON, le 29 octobre 2021 à 18h00. Je suis invité, de façon quasi inaugurale, à proposer un PAS – Parcours Audio sensible, façon de mettre nos oreilles à l’épreuve du terrain. Il faut donc, et j’arrive une journée avant l’entame des rencontres, que je sache où aller, que dire, quelles ambiances faire entendre, comment et où mettre en scène une petite histoire sonore de Blois à l’oreille, parmi tant d’autres.
A noter que je n’ai jamais mis les pieds, ni les oreilles, dans cette ville, que j’ai donc découverte pour l’occasion, de haut en bas, si je puis dire. En effet, ayant déjà traversé d’autre villes du Val de Loire, je m’imaginais une cité avec une topologie plutôt plate, sans grands reliefs. Ma première journée de repérage et les différents trajets que je ferai dans Blois, me montreront à quel point je m’étais trompé, mes mollets ayant été mis à rude épreuve dés le premier arpentage. Ceci dit, les villes pentues ont cela d’intéressant qu’elles offrent moult points d’ouïe, dont de belle situations d’écoute panoramique, de là où saisir la rumeur de la ville et ses émergences parfois singulières.
Tout commence donc, comme à l’accoutumée, par un repérage préalable. Naturellement, partant du quartier de la gare, en hauteur, là où se tiendra notre camp de base pour quelques jours, mes pas me conduisent vers la vieille ville, vers la Loire. Comme beaucoup de cités lovées sur les rives de la Loire, on déambule entre châteaux et belles demeures historiques, dans de petits centres villes cossus, où les pierres transpirent un passé s’affichant à chaque coin de rues. Et comme beaucoup de ces villes un brin monuments, la piétonisation de certains quartiers attire le passant flâneur, encore assez présent en journée, en cet fin d’octobre aux températures plutôt clémentes.
D’escaliers en ruelles, de places en terrasses, la déambulation est assez agréable. Néanmoins, je ne trouve pas vraiment les ambiances sonores, ni le dépaysement trivial, voire un brin canaille dont j’aurais envie ce jour là. Envie de sortir des sentiers battus un poil carte postale, où la vue a tendance à éclipser l’écoute, et où de plus, la voiture est très présente. Je remonte sur les hauteurs, l’oreille dubitative, et me perds, ce qui est fréquent chez moi, pensant revenir vers la gare en partant à l’opposé. Jusqu’a ce que je demande mon chemin, façon pour moi beaucoup plus conviviale de me retrouver sans l’aide d’un GPS smartphone, que du reste je n’ai pas.
Et c’est là, par cette errance improvisée, que je découvre le fil rouge de mon parcours en gestation, via un petit chemin longeant un cimetière, et surplombant les voies ferrées en sortie de gare. Mais nous en reparlerons plus tard.
En ouverture des rencontres, le PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants va donc être mis en chemin d’écoute. On présente son auteur en le qualifiant de « sound lover », ce qui ne peut que réjouir ce dernier, la formule lui convenant tout à fait, après que l’ami Michel Risse, de Décor Sonore, d’ailleurs présent à ce parcours, l’ayant qualifié un jour de « Lobe Trotter » !
Quelques mots en introduction, pour mettre en condition d’écoute, sans toutefois théoriser ni conceptualiser à outrance le parcours à venir, juste pour le mettre en situation. Nous évoquons une invitation à l’écoute de l’infra-ordinaire, posture sensible énoncée par Georges Pérec, pour faire du quotidien, de ce que ni les médias, ni même les acteurs locaux ne regardent ni n’écoutent à force d’habitude. L’immersion inconsciente dans des espaces publics a priori anodins rend en partie sourds et aveugles les usagers et passants de tous crins. Il nous faut donc, oreilles en veille, corps réceptacle, nous rebrancher sur ce déjà (trop) vu et entendu. Pour être dans le sujet des rencontre, il nous faut retrouver, voire fabriquer de inouï en partant du quotidien, de l’in-entendu qui deviendrait pour l’occasion inattendu, du trivial qui se ferait événement sensible, esthétique, tout cela dans une posture collective. Dans cette idée qui, au fil des années, s’affine et se fait incontournable; il s’agit, avant que d’installer des sons, d’installer l’écoute, comme on ferait une sorte de scénographie sonore. Installation dynamique et collective en marche, rythmée de points d’ouïe. Installation sonore à 360°, prenant la ville, ou une partie de ville comme cadre, théâtre de monstration. Installation présentant bon nombre d’aléas, et aussi d’interactions écoutants sonorités ambiances lieux arpentés. Gestes collectifs… Installation qui prône une non invasion sonique de l’espace public, s’appuyant d’abord et avant tout sur l’existant, le déjà en place, le prêt à ouïr. Installation en mode écho logique.
Cependant, sans que tout cela ne soit annoncé de façon trop péremptoire, installer l’écoute implique, pour laisser la place aux sons, d’installer le silence. Non pas silence des lieux et de leurs acteurs le partageant au quotidien, mais silence partagé du groupe. Un silence qui, paradoxalement peut mettre un collectif d’écoutants dans une bulle d’écoute intime, personnelle, mais aussi souder un groupe dans un premier geste commun qui serait de faire silence, action active comme l’indique sa tournure grammaticale, pour mieux entendre, pour mieux s’entendre. Et avec ta ville, comment tu t’entends ? La question est posée de façon polysémique.
C’est donc dans cette idée que s’ébranle un long, très long cortège, en regard des jauges habituelles. Ce qui ne va pas sans inquiéter un brin notre guide écoutant, peu habitué à emmener une cinquantaine de personnes, et se demandant si, entre la tête de fil et la queue de cortège, l’écoute silencieuse restera bien un fil conducteur efficace. A priori oui, d’après les ressentis du guide et les retours post parcours. Le public embarqué, déjà il faut le dire, dans sa grande majorité sensibilisé à des propositions d’écoute, est bien entré en immersion dans les espaces soniques proposés, jouant le jeu de l’ouïe proposé comme postulat initial à ce geste de déambulation sensible.
Cette longue colonne silencieuse, traversant la ville à pas très lents, s’arrêtant parfois sans mots dire, sans forcément de raisons apparentes, dans des espaces pourtant peu spectaculaires, pour le passant lambda en tous cas, a signé une trajectoire singulière. Singulière en tous cas à la vue d’autres passants, non avertis, croisant notre route. Une mise en scène pour le peu visible, d’une écoute collective, qui est venue interroger les personnes croisées, et sans doute modifier les ambiances, y comprises sonores. Une façon de jouer avec l’espace public par la simple présence, plus ou moins coordonnée, d’écoutants mutiques, ou tout au moins silencieux.
L’allure plus que modérée de la marche, tempo lento, est elle-même une sorte de jeu de ralentissement, en général apprécié des participants. Prendre le temps de, le temps de faire, le temps de marcher et d’écouter de concert, et pour reprendre l’expression d’un célèbre chanteur, le temps de vivre. Le temps de vivre ne serait-ce qu’un instant où se déploie une sensorialité collective que l’on cherche à exacerber, sans pour autant brusquer les choses, bien au contraire.
En avant donc pour notre PAS blésois, une heure environ de déambulation auriculaire ! Comme je l’ai mentionné en début de ce texte, la rencontre fortuite d’un cheminement un brin sauvage, sur les hauteurs de la ville a orienté le parcours autour de la gare, ce qui, en y réfléchissant bien, n’est pas vraiment surprenant. Desartsonnants, guide en chef pour ce jour, a toujours aimé les gares, et les apprécie sans doute plus que jamais de jour en jour. Espaces acoustiques réverbérés à souhait et variés, entre halls, couloirs, passages, quais, passerelles, commerces… Des ambiances et des sons multiples, sans cesse changeants. Voix, pas, sifflets, grondements, ferraillements, souffles, bips, annonces publiques… Une incroyable gamme sonore, un véritable catalogue de sons tous azimuts, aux couleurs ferroviaires, un corpus auriculaire signé. Une spatialisation à l’échelle du lieu, des réponses géographiquement situées, dignes parfois d’un concert acousmatique. Une polyphonie mécanique, humaine, architecturale, qui offre à l’oreille de belles séquences immersives. Et puis, symboliquement, l’attirance du voyage, des départs et retours, de la découverte de nouvelles terres d’écoute, de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences contextuelles… Il se trouve que le guide écoutant adore les trains ! Regarder un paysage défiler sous nos yeux, les arrières-cours cachées des villes, les chemins discrets, les paysages larges ou enserrés… Rêvasser, somnoler, lire, écrire, discuter, voyager bercé par des rythmes parfois lancinants, qui ont d’ailleurs inspirés des compositeurs à jouer des itérations ferroviaires comme des matériaux sonores dynamiques… Invitation au voyage, y compris dans ce qu’il a de plus sonore.
Mais revenons les pieds sur terre, et les oreilles à l’affût. Gare à l’écoute !
Nous partons de l’École du paysage en direction justement de la gare toute proche. Une halte impromptue nous fait pénétrer dans une vaste cour intérieure d’un foyer de résidence étudiante. Le portail grince et claque de nombreuse fois au passage du groupe qui se rassemble petit à petit, et s’immobilise dans la cour. Un espace a priori protégé acoustiquement du « bruit de la ville ». Et il l’est en partie. En partie seulement, car une de ces incontournables souffleries de ventilation vient envahir l’espace, drone tenace et bien, trop, présent, comme une signature urbaine dont on se passerait volontiers. Psychoacoustique oblige, certains l’entendent, plus ou moins, d’autres non, gommant a l’envi les perturbations acoustiques pour aller poser l’écoute hors nuisance. Effet salutaire, ou pernicieux.
Après ce premier point d’ouïe, nous ressortons, toujours au rythme du portail qui marque la fin d’un plan-séquence auditif. En fait, les PAS sont très souvent constitués en plans séquences, des fenêtres d’écoute spatio temporelles, ambiances cadrées par des mouvements, changements de lieux, sas et passages, ou événements sonores délimitant des moments auriculaires… Nous les mixons et agençons sur le terrain, en fonction de ce qui s’y passe. Sons directs, travaillés dans et par le mouvement, façon Nouvelle Vague (cinématographie).
La deuxième scène sera donc la traversée, point d’ouïe compris, de la grande place-parvis devant la gare. Espace en travaux, très minéral, aménagement fonctionnel oblige, rythmé de voix, pas, et surtout des incontournables valises à roulettes striant l’espace de leurs grognements entêtés. En quelques années, l’apparition de ces objets roulants très identifiés, a marqué le paysage sonore urbain, comme strié de mille roulements chaotiques. L’approche et la traversée des gares et aéroports amplifiant ces présences qui, parfois dans de grands flux d’arrivée, prennent une place limite assourdissante dans des espaces généralement généreusement réverbérants.
Passage intérieur. Une cinquantaine de personnes envahissant le hall de gare, immobiles, toujours muets, tout cela ne passe pas inaperçu. Les usagers passent discrètement au travers du groupe, portant ici et là des regards inquiets ou amusés, le contournent, s’arrêtent de téléphoner, de parler, cerné par une petite foule bien étrange… Toujours une mise en scène de l’écoute, qui se montre, en train d’écouter justement
Retour au parvis, l’espace se ré-ouvre à l’oreille. Les valises sont toujours là.
Un passage en hauteur, surplomb de la gare, les oreilles un brin panoramiquées. Une tour métallique, nous conduit par un escalier en spirale vers une longue passerelle, elle aussi métallique, enjambant l’ensemble des voies ferrées, pour nous conduire sur « l’autre rive ». Durant cette traversée, nous avons droit à toute une série de sonorités propres aux lieux. Passage de trains rapides, vieille locomotives ronronnantes, annonces, klaxons, sifflets, bips de portes qui se ferment… Un cinéma ferroviaire pour l’oreille, digne du meilleur design sonore ambiantal, où tout semble à sa juste place. Et par la force des choses, l’est vraiment. Il ne reste à l’écoutant qu’à capter cette ambiance à la fois caractéristique et singulière, tout en jouant avec les déplacements, les arrêt sur la passerelle lorsqu’un train passe sous nos pieds, devant derrière, droite gauche, selon notre position. A l’extrémmité de la passerelle, les vibrations de nos pas sur le parapet métallique font tinter les haubans, on peu y jouer…
De l’autre côté, nous perdons assez rapidement les ambiances de la gare de l’oreille.
On se dirige vers un assez grand cimetière, histoire de le traverser en silence, en cette veille du week-end de Toussaint, pour décaler notre écoute dans le silences circonstanciés des tombes. Histoires d’ambiances. Les cimetières sont souvent des lieux d’écoute comme des bulles oasis acoustiques assez apaisées, entourés de hauts murs coupe-son. J’ai souvenir de traversées du Père Lachaise à Paris, ou de la Loyasse à Lyon, espaces vastes, monumentaux, où chaque son prend une place singulière. Ici cela ne sera hélas pas le cas, le cimetière étant déjà fermé à l’heure de notre passage. le repéreur avait omis de noter les heures de fermeture lors de son premier passage…
Nous emprunterons dons une sente le longeant, celle que nous aurions dû prendre au retour. Ce sentier cours le long du haut mur du cimetière à notre gauche. Il est tout d’abord encaissé entre deux murs, puis s’ouvre à droite au dessus des voix ferrées, que nous retrouvons donc, avec leurs sons cette fois-ci plus diffus, plus en contrebas, plus lointains. Une rumeur ferroviaire toujours entrecoupées d’émergences; un autre point d’ouïe; une approche plus panoramique, moins immersive, mais néanmoins restant dans un même champ d’une lexicalité auriculaire ferroviaire, comme une variation d’un déjà entendu qu’au final, nous ne quitterons jamais vraiment. Un fil rouge de notre parcours où les sons vont bon train, dirait Desartsonnants.
Nous débouchons sur une sorte de prairie, espace intersticiel entre les bordures de la ville et de sa périphérie, le relief gommant les ambiances de la gare. Un lieu difficile à définir acoustiquement, ni vraiment agréable ni vraiment désagréable, ni centre ville ni banlieue… Espace indéterminé, au regard comme à l’oreille.
A défaut de la boucle initialement envisagée durant le repérage, le retour se fait donc par le même sentier emprunté à l’aller. Ce qui est intéressant, c’est que les sonorités ferroviaires en contrebas restent similaires à notre premier passage, mais transposées de l’oreille gauche à l’oreille droite. Façon inattendue de rééquilibrer une écoute où la stéréo serait temporellement et paradoxalement scindée. Peut-être le souvenir sera t-il sollicité pour recréer après coup une stéréophonie en kit, mais pas sûr du tout, si ce n’est dans l’imagination facétieuse de celui qui écrit ces lignes.
Retour à la passerelle métallique et à une certaine proximité sonore de la gare. L’heure plus tardive, correspondant à une fin de journée, fait que l’ambiance est plus animée qu’à l’aller. Façon de constater, si on en doutait encore, comment un même lieu, à différentes heures, peu sensiblement offrir une écoute singulière, de par la densité des sources sonores et ses scansions rythmiques notamment, et la modification globale de ses ambiances.
Variante, la tour métallique que nous avions rapidement gravie via un escalier à vis, nous la descendrons cette fois-ci par un long plan incliné spiralant jusqu’au parvis. C’est encore un jeu droite gauche que nous offrons à l’écoute, nos oreilles tournant lentement entre le côté intérieur des quais de gare et l’extérieur du parvis. Une stéréo mouvante, au gré des pas, avant le retour à l’école du paysage. Nous poursuivrons cette soirée d’ouverture par un hommage à Raymond Murray Schafer, récemment disparu, et à qui ce parcours d’écoute était également et naturellement dédié.
Ce PAS se terminera par un retour à l’École du paysage où se poursuivra donc la soirée inaugurale. Le programme ne permettra pas le débriefing collectif habituel, néanmoins, quelques promeneurs viendront, à chaud, me faire part de leurs ressentis. De plus, l’ensemble des participants restant durant les trois ou quatre jours des rencontres, j’aurai régulièrement des retours spontanés. Surprise, plaisir de prendre le temps, étonnement de la diversité auditive, plaisir de « faire silence », ruptures et enchainements d’ambiances, esthétique du paysage, expérience décalée, ouverture de l’écoute au quotidien, mise en scène d’espaces sonores et de postures d’écoute, cortège quasi religieux… Des réflexions qui confirment des formes multiples de signatures d’écoutes, pour reprendre un terme dePeter Szendy, où chacun et chacune entends son propre paysage.
Il y aurait sans doute tout un travail à effectuer pour tenter de jauger, d’analyser et de creuser l’aspect émotionnel dans la pratique des PAS. Comment les ressentis personnels déclenchent ou amplifient des formes d’empathies, directement liées à l’écoute d’un territoire. Ou bien au contraire une insensibilité pouvant tendre à une forme de mésentente, si ce n’est de désentente latente, ou avérée ? Nous ne garderons ici que les côtés positifs, ceux qui en tous cas ont été exprimés suite au parcours. Pour le reste il faudrait entreprendre des entretiens plus profonds avec des publics lus larges et des méthodes d’approche ad hoc, ce qui serait sans doute fort instructif.
Concernant les traces de ce parcours, elles sont ici de trois ordres. Les traces auditives mémorielles, celles que je conserve, et que d’autres participants garderont en mémoire. Sans doute pour moi les plus intéressantes, même si fragiles, fugaces, subjectives, incertaines… mais celles qui, avec la prégnance visuelle, participeront le plus à faire de ce moment une expérience sensible pouvant ouvrir de nouvelles portes auriculaires, donner envie de reproduire cette approche expérientielle, ici ou là, maintenant ou plus tard, seul ou en groupe…
Les traces photographiques, qui questionnent les rapports vue/audition. Qu’est ce qui, dans le geste du photographe de fixer, à l’instar de la prise de son, tel moment plutôt que tel autre, motive la prise de vue ? Le paysage singulier par ce qu’il donne à voir, ou par ce qu’il donne à entendre ? L’alliance, la concordance ou la discordance, la complémentarité, l‘antinomie… entre la chose vue et celle entendue ? Un mélange de tout cela ? Qu’est ce que l’image seule, décontextualisée, pourrait nous suggérer d’un possible et hypothétique paysage sonore, selon l’imaginaire et le vécu de chacun, de quelqu’un qui commenterait une photo sans avoir participé au PAS? Ou quelles images surgiraient d’une écoute, elle aussi décontextualisée ? Les rapports images/sons sont très intéressants dans une possible complémentarité qui vient renforcer l’idée d’une écoute polyphonique, où l’expérience, la mémoire, la trace, viennent se frotter pour faire paysage.Partons du postulat que lequel n’existerait pour ainsi dire pas initialement, avant notre, nos fabriques tant collectives qu’individuelles.
Dans ce parcours, nous avons également, et c’est assez rare, un enregistrement de sa totalité par un promeneur écoutant, JuL, chercheur médiaticien au laboratoire CRESSON de Grenoble. C’est assez rare parce que le guide ne peut, sans se couper de l’immersion, de ses sensations, de ses inspirations, emmener et enregistrer toute à la fois un PAS. Il lui faut « être dedans », selon l’expression consacrée, sans se laisser distraire par des gestes techniques que requiert la prise de son. Mais ici, nous avons un preneur de son, avec sa propre écoute, car toute prise de son comme d’images sera motivée, plus ou moins consciemment, par les aléas du moment, les affinités propres, les coups de cœur, ou d’oreille… Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est de disposer de plusieurs traces, comme des calques de lectures superposables, hétérotopiques. Le repérage, en tout cas pour le guide, qui vous l’aurez compris est le rédacteur de ce texte, l’expérience de terrain lors du PAS public, personnelle et collective, les photographies, et enfin une trace sonore d’un autre point d’ouïe, qui forcément, n’étend pas toujours près du guide. Ce dernier suivant ses propres inspirations, donnera à entendre un point d’ouïe autre. Et la réécoute après coup de ce long enregistrement vient corroborer certaines impressions, en élargir d’autres, sous le filtre de couleurs auditives inattendues, voire révéler des sources, ambiances ou événements, estompés par le temps, ou bien, pour différentes raisons, inentendues in situ…
Merci donc à cet écoutant preneur de son, de fournir un matériau riche, permettant de nouvelles lectures, et écritures, de ce parcours dont nous tentons ici de partager les richesses intrinsèques.
Après avoir hésité à remonter la prise se son, à la resserrer pour n’en garder qu’une « substantifique moelle », l’esprit, les moment forts, ou significatifs, c’est en fait l’intégralité du parcours qui est écoutable ci-après ! Un montage, ou plutôt une réinterprétation verront peut-être le jour, plus tard, dans d’autres contextes créatifs…
Pour profiter au mieux de cette prise de son binaurale, à hauteur d’oreilles, et en avoir une écoute optimale, en ressentir les effets immersifs, l’écoute au casque est très fortement recommandée.
Il me faut choisir un itinéraire, parcours marchécoutable, d’ici à là, en linéaire, en boucle, en zig-zag, au coup de cœur, ou d’oreilles.
Il me faut le choisir aux vues, si je puis dire, de ses sonorités, ambiances in situ, repérées, potentielles, supposées, rêvées…
Il me faut le choisir avec ses variantes possibles, permettant de m’échapper, d’improviser le cas échéant, d’adapter, de se/me surprendre…
Il me faut le choisir pour ses capacités à créer et à tisser des inter-connections ambiantales, même et surtout improbables. Faire un PAS de côté, l’oreille sur les chemins de travers.
Il me faut le choisir comme espace(s) à jouer, entre le voir, l’entendre, le marcher, le faire, l’imaginer…
Il me faut le choisir pour l’écrire a posteriori, le vivre, le faire vivre, par l’expérience kinesthésique, mentale, pour construire de la mémoire collective (ou non), favoriser des échanges, des retours, des questionnements, que le parcours puisse générer.
Les choix, la décision, l’écriture, le traçage/repérage, d’un parcours auriculaire inspirant, embarquant, sont des phases cruciales, comme peuvent l’être de studieuses répétitions en vue d’un représentation théâtrale. Elles invitent à une prédisposition pour un moment de plaisir en devenir.
Suite à une longue et harassante, mais passionnante et questionnante journée de préparation/repérage. PAS – Parcours Audio Sensible « Les choses étant ce qu’est le son » à Blois, pour les rencontres internationales « Inouïs paysages ». École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois.
Un spot chiens, écoute acousmatique, car nous ne voyons pas les bêtes, parquées derrière une haute clôture métallique, mais qui par contre se font entendre bruyamment à notre passage.
Éléments rythmiques intéressants de la promenade, timbres rauques et puissants, tensions, nuisance sonore pour un écoutant; les chiens sont en effet très présents dans le village; quel statut donner à ces sons et à quel moment, dans quelles dispositions d’écoute, dans quelle visée ?
Une fontaine, voire deux fontaines, très différentes, avec chacune leur propre signature acoustique.
Des jeux d’auscultation où l’oreille se mouille, où l’écoute se rafraîchit, où le ludique est de la partie, stéthoscopes et longue-ouïes en immersion, dans le vrai sens du terme.
Un sympathique théâtre de verdure, plus ou moins laissé à l’abandon. Des bancs de pierre en arrondi, une scène, un mur fond de scène, un espace entre sol gravillonné et entourage boisé.
Des sons festifs qui nous parviennent du haut du village.
D’autres cadres er prétextes à des jeux d’écoutes, ludiques, vocalisés, marchés, inspirés par le lieu…
Une église désacralisée, vide de tout mobilier, ce qui renforce la réverbération type romane du bâtiment.
Ici, je vais réinstaller des improvisations sonores enregistrées la semaine précédente, d’un autre parcours, d’une autre église, sur la colline de Ronzières, surplombant celle où nous nous trouvons.
Des sons en décalages spatio-temporels, en frottements, d’une église à l’autre, transportés, audio-délocalisés, d’un moment et d’un lieu à un autre, en résonance, en discordance peut-être.
Jeux autour de perceptions décalées. Installer et faire bouger les sons, s’installer entre, chercher les postures, habiter fugacement l’espace…
Passage par une autre fontaine, avant que de profiter d’un dernier soleil couchant, et d’échanger sur nos expériences réciproques.
D’autres trames/traces sonores à mettre en récit, à historier.
Du proche au lointain, je me rapproche, il s’éloigne, son d’ici ou d’ailleurs.
Près tout près, au plus près, ce sont les battements de mon coeur, le froissement des feuilles, le craquement des brindilles.
Le bourdon de la rivière, entêtant, envahissant….effet coktail!
Petits sons émergent des sous bois, assourdissants bruits de moteurs agressent mon espace sonore. Filtrer pour mieux écouter, choisir le son, l’accompagner et le laisser repartir.
Bulle sonore construit l’espace, délimite, tisse une toile.
Questions-réponses impromptues, insolites, sons s’emmêlent et organisent le vide.
Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « »Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la la DRAC Auvergne Rhône-Alpes
Au neuvième jours de ma résidence audio-paysagère auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe », la matière sonore, visuelle, textuelle, commence à s’accumuler, à prendre corps, et surtout à progressivement faire sens.
Dans une démarche qui n’a en soi rien de très originale, j’applique ma petite méthodologie de terrain, en immersion, baigné, entouré de paysages aux vertes collines, de forêts multicolores, de rivières chantantes, de lumières automnales délicates, sans oublier les sonorités plutôt apaisées.
Et de quelques tracteurs grondants et ferraillants.
Se promener, arpenter, repérer
Écouter, donner à entendre, partager les points d’ouïe, les chemins d’écoute
Capter, cueillir, enregistrer des ambiances sonores de tous crins, écrire, photographier
Classer, trier, organiser, revisiter, construire les traces
En espérant avoir saisi un peu de l’essence paysagère, du monde sensible in situ, et de les restituer à ma façon, pour ainsi de les partager à qui veut bien entendre.
L’écoute, tout comme le paysage sonore en résultant, étant pour le moins immatériels, fluctuants, fluants, les traces comme outils d’écritures plurielles tenteront de lui donner vie, incarnation sensible, consistance, a posteriori de l’action, et espérons-le dans un certain prolongement temporel.
Traces sonores
Le vécu, l’écoute in situ
Le souvenir, la rémanence
Le capté, l’enregistré
Le montage audionumérique, l’écriture, la création, la composition
La restitution, les installations, les supports de diffusion
Traces écrites
Carnets de notes, relevés, approches descriptives, phénoménologiques…
Approches tracées, mêlant, croisant, faisant interagir différentes disciplines ou « spécialités » (arts, sciences dures et sociales, aménagement du territoire, santé, pédagogie, design, politique)
Dans le meilleur des cas, on imagine un travail réunissant, sans doute encore un brin utopique, musiciens, artistes sonores, géographes, sociologues, architectes, urbanistes, designers, plasticiens, vidéastes, danseurs, écrivains, poètes (et autres écrivants), photographes, graphistes, acousticiens, paysagistes, politiques, soignants, habitants et promeneurs du quotidien, et bien d’autres champs d’actions/performances in situ.
Faisons en sorte que tous ces acteurs puissent co-écrire, via des expériences en chantier, un paysage sonore pluriel, multiple, comme il l’est du reste intrinsèquement.
Dans cette visée, installer l’écoute est une chose pour moi importante, mais à condition de le faire dans un contexte donné, en privilégiant une approche relationnelle des plus ouvertes que possible.
Le croisement, l’hybridation, la créolisation de gestes, de savoir-faire, d’expériences, d’envies, est au cœur, toutes traces aidant, de l’écriture, et qui plus est de l’aménagement d’un territoire, avec toutes ses potentialités, ses faiblesses, et ses fragilités inérentes.
C’est dans cette optique que la construction avec et par les traces, par le ré-agencement d’objets sensibles, témoins, recueillis pour construire un processus narratif et constructif, prendra tout son sens.
Cependant, notons que sur le terrain, la tâche n’est pas si simple. Les barrières restent nombreuses, les freins multiples.
Entre contraintes financières, soucis de rentabilité à tout prix, manque de temps alloués, tendance à l’entre-soi culturel, incompréhension, plus ou moins volontaire, de la démarche, isolement et méfiance du monde rural, comme du milieu urbain, les obstacles, dont certains pas des moindres, contraignent les projets souvent dans des résultats en deçà de nos attentes et espérances.
Fort heureusement, certaines structures, institutions, lieux alternatifs, osent courir le risque de faire un pas de côté.
En espérant que cela fasse trace(s), et qui plus est trace de nouveaux chemins d’écoute, et d’actions en tous genres.
Celles et ceux qui ont l’habitude de suivre mes audio pérégrinations savent qu’il y a, dans mes écoutes et leurs mises en récits, en sons, des récurrences, des itérations, des repères quasi incontournables, marqueurs acoustiques indéniables des lieux arpentés.
L’eau fait incontestablement partie de ces éléments rémanents qui contribuent, par ses innombrables manières de fluer, de rythmer l’espace, à composer un paysage sonore, qu’il soit urbain, villageois, ou naturel.
De rivières en torrents, de cascades en fontaines, nous nous rafraîchissons l’oreille, tout en signant des ambiances spécifiques.
Une palette sonore aux mille nuances, intensités, fluences, des coulées ou trame bleues, des points d’ouïe jalonnant l’espace…
A Tourzel Ronzières, qu’auscultent mes oreilles à ce jour, trois ou quatre fontaines/lavoirs, anciennes, de tailles imposantes, avec plusieurs bassins qui se déversent les uns dans les autres. Deux sont en activité.
Et en contrebas, le ruisseau du Gripet, qui chuinte joliment d’une eau courante serpentant entre une abondante végétation.
Tout cela rythme le village, irrigué de nombreuses sources descendant des collines pentues, ce qui ne va pas d’ailleurs sans poser problème au bâti local dont les murs sont assez malmenés par cette présence aquatique, ajouté à cela la rigueur du climat.
Pour l’oreille, de belles ambiances que l’écoutant que je suis ne peut manquer de vous narrer, et qui plus est de vous faire entendre, et voir, à ma façon.
Quittant momentanément les alentours de Tourzel-Ronzières, mon lieu de résidence et d’écoute habituel, j’emmène oreilles et micros sur un marché voisin, celui d’Issoire.
Issoire, belle petite ville tout près de Clermont-Ferrand, entourée de collines et monts volcaniques, avec une architecture utilisant les coloris des roches locales, notamment des sombres et beaux basaltes.
Ce matin, jour de marché.
Et quel marché ! Un des plus beaux de France a priori, et ce n’est pas ma longue déambulation qui me fera pas dire le contraire.
Un marché qui se tient sur un grand périmètre du centre ville.
Un marché riche en couleurs, en odeurs, et en sons.
Les marchés sont souvent pour moi de l’occasion de capter de belles scènes auriculaires, présentant une grande variété de sources, d’ambiances, d’acoustiques, au détour d’une ruelle ou d’une place.
Et ici, les ruelles sont nombreuses, assez resserrées, ponctuées de places de divers tailles.
La voix y tient naturellement le rôle principal, dans un marché espace de rencontres, de sociabilités, de retrouvailles, de discussions en tous genres, de timbres, parfois d’une pointe d’accent du cru.
Pour mettre mon oreille en mouvement, rien de telle que l’acoustique de superbe abbatiale Saint-Austremoine, à la polychromie extérieure ocre, noire et blanche, typique de la région et aux riches ornements intérieurs.
Des réverbérations magiques, magnifiant des murmures, des sons qui se promènent de travées en travées, à la fois discrets et amplifiés par la caisse de résonance du bâtiment minéral et d’imposantes proportions.
Sitôt sorti, ouverture sur un tout autre monde où tout bruissonne.
Tout bruissonne mais, dans un espace piétonnier dédié, où la voiture est absente, rien ne vient donc agresser l’oreille côté mécanique envahissante.
Une multiplicité de sons à une échelle parfaitement mesurée, où la vox humaine reste le mètre étalon et se développe dans une ambiance immersive très vivace, dynamique, tonique même, mais sans jamais être saturée. Pas d’hégémonie sonore, chaque son étant et restant à sa place en laissant de l’espace aux autres. Un paysage hi-fi aurait dit feu Murray Schafer.
Rires
sons d’étal
de verres choqués
de sacs frétillants
de cuissons mijotées
de harangues saluantes
de cadis tressautants
sonneries de cloches
haut-parleur diffusant ponctuellement la voix d’un animateur intervieweur mobile
fontaines
enfants courants
chiens se saluant
talons claquants
musiques ambiantes…
Puis un son remarquable. Une forge à soufflet sur un charriot; un jeune forgeron tout en muscles martelant, jouant de ses outils métalliques, actionnant la forge, sons d’inspire expire, de souffles un poil grinçants, de feux attisés… Tout une ambiance que l’on ne s’attend pas à trouver ici. Une scène impromptue, joliment surprenante.
Mes micros sont là; aux aguets, ils s’approchent pour capturer du mieux que possible cette ambiance, sous l’œil amusé et complice du forgeron.
Marcher et marchés, chacun différent, bien que quasiment universel, du son plein les oreilles, et quelques bonnes victuailles locales, fromages et charcuterie dans le sac.
A la deuxième journée de ma résidence auvergnate, et après une première escapade forestière, je commence à découvrir, un peu plus le maillage très serré des sentiers de randonnées, du passage d’un des chemins de Compostelle jusqu’à de multiples GR locaux.
Une aubaine !
D’ailleurs, il y a de nombreuses années que les éditions Chamina, de Chamalières, ont entamé un travail de cartographie et de guides de promenades et randonnées locales, tout à fait remarquable.
Le bon chemin, écoute que coûte !
Il ne me reste donc plus qu’à profiter, à explorer ces richesses à portée de pieds et d’oreilles, de sentes en chemins, de forêts en prairies, d’oppidums en vallons.
En cet automne naissant, encore gorgé d’eau, où les chants d’oiseaux se modifient, parfois se raréfient, profitons-en encore, où de nombreuses traces giboyeuses laissent deviner une vie nocturne animée, où les couleurs visuelles comme sonores se parent de nouveaux attraits, les chemins m’invitent à la flânerie contemplative. J’endosse une nouvelle fois mon costume de promeneur écoutant à la recherche d’immersions sensorielles, d’expériences d’un territoire que je connais assez peu, sinon pas, et où je vais pouvoir jouer les ravis audio-émerveillés.
Sentiez vous bien !Camina minet miné… Attention à la marche…
point d’ouïe – Flux aquatique – Cirque de Gavarnie, Hautes Pyrénées Résidence Audio Paysagère Hang Art
La traversée n°3 sera rythmée, cadencée, ponctuée, tout en mouvements et en pauses, en arrêts et en départs, en mobilité et en immobilité.
Le monde sonore n’est pas, tant s’en faut, un flux régulier, prévisible, un espace temps qui se déroule uniforme, continuum sans surprises.
Le monde sonore suit son train, qui peut être chahuté, et/ou nous suivons le sien, avec toujours la possibilité/probabilité d’accélérer, de ralentir, de suivre des cycles, ou non.
Le flux temporel écouté nous fait mesurer l’incertitude du son dans le courant du temps qui passe, de la chose sonore qui apparaît ici, disparaît là, dans les caprices d’espaces métriques capricieux.
Bien sur, il est des repères que le temps nous indique, nous assène, des découpages rythmant une journée, une semaine, un mois, de façon quasi rassurante…
La cloche de l’église, lorsqu’elle sonne encore, de quart d’heure en quart d’heure, d’heure en heure, ponctue nos espaces de vie en graduant inlassablement le temps fuyant. Une façon rassurante ou anxiogène de nous situer dans un chronos auquel nous n’échappons pas. Notre vie s’écoule en un sablier tenace qui se fait entendre ans ménagement.
Les tic-tacs métronomiques habitent des espaces d’écoute découpée, pour le meilleur et pour le pire.
Parfois l’accidentel ponctue la scène auditive, un mariage qui passe, un coup de tonnerre inattendu, une altercation au coin de la rue… Un brin de chaos que nos oreilles agrippent, y compris contre leur gré.
Les sons font parfois habitude, voire rituel, dans leur itération, même les plus triviales. Le rideau de fer de la librairie d’en face, la sonnerie d’une cour d’école, la présence d’un marché quelques jours par semaine, la sirène des premiers mercredis du mois à midi… Des marqueurs temporels que l’on pourrait croire immuables si la finitude ne les guettait. Des jalons que l’on apprend à déchiffrer au fil du temps. Carte/partition du temps qui fait et défait.
Et puis il y a la façon de progresser dans les milieux sonores, de les arpenter par exemple.
Le rythme d’une promenade, sa cadence, sa précipitation ou sa lenteur, ses inflexions, infléchiront la façon d’écouter, d’entendre, et sur la chose écoutée elle-même.
Avancer vers des sons plus ou moins rapidement, accélérer par curiosité, ralentir par prudence, s’arrêter là où quelque chose se passe, où la musique jaillit, où la cloche sonne, où le rire fuse, où mugit la sirène…
Les sonorités sans cesse en mouvement, ponctuelles pour beaucoup, dans les flux soumis à moult aléas, influent, parfois subrepticement, nos rythmes de vie, de faire, de penser, tout comme nos faits et gestes, réciproquement, peuvent écrire des rythmicités au quotidien.
Le mouvement de réciprocité, les interactions, les gestes sonores scandant des situations audibles (le marteau d’un forgeron, la frappe du percussionniste), comme les sons déclenchant des gestes ou des mouvements (le sifflet de départ, l’ordre crié) viennent se frotter dans des mouvements que l’oreille perçoit plus ou moins clairement.
La voix de Chronos, père et personnification du temps, dieu ailé porteur de sablier, nous fait entendre notre vie s’écoulant, comme celle de Kaïros parfois, le moment opportun.
Le ralentissement est-il propice à une meilleure écoute, à une entente plus profonde. Sans doute oui. Surtout dans le contexte d’une société où l’oisiveté est non seulement mal vue, mais sacrifiée à l’autel d’un productivisme forcené. Russolo décrivait déjà une cité de bruits où puissance vociférante et guerre sont au final de vieilles compagnes.
Prendre le temps de faire des arrêts sur sons, des pauses écoutes, des points d’ouïe, résister à la course du toujours plus, qui jette dans les espaces publics des torrents de voitures ne laissant guère de place au repos de l’oreille, et de fait de l’écoutant malgré lui… Ralentir, douce utopie ou rythme salutaire à rechercher avant tout ?
Retrouver, à l’aune d’un Thoreau, une oreille qui vivrait au rythme des saisons. Paysages printaniers où, dans une sorte d’idéal enchanté, tout chante et bruissonne, un été plombé de soleil et d’une torpeur écrasante secouée par l’orage, un automne où la vie ralentit au rythme des pluies, un hiver engourdi que la neige ouate dans des quasi silences…
Images d’Épinal où le son est partie prenante, répondant aux ambiances attendues, présupposées, voire participant à les forger à nos visions clichés d’un chronos saisonnier.
Nous progressons dans un monde sonore qui ne répond pas toujours à nos représentations, à nos attentes, trop lent ou trop emballé, trop frénétique ou trop engourdi.
Chaque individu, lorsqu’on le regarde agir, a sa propre dynamique temporelle, selon les contextes, les moments, les événements… Et d’innombrables temporalités se font entendre dans des espaces auriculaires, espaces publics notamment, qui ne sont pas toujours aisément partageables.
Chacun semble avoir sa propre partition, ses propres tempi, ses propres variations rythmiques qui font qu’il n’est pas toujours facile d’accorder nos violons, de se régler sur la même heure, et de jouer de concert une œuvre collective, comme un orchestre parfaitement synchrone. Risque de vacarme résiduel, car non orchestré ?
Ces discordances de tempi se font entendre à qui sait écouter les flux de la vie qui passe, comme deux cloches qui ne sonneraient pas, par un désynchronisme chronique, dans une même temporalité.
Mais néanmoins, nous nous forçons d’adapter la longueur comme la vitesse de nos pas, de caler des moments de rencontres où nos paroles prennent le temps de s’échanger, ou nos métronomes font entendre des pulsations accordées, qui permettent à une vie sociale d’exister, de perdurer, malgré toutes les incontournables arythmies possibles.
A condition comme le chantait Georges Moustaki, de prendre le temps à minima le temps de vivre, et d’écouter la vie qui passe.
Point d’ouïe – Écoute installée pour paysage et duo d’écoutants – Prendre le temps de pause.
@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest
Ce n’est pas la première fois que j’écris sur les paysages sonores nocturnes, et encore moins que je les expérimente, toujours avec un plaisir certain. Peut-être le sentiment de gentiment m’encanailler l’oreille dans des contrées auriculaires débutant entre chiens et loups et se poursuivant parfois jusque tard, après la nuit tombée.
La nuit, tous les sons ne sont pas gris, tant s’en faut !
Ils sont, plus que jamais, mis en valeur, et ce dans toute leur diversité. Et Dieu sait si diversité il y a. La palette des sons semble infinie, et sans doute l’est-elle, plus encore au cœur de la nuit comme un écrin intime.
Car la nuit exacerbe les sens, leurs donne un appétit vorace, ouïe comprise.
Et surtout l’ouïe… En ce qui me concerne, en tous cas ici.
La nuit, les sons prennent une place qui n’est pas, ou peu, ou moins disputée, voire évincée par l’hégémonie d’autres sonorités diurnes, dont et surtout celles motorisées.
C’est une histoire d’ambiances. Là où sons et couleurs sont colorés d’obscurité. Pas de noirceur non, mais bien d’obscurité. L’obscurité qui gomme certaines choses, certains détails, en efface d’autres, tout au moins visuellement.
Mais le son lui n’en a cure. Il s’en joue même, en profitant pour se faire émergence, pour affirmer sa présence, même et surtout dans un presque silence.
Si je ne te vois pas, chose sonore, je ne t’en entendrai que mieux, quitte à ne pas reconnaître ce que je perçois de l’oreille, le confondre, en ressentir comme un inquiétant malaise dû au non identifié, dû au non rassurant, voire au franchement inquiétant.
Mais laissons là ce qui peut nous paraître négatif pour aller chercher les aménités noctambules, comme on le ferait dans les nombreuses hymnes à la nuit, apanage des poètes de tout temps.
Je pourrais citer, voire conter maintes expériences, plus ou moins préméditées ou impromptues, qui ont profité de l’immersion nocturne pour nous plonger plus profondément au cœur de l’écoute, ou tout au moins au cœur d’une forme d’écoute singulière, qu’elle soit solitaire ou collective.
Un banc public, une petite place, Orléans, un soir d’hiver, by night. Une jeune femme marche, elle longe lentement le pourtour de la place en chantant, mezzo voce, d’une fort belle voix, Summertime. Instant magique s’il en fût.
Un autre banc, perdu au dessus d’une vaste combe des montagnes du Bugey. Nous sommes trois, assis, contemplant plus d’une heure durant, en silence, l’obscurité s’installer. Quelques rapaces nocturnes trouent l’espace de leurs brèves stridences éraillées, des clochettes de chèvres au loin. Autre instant magique.
Mon quartier lors d’une panne d’éclairage public. Étrange ambiance où tout semble aller en catimini, entre fascination et inquiétude. Les voitures-même semblent murmurer…
Une balade nocturne sur les Monts du lyonnais, dans la chaleur tombante de l’été. Une vingtaine d’écoutants se coucheront longuement dans l’herbe, d’un commun accord, sans préméditation, enveloppés de chants de grillons, de vaches et chiens au loin… La nuit porte tout cela délicatement à leurs oreilles ravies.
Traversée nocturne et pluvieuse des abords d’une gare urbaine. Le paysage ruisselle de couleurs réverbérées sur l’asphalte des trottoirs et des chaussées, de couleurs moirées, en tâches irisant les sols, mais aussi de sons clapotis clapotant. Sans compter les soupirs ponctuels des trains impatients de quitter les quais, les ventilations obscures, entêtantes ferrailleuses et cliquetantes…
Une traversée de forêt nocturne. Nos pas font craquer des brindilles et branches sèches comme des petits feux d’artifices crépitants, nos souffles halètent, chacun à son rythme, quelques rapaces effarouchés s’envolent bruyamment ; désolé du dérangement ! une cloche tinte au loin, un rien fantomatique. Et la nuit poursuit son chemin comme nous le notre en son sein…
Et tant d’autres expériences où l’oreille s’accroche, s’étire, s’ébroue, enroule son écoute dans une obscurité complice.
La nuit festive… Où des rires et chansons d’étudiants s’échappent des fenêtres ouvertes, où des scansions rythmiques laissent imaginer des corps dansant.
Des plaisirs parfois contraints, empêchés, interdits même, bridés, par un méchant virus, des voisins chatouilleux, des législations intransigeantes.
La nuit urbaine contrainte, d’où disparaissent peu à peu les espaces de liesse, pour ne laisser que quasi pesant silence au final ; le droit au sommeil à tout prix, y compris celui d’assécher les ville de ses moindre soupçons de plaisir un brin canaille.
La ville policée, peau lissée, nettoyée de ses scories sonores risquant de devenir tapageuses si l’on y prend garde.
Heureusement ici et là, de petits foyers de résistance persistent à festoyer à grands renfort de musiques et de rires, éclaboussant la nuit d’une énergie sonique autant que vivifiante.
N’allez pas croire ici que je prêche une quelconque désobéissance civile, la révolte des noctambules. J’apprécie néanmoins ces trouées audio libertaires venant parfois bousculer la nuit trop bienséante. En règle générale, tout rentrera, un peu plus tard, dans l’ordre d’un calme socialement convenu et partagé.
A trop vouloir brider, on s’expose à des résistances parfois plus inciviles, de rodéos sauvages en tirs d’artifices guerriers qui nous hurlent « Mais j’existe quand même ! ».
Entre nuit apaisée et espaces d’équilibres fragiles, quiétude et soubresauts, la nuit se pare de milles ambiances, parfois ambigües, mais riches d’expériences sensorielles, qu’il faut savoir traquer par des arpentages laissant au vestiaire, autant que faire se peut, des a priori enfermants.
Parce que mes nuits d’écoute sont aussi belles que vos journées…
@Photo Séverine Étienne PAS -Parcours Audio Sensible nocturne à Crest
Durant ma semaine marseillaise, les promenades se sont succédées. En duo, en groupe, et parfois, en fin de journée, en solo.
L’une d’elle m’a fait audio-dériver, au sens d’audio-errer sans but, oreilles aux aguets malgré tout, dans le quartier de la place Castelanne.
Fuyant l’agitation de la rue de Rome, je m’enfonce dans une petite rue perpendiculaire, rue Saint Suffren de mémoire.
Rue/ruelle étroite, sinueuse, bordée de petits commerces.
Niveau sonore, on quitte très vite l’ambiance sonique tonique de la rue de Rome pour trouver des espaces beaucoup plus apaisés, où la voix retrouve sa place, et l’oreille un brin de répit-repos.
Prendre le temps d’aller.
Je ne sais pas trop où mais ça m’est égal.
Déboucher sur une place, entourée de commerces, bars restaurants, pour la plupart fermés, covid oblige.
Néanmoins, certains commerces conservent terrasse sur rue.
Quelques chaises, quelques tables, quelques clients.
Suffisamment pour garder un brin de vie sociale.
Ambiance agréable, salutaire, dans ces espaces/temps de (re)confinements à répétition.
Sinon, des parasols pliés, comme des arbres qui resteraient frileusement fermés sur eux-même, attendant des jours meilleurs.
Des empilements de chaises enchainées les unes aux autres.
Une fontaine est endormie.
On imagine facilement qu’en temps normal, hors crise sanitaire, cette place vit, tout autrement.
Qu’elle vit véritablement.
Des bancs sur la place.
Je m’y pose.
Des groupes occupent l’espace, différents espaces à vrai dire.
Adolescentes rieuses ici.
Adolescents footballeurs là.
Isolés lisant ou rêvassant ailleurs…
Chacun dans des espaces qui semblent dédiés, habitués.
Chacun dans des sortes de bulles sonores, ou silencieuses, qui néanmoins se mêlent dans une géographie acoustique assez plaisante.
Un morcellement d’occupations tacites qui s’entend autant qu’il se voit.
Le soleil déclinant, la fraîcheur s’installant, je reprends mon chemin, cessant une écoute scrutatrice pour retrouver la posture du marcheur lambda.
Un apéro dans un jardin, oasis de calme en centre ville.
Des discussions autour des pratiques de chacun, et bien d’autres choses encore.
Un questionnaire rédigé par Caroline Boë, notre hôte, questionnaire inspiré de celui de Stéphane Marin et aussi de Raymond Murray Schafer.
Un coin studio d’enregistrement autonome, au fond du jardin, où chacun viendra répondre aux question, raconter des bouts de balades, ressentis, plaisirs et agacements, souvenirs…
Des mots et des sons…
Des commentaires, textes produits en balade, ou après.
Distributeurs ronronnants, panneaux publicitaires, réverbération underground, voix, machines, voitures, ventilations, moteurs, métro, bruits de roulement, motos, claquements, ambiances, encore des voix, fontaines, oiseaux, vent, bips, portes, chat, musiques, réverbérations… Et plus encore aurait dit Prévert.
Un montage sonore à partir des enregistrements de Caroline et quelques uns de Gilles, montage Desartsonnants.
Cette résidence artistique est née d’une impulsion, d’un appel sur des réseaux sociaux, suite à une série de confinements et autres empêchements dus à des contraintes sanitaires rendant les déplacements, espaces de travail restreints, et productions artistiques publiques quasiment réduites à néant.
Devant cette situation pour le moins compliquée et contraignante, une résidence de forme assez libre voit le jour, par l’invitation spontanée et généreuse de Caroline Boé, artiste sonore et chercheuse autour de la pollution sonore « invisible », due à des micros sonorités envahissant insidieusement nos espaces de vie.
Balades écoute en duo, solitaire, groupe, enregistrements, échanges et conversations autour de nos pratiques, rencontres, écritures multiples, arpentages s’en suivront joyeusement, comme une sorte de workshop un brin free style, ballon d’oxygène jouissif dans ces situations sanitaires tendues.
Premier volet d’une série de rencontres à venir, d’expériences à construire, de récits à croiser ; les oreilles ont besoin d’air, le corps d’espaces et de rencontres…
Remerciements
À Calorine et Jean-Eudes qui m’ont si gentiment accueilli et offert un lieu de travail formidable ; à leurs salades et petits plats riches en couleurs et goûts
À Éléna Biserna, Nicolas Mémain, et Caroline Boé, qui ont œuvré avec moi à l’écriture et à l’exécution polyphonique de 2M2B, une balade sensible pleine de rebondissement sonores
Aux participants, au public qui ont joué le jeu de répondre à nos sollicitations parfois bien surprenantes
A Sophie Barbeau pour la présentation visite de son beau projet de jardin partagé à la cité Castellane
Au bureau des guides pour le sympathique entretien que nous avons eu, ainsi qu’à George Withe
A tous les marseillais, marseillaises croisés ici ou là ; commerçants ou flâneurs.
Au superbe temps ensoleillé, propice à de belles déambulations
À Marseille la pétulante, qui sait offrir le meilleur d’elle-même à qui prend le temps de l’arpenter.
Premier arpentage, ces sons qui nous envahissent
Ma compère Caroline, artiste sonore et chercheuse, travaille actuellement sur une thèse autour de sons envahissants, problématique autour de laquelle elle a construit une méthodologie et des outils de création recherche.
Pour cette dernière, la promenade urbaine, l’enregistrement et la compilation description, sur un site dédié, forment une série d’outils qui vont alimenter le travail de réflexion, et questionner les auditeurs urbains que nous sommes parfois, la présence dans l’espace public ces étranges objets sonores qui peuplent, parfois insidieusement, nos espaces de vie.
Caroline m’entraine donc, dans nos premières balades, écouter ces sons parfois étrangement fascinants lorsqu’on prend le temps de les écouter. Je redécouvre Marseille par le petit bout de l’oreillette, oreille collée, sensible à des drones insistants bien que quasi ignorés, ou inconsciemment filtrés de nos conscience auditive ; effets de gommages psychoacoustiques… Protection inconsciente, sonorités résiduelles peu prises en compte dans l’aménagement urbain… Mais aussi, sans doute paradoxalement, de beaux objets sonores esthétiques pour l’artiste sonore.
Grondements, claquements, voix, bips, ronflements, ronronnements… La vie acoustique marseillaise souterraine. Un univers acoustique somme toute très immersif !
Je suis sorti Je suis sorti ce soir Je suis sorti comme tous les soirs Je suis sorti marcher Je suis sorti écouter Je suis sorti dans mon heure autorisée Autorisée à marcher Autorisé à écouter Autorisé à être dehors, dérogation en poche Autorisée à écouter la ville Autorisée à écouter mon quartier, dans son kilomètre circonscrit J’ai choisi, comme souvent, de le faire à mon heure préférée Celle entre chiens et loups Partir à nuit tombante Rentrer à nuit tombée Et dans cette toute petite fenêtre Fenêtre d’une soixantaine de minutes Il s’est passé bien des choses Nous sommes en confinement On devrait le sentir On devrait le ressentir On devrait l’entendre On devrait le percevoir Aux travers des sons étouffés Aux travers leur disparition Aux travers leur absence Et pourtant À l’écoute, je ne l’entends guère À l’écoute, je ne l’entends pas À l’écoute, je ne l’entends même pas du tout À l’écoute, rien ou presque n’a changé À l’écoute, rien à voir, rien à entendre Avec le précédent état d’enfermement D’enfermement logiquement similaire Celui de ce printemps passé Avec sa sidération plombante Avec ses silences associés Ce soir-ci Ce soir-ci, les voitures, sont presqu’aussi prégnantes que de normal Ce soir-ci,comme si de rien n’était, la rue bourdonne Ce soir-ci, des flux piétonniers, aussi normaux Ce soir-ci, des enfants qui jouent sur les places et les trottoirs, aussi normaux… Ce soir-ci, c’est presque rassurant, en apparence. Ce soir-ci, du presque normal, dans l’air du temps. Ce soir-ci, des sons triviaux, sans, comme précédemment, les oiseaux en héros. Ce soir-ci, pas ou peu de décroissance sonique Ce soir-ci, un entre-deux auriculaire Ce soir-ci, une tiède ambiance entre les deux oreilles. Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent bien nous dire Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous prédire Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous révéler Et pour demain, qu’est-ce que les sons peuvent nous faire comprendre ou non
A l’invitation de l’artiste Christine Goyardprésentant une exposition photos autour de l’eau «De passage» à l’espace d’art contemporain «La théorie des espaces courbes », à Voiron (38), j’ai créé une ambiance sonore composée à partir d’un collectage de sons de différents pays (France, Portugal, Suisse, Russie, Belgique, Madagascar…).
An fil des ans et des ondes, l’eau fait partie des éléments sonores récurrents dans mes parcours, de ceux que je croise régulièrement, et sans doute de ceux que je recherche avec une certain appétit pour ses ambiances liquides, où que je sois.
De plus, nous avons pensé à parcourir la ville, le temps d’une promenade, à l’écoute de l’eau, de fontaines en rivières. Et il se trouve que Voiron, pour le plaisir et le rafraichissement de nos oreilles, est une ville sympathiquement bouillonnante, multipliant au fil des places et des rues, fontaines et points d’écoute sur la Morge, rivière urbaine qui parcours le centre ville.
C’est un des rares PAS – Parcours Audio Sensibles qu’il m’ait été donné de faire depuis mars, crise sanitaire oblige, et en plus, il faisait très beau !
Nous avons surplombé la rivière, visible ou non, mais toujours audible. Nous l’avons longée. Nous l’avons quittée et retrouvée dans divers spots urbains. Nous avons zigzagué de fontaines en fontaines. Nous avons tourné autour. Dans un sens et dans l’autre. Nous avons mixé les sons d’eau à ceux de la ville, des voix, des voitures. Nous en avons ouïe des monumentales, des discrètes, des sereines, des majestueuses, des chuintantes, des tintinnabulantes, des glougloutantes. Nous sommes passés de l’une à l’autre, avec les trames sonores urbaines en toile de fond, ou en émergence, selon la progression.
Une ville irriguée de nombreux points d’eau, donc aussi points d’ouïe, qui tissent une trame bleue et bouillonnante, est une ville tonifiée, dynamisée par la présence aquatique. Les montagnes alentours rendent cette impression de tonicité encore plus vivace, pour le plus grand plaisir des promeneurs écoutants de ce jour.
L’idée initiale est de travaille autour du paysage sonore, ou plutôt des paysages sonores de cet immense territoire.
L’intention
Après une « traversée » printanière singulière, qui a profondément questionné nos rapports à l’espace, au temps, à l’écoute, nous pouvons envisager de parcourir le territoire du Vinatier, ses seuils, ses limites, ses environs extérieurs comme un terrain d’exploration, à redécouvrir par les oreilles.
Questionnons par l’écoute ce vaste espace enclos, ville dans la ville, morcelé en une quantité de sous-espaces de différentes tailles, plus ou moins refermés.
Comment cette organisation géographique, architecturale, fonctionnelle, mais aussi sociale, sociétale, tisse et impacte des lieux de vie, de travail, de loisir, de soin… ?
Posons tout d’abord quelques questions pour tenter de mieux cerner et problématiser notre projet.
Comment percevoir par l’oreille, par l’arpentage des lieux, la marche d’écoute, les relations dedans/dehors, les incidences de l’aménagement de ces espaces gigognes, de la vie qui s’y déroule ?
Quelles sont les signatures sonores, les singularités, trivialités, récurrences, choses communes, qui font sens, voire permettent de construire un paysage sonore, par une série de marqueurs acoustiques ? Repérer des acoustiques, des sources de différents types, des activités, des ambiances…
Quelles sont les interactions, inter-relations entres les usagers, patients, professionnels, visiteurs… et comment se révèlent-elles à l’écoute ?
Quelles sont les barrières et porosités entre les espaces, les dedans/dehors, le Vinatier et la ville, le quartier, les espaces ouverts/fermés, et comment les sons, marqueurs du vivant, circulent-ils, ou non, d’intérieurs en extérieurs ? Notions de passages, de transitions, de superpositions, de fondus, de coupures… que l’on retrouve dans la vie quotidienne comme, par une pensée métaphorique, dans l‘écriture sonore et la composition musicale.
Quelles formes de contraintes, de limites, de restrictions de liberté, plus ou moins associées à des lieux d’enfermement, peuvent se ressentir, se percevoir, voire s’entendre ?
Les rendus projetés
Deux formes de restitutions sont envisagées pour rendre compte du travail mené in situ.
Une d‘entre elle consiste à glaner, ici où là, à l’intérieur du centre hospitalier, des sources/échantillons sonores qui pourraient à terme, caractériser le lieu, ses espaces et fonctions spécifiques (soins, loisirs, culture, nature, enseignement…).
Ces sons captés seront ensuite retravaillés, mixés, agencés, via un logiciel de traitement audionumérique, pour composer différents paysages sonores. Le Vinatier vu, perçu, parfois imaginé, à travers les oreilles d’étudiants et de publics qui travaillent concert. Les espaces, interstices, limites, seuils, dedans-dehors, reconstruits en différents « tableaux » auriculaires qui seront présentés publiquement en fin de parcours lors d’un concert électroacoustique.
L’autre forme est d’écrire littéralement, de tracer un parcours d’écoute physique, matériel, qui embarquera un public en l’invitant à écouter in situ les ambiances du site, à les plonger dans une posture d’écoutants, à l’affut des ambiances et scènes sonores du parc, avant que de les amener dans un autre espaces d’écoute, recomposé celui-ci comme un concert de musique des lieux. Donc vers la première forme que j’ai présentée ci-avant.
Les premiers PAS, déambulation(s) à oreilles nues
Une première séance a consisté, comme à mon habitude, à nous promener dans l’enceinte de l’établissement, parcourant sous-bois, lisières, chemins et routes, entrant dans la chapelle, cherchant les limites, les passages, les transitions, à grand renfort d‘écoutes.
Participants, 7 étudiants, deux participants publics de la Ferme, l’animateur de l’atelier, une chargée de projets artistiques de la Ferme.
Nous avons testé moult postures de groupe ou individuelles, yeux fermés, immobiles, en mouvement, discuté des ressentis, des effets acoustiques, d’un vocabulaire commun concernant l’écoute et le paysage, des notions d’esthétique et d’écologie, de sociabilité, de marqueurs sonores… Bref un cheminement autour d‘expériences physiques associées à un vocabulaire, en même temps qu’une première reconnaissance des lieux et de leurs ambiances acoustiques.
L’immersion nécessaire pour saisir les spécificités d’un lieu passe par un arpentage, touts oreilles ouvertes, sinon agrandies.
Ainsi c’est dessiné une première ébauche sonore, faite de multiples sources, ambiances, scènes, objets, textures et matières, qui, mis bout à bout, construisent un paysage sonore naissant.
Pas dans les graviers,
dans l’herbe,
vent dans les feuillages,
frontière entre parc et rue circulante à l’extérieur,
portail grinçant
trams aux sonorités sifflantes en extérieur,
voix croisées,
voix du groupe,
véhicules de service,
réverbération de la chapelle et jeux vocaux,
portail de l’entrée principale,
cône de chantier porte-voix
tondeuse,
oiseaux,
chèvres, muettes
froissements de vêtements,
consignes sanitaires Covid,
arbre grotte boite à vent (immense hêtre pleureur)…
Inventaire à la Prévert non exhaustif.
Ambiances et saillances, rumeurs et détails, le Vinatier se dévoile peu à peu à nos oreilles étonnées.
Devant son étendue, l’immensité du site, 122 hectares, nous choisirons une zone, suffisamment grande et riche en diversités de tous genres (bâtiments, végétations, abords et lisières, activités…) mais géographiquement circonscrite pour ne pas trop se perdre et risquer de noyer les actions dans un espace trop conséquent à maîtriser durant le temps dont nous disposons.
Les PAS suivants, à la cueillette des sons
La deuxième séance est à nouveau une déambulation, mais cette fois-ci l’enregistreur et ses micros viendront relayer nos oreilles, même si, bien sûr, ces dernières resteront les « captureuses » primordiales des ambiances et que ce sont elles qui guideront de prime abord les captations. Me concernant, il est évident que la technologie, si pointue et efficace soit-elle, reste au service du collectage sonore dans le cas présent, et surtout de la sensibilité, du discours, de celui qui cogite et agit sur le terrain.
Petite explication sur les modalités de la prise de sons, des trucs et astuces, le fonctionnement des enregistreurs numériques, les choix de sonorités…
Et nous voila donc repartis sur le terrain, cette fois-ci en petits groupes de deux étudiants et de publics de la Ferme.
Ayant encore dans la tête les ambiances de la semaine précédente, nous tendons les micros en même que les oreilles sur les ambiances, les acoustiques, les événements imprévus, faisons sonner et résonner la chapelle, captons des paroles… Bref, construisons un premier aperçu du territoire par les oreilles, une ébauche de parcours, jalonné de spécificités acoustiques locales, de signature sonores, et d’ambiances génériques.
L’idée étant de comprendre comment un paysage sonore se construit, se représente, se partage…
De retour en salle, nous effectuons quelques écoutes critiques de nos collectages.
Qu’est-ce qui marche bien, moins bien, ou dysfonctionne… ?
Qu’est-ce qui est utilisable, les choix et le dérushage, perfectible ?
Quelles premières pistes, axes de travail, peuvent donner ces prises de sons, idées de scénari… ?
On a déjà une sympathique cueillette sonore comme matière à retravailler, à composer…
La semaine suivante aurait du être consacrée à des écoutes critiques sur la thématique du paysage sonore. Paysages sonores plus ou moins « naturels », figuratifs, mais aussi sages ou folles extrapolations d’artistes sonores, compositeurs, jusqu’aux approches « expérimentales » vers des « abstractions paysagères.
Las, Dame Covid vient casser la dynamique en nous ré-enfermant at home, et en re-distanciant l’enseignement supérieur.
Dans l’un de mes chantiers actuels, les partitions de PAS – Parcours Audio Sensibles, ces dernières ne sont pas une fin en soit, même si l’idée de construire un sorte de collection a , de prime abord, un côté assez jouissif.
Ces partitions vont plutôt dans le sens d’une joyeuse stimulation, conduisant à des déclinaisons où les postures d’écoute(s) sont des moteurs très actifs. Ces déclinaisons, ou variations pour rester dans une métaphore d’écriture musicale, décentrent, ou recentrent, selon les points d’ouïe adoptés, l’objet-même de l’écoute, voire l’objet-même qu’est l’écoute.
L’écoute, envisagée comme pratique expérimentale, peut être ainsi décalée, parfois via la recherche de postures inouïes, même très simples, mais également affirmée comme un geste infléchissant sensiblement la perception d’ambiances auriculaires spatio-temporelles.
Il s’agit ici de remettre en question les gestes d’écoute, frottés aux lieux, mais aussi à leurs occupants et activistes divers.
On peut alors se positionner comme un acteur qui n’est jamais sûr de se trouver au bon endroit, au bon moment, ou dans le bon geste, mais qui questionne sans relâche sa position, la ou les postures de l’écoutant, de l’objet écouté, dans des espaces eux aussi en écoute.
Les interactions, inter-relations, synergies, hybridations, alimentent un jeu, ou plutôt des modes de jeux, qui seront partitionnés en vue d’être joués, re-joués, interprétés, offerts et soumis aux aléas de la variation, elle-même soumise aux contingences du moment.
Il est donc essentiellement question de jouer, de mettre en mouvement des situations ludiques, de construire des jeux comme autant de mises en situation in situ. Le verbe anglais « to perform », prend ici tout son – ses sens, celui d’exécuter (musicalement), d’interpréter, mais aussi de réaliser, de produire, même immatériellement, et qui plus est, si on le croise avec l’idée polysémique de performance dans notre langue, de frotter notre propre corps à l’expérience, parfois éphémère, fugace, de l’espace sonore, du groupe. La partition/consignes, d’ailleurs plus suggestion que véritable consigne injonctive, nous donne des pistes à explorer de l’oreille et du corps. Jeux de déambulations, de postures physiques et mentales, de rapports à l’espace, au groupe, à la vibration des lieux, qui puisent dans des « scores »* pouvant s’écrire, se composer, se jouer en même temps parfois que le geste improvisé, celui en réponse à des stimuli souvent inattendus, sinon inouïs.
Un multitudes de situations, de sensations sont envisageables, possibles, de la plus écrite jusqu’à la plus spontanée, entre trame/canevas et improvisation, partition et expression libre.
Lieu : Partout où il existe déjà un, des parcours sonores géolocalisés (applis)
Temporalité : A votre choix , selon les circuits choisis
Participant (s): Seul ou en groupe
Spécificité : Un détournement d’usage d’un appli audio-guidée, un jeu sous forme de variation
Actions Téléchargez une application, un parcours d’écoute au casque, un circuit géolocalisé, type GPS.
Faite le parcours en suivant les consignes données, en écoutant les sons écrits pour le circuit.
Refaite le parcours différemment.
Cette fois-ci, ne chaussez pas le casque, gardez les oreilles au vent.
Suivez visuellement le déplacement du parcours proposé, s’arrêter si l’appli le propose.
Substituez, naturellement, les sons du parcours par ceux des espaces traversés, voyez si cela résonne (autrement), crée des décalages, des frottements, des espaces imprévus, entendus plus ou moins différemment du parcours initialement proposé.
Remarques Il ne s’agit absolument pas de dénigrer, de contester, de déformer les parcours existants, mais simplement d’en re-jouer une version ludique, frottant deux écoutes, ou formes d’écoutes d’un même lieu.
L’essentiel de mon travail, en tous cas dans les phases de maturation de projets, se passe dehors. Je veux dire en dehors de chez moi. Assis sur un banc, des marches d’escalier, en arpentant la ville, un hall de gare, d’aéroport (avant…). Carnet de notes en main, rempli de notes (parfois très difficiles à relire), signes, croquis, idées, projets à la volée, ou avec un magnéto… Puis retour au bercail, devant l’ordi, les idées se posent, s’enregistrent, se trient, se construisent, se peaufinent, se développent, se documentent, s’argumentent, s’organisent… Puis retour au dehors, à l’air libre, ou presque, pour tester, mettre en pratique, adapter aux lieux et aux moments, partager, encore améliorer, trouver des variantes, des espaces de jeux fonctionnels… Ces dernières phases qui, durant quelques mois, m’ont fait cruellement défaut, m’ont beaucoup manqué, m’ont laissé amèrement frustré, dans ces temps de crise qui nous éloignent sans ménagement du terrain, de l’espace public, et surtout de la « vraie » vie sociale…
Spécificité : Une marchécoute dans la pensée d’auteurs
Actions Préparez un parcours, ou partez à l’aventure Déambulez en silence, pour laisser s’installer l’écoute Dans votre sac, des textes, des livres, des citations, parlant de la marche, de l’écoute, de l’écologie… Textes de philosophes, écrivains, aménageurs… Adaptez le choix des textes aux participants, surtout s’il y a de jeunes enfants Au cours de haltes, un instant d’écoute immobile puis, des lectures, contextualisées ou non Faits des lectures sur différents points d’ouïe Ménagez un temps de libre expression au terme du parcours
Remarques Il s’agit de frotter la parole, l’idée, la pensée, au lieu, à la déambulation, au groupe. Chaque trajet d’un point à un autre est marqué d’une pensée qui va animer, stimuler la marche de réflexions multiples, donner aux espaces-temps traversés une coloration mentale singulière.
Quelques auteurs pressentis (non exhaustif) Jean-Jacques Rousseau, Henry-David Thoreau, Francesco Careri, Walter Benjamin, Leslie Stephen, Philippe Robert, Pierre Sansot, Guy Debord, Thierry Paquot…
Variante Demandez aux participants d’amener des textes, voire proposez leurs de les lire publiquement
Samedi 18 juillet, jour de la World Listening Day, premier parcours d’écoute de puis le mois de février. Public réduit, trois personnes, mais très belles écoutes. Un immense parc urbain que connaissent bien tous les lyonnais, et touristes, le Parc de la Tête d’or, 117 ha offrant des zones vertes, un lac, un zoo, une très belle roseraie. Un lieu idéal pour déconfiner l’oreille au grand air tout en gardant de sages distances. Et pour trouver une vie acoustique entre joyeuse animation et espaces très apaisés.
Séquences Partir d’une entrée principale très animée et, rapidement, entendre un grand decrescendo en traversant une pelouse. Les sons de la circulation et voix s’estompent, la marche comme un potentiomètre en fade out… Longer le lac. Voix d’enfants, canards, pédalo, vélos… Traverser une petite forêt. Retour au calme, crissement des pas sur des branchages et feuilles sèches. Une petite ile avec un kiosque et un piano au bord du lac. Quelqu’un y joue maladroitement un air du parrain. Instant magique, hommage à Morricone. L’entrée d’un passage souterrain permettant d’accéder à une autre ile est fermé. Dommage, c’est un couloir très réverbérant. Nous nous contenterons de le faire sonner en criant depuis la grille. Traversée de la roseraie, plutôt calme. Les fontaines et ruisseaux sont à sec, des sources de fraicheur manquent à l’oreille. Un train passe au loin, marquant les du parc en le longeant. Une allée en sous-bois, de joggers rythment les lieux, martelant le sol sablé. Un bus passe à notre droite, en haut d’un talus. Dans une clairière, une vingtaine personnes dansent sur un air oriental, guidées par une professeur à l’énergie communicative. Belle séquence surprenante. Retour à la pelouse et à la grand porte, le petite train touristique dit le Lézard, faisant visiter le parc, arrive avec ses sifflets caractéristique. Un flot de voyageurs en, descend, un autre y monte. Le pilote donne ses dernières consignes au micro. Une ambiance qui me rappelle des souvenirs d’enfance… Nous rompons le silence et trouvons un banc pour deviser autour de nos ressentis, de l’écoute, des sons ambiants, de la crise sanitaire, des rapports sons et images, de l’écologie, de la marche, de nos activités respectives… Comme à l’habitude, une heure de silence collectif favorise et stimule les échanges qui s’en suivent. Ils en seront d’autant plus riches et sympathiques et participent intrinsèquement, au fil du temps et des déambulations, à la construction d’un rituel marchécouté.
Et après quatre mois sans PAS publics, cela fait vraiment un bien fou de retrouver ces moments de sociabilités auriculaires !
La marche, associée à l’écoute, le Soundwalking, le PAS – Parcours Audio Sensible made in Desartsonnants, sont à la fois des gestes, des actions, des plongées immersives, des modes d’écritures in situ, des outils de recherches et de conceptions de parcours… Et plus si affinités.
Marcher, c’est vivre une expérience, personnelle, collective, et en règle générale les deux. Le fait d’arpenter les paysages, si ce n’est de les fabriquer en les marchant, tout en les écoutant, s’appuie intrinsèquement sur l’expérience du vécu.
L’expérience du vécu est un axe structurant, moteur, par des formes d’approches qui nous confrontent à notre propre corps, corporalité, face à et dans des espaces, intérieurs extérieurs, dans différentes acceptations du terme, où les sons, lumières, chaleurs, odeurs, nous enveloppent littéralement. Le vécu, l’expérience d’espaces divers imbibent notre corps-éponge de mille effets, sensations, comme autant de caresses kinesthésiques, qui peuvent parfois avoir la rugosité d’un gant de crin. L’expérience, c’est un geste par définition inédit, souvent volontaire, faire l’expérience de. C’est en cela quelque chose de non encore réalisé personnellement, d’in-abordé, ou de toute autre façon. L’expérience n’a pas besoin d’être démesurée, grandiose, bouleversante, un simple chant d’oiseau près d’un ruisseau peut nous transporter dans des espaces encore jamais entendus, ou jamais de cette façon, moment où le sensible règne en maitre. Vivre une expérience, la convoquer, la provoquer, est par définition un fait vécu qui nous confronte avec le monde, ou une parcelle de monde, autrui compris, et où les sens, la mémoire, les ressentis, nous apprennent forcément quelque chose, de nous-même et d’extérieur, même infime. L’apprentissage permanent est de vivre au plus près du terrain en restant à l’écoute du monde.
Chaque lieu arpenté de l’oreille est en fait unique dans son appréhension du moment, de son espace spatio-temporel. Chaque marche sera donc elle aussi unique, expérientielle, lieux d’apprentissage sans cesse renouvelé. Le vécu relève, pléonasme s’il en fut, du vivant, du vivre, du vivre avec, ensemble, impliquant des aventures auriculaires, des scénari où des géographies, des architectures sonores se mettent en place au pas à pas, structurent notre pensée, aiguisent nos perceptions, enrichissent nos rapports au monde.
Le parcours d’écoute est une expérience qui met en mouvement notre corps, frotté à des milieux parfois amènes, parfois déstabilisants, voire agressifs et anxiogènes. Mais le plaisir de rechercher des situations inédites, en l’occurrence inouïes, nous fait emprunter avec passion, vivre, moult cheminements tortueux. Ces parcours sont de véritables bibliothèques vivantes, bibliothèques du vivant, collections de matières, matérielles ou éthérées, tangibles ou impalpables, dans un vaste laboratoire multi-sensoriel à ciel ouvert.
La rencontre avec autrui, co-marcheur, co-écoutant, co-acteur, est aussi une expérience, en terme notamment de sociabilité, parfois très forte, jusque dans le silence de l’écoute vécue comme une expérimentation commune.
Dans les milieux traversés, auscultés, la pratique de l’expérience corporelle, du corps réceptacle, auditeur sensible, avec ses filtres et ses proprioceptions, ses approches phénoménologiques, est déterminante pour nous trouver, écosophiquement parlant, une place raisonnable à l’échelle du monde.
PAS – Parcours Audio Sensible – Soundwalk « Titre à venir Centre d’Art Contemporain de Lacoux (Fr 01)
Faire avancer un travail, c’est sans cesse le requestionner, le remettre dans un champ de problématiques qui évoluent au fil du temps, et des expériences.
Quelques questions récurrentes, dont je me suis fais miennes, m’aident à garder une dynamique évolutive, à ce que je nommerai ici un projet d’auricularités paysagères kinesthésiques.
L’écoute, comment ça marche ?
Comment avance t-elle entre ses mobiles et ses mobilités ?
Et avec ta ville, comment tu t’entends ?
PAS – Parcours Audio Sensible – Soundwalk – Festival « Around Sound 2019 » Kaliningrad Russia
To advance a work is to constantly requeste it, to put it back in a field of problems that evolve over time and experiences.
Some questions, which I have made myself, help me to keep an evolutionary dynamic, what I will call a project of kinesthetic landscape auricularity.
Listening, how does it work, and walk?
How is she moving between her motives and her mobility?
And with your city, how do you get along, or listen ?
Quelques pistes pour bien (mieux) s’entendre avec la ville : Poser une oreille curieuse, ouverte, sensible, au gré des pas, dans des approches esthétiques, écologiques et sociales. Laisser ses préjugés au vestiaire (beaux sons ou vilains bruits considérés avec le même statut d’objet d’écoute) Capter des sons (enregistrés), les renseigner, annoter, commenter, faire commenter, constituer un corpus sonore, des objets à re-composer, installer, improviser… Marchécouter, arpentécouter la ville, seul et/ou en groupe, de jour, de nuit, entre chiens et loups… Repérer, localiser, cartographier, décrire et écrire des Points d’ouïe; Quelles définitions, quels critères de sélection ? Imaginer, construire un parcours sonore urbain, via et entre les Points d‘ouïe. Chercher des postures d’écoute en fonction des lieux, des ambiances, des mobiliers urbains, des événements, des envies de décaler l’écoute, la perception d’une ville entre les deux oreilles… Inventorier des zones calmes, des oasis sonores, des ZEP (Zones d’Écoutes Prioritaires), des aménités auriculaires, imaginer comment les favoriser, ausculter, protéger. Inaugurer, officiellement, des Points d’ouïe remarquables, ou non. Des cérémonies tympanaires. Utiliser les bancs publics comme des affûts auriculaires, bricoler des objets d’écoute, des longue-ouïe pour ausculter la cité. Imaginer, construire, aménager des lieux d’écoute, y installer des sonorités éphémères. Diffuser un PAS – Parcours audio Sensible (signalétique, guide, cartographie, géolocalisation, applications embarquées…) Favoriser les échange entre écoutants, habitants, passants, recueillir des paroles, de ressentis, des sentiments, des souvenirs, des envies, fabriquer des audio-utopies collectives, rêver la ville auditorium, installation sonore à ciel ouvert, à 360°, promouvoir la belle écoute urbaine… Conserver et valoriser des traces multimédia, construire et partager des récits croisés de ville à portée d’oreilles…
Marcher Les pied accordés au sol à l’humus nourricier humus et humilité ont une même racine écouter le sol l’air le vivant donc le Tout les oreilles accordées aux vibrations sonores dans une écologie où la sociabilité est au centre du projet un process écho-logique où la bienveillante est essentielle l’expérience collective est avant la connaissance être ouvert à l’immédiateté du mouvement de la perception du ressenti déployer des antennes sensibles traverser les sons et lumières en être traversé partager les traversées accumuler les marches d’écoute pour un récit tissé de mémoires des lieux les raconter même enjolivées extrapolées réécrites par la parole le mot le son Sentir le monde sous ses pieds sous nos pieds entre ses deux oreilles et par celles des autres par tous les pores de son corps membrane chercher l’accordage du monde*
* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer
Walk Foot granted to the ground to the nourishing humus humus and humility have a same root listen to the ground the air the living so the All ears tuned to sound vibrations in an ecology where sociability is at the center of the project an echo-logical process where the benevolent is essential collective experience is before knowledge be open to the immediacy of the movement of perception feeling deploy human sensitive antennas to cross the sounds and lights to be crossed share the crossings accumulate the listening steps for a story woven of memories of places tell them even embellished extrapolated rewritten by speech word the sound Feel the world under his feet under our feet between his two ears and by those of others by all the pores of his membrane body seek the tuning of the world *
* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer
Du tour, des tours, de mon quartier, à pied, itinéraires micro-itinérances triviales pour faire les courses, prendre un transport en commun, ou bien errer, en désœuvrance…
Jusqu’aux bords de la mer baltique, et autres océans, de la forêt malgache, jurassienne, des plaines québecoises, des montagnes portugaises, sardes, suisses… Entre autres lieux arpentés et à venir…
Dès que j’enclenche l’écoute, l’écoute bien entendante, impliquée, sensible, mon oreille part en voyage, au quart de tour (du monde ?) et sitôt se déploie, déplie, dépayse, auriculairement.
Mais l’oreille est insatiable, et je cherche sans cesse de nouveaux lieux, de nouvelles hétérotopies, hétérosonies, sonotopies, topophonies, sociauphonies, géophonies, scriptosonies… En connaitriez-vous ?
Promeneur écoutant, auditeur nomade, en partie libre en partie contraint, fabriqueur et arpenteur de paysages sonores en devenir, mon corps-oreille, mon oreille-réceptacle, mon corps-espace, mon espace-corps, inscrits parfois malgré eux dans un jeu d’espaces inextricables, constatent que ma place-posture n’est pas toujours clairement ni définie, ni établie. Elle n’est pas toujours décryptable, qualifiable, descriptible, ni même suffisamment stable pour l’être. Est-ce bien ainsi ? Une zone de questionnements, d’inconfort, ou un terreau fertile à l’éclosion de nouveaux corps-espaces qui ne seraient pas trop sur-définis, échappant ainsi à un cloisonnement d’emblée sclérosant.
Entre une matérialité, physiquement assumée, et une ligne de flottaison sonore fluctuante, alternativement productrice et auditrice, et vice versa, quand ce n’est pas les deux postures concomitantes, se pose le statut de mon corps écoutant. Celui s’incarnant dans des traversées performatives, bruyamment silencieuses, des méditations ponctuées d’errances et d’immobilités, des micro gestes aux macro perceptions, et les myriades de nuances sonores à peine entrécoutées et déjà disparues.
Donner à voir et à entendre dans les espaces du promeneur écoutant potentiel.
Se donner à voir et à entendre dans les espaces scénographiés par le, les corps.
Se noyer dans des espaces acoustiques tout à la fois communs et singuliers.
Se distinguer dans des espaces auriculaires aussi imbriqués que dissolus.
Hésiter entre le mouvement et l’immobilité, la résistance et la fuite, la sage contemplation et l’imprudente et légère distraction.
Chercher les moyens de passer d’un état à un autre, sans cesse, vivant échappatoire.
Corps-espaces-corps, allers-retours entre dedans-dehors, ici-ailleurs, dans une construction tout à la fois apollinienne et une ivresse dionysiaque, l’espace me joue des tours que le corps ne déjoue pas forcément; le corps me joue des espaces dans lesquels lui-même s’entremêle les sens, signifiants comme signifiés, des espaces compris les vides, le corps comme l’esprit duals, hésitants, jamais sûr du bon chemin, du bon geste… Entre-deux chaotique mais rassurant quelque part. Ne jamais être vraiment sûr de rien.
Des écarts qui laissent la place à un pure jouissance, ou à un souffrance teintée d’indécisions ?
Écarts qui peuvent emprisonner, comme libérer, le corps dans ses contradictions, l’étendre dans l’espace de ses non-lieux, lui faire explorer le geste dans ses in-aboutissements.
Entre chiens et loups un moment que j’affectionne tout particulièrement un instant de bascule un fondu presque au noir amenant à la nuit un apaisement discret des choses qui font place à d’autres des lumières déclinantes puis à nouveaux des multiples soleils encagés l’oreille s’adapte règle ses focales l’œil en fait de même tout s’épaissit ou s’éclaircit c’est selon une fenêtre s’ouvre sur le bas de la ville une fenêtre visuelle le lointain en perspective la ville basse à nos pieds une percée vers la vallée du Gers barrée au loin des contreforts des Pyrénéens la cloche en bourdon imposant de la cathédrale dominante vient d’arroser la cité d’un claironnant Angelus une fenêtre auditive une percée sur la rumeur de la ville les murailles trouées d’escaliers abruptes des couloirs sonores l’oreille vise le son l’œil les décrypte bien qu’on ne sache plus trop qui fait quoi au final les horizons se brouillent des voix proches des piétinements cliquetant le pavés une poussette grinçante hors-champ la nuit tombée diffuse des traines de couleurs d’un ciel chargé au sortir de l’hiver des traines de sons s’accrochant aux murailles ricochant sur des parois séculaires une grue tournoyante ferraille joliment hors-champ elle aussi une musique en chantier et pourtant tout est calme chaque son à sa place pas d’envahissements frénétiques les sonorités et les lumières décroissent de concert un decrescendo glissant tout en quiétude le groupe d’écoutants jouit de l’instant dans un silence peuplé de mille bruissements regardécoutant la ville d’un posture panoramique orientée par la trouée d’une ruelle pentue peu de choses filtrent du bas des rumeurs contenues par d’inextricables chemins de pierres un piège à sons le temps est à l’écoute comme il est au regard des polyphonies de lueurs sonores comme de sons colorés le point de vue titille l’oreille et sans conteste réciproquement la ville paysage s’accroche sensoriellement nous charme d’aménités offertes à qui sait être là pour les cueillir fragiles dans l’instant.
You are invited to participate in World Listening Day 2019, an annual global event held every July 18.
This year’s theme is LISTENING WITH created by internationally acclaimed sound artist Annea Lockwood.
Listening with …
listening with the neighborhood
at midnight, and again at dawn.
Listening with an awareness that all around you are other life-forms simultaneously listening and sensing with you – plant roots, owls, cicadas, voles – mutually intertwined within the web of vibrations which animate and surround our planet.
Dozens of organizations and thousands of people from six continents have participated in World Listening Day since its inception in 2010. Help share and grow participation in this annual event please by adding your information to our online form (coming soon).
July 18th is the birth date of renowned Canadian composer, music educator, and author, R. Murray Schafer. His World Soundscape Project developed the fundamental ideas and practices of acoustic ecology in the 1970s. These inform the current, burgeoning interest in our changing acoustic environment. Thus, World Listening Day honors Schafer’s contribution to understanding our world.