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Paysage sonore à portée d’oreilles
Centre hospitalier psychiatrique de Lyon Bron
PAS – Parcours Audio Sensibles, points d‘ouïe et field recordings
Nous avons entamé récemment, avec Microphone, Porter la parole, un travail croisé entre le CFMI de Lyon, avec Masters PMTDL (Pratiques Musicales, Transmission et Développement Local) et des publics de la Ferme du Vinatier, structure culturelle du centre psychiatrique au sein duquel sont hébergées ces deux organismes.
L’idée initiale est de travaille autour du paysage sonore, ou plutôt des paysages sonores de cet immense territoire.
L’intention
Après une « traversée » printanière singulière, qui a profondément questionné nos rapports à l’espace, au temps, à l’écoute, nous pouvons envisager de parcourir le territoire du Vinatier, ses seuils, ses limites, ses environs extérieurs comme un terrain d’exploration, à redécouvrir par les oreilles.
Questionnons par l’écoute ce vaste espace enclos, ville dans la ville, morcelé en une quantité de sous-espaces de différentes tailles, plus ou moins refermés.
Comment cette organisation géographique, architecturale, fonctionnelle, mais aussi sociale, sociétale, tisse et impacte des lieux de vie, de travail, de loisir, de soin… ?
Posons tout d’abord quelques questions pour tenter de mieux cerner et problématiser notre projet.
Comment percevoir par l’oreille, par l’arpentage des lieux, la marche d’écoute, les relations dedans/dehors, les incidences de l’aménagement de ces espaces gigognes, de la vie qui s’y déroule ?
Quelles sont les signatures sonores, les singularités, trivialités, récurrences, choses communes, qui font sens, voire permettent de construire un paysage sonore, par une série de marqueurs acoustiques ? Repérer des acoustiques, des sources de différents types, des activités, des ambiances…
Quelles sont les interactions, inter-relations entres les usagers, patients, professionnels, visiteurs… et comment se révèlent-elles à l’écoute ?
Quelles sont les barrières et porosités entre les espaces, les dedans/dehors, le Vinatier et la ville, le quartier, les espaces ouverts/fermés, et comment les sons, marqueurs du vivant, circulent-ils, ou non, d’intérieurs en extérieurs ? Notions de passages, de transitions, de superpositions, de fondus, de coupures… que l’on retrouve dans la vie quotidienne comme, par une pensée métaphorique, dans l‘écriture sonore et la composition musicale.
Quelles formes de contraintes, de limites, de restrictions de liberté, plus ou moins associées à des lieux d’enfermement, peuvent se ressentir, se percevoir, voire s’entendre ?
Les rendus projetés
Deux formes de restitutions sont envisagées pour rendre compte du travail mené in situ.
Une d‘entre elle consiste à glaner, ici où là, à l’intérieur du centre hospitalier, des sources/échantillons sonores qui pourraient à terme, caractériser le lieu, ses espaces et fonctions spécifiques (soins, loisirs, culture, nature, enseignement…).
Ces sons captés seront ensuite retravaillés, mixés, agencés, via un logiciel de traitement audionumérique, pour composer différents paysages sonores. Le Vinatier vu, perçu, parfois imaginé, à travers les oreilles d’étudiants et de publics qui travaillent concert. Les espaces, interstices, limites, seuils, dedans-dehors, reconstruits en différents « tableaux » auriculaires qui seront présentés publiquement en fin de parcours lors d’un concert électroacoustique.
L’autre forme est d’écrire littéralement, de tracer un parcours d’écoute physique, matériel, qui embarquera un public en l’invitant à écouter in situ les ambiances du site, à les plonger dans une posture d’écoutants, à l’affut des ambiances et scènes sonores du parc, avant que de les amener dans un autre espaces d’écoute, recomposé celui-ci comme un concert de musique des lieux. Donc vers la première forme que j’ai présentée ci-avant.
Les premiers PAS, déambulation(s) à oreilles nues
Une première séance a consisté, comme à mon habitude, à nous promener dans l’enceinte de l’établissement, parcourant sous-bois, lisières, chemins et routes, entrant dans la chapelle, cherchant les limites, les passages, les transitions, à grand renfort d‘écoutes.
Participants, 7 étudiants, deux participants publics de la Ferme, l’animateur de l’atelier, une chargée de projets artistiques de la Ferme.
Nous avons testé moult postures de groupe ou individuelles, yeux fermés, immobiles, en mouvement, discuté des ressentis, des effets acoustiques, d’un vocabulaire commun concernant l’écoute et le paysage, des notions d’esthétique et d’écologie, de sociabilité, de marqueurs sonores… Bref un cheminement autour d‘expériences physiques associées à un vocabulaire, en même temps qu’une première reconnaissance des lieux et de leurs ambiances acoustiques.
L’immersion nécessaire pour saisir les spécificités d’un lieu passe par un arpentage, touts oreilles ouvertes, sinon agrandies.
Ainsi c’est dessiné une première ébauche sonore, faite de multiples sources, ambiances, scènes, objets, textures et matières, qui, mis bout à bout, construisent un paysage sonore naissant.
Pas dans les graviers,
dans l’herbe,
vent dans les feuillages,
frontière entre parc et rue circulante à l’extérieur,
portail grinçant
trams aux sonorités sifflantes en extérieur,
voix croisées,
voix du groupe,
véhicules de service,
réverbération de la chapelle et jeux vocaux,
portail de l’entrée principale,
cône de chantier porte-voix
tondeuse,
oiseaux,
chèvres, muettes
froissements de vêtements,
consignes sanitaires Covid,
arbre grotte boite à vent (immense hêtre pleureur)…
Inventaire à la Prévert non exhaustif.
Ambiances et saillances, rumeurs et détails, le Vinatier se dévoile peu à peu à nos oreilles étonnées.
Devant son étendue, l’immensité du site, 122 hectares, nous choisirons une zone, suffisamment grande et riche en diversités de tous genres (bâtiments, végétations, abords et lisières, activités…) mais géographiquement circonscrite pour ne pas trop se perdre et risquer de noyer les actions dans un espace trop conséquent à maîtriser durant le temps dont nous disposons.
Les PAS suivants, à la cueillette des sons
La deuxième séance est à nouveau une déambulation, mais cette fois-ci l’enregistreur et ses micros viendront relayer nos oreilles, même si, bien sûr, ces dernières resteront les « captureuses » primordiales des ambiances et que ce sont elles qui guideront de prime abord les captations. Me concernant, il est évident que la technologie, si pointue et efficace soit-elle, reste au service du collectage sonore dans le cas présent, et surtout de la sensibilité, du discours, de celui qui cogite et agit sur le terrain.
Petite explication sur les modalités de la prise de sons, des trucs et astuces, le fonctionnement des enregistreurs numériques, les choix de sonorités…
Et nous voila donc repartis sur le terrain, cette fois-ci en petits groupes de deux étudiants et de publics de la Ferme.
Ayant encore dans la tête les ambiances de la semaine précédente, nous tendons les micros en même que les oreilles sur les ambiances, les acoustiques, les événements imprévus, faisons sonner et résonner la chapelle, captons des paroles… Bref, construisons un premier aperçu du territoire par les oreilles, une ébauche de parcours, jalonné de spécificités acoustiques locales, de signature sonores, et d’ambiances génériques.
L’idée étant de comprendre comment un paysage sonore se construit, se représente, se partage…
De retour en salle, nous effectuons quelques écoutes critiques de nos collectages.
Qu’est-ce qui marche bien, moins bien, ou dysfonctionne… ?
Qu’est-ce qui est utilisable, les choix et le dérushage, perfectible ?
Quelles premières pistes, axes de travail, peuvent donner ces prises de sons, idées de scénari… ?
On a déjà une sympathique cueillette sonore comme matière à retravailler, à composer…
La semaine suivante aurait du être consacrée à des écoutes critiques sur la thématique du paysage sonore. Paysages sonores plus ou moins « naturels », figuratifs, mais aussi sages ou folles extrapolations d’artistes sonores, compositeurs, jusqu’aux approches « expérimentales » vers des « abstractions paysagères.
Las, Dame Covid vient casser la dynamique en nous ré-enfermant at home, et en re-distanciant l’enseignement supérieur.
Affaire à suivre, plus tard, selon…
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Lien album photos : ICI