Approches et problématiques en mouvement(s)

L’écoute, la marche, des arpentages-expériences en interactions
Le corps, l’oreille, l’espace public, des gestes collectifs (ré)activés
L’esthétique, le territoire, des sociabilités en marche
Vue, oreille, corps, appréhender les espaces multisensoriels
L’aménageur, l’artiste, le chercheur, l’habitant, des approches « arctivistes »
Transition, environnement, bouleversements, repenser les arts et la culture dans l’urgence climatique
Eau courante, eau dormante et autres éléments, émergences et perceptions sensibles
Les arts en espaces publics, perturbations et histoires bousculées
Marche, promenade, déambulation, arpentage, errance
Paysages, jardins, trames, réserves, zones calmes et ilots de fraicheur
Architecture, urbanisme, géographie et arts écouteurs situés
Espaces, temps, espaces-temps
Réseaux multi, trans, pluri et indisciplinés, par monts et par rues
Matérialités et immatérialités, l’oreille nous joue détours
Lenteur, silence(s) et autres jeux de sobriété
Arts, sciences, actions, recherches et plus si affinité
Dedans, dehors, entre-deux et passages, murs et porosités
Hi-fi, low-fi, technologies et intelligence collective
Transects, pas de côté, chemins de travers et autres improbables dérivations
Plein-champs et hors-champs, immersions fluctuantes
Pérennité et éphémérité, durabilité et fugacité
Écoute, dialogue de sourds, non-écoute
Plaisirs et déplaisirs, aménité et nuisances
Géographie, géophonie, géosonie
Fluances, fluences, affluences et confluences
Intime, extime, écoute en allers-retours
Naturel, artifice, artificiel, artefact
Singularités, universalités, distances, proximités…

Tentative d’épuisement d’un lieu d’écoute

Une trottinette claquante et cliquetante

Des cris et des voix d’ados

Une voiture qui racle son pare-chocs sur la chaussée, au sortir d’un ralentisseur

Une voiture au loin, avec une radio très forte, aux basses affirmées

Un rare oiseau estival, filant comme l’éclair

Un train, sur la colline, au loin

Le raclement glissé d’une feuille roussie par l’été, sur le sol bétonné

De nouveaux rires en toile de fond

Un frein de voiture, bref et strident

Une petite moto pétaradante, sous la halle du marché couvert

Un instant de quasi silence

Le son discret de mon stylo parcourant la feuille blanche

La moto qui revient virer tout près

Une voiture discothèque aux basses vrombissantes

Une trottinette électrique, ronronnante, qui fait claquer une plaque d’égout toute proche

Un bus local, discret

Une voiture qui se gare calmement dans le parking voisin

Des portières qui claquent, mais sans excès

Une mouche virevoltante, mais l’ai-je bien entendue ?

Une voiture qui prend son élan pour entamer la rude pente de la rue voisine

Un nouvel instant de quasi silence

Une tourterelle au chant bien réverbéré

Une autre, à l’opposé, plus lointaine, plus mate

Un ballon rebondissant qui claque sous la halle

Les mêmes voix adolescentes et vigoureuses

La petite moto qui redémarre et s’éloigne

Un nouveau pare-chocs raclant le sol

Un petit avion au loin

Un van vintage, à l’échappement pétaradant

À nouveau, quelques passereaux fugaces

Un mini flux de voitures qui rentrent du plan d’eau voisin, par cette belle journée ensoleillée et finissante

Des pas à claquettes qui rythment le trottoir d’en face 

Un groupe de promeneurs et de promeneuses, parlant de l’acupuncture

La petite moto qui s’en va

Un énième raclement de pare-chocs

Des portes qui se ferment, plutôt feutrées

Un nouvel instant très silencieux

Un avion qui sillonne le ciel de sa trace sonore et visuelle

Un volet métallique qui se ferme en ferraillant, tout proche, puis un autre

Un klaxon, saluant ou rageur.

Et plein d’autres sons qui continueront d’animer l’espace à l’heure où je clos ce point d’ouïe


Amplepuis, Entrée du parc de l’Industrie – Le 24 août 2025, 18.30/20.00


Expérience inspirée de la « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » de Georges Perec

Éloge du hors-champ, ce que saisit l’oreille en matière d’invisible

Marche et écritures poétiques

Le hors-champ au cinéma, ou hors-scène au théâtre, est par définition ce qui sort du cadre. Cadre scénique, cadre filmique, des personnages ou événements sonores, par exemple, se perçoivent tout en n’étant pas dans le champ visuel. On les entend souvent, voix en coulisse, ambiances et bruits divers, musiques, sans les voir, après qu’ils aient quitté notre cadre de perception visuel, ou parce qu’ils s’en tiennent, volontairement ou non, éloignés.
Effet d’espace, effet de style, on ne voit pas tout ce que l’on entend. Il existe un espace élargi, qui donne lieu à des images mentales, à des représentations et interprétations du non visible. Le monde du sonore, de la création audio, de l’écoute, est ponctué de hors-champs, maitrisés, conceptuels, ou non.
L’invisible s’invite à l’oreille, et amène une couche perceptive, un niveau d’information supplémentaire. L’oreille y est logiquement très sollicitée. Greeneway, Ackerman, Tarkovski, Lynch, dans le monde cinématographique, entre voix off, ambiances et suggestions sonores, font du hors-champ un procédé narratif où le sonore joue un rôle prépondérant.
Mais les situations de hors-champ ne sont pas propres au seul cinéma, ou à la scène théâtrale.
La mise en écoute d’environnements sonores, d’espaces acoustique, le concept du paysage sonore comme un espace de représentation et d’écriture pour et par l’oreille, nous permettent de vivre de nombreuses situations de hors-champs auditifs.
J’en présenterai ici quelques-unes, relatives à mes propres expériences d’écoutant.

Des forêts et des oiseaux
En forêt, la majorité des oiseaux sont invisibles, mais bien présents à l’écoute. Les ornithologues, bio et éco-acousticiens se fient donc de préférence à leur oreille, et à des dispositifs d’enregistrements numériques pour tenter de les identifier, dénombrer, et faire des états des lieux concernant leur présence, absence, migrations, sur des territoires donnés.
Ces hors-champs audio naturalistes, au-delà des approches scientifiques, sont aussi des espaces d’écoute sensibles pour s’immerger dans les espaces acoustiques forestiers, avec la magie des chants d’oiseaux, notamment lors des chorus Dawn, que l’on pourrait traduire par chants de l’aube ou réveil des oiseaux. Moment magique et impressionnant pour qui s’aventure en forêt à l’heure bleue, juste avant le lever du jour, et qui vit une expérience immersive où, à défaut de voir les oiseaux, entend ce grand chœur avien qui réjouit l’oreille d’un immense hors-champ matinal. L’espace est peuplé d’un immense concert du matin, où les oiseaux sont majoritairement invisibles, mais ponctue les lieux d’un incroyable pointillisme quasi musical.

Un banc, une ville, une nuit
C’est une expérience montoise, une cité wallonne, lors du festival, City Sonic, où je m’installe, à nuit tombée, sur un banc public dominant la ville. La Grand-Place en contrebas à gauche, un square au pied de la petite colline où je suis installé, le grand beffroi carillonnant ponctuellement à l’arrière, autant de sonorités qui me parviennent dans une superbe spatialisation, dans l’obscurité de la ville. J’adore ce point d’ouïe panoramique, surtout les vendredis et samedis en soirée, là où les étudiants sont en goguettes, où les cris, les rires et les chants éclaboussent le centre de Mons. Ici aussi, dans cette petite ruelle peu passante, la majorité des sons ne se manifestent qu’à l’écoute, et d’autant plus présents que l’obscurité est installée. Une ville assez bouillonnante en écoute se dessine à l’oreille, sur un banc d’écoute où je reviens régulièrement, de soir en soir, d’année en année..

Un concert acousmatique, cinéma pour l’oreille
Début des années 80, je découvre la musique électroacoustique, ses dispositifs multicanaux, et la spatialisation des sons qui se promènent de haut-parleur en haut-parleur. L’espace musical est, dit-on, acousmatique, on n’en voit pas les sources. Écoutez, il n’y a rien à voir ! Le principe de ces musiques étant d’êtres des tissées de « sons fixés », selon l’appellation de Michel Chion, où l’approche concrète de Pierre Schaeffer, n’implique pas la présence de musiciens interprètes, hormis les cas de musiques mixtes, fait que les sources sonores ne sont pas visibles. Les auditeurs étant souvent plongés dans l’obscurité pour renforcer l’immersion. On pourrait dire ici que la mise en situation d’une écoute immersive, généralement sans image, est un bain sonore de hors-champs total, celui que Chion définit comme un « cinéma pour l’oreille ». Le fait que l’écoute s’affranchisse de la vue, du geste musical interprété sur scène, est propice à la fabrication d’images mentales, d’impressions et de ressentis intimes et intérieurs, qui nous place dans un paysage sensoriel mouvant, fugace. Nous sommes hors du champ d’une réalité musicale avec une scène frontale et relativement figée ou « calibrée » au niveau des positionnements des sources sonores. Bien sûr, d’autres dispositifs spatio-temporels existent, et parfois depuis longtemps, où sont aménagés pour diffuser et installer des œuvres spécifiques, autour des auditeurs, avec tous les hors-champs scéniques et hors scéniques possibles.

Le lointain tout près de chez moi
Un muret, tout contre la maison que j’occupe, me sert d’assise écoutante, surtout en fin de soirée, et de préférence aux « beaux jours ». La route voisine est assez peu circulante les week-ends, et laisse l’espace sonore se déployer au loin, l’oreille pouvant étendre, étirer son écoute jusqu’aux collines avoisinantes. C’est ainsi que les chants de rapaces en chasse, des trains ferraillant au loin, des voix d’enfants au bout d’un parc, tissent l’espace de sonorités invisibles, et pourtant parfaitement identifiables et localisables. On peut suivre de l’oreille, des trajectoires sonores, se représenter mentalement les topologies locales, les reliefs, situer le mouvement d’un train quittant la gare, ou y faisant escale, la cloche en haut de la ville. Là encore, le regard n’est pas le sens premier, voire est parfaitement inopérant pour entendre et se représenter la géographie acoustique des lieux. Les bribes sonores voyageant au fil des réverbérations paysagères, parfois des échos collinaires font du hors-champ un catalyseur d’écoutes situées, d’ambiances constituant des marqueurs et signatures d’identités sonores locales. Celle qui nous fait de l’oreille se sentir un peu chez nous.

Des porosités dedans/dehors, privé/public
Je me promènerai ici dans les dédales lyonnais bien connus que sont les traboules. Escaliers, passages couverts et cours intérieures me feront « débarouler » les pentes de la Croix-Rousse, ou traverser en zigzaguant le quartier historique du Vieux Lyon.
Les lieux points d’ouïe qui m’intéressent ici, comme des hors-champs auditifs remarquables, sont les cours intérieures, voire des cours à ciel ouvert, mais encastrées dans une série de sas architecturaux, les coupant de la frénésie urbaine toute proche.
Pourtant, malgré le côté oasis acoustique avéré, ces cours ne sont pas, tant s’en faut, muettes. En été, aux heures chaudes, en fin de soirée, de nombreuses fenêtres s’ouvrent sur ces puits sonores. On y entend, sans la voir, la vie, s’échappant par bribes sonores des habitants et habitantes. Sons de cuisine, de radios ou télés, de voix, de fêtes… Le privé, l’intime, s’échappent et s’entendent dans des espaces publics, ou semi-privatifs, en ouvrant le dedans sur le dehors, et vis versa. Cette situation d’écoute que l’on pourrait qualifier d’acousmatique – écouter sans voir est magnifiée, si je puis dire, de hors-champs qui animent les espaces d’un dynamisme où la vie déboule à ciel ouvert. Situation qui impulse des parcours d’écoute aussi riches que variés. Des sonorités sont amplifiées, enrichies, par les réverbérations d’espaces architecturaux, minéraux et très circonscrits, qui ravissent les oreilles écoutantes.

Des hors-champs à profusion, des signatures sonores
Dans cette approche exploratoire de hors-champs écoutables, entendables, on s’aperçoit que l’entendu invisible est monnaie courante dans les environnements traversés, arpentés. À tel point qu’ils contribuent à entendre de véritables signatures sonores, des marqueurs acoustiques, des points d’ouïe remarquables. L’oreille se saisit de l’invisible pour construire des paysages sonores inouïs, en tout cas pour celles et ceux quoi ne leur prêtent pas l’oreille.
Une certaine forme de sons/silences s’écoute en l’absence d’images, ou sans en voir l’origine des sources, ce qui peut parfois générer quelques inquiétudes, sinon peurs, dans l’exubérance sonore d’une forêt profonde, ou par un petit cliquetis perçu de nuit dans une ruelle étroite et sombre.
Néanmoins, les hors-champs restent à la fois une singularité auditive tout à fait excitante, et une expérience esthétique et sociale qui réjouissent notre écoute tout en nous renseignant sur les écosystèmes sonores dans lesquels nous vivons.

Faire silence(s) ?

PAS – Parcours Audio Sensible à Kalinigrad (Ru)- Festival Sound Around »

Lorsque que l’on dit « faire silence », dans le verbe faire, il y a l’idée d’une construction, d’une fabrication tangible, acoustique, non ou peu bruyante, en marge, en écho, en superposition, en alternance… à l’écoute elle-même.
On fabrique ainsi littéralement du, ou des silences, couplés aux gestes d’écoute.
Parfois, comme par une forme sémantique marquant une distanciation, on observe le silence, plus une façon de l’entretenir, de le pratiquer, que d’en cerner les contours spatio-temporels, d’en analyser les qualités, la profondeur, les raisons d’être.
Refusant de répondre, plongé dans un mutisme assumé, on garde le silence, ne révélant rien de ce qui peut nous être demandé. On garde le silence dans un état persistant, résistant, comme on garderait le lit, envers et contre tout.
`Lorsqu’on se tait, ne révèle pas certaines choses, pour différentes raisons, les pires et les meilleures, on passe sous silence. Passer sous silence, comme on passerait sous les radars, serait-elle une forme de furtivité . Ne pas se faire entendre pour gagner en liberté d’agir, et non pas se taire en étant muselé.
Ne pas mot dire et ne pas maudire.
De même lorsque l’on fait non pas silence, mais lorsque l’on fait du bruit, au risque ou dans la volonté de bousculer des espaces en imposant parfois des ambiances, des sons, plus ou moins agréables, voire des nuisances.
Faire du bruit pour se signaler, pour manifester, pour résister, pour provoquer, ne pas se faire piétiner, aller à contre-courant d’un silence résigné, si ce n’est exigé. Mais d’un autre côté, la marche silencieuse, ou blanche, dans un silence de résistance non violente, pacifique, est aussi une forme de silence en mémoire, ou en opposition.
On peut également faire, en dehors du silence, de la musique. On peut la jouer, l’interpréter, la performer, l’improviser, la composer. Bref peuplé ou couvrir un silence qui véhicule et fait entendre trop de vides, de non entendus, de non festif. Toujours dans une idée de construire sciemment quelque chose d’entendable.
Toutes ces actions volontaires, impliquent des gestes qui vont construire, en solitaire ou à plusieurs, des scènes, des paysages, où les sons et les silences es sont étroitement mêlés, l’un parfois laissant, plus ou moins, la place à l’autre, le mettant en exergue, ou l’estompant, l’interrompant, s’y superposant.
Dans l’idée de faire silence, il y a bien de multiples raisons, objectifs, attendus, mises en situation…
Silence on tourne ! Dit-on sur un plateau de cinéma, voire dans un studio d’enregistrement « On air ». Il y a là une injonction à se taire, à ne pas faire de bruit parasite, pour ne pas polluer une prise de vue, ou de sons, et avoir à la refaire le cas échéant. Ne pas déranger, notamment via des émissions sonores intrusives, inopinées et perturbatrices.
Silence dans les rangs, est un « commandement », scolaire ou militaire, comme une demande d’attention, de respect, si ce n’est de soumission à une forme de discipline collective contraignante.
L’instituteur, le professeur, demandent le silence, le font respecter, pour que leurs paroles ne soient pas noyées dans le chahut, l’indiscipline incontrôlable. Pour que leur parole soit entendue. On revient par les marges sur une idée de silence obéissant, via un effort collectif, imposé pour le bien de tous.
Le chef d’orchestre aussi, en levant sa baguette, demande le silence à ses musiciens, et implicitement aux auditeurs, pour que la musique puisse s’interpréter et s’entendre dans de « bonnes » conditions.
Wagner, à une époque où on parlait, parfois fort, dans les représentations musicales, à l’opéra, construit une architecture spécifique, où le public, plongé dans l’obscurité, ne doit pas troubler le spectacle en devisant, riant, invectivant. Il faut faire silence pour apprécier l’œuvre.
Aujourd’hui, cette mise en situation silencieuse prévaut. Dans une salle de spectacle, tousser fort, longtemps, ouvrir l’emballage plastique d’un bonbon, chuchoter, sont de « mauvaises actions » qui nous valent des regards courroucés alentours, et nous couvrent d’opprobre, alors que nos voisins n’osent pas bouger d’un millimètre si leur siège à la mauvaise idée de grincer. Jour une partition tacet sans risquer la fausse note !
On est loin de l’ambiance taverne, où les bruits environnants font partie de l’ambiance. Le silence peut devenir une chape de plomb qui dissuadera certains spectateurs de pénétrer dans un antre aux pratiques ritualisées, avec tous ses codes et interdits, dont le silence. L’animateur qui emmènera de jeunes ados, peu rompus à l’exercice d’écoute en silence ,en fera parfois les frais…
Le silence monacal, celui propre aux lieux de prière, à la méditation, à la concentration spirituelle transcendantale, ménagera des espaces où on ne se croise physiquement que peu, ou pas, où l’on ne se parle pas, sinon dans des espaces-temps rigoureusement délimités. Là où les vœux de silence imposent des règles strictes et parfois difficiles à vivre, à suivre, dans des co-habitations qui effacent ou amoindrissent les communications orales, donc des espaces de sociabilité, d’humanité. Un silence de l’intimité personnelle, de l’introspection, mais aussi de l’éloignement de l’autre, ou de tiers éléments potentiellement perturbateurs. Le bruit détourne notre attention du « droit chemin », justification pour ménager, installer le silence. Mais on a occasionnellement, dans nos vies trépidantes, de formes de retraites silencieuses, dé-saturantes.
La minute de silence elle, marque un hommage cérémonial, un rituel en mémoire de, le souvenir de « héros » morts pour, ou d’un défunt dont on se souvient collectivement.
En architecture, à défaut de rechercher un « silence parfait », on isole les logements, à la fois des proches voisinages internes et de leurs bruits intrinsèques, et des sources bruyantes extérieures dans des sites urbains ou périurbains. Mais on cloisonne ainsi le dedans du dehors, jusqu’à un enfermement autistique, qui met à mal une vie sociale qui ne tend plus l’oreille vers l’extérieur, et laisse fermées ses fenêtres sur la vie de l’espace public. Un espace public qui ne s’entend plus, avec lequel on ne s’entend plus, une oreille sclérosée et des lieux acoustiquement paupérisés…
La solitude, par exemple celle du berger en pâturage, du gardien de phare, de refuges, contraint des « veilleurs » et surveillants à des silences plus ou moins forcés mais néanmoins assumés parfois comme de belles qualités de vie, des Ce peut être là une façon de s’extraire de la fureur du monde.
Néanmoins, le silence, où tout au moins le calme des uns n’est pas celui des autres. Blier fils fait dire à Blier père dans le film « Buffet froid « Parce que tu trouves ça calme ? Y commencent à me taper sur le système ces oiseaux !… » A chacun ses aspirations à un apaisement auriculaire. Qui n’a jamais entendu dire qu’un urbain se retrouve brusquement dans une campagne silencieuse, de nuit, était empêché de trouver le sommeil par… manque de « bruit ». Être en rupture avec le bruit en se frottant au silence demande parfois une adaptation, une accoutumance.
Il y a les taiseux, les taiseuses, celles et ceux qui préfèrent ne rien dire, mais écouter le monde.
Le silence révèle des beautés comme fait naitre des angoisses.
Lorsqu’il est de plomb, il s’impose comme une chape recouvrant les sons de la vie, les échanges, l’humanité même, fusse temporairement, avant qu’on vienne le briser, pour dire enfin, se faire entendre et ré-entendre le monde.
Une expérience surprenante, août1999, on peut assister à une éclipse totale du soleil, chose rare. Fin de matinée, l’obscurité se fait et tous les oiseaux se taisent, de même que toute la vie s’apaise pour contempler ce phénomène. Un silence étrange, magique, couplé à une obscurité inhabituelle, rapide, qui sera rompu par la réapparition du jour. Les habitants, nous ,les animaux, font silence face à un événement aussi beau que perturbant.
Un silence qui peut faire écho à celui installé dans les rues par la covid, et la disparition des sons de l’école, du marché, des bars, que j’ai personnellement mal vécu, malgré l’apaisement acoustique des grandes villes. Heureusement, il restait les oiseaux, les cloches, et les tintamarres de 20 heures à nos fenêtres.
Dans le milieu des audio-naturalistes, des ornithologues, on fait silence pour ne pas faire fuir la faune, l’écouter, voir l’enregistrer, sans qu’elle ne se dérobe à nos oreilles et micros, sans que notre présence fasse taire ce que l’on veut entendre..
Rachel Carson, dans son livre « Le printemps silencieux » montre comment le fait de ne pas ou plus entendre certaines choses du vivant, nous met devant le terrible constat d’une bio diversité moribonde, et de notre propre disparition questionnée, voire probable. Silence de mort…
Souvent, les randonneurs marchent en silence, façon d’être en immersion avec les forêts et montagnes traversées, et parfois de ne pas s’essouffler dans des passages à fortes dénivelées.
Quant à savoir si le silence est vraiment d’or et la parole d’argent, on peut penser que, selon les circonstances et les contextes, le postulat peut varier, voire s’inverser, ou ne pas être d’actualité.
Bref, des raisons et façons de faire silence, des motivations, des contextes, il y en a pléthore, sans aller jusqu’au silence de mort, qui serait un aboutissement sur lequel nous n’avons personnellement plus prise.…
Faire silence est une manière d’être au monde, de l’entendre comme faire sonner, mais sans faire (trop) de bruit.

Les sons qui passent

Le vent dans les arbres, un soir d’hiver glacial
Nos pas déambulant sur des trottoirs sans fin
Les conversations brouillées dans des bars animés et anonymes
Des mouettes qui ne cessent de rire dans une ville dépaysante
Des bribes de conversations morcelées, qui tricotent un patchwork incompréhensible
Les résonances d’églises, aux ambiances sombres feutrées
Le ronronnement d’une ventilation, cliquetante et tenace
Des verres qui s’entrechoquent en fêtes fugitives
La voix d’un ami disparu, qui malgré tout nous rattache au monde
La cloche qui tinte dans un salut nocturne et mélancolique
La pluie subite qui nous fouette et nous glace le corps
Un cimetière où les sons de la ville pénètrent respectueusement
La rivière impétueuse, gonflée des pluies d’automne
Un musicien de rue qui fait d’une placette un lieu intime de concert éphémère
Les premiers oiseaux frileux qui hésitent à sortir de l’hiver
Le grondement des travaux qui défont et refont sans cesse la ville
Le presque silence d’une nuit campagnarde
La fontaine qui crache à flots continus son humidité tonique
Un tramway ferraillant à la cloche menaçante
Une fanfare de rue qui soudain vient tout enjouer
Les rideaux de fer de commerces qui s’ouvrent sur une nouvelle journée
La musique ténue, qui s’échappe d’une fenêtre ouverte
La bouilloire sifflante du matin, un brin agaçante
L’orage qui gronde au loin comme de sourds présages
Les rires d’enfants déboulant de l’école
Une forêt nocturne envoûtante et inquiétante
La radio qui rythme nos nuits d’un flux obscur et nébuleux
La nuit qui tombe et ses chouettes hululantes
La rumeur de la ville, étendue à nos pieds
Les échos d’un train dont le klaxon secoue les collines
La solitude comme un doux chant mélancolique
La vie qui passe, bon an mal an, à portée d’oreille
Les sons qui nous font entendre que l’on reste, envers est contre tout, bien vivant.

Oyez, eaux yé, Oh yé !

Au plus profond de mes souvenirs, ce fut l’eau d’un puits, dans la cour de la ferme de ma grand-mère, dans lequel plongeait bruyamment le seau dégoulinant. Avant qu’elle n’arrive, courante, à l’évier.
Celle du ruisseau gargouillant tout près.
Et celle d’un autre ruisseau, qui longe aujourd’hui le parc public attenant à ma maison.
Ce ce furent aussi les cascades et les torrents alpins, qui se dévoilent brusquement, au détour d’un sentier.
Ceux pyrénéens gonflés des orages véloces.
L’eau dormante d’un lac au bout d’une vaste prairie, cernée de cols arides où enneigés.
L’écume paisible d’un port où dorment en tanguant doucement, les bateaux grinçants.
Le lavoir public où plus personne ne vient battre le linge.
Les gouttes d’un ru dévalant le village pentu d’un village montagnard portugais, sous le soleil plombant.
La mare ou s’égosillent les grenouilles noctambules, au grand dam des campeurs voisins.
Une longue promenade nocturne et silencieuse, suivant Saône et Rhône, rythmée de jeunesses festives et de péniches aux ronronnements profonds.
La Loire, aussi majestueuse que silencieuse.
La Loire encore, écumante et grondante, à une autre saison.
Une averse soudaine, un déluge mur d’eau, qui me surprend et me laisse rincé sur les pentes abruptes de Tananarive.
Une pluie ruisselante qui fait sonner tout ce qu’elle touche en percussions subtiles
Les éclaboussures d’une immense roue à aubes, tournant en grinçant sous le courant d’un bief.
Les plics et les plocs de gouttelettes s’échappant de fragiles stalactites, dans une belle réverbération souterraine.
Les vagues furieuses balayant une plage nordique, avant de se briser sauvagement sur les rochers remparts.
Le bruit blanc d’une fontaine qui envahit l’espace minéral d’une place encastrée dans la vieille ville.
A noter que les fontaines ont chacune leur signature acoustique, et teintent le paysage jusqu’à le rendre unique.
Les glissements aquatiques de nageurs s’entraînant dans une piscine couverte.
Les terribles images et sons d’inondations meurtrières, balayant soudainement des villes entières.
La sensation de vide, de désolation, lorsque la rivière se tarit en plein cœur de l’été

La présence ou l’absence aquatique marque fortement le paysage, quand elle ne le construit pas.
Elles s’entend, ou non, kaléidoscope de moult éléments liquides, parfois furieux et dévastateurs, parfois discrets et minimalistes, si ce n’est absents et desséchants. Elle est tout à la fois fascinante, apaisante, source de rêveries, et redoutable dans son imprévisibilité.
Elle abreuve le territoire et ses habitants, engloutit, irrigue, dévaste, charrie plaisirs comme angoisses, entre puissance et fragilité.
Je mesure à quel point l’eau habite et nourrit, quasiment de jour en jour, mes paysages sonores, éminemment liquides.

Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » 2024/2025

Les assises du point d’ouïe, banc d’écoute

@Zoé Tabourdiot City Sonic Transcultures

Choisir un banc
Selon son emplacement,
Ce qu’on y entend,
Ce qu’on y voit,
À ’instinct
S’y installer
Ne rien faire
Laisser venir
S’immerger
Prêter attention aux sons
Ne pas chercher à trop les comprendre
Mettre l’écoute en avant
Sans la couper de la vue
Ni des autres sens
Jouir de l’instant présent
Considérer le moment comme une partition déroulée
Verticale
Horizontale
En mouvement
Multi-timbrale
Toute en nuances
Imaginer des signes transcripteurs
Imaginer des signe sonifiants
Noter les si besoin est
Des proposition à interprétations
Des pistes d’improvisations
Ne pas exclure d’être surpris
D’être étonné
D’être bousculé
D’être malmené
Expérimenter différentes séquences
A différents moments
Laisser jouer le Hasard
Prendre conscience des plans
Tout près
A mi-chemin
Lointain
Saisir les mouvements
A droite
A gauche
Ascendants
Descendants
Imaginer être happé par ces mouvements
Flotter au fil des sons
Des vents
Des échos
Considérer ces gestes comme des propositions
Non obligatoires
Pouvant être convoquées à discrétion
Juxtaposées
Superposées
Participer à un mixte capricieux.
Mettre l’écoute en arrière-plan
Ne plus avoir conscience du geste
Recommencer plus loin
Sur un autre banc
A d’autres moments
Diurnes
Nocturnes
Entre chiens et loups
Laisser la mémoire des écoutes s’installer
Les strates sensibles s’entremêler
Des séquences remonter à la surface
Constituer un herbier d’ambiances
Une cartographie sonore indécise
Flottante
Une partition à jouer et rejouer
Un paysage fantasque
Où tout peut se dissoudre
Où tout peut se (re)coller
Y puiser si besoin matières à composer
Se demander l’endroit, le moment, où on se sent bien
Ou pas
Celui ou ceux qui nous laissent de marbre
Faire de ces expériences des jeux de rôle
Les proposer à autrui
Les partager in situ
Construire, inventer ou adapter des règles communes
Ou individuelles
Échanger
Remettre en jeu
Collectivement
Ou non
Se laisser une marge d’incertitude
Mais avant tout
Prendre du plaisir
Inviter des oreilles
les nôtres et d’autres encore
complices et joueuses.

PAS – Parcours Audio Sensible – Explorer la nuit

Marcher en silence
A nuit tombée
Arpenter les rives d’un fleuve
Puis celles d’une rivière
Vers sa confluence inéluctable
Écouter
Les rumeurs de la ville
Exacerbées d’obscurité
Le nappage au noir
Éclaboussé de lumières
Et les sons s’y faufilent
S’y installent
Et s’entendent à merveille
Traversée noctambule
Une nuit transfigurée
D’auricularité en zones d’ombres
Contrastes en clair-obscurs
Des fêtes rythment nos arpentages
Sauvages ou bien sages
La nuit à portée d’oreille
Nous invitent à marcher
Dans la fraîcheur acoustique
D’une cité bavarde
Même au cœur des ténèbres
Qui savent aussi êtres bienveillantes.
Invitation à une exploration bruissonnante
Tout en nuances et contrastes
L’oreille se réjouit
Des traversées nocturnes
Où la ville murmure
Où la ville s’entend
Dans les furtivités canailles
D’une nuit bien sonnante.

Point d’ouïe, citation

« … Allez dans les forêts, allez dans les vallées ;
Faites-vous un concert de notes isolées !
Cherchez dans la nature, étalée à vos yeux,
Soit que l’hiver l’attriste ou que l’été l’égaie,
Le mot mystérieux que chaque voix bégaie.
Écoutez ce que dit la foudre dans les cieux !
Enivrez-vous de tout ! enivrez-vous, poètes,
Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,
Du voyageur de nuit dont on entend la voix ;
De ces premières fleurs dont février s’étonne ;
Des eaux, de l’air, des prés, et du bruit monotone
Que font les chariots qui passent dans les bois.
Contemplez du matin la pureté divine,
Quand la brume en flocons inonde la ravine ;
Quand le soleil, que cache à demi la forêt,
Montrant sur l’horizon sa rondeur échancrée,
Grandit comme ferait la coupole dorée
D’un palais d’orient dont on approcherait !
Enivrez-vous du soir ! à cette heure où, dans l’ombre,
Le paysage obscur, plein de formes sans nombre,
S’efface, des chemins et des fleuves rayé ;
Quand le mont, dont la tête à l’horizon s’élève,
Semble un géant couché qui regarde et qui rêve,
Sur son coude appuyé !
Si vous avez en vous, vivantes et pressées,
Un monde intérieur d’images, de pensées,
De sentiments, d’amour, d’ardente passion,
Pour féconder ce monde, échangez-le sans cesse
Avec l’autre univers visible qui vous presse !
Mêlez toute votre âme à la création !
Car, ô poètes saints, l’art est le son sublime,
Simple, divers, profond, mystérieux, intime,
Fugitif comme l’eau qu’un rien fait dévier,
Redit par un écho dans toute créature,
Que sous vos doigts puissants exhale la nature,
Cet immense clavier !


Victor Hugo, « Pan » (extrait)

Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les feuilles d’automne (1831).

Texte intégral

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Champ lexical en mode liquide

Lorsque j’ai démarré le projet « Bassins versants l’oreille fluante », le champs lexical tout droit venu des terres aquatiques m’a sauté à l’oreille.

Je me suis senti submergé de joie, et aussi de travail.
J’ai pensé et agi en amont et en aval, tout en dérivant parfois.
J’ai été abordé, parfois accosté.
J’ai tenté de ne pas trop avoir la tête sous l’eau, d’émerger, de. ne pas avoir trop de flottement dans les idées.
J’ai du trouver des points d’ancrages solides.
Je suis parti parfois à la dérive.
Je me suis fait embarquer dans de drôles d’histoires.
Et j’ai débarqué sans trop comprendre.
J’ai tenté d’avoir des projets au long cours.
Je me suis calé sur le bon canal.
Je me suis battu contre vents et marées.
J’ai pêché des informations ici et là.
Dans des situations difficiles, j’ai été repêché.
J’ai fait escale dans des lieux en vogue.
Je suis arrivé à bon port, ou pas.
J’ai tenté de ne pas me noyer dans les informations.
Pour l’instant, peu de choses sont tombées à l’eau.
J’ai évité bien des écueils, et me suis échoué sur d’autres.
J’ai navigué en père peinard.
J’ai ouvert la réunion par un brise-glace.
J’ai tout liquidé, et largué les amarres.
J’ai connu des figures de proues.
J’ai été à fond de câle.
Je suis resté sur le quai.
J’ai tourné à sec, puis ai jeté l’ancre.
J’ai mis les voiles, ou ai pris le large.
J’ai souvent été sur le pont.
Je me suis fait mener en bateau.
J’ai et le vent en poupe.
J’ai fait avec les moyens du bord.
J’ai choisi un bon navigateurs internet.
J’ai été au creux de la vague, dans une mauvaise passe.
Je suis resté au milieu du gué.
J’ai veillé au grain, pour ne pas être un marin d’eau douce, plutôt un vieux loup de mer.
Mon site a été piraté.
J’ai eu de grosses avaries.
J’ai navigué entre deux eaux, parfois en eaux troubles
Je suis resté à flot, écoute au goute à goutte.
J’ai mis le cap sur de nouvelles terres.
J’ai évoté de faire trop de vague, pourtant, ce n’est pas la mer à boire.
J’ai agi à contre-courant, navigué en eaux troubles.
C’est la goutte qui à fait déborder le (la) vase.
J’ai viré de bord.
Je suis passé au large.
J’ai navigué à vue, et à l’ouïe.
J’ai eu une démarche chaloupée.
J’ai été toutes voiles dehors.
J’ai été inondé de bonheur, et de doutes.
Et vogue le navire.
J’ai fait des rencontres où la parole a coulé à flots.
Connu de belles personnes intarissables
La vie n’est pas un long fleuve tranquille
Je dit bon vent à toutes et à tous !

Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Mai 2024 Grenoble

Point d’ouïe, indisciplinarités et entrelacs

L’espace sonore, celui que l’on appelle parfois environnement ou paysage, même si ces dénominations relèvent de réalités sensiblement différentes, est un tissu complexe d’imbrications et d’entrelacements spatio-temporelles. Nœuds, tissages, brisures, complexité, croisements, tout un champ sémantique appelant des pensées, actions et lectures où se tissent autant d’ouvertures que d’incertitudes inhérentes.

L’univers audible est peuplé d’interdépendances, de causalités parfois fugitives, inextricables, souvent difficiles à saisir dans leurs capacités à se transformer, apparaitre et disparaitre rapidement, furtivement, ou violemment.

Une forêt mise en écoute, en écoute consciente, active, profonde, est un exercice qui nous donne à lire un univers sonore complexe, où le végétal, l’animal, l’eau, le vent, l’humain, ses machineries comprises, cohabitent dans une partition qui s’écrit au fil du temps. Parfois se développent des ambiances plutôt ténues, ou au contraire d’une grande densité, en passant par toutes les phases intermédiaires. Un paysage d’accumulations et d’hétérotopies foucaldiennes.

Certaines sonorités se font recouvrantes, le passage d’un avion, d’un quad, masquant tout ou partie d’autres sons, devenant pour un instant hégémonique, envahissant, comme un surplus saturant. Un bruit, une nuisance, voire une pollution en quelque sorte.

À d’autre endroits, ou moments, l’équilibre entre des chants d’oiseaux et celui d’un ruisseau, le vent dans les branchages et le tintement orchestré des clarines de vaches au loin, nous permet de distinguer, voire déterminer, localiser, toutes les sources, y compris les plus mobiles.

Cet équilibre reste souvent fragile, dans un monde où la mécanisation, le mouvement, la vitesse, marquent Le désir humain de s’approprier, si ce n’est de maîtriser ses milieux de vie, avec les conséquences que nous connaissons et mesurons aujourd’hui.

L’approche d’espaces auriculaires nous aident à lire le monde dans (presque) tous ses états, parfois apaisées, et donc apaisants, comme dans ses situations de crises, chaotiques, où les dérèglements climatiques se font entendre, tout comme le bruit des armes. L’oreille saisit, ou subit alors, le chaos, dont nous sommes, nous humains, pas toujours étrangers, voire même souvent entièrement responsables.

Entendre cela, c’est une invitation à écouter dans toute la complexité des ambiances sonores révélatrices.

Œuvrons pour avoir une oreille et une pensée qui saisissent, ou tentent de le faire du mieux que possible, la polyphonie du monde, la diversité de ses voix, avec ses assonances, ses harmonies et ses dissonances.

Au-delà de la métaphore musicale, qui pourrait convier une oreille, en tous cas occidentale, à une notion de plaisir ou de déplaisir, de bien-être, de jouissance, tout comme à des situations stressantes, anxiogènes, à la limite du soutenable, se joue et se déjoue une immense fresque sonore aux entrelacs complexes.

Tenter de les comprendre, de les dénouer, nous poussent à les envisager sous différents jours, différentes approches, scientifiques, sensibles, où l’étude naturaliste côtoiera l’acoustique, les sciences humaines, l’aménagement du territoire, les arts, les sciences de l’éducation, l’action politique, et plus encore si affinités.

Via des approches interdisciplinaires, que j’aime aussi, empruntant aux travaux de Myriam Suchet, aborder sous l’angle de l’indisciplinarité, le chantier de décryptage s’annonce aussi ardu que passionnant.

N’étant forcément pas capable d’apporter des réponses crédibles et a minima fiables dans tous les domaines, tant s’en faut, nous pouvons néanmoins préciser quelques champs de recherches, de pratiques, par exemple dans l’exercice des recherche-action, recherche-création, permettant de frotter des expériences décloisonnantes.

De la lecture de paysages en passant par la requalification urbaine, ou la gestion d’une forêt, l’artiste sonore, via ses approches esthétiques, au sens large du terme, sensibles, poétiques, écoutantes, sera associé à un acousticien, un éco-acousticien, un paysagiste, un sociologue… Tous chercheront à mettre en place des corpus, des langages communs, des outils partagés. Cela en vue de donner une relecture, une « traduction » polyphonique d’un paysage, surtout celui du sonore.

Le mot traduction, littéralement « mené de travers », est sciemment emprunté au domaine littéraire, sémantique. Il s’agit de faire entendre à un maximum, de (re)lire, de façon accessible, un, ou plutôt milieux sonores complexes.

Les traversées indisciplinées, indisciplinaires, proposent des lectures paysagères singulières,élargies, des formes de transpositions, encore un champ sémantique du monde musical. Ces dernières nous offrent de nouvelles approches poético-scientifiques, assumons la potentialité des paradoxes, via des croisements du sensible, de l’affect, et du « démontrable », mesurable, vérifiable.

Cette, ou ces relectures traversantes, ne doivent cependant pas imposer une totale maîtrise des espaces, par des normes ou cadres hyper figés, et au final paupérisants. Empruntons au contraire à Gilles Clément, dans sa pratique du Tiers-paysage, la notion de désemprise, de « non-agir », et à celle de Tiers-espaces d’Hugues Bazin, comme lieux de transformation sociale en mouvement.

Des espaces écoutés qui seront pensés en lieux d’ouverture plutôt que l’imposition de nouveaux carcans sociétaux, nous en vivons suffisamment ces temps-ci pour ne pas reproduire des modèles politiques ouvertement liberticides et cloisonnants.

C’est peut-être aussi, dans un monde emballé, à défaut d’être emballant, une façon de prendre du recul. Pour cela il faut aussi inclure du sensible, prendre le temps d’observer, d’écouter, convoquer des façons de ralentir, ce qui n’est pas simple dans des sociétés mondialisées, mondialisantes, où la productivité, la performance, la compétitivité règnent en maître.

Ces indisciplinarités, dans leurs polysémies, sont donc fortement marquées de process éthiques, politiques, au sens premier du terme, où une certaine philosophie de l’écoute, une écosophie sonore (Roberto Barbanti), ou écoutante, avec des approches liées à une éducation émancipatrice (Mathieu Depoil).

De même, le travail avec un groupe de recherche autour des « Rythmologies » est un creuset qui me permet, via l’approches des rythmes, cadences, flux, scansions, pulsations… de repenser le monde de l’écoute et de la marche comme une action croisant et convoquant de multiples champs.

PePaSon, collectif autour des pédagogies des paysages sonores, est une autre entrée plurisisciplinaire, pour aborder l’écoute, les paysages auriculaires et les pédagogies associées, via des ateliers de marches écoutantes, où artistes, aménageurs, pédagogues, croisent leurs expériences en collant l’oreille à même le terrain.

On ne peut pas ici, faire l’impasse sur la notion de communs. Ce qui nous relie, ce qui est mis en commun, comme des ressources partageables, ce qui est fabriqué ensemble, coconstruit, ce qui fait communauté… L’écoute est une chose, voire une cause commune, partageable, ainsi que tous les paysages sonores qu’elle, que nous construisons grâce à elle. Les droits culturels pointent ainsi, parmi les droits fondamentaux, le fait que chacun, non seulement puisse accéder à la culture, mais aussi y être acteur, ne serait-ce qu’en posant une oreille critique et impliquée sur le monde.

Tout cela constitue, pour moi et d’autres « marcheurs de travers », un vaste chantier en mouvement, au cœur des entrelacs sonores, tout aussi désarçonnant que motivant.

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, le 12 mai 2024 à Amplepuis

Soutenez le projet Desartsonnants ICI

Point d’ouïe en nuit transfigurée

Je pensais, il y a peu
Regagnant tardivement
Ma petite et quiète ville
Toutes lumières éteintes
Vers un minuit sonnant
Que le noir nocturne
Est Oh combien sonore
J’avançais prudemment
Mes pas à l’aveuglette
Sous un ciel très couvert
Un dôme ténébreux
Point de lune éclairante
Je redécouvrais ainsi
Un paysage en strates noircies
Plus épaisses dans la nuit
L’obscurité totale
Immersion fascinante
Et je lance l’écoute
Dans cette intime noir
Un presque rien nocturne
Une non voyance exacerbée
L’obscurité bruissante
Mes pas
Ma respiration
Quelques nocturnes voletant
Des voix, très lointaines
Pas de rumeur ici
De timides émergences
Et c’est très beau
Et j’en écoute encore
En marchant lentement
Puis me pose sur un muret
Les sons se raréfient
Prennent de l’importance
Dans un espace lisible
Comme un grand tableau noir
Un espace acoustique habitable
De mon muret d’écoute
Enveloppé de profondeurs
Sons inscrits dans le noir
Précisant d’obscurs contours
Ceux de la nuit justement
Celle qui porte conseil
A l’oreille noctambule
J’aimerais inviter des gens
Ceux et celles noctambules
Mais les autres eux aussi
A vivre un rituel
D’un espace nocturne
Juste pour écouter
Juste pour faire silence
Entendre les sonnances
D’une nuit chuchotante
Histoire enveloppante
Ambiances ouatée
De nature lascive
Rien ne dort vraiment
Dans d’infimes obscurs
On perçoit moult souffles
Des énergies fluantes
L’invisible ruisseau
Ses coulures si proches
Vibrations ondulantes
La vie qui bat son cours
Envers et contre tout
Ça ouvre des possibles
A l’oreille intrépide
Et à la nuit féconde.

Mars 2024, Amplepuis, écoute installée, aux alentours de minuit

Ode aux sons tant aimés de la vie 

J’aime tant à entendre

le presque silence de la nuit

Les rires d’enfants joueurs

Les tintements et carillons des cloches

Le grondement et clapotis des eaux

Les réverbérations des églises, cathédrales et tunnels

Le réveil des oiseaux

Les cris des fêtes foraines

L’endormissent du soir

L’écho des combes jurassiennes

Les fanfares festives, cuivres, bagads et bandas

Le vent qui fait claquer et grincer tout ce qui lui résiste

La pluie qui tambourine

Les rideaux métalliques qui s’ouvrent et qui se ferment

Les musiciens de rue

Les cornes des bateaux

Les crapauds accoucheurs et grillons d’un soir d’été

Les chuchotements amoureux

Les piétinements d’un bal folk

Le grésillement de plats rissolés

Le frissonnement des pages qu’on tourne

Les grands airs d’opéra

Un troupeau montagnard et ses clarines tintinnabulantes

Un feu d’artifice grésillant et pétaradant

Les voix fragiles de mes parents, et d’autres en mémoire

Les talons faisant sonner l’asphalte ou l’escalier de bois

Les stades aux holas enflammées

Le vent dans les haubans d’un pont sifflant

La poésie déclamée, récitée, hurlée

La cuillère touillant un thé chaud dans un bol de cristal

Les gouttes d’eau après la pluie

Les cris vociférants d’une manifestation

Les pas crissant sur la neige gelée

Le hululement des chouettes noctambules

Les vagues déferlantes et les graviers roulés

Les harangueurs de marchés

Les chants festifs de fin de repas

Des portes claquantes au bout de longs couloirs

Le tintement de verres entrechoqués

Les claquements de skates véloces

Le brouhaha des foules

Les musiques qui swinguent

Les chuchotis secrets

Le ferraillement des trains

Les claquements de drapeaux par grand vent

Les craquements de la glace qui dégèle sur un lac figé

Les crépitements d’un feu

La rumeur de la ville

Les radios par les fenêtres ouvertes

Le grondement du tonnerre en montagne

Les trots et galops des chevaux frénétiques

Les sifflets sur les quai d’une gare

Les séracs qui s’effondrent en fracas

Les fontaines glougloutantes

Les feuilles mortes raclant le sol

Le cliquetis d’un escalier roulant

Le glougloutement d’une fontaine

Les grondements sous le tablier d’un pont métallique

Des talons hauts sur un caillebotis

Le balancement de l’horloge comtoise

La pétaradance d’un bateau de pêche rentrant au port

Les étourneaux stridents dans leurs vols virtuoses

Et tout ce qui sonne en mémoire vive

Les avez-vous entendus ?

Je suis friand des ambiances acoustiques

Amoureux des mille sons qui les révèlent et les font vivre

Captivé par leurs présences fugaces et mouvantes

Faisant entendre la vie qui va…

Écoute quand tu me tiens !

L’écoute suit son cours, ou plutôt ses cours, elle m’y entraine, irrésistiblement.

Elle draine et galvanise mes envies, mes projets, mes chantiers, mes rêves, accompagne mes désillusions aussi…

Elle m’amène de nuit, dans les nocturnes urbains, forestiers, montagnards, et des ailleurs obscurs,

Elle me fait suivre les cours d’eau, entendre la voix des lacs et des rivières, des mers et des étangs, leurs forces et leurs fragilités.

Elle ausculte les interstices, les lisières du dedans/dehors, les écoutes confinées, celles des prisons, centres d’accueil, hôpitaux, des lieux aux publics empêchés. Elle est celle par qui les sons ouvrent des portes, élargissent des chambres et des cellules étroites…

Elle a toujours envie de me faire raconter ce que l’œil ne saurait dire.

Elle me saisit par l’oreille et me prend aux tripes, en auditeur conquis, et complètement accro.

La radio est pour moi un de ses univers, qui charrie mille histoires audibles, où le son est aussi chargé de sens et d’imaginaire que la plus belle littérature, image, danse…

J’ai fait de l’écoute une amie bienveillante, comme une arme absolue, pour contrecarrer la violence du monde, sans me voiler la face, ni me boucher l’oreille.

Et chaque jour, je replonge mon écoute obstinée, entêtée, dans le bouillon de la vie. Chaque jour, je me construis de nouvelles auricularités, en espérant qu’elles voyagent d’oreille en oreille, qu’elle y trouve des résonances et échos.

L’écoute suit son cours, dans un monde bruissonnant, voire parfois beaucoup plus, voire parfois beaucoup trop.

Elle me plonge dans le chaos du monde, souvent sans concessions.

Et quand elle fait défaut, le risque majeur est que le grondement s’amplifie, que la violence s’installe, qu’elle envahisse tout, m’assourdisse impuissant.

L’écoute me donne à entendre les plus belles comme les plus épouvantables choses. J’essaie de faire en sorte qu’elle désamorce un tant soit peu les secondes, à mon oreille défendante.

 Eurythmie et indisciplinarité 

En réfléchissant sur des orientations possibles, issues d’un séminaire autour des « Rythmologies« , je repensais à cette phrase inscrite dans un texte d’intention : Réfléchir à « l’eurythmie », « beauté harmonieuse résultant d’un agencement heureux et équilibré, de lignes, de formes, de gestes ou de sons » définition CNRTL.

Mais aussi à celle-ci  « … y compris pour un séminaire Rythmologies, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie… »

Construire des formes esthétiquement, socialement, éthiquement, équilibrées, notamment via des gestes et des sons. Des gestes liés au monde sonore, des gestes d’écoute, par lesquels les constructions s’amorceront à mon échelle, via des recherches et expérimentations d’un paysagiste sonore, musicien et promeneur écoutant.

Mettre une oreille exercée, aguerrie à l’écoute, au service d’un projet tissé d’interdisciplinarités, est un chantier stimulant.

Arpenter les territoires, les ausculter, en convoquant des approches croisées, des méthodes et processus décloisonnés, c’est faire du terrain, de l’in situ, un laboratoire à l’épreuve   du pragmatisme in discipliné.

J’ai déjà, dans un précédent article, tenter de lister quelques axes de l’indisciplinaire, liés au(x) geste(s) d’écoute(s) et à l’action de marches écoutantes, aux expériences de terrain.

Ils me sont apparus comme évidents. J’en  rappellerai ici quelques uns :

Artistique, esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie, écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère. Préserver des territoires d’un tourisme de masse .

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités, rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores, les sociabilités auriculaires, les croisements quantitatifs/qualitatifs, normatifs/sensibles…

Pluridisciplinarité, indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, arts/action/création, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire…

Ces approches, ces axes, n’étant bien évidemment pas exhaustifs, ni hiérarchisés en termes de de priorité ou d’efficacité. Nombre d’autres eux peuvent se dessiner, s’expérimenter, s’affiner, au fil des écoutes, de leurs formats, objectifs, dispositifs, mobilités, contextes, rythmes et temporalités…

Pour revenir à une recherche eurythmique, qui porte en elle un désir d’équilibre, de stabilité, de beauté, d’harmonie, en réponse à un monde incertain et parfois anxiogène, je remets en question le statut-même  de l’écoute, de la marche écoutante, comme des façons d’être connecté et réactif au monde, aux territoires (co)habités.

L’eurythmie, comme la protopie*, sont des réponses plus positives que celles des utopies ou des dystopies, face à des situations si complexes, qu’elles en sont parfois démotivantes.

Devant ces complexités inquiétantes, il nous faut croiser les savoir-faire, les compétences, les idéaux peut-être, pour ne pas se sentir trop isolé, impuissant, une forme de résistance à construire et consolider sur le terrain.

Marcher, écouter, prendre le temps de faire, dépasse la rêverie d’un Eden potentiel, d’un âge d’or à retrouver, c’est prendre la mesure d’enjeux vitaux, avec leurs possibles comme leurs limites, leurs aménités et leurs difficultés.

Je prendrai ici un exemple pour moi d’actualité. Je m’appuierai ici sur le fait d’écouter le flux et les tourbillons d’un fleuve ou d’un ru, qui me questionne autant sur des équilibres esthétiques, nourriciers, que sur une mémoire toujours en chantier, une existence fragile, frottée à des accélérations de tous bords. Croiser sur ces cheminements aquatiques, liquides, mouvants, des hydrologues, navigateurs, pêcheurs, marcheurs écoutants, riverains, poètes, danseurs… c’est penser une eurythmie portant attention et soin à des territoires fragiles, à des habitants et passants de tous genres.

L’approche rythmologique indisciplinée, eurythmique, autant que faire ce peut, n’apporte pas de réponses parfaites, pas de solutions clé en main. Cependant, elle permet de mutualiser des compétences, affinités, voire militances. Voyons là des projets partagés, qui se renforceront en se frottant les uns aux autres, aux réalités du terrain, comme à celles de l’imaginaire collectif.

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopie-un-futur-plus-desirable-que-l-utopie-et-la-dystopie-reunies

Le corps Son/Silence et entre-deux

Se mettre à l’écoute implique une adhésion maximale du corps, au delà des oreilles, une implication de la tête au pied, dans toute les fibres sensibles mises en sympathie, en syntonisation.
La peau les pieds, les os, comme une caisse multi-résonnante et vibrante.
Le mouvement lent, immergé, situé, convoque une chorégraphie écoutante, créant du mouvement dans une géographie sensible, traçant des architectures et des cartographies sonores.
La pause, le plan fixe, la position assise, allongée, adossée, l’arrêt sur son(s), le point d’ouïe, sont autant de postures développant des antennes sensorielles dans tous les plans de l’espace audio environnant.
Les traversées, les passages dedans/dehors, les sas, les espaces transitoires, orées, lisières, sont franchis, perçus, habités comme de potentielles ouvertures/fermetures, des élargissements/rétrécissements, estompages/amplifications, des filtres audio colorant…
Le corps et le son se font (presque) silences, entités complices, en se fondant dans un espace symbiotique où l’écoutant récepteur est en même temps reçu, écouté à son tour, pris dans un processus d’envois et de d’accueils ondulants.
La nuit, la forêt, la ville crépusculaire, les rives d’un lac aux eaux étales, sont autant d’espaces possibles, où installer, déployer, partager une écoute physiquement et mentalement transcendée.
Entre laisser-aller et immersivité active, lâcher-prise et sensibilité déployée, corps abandonné et conscience développée, entre mouvement et immobilité, sons et silences, mille espaces de balancements, d’oscillations, alternent et se superposent.
La marche, tout comme la contemplation immobile, sont des ouvertures sensibles offertes au corps récepteur et accueillant.
Les interstices entre sons et silences offrent des terrains auriculaires aussi riches que fragiles, où peuvent se construire des écoutes, où toute chose, vivante ou non, est respectable et digne d’intérêt.
Il nous faut sans cesse trouver, expérimenter, les postures le plus en adéquation que possible avec le lieu et le moment, la présence et l’absence.
L’écoute est une façon d’être au monde, ouverte, attentive, critique, positive, stimulée de protopies en chantier, de défis en devenir.

Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

Bien entendre nos pas

Et mes talons qui claquent

Clairs sur  sol gelé

Ils font bruisser les sentes

Amortis automnaux

Tapis aux feuilles mortes

Percevoir mon allure

Me donnent la cadence

M’invitent à ralentir

Ou à presser le pas

La marche s’entend bien

Comme un geste ambulant

Étouffé d’herbe grasse

Ou de neige ouateuse

Réverbérée de gel

Et dalles de marbre lisse

Traversant des séquences

Et jouant des cadences

Aux rythmes indécis

Aux rythmes chaloupés

Métronomes de marche

Testant sols et matières

Bien présents ou discrets

Quand aux pas ceux d’autrui

Ceux des autres allant

On les entend passer

S’approcher à l’oreille

S’éloigner à l’oreille

Différentes allures

Fières ou presqu’effacées

On peut suivre ces pas

Filer le lent flâneur

Pister le promeneur

Talonner l’arpenteur

S’attacher à ses basques

En écoutant marcheur

On se glisse à sa suite

L’oreille au pas à pas

Jeu de l’ouïe lien mobile

Qui infiltre l’espace

Des marcheurs prestes urbains

On avance sonore

On trace mouvements

On écrit des parcours

On les marque ambulant

Groupe bruissant des pieds

Traversant la forêt

Les pavés résonnants

Bien entendre nos pas

Ceux des autres aussi

se sentir piéton

Geste ambulant liant

Aux pas (dé)concertants

La vie qui est en marche

Et que l’oreille entend

Et qui nous tient vivants.

L’oreille écoute, du tâtonnement à l’écriture sonore paysagère 

Tout d’abord, l’oreille tâtonne, hésite, essaie, comme le doigt d’un musicien qui cherche l’endroit exact, la bonne touche sur les cordes d’un violon, pour « jouer juste ». Ici elle chercherait à écouter juste, plus avant que de juste écouter.

Il lui faut prendre ses marques, ses repères, se positionner au meilleur endroit que possible, de la façon la plus adaptée, à des moments opportuns… Trouver le Kairos Auditus.

Exercice qu’elle refera dans chaque nouveau site mis en écoute, comme le musicien, ou l’orchestre, le groupe, aura à « faire son son » par rapport à l’acoustique des lieux où il se produira.

Ses repères pris, elle pourra alors commencer à jouer, à composer avec les sons du lieu, les faire paysage(s), les agencer, mentalement ou à l’aide d’outils numériques, objets, instruments… Peut-être parfois en les marchant, en les arpentant, en sentant les agencements « naturels », accidentels, ponctuels, ou ceux que l’on pourrait écrire pour faire sonner de nouveaux espaces musicaux, acoustiques, virtuels ou physiques…

Entre flux, cadences et rythmiques, celles où le vent, la pluie, l’orage, les animaux, et le pas du marcheur, les ambiances urbaines, participeront à faire naître, reconnaître, l’oreille commencera à percevoir, et à concevoir des séquences (quasi) musicales

Le travail de paysagiste sonore est alors en marche, sur le terrain, en studio, dans des espaces de diffusion, d’installation dedans/dehors…

L’écriture, la (re)composition, dont l’oreille sera la principale artisane, maitre d’œuvre, là ou le paysagiste sonore prendra du plaisir, tant dans le geste d’écoute, que dans l’action créative qui s’en suivra, ou l’accompagnera in situ.

Le premier plaisir sera sans doute celle d’entendre, de réentendre, d’écouter le monde à sa façon. Le second naîtra du fait de partager l’expérience sonore avec des promeneurs écoutants, auditeurs, voire co-créateurs de paysages sonores en chantier.

Eaux courantes hivernales

L’hiver s’est installé

Il papillonne rude

Du duvet blanc flottant

Et des flocons fondants

Sur la peau chair de poule

Deux mois qu’il pleut beaucoup

Et voilà qu’il poudroie

Et voila qu’il blanchoit

Enfin l’hiver inonde

Et le ruisseau qui gronde

Il se fait écumant

Il se fait bouillonnant

Il se fait chuintant

Petit ru estival

Quasi torrentueux

Quand l’hiver s’installe

Je le suis de l’oreille

Il sillonne sonore

Gauche et droite dévale

Sillon traçant audible

Mon quartier qui s’entend

Par son ruisseau fluant

Je remonte son cours

Oreille droite inondée

Je redescends son cours

Oreille gauche inondée

Je le domine aussi

Passerelle enjambante

Aux lattes verglacées

Surplombant le ruisseau

Stéréo de deux eaux

Équilibre liquide

Aspergence glissante

Après des prés gelées

Des collines blanchies

Le voici citadin

Et caressant les murs

Pans guidant escarpés

Il passe sous la place

Coupure silencieuse

Il ressort du tunnel

En se faisant entendre

Il s’écoule fébrile

Après des temps arides

Il ruisselle à tout va

Impétueux liquide

Il m’abreuve l’oreille

Qui l’a connu si triste

Muet d’assèchement

Tari dans le silence

Il faut rester à flot

Se couler dans l’hiver

Écoutant fasciné

Au fil des eaux courantes.

Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante«  En suivant le Rançonnet (Amplepuis – Rhône)

Mais que fait donc l’oreille ?

Mais que fait donc l’oreille, si ce n’est trainer les rues et errer le long des berges.
Elle s’encanaille et se saoule de sons, parfois jusqu’à plus soif.
Elle s’enivre à bon compte, de grandes rasades chantées, hurlées, ou chuchotées.
Elle tend l’oreille, offerte comme une coupe pétillante de breuvages toniques, autant que soniques.
Parfois, elle se laisse aller dans le creux de vallées bourdonnantes, de forêts frissonnantes.
D’autres fois, elle noie sa solitude dans le souvenir des villes aux rumeurs nostalgiques, qu’elle a quitté un jour.
Il lui arrive de ne plus supporter les violences qui explosent le monde, massacrant impunément des milliers de vies, sacrifiées à l’autel d’une folie destructrice.
Elle peut aussi s’émerveiller d’une musique échappée par la fenêtre ouverte un soir d’été, comme des sons d’un cloche carillonnant nuit tombante, ou du frôlement soyeux, quasi imperceptible des pipistrelles aux chasses noctambules.
L’oreille jauge l’espace comme une architecture sonique, insaisissable, qui ne cesse de modifier ses formes et ses volumes.
Elle se repaît de réverbérations et d’échos bondissant de murs en parois, de falaises en collines.
Elle rêve à des paysages sonores qui la maintiennent à l’écoute, sans être trop sonnée par des tsunamis cacophoniques, d’assourdissants vacarmes.
Elle suit des chemins bruissonniers, s’abandonnant aux ambiances fugaces, aux immersions fragiles.
L’oreille esseulée cherche parfois la compagnie d’autres promeneurs écoutants, partageant des récits à fleur de tympans, des histoires racontant le monde, ou l’inventant avec la liberté des conteurs brodeurs prolixes.
Elle nous entraine dans l’intimité frémissante de ses colimaçons ciliés, où viennent se lover les infinies écoutes, à perte d’oreille.
Son sens aux aguets, à l’affût de la moindre vibration, nous relie, pour le meilleur et pour le pire, à un monde qui peut nous réjouir autant que nous anéantir.
On dit qu’elle n’a pas de paupière, mais fort heureusement que si, à sa façon. Elle nous cache des choses, en amortit d’autres, et en efface jusque dans nos mémoires douloureuses.
Souvent néanmoins, l’oreille reste à l’écoute, porte attention, fait attention, prend soin d’entendre la vie ambiante, dans toute la complexité de ses rumeurs imbriquées, de ses dits et non-dits, de ses amours et trahisons.
Au creux de l’oreille, l’amitié peut se fortifier de secrets partagés, loin des vindictes hurlées, des bombes assassines, qui pourtant ne cessent d’éclabousser rageusement la vie de leurs vacarmes meurtriers.
Si l’oreille prend plaisir au clapotis du ruisseau, aux trilles du rossignol, elle n’échappe pas pour autant, au bruit et à la fureur du monde.
Trouver un fragile équilibre entre une forme d’harmonie vers un monde entendable, et l’insoutenable cacophonie qui le secoue sans cesse, est un exercice Oh combien difficile, mais vital.

Tempi et rythmes de paysages sonores en points d’ouïe 

« Tout est rythme. Comprendre la beauté, c’est parvenir à faire coïncider son rythme propre avec celui de la nature. Chaque chose, chaque être a une indication particulière. Il porte en lui son chant. Il faut être en accord avec lui jusqu’à se confondre ». JMG Le Clezio

Lorsque l’on décide d’installer une écoute en point d’ouïe, c’est à dire comme on placerait une caméra sur une scène paysagère en plan fixe, on va aborder l’écoute non pas en imposant notre rythme, notre cadence, notre allure, vitesse de déambulation, mais en laissant aux lieux le soin de nous révéler leurs propres rythmicités.

Notre corps n’aura de prises sur le paysage en écoute que celles, statiques, de nos oreilles tendues.

Nous ne composerons pas en marchant, en mixant des fragments audio-paysagers pour les assembler dans une histoire en mouvement, impulsée et écrite par nos élans corporels, mais laisseront s’agencer les sons au gré de leur apparitions/disparitions, de leurs propres mouvements, dans l’espace/temps scruté.

Des passants, des coups de vents, des voitures, chants d’oiseaux… feront que la scène sonore s’offrira à 360°, comme un improbable scénario construit sur une trame où les aléas acoustiques, les reliences et interactions auriculaires ne demanderont plus qu’à être entendues en l’état. Ou presque.

Le choix du lieu, du moment, de la-posture physique, et même du degré d’attention portée, influenceront incontestablement notre perception, et donc la façon d’entendre les sources qui se dérouleront à nos oreilles, leurs degrés de présence, d’intensité, la précision de leurs contours acoustiques…

Des rythmes se feront alors entendre, donnant aux lieux des caractères dynamiques singulières, dans leurs répétitions, superpositions, densités, enchainements…

Une place passante, en centre ville, à midi, un jour de printemps ensoleillé, ne fera pas entendre ni les mêmes sources sonores, ni les mêmes rythmes qu’une forêts en hiver, ou une plage maritime un jour de tempête.

Se poster comme une sentinelle écoutante, laissant venir à elle les sonorités environnementales, sans chercher à en modifier le cours, est une façon de sentir le, ou les rythmes des choses qui se présentent à nos oreilles guetteuses.

Rythmes ponctuels, une sortie de cour d’école, une manifestation de rue, une sirène d’alarme, ou rythmes flux, des voitures, un vent fort, rythmes alternés, des groupes successifs de passants qui déambulent en discutant, autant de cellules rythmiques fragmentaires, qui donneront dans leur ensemble, une signature dynamique au lieu. Concert de villes ou de forêts, de déserts ou de d’océans…

Rythmes apaisés, trépidants, effrénés, atmosphères calmes, festives, autant de formes de tempi qui animeront l’espace, en même temps que la perception auditive d’un point d’ouïe donné à entendre à un certain moment.

Ces rythmes participeront eux-mêmes à la construction, à la caractérisation de paysages sonores, de même qu’à leurs ressentis, de la douceur à des formes de violences physiques, que nous pourrons éprouver, voire qui nous éprouveront dans l’exercice de l’écoute.

Là où l’expérience d’écoute rythmique devient plus intéressante, c’est lorsque nous multiplions les points d’ouïe, en les écoutant à différentes heures du jour et de la nuit, à différentes saisons…

Des scènes sonores caractéristiques à la fois récurrentes et singulières se dessinent.

Des topologies rythmiques, intrinsèques à certains lieux, un port de pêche, un chantier d’extraction minière, une rue piétonne commerçante, une médina africaine, font entendre des rythmicités qui les qualifient, et nous les font reconnaître, une fois que nous avons pris le temps de les entendre dans leur spécificités.

Certes des accidents, des imprévus, peuvent venir faire des breaks, cassures et césures acoustiques, accidents imprévisibles, advenant régulièrement pour chahuter des rythmes « du quotidien », les faire sortir de leurs habitus auditifs, ou perçus en tous cas comme tels. Une grève générale, une tempête, un conflit, autant d’ »accidents » qui perturbent parfois violemment les rythmes, ceux-là même qui pourtant nous semblaient presque immuables, inscrits dans la durée.  Ces cassures secouent notre confort d’écoute, qui doit alors trouver de nouveaux repères, et d’autre fois quitter une scène d’écoute devenue trop « agitée », ou in-sécurisée.

Parfois, par des formes de résilience, les rythmes « naturels » des lieux, perçus comme des repères plus sécurisants, reprennent, plus ou moins rapidement, à l’identique ou avec de nouvelles variantes, des formes audio-paysagères stables, ou moins incertaines.

L’habitude de tendre l’oreille dans de multiples lieux donne à cette dernière une acuité à se reconnaître dans des ambiances rythmiques déjà plus ou moins éprouvées, tout en gardant la possibilité d’être surprisse, étonnée, ravie ou dérangée, si ce n’est malmenée. Dans des typologies de géographies acoustiques repérables, qui offriraient des sortes de modèles rythmiques quasi universaux, l’écoute de points d’ouïe peut toujours nous désarçonner, ou apporter son lot de dépaysements, tels la première fois que l’on se pose dans une grande ville africaine, ou dans une forêt équatoriale. Il nous faut apprendre à apprivoiser de nouveaux rythmes, de nouvelles couleurs sonores, parfois au prix d’expériences plus ou moins confortables.

Les tempi de scènes d’écoute sont sans cesse fluctuants, au fil des jours et des nuits, offrant une infinité de variations, notamment rythmiques, à l’écoutant qui fait l’effort de prêter aux lieux une oreille attentive, et quelque part aux aguets.

Le monde devient un vaste chantier rythmique à l’écoute, et cette dernière se construit sur des rythmes complexes, pour fabriquer des sortes d’architectures sonores où on peut se trouver des repères vivables et entendables, rythmiquement soutenables.

La notion de point d’ouïe, d’observatoire sonore, ou d’« écoutoir » ponctuel, ou dans une durée plus pérenne, parfois itinérant, nomades, est donc, dans une approche rythmique, un processus d’écoute  parmi d’autres. Certes, il opère via modalités variables, et milles variations possibles qui permettent de poser des expériences d’écoute significatives.

Entendre, et par-delà, tenter de comprendre les tempi du monde, y compris sur des micros scènes auriculaires, quitte à ralentir pour mieux le faire, à prendre le temps de s’arrêter suffisamment sur un point d’ouïe, permet des lectures et écritures acoustiques qui nous font nous sentir impliqués dans l’immense polyrythmie, parfois déconcertante, du monde à portée d’écoute.

 En annexe, ébauche de corpus sémantique en chantier « tempi et écoute(s) »

accentuation

accident

accélération

allongement

allure

alternance

aléa

arrêt

arythmie

balancement

bascule

battement

battue

bercement

binaire

biorythme

break

bribe

brièveté

cadence

calme

cassure

choc

chronicité

chronologie

chute

Concomitance

continuité

contretemps

coup

couplage

course

cri

célérité

danse

densité

disparition

durée

dynamique

débit

déflagration

échelle

écho

éclat

emballement

endormissement

entrechoc

espace (temporel)

étirement

eurythmie

explosion

extinction

faux rythme

flux

fondu

fragment

frappé

frein

frénésie

groupe

immobilisme

interaction

intervalle (de temps)

irrégularité

isorythmie

itération

lenteur

longueur,

marche

marée

mesure

miroir

mixage

mouvement

métrique

métronomie

nombre

oscillation

pause

perception

percussion

permanence

phénomène

polyrythmie

ponctualité

ponctuation

pouls

proportion

prosodie

pulsation

pulsion

période

quotidien

ralentissement

raréfaction

rebondissement

reflux

relâchement

remous

respiration

ressentis

rupture

rythme

récitatif

régularité

régularité

répartition

saison

scansion

souffle

succession

superposition

swing

synchronisme

syncope

tambourinage

tapotement

tempo

temporalité

trille

tremblement

troubles (rythmiques)

variation

vibration

vitesse

L’oreille en marche et la marche écoutante

Pour moi, marcher, c’est un peu comme écouter.
Et inversement, écouter, c’est un peu comme marcher.
Mettre les oreilles et les pieds en branle, en phase, chacun et chacune reliés, de haut en bas, de bas en haut.
Connectés par des gestes concomitants autant que résonants.
Là où l’oreille se tend, se dirigent les pas.
Là où les pas s’aventurent, se tendent les oreilles.
Parfois, la marche devançant l’écoute, parfois l’écoute guidant la déambulation.
Deux complices qui, sans forcément se concerter, mais néanmoins de concert, vont explorer les reliefs des sols bien tangibles, et ceux du monde sonore éthéré.
Lesquels des pieds et des oreilles prendront l’initiative ?
Sans doute les deux, parfois en alternance, parfois copains copines, parfois en discordance.
Les trames sonores se suivent, au pas à pas, comme des coulées attirant nos écoutilles toutes ouïe.
L’oreille en colimaçon, comme des chemins de ronde spiralés, s’enroulant et se déroulant.
Ces gestes et postures, à l’affut de sensations à fleur de pieds et de tympans, sont garant d’explorations toniques et multiples.
On cherche la surprise au détour du chemin bruissonnant, ou du belvédère surplombant en point d’ouïe, la ville basse.
On ose se perdre, autant par les foulées vagabondes, que par les oreilles libertaires.
On s’indiscipline au gré des marches écoutantes, comme via des écoutes déambulantes.
De la plante du pied foulant le gravier crissant, à la membrane vibrante du tympan, qui réceptionne mille infos auriculo-sensorielles, se jouent des immersions ludiques.
Le corps vertical, d’oreille en pied, nous fait ouïr curieusement le monde.
L’écoute marchée embrasse large, en vastes panoramas acoustiques, ou en focales micro-soniques, du bruissement d’une brindille à la tourmente orageuse.
La marche écoutante est un terrain de jeu aussi physique que sensoriel, à corps ouvert, vers tous les sons ambiants.
Et le plaisir de « marchécouter » s’affirme au fil des chantiers et expériences auriculaires.
Entendre, c’est un peu mieux comprendre, et ce chemin faisant, au gré des signaux sonores nous racontant des histoires au creux de l’oreille.
L’interaction de pied en cap nous ouvre des horizons où les récits seront tissées de sons.
Le monde à portée d’oreille, arpenté sans relâche, écouté tout autant, donne du sens à la vie.
Ou peut-être, plus modestement, la rend un peu plus désirable, plus écoutable.
Le bon entendement nous relie à la complexité du monde.

Réflexion autour d’un PAS – Parcours audio sensible Desartsonnants

Fragment sonore N°1

Au creux
À l’intime
À l’abri fragile
A mon oreille indocile
Des branchages se frôlent
Automne finissant
Ils crissent à mi-voix
Saluent les froidures
La pluie goutte à gouttante
Prolongements ligneux
Ils ont cessé de croitre
Aux chaleurs manquantes
Mais ils parlent encore
En frôlements furtifs
Qu’il faut tendre l’oreille
Pour croire percevoir
Leurs infra presque rien
Caresses tympaniques
Apre brise ténue
Rameaux défeuillés
Crissements râpeux
Que la bise révèle
Pré-engourdissement
D’un hiver refuge
Où s’assoupit l’oreille
Hibernation sonore
Les branchages taiseux
Faisant croire au silence
Utopie acoustique
Le fragment persiste
Un infime grésil
Au plus creux de l’écout

Performances (sonores) en mode doux

En France, la performance, dans le travail comme dans le sport, et ailleurs, constitue à être le plus compétitif que possible. Compétition, rentabilité, productibilité, efficacité, une performance nous pousse à être le meilleur que possible, si ce n’est à rechercher la meilleure place, en haut du podium, de l’échelle sociale, train de vie associé…
Dans le secteur artistique, le mot, ou le genre performance, évoque pour beaucoup un acte, souvent corporel, dans des lieux pas forcément dédiés à la création et représentation artistiques, qui tendrait au dépassement (physique), parfois à un body art flirtant avec les extrêmes, les limites…
les perforateurs et performeuses parlent parfois d’art-action, là où le geste, le mouvement, et donc l’action, généralement physique, sont au cœur du processus créatif.
Performer serait donc souvent se dépasser, chercher ses limites (et parfois celles du public).
En anglais, performer – to perform – c’est d’abord et avant tout jouer, interpréter une pièce musicale, théâtrale… même de facture « classique », pas forcément contemporaine.
Ici, le verbe élargit et assouplit le geste, le rend sans doute plus accessible, moins radical, même si des formes de compétition virtuoses sont encore présentes dans le jeu et l’interprétation.
Notre monde ultra libéral recherche sans cesse, vie des performances, la productivité, plaçant cette dernière comme un moteur social et économique au-dessus de tout, hautement performant, avec des rythmes imposés bien (trop) souvent au dépend du bien-être des gens. Cette sacro-sainte performativité/rentabilité/productivité, n’hésite d’ailleurs pas à détruire, en toute connaissance de cause, les écosystèmes dont notre propre existence et survie dépendent.
Pour moi, si j’avais à rechercher des gestes et postures qui se revendiqueraient d’actions performatives, je rechercherais plutôt la lenteur, le silence – la non production sonore – le ralentissement, la sobriété, au risque de passer inaperçu, ou inentendu.
La balade sonore pratiquée dans ces formes de dépouillements, via des dispositifs a minima, la volontaire économie de gestes et de moyens, le fait d’installer l’écoute plutôt que les sons, ne constituent pas pour autant une contre-performance, tant s’en faut.
Il faut parfois trouver des renoncements à ce qui peut nous sembler grisant, la vitesse, la technologie, le spectaculaire, et je dis bien renoncer, se passer de, et non pas appauvrir nos actions, pour que notre performance soit en accord avec nos espoirs, et quelque part nos militances éthiques. Ce n’est pas toujours aussi facile qu’il n’y parait de prime abord.
Dans l’idéal, je tente d’épurer mon projet pour en faire un acte avec une réelle éthique, partageable et efficiente.
Cela m’amène vers une performance sobre, ce qui en soit n’est pas antinomique, mais au contraire peut pousser vers une forme de radicalité, y compris dans des postures d’apaisement, de ralentissement, de non violence.

Voir : Soundwalks with minimal performances

Lames sensibles, une approche auriculaire des bords de mers  et autres plages sonores 

Je me pose sur une plage déserte…

Bordée de sable à perte de vue.

Mer au loin, temps de basse marée.

Les mouettes, toujours elles, ricanent bruyamment en picorant d’invisibles insectes.

Des sternes piaillent aussi à qui mieux mieux.

Retour progressif de la mer, marée montante.

L’eau s’étale en faisant crisser le sable.

Temps calme et légèrement bruissonnant.

Un autre jour, ailleurs, sur une jetée.

Le vent s’en donne à cœur joie, sans jamais s’essouffler.

Les vagues fouettent les murs de pierre, s’y enroulent, retombent, et recommencent, inlassables.

Le fracas ambiant couvre toute tentative de paroles, ou bien il faut hurler.

Le spectacle est impressionnant, fatiguant à l’écoute, un trop puissant bruit blanc nous réduit au silence.Les éléments nous montent nos propres limites

Autre part, autre moment, autre topographie.

Cette fois-ci, une très haute falaise vient empêcher les vagues.

Rageuses, elle l’érodent sans relâche, bouillonnantes et entêtées.

Et le monstre-falaise s’écroule petit à petit, reculant sans cesse devant l’assaut des lames répétées. Bruits d’avalanches pierreuses, la craie s’éboule inexorablement, jusqu’à menacer des bâtiments qui se reculent prudemment.

En temps calme, les petits galets roulés chantent comme des lithophones aquatiques.

La falaise se fait mur amplificateur, gardant les sons au plus proche de l’écoute excitée

Je ne me lasse pas de ces délicats entrechocs cristallins.

Celles et ceux qui ont déjà prêté l’oreille à ces bruissements itératifs sauront de quoi je parle.

Les mots parfois sont patinés de sons résurgents. Il suffit de dire pour donner à entendre. Raconter une ambiance marine, si ténue soit-elle, comme un récit au fil de l’eau.

Retour aux rivages.

De gros bateaux naviguent au loin, images silencieuses.

Une embarcation de pêcheurs rentre à bon port, pétaradante.

Des chaînes qu’on jette, arrimage joyeux, des caisses de poissons jetées à quai, des cliquettements de gréments tangués, la vie se déroule à portée d’oreille, habituelle pour certains, dépaysante pour d’autres, pour moi en tous cas.…

J’arpente les quais pour avoir l’oreille marine, l’immersion est ici intrinsèque.

Je foule les plages où le pied fait chanter les galets.

J’ouvre une fenêtre pour entendre la rumeur entêtante d’une mer venteuse.

L’oreille m’entraine au large. L’imaginaire joue le jeu des esprits marins convoqués.

Les vagues toujours, s’enroulent et se déroulent, plus ou moins furieuses sous les rafales.

Parfois même, la mer murmure.Lames sensibles…

Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante« 

Arts de l’écoute, arts écosophiques ?

Les rapports de l’art et de l’environnement, vers l’écologie, voire l’écosophie, écosophie sonore* entre autres, ne sont pas toujours très nets, c’est le moins qu’on puisse dire. Nombre d’articles écrits à ce sujet restent sur des approches assez théoriques, conceptuels, et ne nous permettent pas vraiment de comprendre les intrications, si intrications il y a, entre une création artistique et une pensée/action écologique, si ce n’est écosophique.

L’œuvre qui prend naissance dans un milieu particulier, s’en inspire, le magnifie, le protège, nous alerte sur ses fragilités, nous invite à le regarder, l’écouter autrement, à en admirer ses beautés, ses côtés obscurs, disgracieux, ou à y porter tout simplement attention… En soi un vaste programme.

De la création in situ à la représentation esthétique, symbolique, hors-lieu, en passant par des gestes performatifs, danses, marches, body-art, art action… Les champs créatifs susceptibles de tisser des liens entre des territoires urbains, liquides, montagnards, maritimes, et une écosophie de terrain… sont nombreux et parfois bien difficiles à cerner, à approcher.

Des modes de création conceptuels, qui sont légions, parleront aux férus d’art « contemporain », et laisseront sur la touche un public nombreux, non averti, ou a minima « éduqué ».

Certaines niches culturelles vont explorer, voire exploiter à satiété, des approches écolo-monstratives dans l’air du temps, fût-il de plus en plus pollué, voire vicié.

Le greenwashing est bel et bien l’apanage de nombreuses firmes et institutions, tentant de faire oublier leurs abominables méfaits et écocides en série. Certains « artistes » y adhèrent en parfaite connaissance de cause. A chacun son éthique, et son sens du profit à tout prix.

La patte de l’artiste devrait pourtant aider à élargir nos points de vue, d’ouïe, nos façons de comprendre des lieux, du vivant, des éléments, en sortant des sentiers battus. Mais aujourd’hui, les sentiers sont tellement battus et rebattus, les média nombreux et prolixes, pas toujours très objectifs, que l’écart n’est pas toujours facile. Et qui plus est, tout cela sans perdre le visiteur dans les tarabiscotages d’un verbiage ampoulé, ou la quasi nudité d’espaces de monstration aux concepts plus austères qu’un ouvrage de philologie en grec ancien.

Le message (sonore) écologique doit rester déchiffrable, ce qui est loin d’être toujours le cas. Que l’on parle environnement, éthique, politique, économie, biologie, l’artiste, dans le meilleur des cas en complicité avec un chercheur, un aménageur, un économiste, a un rôle de passeur. Il lui faut être celui ou celle qui trouvera les mots, les sons, les formes, les gestes, les parcours, les plus à même de satisfaire la curiosité des visiteurs auditeurs. Et là encore, la tâche est plus ardue qu’il n’y parait de prime abord.

Il lui faudra être celui ou celle qui parfois fait rêver, opère un pas de côté, parfois met en garde ou pointe le doigt ou l’oreille là où ça frictionne, là où on peut construire de nouveaux récits pro-éthiques.

A l’heure où l’éco-anxiété gagne du terrain, ni le catastrophisme spectaculaire, ni le défaitisme morbide, pas plus que l’utopie triomphante, ne constituent des approches idéales ou même satisfaisantes. Il ne s’agit pas de prêcher une écologie moralisante et accablante, accusatrice et donneuse de leçons, ou pire, de nier la réalité des faits.

L’artiste qui se mesure au moulins des grands lobbys, en Don Quichotte désespéré, doit commencer à trouver sa place, ses chemins, outils, si modestes fussent-ils, pour défricher des chemins de traverse, quitte à accepter certains renoncements, ralentissements, ou se défaire d’illusions glorieuses, remettre en question ses propres pratiques.

Sans viser un grandiose art universel salvateur, les petites gestes mis bout à bout, effet colibri, sont importants, dans l’ensemble des champs artistiques. Il faudrait d’ailleurs avancer « à travers champs », en hybridant, décloisonnant, indisciplinant autant que puisse se faire nos compétences.

En matière de petits gestes, par exemple, travailler sur une cuisine où chacun peut inventer sa façon de manger sainement, sans engraisser les géants de l’agro-alimentaire qui empoisonnent sans vergogne, est une possibilité parmi tant d’autres. Une écosophie nourricière pragmatique et partageable, de proximité. La transmission orale et gestuelle de savoir-faire, les ateliers de terrain, sont ici les leviers d’une écosophie participative et partagée.

De même, les artistes designers rudologistes*** qui explorent des façons de créer, de construire, où le recyclage, le réemploi et le déchet sont roi.

Se promener en forêt, au bord d’un lac, au centre d’une mégalopole, dans des sentiers montagneux, tout en étant attentif aux ambiances sonores, aux mille récits auriculaires d’un lieu, est une autre façon de nous raccorder, ou de nous maintenir en accord avec le monde. Même si là encore, tout n’est pas rose, ni vert du reste, au royaume des sens.

L’art d’une écoute écologique, et qui plus est écosophique n’est pas un simple effet de langage, un vague discours ou une vision conceptuellement abstraite. Il est engagement physique, intellectuel et factuel, concrétisé en actions pragmatiques sur le terrain. Hélas, dans une société libérale où la représentation et le profit priment régulièrement sur l’action éthique, nous en sommes encore bien loin.

Envisager des formes d’actions engagées pour un mieux-vivre, dans une époque turbulente et violente, entre arts sonores et arts environnementaux, écologie et création sonore (y compris silencieuse), me pousse à réfléchir et expérimenter une écologie/écosophie de l’écoute. Cette dernière étant pour moi un embrayeur d’actions des plus pragmatiques et efficientes que possible. Écouter pour sensibiliser, informer, renseigner, apprendre, partager, agir de concert… même modestement, à l’échelle d’un quartier, d’un village, d’une forêt, avec les moyens et les énergies du bord.

Dans le monde du sonore, du paysage à portée d ‘oreille, des ambiances auriculaires abordées par le prisme d’une écosophie sonore, dans la façon d’entendre, d’écouter, d’agir, beaucoup de choses, de postures, de militance, de gestes restent à inventer.

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Écosophie
**Les sonorités du monde, de l’écologie à l’écosophie – Roberto Barbanti

*** Les déchets, métamorphoses et arts de déchoir – Hélène Houdayer

Quelques autres sources et ressources

Forêt de micros pour champs de boue – Jean Philippe Renoult

Field recording et arts sonores, tendrez les micro, un geste artistique

Field recording, un art écolo ?

Décor sonore – Écologie sonore

Des pratiques d’artistes et de chercheuses en écologie sonore

Écologie sonore de Murray Schafer – Émission Radio France Inter

Expériences et récits d’écoutes en marche

La marche écoutante, le PAS – Parcours Audio Sensible, sont des pratiques pour moi assez courantes, depuis de nombreuses années
Dans des lieux très différents, été comme hiver, de jour et de nuit, avec des publics variés, des axes thématiques parfois, nous avons arpenté nombre de sites, tous singuliers dans leurs écoutes.
Aujourd’hui, je me pose régulièrement la question de savoir ce que ces pratiques de terrain nous font vivre, ce qu’elles nous racontent, au delà des gestes audio-déambulant ?

Marcher et écouter, et vice versa, c’est expérimenter des espaces-temps d’écoute in situ, et c’est aussi entendre ce que les milieux traversés, arpentés, auscultés, nous racontent, au creux de l’oreille. Histoires qui nous sautent aux oreilles, ou bien en filigranes, ténues, à déchiffrer patiemment.
L’expérience est kinesthésique, en mouvement, les pieds et le corps reliés au sol, à l’air ambiant. Le geste de l’écoutant l’immerge dans une scène auriculaire environnante, embrassant un volume audible comme une architecture d’écoute quasi tangible.
L’expérience est aussi haptique, on touche au plus près la matière sonore, ou l’objet sonnant, en ressentant physiquement des vibrations à fleur de peau, de tympan.
Nous vivons ainsi des traversées peuplées d’une multitude de sons, d’enchevêtrements complexes et mouvants, qui peuvent désarçonner notre écoute, voire notre approche sensible dans sa globalité.
Faire un PAS vers, et dans le sonore, nous met en résonance avec un monde vibratoire excitant.
Nous sommes dans du vivant, du corporel, du charnel, proche de la danse comme un geste performatif, a minima, connecté au sol, à l’air, aux innombrables vibrations dynamiques, reliés à la terre, l’eau, l’air, le vivant bruissant…
Nous traversons des espaces résonants, des volumes sonores habités, des ambiances auriculaires, comme une série de peaux ultra sensibles, tendues pour vibrer sympathiquement, nous faire vibrer au plus profond de nous-même.
Le paysage auditif nait de cette confrontation au corps à corps, corps sonore est corps écoutant.
Nous sommes une enveloppe corporelle réceptive, baignée d’ondes fluantes autant que fluctuantes.
La cloche, le vent, le ressac, le cri enfantin, le cours d’eau voisin, tout nous parle, nous interpelle, pour peu que nous prêtions l’oreille.
Un récit se fait jour. Ou plutôt une infinité de récits enchâssés, nous contant des mondes sonores capricieux, instables, furtifs, et pourtant si fascinants.
Des récits informatifs qui nous renseignent sur notre présence dans un milieu que nous tentons d’apprivoiser, y compris par l’oreille, dans lequel nous vivons, ou que nous découvrons. Qui nous renseignent aussi sur les milles et unes traces du vivant, au sens large du terme, de notre cohabitation, souvent complexe et difficile, pour ne pas dire plus, avec les éléments, les milieux, le monde.
L’aventure est à portée d’oreille, de corps. Elle n’est pas toujours spectaculaire, souvent intime, fragmentaire et fragile.

Le récit peut-être mémoriel, tel celui qui fait ressurgir des scènes auriculaires parfois enfouies dans les profondeurs, les strates de notre mémoire, et qu’un son, ou la vue d’une cheminée d’usine, ravivent avec parfois une intensité troublante.
Un récit souvent fictionnel, où les sons peuvent évoquer, inviter, mille monstres, légendes et histoires tapis dans les recoins de notre imaginaire fécond.
Un récit également frictionnel, entremêlant le vécu et la fiction, le passé et le présent, comme ce qui pourrait advenir, pour le meilleur et pour le pire.
Marcher et écouter, s’est s’exposer de bonne grâce, à une plongée sensori-motrice, dans un territoire aussi physique qu’immatériel, en même temps que de laisser surgir des histoires sonores, parfois plus improbables les unes que les autres.

J’ai récemment pratiqué des parcours d’écoute avec des personnes dans des milieux qui m’ont fait côtoyer des modes de vie contraintes, pour différentes raisons. Handicap psycho-moteurs, maladie, enfermement carcéral, des lieux de vie où les sens, et tout particulièrement l’ouïe, développent des modes d’appréhension de l’environnement que le commun des mortels, dans sa vie quotidienne, est à mille lieux d’imaginer. Des récits en naissent, dépaysants, désarçonnants, qui nous font faire un pas de côté dans le train-train de nos routines. Nouvelles expériences, nouveaux récits, qui font qu’après, rien ne sera plus jamais comme avant pour qui a vécu ces temps forts. Marcher et écouter les coursives d’une prison, puis la montagne, avec des détenus permissionnaires, explorer une forêt avec de jeunes autistes, un hôpital psychiatrique avec des étudiants en musique et des patients, une ville avec des aveugles… Autant d’expériences fortes, qui ouvrent des portes vers de nouveaux gestes, ressentis, et imaginaires.

L’expérience de la « marchécoute » engage aussi une éthique du soutenable, une lenteur et un silence assumés, une volonté de ralentir le geste, de porter une écoute consciente vers les fragilités des espaces acoustiques traversés, de leurs écosystèmes sensibles, à l’équilibre instable et incertain. Elle convoque également une prise de conscience, celle par exemple de la disparition définitive de moult sonorités du vivant, comme des signes flagrants d’effondrements rapides, plus qu’inquiétants.
Les expériences, tout comme les récits intrinsèques, superposent et alternent des moments de jouissances sensorielles, de plaisir, à des récits oscillant entre le constat d’une succession de crises que l’oreille peut capter, et une protopie pragmatique. L’entendement d’un monde (plus) désirable se profile, la marche et l’écoute associées pouvant ainsi nous y aider. Espaces sonores introspectifs collés au monde frénétique, tout en le désirant meilleur.

Pour entendre de nouveaux récits porteurs, de ceux qui nous aident à avancer, à rester debout, dans des périodes plus que chahutées, des zones de turbulences à répétition, il nous faut cultiver la curiosité de l’expérience auditive vivace. Non pas d’une expérience forcément compliquée, mais plutôt celle à portée d’oreille de tout un chacun, emprunte de gestes simples. Ouvrir sa fenêtre, ou partir marcher dans son quartier, l’écouter, traverser ce qui nous plait comme ce qui nous dérange, nous agresse, se demander pourquoi, échanger avec son voisin, tenter de se sentir bien, ou mieux, dans des espaces sonores quotidiens, ne pas penser que par le bruit, la nuisance et la pollution, mais aussi chercher les aménités sonores…

Depuis ses origines, le soundwalking mêle le plaisir de l’écoute à la volonté pédagogique de mieux entendre le monde, de mieux s’entendre avec lui, et parfois d’en soigner, ou mieux d’en prévenir les dysfonctionnements qui le rendent inaudible, si ce n’est inentendable.


Dans l’idéal, il nous faut vivre la marche et l’écoute, l’expérience et les récits associés, comme des moteurs stimulants qui nous permettent d’aller de l’avant, de garder un cap soutenable, entendable, l’oreille hardie, envers et contre tout.

Chronique écoutante, tout doucement

Écouter est, ou peut être un geste discret, parfois totalement inaperçu.
Sciemment envisagé comme tel, en toute discrétion.
Il n’est pas nécessaire de bousculer radicalement des espaces où installer les scènes sonores, l’écoute dans l’espace public, les lieux d’audition potentielles, pour construire un projet quasi infra-sonique pertinent. Bien au contraire !
Il est possible d’ériger l’écoute en jeu, comme un instant ludique, une performence a minima, qui ne se montrerait pas forcément, et qui plus est ne ferait pas de bruit
Il est opportun d’écrire une interprétation de paysages le plus que possible à l’abri des regards, mais accessibles aux oreilles, furtive, complice, tel un mode d’intervention discrètement malicieux.
Du geste discret de tendre l’oreille à celui de re-composer les sons capturés, toujours en mode doux, sans les emprisonner, juste en en conservant la trace, on construit ainsi tout un parcours aux milles variantes possibles.
Exemple : l’écoutant invite d’autres écoutants à lui emboiter le pas, oreilles concertantes, lenteurs partagées, silences aussi. Des gestes partagés simples mais opérants.
Tout doucement, sans faire de bruit, ne rien perturber dans la ville, ni la campagne, ni nulle part ailleurs. Ceci pour laisser s’entendre les murmures et rumeurs, intimités décelables, sans ostentations acoustiques.
L’artiste écouteur n’est pas forcément sur le devant de l’audio-scène, comme un personnage aux oreilles ostentatoires et postures imposantes. Il peut, voire doit être un discret écouteur-emprunteur de sons, qui ne bouscule rien, ou si peu.
S’assoir sur un banc ou arpenter paisiblement le village, oreilles aux aguets, grandes ouvertes, comme fondues dans les ambiances, immergées dans les flux soniques, tout cela reste à l’échelle d’un modeste audio-théâtre de proximité.
Nous ne chercherons pas forcément le spectaculaire, l’événementiel auditif grand format, l’audiorama booster d’effets spéciaux, plutôt la balade intime, l’écoute posée, sans jeu grandiloquent, sans dispositifs bluffants.
Tout doucement, dans l’allure, les gestes, l’attention portée, le partage, une discrétion intrinsèque, une économie de moyens, semblent s’imposer, ou tout au moins proposer des gestes respectueux et pertinents.
Ne pas forcer le trait, ni amplifier à outrance les choses entendues, ou celles potentiellement imaginaires, sonifiées, relève d’une sagesse pragmatique, sans emphase sonique.
Trop souvent, la fureur et le bruit s’imposent comme des quotidiens violents.
Raison de plus pour ne pas brusquer outre mesure l’écoutant, régulièrement malmené, ballotté dans des tempêtes sonores, traumatisé jusqu’à fleur de tympan, voire au plus profond de son entendement.
L’efficacité ne passe pas forcément via l’injonction péremptoire, mais plutôt par des propositions laissant de larges champs exploratoires ouverts, à discrétion, en prenant le temps de faire, d’expérimenter, de partager.
Il est contre-productif de rajouter pléthore de sons spectaculaires, comme d’ insipides muzaks, de les imposer à l’ouïe de toutes et tous, mais plutôt profitons modestement, raisonnablement, ethniquement, de l’existent, du trivial quotidien, sans remous.
Si parfois la mise ben scène du geste d’écouter dans l’espace public peut être un fait assumé, voire joué et sur-joué devant de nombreux publics, comme une proposition participative, la discrétion est, version micro ou infra écoutante, aussi différente que complémentaire de l’audio-spectaculaire
Le paysage sonore se construit ainsi d’une écoute aussi modeste qu’intense.
L’écoute non spectaculaire va fouiller les micros-sons, les .ambiances intimes, les ambiances cachées, sans trop déranger la vie qui bat, via une approche où la monstration imposée n’est pas de mise.
Imaginons une attitude éthique, qui va creuser l’écoute telle celle d’un traqueur de sons qui, efficacité oblige, doit être le plus discret que possible, ne pas se faire repérer, ne rien perturber dans son proche milieu, de façon à (faire) entendre la vie sonore en toute intimité.
Le chasseur de sons est un personnage qui se confond à l’environnement ambiant, de façon à en jouir du plus profondément que possible, sans se montrer conquérant, mais discret écoutant respectueux de l’équilibre sonore préexistant à sa venue.
Il s’agit de ne pas user d’une posture conquérante, intrusive, irrespectueuse, mais au contraire de rester dans une humilité d’écouteur accueilli et accepté à la condition de ne pas s’imposer. Rappelons-nous que, en forêt ou ailleurs, l’écoutant est aussi écouté en retour.
Contrairement à se qu’affirmait un slogan radiophonique, le monde n’appartient pas à celui qui l’écoute, ce dernier s’offre simplement à lui comme un don du son intrinsèquement généreux.
Qu ‘on se le dise !

Aqua Vivace

2024 sera bouillonnante
Une année au fil des ondes
Des territoires liquides
Des dérives en rives
Eaux courantes
Eaux dormantes
Eaux étales
Eaux profondes
Eaux souterraines
Terres karstiques
De cénotes en dolines
Résurgences
A fleur de terre
Eaux torrentueuses
De rus en cascades
Puits et fontaines
Biefs et lavoirs
Canaux et écluses
Les flux aquatiques se feront entendre
Tendons-leurs l’oreille
Écoutons leurs secrets
Leurs puissances
Leurs discrétions
Leurs fragilités
Et parfois agonies
Remontons les berges
De la goutte affleurante au majestueux delta
D’embouchures en estuaires
Mers et océans
Traversons les gués
Donnons la paroles aux cours d’eaux
Et à ceux et celles qui les côtoient
Des sources en estuaires
D’affluents en confluents
De glaciers moribonds en moraines glissantes
Entendons des paysages sonores aquaphoriques
Qui tracent et modèlent des paysages audibles
Des méandres soniques
Façonnées à petits ou grands bruits
Entre crachins, pluies et déluges
Lisons l’histoire des villes, des industries, des moulins
Par le biais de leurs eaux
Racontons les à notre façon
Au travers les flots d’une mémoire nourricière
Les voies d’eaux reliantes
Les hydro-énergies déployées
Les végétations bordantes
Les cours des lits sinuants
Entendons les récits
Les contes et les légendes
Les monstres engloutis
Toujours prêts à resurgir
Bonhommes ou maléfiques
Maillons un territoire extensible
De points d’ouïe aquatiques
Dressons une cartographie sonore
Humide et rhyzomatique
Un inventaire de sites audio-aquatiques remarquables
Protégeons les comme des communs à portée d’oreille
Déchiffrons les textes influents, odes aux ondes rafraichissantes
Construisons un réseau auriculaire irriguant
Des trames bleues et chemins de halage
Des douces mobilités riveraines apaisées
Des sentiers nichés dans des vallons modestes
Mêlons la vue et l’ouïe au long cours
Croisons les arts et les sciences
Hydrologiques et humaines
La culture scientifique et la création sonore
L’histoire et la géographie des flux
Celle des riverains mariniers ou marins
Meuniers ou sauniers
Indisciplinons des approches mouvantes
Entre crues et tarissements
Débordements et assèchements
Prêtons attention au flux salvateurs
Prenons en grand soin
Affirmons l’urgence de le faire
Écoutons pendant qu’il en est encore temps
Les milles et unes sonorités liquides
Les poésies aux images ondoyantes
Et les chants ruisselants des eaux vives.

Visitez « Bassins Versants, l’oreille fluante »

L’oreille de proximité, des écoutes…

Le paysage sonore nous rattache à un territoire par une géographie sensible de proximité.
La carte se trace avec des contours délimitant un champ auditif environnant.
Le son de la cloche, de la fontaine, le portail du voisin qui grince, la cour de récréation et le bar près de chez soi, sont autant de marqueurs sonores qui construisent un espace tissé d’ambiances, où des micros événements sculptent un territoire à portée d’oreille.
Ces objets auditifs, aisément identifiables, comme des sons voisins, nous permettent de vivre, de pratiquer un espace en ayant des repères spatiaux-temporels, éléments qui rythment et architecturent un quartier, une rue, le centre d’un village.
Nous sommes baignés dans une aire sonore au quotidien, avec ses stabilités et ses fluctuations.
L’épisode Covid 19, qui nous a, bien malgré nous, assigné à résidence si je puis dire, a mis en avant des détails, constituants audio-paysagers que nous n’entendions plus guère, à force d’habitude.
Gommant des flux hégémoniques, tels la circulation automobile, il a, tout en faisant taire certaines activités sociétales et professionnelles, remis au premier plan, à portée d’oreilles, des éléments sonores structurants.
La rue au bas de nos fenêtres, nettoyée d’un trop-plein sonore, nous a fait entendre des sons plus ténus, intimes, animant et renseignant nos enfermements de proximités acoustiques plus apaisées que d’ordinaire.
L’oiseau sur le platane d’en face a retrouvé une place audible, en l’absence de bruit de fond prégnant.
La proximité sonore, dans une ville où l’urbanisme resserre parfois les champs auditifs entre des murs-obstacles masquant souvent les perspectives lointaines, crée à l’écoute une série de microcosmes auriculaires singuliers. Des Microcosmes sonores de proximité.
Des espaces où la voix du voisin, le raclement des chaises métalliques de la terrasse du restaurant, et de nombreux objets sonores indiciels, nous positionnent comme un acteur écoutant, en identifiant un périmètre auditif sensible.
Cette géographie sonore rapprochée, rythmée d’itérations, marquées de récurrences écoutables, assimilables, de la place du village à l’esplanade urbaine, nous ancre dans un paysage familier.
Lorsque l’on s’installe, pour quelques jours où quelques années, dans un nouveau lieu, il nous faut reprendre nos marques, nos repères, plus pu moins consciemment.
L’acoustique sonne, dans nos lieux de vie, de travail, avec une couleur que nos oreilles apprendront à identifier, plus ou moins mat, réverbérante, avec ses effets de mixages, de coupures, d’estompages, ses événements ponctuels, marchés, fêtes locales, commerces …
La proximité de ces éléments sonores permet de se sentir dans un espace immersif apprivoisé, moins inquiétant peut-être qu’un espace inconnu, où l’oreille a du mal à se situer. Même si le dépaysement, le fait de se frotter à d’autres territoires sensibles, avec des ambiances parfois surprenantes, donne à l’écoute, et par delà à l’écoutant, un sentiment d’aventure hors-les-murs, en tous cas hors de ceux qui marquent nos territoires coutumiers.
Par delà le bruit de fond, la rumeur, il faut aller chercher le détail, la petite émergence sculptant un espace acoustique qui nous sera petit à petit familier, proche, peuplé des « presque riens » identifiables, pour faire un clin d’œil au compositeur Luc Ferrari.
La proximité sonore ne se trouve pas forcément dans le spectaculaire, l’extraordinaire, mais souvent dans l’infra-ordinaire, pour citer Georges Pérec, qui savait si bien observer les territoires de proximité, à portée de regard, ou d’écoute.
Ce qui nous est sentimentalement proche, c’est un ami, un être cher, un membre de notre famille.
Nous pouvons aussi être proche, affectivement, de notre quartier, petit bout de ville ou de village, campagne. Un espace abordé par le petit bout de l’oreillette.
Je pose parfois à des étudiants la question suivante « Et avec ta ville, comment tu t’entends ? ». Ici, nous jouons sciemment de la polysémie du verbe entendre, au niveau du geste d’écoute, de la compréhension d’un site, comme à celui de se sentir bien dans un lieu donné, d’y trouver des aménités..
Il est plus facile je pense, de se rattacher, dans un bonne entente, à une parcelle de territoire se situant dans une proximité mesurable, où nos repères spatio-temporels sont marqués d’éléments saillants, récurrents, reconnaissables, que dans un espace trop étendu pour que nous puissions en saisir les singularités. Le paysage acoustique est complexe dans ses incessantes variations, la proximité permet de le saisir en s’y immergeant au quotidien.
Les sonorités proches, géographiquement ou affectivement, personnellement j’adore les sonneries de cloches, nous ramènent à un voisinage incluant, dans le meilleur des cas. Un voisinage sympathique, une proximité où la coexistence est de mise, où la voix de son marchand de légumes préféré, sur le marché local, la fontaine de la place, nous font trouver notre place, même modeste, dans le grand concert urbain , parfois trop cacophonique.
Être proche de, c’est se trouver, se retrouver, dans une échelle raisonnable, là où les sons pourront être identifiés comme des objets appropriables, sensoriellement parlant.
La proximité des choses, humaines, auriculaires, sociales, évite de trop grands isolements. Les sons jouent pour cela un rôle d’insertion sociale, quand ils ne viennent pas bien évidemment nous agresser par leurs violences, leurs intensités acoustiques ou symboliques, affectives.
Faire l’effort d’écouter ce qui nous entoure peut nous rendre plus proches, dans tous les sens du terme, de nos lieux de vies et de leurs habitants.
Écouter les sons environnants, nous fait se sentir au centre d’une vie bruissante, y résonner par sympathie, telle une corde d’instrument, trouver un minimum d’empathie de proximité. C’est ce qui nous donne une existence sociale au cœur d’un quartier façonné entre autres, de sons multiples.
Personnellement, mes points d’ouïe favoris sont souvent des bancs publics. Je les choisis dans des lieux que j’aime, ni trop déserts, ni trop saturés. acoustiquement, là où la rencontre, l’échange, sont toujours possibles au quotidien.
Les bancs sont des mobiliers qui, au delà de nous poser, ou reposer, nous font ressentir la proximité des choses, y compris celle des choses entendues.
Les marchés locaux sont également de ces lieux et moments où la proximité place l’activité humaine au cœur des choses. Nous entendons des espaces où l’oreille prend aisément ses repères, guidant parfois nos déambulations d’étal en étal, ou bien vers la terrasse d’un bar jouxtant les emplacements des forains et des maraichers. La vie est à portée de tympan, toute proche, rythmant certains jours de la semaine, moments de la journée. Il suffit d’y prêter l’oreille et l’attention pour se sentir, en bon entendeur, un peu plus proche de son quartier, et par delà, de la vie même.

Les histoires d’écoutes sensibles ne sont pas toujours heureuses, mais elles sont nécessaires

Histoires de dire, de faire, de ressentir, de parler, d’aménager, le sensible est un outil de lecture, d’analyse et d’écriture, participant au processus d’aménagement du territoire.…

Un territoire est donc un espace qui se construit (aussi) via une approche dite sensible.

Parlant du territoire sonore, comment dire un morceau du monde en l’écoutant, en pensant comment il sonne ?

Comment construire une relation écoutant – écouté, la plus féconde et bénéfique que possible au plus proche du terrain ?

Il nous faudra tendre une oreille ouverte, curieuse, qui cherche à proposer de nouvelles façons d’entendre le monde, des ouvertures soniques originales, acoustiques, humaines, de nouveaux champs d’écoute les plus inouïs que possible.

Le sensible peut être ici une sorte de clé de lecture, un angle d’attaque porté par l’expérience, voire l’expérimentation d’écoutes in situ, par l’auscultation du quotidien, y compris celui de l’infra-ordinaire surprenant.

Néanmoins, et malgré tous nos efforts, l’expérience d’écoute ne nous révèle pas que des choses idéalement positives. Loin de là même.

L’expérience d’écoute nous fait parfois, souvent, entendre là où ça fait mal.

Elle peut nous plonger dans des ambiances des plus inconfortables, bousculantes, parfois même traumatisantes, là où ça sature, ça distord, ça grince, ça violente, ça perturbe, ça angoisse, au fil de pollutions aussi sclérosantes que néfastes, nuisibles.

Chercher l’agréable, l’équilibre, le vivable, le soutenable, chemine à travers des espaces-temps inconfortables, si ce n’est douloureux.

Le sensible à fleur de tympan nous place dans des situations oscillant entre l’agréable, le beau, dirons-nous, dans le caractère éminemment subjectif de la chose, la jouissance, comme il verse parfois dans des expériences qui mettent notre corps écoutant à rude épreuve.

Nous traversons des alternances d’aménités et d’agressions, d’entre-deux désagréables, qui bousculent nos sens, notre pensée, et au final notre corps tout entier.

Bien sûr, nous recherchons des espaces apaisées, et souhaitons que nos paysages ne sombrent ni dans le vacarme chaotique, ni dans la paupérisation silencieuse.

Nous tentons d’écrire, de composer, envers et contre tout, des partitions qui font sonner les lieux comme des musiques, recherchant avant tout l’harmonie, même dans des formes potentiellement discordantes.

L’écoute n’est jamais un long fleuve tranquille, elle s’aventure dans des terrains où les bruits peuvent prendre le pas sur les musiques, brouillant ou déformant, couvrant les messages qui se voudraient rassurants, faisant résonner bien trop fort des sons violents, guerriers, haineux, clivants.

Des voix se taisent, disparaissent, d’animaux, d’humains, de ruisseaux, emportés par une succession de crises qui secouent notre monde. Et tout cela s’entend. On ne peut pas y échapper, même en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles.

Écouter implique de se frotter, de se confronter, au meilleur comme au pire.

L’essentiel est de ne pas baisser ni les bras ni les oreilles, pour aller chercher les réflexions, les actions, les gestes, les espaces qui sonnent bien, pour construire un commun entendable, qui servirait le mieux-être, l’intérêt général, et proposerait des modèles combattant l’excès comme le manque.

L’approche auriculaire sensible ne doit ni idéaliser, ni fuir des réalités pour le peu des plus difficiles à vivre, ni renoncer à la recherche d’une belle écoute, entre autre chose, celle qui nous aidera à trouver un mieux être, au sein d’un monde ballotté de crises en crises.

Écouter, c’est (aussi) résister !

Novembre 2023

Chant d’automne finissant

L’automne s’enfuit, doucement
Glissant vers l’hiver, inéluctable
Les passereaux se sont tus
Les corneilles persistent, résistent
Et même bavardent de plus belle
De cris en cris
De vols en vols
Secouant l’arbre solitaire de leur étrange frénésie
Les terrasses rentrées
Le quartier va vers l’endormissement
À pas feutrés, mais décidés
Les volets se ferment plus tôt
Claquant contre les vents automnaux
Les paroles-même s’amenuisent
Dans la sphère du privé
Les rires se font discrets
Au travers les fenêtres prestement fermées
Parfois dans la rue engourdie
Les places se vident, lentement
Et les bancs inoccupés
Sont balayés de trainées venteuses
De bourrasques rageuses
Les feuilles ocrées raclent le sol de crissements furtifs
La cloche semble teinter quasiment en sourdine
Ses sonneries éparpillées au gré des vents facétieux
La fanfare attends des jours meilleurs
Pour sonner et réveiller les rues
Les pipistrelles volent en silence
Engloutissant les insectes encore remuants
Avant que de s’endormir à leur tour
La fraîcheur s’est installée, sans éclat
Timide pour l’instant
Les réverbèrent accompagnent l’entre chiens et loups
Jetant au sol des flaques jaunies
Sur les dalles de pierre luisantes
Que la pluie percussive tambourine avec vélocité
Je regrette déjà les excès de l’été
Et même ceux, automnaux, de ses attardements indiens
Leur brûlante et sonore insolence
Les halètements sous un soleil trop souvent cuisant
Il me faut accepter que tout baisse d’un ton
Glisse parfois vers un presque silence
Que tout s’apaise enfin
Que l’oreille comme le corps respirent
En aspirant déjà à un prochain réveil
Bruissonnant sans vergogne
Une entame à nouveau bien sonnante
Aux accents volubiles
Mais au cœur de l’hiver, inexorable
Que l’on sent approchant
Je garderai l’oreille alerte
En posture curieuse
Pour la nourrir encore
Du moindre son restant
Si fugace fût-il.

Ingrédients audio-paysagers

Dans l’écoute, la construction du paysage sonore, il y a (ou peut y avoir) :
De l’attention
De l’intention
Des corps, de l’action, des gestes, des postures
De la marche, de l’arpentage, de l’errance
Du partage, des confrontations, des échanges
Une part de réalisme, une part de rêve, une part d’entre-deux
Le désir de beautés révélées
La volonté d’apaisement, de ralentissement
Une militance politique, éthique, écosophique
L’envie de raconter, de fantasmer, de faire entendre des choses
Le plaisir d’expérimenter, de faire in situ, de l’approche pragmatique
Et celui de transmettre
La recherche de nouveaux postulats
L’approche sensible frottée à des protocoles de mesures quantitatives, normatives
L’indisciplinarité chronique et stimulante
La joie et l’inquiétude du pas de côté
L’effervescence de se perdre, enfin
L’imaginaire et le prospectif, le brassage des deux
Le collectage, l’état des lieux, l’inventaire
La trace, la mémoire, le patrimoine
Le collectif, le participatif, le faire ensemble
Les mises en situations, des immersions à ciel ouvert
L’installation d’écoutes à oreilles nues
La performance du corps écoutant dans l’espace
Des outils de création, de composition
Des matières et matériaux à triturer
Des dispositifs à mettre en place, à inventer
Des protocoles et rituels
Des fêtes et des cérémonies
Des cartographies et géographies sensibles
Une philosophie auriculaire, repenser le monde en l’écoutant
Des récits croisés, des fictions à n’en plus finir
Et bien d’autres choses inouïes.

Sommes-nous tous devenus sourds ?

Je retrouve aujourd’hui ce texte manifeste écrit à plusieurs mains il y a déjà quelques années. En 2006 exactement, pour les États Généraux du son.

Pour autant, je pense qu’il n’a rien perdu de son engagement, de sa pertinence, et demeure même plus que jamais d’actualité.

Même si le projet n’existe plus aujourd’hui, et l’association qui le portait a disparu, j’ai conservé ce texte et le republie donc ici dans son intégralité.

Sommes-nous tous devenus sourds ?

Nous vivons dans un monde sonore du premier cri au dernier souffle

Sommes-nous aveuglément sourds à tout ce qui nous entoure ?

Tout juste capables de nous indigner du bruit de l’autre le voisin

Par ce manifeste

nous affirmons

le droit de chacun à vivre pleinement la dimension sonore de son existence

tels

la qualité sonore des espaces publics des espaces privés

les sons de nos objets et des outils

la sonorisation des spectacles

La radio créative et créatrice

des sons pour dire une voix pour être

une technique son sensible et imaginative

des initiatives industrielles en faveur du sonore

des mémoires orales encore vives

l’exploration sonore dès l’enfance

l’écoute des paysages

le son à l’image

et tant d’autres

nous constatons

la méconnaissance générale de l’histoire humaine et technique du son

l’ignorance fréquente de la physiologie de l’audition de la phonation

une résignation à la médiocrité

nous refusons

que l’être humain se prive d’une source de satisfaction sensorielle indispensable à son équilibre

nécessaire à la constitution de sa mémoire à la formation de son esprit

à l’enrichissement de son imaginaire à sa vie en société

nous dénonçons

la faible reconnaissance de la dimension sonore dans nos vies professionnelles et au quotidien

nous proposons

une mise en évidence de l’étendue des domaines sonores

une valorisation de ses acteurs organismes recherches créations productions et cætera

nous décidons

de réunir les États généraux du son

pour établir des constats communs

pour définir ensemble des propositions à concrétiser d’urgence

nous lançons ce jour

un appel à doléances

à chacun professionnel ou non

à partir de votre expérience du sonore

vos colères vos désirs vos satisfactions

Faîtes-nous part

de vos constats

de vos propositions

Vos dires construiront les États généraux du son

Manifeste écrit pour les États Généraux du Son

04/05 et 06 octobre 2006 à Veyrins-Thuellin (38)

Une trace audio, enregistrée sur le vif par Étienne Noiseau

Osons l’oreille nue !

Osons l’oreille nue !

Embarquer un public pour un parcours d’écoute « à oreilles nues », à l’ère de la techno-monstration et du tape-à-l’oreille, n’est pas sans risques.

En effet, il faut avoir confiance en la capacité des écoutants à se laisser charmer par l’infra-ordinaire, façon Georges Perec, le presque rien, aurait dit Luc Ferrari.

Il faut également faire confiance aux multiples richesses sonores des lieux arpentés, qui se révéleront si on leur prête attention, oreilles aux aguets.

Un PAS – Parcours Audio Sensible se met en scène comme une installation d’écoute performative à l’air libre, via un travail sur les postures, les silences, la lenteur, les rythmes, le partage d’attention…

Parfois rituel, parfois fête improvisée, le PAS ne sera jamais identique, ni reproductible, d’un espace-temps à l’autre.

C’est une performance unique, performance dans le sens de jeu, d’interprétation, où le ludique et le décalage font faire un pas, ou une écoute, de côté.

Les lieux, leurs acoustiques et les sons qui les animent sont les héros du cheminement auriculaire, il suffit de les révéler.

Encore faut-il dénicher les espaces bien-sonnants, les points d’ouïe remarquables, les effets acoustiques à exciter pour les rendre audibles et « jouables »…

Sans compter sur l’improviste, l’inattendu, l’improbable parfois. Il nous faut prendre en compte l’événement impromptu, « l’accident », le contretemps, qu’il conviendra d’intégrer, de mettre en écoute, pour écrire de concert un paysage sonore inouï. Une part d’improvisation en l’écoute.

Des paysage sonores qui ne se reproduira plus jamais dans leurs singularités et dans la magie du moment, des ambiances mises en exergue.

Un travail de longue haleine qui, dans son apparente simplicité, sobriété, économie de moyens, nous conduit vers des explorations sensibles, des expérimentations à fleur de tympan, et je l’espère, à une forme d’ouverture au monde élargie.

Ces déambulations écoutantes nous révèlent, sans grands dispositifs audio-augmentés, des beautés auriculaires éphémères, ignorées autant que fragiles.

Pour en jouir sans les altérer, osons installer le silence, l’écoute partagée, et mettre l’oreille à nue !

Presque rien

Il suffirait d’un presque rien
D’un doux ralentissement
D’une façon de dé-densifier l’espace
D’un geste minumental
D’une allure modeste
D’une chaise posée là
D’un arrêt sur son
D’une installation d’écoute sans aucun dispositifs
D’une posture à oreilles nues
D’un parcours hors sentiers battus
D’un silence concerté
De corps dans le mouvement
De corps dans l’immobilité
De corps dans la durée
D’un corps dans le silence
D’une expérience éphémère
D’un partage attentionné
D’une joie qui demeure
D’un flux contextuel
D’une histoire pour les oreilles
D’une histoire auriculaire sans ajouts
D’une histoire à fleur de tympans
De la richesse du temps perdu
D’espaces infra ordinaires
De récits au fil de l’eau
De paroles sans emphase
D’oasis sonores à découvrir
D’une nuit transfigurée
D’une simple écoute.

Merci à Luc Ferrari, Georges Pérec, Marcel Proust, Jean Giono, Will Self, Arnold Schoneberg pour leurs inspirations…

Oh nuit !

La nuit porte conseil.
Alors écoutons-la !
Le marcheur y cale son rythme, en résonance à ceux de l’obscurité naissante.
Allure généralement apaisée.
Les couches sonores s’espacent, se font moins denses, s’aèrent, laissant de l’air libre entres les sonorités moins saturées, ou saturantes, moins amalgamées.
L’oreille respire un peu plus, au fil des heures avancées.
Les sons gagnent en lisibilité. On en identifie d’autant mieux les sources, les espaces où elles s’ébrouent, les mouvements, les timbres et couleurs…
La nuit, tous les sons ne sont pas gris, bien au contraire. Ils gagnent en contraste, en netteté, ils s’affirment comme des particules bruissantes et singulières.
De même les couleurs.
Moins étales.
Plus en ambiances ponctuées, contrastées.
Parfois trop présentes en luminosité, qui viennent aplatir les contrastes et finesses noctambules.
Comme pour les sons, il nous faut souvent choisir les chemins écartés des grandes flaques lumineuses, des grandes nappes sonores. Et lutter sans cesse contre leurs envahissements. Éteindre, assourdir, regagner des espaces non saturés.
Aller vers l’intime, sortir des grands axes, des chemins rebattus, oser le trivial excentré, les lieux qu’ignore le troupeau de touristes programmés.
La nuit est un terrain d’aventure sensorielle, parfois exacerbée, une zone d’écoute et de regard privilégiée, un espace immersif renforcé, pour qui sait en traverser les plages encore à demi sauvages.
J’aime à profiter des ténèbres naissantes, des ombres portées, des chuchotements dans les parcs publics, des voitures endormies, ou se faisant rares, du ronronnement de la cité, avec ses émergences d’autant plus marquées de stridences fracturantes.
Il nous faut parfois apprivoiser la nuit, ou plutôt passer outre nos craintes nocturnes et autres peurs du noir, pour en faire notre amie, notre confidente, notre terrain de jeu.
Elle nous le rend bien, au cœur de la cité, comme de la forêt profonde.
Marcher et écouter la nuit demande de la retenue, un respect des espaces traversés, une posture furtive, un corps qui se glisse dans les lieux surprenants, nappés d’ombres et de sonorités diffuses.
J’ai souvent éclaboussé la nuit de cris et de rires, de fanfares cuivrées… Car elle est aussi une invitation à la fête, aux résurgences dionysiaques, étudiantesques…
Aujourd’hui j’ai plus envie de lui fredonner de douces mélodies, à bouche fermée, de lui susurrer des secrets intimes, de me fondre dans son cocon ouaté.
Même si je pends plaisir à croiser, à l’improviste, un groupe festif, enjoué, dans une explosion jubilatoire et quelque part joliment perturbatrice, jusqu’au calme retrouvé.
La nuit est terre de contraste.
Je la marche en tant que tel.
Et j’invite à partager ces moments où sons, ombres et lumières, se jouent de nos sens titillées, comme nous jouons des dépaysements noctambules.

Photos d’une exploration nocturne lyonnaise des quais du Rhône

Histoires sons dessus-dessous

Voyez-vous, si je puis dire, nous rêvions de l’entendre. Et puis un jour… Dites moi mais, quel est donc ce bruit ? Lequel ? Celui qu’on entend, là, qui envahit l’espace, tout en restant furtif ? Est-ce que je sais moi, ce n’est pas celui que nous voulions écouter ? Je ne sais pas, à force de l’attendre, je ne l’ai plus dans l’oreille. Si tant est que je l’eusses déjà eu. Alors comment le reconnaitrons-nous, comment savoir si c’est bien lui ? Aucune idée ! Mais est-ce si important de le reconnaitre, de s’assurer que c’est bien celui dont nous rêvions. En effet pourquoi s’attacher à ce souffle plutôt qu’à ce choc, à ce tintement plutôt qu’à ce vrombissement, à ce cri plutôt qu’à ce murmure… ou bien en espérer la naissance d’un autre ? Surtout qu’ils n’arrêtent pas de bouger, de changer, de se cacher, de s’entremêler, ces foutus sons. Difficile en effet de trouver celui qui nous conviendrait, et peut-être celui qui qui nous ferait défaut, qui serait tout nouveau, à proprement parler inouï. Mais tout n’est-il pas inouï dans le monde plein des sens ? In ouïe ou hors ouïe, intra ou extra auriculaire, c’est la mémoire qui nous joue des tours de sons. Crois tu ? Elle nous fait crôôôââârre dans la mare, glisse en dos, et sa muse gueule en entrée. Et si ce son tinte à mare, l’écoute s’égoutte à goutte, sans qu’on en chasse rien. Glissement calembourdien. Tout ça pour les cris d’un mémoire dit sonnant, qui ne nous dit rien au final, en preste eau. Flux et reflux, sons passons. Alors, difficile de rêver de l’entendre, lui ou un autre, ça frise la phonie douce. L’utopie serait-elle ultra sonique, sons de nulle part, ou de partout, uchronie-usonie ? Qu’en sais-je, écoutant de malheur, qui creuse un puits sans son. Alors puiser dans sa même ouïr et chercher le bruit qui s’est tu, il, nous, vous, mais qu’on ne connait toujours pas. Beaucoup de bruit pour rien ? Qu’en savons-nous, peut-être sommes-nous devenus sourds de trop entendre, de trop attendre, pavillons en berne et coutilles noyées. Mais le bruit continue de courir, même si la rue meurt. Cours-y vite il va s’éteindre ! Silence, on détourne ! L’ingé son, et l’autre pas. Acoustiquement parlant, nous voilà guère avancés ! Heureusement, il y a des non-dits pour combler les lacunes et imaginer l’histoire, entre les silences taiseux. Mais histoire y a t-il s’il nous manque des sons ? Et puis, même si on les trouvait tous, ou simplement celui ou ceux que l’on recherche, ce qui est fort improbable, nous raconteraient-ils quelque chose ? Histoires sons paroles, où le muet trouvera sa voie, au grand dam du mime, qui se taira encore plus. Le son fait son cinéma, pour l’oreille. Et tout cela sans avoir résolu l’e problème, si un son qui manque à l’appel, ce dernier de fait reste sans réponse. Laissons les sons là où ils sont, c’est à dire partout. Croyez-vous ? Ne serait-il pas judicieux d’en chasser quelques uns, d’enchâsser quelques autres, sacro-sons de bruits collages. Mais comment faire le tri, savoir reconnaitre le son sauveur, celui, encore plus improbable, qui ferait paysage, histoire ou symphonie, même fantastique, voire pathétique. C’est une histoire sons dessus dessous, des accords imparfaits, des arts sonnés, des à croches arpégées, ou du bruit de son, tout simplement. Il y aurait de la friture sur la ligne, de la bruiture sur l’écoute, on est jamais à la bruie de rien. Du verbe bruire, bruira bien qui bruira le dernier. Clap de fin, silence ! Mais aussitôt, rompons le silence et revenons à nos sons, à nos mous sons qui pluivent ou pleuvent, en plics et en plocs. En gouttes qui font déborder la vase, y’en à mare ! Et pluie voilà, un jour… Rien ne se passa, en tout cas comme prévu, le silence resta quiet et ne bruissa point. Alors, que se mettre sous l’oreille si le silence demeure, sans requiem aucun. Cela ne dura pas. Et même s’empira tant et si bien, que l’oreille expira, ou bien faillit le faire, le cochléaire furieux, la mastoïdienne rageuse. Les sons dégelèrent en tempête pantagruélique, autant que véhémente. Même la muse Écho n’arrivait plus à répéter les quelques bribes qu’on lui avait laissées. Un monde chaotique et brouhahatique, où l’histoire perdait toute intelligibilité. Mais avait-elle, dans ses bruissement incessants, déjà eu un sens ? Question carolienne s’il en fut. Qu’en savons-nous au final, nous fiant à nos oreilles aussi curieuses qu’imparfaitement brouillonnes ? En quoi nous reconnaissons-nous dans ce paysage acoustique qui n’en finit pas de se dissoudre en ondes a priori désaccordées, pour se reconstruire, tant bien que mal, en discours discordants, mais qui parfois chantent malgré tout. Si la cadence est parfaite, au mieux que cela puisse se faire, on avance de concert. Si elle est rompue, maudits musicologues, on ne sait plus où donner de l’oreille, au risque de bruitaliser le monde. Alors la pause est bienvenue, quitte à soupirer, entre deux sons bruits sonnants. A trop entendre, l’hyperacousie nous guette, où chaque murmure devient hurlement, chaque bruissement cataclysme, à en perdre le sens de toute nuance, à s’en péter les tympans, parfois bien trop frêles pour la fureur du monde. Écoutons malgré tout, nous disons-nous, contre vents et marées, et même dans le vent démarré, car au matin des musiciens, et d’autres écoutants impatients, l’oiseau chante encore au monde qui s’éveille. Et il y aura bien encore, quelques sons que nous rêverions d’entendre beaux.

Se poser, écoutant dans la danse

Se poser par ici, ou se poser par là
Jeter un œil furtif, ou un regard insistant
Une oreille discrète, ou une oreille scrutante
Savourer les mouvements, les arrêts, les hésitations
Le ballet du vivant qui danse sans le savoir
Écouter des bribes, ou bien plus longuement
Les gens furtifs, originaux
Bavards ou taiseux
Marginaux, anonymes
Pressés, nonchalants
Élégants, négligés
Semblants et faux-semblants
Ceux qui vous sourient, ceux qui vous saluent
Ceux qui vous ignorent, ceux qui vous toisent
Ceux qui vous bousculent
Et tous ceux que vous ne voyez pas, et réciproquement
Se sentir vivant, ou se sentir moins seul
Tout simplement être tout près
Assis sur un banc de pierre, de bois ou de béton
Dans ou devant une gare, une église, un parc
Dans la fraicheur d’un matin précoce
Dans la chaleur d’un midi torride
A nuit tombante, à nuit tombée
Aux premières ondées automnales
Dans les frimas engourdissants
Dans des espaces incertains
Y trouver des habitudes, des ancrages
Y faire des rencontres récurrentes
S’inscrire dans le quotidien, ou presque
Comme usager rompu aux lieux
Écoutant regardant insatiable
Un beau jour pour se sentir bien là
Un beau jour pour se sentir ailleurs
Un beau jour entre-deux erratique
Rester immobile et que tout tourne
Les sons les gens et les odeurs
Et les lumières qui bougent
Et les les ombres fuyantes
On est point fixe, axe dans un chaos branlant
Un banc des villes, un banc des champs
Autour desquels tout s’agite
Autour desquels danse le paysage hésitant
Ralentir la marche est nécessaire
Pour se poser sans s’abimer
Juste dans nos écoutes regardantes
A la croisée imprévisible de tourbillons fantasques
Où danserait l’inconscience du monde.
Se poser par ici, se poser par ailleurs
Dans le groove chaloupement du monde.

Rencontres internationales « Made of Walking » Listening to the Ground – La Romieu 2017 – Co-commissariat Geert Wermer (Be), Gilles Malatray (Fr) , Isabelle Clermont (Ca Québec))

Fin ou début de rêve

Chaque scénario offert
Aux oreilles assoiffées
Mais aussi apeurées
Devrait être une histoire
Si possible inouïe
Une histoire paisible
Dans le meilleur des cas
Ou sinon turbulente
Quand ce n’est virulente
Des sons se télescopent
Se frottent et s’entrechoquent
Cacophonie d’enfer
Des bribes insensées
Se déplient fébriles
Se replient insidieuses
Éclatent sans retenue
Comme des mots jetés
Sur des pages griffées
Des images bruyantes
Aux confins de l’écoute
Des souvenirs en devenir
Des prédictions périmées
Des choses pas encore nées
Des gestations avortées
Des chimères trépassées
Des films à rebours déroulés
Des évidences muettes
Des tympans profanés
Des oreilles déflorées
Des mouvements figés
Une cloche au battant suspendu
Un cri gelé en bouche
Une parole étouffée
Un larynx enkysté
Une attente d’on ne sait quoi
Pourvu qu’elle se résolve
En salves explosives
En vivats incrédules
harangues sans auditoire
silences repoussés
révoltes ravalées
indignations bridées
Ce qu’on ne peut entendre
Ce qu’on ne veut entendre
Et qui pourtant surgit
Exultation bruitiste
Rumeur exacerbée
Paysages sonnés
Orchestres désaccordés
Timbres enroués
Instruments saturés
Machines dérèglées
Des éléments furieux
Eaux grondantes déchainées
Tonnerres en écho infinis
Fracas volcaniques éructants
De l’inaudible à l’excès
Des éclats foudroyants
Une apocalypse orchestrée
Un grandiose final éclatant
Un sublime assourdissement
Un béance sonifiée
Afin que tout se taise
Dans un vide sidéral

Et les oiseaux soulagés
Se remettent à chanter.

le clocher

Reconnections et retrouvailles

Résidence de création « Danser l’espace – Installer l’écoute » Sous les pommiers ba – Tourzel Ronzières

Marcher, écouter, retrouver, connecter
Pour
Sentir le sol sous ses pieds
Sentir l’herbe, le bitume, la terre, les feuilles, le sable, l’eau, la boue, la roche
Sentir nos silences envers le monde
Les sons dans nos oreilles
Les co-écoutants voisins
L’écho répondant malin
L’air dans nos tympans
Sentir le temps reconnecter l’espace
Sentir l’espace reconnecter le temps
Le temps retrouver la lenteur
Connecter les retrouvailles
Les retrouvailles urbaines
Les retrouvailles forestières
Les retrouvailles villageoises
Les retrouvailles océaniques
Les retrouvailles fluviales
Les retrouvailles nocturnes
Les retrouvailles humaines
Les retrouvailles diurnes
Les retrouvailles animales
Les retrouvailles végétales
Les retrouvailles entre chiens et loups
Les retrouvailles ventées
Les retrouvailles montagnardes
Les retrouvailles festives
Les retrouvailles estivales, hivernales, automnales, printanières
Les retrouvailles de soi
Les retrouvailles en soi
Reconnecter les alentours
Nos sensibilités auriculaires
Nos affects à fleur de peau
Nos liesses inabouties
Nos rencontres impromptues
Nos nombreux inachèvements
Nos espoirs malgré tout
Nos mondes vacillants
Et tous les mots pour le dire
Et tous les mots pour tenter
Et tous les mots pour oser
Et tous les mots pour le faire
Les mots sonnants comme des cristaux
Les mots saillants comme des lames traçantes
Creusant les sillons d’histoires nomades
Colporteuses de sonorités furtives
D’écoutoirs improbables
Se perdre dans des méandres acoustiques
Se rattacher aux phonèmes
Se rattacher aux morphèmes
Se rattacher aux monades
Se rattacher aux nomades
Se rattacher à l’ami confident, à l’autre
Se rattacher à soi
Se rattacher quoi qu’il en soit
Rester connecté quoi qu’il arrive
Ou se reconnecter sans cesse
Là où se cache le paysage confus
Fêter les retrouvailles vaille que vaille.

Les amoureux (non transis) du son

Installation d’écoute – Grand Parc de Miribel Jonage, avec Nathalie Bou

Le field recording comme un récit affectif et engagé

Le son est pour beaucoup un univers émotionnel fascinant. Plus qu’on pourrait le croire de prime abord, si on y prête attention.

Il émerveille parfois, angoisse et peut terroriser ou révolter à d’autres moments.

Comme un paysage cadré de nos regards et écoutes, avec ses innombrables hors-champs, ses flux et scansions souvent imprévisibles, il offre une fenêtre grande ouverte, sensible, audible sur le monde.

Ce monde sonore, miroir de nos existences, et de celles de tout un habitat où différents règnes cohabitent, ou tentent de le faire, captive par le fait même de son immatérialité, de sa fragilité et de son impermanence chronique.

C’est sans doute cette propension à sans cesse bouger, se transformer, muter, qui, au-delà du fait de ressentir une réelle fascination pour la chose sonore, nous invite à en capturer des instants, à tenter de les fixer, comme une photo immortaliserait, terme bien présomptueux, une événement joyeux ou tragique.

Sans doute que notre mémoire, nos affects, ont besoin de traces, de jalons souvenirs, pour nous sentir et rester vivants dans notre trajectoire humaine.

L’amour du son, comme métaphore de celui de la vie ambiante, des ses habitats, et égoïstement de soi-même, passe inévitablement par nos oreilles et souvent micros tendus.

La captation sonore, serait-elle une certaine utopie, celle de vouloir garder en vie l’éphémère, des formes personnelles ou universelles de beautés fugaces, des activités et états des choses, des gestes, des traditions, d’un monde tissé de fragilités et d’incertitudes, d’espoirs ?

Un tel se passionnera pour les voix, les musiques, les danses, un autre pour les oiseaux, le monde animal, ou bien pour les forêts, montagnes ou métropoles… Autant d’univers personnels, re-créés, choisis, cadrés, mixés, écrits à coup d’affects et de pinceaux sonores.

Ces gestes s’inscrivent dans différentes temporalités, de l’instant présent, de l’accident impromptu, au plus ou moins long cours, qui laissera s’écouler un temps plus étendu, installera une situation immersive, fera de l’écoute une posture patiente.

Tendre les oreilles, et qui plus est les micros, n’est pas chose anodine. La captation sonore, le field recording, contribuent à cette fabrication, éminemment personnelle, de paysages sonores entremêlés, comme un miroir intime à multiples facettes, un kaléidoscope auriculaire, les reflets d’un monde complexe que nous avons bien du mal à cerner.

L’amour des sons est aussi, de façon plus réconfortante, une forme d’amour de la vie, envers et contre tout. Face à tous nos co-habitants, quels qu’ils/elles soient, à nos écosystèmes malmenés, l’écoute et l’enregistrement sont à même de témoigner de notre intérêt humaniste, de notre façon de prêter attention, et au final de prendre soin, autant que faire se peut.

Le field recording ne montre pas qu’une écoute apaisée, une rêverie fleur bleue, captée par des micros à l’eau de rose, telle une proposition lénifiante qui arrondirait les angles d’un paysage tout en sursauts et en soubresauts.

La façon d’entendre et de donner à entendre le monde ne peut échapper, à mon avis, à l’influence d’un sensible à fleur d’oreille, à l’agrégation d’affects, de ressentis, d’émotions, de sentiments, de partis-pris.

Il n’est pas question pour moi, de prétendre rendre compte, en l’écoutant, en l’enregistrant, de l’état du monde, et surtout pas d’une façon neutre, réaliste, objective, dépourvue de prise de positions et d’affects. Il y a bien longtemps que ces idées, si louables soient-elles, non seulement n’ont plus de prise sur mon travail, mais ne sont plus des barrières entravant un discours assumé, donc parfaitement subjectif.

Bien au contraire, l’idée de défendre une position politique, notamment écologique, une éthique de l’écoutant, empreintes d’idées nettement orientées et inspirées d’une gauche sociale, défendant la libre expression, la diversité, est parfaitement revendiquée dans mes paysages sonores partagés.

De l’admiration à la révolte, de l’espoir au fatalisme, de la contemplation à la critique, de la théorisation à l’action, nos oreilles et micros se font écho de notre perception des espaces sonores, acoustiques, auriculaires, esthétiques, sociétaux, de notre façon de les vivre et de les partager, dans toutes leurs aménités comme dans toutes leurs violences et dysfonctionnements.

Field recording, un art écolo ? – Entretien de Poptronics – Propos recueillis par Jean-Philippe Renoult

A voir comment ça s’entend, Point d’ouïe #3

Une traversée sylvestre

Nous arpentons un espace forestier.
Un sentier où les feuilles crissent sous les pas, ocrées par l’automne déjà bien installée.
Le rythme de notre marche se déchiffre dans notre avancée, scandée et crissée au pas à pas.
Une percée lumineuse, droit devant, appelle vers la clarté d’une trouée boisée.
Et sans doute quelques intrépides volatiles qui donnent encore de la voix.
La verdure résiste à l’assaut des premières froidures.
Une petite rivière, silencieuse, quasi immobile, coupe notre trajectoire.
Le franchissement est offert par une passerelle de bois.
Une traversée où les pas ici aussi seront sonifiés, voire amplifiés.
Des talons percussions sur des lattes de bois.
Un xylophone posé là, invitation au jeu, invitation à faire sonner ce caillebotis improvisé, en dansant ce passage.
Détournement ludique vers une musique impromptue, instant d’improvisation.
Il suffit de passer le pont, mais en l’animant de mouvements tressautants.
Écrire des rythmes tambourinants que la forêt et ses habitants invisibles apprécieront. Je l’espère.
Qu’en sera t-il sur l’autre rive ? Sève qui peut…
Les sons auront-ils changé, s’amalgamant à d’autres, ou s’effaçant dans les coulées forestières.
Ont peut en douter, il semble qu’une forme de continuum murmurant apaise le paysage.
L’exotisme n’est pas forcément requis.
Les lutins, korrigans, hobbits, trolls ou elfes, non plus, l’esprit de la forêts se perçoit dans la furtivité de ses bruissements.
Une coulée bruissonnante semble persister, malgré l’enjambement du ruisseau, la danse improvisée, la curiosité de l’ailleurs.
Mais qu’importe, l’oreille y trouvera son compte, la forêt, même aux confins d’un hiver pressenti, est malgré tout généreuse, dans son apparent silence.
Sa traversée, toute en quiétude, nous fait offrande à portée d’oreilles.

Écoute au casque de préférence


A voir comment ça s’entend, Point d’ouïe

Voir et entendre, et inversement.
Une simple proposition, une expérience transmédiale, partagée.
Vous m’envoyez une photo, sans commentaires, qui évoque pour vous l’écoute, un paysage sonore, une ambiance ou scène acoustique, un geste d’écoute singulier, un paysage … De préférence une photo personnelle, que vous avez réalisée vous même, libre de droits.
Je la commente via un texte librement inspiré de la proposition iconique, en contrepoint. Peut-être même une petite composition sonore en naîtra.
Merci de votre participation !

Desartsonnants@gmail.com

A voir comment ça s’entend – Point d’ouïe #2

De là où j’écoute, je vois la ville

Une place haute perchée

Des bancs dominants la cité

Une vue et une écoute panoramiques

Du bas monte la rumeur

Les émergences saillent

Klaxons

Motos

Sirènes

Le tout vu et entendu d’en dessus

L’oreille prend de la hauteur

Et même de la distance

Paysage en belvédère

Et en belaudire

Paysage en ligne de fuite

Jusqu’aux Alpes par temps clair

Un banc comme affût sonore confortable

Laisser les les sons venir

Prendre le temps de les vivre en écoutant

Considérer un concert en surplomb

Les villes à reliefs gagnent à être entendues (aussi) de haut

Suivre des yeux les méandres du Rhône encaissé

Imaginer ses ambiances aquasonnantes

Non perçues d’ici

Alors les fabriquer au creux de l’oreille

D’autres regardants regardent

Mais écoutent-ils ce qu’ils voient

Rien n’est moins sûr

Peut-être partager l’écoute.


A voir comment ça s’entend, Point d’ouïe

Voir et entendre, et inversement.
Une simple proposition, une expérience transmédiale, partagée.
Vous m’envoyez une photo, sans commentaires, qui évoque pour vous l’écoute, un paysage sonore, une ambiance ou scène acoustique, un geste d’écoute singulier, un paysage … De préférence une photo personnelle, que vous avez réalisée vous même, libre de droits.
Je la commente via un texte librement inspiré de la proposition iconique, en contrepoint. Peut-être même une petite composition sonore en naîtra.
Merci de votre participation !

Desartsonnants@gmail.com

A voir comment ça s’entend – Point d’ouïe #1

@Samson Hitalic

Bruit blanc

Première livraison hivernale
On la trace furtivement
Flocons après flocons
Le nappage de la ville s’y déploie
Les étoiles mortes se ramassent à la pelle,
Tout doucement, sans faire de bruit
Même la lumière s’en ressent
Qui n’ose pas la crudité
Pour s’étaler mollement
Sur la ville ouatée
Mais bien moins wattée que d’accoutumé
La nuit trainera jusqu’au matin
She would be staying in the mood
Feutrée
Emmitouflée
Paisiblement assourdie
Que neige point vécu
Entendu le sol crisser
Tracer mon chemin
Sans déranger l’espace
Ou le moins que possible
Il y a eu un blanc manteau
Redoutable pour certains
A y laisser sa peau engourdie
Paralysée
Les froidures sont cruelles
Quand le toit fait défaut
Et la chaleur se fait gel
Et tout cela en silence
Une chape étouffante
Et des sons mortifères
Du siège de l’hiver.

A voir comment ça s’entend, Point d’ouïe

Voir et entendre, et inversement.
Une simple proposition, une expérience transmédiale, partagée.
Vous m’envoyez une photo, sans commentaires, qui évoque pour vous l’écoute, un paysage sonore, une ambiance ou scène acoustique, un geste d’écoute singulier, un paysage … De préférence une photo personnelle, que vous avez réalisée vous même, libre de droits.
Je la commente via un texte librement inspiré de la proposition iconique, en contrepoint. Peut-être même une petite composition sonore en naîtra.
Merci de votre participation !

Desartsonnants@gmail.com

Images de sons

Des roseaux dans le vent,
la grande nef d’une cathédrale,
une minuscule clairière bruissante d’insectes,
un ru entre les mousses,
une allée commerçante ,
une ruelle de nuit,
une minuscule fontaine,
un train qui passe,
des rires d’étudiants,
un coup de tonnerre au loin,
une télé par une fenêtre ouverte,
un coup de vent dans les grands peupliers,
un avion à base altitude,
un camelot harangueur,
des crapauds accoucheurs,
une cloche à la volée,
un accordéoniste de rue,
une chouette solitaire,
un rideau métallique qui ferraille,
un sérac qui s’effondre,
la pluie sur une tôle,
des talons qui claquent,
un chuchotement amoureux,
une corne de bateau,
des chants de procession,
des roulis sur les galets,
une alarme stridente,
une cour de récréation,
une valise à roulettes sur des pavés,
le cliquettement d’un escalier roulant,
un volet qui grince,
des bulles d’un champagne,
un glas,
un marché qui s’installe,
des pas sur du gravier,
un bateau qui s’éloigne,
une enseigne qui grince,
une musique au loin,
des tintements de couverts,
un orgue de barbarie,
un froissement de page,
des cliquettements des clés,
des feuilles qui raclent le sol,
une porte qui claque,
un parquet qui grince,
de l’eau qui bout,
le ronronnement d’une climatisation,
les bips d’un composteur,
les stridulations des grillons,
un balai de cantonnier
la sonnette d’une porte,
une meute de chiens,
une voiture électrique,
une grotte profonde,
des violons qui s’accordent,
une omelette fouettée,
des pétards festifs,
un verre qui se brise,
des pas dans la neige,
un gémissement de plaisir,
un torrent qui dévale,
un froissement d’aile,
une chasse d’eau,
un feu qui crépite,
une mer agitée,
une friture en cuisine,
une goutte qui fuit,
un manège pour enfants,
un muezzin,
une Harley Davidson,
un arc électrique,
une ambulance
un vieux phonographe,
des roues sur un sol mouillé
un marteau-piqueur,
les remous d’une péniche
une envolée d’étourneaux
un écho montagnard
un TGV à pleine vitesse
un œuf écalé,
un long tunnel
un mariage,
une radio mal calée,
un match de football,
la voix de ses parents,
une minuterie,
une trottinette,
un ballon de basket,
un percolateur à café,
une sonnerie de portable,
des branches qui craquent,
une caserne de pompiers,
la porte de notre immeuble, ou maison,
de la glace pilée,
une souffleuse de feuilles
un corbeau,
un tracteur agricole,
des moustiques
une fin de récréation,
une ovation,
un couloir d’hôpital,
une bâche qui claque,
une salle de restaurant,
un hélicoptère,
des chips,
une tronçonneuse,
un instant de silence…

Nul doute qu’en lisant cet inventaire hétéroclite, le lecteur entende, ou fasse sonner en lui des formes d’images de sons; chacun à sa façon, chacun dans ses souvenirs, sa propre géographie, sa culture, son imaginaire, les ressentis du moment…
Nous sommes porteurs d’une bibliothèque auriculaire pleine à craquer d’images sonores. Celles que nous convoquons parfois pour identifier une source hors-champ, pour raviver un souvenir intime, pour sonifier mentalement la lecture d’un livre, pour décrire une ville…

Bien, ou mieux s’entendre avec…

« I love you, vous ne m’entendez guère, I love you, vous ne m’entendez pas... » Gilles Vignault

PAS – Parcours Audio Sensible à Auch

On me nomme régulièrement artiste sonore, ou paysagiste sonore, et la deuxième proposition me sied parfaitement.
Penser, créer, aménager des paysages sonores, vivables, écoutables, me semble un travail, une recherche louables, un objectif de vie sans doute.

Pour autant, il faut savoir raison garder.
Dans un monde qui s’emballe, de chantiers en chantiers, de voyages en voyages, où il faut aller vite, être mobile, parfois survivre, la vitesse et le bruit ne nous épargnent pas.

Rumeur insidieuse, vacarme assourdissant, communication parasitée, toutes les formes de bruits se stratifient parfois jusqu’à ce que l’oreille doute de son propre bon entendement.

Alors un paysagiste sonore doit en prendre la mesure, par forcément métrologique, sonométrique, mais plutôt mesure du milieu auriculaire ambiant, sensible, fragile, et de ses modes de vie induites.
Jusqu’où aller, comment freiner, éviter le mur du son, faire un pas de côté, préserver sa liberté d’écoutant communiquant ?
Là où la parole est plombée d’un chape sonore tonitruante, où elle ne se fait plus entendre, noyée dans un brouhaha incessant, le silence s’installe, malgré lui, malgré nous, ou par nous. Un silence de plomb caché sous un vacarme mortifère.

Un paysagiste sonore se méfie donc de ces écueils assourdissants autant qu’étouffants.
Pour faire paysage acceptable d’un monde sonore, il ne convient pas de surenchérir par des installations empilées, mais peut-être de commencer à prendre conscience de l’existant, à le rendre plus écoutable, plus entendable, plus vivable.

Arpenter la ville, y poser une oreille bienveillante, rechercher ses aménités auriculaires, les sociabilités d’un monde complexe à l’écoute, est sans doute une série de premiers pas à franchir.
Pour suivre la pensée de John Cage, artiste à l’écoute Oh combien ouverte, inventive, cherchant sans cesse l’expérience ludique, il faut laisser au vestiaire nos a priori pour accepter les sons, sans jugements trop hâtifs.

Une oreille pragmatique repose la question du bien entendre par l’expérience de l’écoute située, mise en situation.

Le simple fait de poser une oreille curieuse sur la ville « empaysage » celle-ci. Nous créons notre propre installation sonore à ciel ouvert, à 360°, pleine de surprises et d’aléas, de mouvements, d’apparitions et de disparitions, de transformations et d’hybridations.
Monde étonnant que celui de l’espace sonore dont tant de choses nous échappent. Entre flux et cadences, la ville offre un théâtre d’écoute sans cesse renouvelé, il suffit d’y tendre une oreille tendre, curieuse, peut-être un brin béate, ravie. Néanmoins pas naïve.

La scène acoustique prend forme, avec ses espaces et limites fuyants, ses hors-champs, ses séquences, ses transitions, autant micros scènes intriquées, qui trament une histoire entre les deux oreilles.

Le monde vue par les oreilles prend forme, s’agence, l’oiseau dans la ville, la voiture aussi, les cris des enfants fugaces, la cloche prenant de la hauteur, la rumeur en toile de fond. Tout s’installe, ou presque, s’entend, cohabite, le concert est déjà commencé pour paraphraser Maurice Lemaître, il suffit d’en prendre conscience.

Néanmoins, cette écoute concertée autant que concertante, ne suffit pas toujours, tant s’en faut, à faire oublier, voire à éviter de subir les violences du monde, auxquelles nos oreilles n’échappent malheureusement pas.

De nombreux artistes, dont Raymond Murray Schafer, Max Neuhaus, Paul Panhuysen, Michel Risse et son Décor Sonore, Michel Chion, Pierre-Laurent Cassière, Baudouin Oosterlinck, et bien d’autres, ont posé, ou posent encore sur le monde une oreille attentive. Ces postures d’écoutes, toutes singulières, contribuent à construire des espaces où l’auricularité contribue à mieux entendre, à mieux s’entendre. Il nous faut aujourd’hui faire face, collectivement dans le meilleur des cas, à une série de situations pour le moins tendues, parfois très anxiogènes. Aussi, gageons que prendre soin de nos milieux sonores, nous aidera, certes modestement, à améliorer un peu la qualité de vie, à l’heure actuelle fragilisée de toutes parts, et au final à prendre mutuellement soin de nous, de nos lieux de vie.

Peut-être que le désir, voire le rôle d’un paysagiste sonore, un tant soit peu humaniste, est de mettre des écoutes et écoutants en situation d’expériences collectives, pour tenter de préserver des espace de belles ententes, au sens très large, polysémique et polyphonique du terme.

Question’ AIR (Auricularités Inter Relationnelles)

Questions en VRAC (Véritables Relations Acoustiques Créatives)

– Le PS (Parcours Sonore) engage t-il forcément un CE (Corps Écoutant), et mouvant (CM)? (questions orientée…)

– La CE (Chose Écoutée) est-elle plus importante que le Corps Écoutant (CE), et vice et versa ?

– La posture d’écoute (PE) prime-t-elle sur l’OE (objet entendu), et vice et versa ? Ou bien la déclenche-t-elle ?

– Le design, fut-il sonore (DS), ne se noie-t’il pas dans le lieu, l’ambiance, la masse, la productivité reproduisible… ? (Question orientée)

– Le MVA (Monde Virtuel Acoustique) peut-il remplacer le MRA (Monde Réel Acoustique) ? (Question orientée)

– L’OPA (Oreille Prothèse Augmentée) devient-elle plus performante (performative) que son homologue Oreille Nue, ou Naturelle (ON) ? (Question orientée)

– L’Acronyme (A) est-il – (1) nécessaire, (2) utile, (3) contreproductif, (4) décalé, (5) autre (si oui précisez)… ?

Entourez ou les Termes qui vous semblent Adéquat (TA)

Merci d’avoir participer activement à ce JDO (jeu de l’ouïe) !

De la modération des micros

Aux premiers jours du numérique ultra mobile, des enregistreurs légers, des cartes SD et disques durs quasi invisibles, la tentation fut grande de dégainer les micros à tour d’oreilles.
Puisque la qualité était au rendez-vous à moindre sous, et tenait dans la poche, ou presque, on captura sans modération quelques milliers de Giga Sounds, sans compter, et parfois sans y réfléchir plus avant.

A l’heure du dérushage, que le grand tri me croque !
Et puis que faire de tout cela ?
Que garder, que jeter, que recycler ?
Quel sens à cette débauche addictive ?

Alors Desartsonnants s’assagit, ou en tous cas tenta de le faire.
De moins en moins, il tendit ses micros frénétiquement, à chaque son semblant intéressant, exotique, digne d’entrer en collection.


Certes, il rata, et rate encore, de belles séquences qui lui filèrent sous l’oreille, mais il faut raison se faire, l’exhaustivité n’est pas une fin en soi, et n’est même pas de ce monde post-encyclopédistes, malgré tous les efforts illusoires de la toile.
Et puis la chose manquée a parfois du bon en nous poussant à une forme de résignation bienveillante.

Fini donc la voracité dévoreuse du moindre bruit, place au projet narratif non dopé à la sonotonine.

D’abord, les oreilles en avant.
Un temps d’apprivoisement du local.
Une immersion dénichant les ambiances où il fait bon s’entendre, ou pas…
Un arpentage à oreilles nues, sans appareillage ni extension, de quelque genre que ce fut.

Et puis le sujet.
Ou la multiplicité des sujets.
La forêt, la montagne, la prison, l’hôpital et leurs fictions, la ville et ses frictions, les mémoires d’un lieu, d’un collectif vivant, ou de choses disparues…
Les imaginaires, les perceptions, les ressentis…
Les colères, les résistances, les militances…

Comment s’entend-t-on, mieux je l’espère, avec des petits bouts de territoires fragiles, et tout ce qui y co-habitent, en y posant respectueusement nos esgourdes.

Qu’en dire au final, que raconter sans trop se perdre, ou bien au contraire en s’égarant joyeusement, en dérivant sciemment ?

Passée la fièvre du tout capter, les micros seront tendus à bon, ou à meilleur escient, enfin je pense, quand l’histoire se tissera sans enflure boulimique.

Parfois-même, seule l’oreille suffira.
Ou bien une trace écrite se substituera au son trop retord, ou trop intime, ou trop impalpable, quasi insaisissable, furtif dirait Damasio.
Le récit n’en sera pas pour autant appauvri, mais bien souvent plus construit, plus alerte, évitant de noyer le propos sous une avalanche sonore dégoulinante.

La matière sonore, épurée d’une surenchère consommatrice et productiviste, dans l’air du temps, de l’insatiabilité techo-geek, du podcast en série, au kilomètre, ne poussera plus le capteur de sons a des excès, des démesures ratissant tout sur leurs passages.

Les oreilles non gavées digèrent mieux que celles sur-engraissées, et deviennent sans doute plus sensibles aux douces trivialités et fragilités du monde.

Sans prôner une sobriété moralisante et déplacée, la modération des micros tendus à tout-va, est un geste de ralentissement, dans une société effrénée. Si modeste soit-il, il participe à une prise de recul, parfois de conscience, passant aussi par les oreilles.

Sons-jeux, rêve sonique

Silences des Lauzes – Sentier des Lauzes – Christian Lapie

Statues

C’était après avoir dévoré l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard, un pur chef-d’œuvre d’ailleurs.
À plusieurs reprises, y est question de plantes soniques, et de sculptures chantantes, plus ou moins maléfiques, selon les cas, souvent dans des univers aux beautés glacées, aliénantes. Avec un zeste de paysages façon Lovecraft, aussi beaux qu’inquiétants.

Ce fut donc un rêve, je pense, ou plusieurs.

Je me suis retrouvé sur une sorte de chemin capricieux, assez indéfinissable dans une topologie précise. Mer, montagne, ville, non-lieu, espace mouvant ? Une vision indécise, fluctuante, fragile, comme dans bien des rêves.
Les sculptures néanmoins étaient bien là, soniques. Elles ressemblaient, je crois me souvenir, aux magnifiques ensembles de Christian Lapie, ces fantastiques Ombres guetteuses, dressées dans de vastes paysages.
Sauf qu’elles n’étaient plus dressées silencieusement, souvenirs émergents d’on ne sait où, entre ciel et terre, mais bel et bien sonores.
Elles émettaient un chant, de mémoire éthéré, mélopées de sirènes égarées dans des prisons gangues de pierres, ou d’une autre matière lisse et compacte.
Mais là encore, ces sons restent pour moi très fugaces, comme les « vrais » d’ailleurs, mais sans doute un peu plus immatériels, énigmatiques. Des lambeaux auriculaires flottants sans jamais s’accrocher nulle part.
Je les entendrais plutôt médium aigus, lamento plaintifs, enfermés dans une coque de pierre à la fois brute et travaillée, comme des sortes de génies dans une amphore qui imploreraient qu’on les libère.
Ce que je n’ai pas fait du reste. Mais l’aurais-je pu ?
Cet univers était ambigu, entre sérénité et oppression. L’ambiance évoquait celle d’un Ballard transposé on ne sait où, ni quand, bien loin d’un concert apaisé, même avec une esthétique un brin land art.


Je ne sais pas combien de temps j’ai côtoyées, écoutées, ces statues sonifères, ni comment je les ai quittées d’ailleurs…


J’aurais aimé les retrouver, ne serait-ce qu’une fois, au hasard d’un chemin, d’une nuit, d’un autre rêve…
Ce ne fut pas le cas jusqu’à ce jour.
Peut-être que le fait de les ré-évoquer ici fera qu’elles entendront ce qui peut être un appel, une curiosité encore avivée, et me convieront de nouveau à cette étrange et lancinante promenade, guidée par leurs voix de nulle-part.

Publié dans Discuts N°20, hiver 2016, le magazine des manipulations sonores, sur une invitation d’Alexis Malbert aka Teptronic
Version revue octobre 2020

Inventaire auriculo-forestier

Branches
Craquements
Ciel
Sifflements
Oiseaux
Pépiements
Chenille
Silence
Feuilles
Froissements
Moustiques
Vrombissements
Enfants
Rires
Chasseurs
Pétarades
Pluie
Crépitements
Mousses
Amortissements
Autoroute
Rumeur
Tronc
Percussions
Terre
Piétinements
Animaux
Onomatopées
Herbes
Bruissements
Souches
Effritements
Vent
Sifflements
Voix
Cris
Voitures
Intrusions
Pierres
Claquements
Silence
Silence
Presque…

20 octobre 2022 – Fictions de la forêt – Permanence de la Littérature, Communauté d’Agglomération de Libourne (CALI)

Ronronnement, chronique audio libournaise

Jeudi 13 octobre

Départ de Lyon
Ronronnement
7 heures de bus
Ronronnement
Ça berce
On l’oublie
Òn somnole
De beaux paysages
Ronronnement

Arrivée
Promenade sur le port fluvial
Nocturne
Petite pluie intermittente, vent,
Crépitement
Marche, un grand besoin après cette traversée assise

Ronronnement
Un méga truc flottant
illuminé
Amarré
Un truc flottant pour touristes fluviaux
flottés
Aventuriers peinards de la rivière Dordogne
Ronronnement
Les moteurs alimentent les lumières à bord
Ronronnement
Et celles du dehors
Le port n’a pas assez de ressources électriques pour cela
Ronronnement
Donc les moteurs tournent
Tournent
Tournent
La nuit durant
Ronronnement
C’est agaçant, voire plus, quand on sait
Ronronnement
Heureusement, la pluie plique et ploque
Sur le vieux Pont de pierre
La Dordogne au dessous
Plic ploc
Ça fait du bien
Tout Ronronnement cessant
Ça fait du bien.

Périphériques

Des marches périphériques

Contexte

Il se trouve que, par le plus grand des hasards, deux jours d’affilée, j’ai participé, à différents titres, à des marches nous conduisant, ou longeant de grands périphériques urbains. 

La première de ces marches était même dédiée au périphérique lui-même, objet d’étude, d’arpentage, d’expérimentation collective, de création.

Entre écoutes, regards, et approches kinesthésiques, au pas à pas, se sont dessinés des similitudes, des croisements, des échos, résonances… Ce qui alimentera ici un texte s’appuyant au final sur une série de mots-clés communs aux deux pérégrinations; voire les reliant, faisant contrepoint

Une première action, écrite et guidée par l’artiste et ami genevois Cyril Bron, accueillie par l’institut d’Art contemporain de villeurbanne, nous fera, en deux étapes journalières, suivre le périphérique urbain à hauteur de Villeurbanne. Marches parfois assez physiques, dans des terrains plus ou moins accidentés, voire turbulents.

Je ne ferai que la première étape et la rencontre débriefing, étant retenu le deuxième jour par une autre marche intervention que cette fois-ci, j’encadrerai. Ce qui participera à construire en miroir ces deux approches pédo-périphériques entremêlées.

La deuxième, le lendemain, plus courte, plus urbaine, que j’encadrerai, se fera dans le cadre d’une masterclass avec un groupe d’étudiants en musique électroacoustique du Conservatoire de Pantin. Cette déambulation servira d’échauffement pour l’oreille, avant de présenter mon travail autour des notions de paysages sonores partagés. Comme une suite à la précédente, au départ non pensée comme telle, elle nous fera longer des espaces périphériques de la ville de Pantin, présentant fortuitement d’assez fortes résonances avec celle de la veille.

Les topologies, aménagements, ambiances, rythmes et actions collectives, contribueront sans aucun doute à tisser des liens sensibles, sensoriels, physiques, entre ces deux parcours, géographiquement éloignés, que rien ne semblait au départ vouloir mettre en relation.

Lisières et périphéries

La périphérie, initialement, est une ligne circulaire définissant les contours, les  limites, les lisières d’un périmètre, d’un territoire. Ici d’une ville ou d’une communauté urbaine.

Marcher le périphérique, le suivre, c’est se tenir au bord, aux bords ou aux abords de la ville, parfois, souvent, loin de son centre.

La lisière coud deux espaces, les rassemble, ou tente de le faire, marque la sortie ou l’entrée d’une forêt; imaginons la traversée initiatique, façon roman médiéval, comme de mythiques portes et barrières , des passages

Nous sommes des marcheurs excentrés, à Pantin ou Villeurbanne, loin des rues piétonnes et commerçantes, des espaces et zones d’activités maîtrisées par un aménagement ad hoc.

Nous sommes des marcheurs longeant un territoire plutôt dévolu aux voitures, camions, parfois trains… 

Nous sommes en transit dans des lieux improbables 

Nous sommes en lisière(s), ce qui nous permet parfois de passer au dehors, ou d’être dans des emprises, espaces-tampons dedans/dehors, hors des limites clairement marquées.

Nous sommes dans des espaces interstitiels, des entre-deux, des zones délaissées, presque non-lieux, mais bien existants physiquement.

L’appel des lisières peut être celui qui refuse l’enfermement jusqu’à (outre)passer les frontières de ce qui contrôle, contraint,  la marche dans les murs-limites du politiquement correct

Hésitations entre l’entrer et le sortir, ou bien le zigzaguer en inter-zones, dont celle du dehors dirait Damasio, une façon de quitter ou de résister, symboliquement e/ou physiquement, à un ordre urbanistique bien établi, tout tracé.

Une façon peut-être de braver l’interdit, en marchant dans une succession de pas de côté. 

Aventure et dépaysement

Et c’est là que survient l’aventure.

Celle qui nous emmène vers l’imprévu, ou nous amène de l’imprévu, hors de la normalité protégeant les marcheurs de trottoirs bien balisés.

L’aventure au bout du chemin, et même pendant. 

Soudain, une grille nous empêche de passer.

Franchissement si c’est possible, ou contournement, détour, changement de trajectoire.

Partir à l’aventure, le périphérique comme une marge – marche ponctué d’incertitudes.

Un sentier qui sort de ceux battus, qui nous emmène dans un ailleurs, tout proche, bien que rarement emprunté.

Et puis il y a le dépaysement.

Ce qui nous fait littéralement changer de pays, au sens figuré du terme, qui nous met horde, qui nous met hors de…

Sentier qui nous invite ailleurs, exotisme à portée de pieds. On découvre des espaces ignorés, avec tout l’étonnement de se trouver là; là où les sens sont revigorés par des espaces sauvages, qu’il nous faut dompter pour les traverser, sans vraiment les apprivoiser. Espaces qui résistent au marcheur, au groupe.

On se faufile dans l’infraordinaire, façon Pérec

Et c’est le fait de porter attention à cet infraordinaire, à cette joyeuse trivialité buissonnante, qui justement nous dépayse.Le dépaysement, voyage en France, tel que le dépeint Jean-christophe Bailly, nous l’avons là, dans ces enchevêtrements végétaux, ces arrières-cours d’usines, ces lotissements à peine traversés, contournés, ces ponts qui grondent sur nos têtes, ces murs et barrières de 

sécurité longées…

Il nous faut accepter la ville comme espace non conforme à ce que nous pratiquons habituellement,  jouer de l’encanaillement dans des périurbanités frichardes, formes d’urbex en plein-air.

Inconfort et attention

Toute marche risque de nous placer en situation inconfortable.

Et nous acceptons implicitement, tacitement, ce risque.

Sur la durée, l’inconfort s’invite de façon quasi inévitable à la randonnée, ce qui d’ailleurs nous fait d’autant plus apprécier les moments confortables, réconfortants, qui s’ensuivront.

Longueur, dénivelés, obstacles, terrains parsemé de racines invisibles, jonchés d’objets incongrus, broussailles épineuses, espaces bruyants, pollués, et parfois météos capricieuses, heureusement clémentes dans les marches citées, autant de cailloux dans la chaussure qui font pester le marcheur. 

Le périphérique n’y fait pas exception, tant s’en faut.

Quitter le macadam et les chemins bien aplanis, bien marchant, nous fait sortir de notre zone de confort, pour employer une expression consacrée.

Il faut adapter notre avancée, accepter les aléas d’un terrain, au départ non dédié à la”promenade” d’un groupe, avec des personnes qui le déchiffrent, et non pas défrichent, à l’avenant.

La ville buissonière offre son lot de petits désagréments qui, paradoxalement, rendent le cheminement plus attrayant, moins attendu sans doute.

Quitter le confortable est excitant, voire jouissif.

De plus, dans des passages plus ou moins difficiles, le groupe se soude. Il convoque et active une solidarité qui nous fera tendre la main vers l’autre, l’aider à grimper ou à descendre un passage pentu, écarter les ronces, signaler les obstacles, trous… 

Les marcheurs portent dès lors attention à leurs voisins, s’entraident, partagent leurs inconforts respectifs pour mieux les endurer ensemble.

Bien sûr il faut ici relativiser ces inconforts, volontairement subis, acceptés, en toute sécurité dirais-je, comme faisant partie du jeu. 

Nous sommes ici loin d’inconforts, et le mot est faible, de grandes détresses liées à des marches forcées, migrations, exils, expatriations, fuites…

Ce constat me permet d’ailleurs de faire une transition vers des marginalités excluantes, croisées dans ces déambulations périphériques.

Marginalités, exclusions, violences

Arpenter un périphérique n’est pas vraiment bisounours. 

On rencontre des personnes que le centre ville rejette, ne voudrait pas voir dans certains quartiers, des exclus des systèmes sociaux, des hors les clous.

SDF, réfugiés, migrants, sans papier, trafiquants, prostitution, toute une frange sociale qui, pour différentes raisons, vive, survit, voire travaillent aux marges de la cité.

Des matelas et abris de fortune, solitaires ou en campements bidonvilles, sous des ponts obscurs, humides, bruyants, des réchauds et chaises éventrées, barbecues non festifs, autant de traces et de présences Oh combien précaires et fragiles.

Une mendicité dans une atmosphère archi polluée, des conditions sanitaires effroyables, des territoires de prostitutions et deal se cotoient, le marcheur périurbain se trouve confronté à des réalités sociales et sanitaires extrêmes…

Le périphérique est souvent l’envers d’un décor urbain socialement correct, policé, enfin presque.

Parler de conditions inhospitalières, à villeurbanne, à Pantin, et dans beaucoup de villes du monde, est un faible mot, un doux euphémisme qui cache des conditions de vie pour le moins insalubres, des milieux que gangrènent violences et insécurités.

Lorsque Pérec parle d’espaces inhabitables, on est ici dans ce qui devrait l’être, et qui pourtant sert de refuge de fortune à des “habitants” en grande détresse. Des espaces délaissés, occupés tant bien que mal, et plutôt mal, de débrouille en débrouille, par des personnes elles aussi délaissées, en rupture, en fuite, en exil…

Parcourir un périphérique c’est,  loin des jolis petits oiseaux, des vertes prairies et fleurettes printanières, à l’opposé de clichés édulcorés,  se frotter à ces rencontres, à ces situations hélas quasi incontournables, dans beaucoup de pays, même des plus a priori nantis, qui nous mettent pour le moins mal à l’aise,  en tous cas en ce qui me concerne

Les périphs’ ne sont pas que terrain de jeux prétextes et contextes à des encanaillements ludiques,  ils nous jettent à la gueule ce que les centres villes, et en amont ce que le système politique et social, à bien du mal à accepter, dans sa bien pensance 

Nos expériences traversantes peuvent alors nous paraître puériles, voire indécentes, si ce n’est le fait qu’elles nous frottent à ce que nous ne voulons nous-même pas toujours regarder en face.

Murs, ponts, béton, l’urbanisme périphérique

Le gris béton contraste avec les espaces végétaux en friches verdoyantes.

Il y a là une esthétique paradoxale du sauvage, et le règne de la fonctionnalité bétonnée et goudronnée, espaces qui s’interpénètrent sans vergogne.

Il convient de se déplacer vite, contourner, protéger du regard, du bruit, entrer, sortir, relier, dans toutes les contraintes fonctionnelles des villes lisières traversées…

Et pourtant cette austérité a sa propre esthétique, une froideur aseptisée, qui néanmoins peut attirer l’œil du marcheur, du photographe, austérité rigoureuse, post Corbu, en béton banché…

Il y a des géométries, des lignes dynamiques, des modules, des rythmes, des motifs et des répétitions verticales et horizontales, des volumes récurrents, des couleurs grises béton… Des signatures spatiales.

 Et ce, de pays en pays, de villes en villes, de périphs en périphs. Antananarivo, Tunis, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Lyon, Paris, Pantin, Charleroi, Lisbonne, Montréal… Partout je les ai rencontrées, longées, marchées parfois, ces omniprésentes ambiances périurbaines, cette architecture minérale, ces paysages fonctionnels, ces boulevards de ceinture et autres rings.

A tel point que l’on peut imaginer un envahissement mondial, sans doute dans un chantier déjà grandement avancé, une métastase tentaculaire, des villes exponentiellement monstrueuses, sillonnées de serpents bétonnés aux mille ramifications;.. Une dystopie de périphéries mangées par les centres, et inversement.

Des fosses aux voitures rugissantes encadrées et canalisées dans des couloirs-guides, parsemés d’entrées et de sorties permettant de quitter ou de rejoindre ces terrains de batailles motorisées. 

Des alternances de cloisonnements aveugles, et des ouvertures ouvrant des fenêtres sur villes, des échappées sur zones industrielles, des murs de protection d’où s’ouvrent des brèches paysagères, respirations pour le regard qui s’échappe. 

Il y a des kilomètres de murs anti-bruit, à l’efficacité plus que douteuse, déroulés en frontières, bonne conscience des aménageurs.

Le périphérique est une forme d’esthétique froidement et urbanistiquement signée, ponts au-dessus, fosses au-dessous, murs, clôtures et barrières sur les côtés; une géométrie du cloisonnement qui parfois ne manque pas de charme, avec des murs surfaces/supports pour grapheurs excentrés.  

Des terrains d’explorations nous font découvrir des envers du décor urbain bien policé… En terrains bien peu lissés.

Des espaces rhizomes et pylônes, où les horizontalités et verticalités font rythmes. 

L’herbe des talus de Jacques Réda, celle qui pousse dans les interstices du béton et du macadam, comme un récit fleurissant, celle qui raconte la ville dans ses extrémités, et surtout ses marges, ses franges, sans concession, mais non dénuées de poésie déroutante.

Être dérouté, c’est bien ici quitter les routes “normales”, fréquentables, pour emprunter, sans pour autant être à l’abri d’un habitacle motorisé, des cheminements où le béton côtoie le végétal, l’animal, et parfois l’humain, pour le meilleur et pour le pire. Des architectures de lignes et de courbes chaotiques, et justement déroutantes, en tous cas pour le piéton qui s’y aventure. 

Bruit de fond, émergences et effets de masque 

Les deux derniers chapitres, dont celui-ci, nous ramèneront vers des paysages plutôt sonores, ceux habituels à Desartsonnants, ceux traversés de l’oreille, aux endroits et moments où les ambiances auriculaires reviennent sur le devant de la scène.

Bien entendu, si je puis dire, les périphéries étant surtout pensées et aménagées pour la voiture (et ses chauffeurs), les rumeurs obsédantes, drones, bruits de fond et autres soniques nappes y sont hyper présents. 

Bien trop au goût de beaucoup.

On se trouve là au cœur de magmas acoustiquement informels, d’où n’émergent que peu d’informations, de repères, de marqueurs spatio-temporels, pour le promeneur noyé de bruits ambiants, atmosphère trop immersive pour le peu.

Espace de saturation audio indéterminé, dépotoir acoustique où sont rejetées à l’extérieur des centres villes toutes les pollutions sonores trop nuisibles, physiquement comme psychologiquement, nous ne sommes pas dans des zones de confort auditif.

L’oreille s’y perd, s’y engloutit, et en souffre bien souvent.

Ceci dit, on ne peut ignorer en amont, ces zones d’inconfort, voire de malaise, en s’aventurant dans de tels terrains. 

Je dirais même que celà fait partie du jeu, et qu’il faut accepter et assumer ces territoires auriculairement turbulents, en toute connaissance de cause, avec même la jouissance d’une performance déstabilisante.

Le moteur à explosion, malgré l’apparition de la progressive motorisation électrique, règne de façon hégémonique, écrasant de son rouleau compresseur la plupart des “petits” sons alentours, en incapacité de lutter avec lui.

Dans les deux promenades prises en exemples ici, j’ai bien noté, et les dires de participants me l’ont confirmé, les gènes, stress, parfois angoisses, vécus par certains marcheurs dans des endroits particulièrement saturés.

Même si par moments, nous retrouvions des espaces plus protégés, presque apaisés, avec la possibilité de se parler sans trop hausser la voix, et de ré-entendre de fines émergences sonores, notamment des oiseaux, bienvenus à ces endroits-là.

De ces zones de marasme acoustique, émergent en effet des sons venant briser le continuum, sirènes, pépiements, voix… Tout est affaire d’échelle, de plan, d’effets acoustiques, mais aussi de focalisation de l’écoute, de l’écoutant, sur tel ou tel objet sonore.

Si, dans ces flux/flots, l’oreille, qui dit-on, n’a pas de paupières, peut être malmenée, dans des zones d’inconfort pour reprendre des constats déjà énoncés, elle n’est pourtant pas que passivement asservie et résignée.

Outre le fait qu’elle puisse modifier, de façon inconsciente, très rapidement, des propriétés  physiques, telles que des tensions ou relâchements des tympans pour amplifier ou amortir la puissance de certaines vibrations, de produire plus de cérumen pour protéger sa mécanique interne, notre cerveau convoque une série de filtres auditifs, neuro-perceptifs, ad hoc. 

On masque, on gomme, on atténue, on transforme, on tend l’oreille vers, on se détourne, selon les circonstances, les situations, les stimuli, et nos états de sensibilité, de fatigue, mais aussi de curiosité du moment

Les lieux saturés de background bruyant se prêtent tout particulièrement à de nombreuses adaptations psycho-sensorielles, comme des boucliers filtrants, ou des entonnoirs amplificateurs.

L’imagination, la feinte du détournement, sont parmi de ces processus protecteurs. 

Dans la traversée villeurbannaise, une marcheuse, habituée aux périples forestiers dans des atmosphères plutôt apaisées, nous raconte la gène, le stress, éprouvés lors du début de la marche, placée dans une situation très inhabituelle pour elle. Puis elle relate comment, dans sa tête, ce grand flux automobile, cette marée sonore intrusive s’est progressivement transformée  en une mer chuintante, de fait beaucoup plus amène.

D’acceptations en rejets, les promeneurs et les promeneuses, qu’ils ou elles soient adeptes des rave party tonitruantes ou des espaces naturels calmes, acceptent souvent un dépaysement recherché, en marche, avec une forme de radicalité performative…

C’est en partant d’espaces souvent discontinus, ponctués de flux et de coupures, que nous allons pouvoir envisager dans la dernière partie de ce texte, les notions de rythmique périphérique.

Rythmes, entre flux, cadences et scansions

Marcher un, ou des périphériques, c’est se faire happer par et dans un flux spatio-temporel. C’est se frotter à celui de la marche, et en même temps suivre celui du périphérique lui-même, matérialisé notamment par la circulation des voitures le sillonnant.

Aller d’un point à un autre, explorer, avancer, convoquent des gestes fluants, traçant dans l’espace une zone/trajet en forme de continuum.

C’est ce qu’écrit la persistance de la marche, l’avancement pas à pas, envers et contre tout.

L’action déambulante rassemble un groupe de marcheurs ré-unis par cette trame, qui pour autant n’est ni linéaire, ni rythmiquement stable. 

Nous sommes loin de la scansion métronomique du pas militaire, cadencé, mesuré à 120 à la noire, le pas redoublé dit-on.

il y a des allures, différentes et changeantes. 

Des vitesses contraintes par des tas de facteurs que le terrain et le groupe imposent. 

Sols accidentés, broussailleux, encombrés, passages délicats, pentes et talus, conditions météos, allures et formes physiques des participants.Il faut  attendre les flâneurs ou les plus lents, s’entraider, contourner… bref, autant de variations de tempi, parfois d’improvisations nécessaires au cheminement et à ses aléas.

Dans ce néanmoins flux, entre les scansions régulières d’un pas sur un trottoir permettant une marche aisée, quasi mérique, et les hésitations non métronomiques d’enjambées entravées d’obstacles, les cadences s’adaptent.

La marche est faite de variations, voire d’improvisations qui lui confèrent un statut “musical”, dans l’écriture et la lecture de durées, de sons et de silences, de progressions et de coupures.

Il y a des breaks, cassures façon jazz qui permettent d’aller parfois ailleurs, ou autrement, Un ou des pas de côté de plus.

Il y a des cadences dans l’écriture musicale “classique”, à la fois harmoniques et rythmiques, qui sont tour à tour suspensives, en pauses, ou conclusives, marquant la fin d’une “action sonore”, dans son écriture comme dans son interprétation. 

Pour filer une métaphore musicale, le paysage marché, comme une histoire en déroulé sonore, rythmique en tous cas, se ponctue, par choix ou contraintes aléatoires, de pauses, ralentissements, accélérations, des formes de points d’orgue (point de vue ou point d’ouïe).

Et ce n’est pas un long fleuve tranquille.

On peut également penser  ici  la déambulation périurbaine sous l’angle du Rhuthmos grec. La considérer en mesure temporelle, à l’éclairage de la rythmologie inspirée entre autres de la Rythmanalyse de Lefebvre

Dans cette posture, nous vivons et expérimentons  le terrain périphérique comme des corps méditatifs, philosophiques et poétiques, mais aussi sociales et politiques, tentant de mieux comprendre, de mieux se plonger dans des espaces urbains, aux marges de ce que l’on arpente habituellement.

Cette dernière approche, audio-rythmologique, pourrait faire l’objet d’un développement beaucoup plus profond et argumenté, qui n’est pas de mise ici, mais qui questionne quotidiennement le promeneur écoutant que je suis.

Conclusion en forme d’entre-deux

Ces marches, aux lisières de la cité, avec les différentes approches et postures qu’elles m’ont inspirées, sont souvent en balancement vers des pôles entre-deux. 

Confort et inconfort, sécurité et aventure, exotisme et trivialité, itinéraires et détours, avancées et blocages, esthétiques et “laideurs”, socialités et exclusions, calme et tintamarre, doux rêve et cruelle réalité…

On pourrait encore allonger encore et encore une liste-énumération rabelaisienne de ces dualités. 

Dualités non pas antinomiques, mais plutôt aux polarités mouvantes, et aux positions d’entre-d’eux fluctuantes.

Les positionnements, les réponses, ne sont pas, tant s’en faut, toujours claires et définitives, A l’image de territoires aux frontières et ambiances incertaines.

Être à la fois dans une sorte de terrain de jeu et dans des espaces où sociabilités, écologie, aménagements, vivabilités, sont souvent chahutées, dans des lectures hétérotopies foucaldiennes, fonctionnelles et symboliques, restent une expérience des plus questionnantes et enrichissantes.

 

Merci à Cyril Bron pour la proposition et l’organisation marchée du périphérique villeurbannais,

à l’équipe de l’institut d’Art contemporain de villeurbanne qui à accueilli cette démarche et organisé des espaces de rencontres et de dialogue entre les différents participants

à Marco Marini et l’équipe du conservatoire de Pantin, aux étudiants musiciens qui ont portée sur le terrain une oreille aussi musicale que sociale.

@ photos Claire Daudin et Cyril Bron

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Points d’ouïe, lieux, moments et ressentis d’écoutes

@Photo Zoé Tabourdiot – Festival City Sonic -Transcultures be

Il y a des lieux où l’on peut sereinement s’assoir sur un banc, entouré de mille friandises sonores, qui nous font nous sentir investis par et dans le monde.

Il y en a d’autres, plus instables, où des marchands de cigarettes et autres produits, nous harcèlent, et où l’on sent le pugilat, toujours prêt à vous exploser à l’oreille et au regard.

Il y en a où l’on prend plaisir dans l’explosion ferraillante de multiples trains, lancés à grande vitesse, interminables, décoiffants, qui vous agressent d’une jouissive sidération.

Il y a ces forêts, ruisseaux, oiseaux et soleil complices, qui semblent vous faire la fête sans vergogne, ni contreparties aucunes.

Il y a ces forêts d’où l’on se sent exclus, hors-jeu, tant les lémuriens hurleurs et les insectes stridulants empêchent tout sommeil ; jusqu’à ce que l’on soit rassurés, voire bercés par l’insistance évidente de cette vie trépidante.

Il y a ces ressacs obstinés, hypnotiques, roulant des galets soumis, anesthésiant toute pensée rationnelle, quitte à laisser le champ libre à la rêverie folâtre.

Il y a des choses sonores, qui scandent les moments d’une vie qui s’écoule inexorablement, sans que nous en soyons vraiment maîtres.

Il y a ces faux silences, toujours troublés d’un iota de quasi indicible, mais qui nous rassurent sur le fait que la fureur guerrière n’est pas (toujours) maitresse d’un monde bruissonant.

Et puis il y a tous ces lieux où je n’ai encore jamais posé les oreilles, mais où j’aimerais tant !

 Six bonnes raisons pour (se) construire des paysages sonores

PAS – Parcours Audio Sensible – Kaliningrad (Ru)

Du plaisir avant tout 

Dans une société où les tensions anxiogènes ne manquent pas, avoir du plaisir, à faire, à entendre, à écouter, est une chose plus que bénéfique, sinon vitale.

Bien sûr, le monde est complexe, brouillon, bouillonnant, parfois au bord de la saturation, et tout n’y est pas, tant s’en faut, réjouissant, y compris dans les scènes et ambiances sonores au quotidien.

L’oreille ne peut, par un coup de baguette magique, gommer les dysfonctionnements, ignorer les choses qui nous agressent le tympan, envahissent nos nuits.

Néanmoins tout n’est pas que bruit et déplaisir, y compris au cœur des grands complexes urbains.

A nous de rechercher, voire de construire, de préserver, des espaces où le monde sonne bien à nos oreilles, où la parole est intelligible, claire, non obligée de « passer par dessus ».

A nous de profiter de belles scènes acoustiques et autres points d’ouïe, une place où jouent des enfants, un marché volubile, une volée de cloches, les clapotements du fleuve…

Le plaisir est sensoriel, parfois sensuel, multiple, dans nos ressentis environnementaux, nos bains de sons. Il passe par la contemplation d’un coucher de soleil rougeoyant, l’odeur des croissants chauds au détour d’une rue, l’écorce d’un arbre que l’on caresse au passage, nos pieds foulant le sol, l’air frais du matin, la lumière qui nimbe la colline nappée de brouillards ténus, le soleil de printemps qui nous réchauffe enfin, les gazouillis qui se répondent dans le parc voisin…

Scènes de la vie quotidienne.

Tout cela peut nous paraître anodin, futile, peu digne d’intérêt. Et pourtant nous avons besoin de ces stimuli, de ces ambiances et repères entre autres auriculaires , qui vont rendre nos lieux de vie agréables, sinon vivables.

S’imaginer un monde gris, atone, sans relief, aseptisé, relève du cauchemar inspirant les pires dystopies science-fictionesques.

L’écoute procure, si on la laisse s’installer, de véritables émotions stimulantes, que l’on arpente la ville où qu’on l’entende de son banc, poste d’écoute et  point d’ouïe.

Et tout cela se construit, se favorise, se ménage et s’aménage, les postures d’accueil, l’ouverture sensoriel, le choix des lieux et des rencontres amènes… Nous ne sommes pas forcément dans des gestes de méditation, de transe, ni même de spleen ou de contemplation, simplement dans une réceptivité à fleur d’oreilles, de celles qui nous relient au monde.

Partager le plaisir 

Prendre du plaisir personnel, quasi hédoniste, est une bonne chose pour nous maintenir à flot. Le partager est encore plus riche.

L’écoute, dans un cadre d’action collective est donc, dans l’idée de construction relationnelle, au cœur du processus.

Marcher ensemble.

Écouter ensemble.

Faire ensemble…

Bien sûr, l’écoute collective ne sera pas la même pour chacune et chacun, même si les espaces et temporalités se superposent.

C’est même ce qui en fait sa force et sa richesse, le fait de pouvoir échanger sur nos ressentis propres, de partager nos émotions, parfois intimes, nos moments apaisés ou non, nos ralentissements dans une marche immersive, nos façons de nous entendre, plus ou moins bien, avec le monde, avec ses sonorités, avec ses écoutants…

Écouter de concert, c’est puiser dans un silence partagé, installé comme un rituel, une énergie, une synergie, que le groupe amplifie, comme une bulle qui favorise l’expression de nos affects.

Si l’après d’une déambulation auriculaire collective n’est plus comme son avant, une porte est alors ouverte sur de nouvelles expériences à venir, que les moments vécus ensemble auront sans aucun doute inspirés.

Que les déambulations s’appuient sur des perceptions esthétiques, écologiques, sociétales, urbaines, ou mieux, sur un mixe d’approches croisées, plus ou moins indisciplinaires, le partage d’expériences reste une manière de faire corps en restant ouvert à différentes sensibilités. l’échange, même non verbal de  savoir-faire est un terreau enrichissant nos inter-relations.

Façons plurielles de décupler le plaisir d’installer une écoute partagée.

Chercher à comprendre 

Si la curiosité est, dit-on, un vilain défaut, chercher à comprendre comment fonctionne notre environnement sonore, comment s’associent les sons, se génèrent les ambiances, évoluent nos bande-son au fil du temps, des événements, des aléas au quotidien, nous renseigne sur la façon dont, écouteurs-producteurs, nous vivons avec les sons.

De nombreuses approches investissant les domaines de l’écoute, physique, psychoacoustique, questionnent nos rapport au monde sonore, de ses modes de perceptions, d’analyse, mais aussi d’acteurs participants que nous somment à modeler, à fabriquer des scènes sonores, pour le meilleur et pour le pire.

Des outils de sensibilisation, des approches pédagogiques, des processus de description, de modélisation, croisant différents domaines des arts, des sciences, des problématiques éthiques, philosophiques nous aiderons à mieux comprendre les enjeux du sonore, notamment dans l’aménagement.

Être sensibilisé à ces problématiques participe à ce que nous soyons plus attentifs, non seulement au monde sonore lui-même, dans toute sa complexité, son côté éphémère et instable, mais aussi à nos propres gestes impactant le milieu et ses habitants, humains ou non. Questions de cohabitation oblige.

Depuis le travail de feu Murray Schafer les environnements sonores n’ont cessé d’évoluer, parfois dans le sens de raréfactions, disparitions, souvent dans un état d’accroissement, d’extension, de saturation, en tous cas pour ce qui est des grandes cités.

il est donc nécessaire d’accroître notre vigilance, de porter attention aux dysfonctionnements chroniques, aux pollutions parfois insidieuses qui nous rendent la vie difficile, faute d’espaces de calme où reposer nos oreilles et nos corps écoutants, parfois contre leur gré.

Malgré tout les dispositifs de filtres cognitifs, neuro-perceptifs, qui nous permettent d’effacer, d’atténuer ce que l’on pourrait qualifier ici de gêne, de choses plutôt négatives, brouillant souvent nos entendements, de paroles, de signaux et plus généralement de la lecture globale de nos milieux, nous sommes fortement impactés, voire perturbés par les sons ambiants.

Il est clair que l’on agira d’autant plus efficacement que l’on maîtrise le sujet, ici celui de notre cohabitation active avec les milieux acoustiques.

Il n’est pas cependant besoin d’étudier la physique vibratoire ni les neurosciences, il s’agit déjà, à la base, de rester à l’écoute et d’entraîner celle-ci à une lecture où plaisir et curiosité œuvrent de concert.

Défendre 

Si le fait de chercher à (mieux) comprendre  nos milieux sonores, à apprendre comment ils fonctionnent et évoluent, nous pousse à développer des sensibilités, et  peut-être des savoir-faire, cette curiosité activiste peut aussi faire de nous des militants de la belle écoute.

Nous touchons là le domaine de l’écologie sonore, prônée et développée par Murray Schafer, et plus que jamais d’actualité. Être sensible, sensibiliser, protéger, améliorer, construire, dans une idée écosophique, ou l’environnemental, le sociétal et le mental, sont portés par une éthique, une philosophie et une volonté d’agir plus que de parler, nous fait prendre la défense de ces milieux si fragiles que sont les espaces acoustiques.

Artistes, scientifiques, pédagogues, aménageurs, décideurs politiques… chacun à sa place, avec ses compétences, ses réseaux d’influence et terrains d’action, et si possible en interaction, peut se faire défenseur de paysages sonores, les plus accueillants et vivables que possible.

l’Éducation Nationale, l’Éducation populaire, l’enseignement supérieur et la recherche, les centres culturels, les festivals, les associations de terrain, les collectivités publiques,  autant de structures, de lieux, d’institutions, publics ou privés, où peuvent, voire doivent s’exercer des actions militantes.

L’apprentissage de l’écoute sous toute ses formes restant au centre de nos préoccupations d’écoutants impliqués, comme un levier  pédagogique incontournable.

De la « simple » promenade écoute, PAS – Parcours Audio Sensible, en passant par des actes performatifs, des créations sonores, installations interactives, des groupes de travail, séminaires, conférences, débats publics, interventions scolaires, publications, des études autour de la bioacoustique, de l’éco-acoustique… beaucoup de moyens d’interventions, d’actions de terrain peuvent être mis en place pour faire entendre la voix des défenseurs sonophiles.

C’est encore par le partage du plaisir de faire ensemble, et au départ d’écouter, de s’écouter, que se puisera sans  nul doute l’énergie militante.

Être sur le terrain, croiser les chemins de nombreuses personnes, mobiliser des énergies, expérimenter de façon transversale, quitte à emprunter les chemins de traverses, tout un champ d’action ne demande qu’à être activer.

Et c’est sans doute, au delà de tout discours, par l’expérimentation de terrain que passeront les actions les plus engagées et efficaces.

Expérimenter 

Plutôt agir que parler, même si la parole est source d’enseignement, d’échanges et de transmission, d’invention même, l’action de terrain reste la meilleure façon de faire vivre et évoluer des idées, des projets. Et donc ici, de construire des paysages sonores dignes de ce nom. Écoutables.

L’expérimentation, ou l’expérienciation, le fait d’acquérir des connaissances par l’expérience personnelle, sont donc moteurs dans ces constructions audio-paysagères.

Si je dis par exemple que le paysage sonore est particulier, spécifique, voire reconnaissable pour chaque lieu géographique, mon affirmation ne sera valide que si je l’appuie par des exemples concrets, si je prouve en quelque sorte sa véracité, son fondement.

Il faudra alors aller sur le terrain, tester plusieurs protocole d’écoute, temporalités, moyens techniques, façons de rapporter les résultats, de les comparer, de tester ces expériences sur différents lieux, à différents moments, avec différentes personnes, de diffuser l’information…

L’expérience joue ici un rôle déterminant. Tout d’abord pour mettre en place un processus efficient. On déclinera ainsi plusieurs variations dans les modes d’actions possibles, pour que la notion de paysage sonore prenne vie, peut-être sous forme de différents modèles, typologies.

Expériences humaines, relationnelles également, quels groupes, comme travailler en équipe, à combien, croiser des expériences… Comment se répartir les tâches, croiser nos savoir-faire, et surtout, vibre en ensemble une expérience auriculaire riche pour chaque membre du groupe ?

Expérimentations de matériel, d’outils, de méthodes.

A chaque visée, à chaque lieu, des façons de faire, de penser, de récolter, d’analyser, de construire… Il m’est difficile, sinon impossible, de concevoir une méthode clé en main, transposable à l’identique d’un endroit à l’autre, sans que l’expérimentation de terrain n’implique la mise en place de gestes et de stratégies appropriés.

Expériences de transmission, de diffusions, de traces tangibles.

Rapporter les faits et gestes, décrire, analyser, tirer des conclusions, ouvrir de nouvelles investigations, diffuser, vulgariser… L’expérimentation va là aussi nous aider à trouver des supports ad hoc, des réseaux, des relais, partenariats, sans se cantonner dans l’utilisation de modèles clé en main, figés, mais vers des solutions plus adaptatives en regard du terrain;

L’expérience de terrain est, dans toutes les phases, primordiale. Le terrain est laboratoire. On part de l’expérience in situ pour se forger, au fil du temps, une expérience globale. L’expérience professionnelle comme on dit. Celle qui nous permet de réagir à terme, assez rapidement, selon les contraintes des projets, à la mise en place d’outils répondant au besoins, ou à leurs adaptations, si ce n’est à l »invention » de nouveaux outils.

Avoir fait une belle expérience, c’est avoir vécu et qui plus est entendu de fort belles choses, qui resterons gravées en mémoire, qui jalonneront notre parcours, chacune  apportant une petite pierre à l’édifice sonore en continuelle évolution.

D’ailleurs, dans le mot expérience, il y a expert, ou expertise. Par l’expérience, et l’expérimentation, on devient « expert », expert en perpétuelle construction  certes.

Cent fois sur ton métier tu remets ton ouvrage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écoutant qu’on devient écouteur, c’est parce qu’il y a des écoutants qu’il y a des paysages sonores… Suite de maximes avérées.Et croyez moi, j’en parle d’expérience.

Confronter  

Confronter, se confronter à, littéralement en face à face, de front à front, proche d’ailleurs du fait de s’affronter…

Mais ici, évacuons la notion belliqueuse, ne montons pas au front, prenons la confrontation dans son sens plus positif, celui d’espaces de comparaison, de frottements, de rencontres et d’échanges. Et c’est dans le sens de la rencontre, non pas guerrière, mais plutôt en la pensant féconde en échanges que la confrontation s’opère ici.

Confronter des paysages.

Imaginons.

Plusieurs parcours, plusieurs points d’ouïe, plusieurs moments, plusieurs contextes…

Chacun singulier, dans ses événements, son déroulé, les enchaînements,  les itérations, les superpositions d’ambiances, de sources…

Les comparer, en tirer de chacun la substantifique moelle, les faire de croiser, s’entre-écrire, se fictionnaliser, de façon à proposer une série d’expériences parfois improbables mais Oh combien stimulantes.

Confronter les participants

Imaginons.

Acteurs sur différentes actions, acteurs de différents champs, confrontons nos vécus sur un projet commun, ou pourquoi pas, sur l’ensemble de nos activités. Ne pas garder pour soit mais avoir l’envie de créoliser, d’hybrider, de malaxer une pâte aux ingrédients multiples, penser et pratiquer une ouverture sur de multiples possibles offerts à la rencontre.

Confronter les moyens

Imaginons.

Comme des coopératives qui mettraient en commun(s) des savoir-faire théoriques, techniques, opérationnels, allons plutôt vers le partage que le pré carré aux « secrets » jalousement gardés.

Concoctons ensembles des dispositifs, outils pédagogiques, ressources open sources, développons des passerelles participatives, des portails et autres outils qui confrontent, sans esprit de concurrence, et croisent nos projets.

Ces confrontations positives, bénéfiques, sont parfois inscrites dans des réalités de terrain, mises en œuvre, expérimentées, et parfois restent en formes de vœux pieux,  de choses potentiellement faisables à plus ou moins long terme, voire de parfaites utopies dans des tiroirs oubliés.

Osons néanmoins confronter idées et  réalisations, acteurs et savoir-faire.

Osons faire en sorte de sortir de notre petite niche confortable, pour que les raisons et les motivations de construire des paysages sonore écoutables et vivables restent plus que jamais une priorité d’actualité.

Et comme je le répète régulièrement, les choses étant ce qu’est le son.

Écrire l’écoute, de nouvelles traces

Du proche au lointain, je me rapproche, il s’éloigne, son d’ici ou d’ailleurs.

Près tout près, au plus près, ce sont les battements de mon coeur, le froissement des feuilles, le craquement des brindilles.

Le bourdon de la rivière, entêtant, envahissant….effet coktail!

Petits sons émergent des sous bois, assourdissants bruits de moteurs agressent mon espace sonore. Filtrer pour mieux écouter, choisir le son, l’accompagner et le laisser repartir.

Bulle sonore construit l’espace, délimite, tisse une toile.

Questions-réponses impromptues, insolites, sons s’emmêlent et organisent le vide.

Toile sonore.

Texte, Johana Fargeon

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Faire trace pour faire exister, pour tracer de nouveaux chemins

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

Au neuvième jours de ma résidence audio-paysagère auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe », la matière sonore, visuelle, textuelle, commence à s’accumuler, à prendre corps, et surtout à progressivement faire sens.

Dans une démarche qui n’a en soi rien de très originale, j’applique ma petite méthodologie de terrain, en immersion, baigné, entouré de paysages aux vertes collines, de forêts multicolores, de rivières chantantes, de lumières automnales délicates, sans oublier les sonorités plutôt apaisées.

Et de quelques tracteurs grondants et ferraillants.

Se promener, arpenter, repérer

Écouter, donner à entendre, partager les points d’ouïe, les chemins d’écoute

Capter, cueillir, enregistrer des ambiances sonores de tous crins, écrire, photographier

Classer, trier, organiser, revisiter, construire les traces

Réécrire, recomposer, raconter…

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

En espérant avoir saisi un peu de l’essence paysagère, du monde sensible in situ, et de les restituer à ma façon, pour ainsi de les partager à qui veut bien entendre.

L’écoute, tout comme le paysage sonore en résultant, étant pour le moins immatériels, fluctuants, fluants, les traces comme outils d’écritures plurielles tenteront de lui donner vie, incarnation sensible, consistance, a posteriori de l’action, et espérons-le dans un certain prolongement temporel.

Traces sonores

Le vécu, l’écoute in situ

Le souvenir, la rémanence

Le capté, l’enregistré

Le montage audionumérique, l’écriture, la création, la composition

La restitution, les installations, les supports de diffusion

Traces écrites

Carnets de notes, relevés, approches descriptives, phénoménologiques…

Essais poétiques, politiques, écologiques, sociaux…

Traces visuelles

La photo in situ, le croquis, la vidéo, le graphisme, la carte mentale, ou sensible…

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers
Fiche d’écoute PePaSon (Pédagogie au Paysage Sonore)
Traces plastiques

L’objet évocateur, sonnant, instrument, installé, interactif (éolien), le site aménagé (point d’ouïe acoustique)

Traces kinesthésiques

La marche, mouvement, danse…

Mémoire du corps, mémoire proprioceptive

Écritures corps et graphiques

Traces géographiques

Sentiers et parcours sensibles

Cartes, relevés

Expériences augmentées , virtuelles, in situ ou déterritorialisées 

Traces transmédiales

Installations multimédiatiques (sons/objets/graphismes/photos/vidéos/expériences corporelles/textes…)

Traces indisciplinaires, ou indisciplinarisées

Approches tracées, mêlant, croisant, faisant interagir différentes disciplines ou « spécialités » (arts, sciences dures et sociales, aménagement du territoire, santé, pédagogie, design, politique) 

Dans le meilleur des cas, on imagine un travail réunissant, sans doute encore un brin utopique, musiciens, artistes sonores, géographes, sociologues, architectes, urbanistes, designers, plasticiens, vidéastes, danseurs, écrivains, poètes (et autres écrivants), photographes, graphistes, acousticiens, paysagistes, politiques, soignants, habitants et promeneurs du quotidien, et bien d’autres champs d’actions/performances in situ.

Faisons en sorte que tous ces acteurs puissent co-écrire, via des expériences en chantier, un paysage sonore pluriel, multiple, comme il l’est du reste intrinsèquement.

@photo France Le Gall –Danser l’espace – Sous les pommiers

Dans cette visée, installer l’écoute est une chose pour moi importante, mais à condition de le faire dans un contexte donné, en privilégiant une approche relationnelle des plus ouvertes que possible.

Le croisement, l’hybridation, la créolisation de gestes, de savoir-faire, d’expériences, d’envies, est au cœur, toutes traces aidant, de l’écriture, et qui plus est de l’aménagement d’un territoire, avec toutes ses potentialités, ses faiblesses, et ses fragilités inérentes.

C’est dans cette optique que la construction avec et par les traces, par le ré-agencement d’objets sensibles, témoins, recueillis pour construire un processus narratif et constructif, prendra tout son sens.

Cependant, notons que sur le terrain, la tâche n’est pas si simple. Les barrières restent nombreuses, les freins multiples.

Entre contraintes financières, soucis de rentabilité à tout prix, manque de temps alloués, tendance à l’entre-soi culturel, incompréhension, plus ou moins volontaire, de la démarche, isolement et méfiance du monde rural, comme du milieu urbain, les obstacles, dont certains pas des moindres, contraignent les projets souvent dans des résultats en deçà de nos attentes et espérances.

Fort heureusement, certaines structures, institutions, lieux alternatifs, osent courir le risque de faire un pas de côté.

En espérant que cela fasse trace(s), et qui plus est trace de nouveaux chemins d’écoute, et d’actions en tous genres.

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Bancs d’écoute, vers l’Infra-ordinaire auriculaire

Régulièrement assis sur des bancs, mobiliers que j’utilise comme des points d’ouïe, des affuts d’écoute, des lieux d’échange, je parcours donc Tourzel Ronzières, mon lieu de résidence artistique, pour repérer ces derniers.

Le village, quelques deux cent âmes, est pourvu d’une dizaine de bancs dans le seul centre de Tourzel, ce qui est tout à fait satisfaisant, même si ces jours-ci, la saison estivale terminée et les températures fraîchissant, je suis un des rares à m’y poser.

Peu importe, c’est d’ici que je prends le pouls des lieux, que je m’immerge dans ses ambiances, que je capte les mille petits riens qui font vivre à mes oreilles le site investi, surgir ses paysages sonores du moment.

J’ai ainsi testé plusieurs assises, avant que d’en choisir une, au centre du village, en contrebas d’une fontaine, avec une belle vue sur les contreforts d’Issoire, un saule pleureur qui bruissonne joliment sous le vent, tout à côté. C’est ici que je me pose donc régulièrement, avec livres, carnets de notes et micros.

Considérant l’œuvre de Georges Pérec, si le concept d’Infra-ordinaire inspire mes écoutes et leurs narrations, sa tentative d’épuisement (d’un lieu parisien), descriptif localisé entêté dans l’utopique espoir de cerner un espace, d’en faire le tour, de se l’approprier pleinement, donne également du grain à moudre au projet d’installer l’écoute.

Lorsque dans le titre de cet article, je cite l’Infra-ordinaire, concept pérequien s’il en fut, je trouve cette approche, aux tendances minimalistes, on ne peut plus appropriée au lieu et à mes situations d’écoute, dans une ambiance où les sons sont assez ténus, nonobstant le passage parfois tonitruants de tracteurs et autres machines agricoles.

Et puisque nous en sommes à citer les acteurs et gestes inspirants, je ne saurais ignorer les « Presque rien » de Luc Ferrari, où le paysage sonore composé semble tout autant se construire que se dérober, (re)fluant sans vers d’autres espaces imaginaires.

Revenons à Tourzel et à mon banc d’écoute.

Quelques rares passants, pas et voix.

Le son de la fontaine voisine en continuum.

Des chiens qui se répondent d’un bout à l’autre du viillage.

Des véhicules  qui rompent brusquement une forme de torpeur pré-hivernale.

Des oiseaux, par séquences, pigeons et passereaux.

Quelques sons discrets, des portes s’ouvrent et se referment, presque en catimini…

Des feuilles mortes raclant le sol.

Des sons de la vie de tous les jours, non ostentatoires, non spectaculaires, loin de là, mais Oh combien présents, et signifiants dirais-je même.

Un infra ordinaire auriculaire, qui ne s’impose pas, qu’il faut aller chercher, vers lequel il convient de tendre l’oreille pour en saisir les nuances.

Et des nuances, il y en a ! Surtout lorsque nous installons l’écoute, persévérante, prête à pénétrer par l’exercice de la répétition, de la lenteur, de la réitération du geste d’écoute minimaliste, dans une surprenante trivialité, bien plus excitante qu’il n’y parait de prime abord.

Ces mille et un petits sons, habituels mais sans cesse ré-agencés, repositionnés, secrètement redéployés, offrent une scène acoustique au final très dépaysante, voire exotique, dans sa façon de ne pas se dévoiler, se révéler sans efforts.

L’Infra-ordinaire demande de creuser avec une certaine abnégation, les ambiances sonores, y compris les plus ténues, pour entrer dans le flux, l’immersif, le cœur-même du village, jusqu’à y reconnaitre avant qu’ils ne se montrent, des 4X4 bringuebalants, des tracteurs pétaradants, des voix… 

Il y a un monde entre les bancs de la place lyonnaise, au bas de chez moi, avec ses bars, commerces, scènes parfois  festives, urbaines pour le meilleur et pour le pire, et ce village de montagne isolé, hors des grands axes, que certains trouveraient sans doute bien trop « calme ».

Installer patiemment l’écoute, même si les choses écoutées semblent totalement dénuées d’’intérêt dans leurs apparentes petitesses, est une posture qui permet au paysage d’émerger de ses propres sons, et à l’écoutant de se fondre avec délectation dans les lieux pour en jouir pleinement.

Une forme d’Arte Povera sonore, et au final un profond dépaysement, qui délaisse la grandiloquence (dé)monstrative, ostentatoire, pour ausculter, au sens premier du terme, les petites pépites auditives du quotidien.

Album photos

Écoutez

 

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue laDRAC Auvergne Rhône-Alpes

Eau-Sculptation

Fontaines de Tourzel @Desartsonnants

Celles et ceux qui ont l’habitude de suivre mes audio pérégrinations savent qu’il y a, dans mes écoutes et leurs mises en récits, en sons, des récurrences, des itérations, des repères quasi incontournables, marqueurs acoustiques indéniables des lieux arpentés.

L’eau fait incontestablement partie de ces éléments rémanents qui contribuent, par ses innombrables manières de fluer, de rythmer l’espace, à composer un paysage sonore, qu’il soit urbain, villageois, ou naturel.

De rivières en torrents, de cascades en fontaines, nous nous rafraîchissons l’oreille, tout en signant des ambiances spécifiques.

Ça tintinnabule

glougloutte

ruisselle

coule

chuinte

clapote

gronde

s’écoule

s’étale

fuit

déborde

masque

barbotte

plonge

abreuve

écume

se déverse

gargouille 

asperge

plique-ploque

gicle

s’égoutte

noie

éclabousse

pleut

bouillonne…

Ruisseau du Gripet – Tourzel @Desartsonnants

Une palette sonore aux mille nuances, intensités, fluences, des coulées  ou trame bleues, des points d’ouïe jalonnant l’espace…

A Tourzel Ronzières, qu’auscultent mes oreilles à ce jour, trois ou quatre fontaines/lavoirs, anciennes, de tailles imposantes, avec plusieurs bassins qui se déversent les uns dans les autres. Deux sont en activité.

Et en contrebas, le ruisseau du Gripet, qui chuinte joliment d’une eau courante serpentant entre une abondante végétation.

Tout cela rythme le village, irrigué de nombreuses sources descendant des collines pentues, ce qui ne va pas d’ailleurs sans poser problème au bâti local dont les murs sont assez malmenés par cette présence aquatique, ajouté à cela la rigueur du climat.

Pour l’oreille, de belles ambiances que l’écoutant que je suis ne peut manquer de vous narrer, et qui plus est de vous faire entendre, et voir, à ma façon.

Ecoute : Eau-sculptation

Photos

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Point d‘ouïe – Traversée n° 6 – Paysages sonores contextuels, écoutes contextualisées

Point d’ouïe Bastia – Zone Libre – Festival des Arts sonores

Tout acte, tout geste, toute pensée, sortis de leurs contextes, n’ont plus guère de sens. On constate même que la décontextualisation, parfois utilisée de façon biaisée pour interpréter un texte par exemple, est un outil de désinformation pernicieux.

Le contexte, fût-il celui d’un paysage sonore, via le geste d’écoute qui le fera exister, est aussi bien spatial, de là où j’écoute, que temporel, du moment où j’écoute, mais aussi liée à une foule d’interactions – ce qui se trouve dans mon champ d’écoute, ce qui s’y passe, les acteurs qui y agissent, le temps qu’il fait, les circonstances géopolitiques du moment…

Autant dire qu’on n’échappe pas à la relation contextuelle qui influe nos pensées, actions, dans un lieu et à un moment donné, voire en amont et en aval.

Ce serait à mon avis un peu présomptueux, voire un brin dangereusement inconscient. Une forme de déni démiurgique qui quelque part, nous couperait du monde, de ses turpitudes comme de ses aménités.

Faut-il pour autant prendre cela comme une chose acquise, et faire « comme si de rien était », voire comme si on était parfaitement maitre de toute création sonore, qui serait un objet indépendant et imperméable au milieu qui la voit naitre ?

Mieux vaut s’en doute examiner de près le contexte, pour faire en sorte que la création, par exemple en espace public, se joue de se dernier, se fondant aux lieux, questionnant l’instant, frottant les usages et les choses croisées in situ, quitte à proposer des situations ludiques décalant nos sens du contexte habituel et « prévisible ». Sans doute me direz-vous, nous sommes des messieurs Jourdain en puissance, recontextualisant sans cesse nos moindre faits et gestes sans le savoir, ou sans en mesurer la portée. Dans ce cas, un homme, et qui plus est un artiste avertit en vaut deux dit-on.

Mais justement, recontextualisons ce texte, en recadrant ce qui nous préoccupe ici, à savoir le paysage sonore et l’écoute, ou vice et versa.

Si je prends des pratiques qui me sont chères, telles le parcours d’écoute sous forme de PAS – parcours audio Sensibles, la captation d’ambiances environnementales, dite en termes techniques le field recording, ou phonographie, la création sonore issue de ces pratiques, dédiées à des espaces spécifiques… la contextualité des projets parait évidente.

Encore faut-il savoir de quoi relève ces évidentes évidences.

Choisir un lieu et un moment pour écrire et faire vivre un parcours d’écoute, c’est tenir compte de ses propres singularités.

Est-il une réserve ornithologique, un espace maritime où se tiennent des marées de grandes amplitudes, un parc urbain accueillant différentes manifestations culturelles et artistiques, une zone portuaire… A chaque cas, nous poserons pieds oreilles et micros de façon circonstanciée, avec des rythmes d’approches permettant de saisir au maximum les signatures acoustiques, un matériel de captation ad hoc, un moment de la journée ou de la nuit favorable à de belles écoutes.

Si cela peut nous paraître évident, pour autant, faute d’arpentages, de lectures, de rencontres, qui n’a jamais un jour eu le sentiment d’avoir raté le bon rendez-vous, d’avoir fait choux blanc, ou d’avoir eu l’impression de passer à côté de quelque chose, peut-être de l’esprit-même du lieu ?

Arriver en forêt trop tard pour jouir de l’heure bleue, ne pas être là où se déroulent les événements sonores recherchés, autant de déconvenues liées à de mauvaises contextualités, de notre fait ou non, la chose sonore escomptée n’étant pas toujours fidèle au rendez-vous, là et quand on l’attend.

Une pluie diluvienne, une crise sanitaire, une panne technique, peuvent remettre en cause tout un plan d’action pourtant soigneusement échafaudé, préparé, à la virgule près.

Plusieurs choix alors, renoncer et réitérer notre action quand les circonstances et le contexte seront plus favorables, si possible, ou changer notre fusil, ou enregistreur d’épaule, nous adaptant à des circonstances a priori négatives, pour les transformer en un contexte fertile dans sa forme inattendue, inentendue. Sérendipité aidant.

De même pour un PAS. Les réactions du groupe, ce qui va se produire d’inhabituel, les conditions climatiques, et bien d’autres aléas contextuels, vont infléchir notre façon d’écouter, de marcher, de proposer telle ou telle posture collective, bref, d’écrire spontanément le parcours en fonction de ce qui compose le paysage, et des événements qui le modifient sans prévenir.

Un artiste marcheur écoutant plus ou moins aguerri, ayant préparé son parcours en prenant en compte un maximum de données contextuelles plus ou moins « stables » – la topologie, les aménagements territoriaux, le climat saisonnier « moyen », le contexte historique des lieux, les usages et fonctions de des derniers… saura, à défaut de maitriser l’ensemble des paramètres, jouer entre les caractéristiques locales, et les imprévisibles toujours possibles.

Contextualiser un projet, un événement, n’est pas envisager toutes les variations et perturbations possibles, ni encore moins l’enfermer dans une trame immuable, quoiqu’il advienne.

C’est au contraire connaître suffisamment le contexte, les sources auriculaires, les acoustiques, les rythmes de modes de vie, les récurrences festives ou sociales… pour pouvoir se laisser des marges de manœuvres qui apporteront la fraicheur et une certaine inventivité du spontané.

Le contexte et tous ses imprévus sont nos alliés, dans l’arpentage jusque dans la création sonore qui s’en suit, son installation, sa médiation.

L’ignorer, ne pas suffisamment le mesurer, en calquant par exemple des modèles d’interventions ne prenant pas en comptes le contexte dans ses côtés spatio-temporels, sociétaux , c’est s’exposer à passer à côté de plein de choses, à paupériser grandement nos objectifs initiaux, y compris dans les relations humaines intrinsèques.

La contextualisation d’une écoute partagée, d’un territoire sonore in progress, n’est pas (qu’) une série de contraintes, mais aussi la possibilité stimulante de jouer avec le(s) potentiel(s), y compris le(s)pus improbable(s), d’un lieu et d’un moment.

PAS _ Parcours Audio Sensible à Saillans (Drôme)
BZA – Festival « Et pendant ce temps là les avions »

Point d’ouïe – Traversée n° 5 – Écoute et relationnel, écoute relationnelle

PAS – Desartsonnants – CRANE LAb « L’INdescente  » Collectif La Méandre – Chalon/Saône, Port Nord

Que vaut l’écoute si elle n’est pas, à un moment donné, et le plus souvent que possible, partagée ?

Que vaut l’écoute si elle n’est pas pratiquée de concert, commentée, mutualisée, construite en une chose commune, qui appartient à tout un chacun dans l’expérience collective ?

Sans doute peu de chose. Une expérience qui ne s’enrichit pas de l’autre reste pour moi un geste partiellement inabouti, frustrant, une action en cours qui n’aurait pas été jusqu’où elle aurait pu et dû être menée.

Le geste d’écoute, ni même la chose écoutée, ne sont pas forcément une finalité en soit. C’est plutôt la façon dont ces actions sont construites, collectivement, qui fait finalité, ou tout au moins une finalité.

L’important pour moi, est de considérer, de comprendre, comment l’écoute partagée place le relationnel au cœur du projet, de sa réalisation, de son accomplissement.

Un paysage sonore écouté en groupe, en un lieu et un instant, est certes vécu par une somme d’individus ayant chacun leurs propres sensibilités, expériences, façons d’entendre les choses, de s’entendre ou de se mésentendre avec elles, ou avec les gens, mais à n’en pas douter, il gagne du poids, de l’épaisseur, dans une action collective.

Je prends souvent l’exemple d’écouter un concert ou de regarder un film en solitaire, ou de le faire en groupe. Bien sûr, nous pourront, individuellement, en éprouver un certain plaisir. Néanmoins, le fait de sentir autour de soi des personnes qui nous accompagnent dans ces spectacles, amène incontestablement un plus relationnel qui, même sans échanger la moindre parole, le moindre regard, se ressentira fortement.

Assister à un concert ou spectacle avec des amis, c’est sentir une synergie d’écoutants qui accomplissent une action concertée, délibérée, même si chacun appréciera, ou non, dans sa propre différence, les œuvres entendues, ou ressentira à sa façon des sentiments parfois fort différents d’un individu à l’autre.

Cela relève du plaisir de partager nos émotions, nos joies, nos déceptions peut-être, après avoir vécu l’expérience collective d’un partage sensoriel, ou d’un partage tout court.

La notion de partage est intrinsèquement au cœur de l’expérience relationnelle, elle le nourrit, lui fournit un terreau fertile où l’oreille et le corps entier vont se trouver dans un réseau, un nœud de vibrations humaines. Cette sensation, cet état, ne seront pas toujours faciles à expliquer rationnellement, mais tout écoutant ayant expérimenté ces postures de co-écoute s’y retrouvera et comprendra aisément de quoi l’on parle ici

Le relationnel n’exige pas forcément un groupe d’écoutants important. Deux personnes, assises en silence sur un banc, ou marchant en devisant sur ce qu’elles entendent, et cela suffit à créer un contexte d’échange où le relationnel trouve naturellement toute sa place. Place qui serait celle de faire ensemble, ici d’écouter ensemble, y compris a priori des choses triviales et anodines.

Pour prendre un exemple qui m’est cher, je parlerai ici des PAS – Parcours Audio Sensibles façon Desartsonnants, appartenant à la grande famille des soundwalks, balades et autres parcours d’écoute.

Dés la première phase, le repérage, le premier arpentage pour prendre le pouls auriculaire d’un lieu, j’aime inviter des autochtones à m’accompagner. En effet, ils et elles connaissent mieux que quiconque, et en tous cas mieux que moi, ce qui pourrait faire de certains espaces des expériences d’écoute singulières.

Mais d’autre part, c’est déjà engager une relation avec des personnes, discuter de l’histoire, grande ou petite du site, de ses caractéristiques paysagères, géologiques, de ses aménagements, de sa vie au quotidien. Ces moments là sont précieux, tant dans la connaissance des sites arpentés, que dans une sympathique connivence, les personnes qui m’aident se faisant une joie de parler de leurs territoires, d’en partager les qualités comme parfois les dysfonctionnements.

Le moment venu du parcours public, c’est encore une histoire de partage qui fera sa force.

Présenter le PAS, ses finalités, ses modes de déambulations, suggérer des mises en écoute, mettre les auditeurs en condition, unir un groupe d’écoutants, tout se joue dés les premiers contacts, les premiers mots, les premiers regards.

Puis s’ébranler, sentir le groupe derrière soit, son énergie qui rayonne dans le dos, comme un chef d’orchestre qui sent l’attention du public suspendue à ses gestes, ses postures, ses respirations au gré de la musique, son échange avec les musiciens, encore une histoire d’énergie partagée… Et je parle en connaissance de cause.

La PAS s’achevant, il nous faudra rompre le silence, celui qui, paradoxalement, à la fois a plonger les écoutants dans une bulle acoustique intime, et a contribué à souder la communauté éphémère de marchécoutants, unis dans un silence fédérateur car en fait inhabituellement installé et partagé. L’expérience n’en est que plus forte.

Il faut donc rompre ce silence sans violentes cassures, revenir à un état où la parole se libère lentement, en prenant le temps de réémerger à son rythme, de sortir d’un état qui a pu être vécu comme une forme de douce méditation sonore.

Un autre relationnel, ou une autre relation communautaire vont alors s’instaurer. Des échangent qui vont exprimer les ressentis, les choses vécues, les ambiances perçues, les moments de plaisirs, les frustrations, le silence peut en être une, les inconforts parfois…

D’autres sujets vont ainsi régulièrement pointer dans les échanges.

La prédominance parfois de la voiture, selon les lieux traversés, les présences animales fragiles, fugaces, ou exubérantes, liées à des questions écologiques de disparition, de raréfaction.

Le rapport sociétal via une écoute qui prend le temps de ralentir, de réunir un ensemble de personnes dans un espace/temps commun ; la nécessité d’échapper à des situations stressantes, à des accélérations contraignantes, ou à des brusques frein, sanitaires par exemple, qui apparaissent comme des questionnements où la convivialité et le relationnel sont au corps du bien, ou mieux vivre.

L’écoute partagée est sans contexte une façon de construire des valeurs communes et bienveillantes plus que jamais nécessaires, voire vitales.

PAS – Parcours Audio Sensible Kaliningrad (Ru) – Festival « Around The sound » Institut français de Saint-Pétersbourg