PAS- Parcours Audio Sensible à la Romieu (Fr) – Co-curation des Rencontre Internationales Made of Walking 2017
Dans mon projet d’écoutant, j’ai des envies récurrentes. Parmi celle-ci, figure le fait de révéler les singularités des des ambiances et espaces acoustiques, qu’ils soient urbains ou « naturels », de jouer avec, de les faire sonner, de les partager… Tout ceci en les respectant, sans les bruitaliser, avec bienveillance, et parfois-même en silence.
Parcours Conf’errances, récits, échanges, lectures, mini-installations situées, éphémères, discrètes, jeux instrumentaux, improvisations in situ, inaugurations de points d’ouïe, écritures et croisements indisciplinés…
Si ce projet vous inspire, voyons comment le faire vivre ensemble !
Opus 1 : conférence Gilles Malatray propose une rencontre autour d’un grand pionnier des arts sonores : Max Neuhaus. Dans la lignée de John Cage, dont il admirait beaucoup le travail, il a défriché de nombreux domaines. De ses « Listen » (soundwalks), en passant par des dispositifs audio où l’auditeur est immergé dans une piscine jusqu’à ses installations dans l’espace public, l’artiste balaie un large champ de la création sonore. Il développe une importante réflexion théorique, une recherche innovante en s’appuyant sur de nombreuses expérimentations, notamment sur les mouvements sonores dans l’espace et les effets psychoacoustiques influant les postures d’écoute. Durée : environ 1 heure
Opus 2 : PAS Parcours Audio Sensible
Dans l’esprit des « listen » de Max Neuhaus), marches écoutantes newyorkaises emmenant les auditeurs hors les-murs découvrir les musiques de la ville, Gilles Malatray propose un PAS – Parcours Audio Sensible, pour découvrir la ville entre les deux oreilles. D’espaces intimes en lieux surprenants, les promeneurs guidés, redécouvrent leur ville. à oreille nue. Ils la déchiffrent telle une partition de musique, l’appréhendent comme un concert à 360, une installation sonore à ciel ouvert. Durée : environ 1 heure
Une des problématiques qui me questionne régulièrement, c’est le fait de confronter l’écoute, le paysage sonore, surtout dans ses versants écosophiques, à la création audio en règle générale.
Comment l’expérience d’écoute, dans le vaste champs des « arts sonores » soulève t-elle la question écologique, à laquelle je préfère d’ailleurs l’approche écosophique, médiatisant des actions de terrain, voire favorisant, dans une approche indisciplinaire, la recherche de perspectives et de projets alternatifs respectueux et éthiques ?
Et dans un autre sens, comment l’approche paysagère sensible, auriculaire, émule -t-elle une démarche créative, esthétique, soucieuse de préserver et de défendre des territoires sensibles Oh combien fragiles ?
Au final, par quel biais, quelles hybridations,(mé) tissages, la création sonore et les recherches bâties autour d’approches écosophiques, s’auto-alimentent-elles, via des interactions les plus efficientes et fécondes que possible ?
C’est un chantier complexe, qui peine à rassembler des acteurs ayant chacun des intérêts parfois divergents, des pratiques a priori fort différentes, mais qui je pense vaut le coup d’être mis en branle, même à des échelles locales modestes. C’est sans doute pour moi par cette recherche de terrain, que l’approche d’une écosophie de l’écoute, plutôt qu’une écologie sonore essentiellement environnementaliste, prend tout sons sens, y compris dans ses propres incertitudes.
Je reviendrai prochainement sur l’analyse de quelques approches pratiques, in situ, contextualisées (jeux d’écoutes partagées, marches écoutantes, équipes d’aménageurs pluridisciplinaires, observatoires de territoires sonores, médiation dans différents terrains/événements artistiques et socio-culturels, projets éducatifs et artistiques…) qui conforteraient et activeraient cette approche audio-écosophique.
Le travail entrepris en collaboration avec PePaSon – Pédagogie des Paysages Sonores, questionne, sur et hors terrain, les approches liées aux parcours d’écoutes, balades sonores, PAS – Parcours Audio Sensibles, et autres marches écoutantes.
Expériences in situ dans l’espace public, en sites urbains, ruraux, naturels, propositions pour des pédagogies actives autour de l’écoute, outils de création sonore, domaines de recherche-action entre les mondes de l’auricularité, les paysages sonores et les questions écosophiques contemporaines, les approches de ces pratiques sont aussi riches que variées, souvent transdisciplinaires si ce n’est indisciplinaires.
En testant différentes formes sur le terrain, et invitant des artistes, chercheurs, praticiens du son, de l’écoute, de l’environnement, de l’aménagement, des acteurs politiques ou scientifiques, à partager, à expérimenter leurs approches audio-déambulantes, un vaste chantier se fait jour.
Se rencontrer, agir in situ, échanger, se former, documenter, relayer, coorganiser, ressourcer, médiatiser, mettre en place des rencontres… constituent autant de gestes collectifs, participatifs, expérimentaux.
De ces mises en situations expérientielles, pragmatiques, situées, une série d’axes dans des champs esthétiques, techniques, environnementaux, sociétaux, se dessinent progressivement.
Les quelques directions données ci-après, sans tri, hiérarchisation, ni formes de développement, pointent des approches, domaines, modes d’action multiples, pouvant se croiser, voire s’hybrider.
Parcours et promenades écoutantes à oreilles nues Points d’ouïe et Inaugurations de Points d’ouïe Dispositifs embarqués, parcours augmentés, réalité virtuelle Technologies multimédia, installations mobiles Objets d’écoute et lutherie auriculaire acoustique et électroacoustique Spectacle vivant, arts en espaces public, musique des lieux Arts performance, postures et installations d’écoutes Paysages, écologie, géographie, aménagement Géolocalisation et cartographie Interactivité espaces sonores – artistes – publics Ressources, mémoire et traces Banques de données, inventaires Sites auriculaires remarquables, observatoires Workshops, conférences, rencontres Organisation d’événements et rencontres autour du Soundwalking
Embarquer un public pour un parcours d’écoute « à oreilles nues », à l’ère de la techno-monstration et du tape-à-l’oreille, n’est pas sans risques.
En effet, il faut avoir confiance en la capacité des écoutants à se laisser charmer par l’infra-ordinaire, façon Georges Perec, le presque rien, aurait dit Luc Ferrari.
Il faut également faire confiance aux multiples richesses sonores des lieux arpentés, qui se révéleront si on leur prête attention, oreilles aux aguets.
Un PAS – Parcours Audio Sensible se met en scène comme une installation d’écoute performative à l’air libre, via un travail sur les postures, les silences, la lenteur, les rythmes, le partage d’attention…
Parfois rituel, parfois fête improvisée, le PAS ne sera jamais identique, ni reproductible, d’un espace-temps à l’autre.
C’est une performance unique, performance dans le sens de jeu, d’interprétation, où le ludique et le décalage font faire un pas, ou une écoute, de côté.
Les lieux, leurs acoustiques et les sons qui les animent sont les héros du cheminement auriculaire, il suffit de les révéler.
Encore faut-il dénicher les espaces bien-sonnants, les points d’ouïe remarquables, les effets acoustiques à exciter pour les rendre audibles et « jouables »…
Sans compter sur l’improviste, l’inattendu, l’improbable parfois. Il nous faut prendre en compte l’événement impromptu, « l’accident », le contretemps, qu’il conviendra d’intégrer, de mettre en écoute, pour écrire de concert un paysage sonore inouï. Une part d’improvisation en l’écoute.
Des paysage sonores qui ne se reproduira plus jamais dans leurs singularités et dans la magie du moment, des ambiances mises en exergue.
Un travail de longue haleine qui, dans son apparente simplicité, sobriété, économie de moyens, nous conduit vers des explorations sensibles, des expérimentations à fleur de tympan, et je l’espère, à une forme d’ouverture au monde élargie.
Ces déambulations écoutantes nous révèlent, sans grands dispositifs audio-augmentés, des beautés auriculaires éphémères, ignorées autant que fragiles.
Pour en jouir sans les altérer, osons installer le silence, l’écoute partagée, et mettre l’oreille à nue !
Il est 21H30. Après une courte montée caillouteuse et bien pendue, nous nous retrouvons en forêt. Enfin, dans une autre partie de la forêt, celle qui s’échappe, vers les hauteurs, des chemins balisés d’un festival. Une forêt franc-comtoise dense, peuplée de feuillus élancés et entremêlés. Au bas, le festival Back to The Trees bat son plein, ses rumeurs se font encore entendre. Je le quitte progressivement, momentanément, entrainant à ma suite une bonne vingtaine de personnes, en silence, telle est la règle. Jusqu’à nous retrouver dans une ambiance purement forestière, quasi silencieuse, à nuit tombante. C’est un moment de glissement, de bascule, de transition, de fondu, moment interstitiel toujours magique pour moi. Un glissement entre la lumière et l’obscurité, entre les chants d’oiseaux diurnes et ceux nocturnes, entre une vie qui s’estompe peu à peu et une autre qui s’active, sans rien bousculer, bien au contraire. Un appel à l’écoute dans tous ses états, où le corps entier est invité à vibrer aux sons de la forêt qui s’endort et se réveille tout à la fois. Nous marchons avec le plus de discrétion que possible, pour ne pas troubler la quiétude des bois alentours, et surtout de leurs habitants. De petites histoires boisées, disséminées dans une clairière, viendront néanmoins animer ponctuellement, discrètement, le parcours. Des sons d’une autre forêt, lointaine, bordelaise, avec les voix d’enfants contant des haïkus sylvestres, créés sur place. Un décalage d’une forêt à l’autre, transposition spatio-temporelle, ludique et facétieuse. Avant que tout rentre dans l’ordre, doucement, sans que rien n’ait été brusqué, tout juste une petite incartade discrète entre bordelais et Franche Comté. La nuit s’avance, les formes s’estompent, la scène sonore devient de plus en plus ténue, intime, laissant aux oreilles un espace très aéré, où le moindre son trouve sa place dans une ambiance apaisée, loin des turbulences sonores. Auscultation des troncs, des mousses, des branchages, des rochers, on amène l’écoute vers la matière, au plus proche du toucher auditif, de la granulation sonore, de la micro aspérité. La nuit donne à l’oreille une joyeuse complicité ludique. Avant de redescendre vers la civilisation, plus sonore, où les voix viendront à nouveau ponctuer les lieux, mais néanmoins sans grands éclats, la forêt suggérant aux festivaliers de ne pas brutaliser les lieux, d’en respecter ses zones protégées, loin des grandes rumeurs urbaines. Le glissement dans la nuit nous ramène vers le bas, sans doute un peu plus à l’écoute de tout ce qui bruisse autour de nous, c’est en tous cas un des objectifs recherchés.
Notes suite à un PAS – Parcours Audio Sensible pour le Festival Back To The Trees 2023 Forêt d’Ambre à Saint-Vit (25) Samedi 02 juillet 2023
La nuit porte conseil. Alors écoutons-la ! Le marcheur y cale son rythme, en résonance à ceux de l’obscurité naissante. Allure généralement apaisée. Les couches sonores s’espacent, se font moins denses, s’aèrent, laissant de l’air libre entres les sonorités moins saturées, ou saturantes, moins amalgamées. L’oreille respire un peu plus, au fil des heures avancées. Les sons gagnent en lisibilité. On en identifie d’autant mieux les sources, les espaces où elles s’ébrouent, les mouvements, les timbres et couleurs… La nuit, tous les sons ne sont pas gris, bien au contraire. Ils gagnent en contraste, en netteté, ils s’affirment comme des particules bruissantes et singulières. De même les couleurs. Moins étales. Plus en ambiances ponctuées, contrastées. Parfois trop présentes en luminosité, qui viennent aplatir les contrastes et finesses noctambules. Comme pour les sons, il nous faut souvent choisir les chemins écartés des grandes flaques lumineuses, des grandes nappes sonores. Et lutter sans cesse contre leurs envahissements. Éteindre, assourdir, regagner des espaces non saturés. Aller vers l’intime, sortir des grands axes, des chemins rebattus, oser le trivial excentré, les lieux qu’ignore le troupeau de touristes programmés. La nuit est un terrain d’aventure sensorielle, parfois exacerbée, une zone d’écoute et de regard privilégiée, un espace immersif renforcé, pour qui sait en traverser les plages encore à demi sauvages. J’aime à profiter des ténèbres naissantes, des ombres portées, des chuchotements dans les parcs publics, des voitures endormies, ou se faisant rares, du ronronnement de la cité, avec ses émergences d’autant plus marquées de stridences fracturantes. Il nous faut parfois apprivoiser la nuit, ou plutôt passer outre nos craintes nocturnes et autres peurs du noir, pour en faire notre amie, notre confidente, notre terrain de jeu. Elle nous le rend bien, au cœur de la cité, comme de la forêt profonde. Marcher et écouter la nuit demande de la retenue, un respect des espaces traversés, une posture furtive, un corps qui se glisse dans les lieux surprenants, nappés d’ombres et de sonorités diffuses. J’ai souvent éclaboussé la nuit de cris et de rires, de fanfares cuivrées… Car elle est aussi une invitation à la fête, aux résurgences dionysiaques, étudiantesques… Aujourd’hui j’ai plus envie de lui fredonner de douces mélodies, à bouche fermée, de lui susurrer des secrets intimes, de me fondre dans son cocon ouaté. Même si je pends plaisir à croiser, à l’improviste, un groupe festif, enjoué, dans une explosion jubilatoire et quelque part joliment perturbatrice, jusqu’au calme retrouvé. La nuit est terre de contraste. Je la marche en tant que tel. Et j’invite à partager ces moments où sons, ombres et lumières, se jouent de nos sens titillées, comme nous jouons des dépaysements noctambules.
Photos d’une exploration nocturne lyonnaisedes quais du Rhône
Problématique : l’écoute et la construction de paysages sonores partagés
Thématiques : paysages sonores, esthétiques, sociabilités et écologie écoutante
Lieux et espaces : de préférence hors-les-murs, partout où le monde bruisse
Publics et partenariats : artistes, enseignants, chercheurs, aménageurs, décideurs, et toute oreille de bonne volonté
Processus et dispositifs : la marché écoutante, l’arpentage et le corps performatif, l’installation de situations d’écoute et de micros sonorités éphémères, les postures, cérémonies et rites d’écoute(s).
Modes opératoires : actions in situ, contextualisées, collectives et participatives, trans, inter et indisciplinaires
@Pascal Lainé – Festival L’arpenteur – Scènes obliques 2022 –
Traces et partages : parcours d’écoute, cartographies, récits polyphoniques, créations sonores et multimedia, enseignement, médiation et ateliers, conception d’outils pédagogiques
Remarques : pratiquer un ralentissement sensible, prendre le temps de faire ensemble, privilégier la sobriété dans la mobilité, les dispositifs et matériels non énergivores, rechercher les échanges pour co-construire avec de nombreux acteurs de terrain…
PAS – Parcours Audio Sensible nocturne – Loupian (34) Centre culturel O34rjj
Parce que l’écoute demande de la disponibilité, et que la disponibilité demande du temps.
Le temps de l’arpentage en l’occurrence, celui qui nous mesure à l’espace, physique et acoustique, matériel et sensoriel, topologique et symbolique, celui qui nous incite à y trouver notre place, sans rien précipiter.
Il nous faut nous glisser discrètement à notre place d’écoutant, celui qui désire se plonger dans les ambiances sonores, sans les brusquer, tout doucement, sans faire de bruit, ou très peu.
Nous nous sentirons notre place en prenant le temps de nous glisser entre, et dans les sons, de les laisser nous entourer, avec plus ou moins de douceur, et parfois de brusquerie, il faut en avoir conscience.
La lenteur est aussi dans la façon de marcher, donc d’arpenter, sans presser le pas, voire en le ralentissant de plus en plus, jusqu’à s’immobiliser (situation de point d’ouïe).
Les sons quant à eux, ne s’arrêteront pas pour autant, ils continueront leur ronde environnante, vivante et incessante.
Parfois cependant, il sembleront ralentir, comme dans le murmure d’un ruisseau courant, sans heurt, ni ressac, ni crescendo. Un flux reposant.
Dans une écoute attentive, le rythme est intrinsèquement empreint de lenteur, et si il ne l’est pas, il faudra la rechercher, la fabriquer même, en ralentissant franchement, contre vents et marées.
La nuit par exemple, est un moment propice à plus de lenteur, à des rythmes apaisés, enveloppés d’ obscurité, de demi-teintes, lumineuses et sonores. L’écoutant peut ainsi partir à la recherche d’espaces nocturnes, ceux peu habités, peu fréquentés, aux heures creuses, qui compenseront ses journées trépidantes.
Il peut aussi se frotter à des forêts profondes, là où marcher tranquillement, loin des routes aux flux énervés.
Dans l’idéal il peut également aspirer à une cité épurée de ses innombrables déchets sonores, de ses pollutions qui mettent l’oreille et le corps entier à mal.
La lenteur est, avec le silence, un amplificateur d’écoute, accueillie comme une respiration bienfaisante.
Exemple vécu, lors d’un PAS – Parcours Audio Sensible nocturne, dans un trajet de la place de la Croix-Rousse jusqu’à la place de l’Opéra, via les pentes et les traboules lyonnaises.
Distance : environ 1 km, zigzags compris.
Durée : deux bonnes heures.
Conditions : silence du groupe
Vitesse de déambulation : à peine 0,5 km/h, arrêts compris.
Taux de satisfaction des promeneurs écoutants : 100 %
La vitesse est sans doute, un vecteur d’inhabitabilité chronique, dans un monde qui file à grands pas vers l’insoutenable, en produisant un chaos lui-même de plus en plus inécoutable.
Il faut casser les rythmes trop effrénés, trop agressifs, pour réécouter, et au-delà, vivre et survivre au tumulte menaçant.
Il nous faut encore et toujours ralentir pour mieux entendre, nous entendre, pour tenter de mieux comprendre, pour que les paroles circulent sereinement, pour qu’on puisse en saisir la teneur, pour réduire les maltraitances de décisions et d’actions violentes et arbitraires.
La lenteur est un facteur qui conforte une pensée et une action collective pacifiée, ici celle de l’écoute, comme un acte écologique a priori anodin, néanmoins nécessaire au quotidien, en l’occurrence vers une écologie auriculaire et sociétale.
Le monde, y compris sonore, pour qu’il soit vivable, doit être pensé via une recherche d’apaisements, de ralentissements, d’économies de gestes et de réflexions, hors des réseaux épidermiques, frénétiques, générant des actions irréfléchies, à l’emporte-pièce. La recherche de paysages sonores vivables ne peut faire l’économie d’une éthique écoutante, fondamentalement relationnelle. Le plaisir de faire ensemble, de résister collectivement à un emballement sclérosant nos relations sociales, n’en sera que plus fort.
Pour conclure, les PAS – Parcours Audio Sensibles, offrent des arpentages de territoires, au fil d’expérimentations sensorielles, où la lenteur et de mise, jusque dans une certaine radicalité performative, néanmoins tout en douceur.
L’absence de tout dispositif technique, scénique, la simplicité du geste, son inscription dans un espace-temps non précipité, à la recherche de zones apaisées, militent pour une approche sensible, non invasive, non stressante, respectueuse des lieux arpentés comme des acteurs arpenteurs.
Tout commence par une foule, nombreuse, joyeuse, bavarde, mouvante. Des voix, beaucoup de voix, captées de près, en mouvement, sur la grande place historique de la cathédrale. Une fête des structures culturelles et artistiques, autour et tout près de là cathédrale. Des rythmes voisées, des déplacements, des captations discrètes, une ambiance festive. Au loin une musique, percussions en contrepoint.
Et puis, sans qu’on y prenne garde, arrivent crescendo, de loin, puis de plus en plus présentes, les cloches de la cathédrale. Une volée majestueuse qui envahit progressivement la place, fait contrepoint avec les voix ,puis finit par les couvrir, majestueuses.
S’ensuit une petite déambulation jusqu’à un manège d’enfants.
Des étudiants croisent la route des micros, ou sont-ce ces derniers qui vont à la rencontre des étudiants. Un chant traditionnel, matinée de grivoiseries potaches. Un joyeux bizutage en chansons, car c’est l’époque.
Ces scansions chantées vont faire écho à un autre rythme, plus étrange, mécanique, énigmatique pour qui n’en connait pas la source. Un contrepoids battant de portail métallique, dont le mouvement semble être une sorte de balancier perpétuel n’en finit pas d’osciller, et de s’éteindre Clic clac, des gémissements, grincements…
Avant un retour fugace aux cloches dont la volée finissante fait échos aux battements du portail. Deux mouvements a priori très différents, mais qui ont en commun de s’entretenir longtemps en balancements, dans une longue extinction décélérante.
Cette histoire auriculaire, retranscrite par un montage audio écoutante ci-dessous, s’appuie sur des « vrais » sons et ambiances, bruts dans leur captation, véritablement strasbourgeois. Et pourtant rien n’est véritablement vrai dans leur déroulé. Les espaces géographiques, périodicités acoustiques, les temporalités, sont complètement remaniées pour une question de rythme du récit, et de dynamique de la narration, tout est reconstruit de toutes pièces . L’histoire eut-été bien fade, ennuyeuse, dans une restitution phonographique « réaliste », si l’auteur, en l’occurence Desartsonnants, n’avait pris la liberté de raconter, par le biais des impressions, des ressentis, et de rythmes recomposés, un récit singulier, une fiction bien sonnante. S’il y a ici un tricotage spatio-temporel où l’imaginaire trouve largement sa places il n’y a pas pour autant trahison de la part de la part de l’écoutant transcripteur compositeur, qui va donner à entendre sa propre image sonore, sincère, même si très subjective. Les ambiances sont respectées, dans leurs dynamismes, leurs atmosphères enjouées, pou étranges, leurs diversités, et parfois complexité. Tout est à la fois bien réel in situ, et complètement remanié, pour que l’oreille y trouve son compte, prenne du plaisir d’entendre, et pour que les locaux puissent se reconnaitre, au sens propre et au sens figuré, dans cette vraie/fausse histoire strasbourgeoise. Raconter un paysage par et pour les oreilles, c’est partager des expériences d’écoute. C’est aussi construire une scénophonie, une mise en son et en situation d’écoute contextuelle, dans un récit où le fictionnel est assumé, voire revendiqué.
Points d’ouïe strasbourgeois, invité, avec Pauline Desgrandchamp, par Studio Labut , Yerri Gaspar Hummel, pour une émission radiophonique Arrêt média (cliquez sur le lien pour écouter), un PAS – Parcours Audio sensible, et des échanges avec le public autour des paysages sonores partagés. Août 2022
Ce texte fait suite à une participation, depuis un peu plus de deux années, à un séminaire transdisciplinaire, indiscipliné et pluriannuel, lié à l’axe Rythmologies. Au cours de ce séminaire, a été organisée le 24 mai 2022 une promenade écoutantesur le campus universitaire de l’Université Grenoble Alpes, via la Maison des Sciences de l’Homme. Cette action de terrain a fait se retrouver beaucoup de participants moteurs du groupe de travail Rythmologies. Un des principaux objectifs était d’expérimenter, de frotter au terrain, physiquement, quelques idées développées durant les conférences et réunions, ces dernières ayant lieu principalement en Visio, autour d’une pratique corporelle, rythmique, associant marche et écoute du campus.
Lien de lecture et/ou téléchargement : site Rhuthmos
Balades sonores en duo #1 – Tournée PePaSon 22/23 Par Gilles Malatray (aka Desartsonnant) et Arthur Enguehard
PePaSon (Pédagogie des Paysages Sonores) aime les balades elles aussi sonores. ou en tous cas écoutantes, même si parfois silencieuses dans leurs pratiques. Ses activistes ont donc décidé d’en faire un axe de travail, de rencontre, d’échanges, pour questionner nos rapports à l’écoute paysagère, quelques soient les lieux, et leurs pourquoi, avec qui, où, comment… Le tout est formalisé dans une “tournée” dont voici la première étape !
Ce 11 juin 2022, Gilles Malatray (aka Desartsonnant) et Arthur Enguehard s’associent donc pour proposer en duo une déambulation audio-paysagère composite, croisant contemplation et expression au fil de l’expérience. Partis de la place Carnot (Lyon 2e – Gare Perrache) aux alentour de 10H, le groupe s’est rendu par étape jusqu’à la MJCConfluence avant de partager un repas convivial avec les volontaires.
Marches-écoutes, pauses créatives, installations sonores et discussions collégiales se sont succédées pour donner naissance à un moment entre immersion sensible et réflexion critique sur le geste d’écoute dans une perspective pédagogique.
Dans cet article nous proposons à nos deux guides de revenir sur leurs pratiques, au prisme de la pédagogie, afin de partager leurs gestes et réflexions. A suivre…
On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS — Parcours Audio Sensibles. Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ?
On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS – Parcours Audio Sensibles.
Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? Enfin, la question serait de comprendre comment certaines pratiques enseignent et transmettent à des promeneurs-écoutants, ré-interprètes potentiels, tout à la fois des actions, via un système de consignes, inscrivant les signes d’une forte corporalité dans les territoires arpentés.
Sons, territoires, entre écologie et esthétisme
Pour ce qui est des rapports sons/territoires, un paysage sonore se dessine via l’écoute, en fonction des sources auriculaires, de leurs localisations, mouvements, des échelles sonores dynamiques, spectres timbraux, de leur densité… La topologie, les reliefs, la végétation, la nature des sols, les aménagements, contraindront également tant la propagation des sources, des effets sonores associés, que des postures d’écoute soumises aux contingences territoriales. Entre échos et réverbérations, points d’ouïe panoramiques et espaces enserrés, l’écoutant sera confronté à une multitude d’espaces acoustiques, d’autant plus qu’il pratiquera des écoutes en déambulation. Les soundwalks joueront sur la mise en scène, l’écriture d’une succession d’ambiances, tel un mixage sonore paysager en mouvement, propre au promeneur auditeur.
Nous pouvons, pour creuser le sujet, nous rapporter aux travaux du musicien nord-canadien Raymond Murray Schafer, notamment à son ouvrage emblématique The Soundscape, The Tuning of the World. Cette notion d’accordage du monde, sous-titre de l’ouvrage, pose d’emblée le postulat d’une écoute musicale, esthétique, voire d’un geste d’écoute mêlant une conscience écologique, à la recherche esthétique d’aménités paysagères.
La conscience écologique nous fait alors comprendre la fragilité de nos paysages sonores, ballottés entre la saturation chaotique des milieux urbains et la paupérisation des espaces naturels où la biodiversité souffre de multiples disparitions, que l’oreille saisit et analyse du reste mieux que le regard.
Le fait d’arpenter le terrain, toutes oreilles ouvertes, prend quant à lui sa source dans la pratique des soundwalks, que l’artiste new-yorkais Max Neuhaus a érigés en œuvres d’art, actions performatives, collectives, relationnelles autant que perceptuelles. Nous avons ici affaire à la construction d’une « œuvre de concert » en marchant et écoutant, dans les pas de John Cage – qu’admirait beaucoup Max Neuhaus. L’artiste avait d’ailleurs commencé à partitionner ses soundwalks comme des marches reproductibles. Nous y reviendrons ultérieurement.
De l’écriture à la relecture, de l’interprétation à l’improvisation, comment jouer et rejouer en mouvement la « musique des lieux » ?
À travers ces questions, les notions de jeu in situ, de traces et de consignes, tendent à montrer des formes d’écritures audio-kinesthésiques in situ ou ex-situ, singulières, partitions marchées pour promeneurs écoutants interprètes, voire ré-interprètes.
Écrire et lire, voire re-lire le paysage sonore comme une partition musicale
Penser et parcourir des cadres espaces-temps peut être une dé-marche proche de la psychogéographie debordienne. Comment revisiter des villes, quartiers, espaces péri-urbains, en décalant les modes d’appréhension, les temporalités, les grilles de lecture, en défaisant les codes fonctionnels (et politiques) urbains ? L’écoute nous offre ici, associée à la marche, une approche singulière, qu’elle soit individuelle ou collective. Privilégier un sens, dans des parcours sensibles, nous met à la fois dans un déséquilibre pouvant être ressenti comme très déstabilisant, en même temps que cette posture peut nous apporter de nouvelles jouissances quasiment inouïes. Le sentiment de, modestement, refaire la ville à sa façon, à l’oreille.
C’est également, dans une vision post-Debord, une partition politique, tracée notamment sur une conscience écologique, sans doute un brin anthropocènique, voire sur celle de participer, avec des aménageurs par exemple, à un partitionnage de la ville, dans ses travaux et aménagements incessants.
La notion de partition, « Action de partager ce qui forme un tout ou un ensemble ; résultat de cette action, partie d’un ensemble organisé… Division (d’un territoire, d’un pays) en plusieurs États indépendants… »1apparaît alors logiquement, comme un tracé à l’échelle du terrain, et une proposition d’écoute mouvante, tel un magnétophone à la fois traceur et liseur.
Ville à re-composer
Dans l’espace urbain notamment, il nous est permis de jouer. Jouer, dans un sens musical, des rythmes et dynamiques acoustiques, de construire des superpositions, de mettre en place des transitions, des effets dynamiques, des fondues d’ambiances, des coupures, des mouvements/arrêts — points d’ouïe… Bref, nous devenons une sorte de chef d’orchestre imprimant in situ une expérience kinesthésique sensible, dans l’écriture d’un parcours aux limites du rejoué (post repérage) et de l’improvisé, selon les événements-stimuli que nous rencontrerons.
La rue, la place, l’escalier tracent des lignes qui, vues de dessus, font apparaître les formes d’un parcours jalonné au gré des sons, et qu’il est possible de rejouer à l’envi, en se jouant des aléas du moment.
Nous sommes sur des lignes-mouvements, façon Kandinsky, partition graphique, esthétique, physique, dynamique, sonore et kinesthésique. Le corps traceur et mémoire(s) est en jeu d’éc(h)o-interprétation des milieux, dans des marches sensibles et symbiotiques, où le promeneur se fond dans le paysage qu’il écrit en « marchécoutant ». L’écoutant devient lui-même paysage sonore, comme une sorte de réceptacle synecdotique.
Les traces et rendus comme partitions à re-parcourir
Repérage, plan-guides, signalétiques, cartes sensibles, textes descriptifs, autant d’objets-partitions qui permettent de fixer des parcours — avec leurs marges de manœuvre, d’incertitude, leurs chemins de traverse et les libertés que l’on peut prendre. Physiquement, guidées ou non, les traces nous tissent un jeu de pistes sonores pour jouer, rejouer, ou déjouer, différents espaces à l’oreille.
La notion de déjouer est ici assez intéressante. Mot à mot, qui déjoue ne joue pas, ne joue plus, ou joue autrement. On trouve ici la possibilité de contrarier, de mettre à jour une histoire jouée d’avance. Une forme d’improvisation où les tracés se perdent face à une intuition stimulante.
La musique (des lieux) à la carte n’est jamais totalement acquise, ni parfaitement maîtrisée. Mais l’est-elle plus dans des processus d’écritures de musiques dites contemporaines ? Rien n’est moins sûr selon les œuvres.
Continuant sur des rapprochements textuels, sémantiques, le mot déchiffré, par hiatus interposé, ou coquille, peut glisser rapidement vers défriché. On déchiffre une partition, y compris sonore, en même temps qu’on la défriche, qu’on l’apprivoise en éclaircissant ses zones touffues, en traçant un itinéraire de lecture plus clair. De la page carte au territoire partition, je m’avancerais à dire qu’il n’y a qu’un pas. Plus ou moins grand selon les cas.
La carte-partition nous fait effectuer des allers-retours entre le terrain arpenté et la page pouvant être écrite, déchiffrée, interprétée comme une partition/action.
L’écriture captation traces
Le field recording (enregistrement in situ/de terrain, ou sonographie) sera également une forme de trace organisée, parfois composée, pour re-vivre ex-situ un parcours sonore, en sons fixés, selon la définition de Michel Chion.
Cette pratique, liée parfois à des secteurs spécifiques dont l’audionaturalisme, lui-même intrinsèquement lié à l’écologie sonore et à la bioacoustique, est un exemple très pratiqué aujourd’hui, sous de nombreuses formes et esthétiques.
Les plus « purs » enregistrements bruts, non ou peu retouchés, traces du « réel », dans les limites acceptables du terme, sont une sorte de constat, état des lieux, à l’instant T et dans un espace donné.
Le field recording peut ainsi être une mémoire, une fixation de parcours d’écoute, ce dernier étant de fait un geste qui ne laisse pas d’œuvre matérielle, tangible et a minima pérenne.
Néanmoins, à défaut de re-présentation fidèle, cette trace, capture sonore, pourra faire œuvre également. Plus ou moins retravaillé (montage, mixage, effets sonores), le field recording prendra ses distances avec le terrain pour devenir à son tour création sonore, prenant le pas, si j’ose dire, sur le geste original.
Pour moi, il s’agit souvent de deux œuvres différentes, certes assez fortement liées par l’écoute, le lieu, mais néanmoins autonomes d’une certaine façon.
La première est l’action performative de la marche d’écoute in situ, en générale collective.
La seconde est le résultat d’une captation donnée comme création sonore, pouvant être scénographiée par des dispositifs d’écoute, installations audio-plastiques, applications géolocalisées…
À noter d’ailleurs que dans le cas d’applications géolocalisées, l’auditeur marcheur équipé d’un smartphone, retrouvera généralement le principe d’une petite icône marcheuse parcourant une carte GMS, le guidant vers des points d’ouïe. La carte application se fait là interactive, comme une forme de partition serious game à lire en cheminant.
La vidéo fournira également un média particulièrement intéressant pour rendre compte des actions, paysages, ambiances, parcours, avec une approche « naturelle », sans sources ni colorant sonore ajouté, respectant les sons environnementaux, silences compris.
Quelques vidéos de PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants
Les partitions — consignes de soundwalks
À l’instar de Max Neuhaus (les Listen), ou de happenings façon Fluxux, voire des partitions graphiques des chorégraphies de Cunningham, des partitions-consignes proposent de jouer ou rejouer des marches d’écoute.
Il existe d’ores et déjà un répertoire, en cours de recensement (Neuhaus, Westerkamp, Corringham, Plastic Acid Orchestra, Cluett, Patterson, Kogusi…).
Gilles Malatray, aka Desartsonnants, construit petit à petit, un répertoire personnel de partitions PAS – Parcours Audio Sensibles, à jouer en solitaire ou en groupe, guidé ou en autonomie.
Aujourd’hui les technologies mobiles, embarquées, les réalités virtuelles et autres serious games nous font imaginer de nouveaux dispositifs ludiques, pouvant étendre sensiblement les modes opératoires de la partition papier, vers de nouvelles interactions marcheur/écouteur-territoire.
Les relations du marcheur écouteur aux territoires arpentés ont sans doute encore de nombreuses pistes de cartographies hybrides, d’écritures kinesthésiques à développer, entre expériences sensibles et dispositifs embarqués, explorations in situ et traces re-composées.
Points d’ouïe et Paysages sonores à portée d’oreilles
« Le silence est dehors »
Franchir un nouveau PAS
Installer le silence pour installer l’écoute pour installer le paysage sonore
Le silence est habité partageable révélateur fédérateur ouïssible
La parole disparait le geste invite le corps joue, performatif la lenteur s’installe
Le paysage alors se fait entendre
« Dedans dehors et entre »
Projet décloisonnant in/out
Dedans/Dehors, cet axe, ce mouvement est induit par son propre énoncé. C’est la volonté de faire bouger des sonorités, des paysages, des ambiances, entre les murs, entre les personnes, à l’extérieur et à l’intérieur d’espaces a priori Oh combien cloisonnés.
C’est le désir de faire naviguer des ambiances auriculaires, via des passages aller-retours, des fenêtres ouvertes, des passe-murailles symboliques. Et ce au travers la construction de paysages sonores, substrats incontournables de mon travail, ceux-là même qui contribuent à ouvrir des espaces relativement, voire très fermés.
Considérer les bancs publics comme des installations urbaines qui nous permettent d’écouter la ville, ou ailleurs, autrement. D’effectuer des parcours d’écoute en solitaire, en duo, à plusieurs… Des bancs comme un cheminement tramé in situ, un maillage cartographié de Points d’ouïe, d’affûts proposant des postures en focales, en arrêts sur sons… Des lieux où se poser, rencontrer, se frotter à des endroits parfois surprenants, pour ne pas dire Desartsonnants.
« Inaugurations de Points d’ouïe »
Cérémonies officielles autant que sonores
« Akoustiks trans-posées »
Acoustiques auriculaires
Enregistrer, comme des signatures sonores, des acoustiques architecturales remarquables, notamment par leurs réverbérations (églises, passages couverts, usines désaffectées…) Les (ré)installer hors leurs murs, avec des dispositifs ad hoc, dans d’autres espaces, leux de monstration et d’audition. Agrandir les lieux par des perceptions sonores, décaler des écoutes en jouant sur des écritures ambiantales, via les Akoustiks Trans-Posées. Désorienter les relations entre les choses vues et les choses entendues… Jouer avec des espèces d’espaces, sonores, les frontières sensibles…
Et bien d’autres actions sur mesures, cousues mains, autour de partitions marchécoutées, de paysages sonores nocturnes, d’écosophie écoutante, de résidences d’écritures audio-paysagères, workshops et groupes de travail…
Desartsonnants cherche lieux d’accueil sonophiles, sonifères, sonophages, festivals curieux de la feuille et autres terrains de bonnes ententes.
Il se trouve que, par le plus grand des hasards, deux jours d’affilée, j’ai participé, à différents titres, à des marches nous conduisant, ou longeant de grands périphériques urbains.
La première de ces marches était même dédiée au périphérique lui-même, objet d’étude, d’arpentage, d’expérimentation collective, de création.
Entre écoutes, regards, et approches kinesthésiques, au pas à pas, se sont dessinés des similitudes, des croisements, des échos, résonances… Ce qui alimentera ici un texte s’appuyant au final sur une série de mots-clés communs aux deux pérégrinations; voire les reliant, faisant contrepoint
Une première action, écrite et guidée par l’artiste et ami genevois Cyril Bron, accueillie par l’institut d’Art contemporain de villeurbanne, nous fera, en deux étapes journalières,suivre le périphérique urbain à hauteur de Villeurbanne. Marches parfois assez physiques, dans des terrains plus ou moins accidentés, voire turbulents.
Je ne ferai que la première étape et la rencontre débriefing, étant retenu le deuxième jour par une autre marche intervention que cette fois-ci, j’encadrerai. Ce qui participera à construire en miroir ces deux approches pédo-périphériques entremêlées.
La deuxième, le lendemain, plus courte, plus urbaine, que j’encadrerai, se fera dans le cadre d’une masterclass avec un groupe d’étudiants en musique électroacoustique du Conservatoire de Pantin. Cette déambulation servira d’échauffement pour l’oreille, avant de présenter mon travail autour des notions de paysages sonores partagés. Comme une suite à la précédente, au départ non pensée comme telle, elle nous fera longer des espaces périphériques de la ville de Pantin, présentant fortuitement d’assez fortes résonances avec celle de la veille.
Les topologies, aménagements, ambiances, rythmes et actions collectives, contribueront sans aucun doute à tisser des liens sensibles, sensoriels, physiques, entre ces deux parcours, géographiquement éloignés, que rien ne semblait au départ vouloir mettre en relation.
Lisières et périphéries
La périphérie, initialement, est une ligne circulaire définissant les contours, les limites, les lisières d’un périmètre, d’un territoire. Ici d’une ville ou d’une communauté urbaine.
Marcher le périphérique, le suivre, c’est se tenir au bord, aux bords ou aux abords de la ville, parfois, souvent, loin de son centre.
La lisière coud deux espaces, les rassemble, ou tente de le faire, marque la sortie ou l’entrée d’une forêt; imaginons la traversée initiatique, façon roman médiéval, comme de mythiques portes et barrières , des passages
Nous sommes des marcheurs excentrés, à Pantin ou Villeurbanne, loin des rues piétonnes et commerçantes, des espaces et zones d’activités maîtrisées par un aménagement ad hoc.
Nous sommes des marcheurs longeant un territoire plutôt dévolu aux voitures, camions, parfois trains…
Nous sommes en transit dans des lieux improbables
Nous sommes en lisière(s), ce qui nous permet parfois de passer au dehors, ou d’être dans des emprises, espaces-tampons dedans/dehors, hors des limites clairement marquées.
Nous sommes dans des espaces interstitiels, des entre-deux, des zones délaissées, presque non-lieux, mais bien existants physiquement.
L’appel des lisières peut être celui qui refuse l’enfermement jusqu’à (outre)passer les frontières de ce qui contrôle, contraint, la marche dans les murs-limites du politiquement correct
Hésitations entre l’entrer et le sortir, ou bien le zigzaguer en inter-zones, dont celle du dehors dirait Damasio, une façon de quitter ou de résister, symboliquement e/ou physiquement, à un ordre urbanistique bien établi, tout tracé.
Une façon peut-être de braver l’interdit, en marchant dans une succession de pas de côté.
Aventure et dépaysement
Et c’est là que survient l’aventure.
Celle qui nous emmène vers l’imprévu, ou nous amène de l’imprévu, hors de la normalité protégeant les marcheurs de trottoirs bien balisés.
L’aventure au bout du chemin, et même pendant.
Soudain, une grille nous empêche de passer.
Franchissement si c’est possible, ou contournement, détour, changement de trajectoire.
Partir à l’aventure, le périphérique comme une marge – marche ponctué d’incertitudes.
Un sentier qui sort de ceux battus, qui nous emmène dans un ailleurs, tout proche, bien que rarement emprunté.
Et puis il y a le dépaysement.
Ce qui nous fait littéralement changer de pays, au sens figuré du terme, qui nous met horde, qui nous met hors de…
Sentier qui nous invite ailleurs, exotisme à portée de pieds. On découvre des espaces ignorés, avec tout l’étonnement de se trouver là; là où les sens sont revigorés par des espaces sauvages, qu’il nous faut dompter pour les traverser, sans vraiment les apprivoiser. Espaces qui résistent au marcheur, au groupe.
Et c’est le fait de porter attention à cet infraordinaire, à cette joyeuse trivialité buissonnante, qui justement nous dépayse.Le dépaysement, voyage en France, tel que le dépeint Jean-christophe Bailly, nous l’avons là, dans ces enchevêtrements végétaux, ces arrières-cours d’usines, ces lotissements à peine traversés, contournés, ces ponts qui grondent sur nos têtes, ces murs et barrières de
sécurité longées…
Il nous faut accepter la ville comme espace non conforme à ce que nous pratiquons habituellement, jouer de l’encanaillement dans des périurbanités frichardes, formes d’urbex en plein-air.
Inconfort et attention
Toute marche risque de nous placer en situation inconfortable.
Et nous acceptons implicitement, tacitement, ce risque.
Sur la durée, l’inconfort s’invite de façon quasi inévitable à la randonnée, ce qui d’ailleurs nous fait d’autant plus apprécier les moments confortables, réconfortants, qui s’ensuivront.
Longueur, dénivelés, obstacles, terrains parsemé de racines invisibles, jonchés d’objets incongrus, broussailles épineuses, espaces bruyants, pollués, et parfois météos capricieuses, heureusement clémentes dans les marches citées, autant de cailloux dans la chaussure qui font pester le marcheur.
Le périphérique n’y fait pas exception, tant s’en faut.
Quitter le macadam et les chemins bien aplanis, bien marchant, nous fait sortir de notre zone de confort, pour employer une expression consacrée.
Il faut adapter notre avancée, accepter les aléas d’un terrain, au départ non dédié à la”promenade” d’un groupe, avec des personnes qui le déchiffrent, et non pas défrichent, à l’avenant.
La ville buissonière offre son lot de petits désagréments qui, paradoxalement, rendent le cheminement plus attrayant, moins attendu sans doute.
Quitter le confortable est excitant, voire jouissif.
De plus, dans des passages plus ou moins difficiles, le groupe se soude. Il convoque et active une solidarité qui nous fera tendre la main vers l’autre, l’aider à grimper ou à descendre un passage pentu, écarter les ronces, signaler les obstacles, trous…
Les marcheurs portent dès lors attention à leurs voisins, s’entraident, partagent leurs inconforts respectifs pour mieux les endurer ensemble.
Bien sûr il faut ici relativiser ces inconforts, volontairement subis, acceptés, en toute sécurité dirais-je, comme faisant partie du jeu.
Nous sommes ici loin d’inconforts, et le mot est faible, de grandes détresses liées à des marches forcées, migrations, exils, expatriations, fuites…
Ce constat me permet d’ailleurs de faire une transition vers des marginalités excluantes, croisées dans ces déambulations périphériques.
Marginalités, exclusions, violences
Arpenter un périphérique n’est pas vraiment bisounours.
On rencontre des personnes que le centre ville rejette, ne voudrait pas voir dans certains quartiers, des exclus des systèmes sociaux, des hors les clous.
SDF, réfugiés, migrants, sans papier, trafiquants, prostitution, toute une frange sociale qui, pour différentes raisons, vive, survit, voire travaillent aux marges de la cité.
Des matelas et abris de fortune, solitaires ou en campements bidonvilles, sous des ponts obscurs, humides, bruyants, des réchauds et chaises éventrées, barbecues non festifs, autant de traces et de présences Oh combien précaires et fragiles.
Une mendicité dans une atmosphère archi polluée, des conditions sanitaires effroyables, des territoires de prostitutions et deal se cotoient, le marcheur périurbain se trouve confronté à des réalités sociales et sanitaires extrêmes…
Le périphérique est souvent l’envers d’un décor urbain socialement correct, policé, enfin presque.
Parler de conditions inhospitalières, à villeurbanne, à Pantin, et dans beaucoup de villes du monde, est un faible mot, un doux euphémisme qui cache des conditions de vie pour le moins insalubres, des milieux que gangrènent violences et insécurités.
Lorsque Pérec parle d’espaces inhabitables, on est ici dans ce qui devrait l’être, et qui pourtant sert de refuge de fortune à des “habitants” en grande détresse. Des espaces délaissés, occupés tant bien que mal, et plutôt mal, de débrouille en débrouille, par des personnes elles aussi délaissées, en rupture, en fuite, en exil…
Parcourir un périphérique c’est, loin des jolis petits oiseaux, des vertes prairies et fleurettes printanières, à l’opposé de clichés édulcorés, se frotter à ces rencontres, à ces situations hélas quasi incontournables, dans beaucoup de pays, même des plus a priori nantis, qui nous mettent pour le moins mal à l’aise, en tous cas en ce qui me concerne
Les périphs’ ne sont pas que terrain de jeux prétextes et contextes à des encanaillements ludiques, ils nous jettent à la gueule ce que les centres villes, et en amont ce que le système politique et social, à bien du mal à accepter, dans sa bien pensance
Nos expériences traversantes peuvent alors nous paraître puériles, voire indécentes, si ce n’est le fait qu’elles nous frottent à ce que nous ne voulons nous-même pas toujours regarder en face.
Murs, ponts, béton, l’urbanisme périphérique
Le gris béton contraste avec les espaces végétaux en friches verdoyantes.
Il y a là une esthétique paradoxale du sauvage, et le règne de la fonctionnalité bétonnée et goudronnée, espaces qui s’interpénètrent sans vergogne.
Il convient de se déplacer vite, contourner, protéger du regard, du bruit, entrer, sortir, relier, dans toutes les contraintes fonctionnelles des villes lisières traversées…
Et pourtant cette austérité a sa propre esthétique, une froideur aseptisée, qui néanmoins peut attirer l’œil du marcheur, du photographe, austérité rigoureuse, post Corbu, en béton banché…
Il y a des géométries, des lignes dynamiques, des modules, des rythmes, des motifs et des répétitions verticales et horizontales, des volumes récurrents, des couleurs grises béton… Des signatures spatiales.
Et ce, de pays en pays, de villes en villes, de périphs en périphs. Antananarivo, Tunis, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Lyon, Paris, Pantin, Charleroi, Lisbonne, Montréal… Partout je les ai rencontrées, longées, marchées parfois, ces omniprésentes ambiances périurbaines, cette architecture minérale, ces paysages fonctionnels, ces boulevards de ceinture et autres rings.
A tel point que l’on peut imaginer un envahissement mondial, sans doute dans un chantier déjà grandement avancé, une métastase tentaculaire, des villes exponentiellement monstrueuses, sillonnées de serpents bétonnés aux mille ramifications;.. Une dystopie de périphéries mangées par les centres, et inversement.
Des fosses aux voitures rugissantes encadrées et canalisées dans des couloirs-guides, parsemés d’entrées et de sorties permettant de quitter ou de rejoindre ces terrains de batailles motorisées.
Des alternances de cloisonnements aveugles, et des ouvertures ouvrant des fenêtres sur villes, des échappées sur zones industrielles, des murs de protection d’où s’ouvrent des brèches paysagères, respirations pour le regard qui s’échappe.
Il y a des kilomètres de murs anti-bruit, à l’efficacité plus que douteuse, déroulés en frontières, bonne conscience des aménageurs.
Le périphérique est une forme d’esthétique froidement et urbanistiquement signée, ponts au-dessus, fosses au-dessous, murs, clôtures et barrières sur les côtés; une géométrie du cloisonnement qui parfois ne manque pas de charme, avec des murs surfaces/supports pour grapheurs excentrés.
Des terrains d’explorations nous font découvrir des envers du décor urbain bien policé… En terrains bien peu lissés.
Des espaces rhizomes et pylônes, où les horizontalités et verticalités font rythmes.
L’herbe des talus de Jacques Réda, celle qui pousse dans les interstices du béton et du macadam, comme un récit fleurissant, celle qui raconte la ville dans ses extrémités, et surtout ses marges, ses franges, sans concession, mais non dénuées de poésie déroutante.
Être dérouté, c’est bien ici quitter les routes “normales”, fréquentables, pour emprunter, sans pour autant être à l’abri d’un habitacle motorisé, des cheminements où le béton côtoie le végétal, l’animal, et parfois l’humain, pour le meilleur et pour le pire. Des architectures de lignes et de courbes chaotiques, et justement déroutantes, en tous cas pour le piéton qui s’y aventure.
Bruit de fond, émergences et effets de masque
Les deux derniers chapitres, dont celui-ci, nous ramèneront vers des paysages plutôt sonores, ceux habituels à Desartsonnants, ceux traversés de l’oreille, aux endroits et moments où les ambiances auriculaires reviennent sur le devant de la scène.
Bien entendu, si je puis dire, les périphéries étant surtout pensées et aménagées pour la voiture (et ses chauffeurs), les rumeurs obsédantes, drones, bruits de fond et autres soniques nappes y sont hyper présents.
Bien trop au goût de beaucoup.
On se trouve là au cœur de magmas acoustiquement informels, d’où n’émergent que peu d’informations, de repères, de marqueurs spatio-temporels, pour le promeneur noyé de bruits ambiants, atmosphère trop immersive pour le peu.
Espace de saturation audio indéterminé, dépotoir acoustique où sont rejetées à l’extérieur des centres villes toutes les pollutions sonores trop nuisibles, physiquement comme psychologiquement, nous ne sommes pas dans des zones de confort auditif.
L’oreille s’y perd, s’y engloutit, et en souffre bien souvent.
Ceci dit, on ne peut ignorer en amont, ces zones d’inconfort, voire de malaise, en s’aventurant dans de tels terrains.
Je dirais même que celà fait partie du jeu, et qu’il faut accepter et assumer ces territoires auriculairement turbulents, en toute connaissance de cause, avec même la jouissance d’une performance déstabilisante.
Le moteur à explosion, malgré l’apparition de la progressive motorisation électrique, règne de façon hégémonique, écrasant de son rouleau compresseur la plupart des “petits” sons alentours, en incapacité de lutter avec lui.
Dans les deux promenades prises en exemples ici, j’ai bien noté, et les dires de participants me l’ont confirmé, les gènes, stress, parfois angoisses, vécus par certains marcheurs dans des endroits particulièrement saturés.
Même si par moments, nous retrouvions des espaces plus protégés, presque apaisés, avec la possibilité de se parler sans trop hausser la voix, et de ré-entendre de fines émergences sonores, notamment des oiseaux, bienvenus à ces endroits-là.
De ces zones de marasme acoustique, émergent en effet des sons venant briser le continuum, sirènes, pépiements, voix… Tout est affaire d’échelle, de plan, d’effets acoustiques, mais aussi de focalisation de l’écoute, de l’écoutant, sur tel ou tel objet sonore.
Si, dans ces flux/flots, l’oreille, qui dit-on, n’a pas de paupières, peut être malmenée, dans des zones d’inconfort pour reprendre des constats déjà énoncés, elle n’est pourtant pas que passivement asservie et résignée.
Outre le fait qu’elle puisse modifier, de façon inconsciente, très rapidement, des propriétés physiques, telles que des tensions ou relâchements des tympans pour amplifier ou amortir la puissance de certaines vibrations, de produire plus de cérumen pour protéger sa mécanique interne, notre cerveau convoque une série de filtres auditifs, neuro-perceptifs, ad hoc.
On masque, on gomme, on atténue, on transforme, on tend l’oreille vers, on se détourne, selon les circonstances, les situations, les stimuli, et nos états de sensibilité, de fatigue, mais aussi de curiosité du moment
Les lieux saturés de background bruyant se prêtent tout particulièrement à de nombreuses adaptations psycho-sensorielles, comme des boucliers filtrants, ou des entonnoirs amplificateurs.
L’imagination, la feinte du détournement, sont parmi de ces processus protecteurs.
Dans la traversée villeurbannaise, une marcheuse, habituée aux périples forestiers dans des atmosphères plutôt apaisées, nous raconte la gène, le stress, éprouvés lors du début de la marche, placée dans une situation très inhabituelle pour elle. Puis elle relate comment, dans sa tête, ce grand flux automobile, cette marée sonore intrusive s’est progressivement transformée en une mer chuintante, de fait beaucoup plus amène.
D’acceptations en rejets, les promeneurs et les promeneuses, qu’ils ou elles soient adeptes des rave party tonitruantes ou des espaces naturels calmes, acceptent souvent un dépaysement recherché, en marche, avec une forme de radicalité performative…
C’est en partant d’espaces souvent discontinus, ponctués de flux et de coupures, que nous allons pouvoir envisager dans la dernière partie de ce texte, les notions de rythmique périphérique.
Rythmes, entre flux, cadences et scansions
Marcher un, ou des périphériques, c’est se faire happer par et dans un flux spatio-temporel. C’est se frotter à celui de la marche, et en même temps suivre celui du périphérique lui-même, matérialisé notamment par la circulation des voitures le sillonnant.
Aller d’un point à un autre, explorer, avancer, convoquent des gestes fluants, traçant dans l’espace une zone/trajet en forme de continuum.
C’est ce qu’écrit la persistance de la marche, l’avancement pas à pas, envers et contre tout.
L’action déambulante rassemble un groupe de marcheurs ré-unis par cette trame, qui pour autant n’est ni linéaire, ni rythmiquement stable.
Nous sommes loin de la scansion métronomique du pas militaire, cadencé, mesuré à 120 à la noire, le pas redoublé dit-on.
il y a des allures, différentes et changeantes.
Des vitesses contraintes par des tas de facteurs que le terrain et le groupe imposent.
Sols accidentés, broussailleux, encombrés, passages délicats, pentes et talus, conditions météos, allures et formes physiques des participants.Il faut attendre les flâneurs ou les plus lents, s’entraider, contourner… bref, autant de variations de tempi, parfois d’improvisations nécessaires au cheminement et à ses aléas.
Dans ce néanmoins flux, entre les scansions régulières d’un pas sur un trottoir permettant une marche aisée, quasi mérique, et les hésitations non métronomiques d’enjambées entravées d’obstacles, les cadences s’adaptent.
La marche est faite de variations, voire d’improvisations qui lui confèrent un statut “musical”, dans l’écriture et la lecture de durées, de sons et de silences, de progressions et de coupures.
Il y a des breaks, cassures façon jazz qui permettent d’aller parfois ailleurs, ou autrement, Un ou des pas de côté de plus.
Il y a des cadences dans l’écriture musicale “classique”, à la fois harmoniques et rythmiques, qui sont tour à tour suspensives, en pauses, ou conclusives, marquant la fin d’une “action sonore”, dans son écriture comme dans son interprétation.
Pour filer une métaphore musicale, le paysage marché, comme une histoire en déroulé sonore, rythmique en tous cas, se ponctue, par choix ou contraintes aléatoires, de pauses, ralentissements, accélérations, des formes de points d’orgue (point de vue ou point d’ouïe).
Et ce n’est pas un long fleuve tranquille.
On peut également penser ici la déambulation périurbaine sous l’angle du Rhuthmos grec. La considérer en mesure temporelle, à l’éclairage de la rythmologie inspirée entre autres de la Rythmanalyse de Lefebvre.
Dans cette posture, nous vivons et expérimentons le terrain périphérique comme des corps méditatifs, philosophiques et poétiques, mais aussi sociales et politiques, tentant de mieux comprendre, de mieux se plonger dans des espaces urbains, aux marges de ce que l’on arpente habituellement.
Cette dernière approche, audio-rythmologique, pourrait faire l’objet d’un développement beaucoup plus profond et argumenté, qui n’est pas de mise ici, mais qui questionne quotidiennement le promeneur écoutant que je suis.
Conclusion en forme d’entre-deux
Ces marches, aux lisières de la cité, avec les différentes approches et postures qu’elles m’ont inspirées, sont souvent en balancement vers des pôles entre-deux.
Confort et inconfort, sécurité et aventure, exotisme et trivialité, itinéraires et détours, avancées et blocages, esthétiques et “laideurs”, socialités et exclusions, calme et tintamarre, doux rêve et cruelle réalité…
On pourrait encore allonger encore et encore une liste-énumération rabelaisienne de ces dualités.
Dualités non pas antinomiques, mais plutôt aux polarités mouvantes, et aux positions d’entre-d’eux fluctuantes.
Les positionnements, les réponses, ne sont pas, tant s’en faut, toujours claires et définitives, A l’image de territoires aux frontières et ambiances incertaines.
Être à la fois dans une sorte de terrain de jeu et dans des espaces où sociabilités, écologie, aménagements, vivabilités, sont souvent chahutées, dans des lectures hétérotopies foucaldiennes, fonctionnelles et symboliques, restent une expérience des plus questionnantes et enrichissantes.
Merci àCyril Bronpour la proposition et l’organisation marchée du périphérique villeurbannais,
à l’équipe de l’institut d’Art contemporain de villeurbanne qui à accueilli cette démarche et organisé des espaces de rencontres et de dialogue entre les différents participants
à Marco Marini et l’équipe du conservatoire de Pantin, aux étudiants musiciens qui ont portée sur le terrain une oreille aussi musicale que sociale.
Repérage marchécouté – une ancienne voie de chemin de fer, sur un tronçon Privas-Chomérac, vallée de la Payre, en Ardèche. Balade en duo pour construire un prochain PAS- Parcours Audio Sensible en groupe.
Ponts dessous – Scansions paysagères, lignes de fuite cassées, ou recadrées, jeux acoustiques dessous, de voûte à voûte, réflexions, réverbération, courbures minérales en parloirs, et dialogues en dos tournés, postures ludiques !
Ponts dessus – Franchissements de nombreux cours d’eau, de différentes tailles; oreille plongeante, glougloutis à droite, à gauche, rumeur indécise au centre, mixage stéréopheaunic d’un bord à l’autre…
Revêtement – Un long ruban goudronné, assez lisse, peu sonore; il faut faire un pas de côté, sur les bas-côtés, pour entendre bruisser nos pieds foulant le gravier et les feuilles mortes, textures écrasées, et en jouer…
Ouvertures et fermetures – chemin bordé de hauts talus avec une seule perspective devant, ou bien des ouvertures latérales vers des vallées, collines, hameaux, débouchés proches ou lointains, espaces larges ou resserrés, intimes ou non, de chaque côté, rythmes de fenêtres visuelles et sonores, coupures, sons lointains et écrans acoustiques isolants… Plans, paysages au loin, ou tout près…
Passages et flux – Croisements ponctuels de marcheurs et cyclistes, assez rares en ce jour pourtant ensoleillé. Certains d’entre eux, sur deux roues, agacés par la lenteur des bipèdes flâneurs, jouent de la sonnette autoritaire, d’autres sourient, s’annoncent plus amènes… Cohabitations de mobilités parfois contrariées…
Liaisons – D’une vallée ou vallon à l’autre, d’une ville/village à l’autre… succession d’ambiances, progressivement, dans le flux de la marche, des fondues.
Zoophonieavicole – Des oiseaux, beaucoup d’oiseaux. Ils nous font des haies sonores, phoniques, ponctuent l’espace de chants et cris, nous saluent, ou non, sans doute nous ignorant, tout à leurs histoires de territoires. Nous sentons les avant postes du printemps s’avancer, le désir de s’extirper des frimas hivernaux, de bouger enfin, au grand air…
Lumières et couleurs – Douces, égayées de soleil, pré-printanières, un bleu soutenu pour le ciel, des ocres hivernaux, des verts renaissants pour une nature encline à croitre.
Dialogues – Échanges autour de ce bout d’Ardèche qui déboule vers le Rhône, grand ruban bleu, frontière, flux irriguant, nourricier, structurant, invisible d’ici, néanmoins incontournable.
Villes et villages – Ci et là, adossées aux collines, en fond de vallées, les urbanités, petites et moins petites, se font entendre discrètement, assourdies par l’éloignement, et pourtant bien présentes.
Rubans et flux – Des routes en vallées, ou prenant de la hauteur en serpentant, une rumeur assourdie, quelques émergences, jamais envahissantes ouïes de notre sente.
Travaux – Un engin fouisseur remue une terre fraiche, des herbes gorgées, au croisement d’une route, une puissante odeur d’humus qui remue des souvenirs pourtant bien enfouis.
Trancheset séquences – Deux boucles arpentées dans la journée, marchécoutées, des ambiances, quelques douces saillances, de nombreuses similitudes.
Perspectives et lignes de fuite – Un long ruban asphalté, parfois interminable coup de sabre filant au loin, propre à démoraliser le flâneur, parfois sinué de courbes généreuses, ménageant la surprise, des sons à l’avenant, souvent plus imprévisibles que la topographie ambiante.
Hors-piste – Un sentier canaille, sente sauvage, nous extrait de notre voie douce, sur le côté, en échappée belle, jusqu’à un pont enjambant un ruisseau murmurant en contre-bas, engoncé de verdure, qui nous permettra un retour progressif à la civilisation.
Fin de parcours – Les jambes, yeux et oreilles repus, un bol d’air et de calme pour sortir de l’hiver en douceur, des idées de lectures audio-paysagères en attendant d’amener le public à nous emboiter le PAS.
Point d’ouïe Bastia – Zone Libre – Festival des Arts sonores
Tout acte, tout geste, toute pensée, sortis de leurs contextes, n’ont plus guère de sens. On constate même que la décontextualisation, parfois utilisée de façon biaisée pour interpréter un texte par exemple, est un outil de désinformation pernicieux.
Le contexte, fût-il celui d’un paysage sonore, via le geste d’écoute qui le fera exister, est aussi bien spatial, de là où j’écoute, que temporel, du moment où j’écoute, mais aussi liée à une foule d’interactions – ce qui se trouve dans mon champ d’écoute, ce qui s’y passe, les acteurs qui y agissent, le temps qu’il fait, les circonstances géopolitiques du moment…
Autant dire qu’on n’échappe pas à la relation contextuelle qui influe nos pensées, actions, dans un lieu et à un moment donné, voire en amont et en aval.
Ce serait à mon avis un peu présomptueux, voire un brin dangereusement inconscient. Une forme de déni démiurgique qui quelque part, nous couperait du monde, de ses turpitudes comme de ses aménités.
Faut-il pour autant prendre cela comme une chose acquise, et faire « comme si de rien était », voire comme si on était parfaitement maitre de toute création sonore, qui serait un objet indépendant et imperméable au milieu qui la voit naitre ?
Mieux vaut s’en doute examiner de près le contexte, pour faire en sorte que la création, par exemple en espace public, se joue de se dernier, se fondant aux lieux, questionnant l’instant, frottant les usages et les choses croisées in situ, quitte à proposer des situations ludiques décalant nos sens du contexte habituel et « prévisible ». Sans doute me direz-vous, nous sommes des messieurs Jourdain en puissance, recontextualisant sans cesse nos moindre faits et gestes sans le savoir, ou sans en mesurer la portée. Dans ce cas, un homme, et qui plus est un artiste avertit en vaut deux dit-on.
Mais justement, recontextualisons ce texte, en recadrant ce qui nous préoccupe ici, à savoir le paysage sonore et l’écoute, ou vice et versa.
Si je prends des pratiques qui me sont chères, telles le parcours d’écoute sous forme de PAS – parcours audio Sensibles, la captation d’ambiances environnementales, dite en termes techniques le field recording, ou phonographie, la création sonore issue de ces pratiques, dédiées à des espaces spécifiques… la contextualité des projets parait évidente.
Encore faut-il savoir de quoi relève ces évidentes évidences.
Choisir un lieu et un moment pour écrire et faire vivre un parcours d’écoute, c’est tenir compte de ses propres singularités.
Est-il une réserve ornithologique, un espace maritime où se tiennent des marées de grandes amplitudes, un parc urbain accueillant différentes manifestations culturelles et artistiques, une zone portuaire… A chaque cas, nous poserons pieds oreilles et micros de façon circonstanciée, avec des rythmes d’approches permettant de saisir au maximum les signatures acoustiques, un matériel de captation ad hoc, un moment de la journée ou de la nuit favorable à de belles écoutes.
Si cela peut nous paraître évident, pour autant, faute d’arpentages, de lectures, de rencontres, qui n’a jamais un jour eu le sentiment d’avoir raté le bon rendez-vous, d’avoir fait choux blanc, ou d’avoir eu l’impression de passer à côté de quelque chose, peut-être de l’esprit-même du lieu ?
Arriver en forêt trop tard pour jouir de l’heure bleue, ne pas être là où se déroulent les événements sonores recherchés, autant de déconvenues liées à de mauvaises contextualités, de notre fait ou non, la chose sonore escomptée n’étant pas toujours fidèle au rendez-vous, là et quand on l’attend.
Une pluie diluvienne, une crise sanitaire, une panne technique, peuvent remettre en cause tout un plan d’action pourtant soigneusement échafaudé, préparé, à la virgule près.
Plusieurs choix alors, renoncer et réitérer notre action quand les circonstances et le contexte seront plus favorables, si possible, ou changer notre fusil, ou enregistreur d’épaule, nous adaptant à des circonstances a priori négatives, pour les transformer en un contexte fertile dans sa forme inattendue, inentendue. Sérendipité aidant.
De même pour un PAS. Les réactions du groupe, ce qui va se produire d’inhabituel, les conditions climatiques, et bien d’autres aléas contextuels, vont infléchir notre façon d’écouter, de marcher, de proposer telle ou telle posture collective, bref, d’écrire spontanément le parcours en fonction de ce qui compose le paysage, et des événements qui le modifient sans prévenir.
Un artiste marcheur écoutant plus ou moins aguerri, ayant préparé son parcours en prenant en compte un maximum de données contextuelles plus ou moins « stables » – la topologie, les aménagements territoriaux, le climat saisonnier « moyen », le contexte historique des lieux, les usages et fonctions de des derniers… saura, à défaut de maitriser l’ensemble des paramètres, jouer entre les caractéristiques locales, et les imprévisibles toujours possibles.
Contextualiser un projet, un événement, n’est pas envisager toutes les variations et perturbations possibles, ni encore moins l’enfermer dans une trame immuable, quoiqu’il advienne.
C’est au contraire connaître suffisamment le contexte, les sources auriculaires, les acoustiques, les rythmes de modes de vie, les récurrences festives ou sociales… pour pouvoir se laisser des marges de manœuvres qui apporteront la fraicheur et une certaine inventivité du spontané.
Le contexte et tous ses imprévus sont nos alliés, dans l’arpentage jusque dans la création sonore qui s’en suit, son installation, sa médiation.
L’ignorer, ne pas suffisamment le mesurer, en calquant par exemple des modèles d’interventions ne prenant pas en comptes le contexte dans ses côtés spatio-temporels, sociétaux , c’est s’exposer à passer à côté de plein de choses, à paupériser grandement nos objectifs initiaux, y compris dans les relations humaines intrinsèques.
La contextualisation d’une écoute partagée, d’un territoire sonore in progress, n’est pas (qu’) une série de contraintes, mais aussi la possibilité stimulante de jouer avec le(s) potentiel(s), y compris le(s)pus improbable(s), d’un lieu et d’un moment.
PAS _ Parcours Audio Sensible à Saillans (Drôme) BZA – Festival « Et pendant ce temps là les avions »
Lieux : Près de chez vous, ou loin, ou très loin, en ville…
Temporalité : Quand l’envie vous en prend, pour une durée indéterminée, ou déterminée
Publics : En solitaire ou en groupe
Actions : Se procurer une carte de la ville, ou suivre un itinéraire géolocalisé sur son smartphone Se noter, au préalable, une liste de contraintes, ou de règles du jeu. Exemple : Compter six rues à droite (ou à gauche), à l’intersection de la 6e, faites une arrêt écoute de 3 minutes (ou plus, ou moins), installez un point d’ouïe donc; puis prendre la rue à droite (ou à gauche) réitérez l’opération autant de fois que vous le souhaitez. Arrêtez vous à tous les numéros de rue se terminant par le chiffre 6 (ou un autre de votre choix) écoutez, repartez… Arrêtez vous à chaque croisement dont le nom de la rue de droite fait référence à un lieu, ville, région… (Rue de Paris, de Brest, de Provence, d’Italie…) Postez votre oreille. Suivre une ligne de métro, ou de bus, arrêtez vous à chaque station pour effectuer un point d’ouïe de la durée de votre choix. Inventez d’autres consignes de jeux, vous pouvez, à certains moments, les tirer au sort ou les faire choisir à l’aveugle par des membres du groupe.
Variantes : en forêt, comptez le 6e (ou un autre ième) arbre sur la gauche du chemin… Inventez des variantes selon la géographie locale.
Temporalités : Pas de contraintes, de jour comme de nuit, avec une préférence pour la nuit.
Public : Groupe de 2 à 20 personnes, ou parcours libre en autonomie…
Actions : Parcourir une ville en y repérant et explorant les lieux étranges, triviaux, délaissées, obscurs, inattendus… Par exemple des passages couverts, halls, passages souterrains, rues couvertes, parkings, travaux, zones industrielles, bâtiments désaffectés… Une forme d’audio-urbex ?
Mettre l’étrangeté du visuel, des ambiances, lumières, en adéquation avec une écoute décalée, des espaces acoustiquement résonants, vides, ou saturés…
Remarque : Ces expériences d’audio-paysages underground gagnent à être vécues en nocturne, pour renforcer le côté onirique et parfois sensoriellement déstabilisant des immersions.
Lieu : A vos fenêtres, balcons, terrasses Temporalité : A votre choix Participant (s): Solitaire Milieu : Urbain ou rural Spécificité : Une écoute bien cadrée et confinée
Actions immobile : – Choisissez une fenêtre, un bacon, une terrasse, un coin de jardin – En regardant au dehors, écoutez, imaginez que vous marchécouter – Suivez des yeux des promeneurs, mettez vous à la place de leurs oreilles – Réitérez cette expérience à différentes heures, autant de fois que bon vous semble – Gardez l’expérience dans un coin de votre mémoire.
Variante 1, mobile Effectuez un PAS – Parcours Audio sensible en mode solitaire, dans la limite d’une heure et du kilomètre réglementaire autour de chez vous, muni votre autorisation dérogatoire de sortie. Si les forces de l’ordre vous interpellent, prétextez la marche comme activité physique (en rapport avec la case cochée) si vous parlez de PAS – Parcours Audio Sensibles, on ne vous comprendra pas et vous vous exposerez à un amende. La marchécoute devient ici clandestine, et acte de résistance !
Entre temps, vous pouvez aussi écoutez vers d’autres fenêtres ouvertes, voire contribuer au projet « Fenêtres d’écoute/Listening windows ».
Durant des années, l’écriture et la pratique de PAS – Parcours Audio Sensibles ont été essentiellement liées, en ce qui me concerne, à des approches esthétiques et écologiques, notamment dans la construction de paysages sonores et de points d’ouïe partagés.
Ces marchécoutes collectives s’appuyaient, et d’ailleurs s’appuient encore, sur des notions de paysage/musique et d’écologie sonore, questionnant plus largement le monde de l’écoute, des sociabilités, aménités et sensibilités auriculaires.
Aujourd’hui, au fil des rencontres et des échanges, sans renier ni abandonner les problématiques initiales, les questionnements que soulèvent les PAS élargissent les problématiques vers de nouvelles sociabilités à portée d’oreille.
Je reste évidemment dans un modeste rôle de promeneur écoutant, metteur en situation d’écoute, pratiques dans lesquelles j’ai je pense une certaine expérience et un savoir-faire forgé au fil des expériences, même si mes PAS m’amènent à des hybridations et des croisements où l’écoute in situ se frottent à diverses situations.
M’appuyant sur les actions passées, celles en cours et celles à venir, je citerai de façon non exhaustive quelques domaines élargis, où s’aventurent, généralement collectivement, pieds et oreilles, tels que :
la santé, physique ou mentale, le bien -être
les espaces publics et les études de genres, la place de chacun dans les espaces piétons
la sécurité, l’insécurité, la surveillance
l’esthétique paysagère
La ville underground, résonances et trivialités
l’architecture sonore,écoutée, l’aménagement du territoire
la qualité d’une belle écoute, les zones acoustiques privilégiées pour la communication orale
la muséographie, ou muséophonie
l’eau, le végétal, bruissonnances
les cartographies et représentations sensibles
l’univers de la nuit
les rapports zones calmes, ilots de fraîcheur
le tourisme culturel, sensible, l’écotourisme
l’écologie sonore, l’écosophie
le patrimoine immatérielle, entre autre sonore
l’écoute et le sacré
les mobiliers et bancs d’écoute
la littérature, la philosophie, la marche
les réseaux d’activistes marcheurs
la création artistique et le projet culturel en espace public
les personnes porteuses de handicaps, publics empêchés (hôpitaux, prisons…)
les populations migrantes…
Je ne prétends absolument pas être un spécialiste, loin de là, de ces multiples questions sociétales, et encore moins apporter des réponses dans des secteurs et pratiques que je ne connais et ne maitrise pas suffisamment. Je tente simplement, par la pratique du Parcours Audio Sensible, de développer une oreille curieuse, des écoutes collectives, vers différents territoires, entre déambulations sensibles, Conf’errances, rencontres croisées avec différents chercheurs-euses, acteurs-trices, arpenteurs-teuses, habitants-es et autres pratiquants-tes de l’espace public.
C’est un terrain tourné vers des formes de recherches-actions, stimulées par une bonne dose d’altérité, des expériences passionnantes, portant l’oreille vers des paysages fluctuants, entrelacés, hybridés, complexes.
C’est une invitation à des PAS de côté, des chemins de traverses, voire ses façons de se perdre pour tenter de mieux se re-trouver, autrement.
@photo GMVL – Le paysage sonore dans lequel nous vivons – Projet Européen Erasmus+
En préambule, donner à entendre, la nuit
Entendre, la nuit.
Écouter est une activité qui peut nous sembler naturelle, plus ou moins consciente, presque vitale dans certaines circonstances, ou tout au moins des plus importantes dans des relations sociales au quotidien.
Écouter son environnement, au-delà des situations de crise, d’agression et de pollution sonore, est un geste moins habituel qu’on pourrait le penser de prime abord.
Mieux comprendre comment fonctionnent des écosystèmes, territoires acoustiques, à l’aune de notre écoute, et les apprécier d’autant plus qu’ils nous sont ou deviennent familiers, décryptables, est encore une étape supplémentaire, une forme de (re)connaissance sensible, élargie, de son milieu.
Ce qui ne doit pas pour autant occulter la magie de l’écoute instinctive, intuitive, spontanée, liée au seul plaisir d’entendre, ou de bien s’entendre.
Le territoire, ou paysage sonore, diurne ou nocturne, est bien souvent ignoré, passant généralement au second plan de la chose vue, et restant semble-t-il plus difficile à cerner du fait de sa non visibilité, de son côté sans cesse mouvant, instable, souvent imprévisible, et de son immatérialité avérée.
Pourtant il existe bel et bien des constantes, des agencements récurrents, tout comme des singularités signant un espace sonore, qui de fait, devient plus identifiable, et dissociable d’un autre, et où l’on peut plus facilement trouver sa place en temps que résidant auditeur. Qui plus est la nuit
Un centre-ville n’est pas une zone portuaire, une montagne ne sonne pas comme une plaine, une forêt ne résonne pas comme une place publique minérale, les langues et dialectes, accents et expressions locales consolident des formes d’appartenance, les cloches et les fontaines ont de vraies personnalités, et s’ancrent dans les espaces acoustiques qui les transforment autant que ces dernières colorent et façonnent leurs environnements. Réciprocité acoustique.
La nuit, bien évidemment, ne sonne pas comme le jour.
Comment, via un PAS – Parcours Audio sensible, nous pourront marcher, arpenter, pour mieux entendre, écouter, mettre en place un processus de partage d’expériences sensibles ?
Comment faire pour que ces marchécoutes, en l’occurrence nocturnes, contribuent à faire émerger la conscience de paysages sonores, à la fois quasiment universels et pourtant Oh combien singuliers.
Nous nous attacherons ainsi à l’écoute d’ambiances urbaines nocturnes.
@photo Séverine Bailly – PAS Parcours Audio Sensible nocturne à Crest (26)
L’instant du paysage sonore nocturne
En règle générale, la nuit amplifie les ressentis, sonores y compris.
Je citerai ici, pour illustrer le propos, le beau titre d’une œuvre musicale d’Arnold schœnberg « La nuit transfigurée ».
Pourrait-on parler ici de nuit transonifiée?
Une nuit écrin de l’audible, support du sonore, scène acoustique à ciel ouvert, à 360°, espace propice à des sources sonores qui agenceraient les sons urbains sous nos pas, lors d’un parcours d’écoute, pour nous donner une forme de sérénade singulière, dédiée tout particulièrement aux promeneurs écoutants noctambules.
L’apaisement sonore que connaissent certains lieux, surtout lorsque la voiture tend à déserter la cité, l’obscurité tombante et la transformation, l’installation d’ambiances lumineuses, donnent de nouvelles colorations à la ville, jusque dans ses atmosphères auriculaires.
Tout marcheur urbain connaît le plaisir de la bascule sensorielle, progressive, celle qui s’effectue entre chiens et loups, jusqu’au moment où l’oreille, et les autres sens, entrent pleinement dans l’univers nocturne.
Un sentiment d’immersion sensorielle, acousmatique1 pourrait-on dire, nous imprègne dés lors, faisant émerger de nouvelles sensations.
Expérimentons ici l’inouï, au sens littéral du terme, celui nimbé de pénombre.
Parcourons des espaces parfois plus feutrés, plus intimes, laissant la place à de douces émergences, à des ambiances acoustiques sereines.
Jusqu’à ce que parfois, un son anodin, le claquement des pas sur le pavé, d’un briquet, réverbéré pas la minéralité urbaine, puissent prendre une connotation inquiétante, sinon anxiogène, différente en tous cas qu’elle ne l’aurait été en journée.
La nuit porte conseil dit-on, elle porte aussi, et fait porter les sons dans de plus vastes espaces laissés libres, ou rendus plus disponibles, par la disparition, ou l’estompage de nombreuses sonorités diurnes.
Une forme de désaturation acoustique se fait sentir, ce qui ne peut que nous profiter, dans une société prônant la vitesse et la démultiplication galopante des média.
Il nous est parfois nécessaire de vivre un desépaississement urbain, y compris par l’oreille et la lenteur de la marche.
Le temps de la nuit est sans doute un instant privilégié pour cela.
Dans l’idée d’une certaine poésie liée au climat nocturne, si on prend le temps d’en rechercher les aménités paysagères, l’oreille n’est certainement pas en reste.
Bien sûr, tout n’est pas si simple.
L’apaisement du jour tombant faisant mieux ressentir, voire entendre les émergences sonores, la fraicheur invitant le badaud noctambule à converser dans l’espace public, voire à y fêter quelques esprits de la nuit, font que certains conflits d’usage peuvent naitre et perturber la vision, et en l’occurrence l’audition, d’une douce nuit enchanteresse.
Mais prenons ici le parti de rechercher, d’explorer, d’expérimenter, à travers une marchécoute nocturne et collective, un PAS – Parcours Audio Sensible, le partage de sensibilités et d’aménités audio-paysagères, à fleur de tympan, plutôt que les espaces pouvant être perçus comme négatifs.
1Nom donné aux disciples de Pythagore qui, pendant 5 années, écoutaient ses leçons, cachés derrière un voile, sans le voir.
Se dit d’un bruit que l’on entend sans voir les causes dont il provient.
1Nom donné aux disciples de Pythagore qui, pendant 5 années, écoutaient ses leçons, cachés derrière un voile, sans le voir.
Se dit d’un bruit que l’on entend sans voir les causes dont il provient.
Invitation à des Conf’errances et PAS – Parcours audio Sensibles
Une Conf’errance, entre silence(s) partagé(s) et échange(s).
Un PAS – Parcours Sonore Audio Sensible nocturne dans une ville, un quartier, un site spécifique, d’après repérage.
Un parcours en fonction de ce qui se passe, des sons qui se déroulent en chemin, des accidents et aléas auriculaires.
Une heure de marche silencieuse, ponctuée de Points d’ouïe (pauses, lectures, objets et postures d’écoute), suivie d’un échange autour des partages de ressentis, notions de paysages sonores et d’écologie acoustique…
Jauge public : Dans l’idéal, 20 à 30 personnes maximum.
Possibilité de faire plusieurs marches sur différents jours, dont une diurne pour comparer les ambiances nuit/jour.
@photo Ienka Kastelein – Night Soundwalk – Made of Walking 2018– La Romieu (Gers)
Liens – Carnets de notes et de sons autour de PAS nocturnes
J’ai, à un moment ou à un autre, croisé ces auteurs-trices, artistes, chercheur-euses activistes de toutes générations, œuvrant dans différentes pratiques, champs d’activités, quelquefois physiquement, d’autres fois, selon les époques ou les aléas de la vie, uniquement par leurs écrits ou productions, factuelles ou intellectuelles.
Il a parfois suffit d’une phrase, de quelques paroles, d’une fragment d’œuvre, d’un récit, d’une image ou d’un son, pour qu’ils/elles m’embarquent dans un univers qui allait, à plus ou moins long terme, infléchir mes travaux, et certainement ma façon de penser, d’écouter, de vivre.
Tant d’autres pourraient y trouver place, cette liste n’étant pas exhaustive loin de là, laissant ainsi toutes les opportunités, envies, aléas, de croiser bien d’autres penseurs activistes.
Je livre cette ressource en l’état, c’est à dire en chantier, forcément inachevée, ce qui peut permettre à ceux et celles qui en ressentent le besoin de la compléter ou retailler à leur façon.
Puisse t-elle ouvrir quelques désirs de cheminer aux grès des pensées et actions, voire de s’en inspirer pour creuser les sillons de la marche, de l’écoute, de l’écologie, quitte à oser des hybridations quasi contre-nature, ou des chemins de traverses hasardeux.
Gilles Malatray aka Desartsonnants
NB :Les liens ci-dessus renvoient soit à des sites personnels, biographiques, soit à des textes en ligne, en rapport direct avec la marche, l’écoute, l’écologie…
Marcher Les pied accordés au sol à l’humus nourricier humus et humilité ont une même racine écouter le sol l’air le vivant donc le Tout les oreilles accordées aux vibrations sonores dans une écologie où la sociabilité est au centre du projet un process écho-logique où la bienveillante est essentielle l’expérience collective est avant la connaissance être ouvert à l’immédiateté du mouvement de la perception du ressenti déployer des antennes sensibles traverser les sons et lumières en être traversé partager les traversées accumuler les marches d’écoute pour un récit tissé de mémoires des lieux les raconter même enjolivées extrapolées réécrites par la parole le mot le son Sentir le monde sous ses pieds sous nos pieds entre ses deux oreilles et par celles des autres par tous les pores de son corps membrane chercher l’accordage du monde*
* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer
Walk Foot granted to the ground to the nourishing humus humus and humility have a same root listen to the ground the air the living so the All ears tuned to sound vibrations in an ecology where sociability is at the center of the project an echo-logical process where the benevolent is essential collective experience is before knowledge be open to the immediacy of the movement of perception feeling deploy human sensitive antennas to cross the sounds and lights to be crossed share the crossings accumulate the listening steps for a story woven of memories of places tell them even embellished extrapolated rewritten by speech word the sound Feel the world under his feet under our feet between his two ears and by those of others by all the pores of his membrane body seek the tuning of the world *
* « The Tuning of the World » Raymond Murray Schafer
Arpenter un territoire auriculaire, ou entendu comme tel, doit soulever quelques questionnements, pointer des problématiques inhérentes aux lieux investis, pour donner du grain à moudre à notre oreille bien pensante, ou en tous cas impliquée.
Par exemple :
Entend t-on, perçoit-on, dans l’espace public notamment, des positions de domination, de soumission, de résignation ? Si oui quelles sont-elles (sociales, économiques, politiques…), comment se manifestent-elles notre écoute ?
Notre oreille décèle t-elle des appropriations genrées, des formes d’écoutes et de perceptions singulières, liées à des cohabitations dans des espaces où la mixité n’est pas toujours un modèle d’équilibre ?
Comment se révèlent des violences de quartier, via les coups de klaxons rageurs, harangues alcoolisées, bris de canettes pulvérisées… ?
Ou à l’inverse, se révèlent des aménités bienveillantes, rires d’enfants, fêtes populaires, marchés animés… ?
Les parcours d’écoute peuvent-ils favoriser des partages de sensibilités, d’aménités, de communs, la conscience de participer à une vie sociale intrinsèquement liée à des paysages sonores partagés ?
Comment ces situations spatio-temporelles, auriculaires, voire ces mises en situation orchestrées par des artistes, chercheurs en sciences sociales et humaines, aménageurs… contribuent-elles à modifier, voir à construire un paysage sonore, via de nouvelles formes d’éco-sociabilités, d’éco-auricularités, objets esthétiques, écosophiques, sociaux, que l’on commence tout juste à entrevoir, à entrécouter.
L’artiste n’est bien sûr pas en capacité à aborder avec toutes les compétences requises de tels sujets sociétaux. Par contre, il sait, notamment via la mise en situation de mobilités sensibles, parcours d’écoutes ici, stimuler des perceptions auditives, déployer des sortes d’antennes vivantes autour de nos oreilles rendues plus curieuses, et donc plus actives, si ce n’est activistes.
Le sociologue, anthropologue, historien, géographe, architecte, urbaniste… viendra co-tisser le récit sensible, construire et affiner des objets d’études où l’écoute et la marche restent des pivots au centre du processus d’éco-auricularités.
Le champ contemporain des arts sonores présente certaines pratiques qui ont progressivement émergé pour constituer des courants qui, a défaut d’être de véritables écoles, mais peut-on parler encore d’école à une époque où s’hybrident allègrement les genres, mettent en lumière des spécificités, territoires, façon de voir, ou d’entendre le monde.
Parmi ces pratiques, notons celle du paysage sonore, souvent très étroitement liée au fil recording, enregistrement in situ et à des mouvements militant pour l’écologie, dont bien sûr l’écologie sonore, issue de l’Acoustical Ecologie que prône Raymond Murray Schafer, la biophonie de Bernie Krause, les pratiques audionaturalistes et le Soundwalking, la marche d’écoute ou balade sonore.
Le but de cet article n’est pas ici de réécrire une énième définition, de proposer un historique en bonne et due forme, ni même un nouveau chantier d’analyse de ces courants, mais plus simplement de référencer quelques sites web dont l’intérêt me semble propre à jalonner ces approches audio-paysagères.
Cette sélection n’est évidemment pas exhaustive, tant s’en faut, et présente un choix tout à fait personnel, que tout un chacun peu compléter, ou parmi ces liens naviguer librement.
Crest est une petite ville Drômoise, le tout début du Sud comme on dit parfois dans notre région, surveillée de haut par une imposante tour médiévale, donjon imposant protégeant la cité, la vallée et les Préalpes provençales. Crest est, dans son centre historique, architecturé en entrelacs de minuscules ruelles pavées, de passages couverts, d’escaliers pentus, accrochés à une raide colline. Bref un beau terrain d’écoute comme vous pouvez l’imaginer. La cité est bordée par la Drôme, rivière que l’on imagine capricieuse au gré des saisons, des fontes de neige des plateaux du Vercors, aux vues de son lit caillouteux et torturé. Elle longe Crest sans vraiment intégrer la bourgade, séparée du centre par une route très circulante longeant la vallée. Ce cours d’eau reste néanmoins un lieu de promenade très fréquenté que je ne manquerai pas d’explorer.
Rhizome, c’est la structure d’une amie qui m’invite et m’accueille. Une jardinerie urbaine « …qui s’invente autour du végétal dans tous ses états et ses dérives… », nouvellement installée à Usine vivante, sympathique tiers-lieu local. Un rhizome est une racine nourricière souterraine qui assure le développement le développement, en mode horizontal, de certaines plantes vivaces, en participant au décompactage des sols et à leur enrichissement en matière organique. C’est donc un système racinaire à tout point de vue enrichissant, même si, dans ses excès de fertilité, il favorise le développement parfois invasif de certaines espèces. Le philosophe Michel Foucault à bâti sa « théorie du rhizome » comme un système, une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux. Elle vise notamment à s’opposer à la hiérarchie pyramidal « classique ». On comprend parfaitement ici les références métaphoriques à une pensée politique, sociale, au développement vivace, et qui surtout prône une horizontalité qui lutterait contre les pouvoirs trop pyramidaux, trop inégalitaires donc.
Quand à moi, j’aime à penser ici à une écoute rhizomatique, une arborescence auditive se ramifiant, parfois un brin sauvagement, étendant ses oreilles dans la cité, au bord de l’eau, dans les collines voisines, vers les gens, pour à la fois s’enrichir de ces terreaux sonores, et à la fois tenter d’y amener une écoute nourricière, où la bonne entente s’inspirerait du végétal dans une symbiose fertile.
D’ailleurs en parlant de rhizome/réseaux, mon hôte me fera rencontrer de nombreuses et sympathiques personnes, artistes, jardiniers, fablabteurs, commerçants, et autres engagés dans des associations et tiers-lieux. Prendre le pouls d’une ville, c’est aussi écouter les personnes qui y vivent et animent les lieux.
Il y a d’ailleurs un Crest intime. Celui du centre ville notamment. Un Crest très minéral, pavé de galets et enserré de murs imposants, resserrés sur eux-mêmes. Une tranche de ville un brin secrète, parfois tracée de longues rue droites, parfois, en faisant des pas de côté, sillonnée de rues capricieuses, avec des coudes et des détours surprenants. Villes idéale à la pratique de dérives, pour reprendre un mot cher à « Rhizome ». Cette espace là, arpenté de long en large et en travers, pour ne pas dire parfois en hauteur, donnera lieu à une première PAS – Parcours Audio Sensible, centré sur la ville intime et minérale. Intime certes, mais pas toujours si sage qu’elle en à l’air de prime abord. Parfois même loin de la vision un brin fantasmée, vue de l’extérieure, avec son soleil, ses richesses architecturales, ses multiples artistes et activistes… Si cette vision n’est pas complètement erronée, une semaine d’arpentage, oreilles tendues, vient écorner l’image de ce petit paradis, en grattant la surface pour regarder et écouter la ville de plus près. On y découvre aussi ses misères sociales, ses violences même, ces réseaux où circulent beaucoup de « produits » pour le moins stupéfiants. Je ne voudrais pas ici noircir le tableau, mais juste le rendre plus proche d’une réalité qui peut très vite nous échapper lorsqu’on traverse cette petite bourgade, pouvant se révéler moins quiète lorsqu’on l’arpente à l’envi.
Le minéral creusera donc un premier cheminement, que nous explorerons publiquement en fin de semaine, entre chiens et loups. Départ de jour puis, progressivement, glissement vers une obscurité qui donnera un peu plus d’intimité à notre périple urbain. Ici, des voix, lointaines, proches, riantes, chantantes même, pour adoucir la vision plus négative évoquée auparavant. Au détour d’un passage improbable, entre deux « tunnels » de pierres, deux hommes ont dressé une table pour y prendre un apéro, et nous saluent avec bonhommie. Plus loin, une dame assise sur une placette déserte, en silence, entourée de chats. Ailleurs encore, des amis ont sorti leurs instruments pour égrener tout un répertoire de chansons Françaises. Nous les croiserons à différentes reprises, les écoutant dans différentes postures, dont une, en aveugle, très proches, sous un porche voisin. Bel effet acoustique, voire acousmatique (écouter sans voir les sources). Les voix, même fugaces, fantomatiques, mobiles, seront une trame sonore s’accrochant ou rebondissant sur des espaces minéraux, que feront résonner discrètement le bruit de nos pas à la lenteur assumée. Ces espaces/temps nocturnes favorisent une écoute renforcée par la connivence d’un riche silence partagé. Une bonne heure durant, il sera fort, presque tangible, comme un lien entre nos oreilles complices. Des moments que j’apprécie toujours à la leur juste valeur, celle notamment d’écoutants vivant une expérience sensible et avant tout humaine, sans autre artifice que nos corps-antennes exacerbés, dans le bon sens du terme.
Deuxième exploration, elle aussi finalisée par un PAS collectif, diurne celui-ci, Crest entendu côté Drôme. Nous partirons d’un jardin, le beau jardin pédagogique de Jean-Guy. Ce dernier s’active, plantoirs en main, sourire aux lèvres, à initier de jeunes jardiniers en herbe si je puis dire. Encore de la transmission, du rhizomatique, du végétal à portée de main et d’oreilles. Après un petite mise en condition, de nos oreilles justement, nous nous ébranlons, toujours lentement, toujours en silence, sous un chaud soleil, vers un parc, première transition vers la rivière Drôme. Un vent assez soutenu fait bruisser sur nos têtes les peupliers trembles (Populus tremula), les bien nommés , sous lesquels nous nous arrêterons pour profiter de leur doux frémissement. Mouvement subtile qui donne au vent une véritable concrétude auriculaire. La traversée d’une aire de jeux pour jeunes enfants vient égayer le paysage de rires et de cris. De points d’ouïe en point d’ouïe, nous gagnons les rives. Les galets roulent et bruissent sous nous pas. Des saules arbustifs nous guideront, traçant des cheminement erratiques, vers des passages longeant le cours d’eau. Eau omniprésente, acoustiquement, même si parfois on la perd de vue. Le bruit du vent à d’ailleurs, par une fondue progressive, céder la place au chuintement aquatique, courant dévalant, ou tout au moins s’y est joint au point de parfois ne plus savoir qui dit quoi. Il y a là une belle collection de clapotis, chuintements, bruits blancs, et autres soupirs d’espaces où l’eau se fait plus étale. On s’essaie à différents jeux sonores, petites sonorités rapportées, oreilles dirigées du creux des mains en pavillons, auscultations et longue-ouïes… Retour aux sources, celles de l’Usine qui nous accueille ce jours.
Après ces deux PAS, tellement différents, le silence rompu, les langues se délient. Ce qui nous a interpellé, touché, questionné, surpris, charmé, dérangé, amusé… Cette bascule de l’expérience vécue vers sa verbalisation, pour ceux qui le souhaitent, rien n’est imposé, ni même proposé, se passe ce qui doit se passer, en réactions intuitives. Souvent, les écoutants expriment le désir de recommencer, de poursuivre, d’explorer plus avant les lieux de l’oreilles, de se construire de nouveaux territoires d’écoute… Et comme c’est justement l’un des but du jeu…
Je repartirai de Crest avec de nouveaux sons en tête, rhizomatiques, minéraux, végétaux, aquatiques, éoliens, humains, avec de nouveaux épisodes audiobaladologiques, des sons captés, des notes prises, personnes rencontrées, nouveaux récits donc. Et déjà la tête dans les PAS qui arrivent, de Saint-Pétersbourg à Rabastens, dans le Tarn, puis dans la Sierra des Estrella, sur les hauteurs de Coïmbra. Une carte postale sonore, en chantier, viendra illustrer, voire peut-être contredire ces premières impressions couchées sur la papier.
Un grand merci à Séverine de Rhizome et à Ludo son compagne, à l’Usine vivante et Radio Saint Féréol, de m’avoir invité et accueilli dans ces nouveaux PAS.
Fin des années 80, tout début des années 90, lorsqu’ avec l’association ACIRENE, je commençais à marcher pour écouter le Haut-Jura, à repérer les lieux qui sonnent, partager ces écoutes paysagères avec nombres d’écoliers, d’enseignants, je ne me doutais pas que, trente ans plus tard, cette pratique serait plus que jamais au cœur de mon travail.
Depuis, j’ai testé moult chemins de par le monde, parcours, postures, objets, tout cela en centre ville comme en périphérie et en rase campagne, dans de modestes comme de monumentaux espaces.
J’ai rencontré et rencontre encore nombre de marcheurs activistes, écoutants, regardants, aménageurs, artistes ou écologistes, philosophes ou chercheurs de sacré, de spiritualité, de retour sur soi, de l’altérité, marcheurs prônant la revendication, ou la simple beauté du geste de mettre un pied devant l’autre.
J’ai confronté la vue et l’ouïe, voire tous les sens en alerte, en éveil, odeurs, matières, poids de mon propre corps, sensations kinesthésiques, pluri-sensorielles, parfois synesthésiques.
J’ai arpenté des territoires singuliers, seul ou accompagné, de jour comme de nuit, essayant d’en faire un récit, parfois à plusieurs voix, via les sons, les gestes, les mots, l’image, ou toute autre représentation selon les projets et rencontres.
J’ai lu des pages et des pages autour du paysage sonore, de l’écologie sonore, du soundwalking, balades écoutes, qui ont progressivement donné naissance à mes propres PAS – Parcours Audio Sensibles, les ont nourris, épaissit, assurés.
J’ai consulté et suivi nombre de travaux, expériences d’artistes activistes marcheurs, créateurs sonores de tous bords, et eu très souvent avec eux de riches échanges, souvent en mobilité.
J’ai organisé ou participé à l’organisation de petits ou plus grands événements sur ces sujets, ai encadré beaucoup de workshops, donné des conférences, participé à des rencontres, forums, journées de travail, dans de multiples lieux, institutions, espaces associatifs, culturels, souvent en plein air…
J’ai accumulé et commencé de trier des milliers de pages, des adresses de sites, mémoires, thèses articles, cartographies…
J’ai enregistré des heures et des heures, retravaillant parfois ces collectages en créations sonores, radiophoniques, installations environnementales, concerts/performances live…
J’ai tenté de croiser des approches esthétiques, environnementales, sociales, des questions autour de l’urbanisme, l’architecture, l’aménagement urbain, l’espace public, l’écoute partagée…
J’ai inauguré des points d’ouïe, raconté ou lu des histoires en marchant, donné la cadence et rythmé les déambulations sensibles, ses pauses, à nombre d’oreilles curieuses et souvent surprises.
J’ai cherché tant le dépaysement, les lisières, les décalages, les singularités, que des formes d’universalités, des communs partageables ici et là, avec un maximum de personnes, dans un langage je l’espère accessible au plus grand nombre, et parfois-même dans le plus profond silence !
Après avoir testé bien des technologies, processus, dispositifs, plus ou moins hi-tech, je suis revenu essentiellement à l’essence de la « marchécoute » à oreilles nues, ce qui ne m’empêche pas de temps à autre, une incursion ponctuelle vers des systèmes plus « branchés ».
J’ai tenté de mettre en place de modestes outils pour engager des recherches-actions, entre art, science et sociabilité auriculaire, en privilégiant souvent l’aménité stimulante contre la tragédie sclérosante, sans pour autant dénier les dangers environnementaux ambiants et Oh combien contemporains.
Je me suis appuyé sur des formes de rituels auriculaires, de cérémonies d’écoute.
Je me suis beaucoup inspiré de philosophes pour creuser l’idée de la marche, de l’écoute, du paysage, de Foucault à Merleau-Ponthy en passant par Montaigne, Husserl, Adorno, De Certeau, Guattari, Deleuze, Thoreau, Benjamin… histoire de prendre un brin de recul sur mes spontanéités in situ, de relier des choses, des pensés et des gestes, des gens et des expériences…
Mais aussi de m’inspirer de l’écriture de Georges Pérec, Will Self, Jacques London, Jacques Réda…
Entre le contextuel et le relationnel, la conscience écologique et sociale, j’ai essayé de garder une certaine éthique dans des approches, où la rencontre est, plus que le « produit », au centre de mes préoccupations, la façon de faire ensemble primant sur la réalisation finale.
Malgré l’emploi de l’imparfait, ici celui du récit, faisant traces d’un parcours jalonné d’écoutes toujours renouvelées, j’écris parce temps conjuguant le passé, mais étant avant toutletémoin d’actions à long terme, toujours en cours, d’un chantier sans cesse en recherche de nouveaux développements.
Bref après un cheminement qui commence à constituer une entreprise assez conséquence, et pour moi intellectuellement fertile, à défaut de l’être économiquement, j’ai l’impression que tant de choses restent à penser, à marcher, écouter, raconter, partager, construire, hybrider…
Le sentier, ou plus joliment dit la sente, est pour moi une possibilité, une discrète voie offerte, ou à m’offrir, pour quitter l’arrogance de la Cité, l’imposition de la rue, et même la sagesse du chemin, fut-il de traverse.
C’est ainsi une façon de me laisser gagner par une douce forme d’insécurité, que je ressens intérieurement comme féconde et revitalisante.
Sortir des sentiers battus ne me fait pas pour autant emprunter les sentiers de la guerre, tant s’en faut !
Sentir n’est pas forcément parcourir le sentier, même si cette idée qui m’effleure, faussement étymologique, ne m’aurait pas déplu, bien au contraire !
La sente, étymologiquement Semina, n’est pas sans me rappeler la semence, la fertilité, comme une modeste mais généreuse offrande au corps et à l’esprit.
L’arpentage de multiples sentes m’a fait, et me fait encore, découvrir quantité d’infimes parcelles de paysages. Paysages qui m’échappent sans cesse, s’estompant au détour d’un buisson foisonnant, d’un muret moussu, d’un jardin abandonné, et filant vers d’autres espaces replis, où mon oreille-même peut s’en trouver surprise, désarçonnée dirais-je innocemment.
Si la sente existe bel et bien, le verbe senter n’a pas que je sache d’acception, alors que, par le jeu de l’homonymie, il crée, par cette facétie, une relation des plus intéressantes.
Le sentier me fait prendre de travers de vagues terrains ou des terrains vagues, avec parfois la poétique du vague à l’âme, un quasi effet Wanderer, qui pourrait m’entrainer en des terrains à peine défrichés, donc à peine déchiffrés. Un PAS de côté que je fais et refais à l’envi
C’est alors que je me rends compte qu’il me reste tant de choses paysagères à lire et à relire, pour mieux pouvoir les écrire, dire et redire.
La sente me met également à l’épreuve de l’intime, de mon intimité, quitte à accentuer positivement mes propres indécisions, incertitudes et contradictions.
Son étroitesse sinueuse ne m’offre souvent que des perspectives restreintes, me ramenant à jouir de l’instant présent, sans autre motivation qu’un plaisir immédiat – Carpe Diem (quam minimum credula postero), pour m’échapper un moment au stress ambiant in progress. Lui échapper n’est pas cependant le fuir.
Et en ce qui concerne mon écoute, mon écoute en sentier, je tente de la contenir humblement aventureuse, pour éprouver, ou opérer la syntonie de discrets espaces, tout à la fois physiques et mentaux.
Dans un infime craquement, ruissellement, chuintement, le paysage en sentier s’accommode de peu, voire fuit sans détours l’exubérance sur-enchérissante.
Je retrouverai celle-ci au premiers détours de la ville, car paradoxalement, elle me manquerait bien vite, et je fais là un grand écart assumé.
Néanmoins, emprunter un sentier me fait me retrouver au cœur d’un paysage, y compris sonore, en règle général paisible, sans trop d’artifices, qui me replace, dénudé d’une pesante vanité, dans une chaine bien vivante. Et c’est dans cette chaine complexe, que la sente contribue à me rappeler, régulièrement, le fait je ne suis in fine qu’un très modeste et infime maillon, promeneur écoutant impénitent.
Made of Walking 2017 – A Table o Walks – Une table des marches »
Écoutez la terre
La Romieu 27 August – 1 September
A first glimpse of the program in progress: Stefaan van Biesen& Annemie Mestdagh (Belgique): A Scent of Silence (workshop/walk)\ Leo Kay (Bruxelles, Belgique) : Exploring porosity and allowing oneself to get (workshop) Panagiota Mavridou (Grèce) and Anastasia Peki: Listening for a common ground (listening walk – workshop – improvisation) Pam Patterson and Leena Raudvee(Toronto Ca): Listening – On the Architecture of Aging (walk – participative performance) Julie Poitras Santos: (Portland, Maine – USA) hlystan (walk – participative performance) Ruth Broadbent (Oxford – UK) : Walking a Line: encounters through drawing (walk -workshop) Isabelle Clermont (Trois Rivières – Québec) : To the path of stars (listening/sound walk – workshop) Ienke Kastelein (Utrecht – Pays-Bas) : walking in circles and lines (listening walk – participative performance) Ivana Pinna ( Barcelone Italie) and Angeliki Diakrousi (Patras Gèce) : My way home (sound walk) Katerina Drakopoulou (Athènes – Grèce) 22 stops (walk – participative performance) Wendy Landman( Boston – USA) : Listening to walking/Making space to listen (conference) Gilles Malatray (Lyon – France) : PAS – Parcours Audio Sensible, une expérience partagée- Sensitive Audio Walk, a shared experience (listening / sound walk) Peter Jaeger (London – UK) Midamble (walk – durational reading-performance) Carol Mancke ( London – UK) Circling back-thinking through (an open table of walks) Geert Vermeire ( Bruges – Belgique) : Just a walk (silent walk)
Christian Porré, Stefaan van Biesen and Geert Vermeire: En Balade avec Rimbô (sound walk) Jeanne Schmid (Lausanne – Suisse) : Mains sur paysage (walk)
La suite en février 2017, où Desartsonnants encadrera une semaine de workshop au sein de l’école d’architecture et d’urbanisme de Mons, avec les mêmes partenaires. Une façon de passer à la pratique de terrain, de la promenade écoute à l’écriture et mise en scène de paysages sonores urbains, des parcours d’architectures sonores partagées.