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Et la nuit de bruire
F(r)iction de la forêt

Réalisé avec des élèves du libournais
PEAC Cali (Communeauté d’agglomération du libournais) et le festival Littérature en jardins) en collaboration avec les écrivains Eduardo Berti et Laurent Contamin.
Mouvements vibratoires

Faire entrer l’oreille, le corps, dans les sons
Faire entrer les sons dans le corps, les oreilles
Jeux de l’ouïe, des osselets, des colimaçons
S’enfoncer dans les acoustiques sonnantes
Y rebondir en échos
Se prolonger dans l’espace raisonnant
S’étirer dans la réverbération trompeuse
Perdurer après le choc vibratoire
Feindre une trace d’énergie fantomatique
Faire vibrer sympathiquement
Se syntoniser jusqu’à une relative stabilité
Architecturer des espaces sonores
Y construire des bulles de silences et de sons
Naviguer au gré des ambiances transitoires
Se métamorphoser en peau vibratile
La tendre comme un tympan déployé
S’immerger dans les nappes soniques
Être à l’unisson
Être en dissonance
Être corps entendant
Être corps écoutant
L’ouïe fine ou grossière
Ouvrez les écoutilles
Descendre au fond des sons
Jusqu’au silence intarissable.
PAS – Parcours Audio Sensible – Explorer la nuit

Marcher en silence
A nuit tombée
Arpenter les rives d’un fleuve
Puis celles d’une rivière
Vers sa confluence inéluctable
Écouter
Les rumeurs de la ville
Exacerbées d’obscurité
Le nappage au noir
Éclaboussé de lumières
Et les sons s’y faufilent
S’y installent
Et s’entendent à merveille
Traversée noctambule
Une nuit transfigurée
D’auricularité en zones d’ombres
Contrastes en clair-obscurs
Des fêtes rythment nos arpentages
Sauvages ou bien sages
La nuit à portée d’oreille
Nous invitent à marcher
Dans la fraîcheur acoustique
D’une cité bavarde
Même au cœur des ténèbres
Qui savent aussi êtres bienveillantes.
Invitation à une exploration bruissonnante
Tout en nuances et contrastes
L’oreille se réjouit
Des traversées nocturnes
Où la ville murmure
Où la ville s’entend
Dans les furtivités canailles
D’une nuit bien sonnante.


Point d’ouïe, citation

« … Allez dans les forêts, allez dans les vallées ;
Faites-vous un concert de notes isolées !
Cherchez dans la nature, étalée à vos yeux,
Soit que l’hiver l’attriste ou que l’été l’égaie,
Le mot mystérieux que chaque voix bégaie.
Écoutez ce que dit la foudre dans les cieux !
Enivrez-vous de tout ! enivrez-vous, poètes,
Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,
Du voyageur de nuit dont on entend la voix ;
De ces premières fleurs dont février s’étonne ;
Des eaux, de l’air, des prés, et du bruit monotone
Que font les chariots qui passent dans les bois.
Contemplez du matin la pureté divine,
Quand la brume en flocons inonde la ravine ;
Quand le soleil, que cache à demi la forêt,
Montrant sur l’horizon sa rondeur échancrée,
Grandit comme ferait la coupole dorée
D’un palais d’orient dont on approcherait !
Enivrez-vous du soir ! à cette heure où, dans l’ombre,
Le paysage obscur, plein de formes sans nombre,
S’efface, des chemins et des fleuves rayé ;
Quand le mont, dont la tête à l’horizon s’élève,
Semble un géant couché qui regarde et qui rêve,
Sur son coude appuyé !
Si vous avez en vous, vivantes et pressées,
Un monde intérieur d’images, de pensées,
De sentiments, d’amour, d’ardente passion,
Pour féconder ce monde, échangez-le sans cesse
Avec l’autre univers visible qui vous presse !
Mêlez toute votre âme à la création !
Car, ô poètes saints, l’art est le son sublime,
Simple, divers, profond, mystérieux, intime,
Fugitif comme l’eau qu’un rien fait dévier,
Redit par un écho dans toute créature,
Que sous vos doigts puissants exhale la nature,
Cet immense clavier !
Victor Hugo, « Pan » (extrait)
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les feuilles d’automne (1831).
Desartsonnants, aka Gilles Malatray est une structure culturelle autonome, indépendante, non subventionnée. Si vous appréciez son travail, pour l’aider, plusieurs solutions :
Point d’ouïe en nuit transfigurée

Je pensais, il y a peu
Regagnant tardivement
Ma petite et quiète ville
Toutes lumières éteintes
Vers un minuit sonnant
Que le noir nocturne
Est Oh combien sonore
J’avançais prudemment
Mes pas à l’aveuglette
Sous un ciel très couvert
Un dôme ténébreux
Point de lune éclairante
Je redécouvrais ainsi
Un paysage en strates noircies
Plus épaisses dans la nuit
L’obscurité totale
Immersion fascinante
Et je lance l’écoute
Dans cette intime noir
Un presque rien nocturne
Une non voyance exacerbée
L’obscurité bruissante
Mes pas
Ma respiration
Quelques nocturnes voletant
Des voix, très lointaines
Pas de rumeur ici
De timides émergences
Et c’est très beau
Et j’en écoute encore
En marchant lentement
Puis me pose sur un muret
Les sons se raréfient
Prennent de l’importance
Dans un espace lisible
Comme un grand tableau noir
Un espace acoustique habitable
De mon muret d’écoute
Enveloppé de profondeurs
Sons inscrits dans le noir
Précisant d’obscurs contours
Ceux de la nuit justement
Celle qui porte conseil
A l’oreille noctambule
J’aimerais inviter des gens
Ceux et celles noctambules
Mais les autres eux aussi
A vivre un rituel
D’un espace nocturne
Juste pour écouter
Juste pour faire silence
Entendre les sonnances
D’une nuit chuchotante
Histoire enveloppante
Ambiances ouatée
De nature lascive
Rien ne dort vraiment
Dans d’infimes obscurs
On perçoit moult souffles
Des énergies fluantes
L’invisible ruisseau
Ses coulures si proches
Vibrations ondulantes
La vie qui bat son cours
Envers et contre tout
Ça ouvre des possibles
A l’oreille intrépide
Et à la nuit féconde.
Mars 2024, Amplepuis, écoute installée, aux alentours de minuit
C’est ainsi, que le silence

C’est ainsi
C’est ainsi que le lieu s’est asséché
Que ses larmes ont tari
Que son herbe a jauni
C’est ainsi
C’est ainsi que les oiseaux ont fui
Les ondes évaporées
Le désert minéral
C’est ainsi
C’est ainsi que le lieu s’est tu
Les flots cessé de gémir
Les arbres de bruisser`
Les rivières de couler
C’est ainsi
c’est ainsi que survint le silence
Les eaux empoisonnées
La vie déshydratée.
Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Février 2024
Bien entendre nos pas

Et mes talons qui claquent
Clairs sur sol gelé
Ils font bruisser les sentes
Amortis automnaux
Tapis aux feuilles mortes
Percevoir mon allure
Me donnent la cadence
M’invitent à ralentir
Ou à presser le pas
La marche s’entend bien
Comme un geste ambulant
Étouffé d’herbe grasse
Ou de neige ouateuse
Réverbérée de gel
Et dalles de marbre lisse
Traversant des séquences
Et jouant des cadences
Aux rythmes indécis
Aux rythmes chaloupés
Métronomes de marche
Testant sols et matières
Bien présents ou discrets
Quand aux pas ceux d’autrui
Ceux des autres allant
On les entend passer
S’approcher à l’oreille
S’éloigner à l’oreille
Différentes allures
Fières ou presqu’effacées
On peut suivre ces pas
Filer le lent flâneur
Pister le promeneur
Talonner l’arpenteur
S’attacher à ses basques
En écoutant marcheur
On se glisse à sa suite
L’oreille au pas à pas
Jeu de l’ouïe lien mobile
Qui infiltre l’espace
Des marcheurs prestes urbains
On avance sonore
On trace mouvements
On écrit des parcours
On les marque ambulant
Groupe bruissant des pieds
Traversant la forêt
Les pavés résonnants
Bien entendre nos pas
Ceux des autres aussi
se sentir piéton
Geste ambulant liant
Aux pas (dé)concertants
La vie qui est en marche
Et que l’oreille entend
Et qui nous tient vivants.
Eaux courantes hivernales

L’hiver s’est installé
Il papillonne rude
Du duvet blanc flottant
Et des flocons fondants
Sur la peau chair de poule
Deux mois qu’il pleut beaucoup
Et voilà qu’il poudroie
Et voila qu’il blanchoit
Enfin l’hiver inonde
Et le ruisseau qui gronde
Il se fait écumant
Il se fait bouillonnant
Il se fait chuintant
Petit ru estival
Quasi torrentueux
Quand l’hiver s’installe
Je le suis de l’oreille
Il sillonne sonore
Gauche et droite dévale
Sillon traçant audible
Mon quartier qui s’entend
Par son ruisseau fluant
Je remonte son cours
Oreille droite inondée
Je redescends son cours
Oreille gauche inondée
Je le domine aussi
Passerelle enjambante
Aux lattes verglacées
Surplombant le ruisseau
Stéréo de deux eaux
Équilibre liquide
Aspergence glissante
Après des prés gelées
Des collines blanchies
Le voici citadin
Et caressant les murs
Pans guidant escarpés
Il passe sous la place
Coupure silencieuse
Il ressort du tunnel
En se faisant entendre
Il s’écoule fébrile
Après des temps arides
Il ruisselle à tout va
Impétueux liquide
Il m’abreuve l’oreille
Qui l’a connu si triste
Muet d’assèchement
Tari dans le silence
Il faut rester à flot
Se couler dans l’hiver
Écoutant fasciné
Au fil des eaux courantes.
Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante« En suivant le Rançonnet (Amplepuis – Rhône)
Mais que fait donc l’oreille ?

Mais que fait donc l’oreille, si ce n’est trainer les rues et errer le long des berges.
Elle s’encanaille et se saoule de sons, parfois jusqu’à plus soif.
Elle s’enivre à bon compte, de grandes rasades chantées, hurlées, ou chuchotées.
Elle tend l’oreille, offerte comme une coupe pétillante de breuvages toniques, autant que soniques.
Parfois, elle se laisse aller dans le creux de vallées bourdonnantes, de forêts frissonnantes.
D’autres fois, elle noie sa solitude dans le souvenir des villes aux rumeurs nostalgiques, qu’elle a quitté un jour.
Il lui arrive de ne plus supporter les violences qui explosent le monde, massacrant impunément des milliers de vies, sacrifiées à l’autel d’une folie destructrice.
Elle peut aussi s’émerveiller d’une musique échappée par la fenêtre ouverte un soir d’été, comme des sons d’un cloche carillonnant nuit tombante, ou du frôlement soyeux, quasi imperceptible des pipistrelles aux chasses noctambules.
L’oreille jauge l’espace comme une architecture sonique, insaisissable, qui ne cesse de modifier ses formes et ses volumes.
Elle se repaît de réverbérations et d’échos bondissant de murs en parois, de falaises en collines.
Elle rêve à des paysages sonores qui la maintiennent à l’écoute, sans être trop sonnée par des tsunamis cacophoniques, d’assourdissants vacarmes.
Elle suit des chemins bruissonniers, s’abandonnant aux ambiances fugaces, aux immersions fragiles.
L’oreille esseulée cherche parfois la compagnie d’autres promeneurs écoutants, partageant des récits à fleur de tympans, des histoires racontant le monde, ou l’inventant avec la liberté des conteurs brodeurs prolixes.
Elle nous entraine dans l’intimité frémissante de ses colimaçons ciliés, où viennent se lover les infinies écoutes, à perte d’oreille.
Son sens aux aguets, à l’affût de la moindre vibration, nous relie, pour le meilleur et pour le pire, à un monde qui peut nous réjouir autant que nous anéantir.
On dit qu’elle n’a pas de paupière, mais fort heureusement que si, à sa façon. Elle nous cache des choses, en amortit d’autres, et en efface jusque dans nos mémoires douloureuses.
Souvent néanmoins, l’oreille reste à l’écoute, porte attention, fait attention, prend soin d’entendre la vie ambiante, dans toute la complexité de ses rumeurs imbriquées, de ses dits et non-dits, de ses amours et trahisons.
Au creux de l’oreille, l’amitié peut se fortifier de secrets partagés, loin des vindictes hurlées, des bombes assassines, qui pourtant ne cessent d’éclabousser rageusement la vie de leurs vacarmes meurtriers.
Si l’oreille prend plaisir au clapotis du ruisseau, aux trilles du rossignol, elle n’échappe pas pour autant, au bruit et à la fureur du monde.
Trouver un fragile équilibre entre une forme d’harmonie vers un monde entendable, et l’insoutenable cacophonie qui le secoue sans cesse, est un exercice Oh combien difficile, mais vital.
Fragments sonores 2

Il s’agit de l’eau
Territoire liquide
Chuintant ou silencieux
Monde fluant
Matière indocile
Nourricière
Flottements
Terres humides
Striées de veinules
Innondantes
Irriguantes
Terres arides
Craquelées
Que l’on entend gémir
Se gercer
L’eau retirée
Écoute à flot
Parfois noyée
Submergée
Berges éboulées
Graviers roulés
Limons fertiles
Bois flottés
Cognés aux rives
Oreille flottante
Plaintes d’ondines
De vouivres colériques
Surgissements aqueux
Appels sirèniques
Plouf narcissique
Aujourd’hui
Le paysage dégouline
Ruisselance des sols
Submersion hors des lits
Qui l’eut crues
Oreilles immergées
Voix d’eau affleurantes.
Fragment sonore N°1

Au creux
À l’intime
À l’abri fragile
A mon oreille indocile
Des branchages se frôlent
Automne finissant
Ils crissent à mi-voix
Saluent les froidures
La pluie goutte à gouttante
Prolongements ligneux
Ils ont cessé de croitre
Aux chaleurs manquantes
Mais ils parlent encore
En frôlements furtifs
Qu’il faut tendre l’oreille
Pour croire percevoir
Leurs infra presque rien
Caresses tympaniques
Apre brise ténue
Rameaux défeuillés
Crissements râpeux
Que la bise révèle
Pré-engourdissement
D’un hiver refuge
Où s’assoupit l’oreille
Hibernation sonore
Les branchages taiseux
Faisant croire au silence
Utopie acoustique
Le fragment persiste
Un infime grésil
Au plus creux de l’écout
Lames sensibles, une approche auriculaire des bords de mers et autres plages sonores

Je me pose sur une plage déserte…
Bordée de sable à perte de vue.
Mer au loin, temps de basse marée.
Les mouettes, toujours elles, ricanent bruyamment en picorant d’invisibles insectes.
Des sternes piaillent aussi à qui mieux mieux.
Retour progressif de la mer, marée montante.
L’eau s’étale en faisant crisser le sable.
Temps calme et légèrement bruissonnant.
Un autre jour, ailleurs, sur une jetée.
Le vent s’en donne à cœur joie, sans jamais s’essouffler.
Les vagues fouettent les murs de pierre, s’y enroulent, retombent, et recommencent, inlassables.
Le fracas ambiant couvre toute tentative de paroles, ou bien il faut hurler.
Le spectacle est impressionnant, fatiguant à l’écoute, un trop puissant bruit blanc nous réduit au silence.Les éléments nous montent nos propres limites
Autre part, autre moment, autre topographie.
Cette fois-ci, une très haute falaise vient empêcher les vagues.
Rageuses, elle l’érodent sans relâche, bouillonnantes et entêtées.
Et le monstre-falaise s’écroule petit à petit, reculant sans cesse devant l’assaut des lames répétées. Bruits d’avalanches pierreuses, la craie s’éboule inexorablement, jusqu’à menacer des bâtiments qui se reculent prudemment.
En temps calme, les petits galets roulés chantent comme des lithophones aquatiques.
La falaise se fait mur amplificateur, gardant les sons au plus proche de l’écoute excitée
Je ne me lasse pas de ces délicats entrechocs cristallins.
Celles et ceux qui ont déjà prêté l’oreille à ces bruissements itératifs sauront de quoi je parle.
Les mots parfois sont patinés de sons résurgents. Il suffit de dire pour donner à entendre. Raconter une ambiance marine, si ténue soit-elle, comme un récit au fil de l’eau.
Retour aux rivages.
De gros bateaux naviguent au loin, images silencieuses.
Une embarcation de pêcheurs rentre à bon port, pétaradante.
Des chaînes qu’on jette, arrimage joyeux, des caisses de poissons jetées à quai, des cliquettements de gréments tangués, la vie se déroule à portée d’oreille, habituelle pour certains, dépaysante pour d’autres, pour moi en tous cas.…
J’arpente les quais pour avoir l’oreille marine, l’immersion est ici intrinsèque.
Je foule les plages où le pied fait chanter les galets.
J’ouvre une fenêtre pour entendre la rumeur entêtante d’une mer venteuse.
L’oreille m’entraine au large. L’imaginaire joue le jeu des esprits marins convoqués.
Les vagues toujours, s’enroulent et se déroulent, plus ou moins furieuses sous les rafales.
Parfois même, la mer murmure.Lames sensibles…
Texte écrit dans le cadre du projet « Bassins versants, l’oreille fluante«
Aqua Vivace
2024 sera bouillonnante
Une année au fil des ondes
Des territoires liquides
Des dérives en rives
Eaux courantes
Eaux dormantes
Eaux étales
Eaux profondes
Eaux souterraines
Terres karstiques
De cénotes en dolines
Résurgences
A fleur de terre
Eaux torrentueuses
De rus en cascades
Puits et fontaines
Biefs et lavoirs
Canaux et écluses
Les flux aquatiques se feront entendre
Tendons-leurs l’oreille
Écoutons leurs secrets
Leurs puissances
Leurs discrétions
Leurs fragilités
Et parfois agonies
Remontons les berges
De la goutte affleurante au majestueux delta
D’embouchures en estuaires
Mers et océans
Traversons les gués
Donnons la paroles aux cours d’eaux
Et à ceux et celles qui les côtoient
Des sources en estuaires
D’affluents en confluents
De glaciers moribonds en moraines glissantes
Entendons des paysages sonores aquaphoriques
Qui tracent et modèlent des paysages audibles
Des méandres soniques
Façonnées à petits ou grands bruits
Entre crachins, pluies et déluges
Lisons l’histoire des villes, des industries, des moulins
Par le biais de leurs eaux
Racontons les à notre façon
Au travers les flots d’une mémoire nourricière
Les voies d’eaux reliantes
Les hydro-énergies déployées
Les végétations bordantes
Les cours des lits sinuants
Entendons les récits
Les contes et les légendes
Les monstres engloutis
Toujours prêts à resurgir
Bonhommes ou maléfiques
Maillons un territoire extensible
De points d’ouïe aquatiques
Dressons une cartographie sonore
Humide et rhyzomatique
Un inventaire de sites audio-aquatiques remarquables
Protégeons les comme des communs à portée d’oreille
Déchiffrons les textes influents, odes aux ondes rafraichissantes
Construisons un réseau auriculaire irriguant
Des trames bleues et chemins de halage
Des douces mobilités riveraines apaisées
Des sentiers nichés dans des vallons modestes
Mêlons la vue et l’ouïe au long cours
Croisons les arts et les sciences
Hydrologiques et humaines
La culture scientifique et la création sonore
L’histoire et la géographie des flux
Celle des riverains mariniers ou marins
Meuniers ou sauniers
Indisciplinons des approches mouvantes
Entre crues et tarissements
Débordements et assèchements
Prêtons attention au flux salvateurs
Prenons en grand soin
Affirmons l’urgence de le faire
Écoutons pendant qu’il en est encore temps
Les milles et unes sonorités liquides
Les poésies aux images ondoyantes
Et les chants ruisselants des eaux vives.
Errer, naviguer, au fil de l’onde
Errer, naviguer
Errer au fil des eaux
Tendre l’oreille aux paysages liquides
Aux méandre sinueuses
Aux ports ouverts au monde
À leurs cosmopolitisme sonore
L’échappée bleue comme horizon
Revenir vers les rus
Pénétrer la campagne
Où les eaux se ruissellent
Traverser la forêt
Avec ses mares au diable
Naviguer les marais
Dans de labyrinthiques voies d’eau
Retrouver la Vouivre et le Tarasque
Le Drac et les Naïades
Ophélie et les Sirènes
Entendre les moulins
Même ceux immobiles et muets
Clapoter les pieds dans l’onde
Longer les rives chahutées
Errer, naviguer
De trames bleues bouillonnantes
En nappes étales dites dormantes
Marcher les chemins de halage
Et traverser des ponts
Sauter sur les pierres d’un gué
Prendre un bac traversant
Contempler la marée
Entendre les ressacs
Et les cailloux roulés
Et les cailloux jetés
Surprendre les grenouilles
Plongeant à notre approche
Après de sauvages coassements
Écouter les branches d’un saule
Titiller les eaux sous le vent
Les harangues de canards barbotant
Les vrombissements de zodiacs bondissants
Les rires de jeunes baigneurs
Le déversoir d’une digue trop pleine
Un délestage d’une centrale électrique
Sur un torrent montagnard
Les flic-flic spongieux
D’une tourbière ancestrale
La réverbération miroir
D’un large fleuve roulant
Des arbres charriés après la pluie d’orage
Le sifflement de cannes à pêche au lancer
Le rembobinage de moulinets véloces
Le ploc de bouchons colorés
Les eaux fendues par l’étrave
Leș vaguelettes inondant la berge
Après le passage d’une imposante barge
Les voix festives une soir d’été
Au bord d’une rivière accueillante
Errer, naviguer
Des ruisseaux familiers
Des rivières inconnues
Des torrents surprenants
Percevoir les rares clapotis
D’un cour d’eau asséché
Par un été trop chaud
Tourner au tour de la fontaine
L’oreille collée à ses ruissellements
Lancer des galets dans l’étang
Voir et entendre leurs ondes de choc
Et les ronds harmoniques
Jouer aux ricochets
Les compter à l’écoute
S’abrutir de bruits blancs
De vagues itératives
De houles déferlantes
Et reprendre son souffle
Au creux humides et sombres
Des étangs forestiers
Errer, naviguer
Fendre les flots indolents
Défaire les barrages brutaux
Laisser l’écoute s’immerger
Courir les berges sans quais
Entendre les chants de l’eau
Les complaintes et mélopées fluentes
Les nappes ondoyantes
Les respirations profondes
Les ondées tambourinantes
L’apaisement d’un fleuve
Les échos des abers
Envahis par la mer
Se laisser irriguer
Par des ondes porteuses
Des flots nourriciers
Des sons désaltérants
Se laisser conter
Les légendes des eaux
Et ses mille récits
Ses monstres immergés
Au creux des sombres puits
Et des sources magiques
Des profondeurs fluviales
Des résurgences en eaux vives
Des fêtes archaïques
D’un Neptune souverain
D’Océan le Titan
De Thétis la Déesse des eaux
Abreuvant nos imaginaires
Débordant de récits en crues
Hors les lits enchâssés
Jusqu’à briser les digues
Mais parfois se tarissent
Les cours et les contes
Dans des flots abimés
Où meurent les poissons
Les coraux et éponges
Asphyxiés de plastiques
Et de mille déchets
De souillures étouffantes
Qui font taire les flots
Les rendent inhabitables
L.es font Inconsommables
Les font mourrir d’assèchements
Les têtards agonisants
Les grenouilles muettes
Comme des eaux de morte Terre
Comme des eaux de morte Mer
Alors promenons nous au fil des eaux
Nos oreilles assoiffées
Installons nos écoutes dérivantes
Réjouissons nous d’entendre encore
Les eaux courantes et fragiles
Et prenons en grand soin
Car lorsqu’elles se tairons
Nous nous tairons aussi.
Chant d’automne finissant

L’automne s’enfuit, doucement
Glissant vers l’hiver, inéluctable
Les passereaux se sont tus
Les corneilles persistent, résistent
Et même bavardent de plus belle
De cris en cris
De vols en vols
Secouant l’arbre solitaire de leur étrange frénésie
Les terrasses rentrées
Le quartier va vers l’endormissement
À pas feutrés, mais décidés
Les volets se ferment plus tôt
Claquant contre les vents automnaux
Les paroles-même s’amenuisent
Dans la sphère du privé
Les rires se font discrets
Au travers les fenêtres prestement fermées
Parfois dans la rue engourdie
Les places se vident, lentement
Et les bancs inoccupés
Sont balayés de trainées venteuses
De bourrasques rageuses
Les feuilles ocrées raclent le sol de crissements furtifs
La cloche semble teinter quasiment en sourdine
Ses sonneries éparpillées au gré des vents facétieux
La fanfare attends des jours meilleurs
Pour sonner et réveiller les rues
Les pipistrelles volent en silence
Engloutissant les insectes encore remuants
Avant que de s’endormir à leur tour
La fraîcheur s’est installée, sans éclat
Timide pour l’instant
Les réverbèrent accompagnent l’entre chiens et loups
Jetant au sol des flaques jaunies
Sur les dalles de pierre luisantes
Que la pluie percussive tambourine avec vélocité
Je regrette déjà les excès de l’été
Et même ceux, automnaux, de ses attardements indiens
Leur brûlante et sonore insolence
Les halètements sous un soleil trop souvent cuisant
Il me faut accepter que tout baisse d’un ton
Glisse parfois vers un presque silence
Que tout s’apaise enfin
Que l’oreille comme le corps respirent
En aspirant déjà à un prochain réveil
Bruissonnant sans vergogne
Une entame à nouveau bien sonnante
Aux accents volubiles
Mais au cœur de l’hiver, inexorable
Que l’on sent approchant
Je garderai l’oreille alerte
En posture curieuse
Pour la nourrir encore
Du moindre son restant
Si fugace fût-il.
Presque rien
Il suffirait d’un presque rien
D’un doux ralentissement
D’une façon de dé-densifier l’espace
D’un geste minumental
D’une allure modeste
D’une chaise posée là
D’un arrêt sur son
D’une installation d’écoute sans aucun dispositifs
D’une posture à oreilles nues
D’un parcours hors sentiers battus
D’un silence concerté
De corps dans le mouvement
De corps dans l’immobilité
De corps dans la durée
D’un corps dans le silence
D’une expérience éphémère
D’un partage attentionné
D’une joie qui demeure
D’un flux contextuel
D’une histoire pour les oreilles
D’une histoire auriculaire sans ajouts
D’une histoire à fleur de tympans
De la richesse du temps perdu
D’espaces infra ordinaires
De récits au fil de l’eau
De paroles sans emphase
D’oasis sonores à découvrir
D’une nuit transfigurée
D’une simple écoute.
Merci à Luc Ferrari, Georges Pérec, Marcel Proust, Jean Giono, Will Self, Arnold Schoneberg pour leurs inspirations…
Se poser, écoutant dans la danse

Se poser par ici, ou se poser par là
Jeter un œil furtif, ou un regard insistant
Une oreille discrète, ou une oreille scrutante
Savourer les mouvements, les arrêts, les hésitations
Le ballet du vivant qui danse sans le savoir
Écouter des bribes, ou bien plus longuement
Les gens furtifs, originaux
Bavards ou taiseux
Marginaux, anonymes
Pressés, nonchalants
Élégants, négligés
Semblants et faux-semblants
Ceux qui vous sourient, ceux qui vous saluent
Ceux qui vous ignorent, ceux qui vous toisent
Ceux qui vous bousculent
Et tous ceux que vous ne voyez pas, et réciproquement
Se sentir vivant, ou se sentir moins seul
Tout simplement être tout près
Assis sur un banc de pierre, de bois ou de béton
Dans ou devant une gare, une église, un parc
Dans la fraicheur d’un matin précoce
Dans la chaleur d’un midi torride
A nuit tombante, à nuit tombée
Aux premières ondées automnales
Dans les frimas engourdissants
Dans des espaces incertains
Y trouver des habitudes, des ancrages
Y faire des rencontres récurrentes
S’inscrire dans le quotidien, ou presque
Comme usager rompu aux lieux
Écoutant regardant insatiable
Un beau jour pour se sentir bien là
Un beau jour pour se sentir ailleurs
Un beau jour entre-deux erratique
Rester immobile et que tout tourne
Les sons les gens et les odeurs
Et les lumières qui bougent
Et les les ombres fuyantes
On est point fixe, axe dans un chaos branlant
Un banc des villes, un banc des champs
Autour desquels tout s’agite
Autour desquels danse le paysage hésitant
Ralentir la marche est nécessaire
Pour se poser sans s’abimer
Juste dans nos écoutes regardantes
A la croisée imprévisible de tourbillons fantasques
Où danserait l’inconscience du monde.
Se poser par ici, se poser par ailleurs
Dans le groove chaloupement du monde.
Fin ou début de rêve
Chaque scénario offert
Aux oreilles assoiffées
Mais aussi apeurées
Devrait être une histoire
Si possible inouïe
Une histoire paisible
Dans le meilleur des cas
Ou sinon turbulente
Quand ce n’est virulente
Des sons se télescopent
Se frottent et s’entrechoquent
Cacophonie d’enfer
Des bribes insensées
Se déplient fébriles
Se replient insidieuses
Éclatent sans retenue
Comme des mots jetés
Sur des pages griffées
Des images bruyantes
Aux confins de l’écoute
Des souvenirs en devenir
Des prédictions périmées
Des choses pas encore nées
Des gestations avortées
Des chimères trépassées
Des films à rebours déroulés
Des évidences muettes
Des tympans profanés
Des oreilles déflorées
Des mouvements figés
Une cloche au battant suspendu
Un cri gelé en bouche
Une parole étouffée
Un larynx enkysté
Une attente d’on ne sait quoi
Pourvu qu’elle se résolve
En salves explosives
En vivats incrédules
harangues sans auditoire
silences repoussés
révoltes ravalées
indignations bridées
Ce qu’on ne peut entendre
Ce qu’on ne veut entendre
Et qui pourtant surgit
Exultation bruitiste
Rumeur exacerbée
Paysages sonnés
Orchestres désaccordés
Timbres enroués
Instruments saturés
Machines dérèglées
Des éléments furieux
Eaux grondantes déchainées
Tonnerres en écho infinis
Fracas volcaniques éructants
De l’inaudible à l’excès
Des éclats foudroyants
Une apocalypse orchestrée
Un grandiose final éclatant
Un sublime assourdissement
Un béance sonifiée
Afin que tout se taise
Dans un vide sidéral
Et les oiseaux soulagés
Se remettent à chanter.
Reconnections et retrouvailles
Marcher, écouter, retrouver, connecter
Pour
Sentir le sol sous ses pieds
Sentir l’herbe, le bitume, la terre, les feuilles, le sable, l’eau, la boue, la roche
Sentir nos silences envers le monde
Les sons dans nos oreilles
Les co-écoutants voisins
L’écho répondant malin
L’air dans nos tympans
Sentir le temps reconnecter l’espace
Sentir l’espace reconnecter le temps
Le temps retrouver la lenteur
Connecter les retrouvailles
Les retrouvailles urbaines
Les retrouvailles forestières
Les retrouvailles villageoises
Les retrouvailles océaniques
Les retrouvailles fluviales
Les retrouvailles nocturnes
Les retrouvailles humaines
Les retrouvailles diurnes
Les retrouvailles animales
Les retrouvailles végétales
Les retrouvailles entre chiens et loups
Les retrouvailles ventées
Les retrouvailles montagnardes
Les retrouvailles festives
Les retrouvailles estivales, hivernales, automnales, printanières
Les retrouvailles de soi
Les retrouvailles en soi
Reconnecter les alentours
Nos sensibilités auriculaires
Nos affects à fleur de peau
Nos liesses inabouties
Nos rencontres impromptues
Nos nombreux inachèvements
Nos espoirs malgré tout
Nos mondes vacillants
Et tous les mots pour le dire
Et tous les mots pour tenter
Et tous les mots pour oser
Et tous les mots pour le faire
Les mots sonnants comme des cristaux
Les mots saillants comme des lames traçantes
Creusant les sillons d’histoires nomades
Colporteuses de sonorités furtives
D’écoutoirs improbables
Se perdre dans des méandres acoustiques
Se rattacher aux phonèmes
Se rattacher aux morphèmes
Se rattacher aux monades
Se rattacher aux nomades
Se rattacher à l’ami confident, à l’autre
Se rattacher à soi
Se rattacher quoi qu’il en soit
Rester connecté quoi qu’il arrive
Ou se reconnecter sans cesse
Là où se cache le paysage confus
Fêter les retrouvailles vaille que vaille.
Écouter le monde – Paroles de poètes – Souffles
Comment les sons de la vie quotidienne résonnent-ils dans les paroles des poètes ? Comment les poètes écoutent-ils le monde ? Guetteurs d’inaperçus, ils suggèrent bien souvent des manières inattendues et profondes d’y prêter l’oreille. « Écoute plus souvent les Choses que les Êtres… », écrit le poète sénégalais Birago Diop dans Souffles. Éclats de voix d’un poème aimé et remémoré.
ÉCOUTER LE MONDE, EN BREF Tout à la fois émission de radio diffusée chaque dimanche dans le journal d’information de RFI et plateforme participative, Écouter le monde donne à entendre les cultures, les langues et les imaginaires du monde à travers des sons d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Europe ou d’Océanie. Des centaines d’émissions sont à écouter en podcast sur ce site, tandis que la plateforme participative et évolutive propose des cartes postales sonores et des enregistrements. À ce jour, 245 captations sonores sont disponibles en libre accès. Auteure et coordinatrice d’Écouter le monde, Monica Fantini écoute, enregistre et compose des pièces sonores à partir de sons du quotidien : claquement des portillons du métro parisien, harangues des vendeurs au marché de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, craquement des glaciers en Patagonie, roulement des calèches dakaroises ou encore cloches de la place Saint-Marc à minuit à Venise, voix de poètes… Autant d’éclats de vie avec lesquels elle tisse des récits pour raconter le monde, créer des liens et partager des savoirs.
Podcast en écoute ici
Point d’ouïe, forêt de La Double, Sève qui peut !

S’enforester, sève qui peut !
Une forêt peut-elle se cacher derrière un arbre ?
Ou inversement ?
Un son peut-il se cacher en forêt ?
Une forêt dans les sons ?
Qu’en dire, qu’en ouïr ?
Marcher suivant son instinct
Au risque de s’égarer
Sans cailloux baliseurs
Croiser et écouter l’Ogre
Baba Yaga
Le roi des Aulnes
l’esprit des Sylves
Le Grand Méchant Loup
GML pour les intimes
Les Sept Nains, grincheux compris
Pelleas ou Mélisande
Ou les deux
Le chêne séculaire
Le saule, éternel malheureux
La biche innocente, quoique…
Et tous les esprits frictionnels
Qui nous feront voir de quel bois ils se chauffent
Et tous les oiseaux nicheurs et dénicheurs
Les coucous squatteurs
Les pies cleptomanes, de pis en pis
Et tous les Elfes, lutins, Hobbits, korrigans, Génies verts, Naïades, Walkiries, Nymphes, Ondines, Échos, Esprits siffleurs, frappeurs, tapageurs…
Choses racontées de souche à oreille
Les feuilles grandes ouvertes, ou vertes
En embûchcade
Des bois sons
Hydres à temps
Jeux très bûches !
Tout cela fait un sacré boucan !
Une rumeur entretenue de vents
Balayée d’orages, saccagée de grêle, assoiffée de sécheresse,
Laissant du bois mort, desséché, moussu…
Tout ce qui craque sous nos pas
Même le verni de l’histoire sylvestre
Sève qui peut !
Mais ça sonne quand même bien !
18 octobre 2022, PREAC Les fictions de la forêt, Permanence de la littérature, forêt de La Double, Cali de Libourne
Associations sons mot à mot

Laissons les sons vifs
L’écoute révélatrice, rêve et lectrice
En inter-positions
Super-positions
Jusqu’à positions
En frottis de flots flux
d’improbables rangs contre
tricoter avec
Des arbres, des marbres
Des forêts, des faux rets
Des sentiers, des chantiers
Des mots, des maux
Des campagnes, des compagnes
Des abeilles, des oreilles
Des prisons, des frisons
Des rivières, des litières
Des lectures, des luxures
Des rythmes des myrthes
Des marches, démarches
Des rires, décrire
Des cités, cécités
Des ports, des forts
Des livres, des vivres
Des hôpitaux, dés aussitôt
Des images, des mixages
Des corps, décors
Des danses, des denses
Des pluies, des ouïes
Des pierres, des paupières
Des comptoirs, des pouvoirs
Des photos, des photons
Des récits, des récifs
Des chaos, des cachots
Des vins, des vains
Des folies, des phobies
Des publics, des déclics
Des machines, des échines
Des étoiles, des étioles
Des oiseaux, des appeaux
Des enfants, des infants
Des voyages, des voilages
Des marchés, démarchés
Des teintures, des tentures
Des collines, des coulines
Des lumières, des lanières
Des ruelles, des cruelles
Des odeurs, des horreurs
Des buissons, des bruits-sons
Des châteaux, des chats tôt
Des murmures, des morsures
Des anions, des actions
Des nuits noires, des rasoirs
Des rochers, des ruchers
Des couloirs, des mouroirs
Des lignes, des signes
Des méandres des esclandres
Des bancs, des rangs
Des sons, des sangs
Des perspectives, des prospectives
Des landes, des bandes
Des cloches, des croches
Des écrans, des écrins
Des dangers, des donjons
Des regards, des égards
Des insectes, des infects
Des odeurs, des moqueurs
Des fêtes, des faits
Des orages, des otages
Des sorcières, des cornières
Des tempêtes, des enquêtes
Des repas, des replats
Des frictions, des fictions
Et tout ce qui ne coule pas de soi
Qui ne coule pas de source
De source avérée
De source altérée
L’oreille s’apprête au jeux de l’ouïe
Qui s’y frotte ses piques
Des mots, démos
Avoir le dernier…
Historiettes et oreillettes

Marchécouter
Tout commence par la marche
Celle pour écouter
Ou bien
Tout commence par l’écoute
Celle pour marcher aussi
Enfin, on ne sait plus trop laquelle motive l’autre
C’est un début d’histoire
écrite en creux dans des sillons vibratoires
L’écoute collée aux pas, au sol, aux arbres
de frondaisons en racines
de ramures en nervures
L’écoute collée au bitume, à l’asphalte, au béton
l’écoute collée à la ville assourdissante
ou à la ville murmurante
C’est un début d’histoire sonnofage
qui se nourrit de la chose entendue
une chose qui se prête, voire se donne, à entendre
bon gré mal gré
tout en se camouflant dans mille autres auricularités
façon de perdre, sans avertissement, la puce dans l’oreille abusée
désabusée
la puce dans l’oreille amusée
qui sait
Quand le vent se fait mer
Quand la mer se fait vent
quand le troupeau noircit l’asphalte
en meutes de moteurs
vers le ventre trop urbain sonifié
Quand le silence n’en peut plus de gémir
et les voies de muer
vers des tessitures tendues
comme un arc vibrant de rumeurs incertaines
Osmoses évanescentes.
S’assoir
Ne plus traquer les proies fuyantes
celles qui font le tympan hésitant
laisser venir
pavillon orienté comme une outre évasée
une éponge impavide
une sonde curieuse
qui ne résisterait plus
ni aux bruits ni aux silences
se laisser envahir d’une nuée sonore aux trajectoires folles
C’est ainsi que l’histoire s’entend
c’est ainsi que l’histoire s’écrit
c’est ainsi que l’histoire se dit
Peut-être
Se lever
Se relever
Repartir
Repartir pour échapper à
Repartir pour s’échapper de
si possible
Pour suivre le courant d’une écoute incertaine
battant pavillon coloré de fronts d’ondes
Reprendre l’histoire là où les courants soniques s’affrontent
en tourbillons hétérogènes
Porter les écoutes comme des confluences hybrides
où le conflit n’est pas exclus
se fier à d’autres oreilles affutées
ou émoussées
polyphoniser
harmoniser
contrepointer
faire surgir des mélodies des villes et des champs contre-chants
Nouvelle pause
Tenter encore de retenir un murmure
un rire, un glissement, un choc
l’infime bruissement d’un je ne sais quoi
à la limite du seuil frontière de l’audible
Le retenir dans une boite mémoire hérissée de membranes
Le retenir en espérant encore
en espérant toujours enrichir l’histoire
quitte à la terminer
quitte à ne jamais savoir comment elle finit
l’étoffer de digressions tympanesques
d’ambiances brodées de toutes pièces
pièges à sons doux
dans lesquels on tombe de pleine oreille.
Fermer les yeux
Fermer les yeux
en faisant semblant de croire que l’oreille fera le reste
reprenant à sa façon l’histoire à portée de cochlée.
La biensonnance comme un rêve d’accord parfait
ou presque
de dissonances en consonances.
Fermer les yeux
non pas pour ignorer le monde
mais pour mieux l’avaler de l’oreille
pavillons hissés aux vents soniques.
Éprouver
Les vibrations de pied en cap, corps résonant sans repos aux plissements des bruits.
Traverser
Les seuils de l’audible, et ceux des territoires.
Les franchir d’un pas sonnant ou feutré
jusqu’à ce que le parcours vibrillonne nos corps réceptacles
que chacune de nos cellules soit un objet vibrant
suspendu dans les nimbes d’une intime proprioception à l’auricularité criante
Historier
L’histoire est aussi bruits de couloirs colportés
rumeurs amplifiées d’un monde médiatiquement impudique.
L’histoire est oralisée, et graphiée
sons de la Terre fragile et finissante
dérivant vers un silence déshumanisé
Resteront d’autres histoires qui sans doute en tireront leçon
L’histoire est ponctuée de sirènes entêtantes
alertes déniées ou envoûtements annihilant la moindre résistance
dérives plaintives et doucereuses.
Alors marcher
Alors écouter
Alors raconter, encore et encore
des histoires pleines de bruits
qui résisteraient orgueilleusement au temps et à ses mille chausse-trappes
qui émuleraient des hybridations tonitruantes
autant que chuchotantes
qui croiseraient grandes et petites histoires
trempées dans les sons vifs
qui écriraient et mettraient en mouvement des mythes inouïs
où chaque oreille se reconnaitrait comme écouteuse
dans un immense archipel/univers
bruissonnant à perte d’ouïe.
Oreille rêveuse et histoire sonifiée.
Points d’ouïe, les voix de la ville

Mais c’est quoi ce son là ?
Celui qui colle à mes pas
celui qui colle à mes oreilles ?
Ce son là ?
Mais ce sont les voix de la ville.
Le son de la ville qui chante
comme de celle qui déchante.
Mais si on l’écoute bien, des fois, il enchante.
Mais oui, il l’enchante, mais ouïe !
Après, faut coller l’oreille, à la ville.
Faut coller l’oreille à l’asphalte chaud
qui a peut-être emprisonné le bruit des pas passants
pas gravés dans une mémoire du sol
gravées en vibrations figées mais re-jouables
faut coller l’oreille aux murs transpirants de poussière
des fois qu’ils se souviennent
faut coller l’oreille aux chantiers
ceux qui n’en finissent pas de déconstruire
ceux qui n’en finissent pas de reconstruire
faut coller l’oreille aux passants
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en devisant
ceux qui n’en finissent pas de passer
passer en silence
faut coller l’oreille au passé
passé enfoui
celui qui suinte par les fissures
fissures des industries en friche
des maisons abandonnées
des terrains vagues
des vagues terrains
aujourd’hui tous barricadés
sans cris d’enfants aventuriers
des espaces indéfinis
ou non finis
où se perdre l’oreille
rares espaces
retenant des couches audibles en strates sonores
de celles qui explosent en bulles
qui explosent presque muettes
faut coller l’oreille aux fontaines aussi
celles qui s’ébrouent en flux liquides
quitte à noyer ou en perdre le bon entendement
faut coller l’oreille aux métros
ceux qui font vibrer la ville
la ville du dessous j’entends
il faut plonger dans le bruit des chaos
il faut plonger dans le murmure des oiseaux nocturnes
il faut plonger nuitamment dans un parc livré aux auricularités noctambules
il faut suivre les vibrations des souffleries essouflantes
il fait espérer que la cloche nous maintienne entre trois géographies soniques
celle du haut aérienne
celle du bas terrienne
et celle de l’entre-deux hésitante
il nous faut jouer des lieux
ceux discrets
et ceux tapageurs
passer de l’un à l’autre
et de l ‘autre à l’un
mixer les chemins d’écoute
histoire de dérouter l’esgourde
de désorienter le pavillon
d’émouvoir les écoutilles
et pourquoi pas !
Il faut trouver le lieu ad hoc
le banc d’écoute où l’oreille peut se déployer
où l’oreille peut se tendre
où l’oreille peut se détendre
Il nous faut marchécouter la cité
se fier aux ambulations bordées de sons
et s’en défier sans doute
praticien de dérives à en perdre le sens de l’Orient à sons
quitte à virer de bord
sonique instinct…
Image sonore au fil de l’onde

Courant d’eau
comme un courant d’air
mais en plus liquide
plus tangible aussi
plus canalisé
bordé
rivé
semé d’obstacles
qui rendent audibles
un flux aquatique qui s’y cogne
contourne
et ça clapote
chuinte
glougloute
plique et ploque
dérive
écume
mousse
s’égoutte
bouillonne
érode
arrose
songe à crues
rafraichit les écoutilles
lave des scories bruyantes
se la coule douce
en sons rincés
en houle mouillée
en paysage liquide
qui s’écoule dans nos corps inondés.
Bruitalité urbaine

Bruitalité ?
Mot-valise
Barbarisme briutal
barbarisme bruitiste
Bruitalisme…
Comme bruissonnance
indice vie
contre silence demeure
bruitalité frétille oreille
s’ébruite comme gouttes
gouttes sonifères
s’égouttent comme bruits.
Bruitalité briutale
bruitalisme
comme assourdissement
attaque sonique
crue ondes bruitoniques.
Ici je banc d’écoute
écrivant bruitique
voiture déverse torrent musique
festive électro
agressive électro
points d’ouïe…
Flux voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues
voitures revenues…
beaucoup passager unique
si de rien n’était
bruitatalement parlant.
Vroum…
Bruité.
Bruitalité métaphore
monde mal traitance
sous traitance
lobbies bruitalisants
monde oreille peine
corps entier
trouver repos.
Bruitalité ça
et contraire
verre trop plein
trop vide
moitié de tout.
Et…
Scènes villes
non saines villes
épipandémie sonore
proliférante
paupérisation aseptisée
pandémisée
silences étouffés…
Bruitalité multiple
déploiements écoutes
faire entendre
faire entendre meilleur
faire entendre pire
pire meilleur
meilleur pire
sous pires
ex pires
en pires…
Bruitalité oasis
source bruit sonnante…

Point d’ouïe, comme un pesant silence

Ici
ma rue
déserte
désertée
abandonnée
ou presque
quartier fantôme
ville fantôme
trottoirs fantômes
parfois secoués
en quelques minutes vespérales
de liesses passagères
ou d’un camion vrombissant
vomissant ses vivres
et chaque sons grinçants
ferraillant le trottoir
ronronnements de chambre froide
claquements de porte
prennent des proportions décuplées
si bien que même dans la durée
des gestes ralentis
des mouvements confisqués
l’oreille s’étonne encore
de ce quasi silence
pesant
que nargue l’insolent soleil
et que les cloches perchées
animent sans scrupules
toniques scansions
bouffées d’oxygène auriculaires
ce printemps manque d’air.
@photo Blandine Rivière @texte Gilles Malatray
Fenêtres d’écoute – Listening windows – https://soundatmyndow.tumblr.com/
Paysages (rien que) pour les oreilles ?

Paysage(s),
représentation
artistique
d’un fragment de nature,
de lieu
de scènes
de mythologies…
Peinture,
paysage-toile,
vue de et par l’homme,
homo artiste,
picturaliste
naturaliste
urbaniste
idées à listes…
Représentation(s),
étalée de couleurs,
agencée sur la toile,
paysage re-présenté,
non naturel,
re-construit,
transmission,
vision,
artefact
inclinaison dominatrice
environnement capturé
entoilé.
Paysage et picturalité,
des écoles,
des genres.
Paysage photographique,
carte postale,
tout est
en partie
affaire de cadrage
ou de décadrage
d’éclairage
ou d’obscuricissement
polysémies lumineuses.
Paysages cinématographiques
le mouvement en plus
kinesthésie à volonté.
Le paysage se montre
dans et par l’espace
délimité,
points de vue,
parti-pris
que le regard choisit
en s’aidant de la main.
Quid d’un paysage sonore ?
Idem,
parcelle d’espace
de temps
d’espace-temps
mis en boîte,
capté
enregistré
conservé.
Traces in-fidèles ?
fossiles d’écoute ?
reliquats acoustiques
résidus acoustiques
échantillonnages de territoires…
Technicité
choix du lieu,
des sources
des sujets
de l’instant
de la durée
des mouvements…
Composition,
re-composition,
de l’espace
plan auditif,
réagencé,
remixé pour l’oreille.
Décision de captation sonore
geste prémédité,
volontaire,
contraint de subjectivité latente.
Le micro,
asservi par l’écoutant,
manipulé,
à l’instar de l’objectif,
à effet loupe
grossissant jusqu’au presqu’ inaudible,
aspirant les sons,
travellings auditifs,
gros plans auriculaires
fabrique d’artifices…
Micro parfois complice de l’oreille,
et parfois dissident
Les sons nettoyés,
certains expurgés,
débarrassés de leur gangue
ou de résidus indésirables,
selon la définition de chacun
sons traités
parfois maltraités;
renforcés
amoindris
mélangés
malaxés,
étirés ou raccourcis dans le temps,
séquencés,
déplacés,
pour de trompeuses histoires.
Paysages en fabriques,
admirés,
dénoncés,
caricaturés,
incarnés,
par ou pour l’oreille.
Nouvelles histoires
à croire ou ne pas croire.
Paysage sonore
volonté politique
une approche sonore écho-citoyenne,
une pensée et des gestes d’écosophie sonore
les utopies s’entendent-elles ?
Le paysage,
sonore,
n’est pas fidèle au réel,
mais sans doute un reflet
un miroir déformant
de l’écoute elle-même,
personnelle,
parcellaire,
modelée
contaminée de culture,
et c’est en cela
que le son se fait paysage,
ou bien inversement.
2020 échorésonances 2020
2020
2000 vins
chercher les ivresses
celles amènes
à venir
à construire
séparer le bon grain (acoustique)
de l’ivraie-son
mettre de l’ordre dans ses pas
ses écoutes
ou pas
ou chercher le dé-sordre
erratique
en chantier
risquer l’impasse
et l’autre non
la perdurance
la zigzagance
l’arpentance
la synthonance
mobile body ears appli
l’audioaltéritance
des ZAD
Zones d’Écoutes Prioritaires
de cités en forêts
et vice et versa.
marchécoutécrire
pluriels
le bruit qui coure
le son de choses
oreille en coin
en colimaçon
en partance
audiomorphosance
la voix de son mètre
échelles et talons
walking in the sounds
with the sounds
by the sounds
for the sounds
via the sounds
listen to
tout
on sonne tout
instrumenter le monde
le musiquer
le sonner
résonner
vibrer
vibrionner
sans excès
juste mesure
juste tempi
justance
modérance
empathance
ralentissance
se garder des rumeurs
des on-dit
des on-dit pas
des non-dis
des poncifs
dits sonnants
des sonterrances
desartsonnances en cours
tendre l’oreille
l’oreille tendre
la prêter
l’apprêter
écoutance
écoussonnance
projeter en des-marches
mettre l’oreille au pas
ou l’inverse
sans contraindre
ouïssance
jouissance
jouissonnance
consonance
points d’ouïe
arrêts sur sons
sweet spots
focalissonance
paysager l’auricularité
auriculariser le paysage
façons d’écouter
objets d’écoute
soundmapper
soundmappance
calligraphissonance
espaces acoustiques qu’on signe
taguer l’acoustinance
griffer les murs-murs
graphissonance
récitance
écouter
bruissonnance
2020
Sabugueiro, impressions estivales

Vers le haut
Des odeurs de poussière tournoyante
de pierre écrasée
de blocs granités
crissements des cailloux roulant
sous nos pas incertains
et puis des eaux moussues
gouleyantes
des herbes écrasées
arbustes desséchés
carqueja odorante
arbres calcinés
car le brulé persiste
des sonnailles grêles
de troupeaux invisibles
fondus dans la pierraille
des chiens au loin
se jouant des échos
le souffle du vent chaud
aux commissures des lèvres
dans la bouche entrouverte
comme à fleur de narines
tel un bouillon d’été

vers le bas
des voix
profondes et joyeuses
riantes impétueuses
s’hêlant de rues en rues
devisant sur un banc
une terrasse ombragée
où pétille une bière
aux contours embués
Olà Boa tarde obrigado
musique à mes oreilles
qui ne décryptent rien
Ou bien si peu de choses
Un tracteur haletant
une moto d’un autre âge
sa charrette de paille
brinquebalante
ferraillante
le jardin que l’on bine
quelques voitures en prime
encore des chiens errant
en premier plan cette fois-ci
en concert impromptu
qui secoue la quiétude
du village assoupi
une cloche qui tinte
marqueur du temps qui passe
l’Angélus s’annonce
la fontaine qui s’égoutte
un lavoir en réponse
des bidons sont remplis
des sceaux y sont lavés
des enfants aux ballons
qui font sonner les lieux
de rebonds en rebond
les pavés cliquetants
des portes et des fenêtres
qui s’ouvrent et qui se ferment
des poubelles qui claquent
la fraîcheur qui s’installe
la lumière déclinante
des lampadaires s’allument
et la vie qui s’écoute
Sans accrocs apparents
comme l’eau des fontaines.

Résidence artistique Paysage sonore à Sabugueiro (Portugal) avec le Festival DME – Hostel Criativo – Juillet 2019
Ce que, pour moi, écouter veut dire

Tendre l’oreille
l’oreille tendre
audio, j’entends
je vous entends
ausculto, j’écoute
je vous écoute
mais avec attention
attention portée au Monde
au vent, à l’eau, au tonnerre roulant
aux végétaux et aux animaux
aux choses et aux gens
sans doute plus encore aux gens
attention bienveillante à tout ce qui bruisse
à la parole donnée
à la parole recueillie
à la parole partagée
qui n’est rien sans écoute
comme lettre morte sans auditeur
écouter pour discerner
entendre le sujet et son environnement
percevoir le sujet dans son environnement
distinguer le sujet, ses valeurs, ses limites, ses faiblesses
sa véracité, ses contresens, ses manipulations
entendre en se gardant des choses confondues
par erreur ou à dessein
écouter pour résister
à la frénésie ambiante
aux grondements climatiques
aux murs qui s’érigent en protectionnisme sourd
en barrières de mésentente
en cloisons mortifères
aux parois de silence
dans l’étouffement des voix
muselées de discours totalitaires
qui s’emploient à faire taire
écouter pour comprendre
un peu mieux
pour ralentir la course
dans des marches apaisées
dans un calme silence
écrin de mille bruissements
écouter le Monde par plaisir
s’immerger dans les sons
en prenant garde de ne pas s’y laisser submerger
en prenant garde de ne pas s’y noyer
Ouïr par empathie, altérité aidant
syntonisation de l’oreille et des espaces auriculaires
paysages sonores en communs
plus qu’en lieu-commun
laisser sourdre la sympathie, les émotions
des sentiments et ressentis
des bonheurs bien sonnants
des aménités sonnifères
chercher des oasis quiets
et s’ils n’existent pas
les construire d’urgence
des refuges où parler et écouter sont choses faciles
et avant tout choses tolérées
écouter d’une oreille curieuse
se laisser surprendre pas l’inattendu
par l’inentendu
dans les limites de l’audibe
aux lisières de l’inaudible
des petites parcelles soniques
des micros sons intimes
de la plume soyeuse
de la caresse d’Éole
écouter pour rester vigilant
ne pas s’endormir sur nos certitudes
accepter la sérendipité
voire la rechercher
paysages sonores à perte d’entendement
pensés du petit ou grand bout de l’oreillette
des marteaux, enclumes et étriers
comme un jeu d’osselets sonores
le paysage s’honore
écrit à l’aune d’un tympan réactif
membrane vibrante et fragile
réceptacle des musiques du monde
oreille en coin
oreille verte
oreille en colimaçon
au creux de l’oreille
sans la faire sourde
en tenant compte que les murs aussi en ont
et que ce qui rentre par l’une peut ressortir par l’autre
qu’en cas de bêtise, on risque de se les faire tirer
qu’il arrive qu’ont les ait battues
qu’on en ait par-dessus
quelque soit notre écoute
participons à bien s’entendre
pour nous entendre mieux.
Des règlements temporels ?

©dessin Jeanne Schmid
Le temps tic
vraiment vrai ?
le temps tac
passe comme il peut
s’écoule comme il pleut
comme il veut
en non fleuve tranquille
il s’ébroue
soubressaute
est compté
mesuré
scandé
montré
montres en main
mécanismes à l’appui
roues âge défilants
chronos féériques
faucheuse irrémédiable
hors loges sécurisantes
balanciers funambules
sur le fil de je ne sais quoi
et de fils en aiguilles
globe-trotteuses
et réveils difficiles
secondes et moi
une minute s’il vous plait
vous n’êtes pas alors
en retards retors sans excuse
pont que tu, elle
nous avançons
ou retardons
dés lors d’été qui n’est plus
dés lors diverses
qui est un tic
qui est un tact
toujours fuyant
tout passe en ses temps dans
passés composés, ou bien décomposés
de rendez-vous manqués
l’heure des traqués
sur des ruines battant la chamade
y’a quelque chose qui cloche
et quand sonne l’heure
la retraite fuyante
vie est, est-ce demeure
le temps l’emporte levant
car l’arythmie nous guette
en cassures métriques
des pas cadencés
des non cas danses
coucou, montre moi
ce qui s’écroule en sablier
ce qui flux en son temps
aiguilles âges des croisements
l’horloge rit toujours
de nous voir retardés
nous croyant en avance
des mesurés sommes nous
m’user du temps
musée du tant
tempus fugit.
©Dessins Jeanne Schmid – ©Texte et création sonore Gilles Malatray – Résidence artistique le Locle – LuXor Factory – Octobre 2018
En écho
Marcher, parler, danser l’espace Matières/manières d’écoutes

Le corps est dans l’espace
Il y bouge
s’y déplace
s’y déploie
s’y replie
y prend place
danse
écoute
sensible aux stimuli
réceptacle sensoriel
miroir de soi
de l’autre
d’un iota de ville toujours en devenir
le corps construit sa bulle
il occupe sa bulle
croise celles des autres
les traverse
les modifie parfois
y crée des interstices
espaces privés publics
personnels et communs
intimes et extimes
imbriquements complexes
tissu de gestes physiques
tissu de gestes perceptuels
tissu de gestes relationnels
tissu de gestes conceptuels
l’espace est dans le corps.

La ville comme terrain kinesthésique
arpenter
sentir
se sentir
re-sentir
se protéger
s’ouvrir
entre les entre-deux
les entre-sols
les entre-soi
entre-l’autre et entre autres choses
aller vers ou s’éloigner
tendre l’oreille
prêter l’oreille
bien ou mieux s’entendre avec
une ville un corps autrui
oreille arpenteuse
oreille épieuse
oreille un brin voyeuse
oreille généreuse
oreille voyageuse
oreille cartilagineuse
organe prolongement d’un corps
comme un cap tendu vers
ou aimant sonifère
l’écoute est mouvante
La kinesthésie comme terrain urbanique.

Tout espace est in-carné
à prendre corps
à bras le corps
à corps perdus et retrouvés
de villages en cités
l’oreille au pied du mur
le mur à portée d’oreilles
et le mouvement syncrétique
telle hétérotopie mouvante
cité de sons en friche
rumeurs et signes
magmas et émergences
accrochés au construit
architecture liquide
flux et autres flux
le corps s’y noie
le corps s’y baigne
adapte sa rythmie-cité
aménage sa sur-vie
via les sens chahutés
des résistances salutaires à terre
tout in-carnation est espace.

La marche met en branle
le mouvement architecture
la trajectoire balise
le parcours accomplit
l’espace contraint
l’obstacle stimule
la barrière se contourne
ou donne envie de franchir
la lisière se dessine
comme parfois structure
le sensible y fait sens
le phénomène y apparait
la carte peut guider
ou tracer les traces
ou faire perdre le Nord
à celui qui s’y fie
tandis que l’oreille entre autre
jauge juge repère
l’ébranlement met en marche.

La parole se fait nomade
elle dit
commente
invente
raconte
récite
interpelle
appelle
urbanise
ré-unit
critique
revendique
résiste
va de paire à l’action
réinvente l’Agora
fabrique le récit
les mythes de cités inaccomplies
elle se colle à l’écoute complice
s’encanaille d’emprunts
part du corps racontant
des histoires ambulantes
les propose à autrui
ou en son for intérieur
le mot peut se coucher
sur le grand livre des villes
ou s’oraliser façon griot
le nomade se fait parole.

Aller plus loin que la marche
danser l’espace
lâcher prise
un brin de révolte douce
des corps à l’unisson
des corps frictions
forcer l’union
prendre prises
les aspérités aidant
des contrepoints urbains
les sons comme musique(s)
donnent le la comme le là
façon de chorémarchécouter
les acoustiques s’en mêlent
la ville est corps écoute
réceptacle sonique
spectacle auriculaire
le bruit se fait complice
le groupe crée de l’espace
l’espace soude les contacts
le spectateur peut y emboiter le pas
ou pas
la marche s’organiser autrement
ses rythmes impulser le tempo
en cadences stimulantes
chamboulements urbains
l’oreille se démultiplie
relie la ville au corps
et le corps à la ville
danser plus loin pour aller.

Ce texte est né de rencontres d’ami.es complices de marches/expériences, qui dansent et performent la cité, la traversent autrement, et me donnent l’énergie d’expérimenter encore en frottant mon oreille et battant le pavé.
Lyon, dans la chaleur de l’été 2018
2018, paysage sonore arpenté et autres utopies

Je vais faire en sorte d’avancer d’un bon pas
croisant sur mon chemin des personnes que j’aime
d’autres que je découvrirai, j’ai hâte, dans l’action,
dans le geste et la parole réciproques
partageant avec eux des routes incertaines
des idées à défricher de concert
à tracer de l’oreille toujours insatiable
et de nos corps kinesthésiques
être dans leur pas ou bien modeste guide
l’oreille en sentier, l’oreille en chantier, l’oreille enchantée
des points de vue et des points d’ouïe
des lignes de vie, lignes de fuite, en perspective
des croisées de chemins pour tenter de se perdre
pour égarer la certitude d’un tracé par trop tracé
la sérendipité comme un attrape-rêve d’inattendus,
comme un cueilleur fidèle d’in-entendus
un ou deux pas de côté pour sortir des sentiers battus
un chemin de travers(e) pour contourner les idées rebattues
des écritures multiples, forgées d’aménités paysagères
inspirées de rencontres fertiles d’humanité
des forêts traversées telles d’initiatiques démarches
les frontières et lisières incertaines voire piétinées et confondues
franchissables sans heurts violentant le droit du sol
les itinéraires qui deviendraient paradoxalement errances
et vice et versa nous perdant pour mieux nous retrouver
des cartes qui n’en feraient sensiblement qu’à leur tête
des obstacles qui, de gré ou de force, nous confortent le pas
des détours d’horizons qui nous échappent encore, et toujours
des altérités sédentaires comme d’autres en mouvement, ou bien en alternances
une société parcourue à fleur de pieds librement vagabonds
leur plante qui ne s’enracine que pour mieux repartir
des postures, de pied en cap, à oreille comprise
des récits dignes des plus beaux clochards célestes
et de ceux qui sont restés rivés aux solitudes terrestres
des road-movies qui tracent et filent vers des espaces fuyants
des empreintes éphémères modestement effacées de résilience
des balades entre chiens et loups, où on ne sait plus qui est qui
dans l’obscurité bienveillante d’un entre-deux fertile
des espaces temps ou l’imaginaire s’exalte
des communautés de marcheurs soudés de nomadisme
des cités aux contours flottant entre béton et jardins
de grandes avenues et d’infimes intimes passages
des oasis de calme et des agoras bavardes
des mains comme des oreilles, tendues
des escales dans des ports bien sonnants
où jeter l’encre noire ou bleue, écritoires de nos pérégrinations
des labyrinthes en colimaçons complices et complexes
une boussole effervescente qui parfois perdrait le Nord
des bancs havres de paix, refuges d’urbanité,
accueillant nos plus folles rêveries urbi et orbi
des envies de lenteur comme décroissance prospère
un logis planétaire bien ancré, autant que rhizomatique
des hôtes bienveillants, avec qui refaire généreusement le Monde
un arpentage salvateur pour se mesurer à soi-même, comme à l’autre
une ligne droite qui n’est pas toujours, tant s’en faut, le meilleur des chemins
il nous faudra également combattre des exodes planifiés, à l’échelle de la barbarie
des migrations qui marchent hagardes d’atrocités
sur les routes d’une terre qu’on épuise à grands pas
accepter de ne pas toujours connaître le bon sens de la marche
mais ne pas renoncer à en chercher sans relâche l’essence vitale
avancer toujours pour ne pas tomber dans le piège du hiatus
forger des utopies sans fin vers lesquelles sans doute, on titubera
rien ne sert de courir, il faut marcher à point
rien ne sert de courir, il faut marcher ensemble.
Chemins de voix
Il faut partir de quelques chose.
Une voix peut-être.
Dans une rue passante,
une impasse déserte,
peut importe où.
Il faut tenter de la garder,
cette immature voix fugace
de la garder en ligne d’écoute,
cette voix-ci, cette voix-là
ou bien s’accrocher à une autre
tisser tracer filer
tricoter l’écheveau
écheveau vocalique,
via la corde sensible
via la corde vocale
tendre l’organe pavillonnaire
d’une épopée tympanique
laisser du moût aux amarres de la langue
ou des dialectes entre-choqués
vers un cri haut perché
un éternuement tonique
un soupir par trop résigné
un rire qui n’en finirait pas.
Il faut partir de quelque chose.
Et si la voix s’éteint,
et si la voix s’enroue,
se perd dans l’urb-espace saturé,
se dissout dans le brouhaha,
s’englue dans le dialogue piétiné
il nous faut recommencer encore
à traquer la parole indocile
comme chair vibrante
même si l’on perd le sens,
le mot de la fin repoussé
ne reste alors que sonore,
matière crûment indéchiffrable.
Il faut partir de quelque chose.
Du bord du souffle volatile,
cycle et rythme de brises fragiles,
de l’articulation maladroite,
apprivoisant le phonème revêche,
d’une respiration diffuse,
corporellement évanescente,
d’un murmure aux confins de l’inaudible,
susurrant tout en retenue,
aux frontières d’une bouche,
coincée dans un palais sans trône,
à l’instar d’une labiale,
dite du bout des lèvres,
d’une explosive non létale
d’une mue anamorphosée,
autant qu’incontrôlée
allant vers d’autres corps,
enveloppes charnelles à peine connues,
espaces organiques à peine reconnus.
Il faut partir de quelque chose,
dont l’oreille saurait que faire,
comme une nourriture langagière,
une rumeur bétonnée d’urbanité,
ou vers d’autres leurres acoustiques,
sirènes mielleuses susurrantes,
sirènes aux traces-Dopler hullulantes,
des voix cassées fracassées contre une rude altérité
éraillées comme les graviers du chemin,
des stentors criant sans vergogne,
un magma de langues babélisées,
Il faut partir de quelque chose,
même si la voix n’est jamais vraiment sûre.
pas plus qu’un ersatz de route
une voie in-définitivement tracée,
Il faut partir de quelque chose,
Pour dire en corps et écouter encore,
ou bien inversement.

Points d’ouïe dits

Très haut, un point noir parcourt le ciel blanc.
La pluie déchiffre une délicate partition.
Les merles font silence.
Une poutre craque.
Une gouttière déborde.
L’eau trouble la rêverie muette d’un forsythia en fleurs.
De la mousse verte coule sur le mur gris.
J’écoute l’air soudain immobile.
Texte de Philippe Baudelot
Cinglante écoute
e

en hivernal sec parcourerue
froidure telle pierromarbre
coupance telle pointelaméfilée
sons cingleventeux
champ scintillé tel longuouïe
chant des gouttes fluoaqueuses
mordense telle cristalogivre
oreilles auriculairement gelée tympanique
bise crument ocrougissante
lobes ourlés rosempourprés
quasi hypodérature cassante
cristaux scintilletintants
fleur d’eau grasse des rives
fleuve tel paresse clappotembourbée
ville indolente bruitemmitouflée
grondements sourdomeurtris
échappements polufumants
carrosseries réfléluisantes
sonitruance telle audiogelure villes de grandes sonitudes
échomarche telle réchauffe
rythmes saccadacérés
luminopadaires contre sombrétoiles
apprentinomades tel poctuomarcheurs
glacés de tentaculicité
ville telle improbable sociorefuge
extérieuration telle nocturnuitée
quaidérives tels guides aquasoniques
glougloutances telles microbulles mourantes
pas dissonants au temps qu’hasardeux
pavés tels obscurs sonomiroirs
rues telles labyrhintoméandres
marches telles itérépétitions
itinébravance scandée frisqueuse
promeneur tel permanécoutant.
POINTS D’OUÏE – MARCHER POUR MIEUX S’ENTENDRE
ALÉATOIRE ET À TRAVERS

Marcher,
Marcher encore,
Marcher toujours,
Si possible,
Emmener,
D’autres marcheurs,
Grossir les rangs,
Partager,
Ou non,
Parcours,
S’immerger,
Dans la ville,
Dans les rues,
Le long des quais,
Dans la proximité d’un territoire à trouver,
Dans les interstices,
Dans la trivialité d’un moment,
De jour,
De nuit,
Entre chiens et loups,
A l’aube,
Dans nulle part,
Ou ailleurs,
Marcher,
S’user,
Urbaniquement parlant,
Déambulation,
Se fondre dans la pierre,
Le bitume,
Dans les sons,
Dans la lumière,
Dans la pénombre,
Dans l’obscurité,
Se confondre avec des gens,
S’en extraire,
Les fuir,
Les retrouver
S’imprégner des odeurs,
S’arrêter,
Parfois,
à l’envi,
Marcher,
Ecouter,
Regarder,
S’isoler,
Péripler,
Pas à pas,
A perdre son entendement,
Ou l’aiguiser,
Qui sait,
Errance,
Ne pas résister,
Se couler,
Dans un flux,
Ou plusieurs,
ans le courant,
A contre-courant,
Oublier,
S’oublier,
Marcher,
Solitaire,
De concert,
Flânerie,
Frôler,
Se glisser,
S’immiscer,
Trouver les failles,
Les aspérités,
Le lisse,
Le rugueux,
La foule,
Le silence,
Le chaos,
Ou un semblant de chaos,
Le vide,
Le plein,
L’entre-deux,
Avancement,
Etre stoppé,
Découvrir l’obstacle,
Trouver l’allure,
Ou non,
Emmener,
Sur ses traces,
Dans l’éphémère,
Faire durer,
Perdurer
Inviter,
Sans forcément savoir à quoi,
Se poser,
Se laisser submerger,
Envahir,
Déborder,
Céder,
S’aider,
Ne pas calculer,
Sensations,
Ne pas préméditer,
Frissons,
Ne rien lâcher,
Ou lâcher prise,
Eprouver,
Le végétal,
L’humain,
La pluie,
Le vent,
L’inconscience,
Aller vers la musique,
Le brouhaha,
Le tintamarre,
Le chuchotement,
Le non entendre,
Ou s’en éloigner,
Echanger,
Un regard,
Un sourire,
Une complicité fragile,
Une incompréhension latente,
Une parcelle d’invisible,
Marcher,
Aller vers,
Aller contre,
Aller avec,
Aller sans,
Aller, encore
Souvenirs,
Du paysage ouvert à l’incertitude,
Association,
Ou rupture,
Perdre ses repères,
En trouver d’autres,
Peut-être,
Avancer,
Point de chute,
Détours,
Impasses,
Passages,
Reliefs,
Platitudes,
Accentuations,
Rondeurs,
Traversées,
Un semblant d’initiatique,
Une terne réalité,
Des pans de rêves cités,
Les mots s’étirent,
L’esprit se noie,
Trop de sensations sauvages,
Zig-Zag,
Du coin de la rue,
Du pied de l’escalier,
A la porte de je ne sais où,
De ruelles en collines,
Se régénérer,
Se défiler,
Filer,
Ecouter
Transcender,
Dans la marche, erratique, ou écrite…

Texte en écoute, lecture croisée avec Valérie Champigny


