Territoires et paysages sonores, écoutes actives et pédagogies



Parce que si la nuisance sonore est un fait, une réalité, une source de problème sanitaires, une gêne stressante, nos environnements ne se réduisent heureusement pas à ces constats négatifs et dépréciatifs.


Durant de nombreuses années, en collaboration avec des établissements d’enseignement, de la maternelle à l’enseignement supérieur, Desartsonnants a mené, et le fait encore, un travail autour de l’écoute (active) et des pédagogies liées aux notions de paysages sonores, dans le but d’ouvrir les oreilles, sans (trop) subir les pollutions sonores ambiantes, ou en se demandant comment y remédier, s’en protéger.
De nombreux workshops avec des écoles supérieures de design, d’architecture, ont été menés (écouter et qualifier les ambiances acoustiques, contrôler, maitriser les productions sonores, travailler les sonals et identités acoustiques, le design d’ambiance, le son et le multimédia…).
D’autres, avec des écoles de géographie, d’arts, de gestion de projets culturels et artistiques, conservatoires de musique, centres d’art, ont tenté de répondre à des problématiques et demandes spécifiques.


Des collaborations avec des PNR, CAUE, Collectivités locales et territoriales, réseaux éducation santé, agences d’urbanisme, ont fait se rencontrer et croiser différents territoires de recherche et pratiques. Rencontres, groupes de travail, conférences, ateliers, colloques, ont contribué à développer des réseaux actifs, interdisciplinaires et au fait de concevoir des outils de sensibilisation et d’apprentissage, susceptibles de répondre à de nombreux cas de figure (et d’oreille).
Aujourd’hui, la réduction galopante des budgets permettant aux structures publiques de travailler avec des personnes extérieures , rend hélas ces interventions et collaborations de plus en plus difficiles, même si des projets d’Urbanisme Culturel tendent à ouvrir de nouvelles portes et champs d’expérimentation situés.


Impliquer les oreilles, apprendre à lire des paysages sonores en mouvement, en transition, mettre en place des pédagogies ad hoc, laisser la place à des écoutes qualitatives, prendre en compte les aménités audio-paysagères, sans rester dans l’unique champ du bruyant, ni l’ignorer non plus, restent des chantiers importants. Chantiers à mener pour lutter contre l’affadissement cacophonique du monde, maintenir des relations humaines renforcées au gré des sons, considérer le paysage sonore comme un commun à défendre, protéger, voire soigner et construire collectivement.
L’écoute partagée restant la clé de voûte préalable à toute action de terrain.

Thématiques, problématiques et actions de terrain

Depuis plusieurs années, voire décennies, quelques axes directeurs guident mes oreilles, pas et micros, en structurant des projets suivant quelques thématiques et/ou problématiques. Le paysage, ses approches esthétiques et écosophiques, nos relations avec et par les sons, l’aménagement de territoires où mieux ouïr, font partie de ces questionnements récurrents. Sur le terrain, des lignes d’action naissent et voyagent, se réécrivent au fil des lieux et des rencontres.
Les PAS – parcours audio sensibles, les arpentages en duos d’écoute, nous font parcourir des espaces en immersion, et en mobilités douces.
« Et avec ta ville, comment tu t’entends ? », les inaugurations de Points d’ouïe, posent la question de nos rapports aux univers sonores, urbains ou non, sans tomber le « mur du tout bruit », mais en cherchant plutôt les aménités audio-paysagères.
Le projet Dedans/dehors s’intéresse aux barrières et aux porosités acoustiques, aux espaces de communication, dans des milieux plus ou moins enfermants, tels les hôpitaux, centres psychiatriques, prisons, lieux d’accueil pour personnes handicapées…
« Bassins versants, l’oreille fluante » suit de l’oreille la présence acoustique de l’eau dans les territoires, de l’Océan à la fontaine en passant par les rus, mares et torrents…
Des cartographies sonores pour donner à entendre un lieu, ses activités, ses acoustiques, ses paysages…
Quelques signatures sonores singulières attirent mes oreilles, les cloches, les fontaines, la réverbération de certains bâtiments telles les églises, mais aussi des parkings souterrains, les échos, les accents et parler locaux, et d’autres choses auriculaires qui font paysages.
Tout cela se construit longuement, traçant des chemins de traverse Desartsonnants, et cependant avec le fil conducteur d’écoutes multiples et autant que possible partagées.

Géo-historicité des mondes sonores, de ses écoutes et créations

Il y a une, ou une multitude d’histoires du sonore. Et comme toute histoire, elles sont en perpétuel chantier.
Elles s’écrivent au fil du temps, des civilisations, des territoires, des technologies, des chamboulements climatiques, politiques, des aménagements et anéantissements…
Elles s’intéressent aux ambiances, aux silences, aux rituels, aux façons d’être avec les sons, de les utiliser sous les angles aussi divers que ceux de la communication, des aménagements, de spiritualité, d’esthétiques, et à l’aune de la vie quotidienne et des sociabilités auriculaires…

Certains ont écrit des histoires du ou des silences, du passé jusqu’à nos jours, esthétiques, environnementaux, sociétaux… Parmi ceux-là, John Cage, Alain Corbin, Jérôme Sueur…
D’autres du bruit, ou des bruits, tels Jacques Attali, Jean-Pierre Gutton, Juliette Volcler…

D’autres ont tricoté, ou détricoté les univers sonores, l’écoute, via des expériences où sons, musiques, arts, vie quotidienne, sont brassés, malmenés, remis en question. C’est le cas notamment avec le mouvement Fluxus.

Des artistes et chercheurs, parfois les deux, en ont fait paysage, environnement, réflexion écologique, écosophique, anthropophonique, architecturale… Raymond Murray Schafer, Max Neuhaus, Bernie Krause, Alexandre Chèvremont, Roberto Barbanti, Élie Tête, Louis Dandrel, Pierre Mariétan, Hildegard Westerkamp, Kristina Kubish… parmi d’autres.

On peut arpenter physiquement, sensoriellement, des géographies sonores, des territoires auriculaires, tout proches ou aux antipodes.
Des lieux qui sonnent ou dissonent.
Des espaces acoustiques, naturels, aménagés, construits.
Des ambiances, des effets et des formes de climats.

Des cartographies situées, globales, thématiques, participatives, entre bruits et field recordings explorent et font explorer un monde à différentes échelles de l’audible… De la carte de bruit urbaine à l’impressionnant projet participatif d’Aporee.

Le CRESSON, ACIRENE et d’autres organismes, ont étudié, et le font encore, moult paysages et ambiances sonores.
Des artistes et chercheurs, déjà cités dans l’historicité sonore (Tête, Chèvremont, Krause…) ont posé les problématiques des rapports sons/espaces. D’autres, tels Luc Ferrari, ont mis en scène des territoires sonores et musicaux plus ou moins situés, entre ambiances captées et imaginaires, inspirés de lieux existants.

Un réseau très actif d’audionaturalistes, captent les sons du monde, du vivant, de la biophonie, géophonie, anthropophonie.
De nouvelles approches scientifiques, autour de la bioacoustique, de l’écoacoustique, analysent et proposent des outils prospectifs autour de milieux sonores du vivant, fragiles et souvent malmenés.

Dans une écoute, ou l’étude d’une écoute qui se veut ouverte, il est difficile d’envisager les espaces sonores sans associer des temporalités intrinsèques, à plus ou moins long terme, de la « grande histoire » à l’anecdote quasi journalière, et dans leurs contextes géographiques, à différentes échelles.
Traverser une friche industrielle nous questionne des sons que nous y entendons. Mais aussi ceux qui ont rythmé des aciéries, des mines, des carrières, des manufactures de tissage, avant de s’éteindre avec l’arrêt des activités…

Regarder des cartes historiées, des tableaux et autres représentations graphiques, lire des romans de Zola, Balzac, Sand, nous fait non seulement voir, mais aussi, entendre des sons d’antan, des marchés, des chantiers, des scènes de la vie quotidienne ou des événements significatifs.

Ces géo-historicités sonores, multiples, contraintes, ou tout au moins influencées par les contextes spatio-temporels, des postures physiques et mentales convoquées selon les projets, donnent à l’écoute du grain à moudre.

Paysages sonores pragmatiques et humanistes


La notion de paysage sonore n’est pas seulement une vision esthétique, poético-sensible, loin de là.

Elle convoque et met en jeu, voire en action, un faisceau de pratiques, de problématiques, de nécessités, avant tout sociétales.
Parmi ces approches, citons :
– La recherche de zones apaisées, de corridors bioacoustiques, via notamment les zones calmes, les trames blanches.
– Le confort et la qualité acoustique des lieux bâtis, dedans/dehors, un urbanisme qui prend en compte le sonore, en amont des projets.
– La préservation de la santé publique, malmenée par un stress bruitiste grandissant et des conflits de voisinage.
– L’éducation à l’écoute par des dispositifs pédagogiques à tout âge et pour tous. Sensibilisation aux ambiances, aux marqueurs sonores, aux aménités paysagères, capacité d’écouter l’autre, humain ou non, d’entendre ses milieux de vie…
– Recherche art-science, art-action, où des gestes croisés développent des œuvres en interrelation avec des approches techniciennes, prospectives, scientifiques…

Ces croisements, collaborations, hybridations, ne diluent pas pour autant le paysage sonore dans un monde diffus, nébuleux, mais au contraire renforcent son existence et la place qu’il occupe, ou devrait occuper, dans une recherche écosophique globale.
Transdiciplinarité, voire indisciplinarité, sont plus que jamais nécessaires pour défendre des valeurs mises à mal, dans une société de plus en plus discriminante, égocentrée, violente, belliqueuse. Écouter c’est résister, c’est construire ensemble !

Marches écoutantes et PAS – Parcours Audio Sensibles

Si les marches écoutantes sont bien sonnantes, elles ne doivent pas pour autant être trébuchantes. Bien que le fait de trébucher n’est pas forcément chuter, et que la chute n’est pas un chut. Chut est une injonction au silence, ce qui n’est pas forcément, contrairement au proverbe, une absence de parole, une posture taiseuse, qui vaut de l’or. Silence dans les rangs ! Une façon de faire taire les dissidences, ou de ne pas, sciemment, les entendre. Silence on tourne ! Pas forcément en rond, si l’oreille fait son cinéma, ou si l’on écrit un cinéma pour l’oreille. Acheter le silence, en monnaie sonnante et trébuchante, voire à prix d’or, n’est pas, en soi, un gage d’honnêteté. 
Quant à la marche, il faut bien franchir le pas pour qu’elle nous fasse avancer. Du pas de la porte ou pas de l’ouïe, le chemin colimaçonne lorsque le son sonne. En avant marche ! Une manière de mettre l’oreille ou pas, cadencé, ou pas. Le pas de côté peut nous éviter la marche forcée, dirigée, et nous faire découvrir des sons canailles. Son dessus dessous, il faut que la marche franchisse, gravisse ou dévale, les marches, les degrés, dans un spectre sonore et dynamique le plus large que possible. La marche-démarche ne force pas à l’arrêt, bien au contraire. Sinon, il est parfois bon de mettre la marche, et le flux sonore arpenté sur pause. Non pas pour l’arrêter, geste impossible, mais pour se poser, se reposer, pour se protéger du chaos sonore ambiant. Pose comme une posture d’écoute et point d’ouïe, et pause comme un repos auriculaire bien mérité et nécessaire. Pause pour ne pas toujours courir, surtout après les bruits qui courent.

Comme un musée des sons, points d’ouÏe

Comme un musée des sons !

Une exposition acoustique à ciel ouvert nous accueille.

Des zooms sur des points d’ouïe sont installés.

Mais seule l’écoute est vraiment installée.

Une installation sonore est bien là, à portée d’oreille, doucement spectaculaire.

Un parcours de sites acoustiques nous invite.

Un guide, souvent silencieux, nous y conduit.

Des récits auriculaires à 360° s’écrivent et se racontent.

L’écoute crée le paysage, ou participe à l’incarner.

Le paysage nous saute aux oreilles.

La vie qui sonne et qui résonne nous interpelle.

Des gestes collectifs nous relient.

Des bonnes ententes sont partagées.

Une sobriété écoutante est de mise.

Nos rapports aux sons et aux mondes sonores

Nos rapports aux sons et à leurs milieux ne se limitent
Ni à l’approche esthétique, artistique, musicale, musicologique
Ni à celle de l’écologie acoustique, du bruit, de la pollution, de la gêne et de la nuisance
Ni à celle de la physique, de l’acoustique, des sciences du vibratoire
Ni à celle de la communication, de l’oralité, de la transmission, de la médiation
Ni à celle des ambiances, des atmosphères
Ni à celle des pédagogies et outils d’apprentissage
Ni à celle des littératures, fictions, essais, philosophies
Ni à celle de l’économie, de la production, de la diffusion
Ni à celle de l’aménagement du territoire, de l’architecture, de l’urbanisme, du tourisme culturel
Ni à celle du soin, de la santé, du bien-être
Ni à celle du relevé, de l’inventaire, de la trace, de la représentation
Ni à celle de l’audionaturalisme, de l’écoacoustique, de la bioacoustique
Ni à celle de l’histoire-même des sons et des mondes sonores.

Nos rapports aux sons embrassent quantité de faisceaux croisés, de situations, alternées ou concomitantes, complexes et imbriquées. Ces contextes et champs d’étude sont à la base d’une écosophie écoutante passionnante, à laquelle participe notamment les sound-studies. Cette approche contemporaine, écosophique est stimulée par l’indisciplinaire et l’hybridation, venant sans cesse questionner nos façons de vivre (avec) les sons. Bien des champs d’écoute décloisonnée et de recherche en interconnexion restent ainsi à explorer.

Faut-il tuer le paysage sonore ?

La simple formulation du « paysage sonore » fait aujourd’hui débat, si ce n’est polémique.
Dénonçant un concept flou, fourre-tout, des chercheurs et artistes, proposent d’abandonner la terminologie pour la remplacer par une autre, selon eux et elles, plus explicite.
Le terme de sonosphère a été, par exemple, cité à différentes reprises. Néanmoins, le paysage sonore est bien ancré dans le langage et les pratiques, qu’elles soient esthétiques, écologiques, sociétaires, depuis les années soixante-dix. Il s’est construit sur une histoire, des acteurs, des champs de recherche et de création, de législation parfois. Le terme de sonosphère lui n’a rien de tout cela, et ne parlera qu’à quelques « spécialistes » qui contribueront, par un. savant jargon, à brouiller les cartes. C’est une façon contre-productive d’obscurcir encore le paysage, et sans doute d’affaiblir les potentialités activistes pour la défense d’une écoute et d’une qualité sonore touchant une large frange de la population.
Certes, le paysage sonore embrase différents champs, artistiques, écologiques, sociaux, occasionnellement commerciaux, mais il convient de le replacer ici dans une approche environnementale et paysagère.
Pour cela, il faut lui donner une définition, un cadre, acceptant sa polysémie et quelque part son indisciplinarité.
Aborder le paysage sonore par l’écoute me semble être une approche intéressante.
Qu’écoutons-nous, quand, pourquoi, avec qui, comment ? Comment en gardons-nous trace, entre postures écoutantes et points d’ouïe ?
Se saisir d’un paysage par l’oreille implique une prise de conscience, notre environnement n’est pas que visuel, il est aussi sonore. Comme tout paysage ou milieu de vie, il est fragile, parfois fortement dégradé, difficile à vivre.
Il nous faut dépasser l’idée d’un ou de paysages sonores abstraits, conceptuels, pour non seulement écrire des récits, mais également engager des actions de terrain, préserver ou aménager des espaces qualitatifs, urbains ou non.
Abandonner la terminologie de paysage sonore non seulement ne fera pas avancer les choses, mais créera des zones d’incertitudes, de flou, entretenues par une minorité intellectuelle qui aura encore plus de mal à faire reconnaitre ses actions, si méritoires soient-elles.
Le bruit, la notion de paysage sonore, via des approches sensibles, qualitatives, nous offrent des perspectives, des opportunités à développer des outils, pour sensibiliser à l’écoute de nos lieux de vie, de travail, de loisir.
Pour cela, il faut user d’une terminologie claire et facile à expliquer dans ses approches pédagogiques audio-paysagères.
Ne vendons pas le paysage sonore avant de l’avoir écouté !

Installer le silence, donner lieu(x) aux sons

Silence on écoute
Silence on marche
Silence pour s’entendre entre les sons
Silences pour ressentir les espaces
Silences pour être dans l’ambiance
Silence pour se poser dans l’acoustique
Silence pour rythmer l’écoute
Silence pour s’immerger en douceur
Silence pour traverser la ville et ailleurs
Silence pour souder un groupe écoutant
Silences pour jouir des paysages sonores
Silence pour construire des paysages sonores
Silence pour apaiser l’espace
Silence pour ralentir le temps
Silences pour expérimenter les silences
Silence pour donner lieu(x) aux sons.

Des marches, amorces de chantiers d’écoute

Des gestes
Arpenter, mesurer, se mesurer aux territoires sensibles et à l’altérité co-écoutante
Entendre, s’entendre, mieux s’entendre
Débattre, échanger, partager
Résister, déchiffrer, défricher
Co-construire un monde écoutable et entendable

Un projet
La marche écoutante, le PAS – Parcours Audio Sensibles, sont des espaces-temps propices à ouvrir l’oreille sur des territoires en mouvement, à créer des zones de dialogues, de réflexions, d’expérimentations collectives, autour de problématiques auriculaires qui font communs.

Des approches (non exhaustives)
La forêt, la présence de l’eau dans le territoire, la ville, la nuit, la montagne, les sites et acoustiques remarquables, la pollution sonore, les aménités paysagères, l’écologie acoustique, l’écoute active, la lecture de paysages sonores, les pédagogies écoutantes actives et leurs outils, l’écoute dans l’éducation populaire, les pédagogies émancipatrices, l’écoute et les droits culturels, l’aménagement du territoire au prisme de l’écoute, la gestion du bruit, les inventaires et cartographies sonores, les approches transdisciplinaires et indisciplinées, les tiers-lieux et tiers-espaces comme espaces d’écoutes et de production, les communs auriculaires, les outils législatifs et sensibles, le paysage comme espace de création sonore et musicale, les espaces de résistance et de contestation entre silences et tumultes, les oasis sonores apaisants aménagés et protégés, les points d’ouïe-arrêts sur son, les postures d’écoute physiques et mentales, la construction et représentation de territoires sonores, le sonore entre physicalité et immatérialité, l’architecture sonore et le son comme espace architecturé, l’écoute le ralentissement et la lenteur, les fabriques écoutantes contextuelles et in situ, l’expérimentation sonore collective, le plaisir et la joie d’entendre, paupérisations disparitions et saturations de paysages fragiles…

Contact

desartsonnants@gmail.com

0033(0)780 061 465

Classes-promenades, oreilles tendres et aguerries

1909, Edmond Blanguernon, poète et inspecteur académique en Marne, expérimente les premières « Classes promenades ». Des explorations thématiques, marchées, bimensuelles, soigneusement préparées, à destination du public scolaire. Elles seront intégrées aux programmes pédagogiques vers 1920, reprisent par Freinet (classes-ateliers), et inspirent aujourd’hui « l’école dehors », ainsi que des recherches de Thierry Paquot sur les enfants « chercheurs d’ors » et la « ville récréative ». Je les découvre tardivement, et me sens parfaitement en phase avec ces marches apprenantes, ludiques, où tendre l’oreille tendre (référence à l’essai éponyme d’Anne Bustaret) est plus que jamais pour moi une priorité. Priorité non seulement à destination des enfants, mais priorité pour tout le monde. À l’heure où le monde est de plus en plus complexe, emballé, interconnecté, où l’urbanité fractionne et cloisonne, souvent violemment, les espaces publics, où les enfants, et parfois les « grands », perdent peu à peu le contact avec le monde extérieur, il est urgent de jeter sur nos milieux de vie, une oreille, un regard, de (ré)apprendre des façons de jouer, de toucher, de gouter, de se déplacer, de faire collectif… Les PAS – Parcours Audio Sensibles s’inscrivent dans ces approches tout à la fois esthétiques, pédagogiques, et plus largement sociétales. Ils ne changeront pas le monde, mais cherchent, modestement, à trouver et à préserver des espaces d’écoutes et d’échanges partagés, sur le terrain-même.

Promenades écoutantes avec des scolaire de la CALI (Communauté d’Aglomération du Libournais) PREAC L’Art de grandir – Fictions de la forêt

Les classes – promenades – Textes de la Revue pédagogique – Juin 1920

Point d’ouïe, paysages sonores en état de conscience

Cimetière de Saint-Martin – BrestPAS – Parcours Audio Sensible Festival Longueur d’Ondes 2025

Parfois, nous (re)prenons conscience de notre environnement, de notre propre corps écoutant, via des perceptions sensibles, ignorées par leur omniprésence-même. Chercher ses lunettes avant de nous apercevoir que nous les avons sur le nez, ne plus entendre la ventilation de son bureau tant elle envahit les lieux, à longueur de journée, en sont quelques exemples du quotidien.
Il y a quelques jours, lors d’un échange suivant un PAS – Parcours Audio Sensible brestois, dans le cadre du festival de création radiophonique « Longueur d’Ondes », cet état de perception révélée, ou de non perception, a été évoqué, comme très souvent dans ce genre d’expérience. Le fait de marcher lentement, en groupe, en silence, de se laisser traverser, porter, immerger, par les ambiances sonores, ramène le paysage auditif à la surface, avec le plaisir de le ressentir de tout notre corps, d’avoir « les oreilles qui poussent », m’a dit une participante. C’est à la fois une jouissance physique, mentale, et une prise de conscience de choses enfouies sous leurs répétions, leurs quotidiennetés. Il s’agit parfois d’une forme de retrouvailles avec nos lieux de vie, qui nous révèlent les plaisirs, et parfois déplaisirs, liés aux espaces auriculaires traversés. C’est là qu’apparait, que s’incarne, le paysage sonore, propre à chacun et chacune, en émergeant d’une invisibilité, ici d’une inaudibilité, qui nous les cache, et que nous retrouvons, ou découvrons, non sans plaisir.

Photo : Quartier Saint-Martin, lieu de notre exploration auditive. Un passage surprenant dans le cimetière, un sas acoustique, oasis sonore, au cœur d’un quartier bien vivant. Un panoramique sur la ville portuaire, et les rumeurs apaisées environnantes.

L’oreille publique

@Un promeneur écoutant – Stéphane Marin – France Culture –

Comment entend-t-on, ou non, l’espace public ?

Notre écoute participe-t-elle à sa construction, à sa perception, à ses usages ?

Comment s’y entend-t-on ?

L’espace public est -t-il un simple cadre spatio-temporel accueillant un ou des points d’ouïe, solitaires ou collectifs ?

Est-t-il un territoire auriculaire où se mettre en position, en situation d’écoute ?

Est-il un ou une série de lieux où construire des sociabilités à portée d’oreille ?

Comment sonne t-il pour vous, pour nous, eux, elles… potentiels usagers et usagères de terrains qui pourraient-être d’entente ?

Oreilles stéphanoises

Hier, c’était juste une rencontre avec des étudiants et étudiantes en musicologie. Une sympathique retrouvaille avec la ville de Saint-Étienne, que j’avoue, j’aime beaucoup. Quelques séquences urbaines des plus ordinaires, des travaux, un bar, un campus universitaire, des rues et des places, des passants et passantes… Et une plus insolite, une voiture, dont les essuie-glaces peinent à dégivrer le pare-brise en crissant péniblement, un oiseau bavard, juste au-dessus, dans un arbre décharné, saluant à syrinx déployé le soleil timide, et une improbable musique synthétique qui surgit on ne sait d’où. Étrange et surprenant agencement sonore impromptu. C’était une série de moments, d’échanges, d’expériences de prise de son, de plaisir d’écouter ensemble, qui rendent la vie plus belle à entendre. C’était une séquence qui me conforte de prêter, encore et encore, simplement, l’oreille sur des tranches de vie, aussi anodines qu’imprévisibles, triviales que conviviales. Et demain, ailleurs, avec d’autres personnes, je tends à arpenter de nouveaux territoires sonores partagés. Les prochains seraont tour à tour bressands et brestois.

Construire par l’écoute

L’écoute ne construit pas que des paysages sonores immatériels, si ce n’est dans leur propagation vibratoire, plus ou moins abstraits et hors-sol.
Elle écrit corporellement, physiquement, des tracés, des cheminements audibles, des situations haptiques, collectives, des terrains de jeu auriculaire à lire, relire, jouer, rejouer, expérimenter, improviser, via des formes de partitions d’écoute…
Elle trace des cartes sensibles, mentales, y place des points d’écoute, des ambiances, des données acoustiques, cartographie des guides de points d’ouïe remarquables, tisse un réseau sonique dans différents territoires, petits ou grands.
Elle offre des matières sonores à écouter, enregistrer, travailler, composer, installer, diffuser…
Elle pose la problématique de l’aménagement du territoire en prenant en compte le sonore de façon plus large que les seules situations de nuisance et de pollution.
Elle s’inscrit dans des propositions de mobilités douces et de formes de ralentissements, d’espaces apaisés, de zones calmes, de trames blanches.
Elle est source de réflexions, d’études, de recherche, de textes philosophiques, techniques, poétiques, scientifiques, artistiques, hybrides…
Elle favorise les espaces de rencontres, de partage, de concertation, de pédagogie in situ.
Elle développe des technologies embarquées, des dispositifs mobiles, des scénographies contextuelles, des récits en marche, des médiations spécifiques via la toile et ses multiples réseaux.
Elle participe à des croisements transdisciplinaires, voire indisciplinaires, relationnels, ouverts et décloisonnants.
Elle pose la question de la santé, du bien-être, du soutenable, et des actions à mettre en place pour de meilleures sociabilités auriculaires, mais pas seulement.
Elle invite artistes, aménageurs, enseignants et chercheurs, élus et techniciens, habitants et visiteurs, à se retrouver pour et par le plaisir de l’écoute.

Paysage sonore venteux, petite chronique auriculaire automnale

Nous sommes en novembre, période automnale, où souvent les grands vents se libèrent, labourent le paysage de leurs trainées chaotiques, tempétueuses et imprévisibles.

À nuit tombée, de jour, je marche ma petite ville, balayée et secouée de rafales venteuses et fougueuses. Elles s’entendent Oh combien, imposantes, animant les espaces auriculaires, dans un paysage sonore des plus dynamiques et mouvants.

Le raclement des feuilles mortes, tourbillonnantes autour de moi, sur l’asphalte, une surface de jeu granuleuse, sonore, propice à une composition quasi musicale. Tout passe, glisse, crisse, vite, de droite à gauche, devant derrière, dessus, de près et de loin… Une spatialisation de mouvements acoustiques impressionnante, impossible à reproduire, même sur le meilleur système de diffusion acoustique, si performant fût-il.

Des arbres, des forêts environnantes, sont secoués sans ménagement, faisant entendre des chuintements, grondements, des secouées véloces, dessinant acoustiquement des espaces perçus à l’échelle de notre écoute, proches et lointains, toujours en mouvement.

Des volets et portails claquent et grincent, dans une sorte de surprenante symphonie nocturne, éolienne. Des interstices architecturaux, des passages, des tuiles, des fentes, sifflent et gémissent, ici et là, souffles d’une vie turbulente à portée d’oreille.

Les lieux traversés se percoivent tout à la fois dans une sorte de violence climatique inquiétante, et une activité trépidante, qui nous maintient en alerte, en vie, en gardant notre écoute portée sur un monde secoué de mille soubresauts.

Paysage(s) à portée d’oreille(s), les choses étant ce qu’est le son !

Desartsonnants est un artiste marcheur, paysagiste sonore, arpenteur écoutant.
Il travaille autour du paysage sonore, notamment via des parcours d’écoute (PAS-Parcours Audio Sensibles), des installations mobiles et concerts environnementaux…
Le projet PIC (Paysages Improvisations Concerts), les inaugurations (officielles) de points d’ouïe, les parcours sonores, font partie de sa démarche, entre esthétique, sociabilité auriculaire et écologie/écosophie.

Tout cela pour tenter de répondre à une simple question : Et avec ta ville, ton village, ta forêt, ta rivière… comment tu t’entends ?

PIC Concert de paysages (working progress)

Inaugurations de Points d’ouïe

Desartsonnants Portfolio

Desartsonnants projet artistique et culturel


Porteurs, porteuses et chercheurs, chercheuses de projets de territoires originaux, voire inouïs, si l’oreille vous en dit !

Comment écoutons-nous ? Le cas du paysage sonore

Ces derniers mois, le projet « Bassins versants l’oreille fluante » m’a fait longer et d’écouter moult cours d’eau, petits et grands, bouillonnants ou étales. Je les ai auscultés de près et de loin, en mouvement ou en mode point d’ouïe, statique. Je les ai enregistrés, annotés, renseignés, mis en mémoire… J’en ai tripatouillé les matières sonores liquides et les ai recomposées, rediffusées et installées ici et là, à ma façon, l’imaginaire compris.

Et au final, ce qui m’intéresse tout particulièrement aujourd’hui, c’est la façon , y compris et surtout physique, dont je les écoute, les entend, les donne à entendre… Entre finalités écoutantes et gestes situés, un chantier d’observation atour d’auricularités partagées se dessine, ou se poursuit, se creuse. Pour amorcer l’action et la réflexion, je parts de mes propres expériences, mais aussi des échanges et observations de groupes d’écoutants et écoutantes, confrontés aux terrains et sites acoustiques investigués.

Comment suis-je arrivé à l’eau, physiquement ? Quels trajets et lieux j’ai choisis ? Seul ou en groupe ? Où me suis-je arrêté, posé ? Les postures d’écoute, assis, allongés, yeux fermés, en marche… ? les temporalités, allures, rythmes et durées ? Qu’en ai-je enregistré, retenu, souligné ? Quelles sources (sonores) m’ont frappées, attentionnées ? La place de l’arpentage in situ ? Quelles ambiances j’ai appréciées, ignorées, ou détestées ? Des écoutes appareillées, à oreilles nues, mixtes ? Quels « silences » ont surgis ? Quels affects, ressentis, émotions ? Pourquoi et comment (vastes questions ) ? Des situations immersives, ou distanciées ? Quelles intentions, envies et projets à venir ? Des approches de terrain en mode recherche-action/création, de l’indiscipline ? Des traces, productions, médiations ? Des outils contextualisés à développer, des médias à mettre en place ? Des réseaux à activer, développer ? Des approches et visées pédagogiques, des supports, des outils d’apprentissages émancipateurs, de la recherche via l’éducation populaire ?

En fait, je tenter de décortiquer et d’appréhender de façon pragmatique, au moins autant, si ce n’est plus, le geste d’écoute, la posture de l’écoutant et de l’écoutante, que la chose écoutée (ici les territoires liquides, les voies et voix d’eaux), sans pour cela en ignorer leurs qualités esthétiques, environnementales, sociétales…

Le chantier est plus vaste et complexe qu’il n’y parait de prime abord, mais c’est ce qui rend ses enjeux et perspectives passionnantes, autant qu’ incertaines…

Points d’ouïe – Tiers-espaces écoutants

Créer des tiers-espaces écoutants, une amorce d’un projet de recherche-action. Je cherche des voix complices. En présence, à distance… On marche, on parle, on écoute… On s’assoit, ici et là, on écoute encore, on échange… L’enregistreur garde trace de nos propos. Des tiers-espaces auriculaires apparaissent ainsi, peu à peu. Une, deux, trois, cinq personnes, plus, lui donneront vie en installant l’écoute, le silence, le dialogue, dans différents espaces-temps habités. La matière sonore récoltée pourra être réutilisée, terreaux de mondes sonores en devenir, de tiers-espace résonnants….

On en parle…

Auricularités attentives

Je propose de faire entendre l’environnement, les écosystèmes, d’écouter et mieux comprendre par l’oreille, nos milieux de vie, leurs beautés, leurs fragilités, ressources, paupérisations, saturations…
Écouter l’eau, la forêt, la ville, ses périphéries, en marchant, faire paysage.
Installer l’écoute, la lenteur, le silence, par des marches écoutantes collectives, des rencontres, débats citoyens situés, conférences, musiques des lieux, repérages, cartographie et inaugurations de points d’ouïe…
Co-construire une écosophie sonore attentive, des pédagogies indisciplinées…

Si l’oreille vous en dit,
Gilles Malatray
Paysagiste sonore
Promeneur écoutant
Installateur d’écoutes partagées

Le site Desartsonnants
https://desartsonnantsbis.com/
Un portfolio
https://urls.fr/X00jTW

Points d’ouïe – Épopée sonore et aquatique franc-comtoise en chantier

S’enforester l’oreille

Bassins versants, l’oreille fluante se coule encore dans des paysages liquides multiples. Une façon de les réécrire au fil de l’eau et des déambulations riveraines.
Après Lyon, le Sud-ouest, la région grenobloise, le Hainaut Belge, mes oreilles se rafraichissent, dans tous les sens du terme, en Franche-Comté.

Tout d’abord, un arrêt au Bois d’Ambre, à Saint-Vit (25), pour le superbe festival forestier Back To The trees. Une édition riche, même si occasionnellement humide et très boueuse ! Desartsonnants installe un « Goutte à goutte », de circonstance, au bord du ruisseau du Sobant, qui est cette année tellement gonflé qu’il gronde et déborde joyeusement dans les bois et chemins, les rendant parfois sportifs à emprunter. Quelques prises de sons gargouillantes et hydrophoniques au passage d’un pont pris d’assaut par les flots qui s’y cognent bruyamment. Assurément le paysage au fil de l’eau est ces temps-ci d’une verticalité pluviale aussi dynamique que récurrente, et l’oreille s’en réjouit.

Le sel de l’écoute
S’ensuit l’entame d’un séjour résidence artistique d’écriture sonore, et ans doute textuelle, à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, ce lieu que j’aime tant, et ai déjà exploré à différentes reprises, niché dans les collines et forêts franc-comtoises.
Sitôt arrivé, une rencontre surprise, inopinée, avec le paysagiste, écrivain Gilles Clément, au détour d’une allée ! Petite conversation autour des nouveaux jardins de la Saline (le cercle immense), concoctés avec des écoles de paysages et d’horticulture, et du bruit feutré de la faux traçant des allées au travers la grande pelouse centrale. Toujours un immense plaisir de rencontrer au débotté ce grand penseur d’espaces- tiers- paysages, débordant d’énergie, de créativité, et d’humanité !

Je m’assois sur un banc de bois adossé à la grande berne est, dans un espace visuel embrassant la partie du demi-cercle « historique » de cette architecture utopique. Il me faut prendre le temps de réinvestir ce lieu gigantesque, aux étranges motifs architecturaux néo-classiques, les formes de fausses concrétions salines dégoulinant des murs colossaux, entre grotte et fabrique archaïque. L’espace acoustique de la Saline est toujours magnifique, avec ses micros échos et réverbérations, dus a la disposition des bâtiments se faisant face en arc-de-cercle. L’autre extension paysagère récente, fermant le grand cercle initialement prévu par Claude-Nicolas Ledoux, me reste à découvrir au-delà du mur d’enceinte. Une semaine à venir pour me replonger avec délectation, dans et hors-les-murs, et surtout vagabonder oreilles tendues et micros en main vers et la Loue voisine. Ne doutons pas qu’elle aussi déborde littéralement d’activité fluante.

A suivre…

Points d’ouïe, l’apaisement des eaux

Ces jours-ci, j’ai promené mes oreilles sur les rives de la Tardoire, belle rivière dans des écrins ripisylvestres verdoyants, au sud de la Charente et aux portes du Périgord.

Le cours d’eau charrie fort, irrigué quasi quotidiennement de vivaces averses printanières.

Il est au meilleur de sa forme, y compris à l’écoute !

Ce dévalement fluant, presque ensauvagé, me fait un bien fou.

Après, et pendant une période agitée, voire parfois compliquée, ce bain de nature ondoyante, liquide, recharge mes batteries, m’apaise, et me fait rentrer de repérages pédestres bien fourbu, mais rassasié, nourri de sonorités toniques.

Ici, la vue, l’oreille, mais aussi le nez, émoustillé d’odeurs d’herbe mouillée, de fleurs naissantes, de terres humides, offrent un univers sensible d’une incroyable richesse, entre puissance et subtilité, contrebalançant un instant la fureur des folies climatiques, sociétales et guerrières.

Les arpentages, à l’affut d’ambiances sonores aquatiques, exacerbent des sensations qui varient subtilement au détour du chemin, à la rencontre d’un bief, des roues à aubes grinçantes d’un moulin, d’un remous sur des pierres-barrières-récifs, toute une histoire fluant à portée d’oreille.

C’est une énergie rassérénante qui m’enveloppe et me porte au fil des ondes, des chemins creux et des rivages enherbés…

Un parcours aqua-sensible, qu’il me tarde de partager par une rencontre avec les habitants, des agencements sonores concertants et un PAS – Parcours Audio sensible en marche écoutante.

D’autres sons, mots, images en découleront en aval.

Projet en chantier « Bassins versants, l’oreille fluante »

Résidence de création accueillie par oTo – Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron (16)

 Eurythmie et indisciplinarité 

En réfléchissant sur des orientations possibles, issues d’un séminaire autour des « Rythmologies« , je repensais à cette phrase inscrite dans un texte d’intention : Réfléchir à « l’eurythmie », « beauté harmonieuse résultant d’un agencement heureux et équilibré, de lignes, de formes, de gestes ou de sons » définition CNRTL.

Mais aussi à celle-ci  « … y compris pour un séminaire Rythmologies, entre flux et scansions, arts, sciences et philosophie… »

Construire des formes esthétiquement, socialement, éthiquement, équilibrées, notamment via des gestes et des sons. Des gestes liés au monde sonore, des gestes d’écoute, par lesquels les constructions s’amorceront à mon échelle, via des recherches et expérimentations d’un paysagiste sonore, musicien et promeneur écoutant.

Mettre une oreille exercée, aguerrie à l’écoute, au service d’un projet tissé d’interdisciplinarités, est un chantier stimulant.

Arpenter les territoires, les ausculter, en convoquant des approches croisées, des méthodes et processus décloisonnés, c’est faire du terrain, de l’in situ, un laboratoire à l’épreuve   du pragmatisme in discipliné.

J’ai déjà, dans un précédent article, tenter de lister quelques axes de l’indisciplinaire, liés au(x) geste(s) d’écoute(s) et à l’action de marches écoutantes, aux expériences de terrain.

Ils me sont apparus comme évidents. J’en  rappellerai ici quelques uns :

Artistique, esthétique, capturer, écrire, composer, installer, diffuser, donner à entendre des paysages sonores inouïs, inspirants, apaisés

Sociabilités, bien s’entendre, mieux s’entendre, développer une écoute participative, humaniste et relationnelle, des paysages sonores Dedans/dehors avec des publics empêchés, des liens entre les écoutants et leurs éc(h)osystèmes

Pédagogie, transmettre, militer et réfléchir, par des conférences, ateliers, formations, tables rondes, groupes de travail

Mobilités douces, marcher collectivement sur des sentiers d’écoute urbains, périurbains, campagnards et ailleurs, écrire et tracer des parcours auriculaires sensibles, partagés, accessibles à tous

Écologie, écosophie, croiser des actions audio environnementales, sociales, économiques, philosophiques, éthiques

Tourisme culturel, valoriser les cultures auriculaires de proximité, les paysages sonores et points d’ouïe remarquables, patrimoniaux, une culture de la belle écoute paysagère. Préserver des territoires d’un tourisme de masse .

Urbanisme, aménagement du territoire, construire et aménager avec les sons, architectures sonores, une géographie sensible et des ambiances acoustiques

Droits, réglementation et législation, s’inscrire dans le principe des droits culturels, combiner approches législatives, réglementaires et approches qualitatives, sensibles

Temporalités, rythmicités, jouer des alternances jour/nuit, du rythme des saisons, des activités périodiques, événementielles, récurrentes, ponctuelles, des continuum et cassures, flux, fondues et scansions

Économie, conjuguer différentes formes d’ économies, tant financières que dans la sobriété et l’intelligence des moyens et dispositifs mis en place

Écritures plurielles, faire trace et élaborer des outils via des carnets d’écoute, des approches transmédiales, documents descriptifs, témoignages, médiation, préconisations

Recherche, travailler sur des ambiances urbaines, ou non, la rythmologie, les arts sonores environnementaux, des pédagogies innovantes, la mémoire et le patrimoine sonores, les sociabilités auriculaires, les croisements quantitatifs/qualitatifs, normatifs/sensibles…

Pluridisciplinarité, indisciplinarité, développer des Sound Studies, les projets arts/sciences, arts/action/création, penser les territoires via une culture sonore à la fois commune et singulière, faire se rencontrer différents champs de recherches appliquées, de recherches action

Hybridation, favoriser le croisement de toutes ces approches, le tissage de pratiques, des connaissances, des pensées et savoir-faire…

Ces approches, ces axes, n’étant bien évidemment pas exhaustifs, ni hiérarchisés en termes de de priorité ou d’efficacité. Nombre d’autres eux peuvent se dessiner, s’expérimenter, s’affiner, au fil des écoutes, de leurs formats, objectifs, dispositifs, mobilités, contextes, rythmes et temporalités…

Pour revenir à une recherche eurythmique, qui porte en elle un désir d’équilibre, de stabilité, de beauté, d’harmonie, en réponse à un monde incertain et parfois anxiogène, je remets en question le statut-même  de l’écoute, de la marche écoutante, comme des façons d’être connecté et réactif au monde, aux territoires (co)habités.

L’eurythmie, comme la protopie*, sont des réponses plus positives que celles des utopies ou des dystopies, face à des situations si complexes, qu’elles en sont parfois démotivantes.

Devant ces complexités inquiétantes, il nous faut croiser les savoir-faire, les compétences, les idéaux peut-être, pour ne pas se sentir trop isolé, impuissant, une forme de résistance à construire et consolider sur le terrain.

Marcher, écouter, prendre le temps de faire, dépasse la rêverie d’un Eden potentiel, d’un âge d’or à retrouver, c’est prendre la mesure d’enjeux vitaux, avec leurs possibles comme leurs limites, leurs aménités et leurs difficultés.

Je prendrai ici un exemple pour moi d’actualité. Je m’appuierai ici sur le fait d’écouter le flux et les tourbillons d’un fleuve ou d’un ru, qui me questionne autant sur des équilibres esthétiques, nourriciers, que sur une mémoire toujours en chantier, une existence fragile, frottée à des accélérations de tous bords. Croiser sur ces cheminements aquatiques, liquides, mouvants, des hydrologues, navigateurs, pêcheurs, marcheurs écoutants, riverains, poètes, danseurs… c’est penser une eurythmie portant attention et soin à des territoires fragiles, à des habitants et passants de tous genres.

L’approche rythmologique indisciplinée, eurythmique, autant que faire ce peut, n’apporte pas de réponses parfaites, pas de solutions clé en main. Cependant, elle permet de mutualiser des compétences, affinités, voire militances. Voyons là des projets partagés, qui se renforceront en se frottant les uns aux autres, aux réalités du terrain, comme à celles de l’imaginaire collectif.

*https://usbeketrica.com/fr/article/la-protopie-un-futur-plus-desirable-que-l-utopie-et-la-dystopie-reunies

Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

 Qu’il est beau le Rhône par grand vent ! 

Un PAS – Parcours Audio Sensible avec un master FLE (Français Langues Étrangères » et un programme ALISE (Arts Littérature Images Scène Espace).

Nous commençons par une belle cour intérieure de l’Université Lyon 2, Campus des berges du Rhône, où les voix , les rires, le vent dans une haie de lauriers, le claquement d’une affiche à demie décollée, animent joliment un espace réverbérant à souhait. La courette est entourée de passages couverts, arborée en son centre, et ressemble fort à un cloître, acoustique comprise.

Un deuxième spot auriculaire se présente comme une sorte de sas intérieur, lieu fermé, minéral, sombre, d’où partent plusieurs escaliers, avec une porte donnant sur l’extérieur. Des voix résonnent au loin, quelque part dans les étages supérieurs du bâtiment.

Un étudiant traverse l’espace, ouvre la porte vers l’extérieur, ce qui nous fait entendre la rue avoisinante, ses tramways… Transition acoustique dedans/dehors. La porte se referme très très lentement, opérant un fondu sonore du plus bel effet, un étouffement , descrescendo progressif, avant que la scène soit close par un claquement résonnant. Un instant très audio-cinétique que l’on aurait pu composer. Nous concluons notre écoute par quelques bribes de chant diphonique, histoire de révéler un peu plus encore l’acoustique réverbérée, et de  faire sonner ce beau lieu intime.

Nous sortons de l’enceinte de  la fac. Des tramways, des étudiants, des usagers de l’hôpital voisin, la rue est animée. Nous la traversons pour nous diriger vers le Rhône et descendons sur les bas-quais. Le vent souffle fort et le ciel est d’un noir qui présage une pluie imminente.

Une traversée de quelques centaines de mètres, entre deux ponts, routier et SNCF, nous permet de nous plonger l’oreille dans les paysages aquatiques fluviaux. Et aujourd’hui, ils sont particulièrement riches et singuliers !

Peu, voire pas de touristes et autres festoyeurs coutumiers des lieux sont présents à cette époque de l’année, la pluie se faisant menaçante de surcroît.

Néanmoins, de nombreux joggers et joggeuses font leur exercice sportif, les rythmes de leurs courses et de leurs respirations scandent les quais de claquements et halètements.

Des vélos, trottinettes, rollers, planches à roulettes, se partagent, parfois difficilement l »espace, entre eux, et avec les piétons, personne ne respectant vraiment les couloirs sensés leurs être attribués. On entend ainsi nombre de coups de sonnettes énervées, sans compter les klaxons électriques, harangues verbales… Ambiances de cohabitations mobiles parfois pas vraiment sympathiques.

Chose agréable, la circulation, plutôt soutenue sur les quais du haut, ne s’entend quasiment pas, à quelques émergences près, protégés que nous sommes par l’effet fossé qui nous isole du flux sonore sur nos têtes.

Par contre, les quais sur la rive opposée, pourtant très éloignés de nous, le Rhône étant très large à cet endroit, ramène à nos oreilles une rumeur constante, sans doute amplifiée par l’effet miroir de l’eau,  qui plus est très haute ces temps-ci.

Deux ponts servent de points d’ouïe résonnants assez spectaculaires. Nous nous arrêtons dessous. Le premier, routier, nous fait entendre de sourds claquement assortis de grondements, limite infrasonores. Le tramway entre autres, le fait joliment sonner.

Le second, ferroviaire celui-ci, et beaucoup plus ancien (1851), prolonge la gare de Perrache. Au passage d’un train, c’est un surprenant ferraillement très rythmique, qui se déroule sur nos têtes. Surtout s’il s’agit d’un long convoi de marchandises.

Et sur l’eau, de grosses péniches sont amarrées. La première est une salle de spectacle flottante qui, acoustiquement, ne présente rien de vraiment remarquable.

La seconde est un bateau de formation aux secours en mer et en fleuve. Deux assez longues passerelles métalliques permettent l’accès à son bord. Elles reposent sur des boudins plastiques roulants, pour permettre les passerelles d’accompagner les mouvements des eaux du Rhône. Et comme ce jour là, le vent est très fort, les passerelles bougent beaucoup, en émettant une série de « cris », gémissements, tout à fait surprenants. Le son que l’on ne peut manquer sur ces rives ! Grand regret pour moi, ne pas avoir un enregistreur à portée de main. Un autre jour venteux peut-être…

Une imposante péniche chargée de sable passe en ronronnant faisant entendre des remous clapotants, dits de batillage.

Pour finir cette petite description, le Rhône lui-même est agité de vagues bouillonnantes, qui le font chanter sous le vent. Il est vrai que les eaux basses de ces dernières années, surtout par temps calme, font que le fleuve, si majestueux soit-il visuellement, ne se fait quasiment pas entendre, à quelques remous et clapotis près.

Cette longue déambulation sur les rives rhodaniennes, très belle dans toute sa diversité auditive, me conforte à l’idée de faire entendre la voix des eaux, souvent noyée dans le paysage, surtout en milieu urbain. Un flux, celui de la circulation, en masque un autre, aquatique, que l’on référerait sans doute au premier.

Lorsque les beaux jours seront revenus, les rives redeviendront très animées, très festives, avec son alignement d’embarcations restaurants, salles de concert et de danse, ses terrasses et afters de fêtes »sauvages » sur les quais, parfois au grand dam des riverains.

Toujours ce difficile compromis pour les politiques urbaines de maintenir une ville animée, festive, et de ne pas se mettre à dos tous les riverains, parfois il est vrai totalement intolérants.

Cette traversée  auriculaire a été une belle façon d’alimenter mon chantier d’écoute en cours, celui de « Bassins versants, l’oreille fluante »

En tous cas, le Rhône est un bien beau fleuve sonore, surtout par jour de grand vent !

Écoute, écoutes

Les deux derniers week-ends, j’ai participé à l’élaboration et à l’expérimentation de mises en situation d’écoute fort différentes, et au final très intéressantes.


La première à Lyon, lors de la Semaine du son. Le samedi soir, nous avons accueilli des personnes en appartement, jauge limitée, pour écouter des pièces sonores paysagères, en discuter, imaginer quelques projets et prolongements à venir.
Une petite exposition « Photographier l’écoute », autour de clichés pris lors de promenades écoutantes, s’est glissée dans le décor de nos hôtes, et a donné prétexte à l’échange autour des pratiques déambulatoires et postures d’écoute en marche, ou en point d’ouïe.
Le lendemain, nous nous sommes retrouvés sur les quais de Saône pour un point d’ouïe matinal. Puis nous avons cheminé vers l’appartement, où nous attendait une violoncelliste performeuse qui a fait sonner l’espace de belle manière, par des improvisations cello/voix. Des écoutes sur le thème du dedans/dehors, des espaces acoustiques publics/privés, des ouvertures/fermetures, de quai en appartement en passant par les huit étages transitoires d’un escalier… Et toujours des échanges sur les façons d’ouïr le monde, et d’en partager des pratiques en mouvement. Une collaboration ACIRENE, PePaSon, et Desartsonnants.


La semaine suivante, avec un Tiers-Lieu amplepuisien, nous avons donné à entendre des courts témoignages enregistrés, de personnes parlant de leurs sons préférés, ou haïs, des souvenirs et ressentis, des commentaires sur le statut donné à ces sonorités… Intimité, jeux, madeleines proustiennes, de belles écoutes, souvent émouvantes, ont rythmé la soirée.
Le public a lui aussi été invité à commenter, échanger, et pour finir voter pour leur son favori.
Une troupe de théâtre d’improvisation a fait plusieurs interventions ponctuelles, en s’appuyant sur des thématiques issues des séries de sons écoutés (sons du quotidien, imaginaire et création, instrument, cuisine, signaux et annonces…).
L’expérience de différentes mises en écoutes, média, interactions, s’est révélée très riche, et stimulante pour imaginer d’autres processus ludiques et participatifs à venir.

Une prochaine journée du son est d’ores et déjà en cogitation avec l’Atelier-Tiers-Lieu d’Amplepuis, autour du silence, printemps 2024. Outdoor, et certainement façon nocturne en forêt. A suivre…

Ces deux formes de « théâtre sonore », bien que très différentes dans leurs mises en scène et en espace, trouvent chez moi un écho stimulant pour réfléchir à des propositions qui fassent faire un pas de côté à nos oreilles. Des formats légers, souples, adaptables, qui privilégient la relation humaine, via le partage d’expériences auriculaires et les échanges en découlant.

Parcours de bancs d’écoute(s)

Ouvrez le banc !

Performances assises d’écoutes bancales

Construire et tracer un cheminement bancal

S’assoir quelques minutes sur chaque point d’ouïe bancal

Écouter le monde bruisser bancal autour de nous.

Fermez le banc !

Organisons des assises de l’écoute bancale !

S’assoir par ici

S’assoir par là

Inaugurations (officielles) de Points d’ouïe et sites auriculaires remarquables

Et si votre commune, quartier, ville, village… avait son ou ses propres Points d’ouïe inaugurés, ses SITARs (Sites Auriculaires Remarquables) reconnus et valorisés. Et tout cela à l’issue d’une marche écoutante participative (choix du site sonore remarquable) et d’une cérémonie officielle décoiffant les oreilles ! Discours officiels et minutes d’écoute collective à l’appui

Ne laissez pas passer l’occasion de valoriser un patrimoine auriculaire local unique et inouï !

Cartographie et liens des Points d’ouïe inaugurés : https://www.google.com/maps/d/u/0/edit?mid=1pnyLlyY12C6HeaqKgJhOmLMFM-w&hl=fr&ll=45.60603047862419%2C4.040342017709362&z=8

Carnets de notes de Points d’ouïes inaugurés : https://desartsonnantsbis.com/tag/inauguration/

Référencement Art et aménagement des territoires Art – Plan – Le Polau : https://arteplan.org/initiative/points-douie/

Fiche de chantier d’écoute, exemple dans la mare

Titre : « Du bruit dans la mare »

Action : PAS – Parcours Audio Sensible, expérimentation pédagogique

Catégorie : Balade sonore, promenade écoutante

Thématique : Écoute du site des Allivoz, auscultations aquatiques

Contexte : Fête de la Nature 2023

Public : Famille, enfants à partir de 6 ans

Jauge public : 20 personnes maximum, les quatre parcours affichent complet

Durée de chaque parcours : 1H30 environ

Dates : les 28 et 29 mai 2023

Nombre de parcours : Deux le dimanche et deux le samedi (une à 14, l’autre à 16 heures chaque jour)

Lieux : Grand Parc de Miribel Jonage, site de l’Îloz, Chemin des Allivoz, Jardin des sens, jardins Ailleurs, départ accueil de l’Îloz

Déroulé : Promenade silencieuse, jeux d’écoute à oreilles nues, commentaires sur les lieux traversés, mini installation sonore aquatique, auscultations d’un arbre et de points d’eau, de loin, de près, dessous, à l’aide de « Longue-Ouïes » spécifiques.

Météo : Journées chaudes et ensoleillées les deux jours

Remarques : Des groupes intergénérationnels très participants, curieux, réactifs, joueurs, et a priori heureux de l’expérience ludique et collective. Les grenouilles et oiseaux se sont montrés (et fait entendre) de façon joyeuse, participative et spontanée, merci à elles et eux !

Points d’ouïe corrélés

Plus je triture l’idée et l’expérience du, ou des paysages sonores, moins je suis sûr d’être en mesure de le le, ou de les définir correctement.


Néanmoins, je pense que l’approche des points d’ouïe spatio-temporels, comme des conjonctions corrélées, où les sciences, la philosophie et l’artistique se rencontrent, en fait des terrains féconds.


Ce sont là des lieux potentiels, où l’on peut imaginer et construire des espaces expérientiels, voire des modèles de paysages sonores plus ou moins crédibles et viables, et surtout écoutables et habitables.

Points d’ouïe, installer l’écoute !

Printemps, été, et après… l’écoute s’installe !

Paysages sonores en chantier, scènes auriculaires, réactivées, outdoor

Inaugurations de Points d’ouïe

Faire, officiellement, la fête aux sons, dans un cérémonial d’écoute in situ

PAS – Parcours Audio Sensibles en duo d’écoute

Parcourir, écouter, deviser, amasser et collecter des Points de vue et Points d’ouïe de concert, récits dialogués de ville(s) et d’ailleurs…

PAS – Parcours Audio Sensibles partagés

Parcours d’écoute(s), thématiques ou non, écritures/lectures contextualisées, collectives, participatives…

Bancs d’écoute(s)

Parcours ou one shot, à deux ou en groupe, les bancs comme points d’ouïe, objets et postes d’écoute, de rencontre, d’échange, d’installations, espaces de sociabilités auriculaires bien assises…

En éc(h)ogestation

Scènes d’écoutes installées

Parcours d’écoute urbains ou non, visites d’installations sonores à ciel ouvert, à 360°, mises en scène et en situation de Points d’ouïe à oreilles nues, espaces dé-concertants et Desartsonnants…

Et tant de choses à imaginer et installer sur place, avec vous, les autres…

On en parle ? desartsonnants@gmail.com

Points d’ouïe estivaux, de montagnes en forêts

2022, enfin, le retour aux arbres !
Desartsonnants cogite une Ornithofaunie « OizOs qui hèlent »
L’appel, discret, de la forêt, qui voudrait garder ses nids habités et bien vivants… Ailes et moi, et nous…
http://www.backtothetrees.net/fr/saint-vit-france-doubs-samedi-25-juin-2022/

Cet été, Desartsonnants est très heureux de participer à ce beau festival montagnard.
Auparavant, il préparera des interventions audio-déambulantes et paysagères avec le centre pénitentiaire d’Aiton.
En savoir plus bientôt !

Lien site web https://www.scenes-obliques.eu/festival/

Pour une fois j’y ai pensé, et elles étaient bien là !

Elles étaient bien là, mais qui donc ?
Et bien celles que j’entends sonner et hululer depuis chez moi, en me disant que je les ai encore ratées.
Mais pas ce matin, j’avais, une fois n’est as coutume, agrafé un pense-bête bien en vue.
Donc j’étais là, à la bonne heure et au bon endroit pour les cueillir, les accueillir, micros et oreilles tendues.
Les sirènes du toit d’un théâtre voisin, les cloches perchées sur le clocher tout proche, et à leurs pieds, les voix du marché.
La sirène, c’est ponctuel et bien marqué dans l’espace temps, une fois par mois, à midi sonnante, les premiers mercredis du mois.
De grandes glissades trouant l’espace en alerte. Crescendo, decrescendo.
Des images surgissantes de catastrophes et de dangers, pour certains, des réminiscences de guerre, surtout dans ce quartier dont le centre fut presque entièrement rasé lors d’un bombardement, église comprise !
Des sirènes qui viennent judicieusement alimenter un travail en chantier autour… des sirènes, entre mythes et objets tonitruants. Ce n’est pas anodin.
Et puis les cloches, qui prennent le relai à midi passé de quelques minutes, prenant soin de ne pas emmêler les signaux, de laisser de l’espace pour chaque son, de préserver une lisibilité en évitant une polyphonie trop confuse.
Dans la réalité en tous cas.
Dans l’écriture, j’en jouerai, en variation contrapuntique improbable.
Car l’écriture n’est pas le terrain, c’est plutôt, dans la cas qui nous concerne, son empaysagement auriculaire.
Et puis il y a les voix. Les voix-ci les voix là.
Celles, habituelles pour le résident que je suis, du marché du mercredi matin. Des timbres et intonations dont je reconnais de loin les vendeurs à la verve chantante, à la gouaille sympathique.
Comme un fond, un tapis, déployé à même le sol pour accueillir les émergences venues du ciel, dirait l’ami Michel Risse, ou en tous cas d’un peu plus haut. Cloches et sirènes perchées en l’occurrence.
Chaque source possède sa propre ponctualité.
Chaque source possède sa propre territorialité, sa spatialité, même si, acoustique oblige, ces espaces sonores se fondent, s’entremêlent, se jouent du territoire de l’autre, multiphonique.
Pour ce qui est de l’apparition temporelle, il s’agit des mercredi, jeudis et dimanches pour les voix du marché, de chaque midi matin et soir pour mesdames les cloches, en tous cas pour les volées d’Angelus, et de chaque premier mercredi du mois à midi même pour les sirènes.
Et c’est là, à cette date et heure, notamment aujourd’hui premier mercredi du mois à midi, que la conjonction se fait entre ces événements sonores. C’est là que s’opère un croisement dialogué qui se déploie sur la place; une histoire de quartier, celle que l’on veut bien entendre, ou se raconter.
C’est donc là où j’ai attendu, micros en mains, sous un petit vent frisquet, que cloches, voix et sirènes, soient au rendez-vous pour composer une scènette sonore, que je m’empresserai de réécrire à ma façon.
Situation qui me donne envie d’être dans d’autres lieux, d’autres premiers mercredis du mois à midi, vers d’autres églises et d’autres sirènes, et peut-être marchés, pour réitérer l’expérience, autrement n’en doutons pas. Points d’ouïe en variations paysagères pour voix cloches et sirènes…

Tourzel, fin de résidence, réminiscences et extensions

@photo, France Le Gall « Danser l’Espace – Sous les pommiers ba « 

De retour depuis un peu plus d’une semaine à Lyon.

Je me suis arraché, non sans quelques regrets je l’avoue, au cocon fécond de la roulotte sous les pommiers, havre de paix propice à l’écoute, à l’écriture, à la cogitation de parcours et gestes d’écoute.

Arraché à cette belle région auvergnate où les villages, des vallées, des sites en pics basaltiques perchés, offrent mille points d’ouïe, dont certains explorés, joués, transposés, seul ou à plusieurs, durant la résidence.

Aujourd’hui, des sons comme des images courent dans ma mémoire, surtout lorsque je travaille à organiser les traces de mon séjour, en chantier d’écriture, en sons, images et textes.

Il me faut encore laisser décanter, murir tout cela. 

Quelques saillances se font jour, se précisent, se prêtent à de nouvelles interrogations.

Installer l’écoute, et par la même des points d’ouïe, titre/objectif de ma résidence, reste bien entendu un fil rouge, élément clé. Cette petite phrase qui pose la question du comment faire, en fonction du lieu, du contexte, des espaces visités, des personnes croisées, de la reconstruction a posteriori…

Selon les jours, les espaces, les choses tentées lors de PAS – Parcours Audio Sensibles en groupe, et en solo, les expériences  furent riches et variées, des réflexions se creusant sur le statut des objets écoutés, la façon de les mettre en écoute, corporellement, de les tracer, de les historier…

Un regret néanmoins, que nous partageons avec mon hôte, la difficulté de rencontrer, d’échanger, de faire vraiment avec les gens du village, de recueillir leurs ressentis, écoutes, petites et grandes histoires des lieux…

La trace, ou plutôt les traces sont un maillon clé, celles qui restent en mémoire, qui servent et serviront à réécrire, à partager des histoires, autant pour ceux/celles qui les ont vécues que vers ceux/celles qui les vivront par procuration, par le récit tissé après coup; les traces sont au centre de cette résidence, comme souvent. 

Les PAS-Parcours Audio Sensibles restent ainsi une expérience esthétique active, qui sous-tendent l’écoute, de laquelle émergent un ou des paysages sonores.

Dans l’inspiration de Perec, l’expérience de l’Infra-ordinaire, ici de l’Infra-auriculaire, agit comme un ensemble de stimuli nous connectant à des espaces inouïs car trop souvent in-entendus ou non-entendus dans leur triviale quotidienneté. 

Inouïs aussi parce que jamais l’expérience d’écoute vécue à un instant T  ne se renouvellera à l’identique.

L’expérience corporelle, physique, audio-immersive, celle du corps interfacé aux milieux traversés, lesquels nous traversent réciproquement sensoriellement, sont vécues sans autre formes de dispositifs-prothèses augmentants. Le corps se place ici comme unique récepteur/émetteur, interagissant, prenant conscience de ses proprioceptions, rayonnant, jouant, performant les espaces ambiants…

Expérience de la trace, mémorielle, physique, kinesthésique…

Mais aussi de la trace objet, au sens large,(re)construite de sons, d’images, de mots, et autres hybridations, transmédialités, transmises via des écritures plurielles, post-terrain, comme des récits à partager.

Expérience hybridante donc, entre arts sonores, environnementaux, relationnels, contextuels…

Expérience contextuelle à revivre chaque fois différemment dans de nouvelles résidences, ici où là, partout où le monde sonne à nos oreilles. Et en terme de problématiques comme de géographie,                                                                                     le champ est large ! 

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Installer l’écoute, expériences ludo-forestières

Forêt trouée

d’échappées vers le ciel

bleu

limipde

accueillant

allongé dans l’herbe

des branchages vibrillonnent

sur écran haut d’azur

frémissant

complicité du vent

tout bouge

doucement

tout s’agite

sereinement

froufroutis

froissements

chuintements

les sens tournés vers le haut

des herbes folles

bruissonnent aussi

la forêt se donne à entendre

sans forcer le jeu

l’écoute est installée

entre nous, et elle

à même le sol

contact terre à terre

ça fait sens

la marche reprend

changement d’axe

verticalité

nouveau point de vue, d’ouïe

l’oreille prend de la hauteur

de même le regard

pour scruter le sol

couleurs et bruissonnances

qui  rythment des pas

ou l’inverse

avancée capricieuse

danse qui ne se dit pas

pour mieux chanter les lieux

mille choses sous nos pieds

des froissements colorés

des voix émergent

scansions

saluts

l’avancement est ludique

l’oreille à la fête

tant de choses et d’espaces à jouer.

Forêt trouée

d’échappées vers le ciel

bleu

limipde

accueillant

allongé dans l’herbe

des branchages vibrillonnent

sur écran haut d’azur

frémissant

complicité du vent

tout bouge

doucement

tout s’agite

sereinement

froufroutis

froissements

chuintements

les sens tournés vers le haut

des herbes folles

bruissonnent aussi

la forêt se donne à entendre

sans forcer le jeu

l’écoute est installée

entre nous, et elle

à même le sol

contact terre à terre

ça fait sens

la marche reprend

changement d’axe

verticalité

nouveau point de vue, d’ouïe

l’oreille prend de la hauteur

de même le regard

pour scruter le sol

couleurs et bruissonnances

qui  rythment des pas

ou l’inverse

avancée capricieuse

danse qui ne se dit pas

pour mieux chanter les lieux

mille choses sous nos pieds

des froissements colorés

des voix émergent

scansions

saluts

l’avancement est ludique

l’oreille à la fête

tant de choses et d’espaces à jouer.

Vidéo Pauline Marty – Montage Gilles Malatray – Desartsonnants

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « »Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Faire trace pour faire exister, pour tracer de nouveaux chemins

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

Au neuvième jours de ma résidence audio-paysagère auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe », la matière sonore, visuelle, textuelle, commence à s’accumuler, à prendre corps, et surtout à progressivement faire sens.

Dans une démarche qui n’a en soi rien de très originale, j’applique ma petite méthodologie de terrain, en immersion, baigné, entouré de paysages aux vertes collines, de forêts multicolores, de rivières chantantes, de lumières automnales délicates, sans oublier les sonorités plutôt apaisées.

Et de quelques tracteurs grondants et ferraillants.

Se promener, arpenter, repérer

Écouter, donner à entendre, partager les points d’ouïe, les chemins d’écoute

Capter, cueillir, enregistrer des ambiances sonores de tous crins, écrire, photographier

Classer, trier, organiser, revisiter, construire les traces

Réécrire, recomposer, raconter…

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

En espérant avoir saisi un peu de l’essence paysagère, du monde sensible in situ, et de les restituer à ma façon, pour ainsi de les partager à qui veut bien entendre.

L’écoute, tout comme le paysage sonore en résultant, étant pour le moins immatériels, fluctuants, fluants, les traces comme outils d’écritures plurielles tenteront de lui donner vie, incarnation sensible, consistance, a posteriori de l’action, et espérons-le dans un certain prolongement temporel.

Traces sonores

Le vécu, l’écoute in situ

Le souvenir, la rémanence

Le capté, l’enregistré

Le montage audionumérique, l’écriture, la création, la composition

La restitution, les installations, les supports de diffusion

Traces écrites

Carnets de notes, relevés, approches descriptives, phénoménologiques…

Essais poétiques, politiques, écologiques, sociaux…

Traces visuelles

La photo in situ, le croquis, la vidéo, le graphisme, la carte mentale, ou sensible…

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers
Fiche d’écoute PePaSon (Pédagogie au Paysage Sonore)
Traces plastiques

L’objet évocateur, sonnant, instrument, installé, interactif (éolien), le site aménagé (point d’ouïe acoustique)

Traces kinesthésiques

La marche, mouvement, danse…

Mémoire du corps, mémoire proprioceptive

Écritures corps et graphiques

Traces géographiques

Sentiers et parcours sensibles

Cartes, relevés

Expériences augmentées , virtuelles, in situ ou déterritorialisées 

Traces transmédiales

Installations multimédiatiques (sons/objets/graphismes/photos/vidéos/expériences corporelles/textes…)

Traces indisciplinaires, ou indisciplinarisées

Approches tracées, mêlant, croisant, faisant interagir différentes disciplines ou « spécialités » (arts, sciences dures et sociales, aménagement du territoire, santé, pédagogie, design, politique) 

Dans le meilleur des cas, on imagine un travail réunissant, sans doute encore un brin utopique, musiciens, artistes sonores, géographes, sociologues, architectes, urbanistes, designers, plasticiens, vidéastes, danseurs, écrivains, poètes (et autres écrivants), photographes, graphistes, acousticiens, paysagistes, politiques, soignants, habitants et promeneurs du quotidien, et bien d’autres champs d’actions/performances in situ.

Faisons en sorte que tous ces acteurs puissent co-écrire, via des expériences en chantier, un paysage sonore pluriel, multiple, comme il l’est du reste intrinsèquement.

@photo France Le Gall –Danser l’espace – Sous les pommiers

Dans cette visée, installer l’écoute est une chose pour moi importante, mais à condition de le faire dans un contexte donné, en privilégiant une approche relationnelle des plus ouvertes que possible.

Le croisement, l’hybridation, la créolisation de gestes, de savoir-faire, d’expériences, d’envies, est au cœur, toutes traces aidant, de l’écriture, et qui plus est de l’aménagement d’un territoire, avec toutes ses potentialités, ses faiblesses, et ses fragilités inérentes.

C’est dans cette optique que la construction avec et par les traces, par le ré-agencement d’objets sensibles, témoins, recueillis pour construire un processus narratif et constructif, prendra tout son sens.

Cependant, notons que sur le terrain, la tâche n’est pas si simple. Les barrières restent nombreuses, les freins multiples.

Entre contraintes financières, soucis de rentabilité à tout prix, manque de temps alloués, tendance à l’entre-soi culturel, incompréhension, plus ou moins volontaire, de la démarche, isolement et méfiance du monde rural, comme du milieu urbain, les obstacles, dont certains pas des moindres, contraignent les projets souvent dans des résultats en deçà de nos attentes et espérances.

Fort heureusement, certaines structures, institutions, lieux alternatifs, osent courir le risque de faire un pas de côté.

En espérant que cela fasse trace(s), et qui plus est trace de nouveaux chemins d’écoute, et d’actions en tous genres.

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

@photo France Le Gall – Danser l’espace – Sous les pommiers

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Tourzel-Ronzières, paysage (sonore) en approche

Approche . La petite liaison ferroviaire Clermont-Ferrand/Issoire me mets en appétit, sensoriellement parlant.

Collines, vallons, forêts, rivières, sucs* se succèdent sous mes yeux, avant que les oreilles n’entrent vraiment en jeu.

Le train est décidément une très belle fenêtre pour contempler les paysages alentours, fuyants, en mode rêveur.

Et l’arrivée sur site, dans le petit village de Tourzel-Ronzières tient toutes ses promesses !

Une première boucle d’environ trois kilomètres, pour se mettre en jambe et en oreille.

Parcours sur un superbe sentier en sous-bois, avec des murets et constructions de pierres sèches, des prés ouverts, d’autres parquant des ânes qui nous regardent passer, sans un seul braiment, le vent qui anime la forêt, des oiseaux, par épisodes, une rivière bouillonnante, un panoramique visuel et sonore devant une belle église romane, qui nous fait entendre les sons de la vallées, des collines environnantes…

Prendre l’air des lieux…

Premières rencontres humaines, fugaces mais sympathiques, des saluts, quelques paroles échangées, le temps qu’il fait, courir les chemins, ne pas se presser…

Des ambiances plutôt apaisées pour un premier contact tout en douceur.

Et un nid douillet comme habitat, une belle roulotte nichée dans un écrin de verdure. 

Un atelier de danse comme studio atelier, dominant le terrain, un plateau intérieur-extérieur, avec son ouverture sur une terrasse caillebotis, les forêts juste en face. Un superbe lieu pour « Danser l’espace« , qui m’accueille en résidence dateliers-écritures « Installer l’écoute, Points d’ouïe », projet soutenu par la DRAC Auvergne-Rhône Alpes, le Département du Puy de Dôme, la Commune de Tourzel Ronzières et sa bibliohèque.

Ne reste plus qu’à laisser courir l’oreille, les micros, les pas, entre explorations et balades ateliers d’écoute.

* Un suc est un mini volcan; une petite (petite) montagne en forme de cône ou de dôme due aux éruptions phonolitiques, propres aux paysages volcaniques auvergnats.

De ma fenêtre de résidence, je vois des arbres, j’endends la rivière au bas, les oiseaux alentours…

Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Point d’ouïe – Paysages pluriels, y compris sonores

Paysages milieux

paysages sensibles

paysages fragiles

paysages écosystèmes

paysages perçus

paysages racontés

paysages instables

paysages inventés, rêvés, espérés…

En tant qu’artiste promeneur écoutant

conteur de paysages sonores

voire de paysages tout court

il me semble que le droit au paysage est une cause qui s’entend

comme une entité vivante, partagée, vécue – pour le meilleur et pour le pire

que le droit du paysage, fût-il sonore

se défend comme une entité complexe, mouvante

et qu’il doit, ou devrait être envisagé comme une cause entendue

dans l’idéal sans visée hégémonique, ethnocentrique, productiviste… 

Préserver, aménager, imaginer, créer, de belles choses à entendre, regarder, toucher, sentir, goûter…

Paysage à vivre de l’oreille .

Faire paysage,

faire partie du paysage;

en prendre conscience,

comme une responsabilité partagée.

Point d’ouïe, installer l’écoute – Résidence artistique sous les pommiers

Atelier « Points d’ouïe et paysages en écoute »

Public : Tout public à partir de 12 ans – 15 personnes maximum

Objectifs : Activer une écoute sensible sur le paysage via la marche et la recherche de postures d’écoute in situ.

Partager une expérience contextuelle et relationnelle, entre esthétique sociabilité et écologie sonore.

Lieux : Site  « Sous les pommiers Ba », verger, chemins environnants, village…

Déroulé :

Matinée « Installer l’écoute » (3 heures)

– Présentation en marche des PAS – Parcours Audio Sensibles (les origines, les acteurs, quelques mots sur l’écologie sonore, les pratiques du field recording, entre captation et création sonore, notions de ponts d’ouïe

– Arpentage des lieux, écoutes silencieuses, en mobilité et en points d’ouïe. Recherches de postures d’écoute mentales et physiques, faire sonner les lieux, kinesthésie et géographie sonore.

– Écrire un parcours, repérer des points d’ouïe

Après-midi (3 heures) installer un paysage sonore

– Écoute de quelques paysages sonores commentés

– Enregistrement in situ, réécoute collective, exemples de traitements sonores en direct

– Retour au terrain, dernière immersion sonore en résonance avec les ateliers d’écoute précédents.

Matériel : Les participants qui le peuvent sont invités à amener un enregistreur, smartphone enregistreur…

Remarques : Prévoir de bonnes chaussures et une tenue « tout terrain », voire un vêtement de pluie…

Artiste encadrant : Gilles Malatray aka Desartsonnants, paysagiste sonore et promeneur écoutant

Gilles Malatray, artiste Français né en 1959, vit à Lyon (Fr).

Promeneur écoutant et pédagogue, il travaille depuis de nombreuses années autour du paysage sonore. Dans une posture associant des approches esthétiques, culturelles, artistiques et écologiques, l’écriture et la composition de paysages sonores sont fortement liées aux territoires investis, qu’ils soient ville, périurbain, milieu rural, espace naturel, site architectural… Ces problématiques occupent une position centrale dans la pratique Désartsonnante via la curation, la recherche, les écritures transmédiales, la formation et les interventions artistiques in situ. L’écoute environnementale, reste ainsi, quelle que soit la forme d’intervention convoquée, au centre de toute investigation et création sonore.

https://souslespommiersba.wixsite.com/63320/agenda

Le lieu

Association Danser l’espace – France Legall

Contact :

              France Le Gall

              Chemin des Horts

              63320 Tourzel-Ronzières

              Tél :(33) 06 20 10 79 97

                      (33) 04 73 56 12 74

              Mail : souslespommiersba@gmail.com

Points d’ouïe, les Z’incroyables Z’inouïs

Où Desartsonnants vous invite à jeter une paire d’oreilles Z‘ubaines hors des chantiers battus, à oser l’inécoutable, le mal entendu, la triviale poursuite sonore, les dessous, marges et franges de la ville où l’oreille s’encanaille, l’audiorbex tympanique…

https://www.academia.edu/51026860/les_Zincroyables_Zinoui_s

Point d’ouïe – Traversée n° 5 – Écoute et relationnel, écoute relationnelle

PAS – Desartsonnants – CRANE LAb « L’INdescente  » Collectif La Méandre – Chalon/Saône, Port Nord

Que vaut l’écoute si elle n’est pas, à un moment donné, et le plus souvent que possible, partagée ?

Que vaut l’écoute si elle n’est pas pratiquée de concert, commentée, mutualisée, construite en une chose commune, qui appartient à tout un chacun dans l’expérience collective ?

Sans doute peu de chose. Une expérience qui ne s’enrichit pas de l’autre reste pour moi un geste partiellement inabouti, frustrant, une action en cours qui n’aurait pas été jusqu’où elle aurait pu et dû être menée.

Le geste d’écoute, ni même la chose écoutée, ne sont pas forcément une finalité en soit. C’est plutôt la façon dont ces actions sont construites, collectivement, qui fait finalité, ou tout au moins une finalité.

L’important pour moi, est de considérer, de comprendre, comment l’écoute partagée place le relationnel au cœur du projet, de sa réalisation, de son accomplissement.

Un paysage sonore écouté en groupe, en un lieu et un instant, est certes vécu par une somme d’individus ayant chacun leurs propres sensibilités, expériences, façons d’entendre les choses, de s’entendre ou de se mésentendre avec elles, ou avec les gens, mais à n’en pas douter, il gagne du poids, de l’épaisseur, dans une action collective.

Je prends souvent l’exemple d’écouter un concert ou de regarder un film en solitaire, ou de le faire en groupe. Bien sûr, nous pourront, individuellement, en éprouver un certain plaisir. Néanmoins, le fait de sentir autour de soi des personnes qui nous accompagnent dans ces spectacles, amène incontestablement un plus relationnel qui, même sans échanger la moindre parole, le moindre regard, se ressentira fortement.

Assister à un concert ou spectacle avec des amis, c’est sentir une synergie d’écoutants qui accomplissent une action concertée, délibérée, même si chacun appréciera, ou non, dans sa propre différence, les œuvres entendues, ou ressentira à sa façon des sentiments parfois fort différents d’un individu à l’autre.

Cela relève du plaisir de partager nos émotions, nos joies, nos déceptions peut-être, après avoir vécu l’expérience collective d’un partage sensoriel, ou d’un partage tout court.

La notion de partage est intrinsèquement au cœur de l’expérience relationnelle, elle le nourrit, lui fournit un terreau fertile où l’oreille et le corps entier vont se trouver dans un réseau, un nœud de vibrations humaines. Cette sensation, cet état, ne seront pas toujours faciles à expliquer rationnellement, mais tout écoutant ayant expérimenté ces postures de co-écoute s’y retrouvera et comprendra aisément de quoi l’on parle ici

Le relationnel n’exige pas forcément un groupe d’écoutants important. Deux personnes, assises en silence sur un banc, ou marchant en devisant sur ce qu’elles entendent, et cela suffit à créer un contexte d’échange où le relationnel trouve naturellement toute sa place. Place qui serait celle de faire ensemble, ici d’écouter ensemble, y compris a priori des choses triviales et anodines.

Pour prendre un exemple qui m’est cher, je parlerai ici des PAS – Parcours Audio Sensibles façon Desartsonnants, appartenant à la grande famille des soundwalks, balades et autres parcours d’écoute.

Dés la première phase, le repérage, le premier arpentage pour prendre le pouls auriculaire d’un lieu, j’aime inviter des autochtones à m’accompagner. En effet, ils et elles connaissent mieux que quiconque, et en tous cas mieux que moi, ce qui pourrait faire de certains espaces des expériences d’écoute singulières.

Mais d’autre part, c’est déjà engager une relation avec des personnes, discuter de l’histoire, grande ou petite du site, de ses caractéristiques paysagères, géologiques, de ses aménagements, de sa vie au quotidien. Ces moments là sont précieux, tant dans la connaissance des sites arpentés, que dans une sympathique connivence, les personnes qui m’aident se faisant une joie de parler de leurs territoires, d’en partager les qualités comme parfois les dysfonctionnements.

Le moment venu du parcours public, c’est encore une histoire de partage qui fera sa force.

Présenter le PAS, ses finalités, ses modes de déambulations, suggérer des mises en écoute, mettre les auditeurs en condition, unir un groupe d’écoutants, tout se joue dés les premiers contacts, les premiers mots, les premiers regards.

Puis s’ébranler, sentir le groupe derrière soit, son énergie qui rayonne dans le dos, comme un chef d’orchestre qui sent l’attention du public suspendue à ses gestes, ses postures, ses respirations au gré de la musique, son échange avec les musiciens, encore une histoire d’énergie partagée… Et je parle en connaissance de cause.

La PAS s’achevant, il nous faudra rompre le silence, celui qui, paradoxalement, à la fois a plonger les écoutants dans une bulle acoustique intime, et a contribué à souder la communauté éphémère de marchécoutants, unis dans un silence fédérateur car en fait inhabituellement installé et partagé. L’expérience n’en est que plus forte.

Il faut donc rompre ce silence sans violentes cassures, revenir à un état où la parole se libère lentement, en prenant le temps de réémerger à son rythme, de sortir d’un état qui a pu être vécu comme une forme de douce méditation sonore.

Un autre relationnel, ou une autre relation communautaire vont alors s’instaurer. Des échangent qui vont exprimer les ressentis, les choses vécues, les ambiances perçues, les moments de plaisirs, les frustrations, le silence peut en être une, les inconforts parfois…

D’autres sujets vont ainsi régulièrement pointer dans les échanges.

La prédominance parfois de la voiture, selon les lieux traversés, les présences animales fragiles, fugaces, ou exubérantes, liées à des questions écologiques de disparition, de raréfaction.

Le rapport sociétal via une écoute qui prend le temps de ralentir, de réunir un ensemble de personnes dans un espace/temps commun ; la nécessité d’échapper à des situations stressantes, à des accélérations contraignantes, ou à des brusques frein, sanitaires par exemple, qui apparaissent comme des questionnements où la convivialité et le relationnel sont au corps du bien, ou mieux vivre.

L’écoute partagée est sans contexte une façon de construire des valeurs communes et bienveillantes plus que jamais nécessaires, voire vitales.

PAS – Parcours Audio Sensible Kaliningrad (Ru) – Festival « Around The sound » Institut français de Saint-Pétersbourg

point d’ouïe – Traversée n° 3 – Rythmes et cadences, ralentissements, arrêts et progressions

point d’ouïe – Flux aquatique – Cirque de Gavarnie, Hautes Pyrénées
Résidence Audio Paysagère Hang Art

La traversée n°3 sera rythmée, cadencée, ponctuée, tout en mouvements et en pauses, en arrêts et en départs, en mobilité et en immobilité.

Le monde sonore n’est pas, tant s’en faut, un flux régulier, prévisible, un espace temps qui se déroule uniforme, continuum sans surprises.

Le monde sonore suit son train, qui peut être chahuté, et/ou nous suivons le sien, avec toujours la possibilité/probabilité d’accélérer, de ralentir, de suivre des cycles, ou non.

Le flux temporel écouté nous fait mesurer l’incertitude du son dans le courant du temps qui passe, de la chose sonore qui apparaît ici, disparaît là, dans les caprices d’espaces métriques capricieux.

Bien sur, il est des repères que le temps nous indique, nous assène, des découpages rythmant une journée, une semaine, un mois, de façon quasi rassurante…

La cloche de l’église, lorsqu’elle sonne encore, de quart d’heure en quart d’heure, d’heure en heure, ponctue nos espaces de vie en graduant inlassablement le temps fuyant. Une façon rassurante ou anxiogène de nous situer dans un chronos auquel nous n’échappons pas. Notre vie s’écoule en un sablier tenace qui se fait entendre ans ménagement.

Les tic-tacs métronomiques habitent des espaces d’écoute découpée, pour le meilleur et pour le pire.

Parfois l’accidentel ponctue la scène auditive, un mariage qui passe, un coup de tonnerre inattendu, une altercation au coin de la rue… Un brin de chaos que nos oreilles agrippent, y compris contre leur gré.

Les sons font parfois habitude, voire rituel, dans leur itération, même les plus triviales. Le rideau de fer de la librairie d’en face, la sonnerie d’une cour d’école, la présence d’un marché quelques jours par semaine, la sirène des premiers mercredis du mois à midi… Des marqueurs temporels que l’on pourrait croire immuables si la finitude ne les guettait. Des jalons que l’on apprend à déchiffrer au fil du temps. Carte/partition du temps qui fait et défait.

Et puis il y a la façon de progresser dans les milieux sonores, de les arpenter par exemple.

Le rythme d’une promenade, sa cadence, sa précipitation ou sa lenteur, ses inflexions, infléchiront la façon d’écouter, d’entendre, et sur la chose écoutée elle-même.

Avancer vers des sons plus ou moins rapidement, accélérer par curiosité, ralentir par prudence, s’arrêter là où quelque chose se passe, où la musique jaillit, où la cloche sonne, où le rire fuse, où mugit la sirène…

Les sonorités sans cesse en mouvement, ponctuelles pour beaucoup, dans les flux soumis à moult aléas, influent, parfois subrepticement, nos rythmes de vie, de faire, de penser, tout comme nos faits et gestes, réciproquement, peuvent écrire des rythmicités au quotidien.

Le mouvement de réciprocité, les interactions, les gestes sonores scandant des situations audibles (le marteau d’un forgeron, la frappe du percussionniste), comme les sons déclenchant des gestes ou des mouvements (le sifflet de départ, l’ordre crié) viennent se frotter dans des mouvements que l’oreille perçoit plus ou moins clairement.

La voix de Chronos, père et personnification du temps, dieu ailé porteur de sablier, nous fait entendre notre vie s’écoulant, comme celle de Kaïros parfois, le moment opportun.

Le ralentissement est-il propice à une meilleure écoute, à une entente plus profonde. Sans doute oui. Surtout dans le contexte d’une société où l’oisiveté est non seulement mal vue, mais sacrifiée à l’autel d’un productivisme forcené. Russolo décrivait déjà une cité de bruits où puissance vociférante et guerre sont au final de vieilles compagnes.

Prendre le temps de faire des arrêts sur sons, des pauses écoutes, des points d’ouïe, résister à la course du toujours plus, qui jette dans les espaces publics des torrents de voitures ne laissant guère de place au repos de l’oreille, et de fait de l’écoutant malgré lui… Ralentir, douce utopie ou rythme salutaire à rechercher avant tout ?

Retrouver, à l’aune d’un Thoreau, une oreille qui vivrait au rythme des saisons. Paysages printaniers où, dans une sorte d’idéal enchanté, tout chante et bruissonne, un été plombé de soleil et d’une torpeur écrasante secouée par l’orage, un automne où la vie ralentit au rythme des pluies, un hiver engourdi que la neige ouate dans des quasi silences…

Images d’Épinal où le son est partie prenante, répondant aux ambiances attendues, présupposées, voire participant à les forger à nos visions clichés d’un chronos saisonnier.

Nous progressons dans un monde sonore qui ne répond pas toujours à nos représentations, à nos attentes, trop lent ou trop emballé, trop frénétique ou trop engourdi.

Chaque individu, lorsqu’on le regarde agir, a sa propre dynamique temporelle, selon les contextes, les moments, les événements… Et d’innombrables temporalités se font entendre dans des espaces auriculaires, espaces publics notamment, qui ne sont pas toujours aisément partageables.

Chacun semble avoir sa propre partition, ses propres tempi, ses propres variations rythmiques qui font qu’il n’est pas toujours facile d’accorder nos violons, de se régler sur la même heure, et de jouer de concert une œuvre collective, comme un orchestre parfaitement synchrone. Risque de vacarme résiduel, car non orchestré ?

Ces discordances de tempi se font entendre à qui sait écouter les flux de la vie qui passe, comme deux cloches qui ne sonneraient pas, par un désynchronisme chronique, dans une même temporalité.

Mais néanmoins, nous nous forçons d’adapter la longueur comme la vitesse de nos pas, de caler des moments de rencontres où nos paroles prennent le temps de s’échanger, ou nos métronomes font entendre des pulsations accordées, qui permettent à une vie sociale d’exister, de perdurer, malgré toutes les incontournables arythmies possibles.

A condition comme le chantait Georges Moustaki, de prendre le temps à minima le temps de vivre, et d’écouter la vie qui passe.

Point d’ouïe – Écoute installée pour paysage et duo d’écoutants – Prendre le temps de pause.

Point d’ouïe, traversées de paysages sonores in progress

Emprunter les chemins traversant des paysages sonores, via donc une écoute ambulante, pédestre, me fait les entendre au fil d’expériences qui, géographiques, environnementales, sociales, esthétiques, symboliques, tendent à construire une approche croisée autour de parcours parfois plus complexes qu’ils n’y paraissent de prime abord.

D’autant plus complexes, lorsqu’on les creuse de l’oreille, qu’ils superposent des couches d’écoutes que l’on pourrait qualifier d’hétérotopiques, comme d’ailleurs tout territoires arpentés qui se respecte.

Bref, traverser des paysages auriculaires, s’y frayer des chemins de traverse, de travers, des arpentages, des plus sauvages, erratiques, aux plus balisées, itinérarisées, c’est se garder sous le coude, si ce n’est sous l’oreille, une série d’outils, d’approches, de point de vue, de façons, ou possibilités de faire. C’est ce qui nous permettra sans doute de décaler les points d’ouïe, tout en conservant une approche sensible, et qui plus est sensorielle.

Cette approche, entre expérimentations de terrains, chantiers in situ, une approche du Faire, côtoie les processus descriptifs, l’élaboration de processus d’écritures contextuelles, de modèles conceptuels, de réflexions introspectives…

Le Faire et le Penser s’auto-alimentent dans des aller-retours féconds, qui font traverser le paysage auriculaire en empruntant moult voies, parfois clairement tracées, parfois incertaines, erratiques, superposées, mixées, dans leurs enchevêtrements complexes.

De quoi à ne jamais être sûr de son chemin, ce qui garantit de nouvelles traversées, toujours renouvelées, développées, dans leurs conceptions comme dans leurs mises en situation.

Cette réflexion en cours va se concrétiser par une série de traversées sonores thématiques, prenant vie pour l’instant à partir des textes rédigés pour la circonstance.

On peut envisager par la suite des pièces sonores venant dialoguer avec ces textes, en contrepoint, pas forcément illustratifs, mais amenant une façon de voir par l’oreille certaines traversées et leurs potentiels modes et processus exploratoires.

On peut également envisager une série de PAS-Parcours Audio Sensibles, autour des traversées, expérimentations concrètes, collectives, sur le terrain, qui amènera une couche de pratique et de sociabilité, chose pour moi primordiale à tout projet de recherche.

Action !

Voyons ici quelques façons, non exhaustives et non hiérarchisées, de traverser les paysages sonores sans trop s’y perdre, quoiqu’en osant les explorations favorisant les pas de côté.

Les traversées, des modes et processus exploratoires

Traversée n° 1 – Les seuils, frontières et espaces intersticiels

Être à la limite, être aux limites, voire les dépasser, y compris de l’oreille.

Où les chercher, car ces dernières ne sont pas forcément clairement marquées, identifiées comme telles.

Comme des frontières plus ou moins matérielles, plus ou moins immatérielles, parfois indécises.

Où rentre t-on dans la ville, ou ailleurs, par l’oreille ?

Où en sort-on, et le cas échéant comment ?

Existe t-il des seuils par où passer du dehors au dedans, et inversement, d’un plan sonore à un autre, ou d’une scène acoustique à une autre ?

Des seuils où se tenir en attente, attente d’une invitation à pénétrer dans un paysage sonore, invitation à le quitter ?

Les lieux interstices où les sons fondent, se confondent, en des espaces mouvants.

Se tenir ici et entendre au-delà, ou inversement.

Être au croisement de champs acoustiques qui se télescopent, agrandissent ou resserrent leurs bulles, notre audio-bulle, nous questionnent sur la place à tenir, comme écoutant, plus ou moins actif, ou non…

Les espaces intersticiels sèment le doute dans une géolocalisation auriculaire. Suis-je encore ici, ou déjà là, ou temporairement ici et là ? L’entre-deux fluctue dans ses flux-mêmes.

Les interstices sont aussi espaces de jeu, faire de l’incertitude, du flou audio-géographique, de l’entre-espace, des terrain d’explorations, de transitions, des zones tampons, par exemple dans un parcours friand de surprises, qu’il nous faut, sérendipité oblige, laisser venir.

La notion de passage se noie t-elle dans l’écoute, ou l’écoute dans le passage ?

Le passage, en terme de parcours devient un jeu de mixage d’une ambiance à une autre, le promeneur un DJ se jouant en marchant des frontières poreuses mais néanmoins tangibles, audibles. Les pieds et les oreilles comme une table de mixage à 360°, et en mouvement. L’instabilité intrinsèque du son rajoute une dose de piment stimulant la traversée d’espaces dont on ne peut jamais savoir exactement ce qui se passera lorsqu’on l’arpentera.

Les seuils et frontières acoustiques sont par essence mouvants, au gré des vents, des écoutants, des perceptions, des déplacements…

Lorsque l’on entend deux clochers de deux villages ou quartiers différents, chacun interpénétrant le territoire de l’autre en bonne entente, sans velléité conquérante, la notion d’espace élargi, de repères spatio-temporaires partagés est alors bienveillante.

La notion de porosité acoustique doit être pensée comme un facteur déterminant. On peut enfermer une lumière entre quatre murs aveugles, pas forcément épais, mais il est plus difficile de contraindre une onde acoustique qui met les matériaux eux-mêmes en vibration. Les espaces intérieurs et extérieurs, sauf traitements complexes, mêlent leurs ambiances acoustiques, pour le meilleur – sentiment d’ouverture, de non enfermement; et pour le pire – sentiment d’intrusion, voire d’invasion, dans des espaces parfois intimes.

Dans des lieux d’enfermement, la prison en étant un par excellence, la communication sonore, est très impressionnante lorsqu’on la découvre pour la première fois. Un vacarme organisé, qui tente de faire exploser les murs, de garder a minima un contact humain, car décloisonné, autant que faire se peut.

Dans la scénographie sonore muséale, peut-être que cette notion de porosité acoustique nous pousse à penser des ambiances globales plutôt que cloisonnées, ce qui d’ailleurs fonctionne rarement correctement ou tend le visiteur à chausser des casques audio l’isolant du milieu ambiant.

Dans l’aménagement du territoire, ces porosités capricieuses devraient nous faire réfléchir à des cohabitations plus vivables, amènes, pour des habitants/usagers, dans leurs déplacements, activités, leurs besoins des zones apaisées, oasis acoustiques non pas coupées du monde, mais simplement protégées de ses sur-tensions sonores, ou autres. Des lieux ou parler reste chose facile sans crier…

Construire un mur anti-bruit est mettre une frontière sonique entre deux espaces, dont l’un doit généralement être protégé d’un vacarme invasif, intrusif, si ce n’est hégémonique.

La tentative de segmentation d’espaces acoustiques, supposons l’un calme et l’autre non, fait naitre des expériences de zonages acoustiques, recherchant des bulles de confort, pas forcément pertinentes, voire insoutenables, socialement parlant.

Se couper des bruits en s’enfermant derrière des doubles vitrages et des murs acoustiques peut vite virer à une forme d’autisme sclérosant, enfermant, isolant, dans le pire sens du terme.

Mieux vaut réfléchir en amont aux problèmes de cohabitations sonores potentiels, et prévenir que guérir, ou réparer partiellement les dégâts d’un territoire sonore non pensé.

Les limites et les seuils ne doivent pas être envisagés comme des espaces géographiques excluants, clivants, mais comme des interstices féconds, où un brassage dynamique favorise les bonnes ententes.

La belle écoute doit rester un objectif articulant le plus harmonieusement que possible les espaces et milieux sonores toujours très fragiles. Trop ou trop peu de frontières est un écueil à prendre en compte.

Des séries thématiques vers un paysage sonore global

Selon les lieux, les projets, la façon de travailler, de collecter de la matière, de la mettre en forme, sera parfois très différente.
Des processus, façons de faire, vont très vite apparaitre comme plus opportuns, adaptés à la situation de l’espace et du moment.
Cette semaine, immergé dans une haute vallée pyrénéenne, l’écriture sonore va passer par un collectage et un travail autour de thématiques acoustiques. Selon les opportunités hasardeuses, les périples, les envies, certains jours seront dédiés à une série de sons traitant d’un sujet commun, d’un micro événement, d’une thématique anticipée ou non.
Sur d’autres lieux et à d’autres moments, il en ira différemment.
L’écriture d’un paysage sonore in situ partira donc ici d’éléments de même nature, ou très proches, traités par petits blocs, avant d’être ré-assemblés, pour aller vers une composition audio-paysagère plus globale.
Au départ, des éléments a priori indépendants les uns des autres, dissociés, presque autonomes, pour aller, à l’aune d’une sorte de description phénoménologique, vers un paysage sensible, construit de briques sonores agencées par le montage et le traitement audionumérique.
Prenons par exemple quelques thématiques rencontrées lors de mon actuelle résidence montagnarde.
Des oiseaux, premier jour et heure bleue, passereaux, rapaces et hirondelles, la gente avicole se fait entendre.
Des eaux, rigoles, pluies,fontaines, torrents, cascades… Le paysage est à cette époque printanière ruisselant.
Des voix, des timbres, des activités, des accents, des dialectes, les voix synonymes de vie et d’espaces sociaux…
Du campanaire, des cloches d’églises et de chapelles, des ensonnaillements de troupeaux, le paysage tinte.
Des phénomènes météorologiques, vent/pluie/orage, le ciel printanier est très changeant en montagne.
D’autres sonorités plus singulières, telles que celles d’un hélicoptère tournoyant longuement au dessus d’une montagne, élément sonore habituel dans ces contrées. Peut-être à mettre en analogie avec les oiseaux, un sujet potentiel autour des « sons volants ».
Tous ces marqueurs sonores, plus ou moins permanents ou plus ou moins éphémères, recomposés entre eux, me permettront de dessiner des ambiances sonores qui, à défaut d’être réalistes, dresseront un portrait auriculaire des lieux. Portrait bien sûr en temps que représentation subjective et personnelle, mais où chacun pourra je l’espère, ici ou là, à un moment ou à un autre, s’y retrouver.

Résidence audio-paysagère à Luz Saint-Sauveur
Accueillie par Ramuncho Studio et HANG-ART
Mai 2021

Points d’ouïe, des torrents de sons en cascades

Digital Camera

Suite de mes aventures auriculaires pyrénéennes.
Hier, explorations hydrologiques de la vallée du des Gaves et des alentours du Cirque de Gavarnie.
De l’eau à foison, des couleurs plein les yeux, du bouillonnement plein les oreilles, et un vent revigorant.
Grand merci à Béatrice, ma guide, qui m’a conduit le long de ces voies d’eau.
Ce territoire, autour de Luz-Saint-Sauveur est d’une richesse paysagère, sonore y compris, qui met les oreilles et les micros en liesse.
Des torrents qui, parfois quasiment étales, parfois impétueux, dont les flux viennent se briser avec fracas sur les écueils de roches, des éboulis chaotiques, ces versants de montagnes qui canalisent torrents et cascades, ne cessent de nous éblouir.
Au détour d’un virage, un spectacle aquatique des plus impressionnant qu’il m’ait été donné de voir, et d’entendre. La centrale hydroélectrique de Pranières fait un lâcher d’eau spectaculaire. Une bouche à flanc de montagne crache un volume d’eau incroyable, gigantesque vomissure blanche, écume dantesque, dans un bruit de tempête, qui va s’écraser dans le lit d’un torrent en contrebas. Difficile de décrire la scène, et même d’en enregistrer ce bruit blanc démesuré.
Tout au long de notre ascension, nous ferons des haltes, là où les rives permettent de s’approcher des eaux.
De torrents en cascades, toute une nuance de bouillonnements, glougloutis, clapotis, grondements, chuintements, du plus discret au plus invasif s’offrent à nos oreilles rafraîchies. De quoi à écrire une nouvelle Histoire d’eau, récit fluant de cette vallée.

Digital Camera


Le cadre visuel vient  apporter un contrepoint qui offre des points de vue à la hauteur des points d’ouïe, et vice et versa.
Ce voyage au fil de l’eau me laisse épuisé – champ sémantique adéquat – auditivement repu, mais Oh combien heureux de l’expérience sensorielle vécue.
Je sens qu’il reste encore à creuser le sujet, que d’autres scènes aquatiques sont à découvrir, explorer, ausculter.
Et que le travail d’écoute, de montage, de mise en récit va s’avérer aussi riche que difficile, devant la diversité de matière collectée, sonore et visuelle.
L’aventure ne fait que commencer.

Digital Camera

Point d’ouïe, Massalia Sound Si j’taime

Contexte

Arpentages marseillais

Cette résidence artistique est née d’une impulsion, d’un appel sur des réseaux sociaux, suite à une série de confinements et autres empêchements dus à des contraintes sanitaires rendant les déplacements, espaces de travail restreints, et productions artistiques publiques quasiment réduites à néant.

Devant cette situation pour le moins compliquée et contraignante, une résidence de forme assez libre voit le jour, par l’invitation spontanée et généreuse de Caroline Boé, artiste sonore et chercheuse autour de la pollution sonore « invisible », due à des micros sonorités envahissant insidieusement nos espaces de vie.

Balades écoute en duo, solitaire, groupe, enregistrements, échanges et conversations autour de nos pratiques, rencontres, écritures multiples, arpentages s’en suivront joyeusement, comme une sorte de workshop un brin free style, ballon d’oxygène jouissif dans ces situations sanitaires tendues.

Premier volet d’une série de rencontres à venir, d’expériences à construire, de récits à croiser ; les oreilles ont besoin d’air, le corps d’espaces et de rencontres…

Remerciements

À Calorine et Jean-Eudes qui m’ont si gentiment accueilli et offert un lieu de travail formidable ; à leurs salades et petits plats riches en couleurs et goûts

À Éléna Biserna, Nicolas Mémain, et Caroline Boé, qui ont œuvré avec moi à l’écriture et à l’exécution polyphonique de 2M2B, une balade sensible pleine de rebondissement sonores

Aux participants, au public qui ont joué le jeu de répondre à nos sollicitations parfois bien surprenantes

A Sophie Barbeau pour la présentation visite de son beau projet de jardin partagé à la cité Castellane

Au bureau des guides pour le sympathique entretien que nous avons eu, ainsi qu’à George Withe

A tous les marseillais, marseillaises croisés ici ou là ; commerçants ou flâneurs.

Au superbe temps ensoleillé, propice à de belles déambulations

À Marseille la pétulante, qui sait offrir le meilleur d’elle-même à qui prend le temps de l’arpenter.

Premier arpentage, ces sons qui nous envahissent

Ma compère Caroline, artiste sonore et chercheuse, travaille actuellement sur une thèse autour de sons envahissants, problématique autour de laquelle elle a construit une méthodologie et des outils de création recherche.

https://anthropophony.org/a_propos.php

Pour cette dernière, la promenade urbaine, l’enregistrement et la compilation description, sur un site dédié, forment une série d’outils qui vont alimenter le travail de réflexion, et questionner les auditeurs urbains que nous sommes parfois, la présence dans l’espace public ces étranges objets sonores qui peuplent, parfois insidieusement, nos espaces de vie.

Caroline m’entraine donc, dans nos premières balades, écouter ces sons parfois étrangement fascinants lorsqu’on prend le temps de les écouter. Je redécouvre Marseille par le petit bout de l’oreillette, oreille collée, sensible à des drones insistants bien que quasi ignorés, ou inconsciemment filtrés de nos conscience auditive ; effets de gommages psychoacoustiques… Protection inconsciente, sonorités résiduelles peu prises en compte dans l’aménagement urbain… Mais aussi, sans doute paradoxalement, de beaux objets sonores esthétiques pour l’artiste sonore.

Rencontres sonores en chemin

Alarme de grille fermée, dérèglée https://anthropophony.org/sons.php?id_aff=841

Distributeur de boissons et de malbouffe, sation de métro https://anthropophony.org/sons.php?id_aff=844

Prises de sons, photographie et site Caroline Boë

Paysage sonore station de métro Castelanne

Grondements, claquements, voix, bips, ronflements, ronronnements… La vie acoustique marseillaise souterraine. Un univers acoustique somme toute très immersif !

Prise de son et mixage Gilles Malatray

Points d’ouïe et milieux sonores indisciplinés

Discipline versus indiscipline, ou vers l’indisciplinarité*
La discipline est, pour être effective, ou efficace, encadrée de règles, de codes, d’obligations ou de suggestions, bien souvent (trop) stricts.
C’est aussi un champ, une spécialité, notamment professionnelle, pouvant généralement être marquée du même défaut que dans l’acception précédente, de par ses cadres trop cadrés.
L’indiscipline elle, est entre autre choses une façon de refuser une trop grande soumission, de faire un, ou plusieurs pas de côté, de résister à des carcans étouffants.
L’indisciplinarité, c’est être dans une forme d’in-discipline permettant de ne pas s’enfermer dans une discipline trop catégorisante, une spécialité qui nous collerait à la peau en nous contenant dans des pratiques bien balisées, nous laissant peu d’échappatoires.

Du paysage/environnement/territoire au milieu sonore
L’approche du paysage sonore induit une prise en compte de constructions esthétiques, artistiques.
L’approche de l’environnement sonore induit un axe écologique, écosophique.
L’approche de territoires sonores induit la considération des aménagements territoriaux, sociaux, législatifs, géographiques…
La problématique posée en termes de milieu sonore plutôt que de paysages environnements et territoires, comme angle d’attaque, permet de ne pas sur-cloisonner les axes pré-cités, de travailler avec différents corps de métier pour indisciplinariser des formes de recherche-action. On appréhende ainsi un lieu comme un système intrinsèquement complexe, tissé d’inter-relations, d’hybridations, de transformations toujours en mouvement. La complexité étant difficile à appréhender via des outils trop cloisonnants, ou des approches trop cloisonnées, l’indisciplinarité offre des ouvertures vers des formes d’inouï.

Mouvements, pauses et mobilités
Arpenter un lieu/territoire dans une approche sensible et kinesthésique, fait que le corps va se mesurer (arpentage), se frotter au lieu, s’immerger dans ses ambiances, les ressentir à fleur de pied, de peau, d’oreille..
Parcourir un lieu territoire, ou en écrire des parcours partageables, fait que le corps va s’inscrire dans des itinéraires, des cheminements auriculaires plus ou moins balisés, tracés, ou dans des errances convoquant les aléas des espaces et temporalités. Envisageons les parcours comme des sortes de partitions écrites, griffonnées, jouées, interprétées, en gardant une part d’improvisation, une marge d’inconnu, le risque de l’improviste.
Résider, être en résidence, fait que le corps habite, plus ou moins longuement, un lieu/territoire. Il y prend ses marques, ses repères, crée des pensées/actions in situ, des productions matérielles ou immatérielles, toujours avec l’intention de croiser les disciplines, au risque, assumé si ce n’est recherché, de les détricoter.
Se poser, c’est prendre le temps d’installer des points d’ouïe, donc d’installer l’écoute, de s’installer dans l’écoute, dans une certaine durée, ce qui participe à la conception d’une rythmologie alternant et entremêlant tensions et détentes, mouvement et immobilité.
Voyager, c’est faire en sorte que ce travail puisse se construire au gré d’ateliers nomades, même dans de proches distances, passant de lieux en lieux, de résidences en résidences, écrivant une trame géographique à la fois commune aux milieux sonores arpentés, et nourrie de singularités, d’opportunités, d’aléas.
Rencontrer, c’est profiter de l’occasion (kairos) de rencontres multiples, qui seront ici d’autant plus indisciplinées que ces dernières pourront être imprévisibles. Il faut donc se laisser, en plus du temps de faire, la disposition, la latitude, de rester ouvert à toute rencontre, surtout fortuite, surtout les plus improbables, qu’elles soit géographiques, humaines, sensorielles…

Du terrain à la réécriture interprétative, à l’aune de technologies ad hoc
Il nous faut commencer par l’écoute, la prenant comme base, comme socle de la perception, de l’immersion, déclencheuse ou enclencheuse d’écritures plurielles.
Nous pouvons user de la captation, enregistrer, glaner, collecter, recueillir, sons et ambiances, matières à re-composer, à installer, diffuser, partager, sans trop nous limiter à des choix très sélectifs, très cadrés.
Nous bidouillons des dispositifs audionumériques, audiovisuels, quitte à les détourner de leurs fonctions initiales, à en superposer les modes de jeux de façon anachronique, inusuelle.
Il s’agit là de jouer, rejouer, sonifier, interpréter, improviser, installer… des paysages sonores improbables.
Nous pouvons également avoir recours à des technologies embarquées, glisser du réel au virtuel, du factuel au conceptuel.
Au final, nous jonglons, jouons, brassons, décalons, des approches plurielles favorisant l’indiscipline, pour tenter de les rendre plus fécondes dans leurs pas de côté, leurs chemins de travers.

Il ne faut pas cesser de brasser, bidouiller, tricoter, tordre le cou, l’oreille, hybrider…

Vive l’indisciplinaire indiscipliné !

Rumeurs du jour, point d’ouïe de ma fenêtre

Un lundi matin, ciel assez clair, lumineux, entre trouées de bleu et floconnements de gris.

Températures plutôt douces pour un début février.

La fenêtre du salon est ouverte sur la rue, vers 10 heures du matin, pause thé.

Je m’y tiens, accoudé à la barrière, écoutant en guetteur de sons pour un instant.

Peu de circulation, vacances et Covid associés font entendre une ville plutôt calme.

Quelques voitures néanmoins, sporadiquement, traversent la scène d’écoute, mais sans vraiment la brusquer, avec un certain ménagement.

Et toujours, à toutes saisons, les pigeons roucouleurs, répétant inlassablement, de façon quasi identique, jusqu’à un certain agacement, la même phrase scandées en trois itérations obstinées.

Des passants, deux exactement, devisant, sortent de la boulangerie voisine. On saisit jusqu’au bruissement du papier enveloppant leur pain. Preuve s’il en fut d’une ambiance auriculaire plutôt apaisée.

J’aime laisser entrer des nappes sonores dans la maison, surtout lorsqu’elles se montrent raisonnables, ou raisonnées, comme aujourd’hui.

J’adore les capter les jours de marché, juste au bas de mes fenêtres, sur un long déroulé de trottoir.

Aujourd’hui, pas de marché, juste une ambiance qui ne fait pas de remous, qui ne s’agite pas outre mesure, qui laisse à l’oreille le temps de se poser, et à l’espace de se déployer.

C’est un point d’ouïe parmi d’autres, dans le quotidien du quartier.

Une courte sonnerie de cloches, hissées sur au sommet de leur tour de guet ajourée, à quelques encablures de ma fenêtre, vient secouer la torpeur ambiante. Ce marqueur spatio-temporel qui signe le paysage sonore alentours, je l’apprécie toujours autant, surtout dans ses grandes envolées de midi. Mélodies joyeuses sur quatre notes d’airain.

C’est maintenant un hélicoptère qui vient trouer l’espace sonore, vrombissant de toutes ses pâles, et traversant sans ménagement, est-ouest, le quartier.

Lorsqu’il a quitté ma zone auditive, son émergence laisse place à un retour au calme, comme une échelle-étalon de décibels posée ponctuellement, pour mesurer les dynamiques, les rapports signal/bruit, les fluctuations vibratoires qui se plient et déplient à mes oreilles curieuses.

Sans être jamais silence, ou bien alors silence relatif, le calme reprend le dessus.

Un chariot à commissions fait sonner les aspérités du trottoir. Il les révèle, les sonifie en quelque sorte. Il crée des rythmes en jouant sur les fissures, les micros anfractuosités, les rugosités de l’asphalte. C’est une sorte de lecture d’une carte sonore déroulée à nos pieds, que les roulettes déchiffrent à la volée, en fonction de leurs trajectoires impulsées par le piéton chauffeur. Telle l’aiguille d’un tourne-disque lisant les sillons d’un vinyle pour leurs donner de la voix.

Le passant tireur de chariot à commissions est une sorte de DJ urbain qui s’ignore. J’aime bien penser à cette image décalée, d’une forme d’orchestre éphémère, avec ses solistes et ses chœurs, jouant des partitions à même le trottoir, improvisant des musiques de ville même un brin bruitalistes.

Cela me rappelle une forme de parcours sonore-performance, avec des étudiants d’une école d’architecture et d’urbanisme de Mons (Be). Durant celui-ci, nous avions fait sonner la ville via les antiques pavés de son centre historique, en tirant des valises à roulettes entourant un public de marcheurs. Nous nous arrêtions brusquement, immobiles, pour jouer d’un effet de coupure assez radical, qui faisait alors se redéployer les sons momentanément masqués par les grondements de nos caisses de résonance mobiles improvisées. Nous écrivions et interprétions ainsi , in situ, un rythme de ville au gré des sols et des pas, arrêts compris.

Mais revenons à ma fenêtre.

Les grands absents du moment sont les bars, les deux débits de boissons tout près de chez moi, muets depuis quelque temps déjà, empêchés par les mesures sanitaires en vigueur. Un seul son vous manque et tout est dépeuplé. Et ce n’est pas ici une simple figure de style, mais un constat personnel de carences. La socialité urbaine, écoutable dans des ambiances conviviales, est fortement bridée par la fermeture de lieux de retrouvailles. Ce qui laisse un creux, sinon un vide, parfaitement décelable à l’oreille. En attendant un hypothétique retour à la normal.

Le calme n’est pas toujours havre de paix, il peut également marquer l’engourdissement, le musellement social, la privation de libertés dont on avait inconsciemment perdu la valeur intrinsèque, et que l’écoute nous rappelle.

Des enfants jouent sur la place voisine. Ballons, trottinettes, cris et autres et rires. Cette place, au cœur du quartier, couvre-feu aidant, n’a jamais été si peuplée d’enfants et de leurs parents, retrouvant par la force des choses une fonction sociale vitale. Si certains sons montrent une paupérisation sociétale, d’autres tendent à rééquilibrer l’ambiance et la vie au quotidien. Et là encore, l’oreille est bonne informatrice pour qui sait prendre le temps de l’écoute, et capter le pouls auriculaire d’un espace, y compris de nos lieux de vie qui nous racontent tant de choses.

La pause que je me suis accordée tirant à sa fin, mais était-ce vraiment une pause ou l’installation d’une énième écoute, d’un des innombrables points d’ouïe venant alimenter mon travail, je referme la fenêtre, mettant fin à cette écoute réflexive, qui a alimenté ce texte à la volée. Comme des cloches tintinnabulantes.

Partition de PAS – Parcours Audio Sensible N°18 « Les guetteurs de son »

Point d’ouïe immobile, CEGEP de Drummondville (Québec »)

Translate this page

Lieu : Partout, espace public

Temporalité : Jour, nuit, sur une longue durée

Actions : Promenade immobile; Écoute au long cours, choisir un lieu d’écoute; s’y installer (confortablement); écouter, sur une longue durée, minimum une heure, une demi-journée, une journée, plus…; s’installer dans une écoute performance immersive, collective, prendre le temps d’installer un geste d’écoute.

Publics: De une à… personnes

Remarques : Prévoyez des postures pouvant alterner les stations assises, debout, voire allongées, en marchant très lentement, dans un faible périmètre si nécessaire.

Possibilité de faire des relais pour une écoute marathon ancrée dans la durée

Le titre est une référence hommage à une pièce de Georges Aperghis et une installation éponyme d’Aciréne « Le pavillon des guetteurs de sons »

Ce soir-ci, point d’ouïe

Translate this page

Je suis sorti
Je suis sorti ce soir
Je suis sorti comme tous les soirs
Je suis sorti marcher
Je suis sorti écouter
Je suis sorti dans mon heure autorisée
Autorisée à marcher
Autorisé à écouter
Autorisé à être dehors, dérogation en poche
Autorisée à écouter la ville
Autorisée à écouter mon quartier, dans son kilomètre circonscrit
J’ai choisi, comme souvent, de le faire à mon heure préférée
Celle entre chiens et loups
Partir à nuit tombante
Rentrer à nuit tombée
Et dans cette toute petite fenêtre
Fenêtre d’une soixantaine de minutes
Il s’est passé bien des choses
Nous sommes en confinement
On devrait le sentir
On devrait le ressentir
On devrait l’entendre
On devrait le percevoir
Aux travers des sons étouffés
Aux travers leur disparition
Aux travers leur absence
Et pourtant
À l’écoute, je ne l’entends guère
À l’écoute, je ne l’entends pas
À l’écoute, je ne l’entends même pas du tout
À l’écoute, rien ou presque n’a changé
À l’écoute, rien à voir, rien à entendre
Avec le précédent état d’enfermement
D’enfermement logiquement similaire
Celui de ce printemps passé
Avec sa sidération plombante
Avec ses silences associés
Ce soir-ci
Ce soir-ci, les voitures, sont presqu’aussi prégnantes que de normal
Ce soir-ci,comme si de rien n’était, la rue bourdonne
Ce soir-ci, des flux piétonniers, aussi normaux
Ce soir-ci, des enfants qui jouent sur les places et les trottoirs, aussi normaux…
Ce soir-ci, c’est presque rassurant, en apparence.
Ce soir-ci, du presque normal, dans l’air du temps.
Ce soir-ci, des sons triviaux, sans, comme précédemment, les oiseaux en héros.
Ce soir-ci, pas ou peu de décroissance sonique
Ce soir-ci, un entre-deux auriculaire
Ce soir-ci, une tiède ambiance entre les deux oreilles.
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent bien nous dire
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous prédire
Ce soir-ci, qu’est-ce que les sons peuvent nous révéler
Et pour demain, qu’est-ce que les sons peuvent nous faire comprendre
ou non

Partition de PAS – Parcours Audio Sensible N°16, Calligraphies sonores

Translate this page

Lieux : Partout

Temporalités : Pas de contraintes, de jour comme de nuit

Public : Groupe de 2 à 20 personnes, ou parcours libre en autonomie…

Actions : Ponctuer des parcours d’écoute, des lieux, des villes, des sites spécifiques, par des calligraphies proposant des pistes d’écoute, des points d’ouïe, incitant à expérimenter des postures d’écoute, via un affichage en espace public. Travailler avec des graphistes sur des propositions/partitions originales. (Voir des exemples visuels ci-après).

Remarque : chaque parcours audio-calligraphié est contextualisé dans ses rapports au lieu.

SONY DSC

Extraits de calligraphies Desartsonnants, en partenariat avec la plasticienne Nathalie Bou

Partition de PAS – Parcours Audio Sensibles N°13 – Hauteurs et Points d’ouïe panoramiques

Translate this page

Lieux : Ville, espaces naturels avec collines, belvédères, falaises, escaliers…

Temporalités : Pas de contraintes ni durées

Public : De 1 à 20 personnes

Actions : Choisir un point haut, culminant, dominant un site, une ville, une vallée, une place… Écoutez la rumeur du bas, d’un point d’ouïe panoramique, les émergences, bruits de fond…

Variantes : Faire un parcours de Points d’ouïe panoramiques, enregistrer les rumeurs, les décrire, les comparer, construire des PAS des hauteurs…

Points d’ouïe, une façon d’être au monde

17828026848_35a0746c7d_o

Translate this page

Confiné par cette crise sanitaire qui n’en finit pas de finir, dans une réflexion qui prend parfois, bon gré mal gré, des allures quasi monacales, la notion de point d’ouïe se pose encore, peut-être pour moi plus nécessaire que jamais.
Je creuse cette idée d’écoute, et de lieu et de posture d’écoute, comme un objet portant et maintenant une attention, voire une tension sur le monde environnant, dans tous ses balbutiements, ses incertitudes, ses tâtonnements et sans doute ses peurs d’un avenir plus incertain que jamais.
Des angles d’approche se dessinent.
Le point d’ouïe géographique, le point d’ouïe touchant à l’image, voire à l’imaginaire, et enfin celui qui se rattache à l’idée, à la pensée active développée par une écoute circonstanciée.

Point d’ouïe, de là où je suis, de là où j’écoute
La première approche, sans doute la plus évidente dans l’énoncé même du point d’ouïe, est pour moi celle d’un point d’écoute localisé, géographié, un Locus Sonus, pour reprendre le nom d’un laboratoire de recherche marseillais autour de la chose sonore et de ses mobilités.
La question est donc d’où est-ce que j’écoute ? Comment j’écoute, de là où j’écoute ? Et comment, de là où j’écoute, je peut parler de ce que j’entends, en terme de point d’ouïe ?
Quelles sont les circonstances, ou facteurs, critères, qui m’ont fait choisir tel lieu plutôt qu’un autre ? Un lieu avec lequel je m’entends bien. Qu’elle est la part d’arbitraire, de non maitrisé, d’hasardeux, en regard d’un choix délibéré, réfléchi, anticipé, dans la localisation d’un poste d’écoute, même temporaire et très bref ?
Sans doute peut-on penser que, selon les circonstances, les projets d’écoute, les lieux définis sciemment et ceux qui s’imposent plus ou moins naturellement, alternent et parfois se superposent même, en des cheminements mi-contrôlés, mi-spontanés.
Si l’on prend le cas d’un PAS – Parcours Audio Sensible, d’une marche d’écoute, les points d’ouïe viendront jalonner, entrecouper la déambulation, soit qu’is aient été repérés préalablement, soit qu’ils se présentent de façon quasi incontournable, par des aléas sonores méritant un arrêt sur image sonore.
En fonction du lieu, de son acoustique, de ses sources sonores, activités du moment, l’espace d’écoute que j’aurai décidé comme tel va donc faire entendre sa propre géographie acoustique, du topos et du tempus, là où, et au moment où.
Le point d’écoute, qu’il soit remarquable, emblématique, ou plutôt indifférencié, nourrit la curiosité auriculaire de l’écoutant. Il lui fournit un cadre, un là où je suis, qui permet peut-être de ne pas trop égarer l’oreille dans les méandres infinies des ambiances acoustiques, et parfois des saturations complexes.
Par exemple, la situation de confinement sanitaire, vécue à l’instant où j’écris ces lignes, impose des cadres assez strictes. Mes fenêtres, et parfois le court trajet de mon domicile au lieu où je vais faire mes courses. La situation est ici inédite, et de plus, dure suffisamment pour en devenir lieu d’itération où se comparent les jours qui passent, avec leur monotonie et leurs variations sans cesse renouvelées.
Une expérience du lieu-cadre comme point de référence, pivot et champs d’expérimentation, géographiquement prédéterminé par notre lieu de résidence, et/ou de confinement, est ici totalement inédite, et en cela inouïe.
Fort heureusement, cette expérience du point d’ouïe confiné, fortement contraint est, en tous cas espérons-le, exceptionnelle. Si elle nous pose, voire impose des cadres d’écoutes singuliers et de nouvelles façons de les penser, sa violence et sa durée ne sont pas choses faciles à vivre.
Lorsque nos oreilles retrouverons la liberté de choisir des lieux d’écoute extérieurs, gageons que nous apprécieront plus que jamais ces espaces retrouvés, sons y compris, même si certains redeviennent vite envahissants.
L’importance du « là où j’écoute », de la géographie embrasée par l’oreille, des ambiances intrinsèques à un lieu donné, des activités qui animent ce dernier, humaines, météorologiques ou animales, mettent l’écoutant au cœur du concert de la vie, qu’il soit selon les moments, harmonieux ou bruitistes, concertants ou déconcertants.
On pourrait se questionner, de façon plus systématique, à chaque poste d’écoute choisi, sur le pourquoi et le comment, les raisons qui ont motivé notre choix, et au final, si c’était ou non « le bon lieu », pertinent dans ses réponses auriculaires. Ces questions soulèvent des problématiques toposoniques qui sont très liées au domaine de l’affect, du subjectif, de l’interprétation de ressentis. elles restent ainsi difficiles à évaluer, d’un individu ou d’un lieu à l’autre par exemple. Elles sont à considérer sans doute comme des formes de récits propres à chaque écoutant, et aux climats locaux dans lesquels ll est plongé au cœur de tels ou tels espaces. Néanmoins, ses récits, ancrés dans des points d’ouïe spécifiques, circonstanciés, mis bout à bout, raconteront sans doute pertinemment une histoire de nos paysages sonores en marche, et par-delà, de notre société, Oh combien chaotique et complexe ces temps-ci.

Point d’ouïe, l’image et l’idée que je m’en fais
Je réécoutais il y a peu, des émissions consacrées à Pierre Schaeffer. Intarissable et cultivé, ce personnage qui a dépoussiéré notre façon d’entendre, et bien au-delà, inventer de nouvelles façons d’écrire avec des sons.
Lors de ces entretiens, il parlait régulièrement d’image sonore, comme l’ont entre autres fait François Bayle, Michel Chion, et bien d’autres.
Ces derniers qualifiaient ce qui sortait du haut-parleur, entre musique et ambiances sonores, d’image-de-son, comme des représentations de l’auditeur, représentations d’objets sonores ou musicaux, ou constructions d’un cinéma pour l’oreille.
La question que je pose ici comme postulat, est d’adopter ces modes perceptifs, représentatifs, en regard, ou plutôt en écoute du paysage sonore, et ce par l’entremise du cadre point d’ouïe.
Après avoir donc choisi un lieu, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, nous sommes donc parés pour l’écouter d’oreille ferme, acceptant ainsi toutes les représentations/images qui pourraient en découler.
Prenons l’exemple d’une posture d’écoute, physique, assez classique, dans des approches pédagogiques comme dans des expériences performatives sensibles, l’écoute en aveugle, yeux fermés, avec éventuellement un bandeau…
Le monde du sonore peut effectivement se priver de la perception visuelle, pour parfois entrer plus avant dans une écoute profonde, attentive, immersive.
Même si j’aime associer et corréler les perceptions visuelles et sonores, avec toutes leurs connivences et leurs décalages de champs/hors-champs, cette écoute en aveugle est souvent riche.
Si on prend comme posture d’écoute un mode blind listening, que ce soit en situation de point d’ouïe fixe ou de marche guidée, c’est notamment pour éprouver un peu plus fortement l’image sonore interne, mentale, qui va se substituer à celle du regard ponctuellement confisqué.
Supposons que je sois guidé, en aveugle, dans un lieu qui m’est inconnu, et que je me poste pour l’écouter, sans le voir.
A quoi vais-je me rattacher ? A des sources connues, reconnues, courantes, peut-être rassurantes?
Ou bien au contraire à des choses spécifiques, singulières, pas nécessairement identifiées, et delà questionnantes, si ce n’est inquiétantes ?
Ou encore à un mélange des objets et ambiances sonores que nous avons déjà cataloguées comme reconnaissables dans notre immense banque de sons, et de celles qui devant encore à l’être, donc ignorées, non identifiables.
Et dans quelles sens ces images audio-mentales, ces représentations acousmatiques seront -elles plus ou moins en phase avec une certaine « réalité » du paysage entendu ?
Notre cerveau, par l’occultation de l’un de ses sens, reconstruira t-il un monde crédible, ou se laissera t-il berné par des trompes-oreilles qu’il aura cru reconnaitre ?
Cherchera t-il une forme de véracité ou au contraire un imaginaire assumé, voire recherché, via peut-être des sensations synesthésiques associant sons, formes couleurs,de façon très symboliques ou plus ou moins abstraites… ?
N’étant pas versé dans les domaines de la neuro-perception, je n’ai pas de réponses, ni d’explications suffisamment étayées et fondées, par une approche scientifique, à ces questions, pas plus que des modèles d’analyse efficients sur les expériences sensorielles vécues.
Néanmoins, je peux décrire nombre d’images sonores, fortes, éprouvées lors de parcours d’écoute vécus.
Certaines semblent irrémédiablement gravées dans ma mémoire. Des perceptions d’espaces, de profondeur, des géographies palpables de l’oreille, qui sont durablement associées à des lieux bien précis, des événements, des moments d’actions collectives…
Lors d’un parcours nocturne, souvent propice à la fabrication d’images mentales, nous nous sommes retrouvés, un groupe d’une vingtaine de personnes, dans un champ herbeux, dominant une vaste combe, à nuit tombée, allongés dans l’herbe, yeux fermés, durant une bonne vingtaine de minutes. Un panorama sonore à la fois sobre et très riche s’offrait à nous. Grillons, oiseaux nocturnes, chiens et vaches au loin, parfois des bribes de musique d’un fête en contrebas… Un paysage sans moteurs, et avec une incroyable mise en espace des sources, des plans acoustiques, des réverbérations lointaines.Tout un monde bruissonnant dans notre tête, créant un théâtre acousmatique, et intrinsèquement des images auriculaires plein les oreilles. C’est en tout cas ce qu’il est ressorti des échanges post promenade, qui elle fut silencieuse, pour être d’autant plus habitée par les sons.
Des exemples comme cela, je pourrais en citer bien d’autres, dans lesquels un imaginaire dopé par une écoute collective se déroule comme un film, dans laquelle, chacun à sa façon sans doute, se déroule ses propres images au gré du point d’ouïe stimulant.
Si je contextualise ces images sonores au prisme des points d’ouïe actuels, et dans un contexte de pandémie qui nous confine et rend notre écoute forcément plus recluse, je vois nettement des changements se profiler.
Par exemple dans ces fameux rituels de vingt heures, où beaucoup de personnes se mettent aux fenêtres et balcons, pour applaudir une profession, huer des politiques, de nombreux champs cadrés et hors-champs viennent créer de nouveaux imaginaires. Je vois les voisins d’en face, et j’en entends beaucoup, à droite, à gauche, au-dessus, que je ne vois pas. J’imagine alors qui sont mes voisins aux casseroles ou applaudissements. Ces spots auditifs, très cadrés dans le temps et dans l’espace, convoquent des images sonores, et visuelles, tendant à remplir une sorte de vide des hors-champs de signifiés audibles.
il y a donc ce que j’entends, le signifiant auriculaire, et l’image et la représentation que je m’en fait, le signifié entendu.
Et le fait de penser un paysage sonore par points d’ouïe permet de réunir et d’activer plusieurs entités structurantes de l’écoute, tel le lieu et le moment comme cadres, les objets écoutés, et les représentations mentales, ou images sonores associées.

Au-delà de l’image que me suggère un point d’ouïe, il y a également le jugement critique que je pourrais porter sur un paysage ambiant au travers cette forme de protocole, ou de scénario de mise en écoute que j’installe par l’intermédiaire du point d’ouïe.
Associé à l’image d’un lieu, des notions d’analyse, de jugement, d’appréciation, émergent de façon inéluctable de ces écoutes installées.
L’idée d’esthétique, que j’ai déjà abordée précédemment entre en jeu. Beau, pas beau, insipide, remarquable… ? Affaire de goût, de culture, et sans doute d’affect du jour et de l’instant. La question du jugement esthétique reste sujette à controverse, d’accord pas d’accord, en parti d’accord… L’urbain peut-il combler les oreilles, ou les agressent t-il a l’envi ? La campagne peut-elle être belle a entendre, ou mortifère, en écoute par exemple de la paupérisation systématique de ses écosystèmes des plaines céréalières dévastées? Je ne rentrerai pas ici dans un débat trop souvent conflictuel. C’est sans doute pour cela que je pose souvent cette question « Et avec ta ville, ton quartier, ta rue, ton village… tu t’entends comment ? Approche certes toujours personnelle, discutable, mais plus ouverte que les dichotomies beau/laid, agréable/désagréable. Les demi-teintes et divergences y sont permises, si ce n’est souhaitées. Le tout restant influencé des affinités sur le vif, quiétude d’un instant, irritation d’un autre, le paysage sonore étant très versatile, les jugements pourront être, d’un moment à l’autre, changeants, contrariés, sans pour autant se contredire.
Mais je reviens ici à l’approche sociale d’un lieu d’écoute, qui elle aussi influera, et de façon très sensible, l’analyse d’une ambiance saisie en point d’ouïe. La posture d’écoute, notamment en espace public, est forcément marquée de la vie sociale ambiante, qui se déroule devant et autour de nos oreilles comme devant nos yeux. Sociale donc politique, au sens premier du terme, en rapport à la chose commune que les sons mettent en scène, parfois en exergue, dans une espace cadré de cité audible.
Cette réflexion prend d’ailleurs un sens tout particulier au cœur de ce confinement sanitaire, qui place les fenêtres ouvertes comme des points d’ouïe privilégiés, sinon obligés.
Donc je me poste, scrute de l’oreille, et sens les tensions, les violences, comme les moments plus apaisés, sinon des instants de quiétude.
Les sirènes, police, pompiers et ambulances, qui sillonnent inlassablement les cités sont des signaux souvent liés à des tensions, dangers, accidents, donc nous font entendre un paysage urbain plutôt stressant.
Dans les périodes de mouvements sociaux, et nous en vivons à répétition ces temps-ci, les cris, slogans, chants et musiques offrent une tonicité frondeuse, mais hélas trop souvent contrariée de heurts, violences, bruits de grenades et autres sonorités aux accents guerriers.
Le son est ici, plus que jamais, un marqueur de soubresauts sociétaux, entre liesses collectives contestataires, généreuses, désir de casser, et répressions, souvent démesurées.
Prendre le temps d’écouter la cité, c’est accepter que la ville politique nous saute aux oreilles, pour le meilleur et pour le pire.
Il ne s’agit plus là d’une image, d’impressions, même si elles sont toujours bien présentes, mais d’une écoute qui nous met en relation directe avec notre monde turbulent, et souvent nous pousse à prendre parti, à accepter, refuser, se retirer, rentrer dans la ronde…
Le point d’ouïe est pour moi étroitement lié au point de vue. Non pas le belvédère d’où je contemple, de loin, un beau panorama, mais celui de l’idée que je défends, parfois à chaud, face aux choses qui ne sont pas que vues, mais aussi entendues.
Un feu d’artifice et une répression à grand renfort de grenades lacrymogènes ne sonnent pas pareil, et surtout, ne s’entendent pas avec la même oreille.
Les points d’ouïe nous font entendre, et comprendre, voire juger un monde parfois emprunt de joie de vivre, mais aussi déchiré de violentes tensions, elles-même signes d’une séries de graves crises et dysfonctionnements parfaitement audibles.
Tendre l’oreille est aussi une façon de rester dans une dynamique d’écoutant actif, tendre l’oreille vers l’autre, et vers tous les signaux à même de nous faire percevoir les menaces multiples de notre époque.
Les points d’ouïe sont pour moi comme des radios ouvertes sur le monde, où via l’oreille l’écoutant à son mot à dire, et la place de se faire entendre.

.

Des Points d’ouïe, l’exemple de Sabugueiro, opus 3

Photo0025

La notion de point d’ouïe n’est pas neuve. Elle a parfois été explicitée, discutée, mise et remise en question, et sujet à controverse.
Peut importe, je la fait ici mienne, partant de mon expérience propre, et d’une des définitions que j’ai forgé au fil du temps, tout en acceptant la polysémie du terme, les différents sens et applications que tout un chacun puisse lui accoler.
M’étant déjà expliqué sur la définition que j’applique aux Points d’ouïe, je ne m’étendrai pas sur le sujet, si ce n’est pour rappeler que je suis proche de l’idée anglo-saxonne de Sweet spot, l’endroit où il faut être pour bénéficier de la meilleure écoute. Et dans le cas d’une écoute paysagère, je dirais l’endroit et le moment, me rapprochant ainsi de l’instant du déclic photographique. Être là juste au bon endroit, et quand il faut. Une part d’instinct, de repérage, d’opportunité, une part de hasard et de chance.
Il y a pour cela des lieux qui se prêtent à ce genre de situations. Des endroits que je sens propices à me fournir de la belle matière auriculaire, visuelle, qui viendra confirmer, à certains moments, que je suis bien sur un Point d’ouïe, ce lieu qui pourra mes donner du grain à moudre, où je reviendrai régulièrement, me poster dans l’attente d’une scène sonore intéressante, belle, construisant un paysage auriculaire intéressant.

Ces Points d’ouïe peuvent constituer, dans des parcours d’écoute, des haltes, des pauses, des façons de zoomer sur une ambiances, de se concentrer sur un objet sonore, une scène, d’en profiter dans toute sa durée, ou tout au moins sur un long temps, le temps de s’en imprégner. Ils jalonnent une marche, constituent des repères spatio-temporels, des points d’ancrage qui quadrillent et dessinent un territoire sonore.
Ce sont très souvent pour moi des bancs publics, mobiliers placés à différents endroits de la ville, du village, d’un sentier, sur un site panoramique… Je me sens d’ailleurs très bien assis sur un banc, regardécoutant ce qui se passe autour de moi, quitte à construire un parcours autour de ces assises favorisant la pause perception sensorielle, et souvent la rencontre inopinée, lorsque l’on pratique un même banc de façon régulière, sur un certain long terme.

Ils peuvent donc être uniques, fixes et servir d’affûts, points d’ouïe d’un territoire de proximité, circonscrits à un échelle spatiale relativement restreinte.
Mais également être multiples, jalonnant voire constituant un parcours d’écoute, un itinéraire pédestre, où la marche alterne avec des pauses auriculaires préalablement repérées.

Nous en répertorierons donc de ces deux natures différentes. Ceux précisément situés géographiquement comme des espaces bien définis, fixes, quasiment incontournables. Des lieux donc bien repérés dans leur dimension géographique et spatiale. Les objets et aménagements sonnants, tels les fontaines, rivières, cascades, cloches, ainsi que les acoustiques, lieux réverbérants, à échos, ou autres effets acoustiques remarquables constitueront des critères de choix pour les choisir et les localiser..
Nous trouveront également ceux, plus aléatoires, improbables, fugaces, éphémères, non repérés en amont, étant plutôt issus de l’instant, du moment, de ce qui se passe à l’instant T, de l’événement inscrit dans une temporalité et non dans une spatialité déterminante. Une volée de cloches, un musicien de rue, un troupeau ensonnaillé, et bien d’autres « accidents » sonores feront que nous établirons, pour une durée en générale indéfinie, car intrinsèquement liée à la chose sonore, un point d’ouïe temporel, qui ne s’appuiera pas sur une géographie acoustique préalablement repérée.

Photo0026

Prenons un exemple concret, géographique, un cas pratique, dans le cadre d’une résidence artistique que je suis en train, au moment où j’écris ces ligne, de vivre.

Je me trouve, milieu juillet, dans un petit village Portugais, à Sabugueiro, littéralement le Sureau noir, au cœur de la montagne Serra da Estrela, dans un magnifique Parc Naturel.
Le petit village de Sabugueiro, le plus haut en altitude du pays, s’étire en longueur, traversé par une route sinueuse et pentue, au bord de laquelle s’enchainent des magasin de produits locaux, nourriture et peaux, des, chambre d’hôtes et d’hôtels, des restaurants.
A chaque extrémité, des points culminants, cols rocailleux, où la majorité des arbres ont été calcinés par de récents et violents incendies. L’aspect de ces montagnes jonchés d’énormes blocs de pierre est à la fois fascinant et un brin austère.
Au bas du village, une rivière creuse un profond sillon aquatique verdoyant. De nombreuses sources alimentent le cours d’eau Alva, espace rafraîchissant et joliment glougloutant.
En haut de la rue commerçante principale, se tient le vieux village, site historique très pittoresque, dont les habitations, église, fontaines, sont construites dans un beau granit gris bleuté. Village minéral, pavé à l’ancienne, et dont les bâtisses se parent de grandes plaques granitiques du plus bel effet.
Peu de touristes, qui restent généralement vers ls commerces de produits locaux et de peaux, le cœur de Sabugueiro reste dans son jus, espace rural préservé, lieu calme et retiré.

Dans ce cadre géographique rapidement brossé, je vais donc mettre en place mes deux types de points d’ouïe, après l’arpentage repérage qui me permettra de rentrer dans l’intimité sonore des lieux, lieux dans lesquels je resterai deux semaines environ.

Le premier repérage sera celui de points d’ouïe répartis sur un petit circuit, en contrebas du village, que j’appellerai ici le « chemin de l’eau ». Vous aurez sans doute compris que la trame dominante de ce parcours sera bel et bien l’eau, dans tous ses états.
Lavoirs et fontaines au cœur du village, multiples sources le long d’une étroite sente très verdoyante et l’Alva, rivière en fond de vallon, où se trouve aménagée une aire de baignade.
Un panel de sons aquatiques, des filets d’eau de différents débits, de petits cuvettes naturelles réverbérantes, entourées de fougères, le bruissement régulier de la rivière, parfois entrecoupé de petites variations selon les rochers qui jalonnent et brisent jalonnant le cours. C’est un sentier qui ménage moult variations auditives, des transitions, des coupures où l’on adapte la vitesse de son pas, la fréquence et longueur des arrêts selon nos envies, au fil de l’eau.
Il est d’ailleurs assez rare de pouvoir parcourir de l’oreille un cheminement si cohérent, sans jamais perdre de l’écoute les scènes aquatiques, mais sans que celles-ci, dans leurs grandes diversités, ne deviennent pour autant trop omniprésentes, voire oppressantes. Un bel exemple d’équilibre acoustique.

Le deuxième point d’ouïe sera unique, localisé au centre du bourg historique, sur la place de l’église de Sabugueiro. L’environnement visuel et acoustique m’a très rapidement conduit à choisir ce site. Un environnement très calme, éloigné de la route principale, avec très peu de voitures.
Une acoustique légèrement réverbérante et des plans sonores multiples, dans des espaces plein de recoins, de cassures, qui spatialisent agréablement les sources sonores.
La présence d’une cloche, d’une fontaine, d’un lavoir, vient ajouter des éléments acoustiques à la fois ponctuels et d’autres stables, des signaux émergents sur un continuum aquatique discret.
La présence de confortables bancs de bois, comme postes d’écoute vient compléter cette scène acoustique très agréable.
Peu de touristes s’aventurent dans ces rues étroites, minérales et pentues, dommage pour eux, et tant mieux pour la tranquillité de ce centre bourg.
Des scènes sonores viennent parfois secouer la place dans sa douce torpeur. Le passage d’une très ancienne moto pétaradante, un concert de chiens, deux enfants qui jouent avec un chien, ou au ballon, une fête qui se prépare un peu plus haut, l’incroyable passage d’un troupeaux de chèvres ensonnaillées, la conversation d’un couple qui prend l’apéritif sur un banc… Petites événements ponctuels. Puis très vite, tout s’estompe, le calme revient.
Espace propice à enregistrer, pour fixer cette ambiance amène.
C’est un lieu à longues pauses, à nuit tombante, un espace contemplatif, où il faut jouir de ce calme, de cette sérénité apaisante, de ce sentiment d’être dans un monde à part, protégé, à la fois bien vivant et échappant au stress et à la grande branloir du monde, comme disait Montaigne. Assurément un des plus agréable Point d’ouïe que j’ai connu depuis longtemps, lieu d’aucultation serein du temps qui passe devant mes oreilles ravies.

Photo0027

Résidence artistique Paysage sonore à Sabugueiro (Portugal) avec le Festival DMEHostel criativo – Juillet 2019

PAS – Parcours Audio Sensibles made in Russia

RUSSO1

Pour une dizaine de jours, Desartsonnants est invité, dans le cadre d’un programme « Paysage sonore » par l’Institut Français de Saint-Pétersbourg à poser ses oreilles à Saint-Pétersbourg, Kronstadt, une ile voisine et Kaliningrad, dans un circuit auriculaire en bord de la mer Baltique.

Quatre PAS, de nombreuses visites/repérages, une conférence autour du Soundwalking et un concert jalonneront ce périple Russe.

Ma première surprise sera visuelle. Après quelques mésaventures aéronautiques et aéroportuaires, changement d’une roue d’avion juste avant le décollage et disparition de ma valise à l’atterrissage, nous arrivons à Saint-Pétersbourg en milieu de nuit, entre deux et trois heures du matin. Et c’est là que je découvre ces fameuses nuits blanches. Des journées de plus de 18 heures de jour, qui laissent place, non pas à une nuit noire, voire sombre, mais à un superbe entre-deux où on ne sait pas si le jour tombe ou se lève. Des couleurs blanches, rosées, des ambiances qui me rappellent ces célèbres contrastes surréalistes de ville nocturnes sous un ciel diurne, telle « l’Empire des lumières » de René Magritte. Premier beau dépaysement !

Je m’apercevrai d’ailleurs que ces longues nuits, qui plus est chaudes à l’heure de mon séjour, ne sont sans doute pas sans conséquences quand aux ambiances sonores nocturnes dans la bouillonnante cité.

Premier jour, un départ pour l’ile de Kronstadt, toute proche de Saint-Pétersbourg.

Une ile sur la mer Baltique, en Russie, Kronstadt, est rattachée à Saint-Pétersbourg. C’est une histoire, presque une épopée de marins, de marine, de bateaux, d’explorations, de conquêtes ou de défenses, de conflits, de mer, d’architectures militaires, et/ou sacrées, de technologies guerrières, des mines, des torpilles, des sous-marins, d’arsenaux de révolution… Des parcs, friches militaires, port, une incroyable cathédrale maritime dans le style Byzantin, façon Sainte Sophie, rutilante et monumentale d’extérieur en intérieur, et puis des rues plus ou moins fréquentées, cette ville/ile ne se laisse pas appréhender si facilement qu’il n’y parait… Écouter cette cité, c’est aussi écouter le vent de la mer, omniprésent, tonique, qui semble chargé de récits épiques sous un ciel contrasté et changeant.

61967104_2954087647942418_2874591181369507840_n

Nous commencerons par une visite guidée qui permettra de situer ce contexte géopolitique si particulier de ce bout de terre, lui-même entouré d’un chapelet d’iles fortifiées, et ayant connu, entre 1917 et 1921, les premières grosses secousses de la Révolution d’octobre contre le régime Bolchevique, qui seront finalement écrasées par l’armée rouge. Une ile où s’armaient et se réparaient de gros bateaux, se fondaient des canons, puis se fabriquaient des torpilles, et où l’on croise toujours beaucoup de marins. Si l’on imaginait les sons de ce territoire bien en amont de notre exploration, les ambiances devaient y être radicalement différentes.

Le lendemain, nouvelle visite libre, accompagnée d’Irina, une bénévole de l’Institut Français qui, outre son talent d’interprète, m’expliquera très gentiment mille détails sur les territoires arpentés, qu’elle apprécie et connaît vraisemblablement très bien.

Je ferai quelques prises de sons, difficiles avec un vent tenace. Entre autre une percussion routière, où une grille de fonte aux motifs ajourés, posée sur la chaussée d’ un petit pont, fera que chaque passage de véhicule, selon sa vitesse, sera une véritable musique de claquements, réverbérés par le pont lui-même. Un objet sonore incroyable et rare dont le PAS public ne fera pas l’économie, mais bien au contraire, établira ici un point d’ouïe incontournable et surprenant.

Je capterai également, discrètement pour ne pas perturber la sérénité des lieux et les cérémonies religieuses, à l’intérieur de la cathédrale de la Marine, des chants Orthodoxes magnifiques, rythmés des cliquetis d’énormes encensoirs. Et, pour confirmer l’ambiance, une magnifique volée de cloches secouant l’ile d’une joyeuse cascade d’airain.

Le PAS sur cette ile fut suivi par une quarantaine de personnes de tous âges, jauge pour moi, qui ne promène généralement que 15 à 20 personnes, tout à fait inhabituelle, Et pourtant le groupe se montra très attentif, très réceptif, au cours de cette bonne heure et demi de voyage sonore.

62156810_2349340828435616_5886678705564024832_n

Des sons, il n’en manqua point. Des proches et des lointains, discrets ou prégnants, ponctuels ou continus, tel le vent grondant ce jour là. Pour moi, plus que pour les écoutants embarqués, la langue Russe, dont je ne comprends pas un mot, hormis spasiba, est une musique qui chante joliment à mes oreilles, et contribue à être partie prenante dans la construction mentale du paysage sonore in situ. La traversée de parcs nous permit d’aller ausculter végétaux et autres objets habituellement muets, mais que les gestes de parcourir, frotter, gratter à l’aide de stéthoscopes et autres longue-ouïes sonifient et j’oserais dire musicalisent en quelque sorte.

Un événement marquant, surprenant, totalement impromptu, survint lors de ce parcours. Nous nous arrêtons sous une voûte menant à une cour intérieure. J’adore les effets acoustiques que j’appelle « effet tunnel ». L’écoute très canalisée par un passage étroit qui oriente, filtre et dirige l’oreille vers deux fenêtres visuelles et acoustiques assez réduites. Alors que nous sommes arrêtés sur, ou plutôt dans ce point d’ouïe immersif, une automobile, une Traban pour être précis, démarre dans une incroyable pétarade, et s’arrête brusquement en coupant le moteur, à quelques mètres de nous, dans ce qui semble alors un étonnant silence. La scène, si inattendue, fait éclater de rire les enfants, et amuse également les adultes. Plusieurs personnes m’ont confié avoir cru que j’avais orchestré cette mise en son quasiment surréaliste. Je leurs ai assuré que cette apparition sonore était dû au plus pur des hasards, ce qui fut le cas. Les PAS ont bien souvent l’art de ménager des surprises où l’imprévu nous joue de beaux tours.

Ce premier PAS s’acheva par un très sympathique picnic où artistes invités et public purent échanger de vive voix, après le silence de la marche d’écoute, jusqu’à ce que la pluie ne se mêle de la partie, fort heureusement en toute fin de journée.

À Saint-Pétersbourg, étant logé dans le centre historique, je pus profiter des chaudes et lumineuses soirées pour arpenter le cœur de la ville, trouver un banc d’observation/écoute à ma convenance, dans le parc faisant face au Théâtre Alexandrini.

Une ville tonique, sillonnée de nombreux étudiants aux rires enjoués, avec ici et là de nombreux musiciens de rue où l’on peut entendre du gros rock, de la chanson traditionnelle et même, à plusieurs reprises des chansons réalistes Françaises. Les courtes nuits qui n’en sont pas vraiment et la chaleur estivale ces jours là contribuèrent certainement à cette joyeuse agitation.

Autre fait marquant, à l’oreille, le passage de bolides, à deux ou à quatre roues, plein gaz, sur la perspective Nevski, grande artère très circulante et passante du centre ville historique. Ce sont de véritables explosions sonores, à des vitesses plus que soutenues pour un centre ville, qui provoquent d’incroyables déflagrations acoustiques, que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’enregistrer. Et c’est là un fait courant qui se répète régulièrement, en journée comme en soiré, mais qui semble s’accentuer lorsque l’heure avance à nuit (presque) tombée.

Le centre de Saint-Pétersbourg, quadrillé d’avenues tirées au cordeau est donc tonique à l’écoute, si ce n’est parfois un peu plus, pour ne pas dire bruyant à certaines heures et dans certains lieux, son tramway parfois assez ancien en rajoutant épisodiquement une couche . Quelques grands parcs joliment arborés permettent néanmoins de trouver des zones plus calmes.

C’est finalement sur une autre ile, la Nouvelle Hollande, construite entre rivières et canaux, tout d’abord base militaire navale propriété de l’Amirauté, lieu du stockage de bois pour la construction des bateaux, et aujourd’hui, cédée à la ville de Saint-Pétersbourg, en plein réhabilitation, après plusieurs ambitieux projets urbanistiques. Elle est finalement aménagée puis ouverte au public, qui trouve là une sorte de poumon vert, non sans rappeler par ses aménagement attractifs le Parc de la Villette à Paris, ou certains quartiers de l’Ile de Nantes.

C’est donc dans un lieu non circulé, en tous cas par les automobiles que le guiderai deux PAS, l’un pour des étudiants en arts média, l’autre pour un groupe d’adolescent de 14/16 ans.

Comme à l‘accoutumée, un repérage précède les PAS publics. Une visite guidée tout d’abord, avec l’histoire de l’ile de sa « construction » à nos jours, toujours très instructive pour s’imprégner de l’ambiance des lieux, même si les sonorités d’aujourd’hui n’ont vraisemblablement plus guère de ressemblances avec ceux d’aujourd’hui. Puis un deuxième repérage libre, où je fixerai, approximativement, selon ce qui s’y passera, le parcours final.

cfa3b64c-074a-427d-8570-b5117e2b2dce

Le parcours est marqué de voix. Voix de tous âges selon les espaces traversés, promenades, aires de jeux, pelouses, espaces commerciaux. Nous trouvons sur cette ile une grand diversité d’ambiances, de scènes et de couleurs sonores, globalement assez gaies, et surtout échappant aux flux de la circulation urbaine. Les deux circuits, que ce soit avec des étudiants en arts média ou des adolescents se dérouleront très sympathiquement, sans même un casque de smartphone sur les oreilles !

En ce qui concerne la conférence, donnée dans une salle du théâtre d’Alexandrini, je présentai, devant un nombreux public, des exemples de parcours où les approches esthétiques et écologiques croisent très souvent leurs pratiques et propos. De nombreux échanges suivirent mon exposé, ce qui, pour un conférencier est toujours un exercice des plus agréables.

Je fis connaissance, lors de mon séjour, avec le preneur et ingénieur du son Xavier Jacquot, spécialiste de la mise en son pour le théâtre, avec qui nous eûmes de sympathiques échanges. Et je retrouvai également ma voisine Lyonnaise, l’artiste plasticienne Matt Coco, venue avec le centre National de création sonore GRAME, pour une exposition autour de l’art sonore. Le monde est décidément bien petit, en tous cas celui de la création sonore.

Mes hôtes de l’Institut Français m’avaient également organisé une rencontre avec Dmitry Shubin, dans son musée des instruments, au sein d’une surprenante friche artistique, bien cachée dans le centre de Saint-Pétersbourg. Une salle de concert, lieu d’improvisation, de musique expérimentale, abrite de nombreuses lutheries, instruments, objets sculptures, aux définitions fluctuantes, que je peux tester librement. Dmitri est un artiste à la fois très posé et bouillonnant d’idée et de projets. Il dirige un orchestre d’improvisation, travaille également dans le champ des musiques électroniques, électroacoustiques, du field recording. Il a notamment en vue d’enregistrer tous les ponts à mécanismes de la ville de Saint-Pétersbourg, ceux qui se lèvent pour laisser passer des bâtiments de gros tonnages, et ils sont nombreux ces ponts. Nous évoquons l’idée de faire un échange entre ceux de Lyon, non mécanisés, et ceux de Saint-Pétersbourg. Affaire à suivre.

Autre étape de mon périple, Kaliningrad, toujours en bordure de la mer baltique, mais quelques mille kilomètres au sud. En regard de Saint-Pétersbourg, cette ville est Oh combien différente ! Ex Königsberg, la cité est une enclave entre la Pologne et la Lituanie, sur les côtes de la Baltique.

Deux fois quatre heures de marches repérage sous une chaleur plombante, et à tombée de nuit, voire nuit tombée. Je découvre une ville enclavée, lovée au bord de la mer Balte, qui visiblement peine à se reconstruire de son anéantissement durant la dernière guerre mondiale. Elle a connu une reconstruction très hâtive, une population fuyante, questionnant encore aujourd’hui son devenir, ses fragilités, mais aussi l’enjeu de sa ré-urbanisation. Ville surprenante à bien des égards, et qui néanmoins propose de nombreux lieux étonnants, dans le bon sens du terme. Des lieux en déconstruction/reconstruction, espaces entre-deux, ni véritablement abandonnés ni pleinement reconstruits, se jouant dans certaines marges de l’indéfini. Des lieux étranges, mais d’une réelle beauté, pour moi, beauté sauvage du non tout à fait maîtrisé, d’une emprise urbanistique hésitante, en chantier. J’adore ces endroits mi figue-mi raisin, ces espaces entrecoupés de friches végétales ou bâties, entre maitrise urbaine et une certaine sauvagerie qui n’est pas sans me rappeler d’autres villes, notamment celles ayant connu un rapide et brutal déclin, voire effondrement économique ! Demain soir, un PAS public, où je suivrai certainement des chemins de traverse dans des ambiances phono-visuelles que j’espère un brin déroutantes.

3432bc94-00f5-41db-abec-ff916ef0730b

À Kaliningrad, était organisé cette année, comme les précédentes du reste, le festival « Sound Around » consacré aux arts sonores. La thématique de cette édition était assez proche de la création en espace public, avec des rencontres, un parcours sonore et un concert dans l’imposante cathédrale du centre ville.

Je croisai à cette occasion les artistes Audrius Simkunas, Forian Tuercke , Petra Dubach et Mario van Horik, et toute la sympathique équipe du festival emmené par Danil Akimov.

Les repérages effectués, le PAS va pouvoir emmener son public. Et là encore, une quarantaine de personnes m’emboiteront le pas, si je puis dire. Soit le double d’une jauge habituellement haute ! Néanmoins, au-delà de mes craintes initiales devant ce public très nombreux pour ce genre d’exercice, le groupe restera très soudé dans l’écoute.

J’ai choisi non pas la ville des canaux, cathédrale, et centre « historique », mais plutôt la ville où d’’immenses bâtisses, parfois à demi désertées, ménageant des zones de jardins sauvages, d’entre-deux en friche, de passages méandreux, d’espaces surprenants. Une zone globalement assez calme, où les sons prennent, comme souvent dans ce genre d’espaces, une place très marquée, précise, évidente dirais-je. Notre long cortège silencieux ne pas pas inaperçu, c’est le moins que l’on puisse dire ; mais cette fois, je n’entendrai pas, ou plutôt ne comprendrai pas les commentaires qui accompagnent les sourires ou mines étonnées, dubitatives, des passants croisés. Le parcours se révèle riche dans ses ambiances sonores où la voix et certaines activités sportives prennent une tournure esthétique des plus intéressantes. Après une assez longue boucle, je laisse, comme à mon habitude, les paroles se libérer, les questions fuser. Et l’échange final sera très intéressant de par les questions posées. Notons qu’ici, pour l’introduction comme pour le dialogue, une traductrice très sympathique et efficace me permet cette interface humaine sans quoi la communication et l’échange seraient assez difficiles. Durant tout mon séjour, différents traductrices, toutes plus compétentes les une que les autres m’ont grandement faciliter les choses, et je voudrais ici remercier tous les professionnelles de la traduction, croisées ici ou là, en Russie ou ailleurs, pour leur gentillesse et leur talent.

La dernière prestation de ma petite tournée Russe fut un concert dans la monumentale cathédrale de Kaliningrad. Pour ce dernier, j’avais préparé une série de séquences sonores de type field recording, essentiellement avec des sons captés sur l’ile de Kronstat. Un déplacement spatio-temporel en quelque sorte, des sons extirpés d’un lieu et rejoués dans un autre, quelques mille kilomètres plus au Sud, ce qui ceci dit, n’est pas une énorme distance à l’échelle du Pays.

j’utilisais pour triturer les séquences audio, dans une improvisation live d’une trentaine de minutes, un seul et unique logiciel, un multiplayer libre du GRM, d’une efficacité redoutable pour manier boucles et effets de granulation. Le superbe système de diffusion et l’acoustique des lieux feront le reste. On pouvait ici jouer, dans le bel et grand espace de la cathédrale, du presque inaudible jusqu’à une déferlante sonore littéralement décoiffante.

Et c’est après ce concert et une dernière soirée Russe avec les artistes, que je reprendrai le chemin de Lyon, après avoir goûté et joué avec les ambiances sonores de cette tranche Balte d’une Russie qui, dans ma mémoire, reste joliment sonore et accueillante.

Album photos

 

Carte postale sonore en écoute

Des points d’ouïe et les oreilles à l’air !

32154890613_f7de4192f7_o_d

Mes oreilles ont besoin d’air, d’espaces, de diversité, de vie !

Envie de les frotter à la place du marché, aux quais de Saône, ou d’ailleurs, aux terrasses les plus élevées d’un immeuble, ou à celles d’un café, façon Pérec, aux ruelles étroites, aux gares, aux ports et autres aéroports, façon Debord, aux dédales des parkings souterrains, aux résonances des forêts et aux miroirs des lacs, aux grands boulevards et aux passages couverts, aux friches industrielles et aux ruines monumentales, ou plus modestes, aux sentiers de montagne et aux bancs publics, aux escaliers et aux parvis surplombant la ville, aux grottes et autres cavernes, aux galeries marchandes et aux usines de tous genres, aux fenêtres ouvertes, aux combes et aux reculées, aux tunnels et aux chemins couverts, aux crissement de la neige gelée, aux bords de mer et aux fêtes populaires… de nuit comme de jour, immobile ou en marchant, j’ai besoin des sons vivants !

Paysages toniques, micro récits auriculaires

Projet Titre à venir
Haut plateau du massif du Bugey

Centre d’Art Contemporain de Lacoux – 16/27 août 2018

43286532505_17a5267279_k_d

Lundi 8H15
Brume
Une brume effilochée, et pourtant tenace, court sur les arêtes boisées des combes environnantes.
Durant de longs moments, seul un vent tonique se fait entendre, déversant par à-coups une fraîcheur à la caresse par trop revigorante.

Mardi 6H30
Dialogue
Deux buses invisibles devisent, l’une dans une futaie en contre-bas, face au banc sur lequel je suis assis, l’autre à l’orée de la forêt, à flanc de coteau, juste derrière moi.
Elles entament un dialogue matinal, joute de cris-réponses perçants, entrecoupés de silences
qui tracent une ligne d’écoute quasi stable.
Je suis un point d’écoute focal, médian entre les deux rapaces bavards.

44196362921_46ff419d80_k_d

Mercredi 8H30
Rituel
Chaque jour ou presque, dans le champ voisinant notre campement, un rituel sonore se répète à mes oreilles.
Progressivement, une «enclochatement » paysager se fait entendre, poudrant la prairie de droite de tintements malicieux.
Le troupeau de chèvres de notre hôte s’installe en gambadant, parfois caché dans les prémices de la forêt, parfois courant à notre rencontre.
Ces animaux au regard malicieux et aux mouvements tintinnabulants nous font rentrer dans le vif de la matinée, si ce n’est de la journée.

Jeudi 7H30
Retournement
Ce matin là, le vent a tourné, et le paysage sonore semble avoir subi une révolution auriculaire conjointe.
De nouvelles sources sont ainsi apparues, mécaniques, en quasi opposition avec la quiétude pastorale visuelle.
Une carrière invisible, derrière la colline, assène des chocs métalliques au paysage, qui viennent buter en sourds échos dans le foisonnement de la forêt.
Ils jouent à tromper sournoisement la, notre perception des espaces sonores.
A ne plus savoir qui est l’écho ou la source initiale, comme matrice énergétique acoustique.

44196361931_227d9e4389_k_d

Vendredi 10H
Apparition – disparition
Je marche, nous marchons au fil d’une rivière, ou torrent, ou les deux.
A son extrémité, ou début, elle s’achève, ou nait au grand jour, tout en haut d’une falaise en imposante cascade jaillissante.
Sur le sentier capricieux, l’écoute nous joue des tours.
Au gré d’un dénivelé, d’un détour boisé, d’un obstacle minéral, des basculements incessants, glissements ou cassures acoustiques scandent un paysage aquatique en continuel évolution.
La rivière joue à cache-cache, je l’entends, elle disparait de mon champ auditif, puis revient, puis s’en va, se rapproche, s’éloigne, semble loin, puis toute proche… Méandres d’écoutes.

samedi 16H
Récurrence
Un groupe d’une dizaine de personnes entament un PAS – Parcours Audio sensibles aux alentours du village de Lacoux.
Marcher lentement, faire halte sur des points d’ouïe, écouter ensemble, les règles sont toujours très simples.
Au départ, une fête, repas villageois au lointain; puis une sente forestière; un silence presque (trop) parfait.
Le sentier nous ramène au-dessus du village où la fête en contrebas nous revient à l’oreille, invisible, claire, un brin fantomatique. Nouvel estompage sur le chemin du retour. Réapparition fugace à l’approche du centre du village, comme un yoyo sonore.

Dimanche 8H
Réminiscence
Le séjour touche à sa fin, le village s’ébroue, s’éveille doucement, très doucement, dans une fraîcheur automnale. Bientôt, les randonneurs arriverons. Bientôt, l’oreille reprendra sa place urbaine, avec l’empreinte prégnante de cette résidence montagnarde en contrepoint, tenace et douce réminiscence.

 

43290440765_b7a1cb78d6_k_d