Écoutez-voir – séquence 1 – L’ Angélus de Millet

Comment peut-on, sans autre artifice ni dispositif que notre regard et notre écoute, interne, celle qui lit les repères sonores d’un tableau, d’une photographie, comme on déchiffrerait une partition musicale qui chanterait dans notre tête, entendre une représentation picturale « iconosonique » ?
L’idée peut paraitre étrange, et pourtant, j’ai envie de vous en proposer l’expérience. Regarder attentivement pour mieux entendre, quitte à imaginer une scène auriculaire où l’imagination reconstituerait des ambiances indécises, ou sujettes à variations, interprétations…
Je me frotte ici à une approche relevant du pur paysage sonore, celle de la représentation, voire d’une forme de re-construction sensible à l’aune d’une interprétation qui assume ses possibles dérives narratives et fictionnelles..

Pour cette première approche, cette confrontation d’un point de vue/point d’ouïe, j’ai choisi une œuvre archétype, emblématique d’une peinture naturaliste de l’École de Barbizon, le fameux « Angélus » de Jean-François Millet, célébrissime toile du Musée d’Orsay.

Le tableau est d’une composition simple, rigoureuse, presque austère, sans doute due à la vision d’une spiritualité intérieure qui ne se veut pas, loin de là, démonstrative. Tout juste un geste du quotidien, dans toute sa sobriété pastorale.
Au premier plan, un couple, tête penchée vers le sol, mains jointes, fait la prière de l’angélus de midi.
Juste derrière eux, une fourche plantée dans le sol et une brouette avec un sac de pommes de terre, précise l’action de ces deux protagonistes, des agriculteurs et agricultices en cueuillette. Au loin, au fond d’une plaine déserte, un clocher, celui de de l’église de Saint-Paul de Chailly-en-Bières exactement, non loin de Paris.
Le titre évoque d’emblée un fait sonore. C’est parce que le clocher sonne l’Angélus, celui de midi, que le couple suspend sa besogne pour prier.
La sonnerie de l’Angélus est, dans l’univers symbolique campanaire et religieux, clairement codifiée, donc facile à identifier. Tros tintements sur une cloche, assez lents, quelques secondes de silence, puis nouveaux tintements, silence, tintements. Neuf coups d’une cloche unique donc, suivis d’une volée, d’une à plusieurs cloches selon l’équipement du clocher.

Le clocher, faisant souvent office d’ « horloge publique  » scandant la journée est ici assez éloigné géographiquement, ce qui laisse présupposer que selon le vent dominant, on perçoit plus ou moins ses sonneries, voire pas du tout.
La taille du clocher semblant modeste à cette distance, nous fait imaginer que les coups teintés et la volée ne doivent pas être trop imposants, on est loin de la magnificence de Notre-Dame ou de la cathédrale de Strasbourg, plus à une échelle acoustique plus intime, recueillie, moins ostentatoire.
Côté ambiance, la longue plaine assez déserte , peu, voire pas boisée, ne semble pas favorable à accueillir foule d’oiseaux chanteurs. Peut être quelques rapaces chasseurs plus haut dans le ciel.
L’époque du tableau (1857/1859) nous dit que l’environnement acoustique n’était certainement pas perturbé ni par les automobiles, ni par les avions… La pollution sonore n’affectait pas encore ces parties reculée de la campagne. Ce qui fait que les émergences acoustiques, hormis périodes très venteuses ou orageuses, devaient se percevoir dans les moindre détails. Ici en l’occurrence, la ou les cloches du village.
Après renseignement, à l’époque du tableau, le clocher gothique abritait un seul bourdon fêlé, celui que qu’entendait le couple, remplacé aujourd’hui par trois cloches plus modestes ((Lucie-Gabrielle, Lucienne-Marcelle, et Solange). Si on retourne à leur position aujourd’hui, on n’entend donc plus la même chose, si tant est qu’un lotissement où des routes adjacentes ne masquent le son des cloches.

Autre invité de marque après que se soit tu l’Angélus, le silence. Même si on peut imaginer des prières chuchotées, à voix basse, il me semble que c’est plutôt dans un recueillement silencieux, méditatif, que se déroule l’action. Silence des personnages, et du paysage lorsqu’a cessé de sonner l’Angélus. Une forme de sérénité intérieure et extérieure loin de la folle agitation urbaine de nos cités contemporaines.

Mais imaginons la scène un peu avant. Nos deux protagonistes sont à la cueillette de pommes de terres. On entend le son de La fourche qui creuse le sol. Sans doute celui des plans que l’on secoue pour en faire tomber la terre, des légumes roulant sur le sol, puis jetés dans le sac sur la brouette. Imaginons le bruit de la roue de brouette qui peut-être grince, pour faire image sonore d’Épinal, et s’éloignera vers le village, ou la ferme voisine, la cueillette du jour achevée.

Il y a, dans la palette colorée, à la fois riche en nuances et sans grande rutilance, la même sobriété harmonieuse que celle sonore que l’on pourrait entendre, avec des traines campanaires, qu’aux vues la distance de l’église, on doit percevoir sans grand éclat, tout en douceur. Le son, la lumière, tissés en délicates nuances, ne distordent pas, mais sonnent et résonnent de concert.

Entre la trivialité, la simplicité du monde agricole, que Millet admirait, et la spiritualité religieuse de la cloche sonnante, qui relie le ciel et la terre dans une sorte d’arc acoustique, le son campanaire est, à la fois discret et moteur de l’action, au final un des héros de ce tableau.

J’ai conscience que, à l’instar du tableau de Millet, lequel représente sans doute une version quelque peu idéalisée d’une vie campagnarde rythmée au fil des travaux et des Angélus, mon écoute de cette scène picturale est sans doute proche de la carte postale sonore, au trait forcé. L’exercice mêlant clichés pittoresques et tentative de modélisation sonore et acoustique, conduit à un résultat qui n’évitera pas le stéréotype. Cet écueil étant assumé, l’exercice reste pour moi une expérience ludique, qui tend à mettre en lien regard et écoute via un média pictural, sans autre prétention.

C’est d’ailleurs après avoir écrit ces quelques lignes que je découvre la phrase de Millet concernant son œuvre « En regardant cette peinture, j’aimerais que le spectateur entende sonner les cloches. ». Il n’aurait pu dire plus juste. En tous cas, ce désir a trouvé chez moi un écho qui a résonné fortement dans mon approche, à tel point que j’ai été content de commettre, en toute subjectivité, cette analyse où l’œil écoute, et où sans doute l’oreille regarde.

En écoute, une création sonore originale composée pour cet article

Point d’ouïe, des Tiers-espaces nids de convivialité

J’emploie le terme de tiers-espaces pour qualifier des lieux où la rencontre et l’agir ensemble, l’expérience et l’altérité, font se rencontrer des forces vives d’un quartier, d’une ville, d’un lieu de soin, d’éducation populaire, de recherche, ou d’actions mettant l’humain au centre du projet.
Revenant tout juste d’un séjour dans un café associatif niché au cœur d’une imposante cité de « grands ensembles », avec un habitat social d’une riche mixité, j’ai pu apprécié les rencontres informelles, les causeries devant un café, un jus de fruit, un couscous maison, les façons de refaire le monde, hors et tout près de de chez soi, dans un petit havre où la parole circule librement, parfois passionnée.
C’est ici où on s’assoit à une table, où tout le monde vient vous saluer, vous souhaiter la bonne année, et échanger autour de divers sujets, des problèmes de la cité, des commerces et des banques qui ferment, du manque de lieux de convivialité justement. On en parle sans la dramatisation médiatique habituelle, juste pour penser comment vivre avec les petites et grandes vicissitudes du terrain, et qui plus est améliorer un brin, ici où là, le cadre de vie.
C’est là aussi où, aux beaux jours, les habitués se retrouvent autour du barbecue, du terrain de pétanque, ou de la télé qui diffuse des événements sportifs, du bar où se tissent des amitiés, où on se sent accueilli sans chichi.
Un lieu intergénérationel, où adultes, ados et enfants se croisent, où les langues et les accents se frottent.
Ce genre de nids conviviaux, je les rencontre ici et là, en posant mes oreilles dans des lieux qui semblent résister à l’individualisation solitaire, favoriser l’altérité, la chaleur humaine, la mixité, même si parfois, les tensions ne manquent pas de voir le jour
Ces tiers – espaces conviviaux, je les ai trouvé dans des maisons d’accueil des familles de détenus, des bars associatifs tel le Café Biollay chambérien, des espaces culturels et bibliothèques de centres pénitentiaires, certains festivals hors-les-murs, des tiers-lieux, des lieux de soin, et même sur des bancs des places publiques… Partout où peut se faire la rencontre, éphémère, ponctuelle, régulière, voire durable. Partout où tout un chacun et chacune a la légitimité de s’exprimer, de proposer et d’expérimenter des choses à mettre au pot commun.
La société à un grand besoin de ces nids de convivialité, ceux où on peut poser une oreille bienveillante, qui tente d’éviter tout préjugé moralisant, toute discrimination sociale, religieuse, ethnique, politique, ou autre, toute interprétation ou jugement à l’emporte-pièce. Là où la parole, si elle est parfois captée, reste libre et ouverte.
Pour ma part, ces rencontres sont souvent favorisées par l’écoute des paysages sonores d’un quartier, d’un lieu, d’une structure, qui mettent en avant la vie sociale, et enclenche des échanges sur la façon dont on s’entend, et comment on se fait, même modestement, entendre.

Texte écrit au retour d’un séjour au Café Biollay, quartier du même nom de Chambéry
Le 4 janvier 2025

Sons à la carte

J’ai déjà commis plusieurs articles concernant le sujet, mais régulièrement, la question de la représentation graphique, cartographique, du sonore, revient questionner mon travail.

Avant Google Maps et le GPS, on déployait les cartes papier et les atlas pour envisager les voyages et randonnées.
C’était une façon de préparer logistiquement, mais aussi mentalement, nos périples, en famille ou entre amis, et de féconder un imaginaire nourri de patronymes topographiques, de couleurs, symboles, signes et courbes de niveaux.
Pour le randonneur, lire une IGN TOP rando au 1: 25000e avant la marche, c’est déjà repérer les sites, savoir où on va en baver, être à l’ombre d’une forêt, traverser un gué, un pierrier, découvrir un point de vue panoramique… C’est un paysage qui se dessine dans notre tête, comme une partition se joue dans l’oreille d’un musicien aguerri au déchiffrage de la notation musicale.
Les cartes ont aussi, selon les échelles, leurs zones plus difficile à lire, à interpréter, où l’imaginaire prend parfois le pas, influencé par des toponyme étranges, drôles, poétiques, des aplats colorés…
Cartes topographiques, géographiques, thématiques, sensibles, voire artistiques, tracées à la main, via des logiciels ad hoc, matérielles ou en ligne, ces objets ont évolué, et le font encore, restant aujourd’hui plus que jamais des outils de compréhension du monde, mais aussi des représentations esthétiques captivantes.
Géographes cartographes, paysagistes et urbanistes, artistes arpenteurs, chacun fabrique son territoire et sa ou ses cartes à sa mesure, mais aussi à celle des lecteurs et lectrices potentiels, selon les projets.

J’admire sur la toile des approches cartographiques singulières, poétiques, esthétiques, telles celle du géographe cartographe et artiste Perrin Remonté, qui nous embarque dans des univers qu’on a d’emblée envie d’aller voir de plus près

Je me suis souvent posé, et me pose encore, la question de la représentation graphique de territoires sonores via des modes cartographiques travaillant sur des données acoustiques (cartes de bruit), symboliques et esthétiques (cartes sensibles), des inventaires et géolocalisations de points d’ouïe et d’acoustiques remarquables, ou des approches hybrides des espaces autres, hétérotopiques aurait dit Michel Foucauld.

Sur plusieurs projets, marche urbaine, cartographie sonore d’une Maison des aveugles lyonnaise, j’ai croisé la paysagiste cartographe Ingrid Saumur, dont le travail, avec une approche de terrain qui invite à renouveler le regard, je la cite, me fascine.

La carte, sous toutes ses formes, reste pour moi un objet magique, fascinant, pour représenter, comprendre sinon rêver le monde, au-delà des frontières, imaginer des aménagements, des voyages de l’oreille, qui nous fassent aspirer à une communion spatiale humaniste. C’est sans doute là mon côté idéaliste, si ce n’est utopiste.

Il y a quelques année, j’avais préparé un dossier autour de la cartographie sonore pour une intervention lors d’un colloque, qui ne s’est d’ailleurs jamais tenu face au méchant Covid qui sévissait alors.
Le document est toujours en ligne : Écoute à la carte

Oyez, eaux yé, Oh yé !

Au plus profond de mes souvenirs, ce fut l’eau d’un puits, dans la cour de la ferme de ma grand-mère, dans lequel plongeait bruyamment le seau dégoulinant. Avant qu’elle n’arrive, courante, à l’évier.
Celle du ruisseau gargouillant tout près.
Et celle d’un autre ruisseau, qui longe aujourd’hui le parc public attenant à ma maison.
Ce ce furent aussi les cascades et les torrents alpins, qui se dévoilent brusquement, au détour d’un sentier.
Ceux pyrénéens gonflés des orages véloces.
L’eau dormante d’un lac au bout d’une vaste prairie, cernée de cols arides où enneigés.
L’écume paisible d’un port où dorment en tanguant doucement, les bateaux grinçants.
Le lavoir public où plus personne ne vient battre le linge.
Les gouttes d’un ru dévalant le village pentu d’un village montagnard portugais, sous le soleil plombant.
La mare ou s’égosillent les grenouilles noctambules, au grand dam des campeurs voisins.
Une longue promenade nocturne et silencieuse, suivant Saône et Rhône, rythmée de jeunesses festives et de péniches aux ronronnements profonds.
La Loire, aussi majestueuse que silencieuse.
La Loire encore, écumante et grondante, à une autre saison.
Une averse soudaine, un déluge mur d’eau, qui me surprend et me laisse rincé sur les pentes abruptes de Tananarive.
Une pluie ruisselante qui fait sonner tout ce qu’elle touche en percussions subtiles
Les éclaboussures d’une immense roue à aubes, tournant en grinçant sous le courant d’un bief.
Les plics et les plocs de gouttelettes s’échappant de fragiles stalactites, dans une belle réverbération souterraine.
Les vagues furieuses balayant une plage nordique, avant de se briser sauvagement sur les rochers remparts.
Le bruit blanc d’une fontaine qui envahit l’espace minéral d’une place encastrée dans la vieille ville.
A noter que les fontaines ont chacune leur signature acoustique, et teintent le paysage jusqu’à le rendre unique.
Les glissements aquatiques de nageurs s’entraînant dans une piscine couverte.
Les terribles images et sons d’inondations meurtrières, balayant soudainement des villes entières.
La sensation de vide, de désolation, lorsque la rivière se tarit en plein cœur de l’été

La présence ou l’absence aquatique marque fortement le paysage, quand elle ne le construit pas.
Elles s’entend, ou non, kaléidoscope de moult éléments liquides, parfois furieux et dévastateurs, parfois discrets et minimalistes, si ce n’est absents et desséchants. Elle est tout à la fois fascinante, apaisante, source de rêveries, et redoutable dans son imprévisibilité.
Elle abreuve le territoire et ses habitants, engloutit, irrigue, dévaste, charrie plaisirs comme angoisses, entre puissance et fragilité.
Je mesure à quel point l’eau habite et nourrit, quasiment de jour en jour, mes paysages sonores, éminemment liquides.

Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » 2024/2025

Paysage sonore, une approche pragmatique

Le pragmatisme, terme issu de la praxis grecque, autrement dit l’action, celle qui est effectuée dans le but d’obtenir un résultat pratique, et non seulement une pensée ou un concept métaphysique, met l’expérience au centre du projet.
L’expérience, entre autre celle de nos vies au quotidien, est le point de départ qui nous permet d’améliorer, même très modestement nos vies, nos rapports avec l’environnement, au sens large du terme, et en bref au monde.
Dans le champ artistique, John Dewey démystifie la position de l’artiste dominant, qui contribue à placer l’œuvre sur un socle élitiste, réservée à celles et ceux qui en comprennent les codes pour l’apprécier. Il remet l’esthétique dans une approche du quotidien, où le geste, si simple soit-il, est lui-même digne d’être admiré comme une action esthétique. Une esthétique accessible à toutes et tous, pour qui sait regarder, écouter, et se laisser embarquer par le plaisir de l’expérience au quotidien, si modeste soit-elle.
Dewey s’appuie sur l’observation de gestes techniques, impressionnants ou intimes, qui sculptent son admiration comme des objets esthétiques.

Je le cite :
«  Afin de comprendre l’esthétique dans ses formes ultimes et reconnues, on doit commencer à la chercher dans la matière brute de l’expérience, dans les événements et les scènes qui captent l’attention auditive et visuelle de l’homme, suscitent son intérêt et lui procurent du plaisir lorsqu’il observe et écoute, tels les spectacles qui fascinent les foules : la voiture de pompiers passant à toute allure, les machines creusant d’énormes trous dans la terre, la silhouette d’un homme, aussi minuscule qu’une mouche, escaladant la flèche du clocher, les hommes perchés dans les airs sur des poutrelles, lançant et rattrapant des tiges de métal incandescent. Les sources de l’art dans l’expérience humaine seront connues de celui qui perçoit comment la grâce alerte du joueur de ballon gagne la foule des spectateurs, qui remarque le plaisir que ressent la ménagère en s’occupant de ses plantes, la concentration dont fait preuve son mari en entretenant le carré de gazon devant la maison, l’enthousiasme avec lequel l’homme assis près du feu tisonne le bois qui brûle dans l’âtre et regarde les flammes qui s’élancent et les morceaux de charbon qui se désagrègent. »
John Dewey « L’art comme expérience »

Il est intéressant de constater dans ce texte, que l’image sonore du camion de pompier rejoint la célèbre question du compositeur John Cage « « Lequel est le plus musical d’un camion qui passe devant une usine ou d’un camion qui passe devant une école de musique ? ». Belle réflexion sur le statut des son, la façon de le percevoir, de le ressentir, comme un objet esthétique, musical, ou comme un son pouvant être dérangeant. Encore faut-il se donner la peine d’écouter, de questionner un son trivial, a priori sans intérêt, et pourtant…

L’écoute est un geste quotidien, où la fonctionalité du geste, entendre la parole de l’autre, repérer les dangers potentiels aux alentours, savoir que le plat mijoté est bientôt à point, côtoie, se superpose parfois au plaisir de jouir des sons, des acoustiques, des ambiances et de moult scènes auriculaires surprenantes.
L’expérience de l’écoute n’est pas l’apanage d’artistes, d’acousticiens patentés, de chercheurs émérites, il est à la portée de chacun chacune. Le paysage sonore se construit et se joui à portée d’oreille, sans pour autant être un éminent spécialiste. Il suffit pour le comprendre, de parler à un berger, un guide de haute montagne, un cuisinier, et mille autres métiers convoquant une oreille active, artisane. Force est de constater que leurs arts de faire, de créer, d’avoir une écoute où l’esthétique est bien présente, dépend autant de savoirs, d’expérience, que du plaisir de tendre l’oreille.
Tendre l’oreille sur un territoire, seul ou en groupe, est une expérience pragmatique. C’est une action de terrain dont les buts sont souvent pluriels et superposés. Par exemple, participer à une lecture de paysage sonore dans un projet d’aménagement, initier de jeunes étudiants à la dimension sonore d’un paysage, au delà de la nuisance, capter des ambiances pour transformer en création sonores, relève tout à la fois d’objectifs ayant une utilité affichée, comme de la jouissance pure d’écouter le monde, voire de le réécrire par les sons.
En cela, et dans une approche incluant l’éducation populaire comme les recherches actions, la pédagogie de l’écoute, via un apprentissage par l’expérimentation chère à Dewey, développe des actions de terrain qui tend à éviter les suprématie de l’apprenant, de l’éminent sachant. Dans une marche écoutante, chaque participant est légitime à se poser comme un auditeur aguerri, engagé, sensible, partageant collectivement ses propres expériences et savoir-faire. L’écoute a une dimension intrinsèquement altruiste. Partir à la rencontre des lieux via l’oreille implique de partir à la rencontre de l’autre, de sa mémoire, de ses savoirs, de ses envies d’échanger, de faire ensemble, sans grande théorisation métaphysique, juste en arpentant des lieux oreilles ouvertes. Il nous faut accepter d’être surpris par des scènes étonnantes, bouleversantes, comme par la trivialité de ce que Perec appelle l’infra-ordinaire, et d’en faire une expériences pédagogique à portée d’oreille.
La pédagogie c’est par exemple le fait d’arpenter collectivement un paysage de l’oreille, d’en discuter, de fabriquer des outils contextuels, des fiches de lecture, d’analyse, de proposer des actions artistiques qui nous plonge au cœur des problématiques écoutantes, entre plaisir et l’action pragmatique. L’art étant une entrée, un levier comme un autre, dixit Dewey.
L’approche pragmatique de l’écoute nous amène naturellement à repenser notre égocentrisme, notamment dans des considérations éthiques environnementales. Constater l’état d’une forêt, d’une rivière, les fragilités, pollutions, disparitions, par l’expérience de l’écoute, nous met face à des problèmes qu’on ne peut plus continuer à ignorer ou à minimiser, n’en déplaise à certains. Si le plaisir d’écouter au quotidien doit perdurer, voire s’enrichir au fil des expériences, le fait de pointer des catastrophes en cours, y compris au travers de signes apparemment anodins, d’avoir une volonté de pratiquer et de partager une pédagogie active, accessible, de considérer le paysage au travers des approches éthiques, écosophiques, est plus que jamais nécessaire. L’artiste écoutant est, pour moi, un acteur de tout premier ordre, surtout s’il s’associe, ou est associé, à des techniciens, aménageurs, décideurs…

Pour conclure, je reviens à Dewey dont la pensée et les recherches, vous l’aurez compris, innervent cette réflexion et expérience de mise en pratique pragmatique et esthétique du paysage sonore.
« Lorsque les objets artistiques sont séparés à la fois de leurs conditions d’origine et de leur mode de fonctionnement dans l’expérience, un mur se construit autour d’eux, qui rend presque opaque leur signification générale. »
John Dewey

Construire par l’écoute

L’écoute ne construit pas que des paysages sonores immatériels, si ce n’est dans leur propagation vibratoire, plus ou moins abstraits et hors-sol.
Elle écrit corporellement, physiquement, des tracés, des cheminements audibles, des situations haptiques, collectives, des terrains de jeu auriculaire à lire, relire, jouer, rejouer, expérimenter, improviser, via des formes de partitions d’écoute…
Elle trace des cartes sensibles, mentales, y place des points d’écoute, des ambiances, des données acoustiques, cartographie des guides de points d’ouïe remarquables, tisse un réseau sonique dans différents territoires, petits ou grands.
Elle offre des matières sonores à écouter, enregistrer, travailler, composer, installer, diffuser…
Elle pose la problématique de l’aménagement du territoire en prenant en compte le sonore de façon plus large que les seules situations de nuisance et de pollution.
Elle s’inscrit dans des propositions de mobilités douces et de formes de ralentissements, d’espaces apaisés, de zones calmes, de trames blanches.
Elle est source de réflexions, d’études, de recherche, de textes philosophiques, techniques, poétiques, scientifiques, artistiques, hybrides…
Elle favorise les espaces de rencontres, de partage, de concertation, de pédagogie in situ.
Elle développe des technologies embarquées, des dispositifs mobiles, des scénographies contextuelles, des récits en marche, des médiations spécifiques via la toile et ses multiples réseaux.
Elle participe à des croisements transdisciplinaires, voire indisciplinaires, relationnels, ouverts et décloisonnants.
Elle pose la question de la santé, du bien-être, du soutenable, et des actions à mettre en place pour de meilleures sociabilités auriculaires, mais pas seulement.
Elle invite artistes, aménageurs, enseignants et chercheurs, élus et techniciens, habitants et visiteurs, à se retrouver pour et par le plaisir de l’écoute.

Paysage sonore, perception, affect et physicalité

« Quel drôle de machine que l’homme ! dit-il, stupéfait. Tu la remplis avec du pain, du vin, des poissons, des radis, et il en sort des soupirs, du rire et des rêves. Une usine ! Dans notre tête, je crois bien qu’il y a un cinéma sonore… »
Níkos Kazantzákis « Alexis Zorba » (1946)

Le paysage sonore est, comme beaucoup d’objets d’étude que je qualifierai ici d’environnementaux, complexe, multiple, dans sa perception comme dans sa construction, ou dans ses potentiels aménagements.
Car, comme tout paysage, il est susceptible d’être aménagé, si ce n’est construit de toutes pièces.
Il oscille d’emblée entre une approche esthétique, un geste perceptif sensible, affectif, avec des modes de représentation subjective, et une physicalité vibratoire tangible. Une présence physique, nourrie de multiples sources et ambiances, qui s’écoute et se ressent à fleur de peau et de tympan. Ce milieu vibratile prend forme, s’incarne, en venant exciter physiquement les corps écoutants, les corps vibrants, quels qu’ils soient.
Au niveau de la perception esthétique, le paysage sonore est d’abord et avant tout ce que l’écoute et l’écoutant en font, un univers nourri d’ambiances acoustiques qui influent nos ressentis, du plaisir au mal-être, voire à la souffrance, en passant par toutes les situations intermédiaires, les innombrables nuances affectives.
Ceci dit, il serait tendancieux de vouloir opposer de façon radicale, dichotomique, ces deux perceptions, tant elles participent concomitamment à notre compréhension du monde sonore. Bien sûr, à certains moment et dans certaines circonstances, le sensible ou le physique prennent le pas. Néanmoins, le corps écoutant, charnel, ainsi que tout notre potentiel affectif, nous font entendre, pour peut qu’on se prête au jeu de l’écoute, un paysage sonore intime, sans cesse renouvelé, convoquant la pure vibration et la construction mentale. Une alchimie où la poésie vibratoire du sonore nous plonge au cœur de l’écoute, à part que se ne soit l’inverse.

Vers 2025

Entre un ancrage Beaujolais vert, avec l’Atelier-Tiers-Lieu d’Amplepuis, et notamment une approche des « Nourritures terrestres côté cuisine », des explorations liés aux arts numériques, des réseaux à tisser…
La mise en chantier d’une cartographie sonore amplepuisienne.
Un nomadisme conduisant Desartsonnants dés le mois de janvier à Chambéry, auscultation collective du quartier Biollay, puis au Festival Longueur d’Ondes à Brest pour de belles rencontres.
La poursuite du projet Bassins Versants l’oreille fluante, avec le bidouillage d’un instrumentarium audionumérique pour installer ou improviser des paysages sonores aquatiques, ou autres…
Un récit en parcours d’écoute, un festival de cabanes savoyard, un bout de forêt, avec lectures de Thoreau et de son approche pré-écologique du monde par les oreilles.
Autre histoire vagabonde, entre promenades écoutes, danse et arpentages géographiques à Épinal.
Une nouvelle audio-excursion belge, au fil des ans, Desartsonnants ne s’en lasse pas.
Et d’autres chantiers sous l’oreille.
L’année 2025 se profile, plus incertaine que jamais…

Paysages sonores, en corps et toujours

@ Transcultures – PAS – Parcours Audio Sensible à Mons (Be) Festival City Sonic

Comme le paysage sonore n’existe pas sans l’écoutant, sans l’écoute de l’écoutant, sans le corps écoutant, sans la pensée sensible, volatile, versatile, multiple de l’écoutant, il faut donc le fabriquer de toute pièce. Il est nécessaire de le reconstruire dans chaque lieu et moment, et ne jamais prendre pour acquise une idée de paysage sonore comme une représentation figée de type carte postale.
C’est une chose qui a cheminée longtemps dans ma tête, mon corps, pour s’incarner progressivement au fil des expériences situées. Ce n’était pas du tout une évidence lorsque j’ai commencé à tendre l’oreille et a arpenter des territoires au gré de leurs textures sonores. Je constate aujourd’hui que beaucoup ne se reconnaissent pas dans cette approche, voire refusent de reconnaître l’expression, si ce n’est l’existence des paysages sonores, en tous cas dans une pensée post schaférienne..
Mais cette petite chronique n’est ni le lieu ni le sujet d’un débat polémique.
La question que me pousse à repenser, par l’action de terrain, les moyens, outils, processus, dispositifs, propres à faire émerger des espaces sonores singuliers, au sein de territoires de plus en plus fragiles et tourmentés, est plutôt le sujet de cet article.
Au début est l’oreille, et donc l’écoute.
S’il faut commencer par une approche simple, posons d’emblée l’écoute comme une clé de voûte, qui fait tenir debout à la fois la cohérence physique et sensible d’un paysage sonore, mais également les éléments d’analyses critiques et les créations qui en découlent potentiellement.
Qui dit écoute dit organe, sens, mode d’appréhension sensible du monde, inclue dans un corps qui est lu-même un réceptacle vibratoire complexe, multisensoriel, réactif aux tressaillements et aux ébranlements du monde.
Nous somme plongés dans une vie organique, sociale, émotive, qui secoue notre corps dans son intégrité, et notre perception auditive est en alerte, entre tensions et détentes, adoptant pour faire face à des situations multiples quantités de postures psychomotriciennes. Entre la protection, la fuite, la scrutation, l’auscultation, nous réagissons et interagissons différemment selon les contextes. Ainsi, mettre un corps en mouvement pour traverser des ambiances sonores, s’en approcher, s’en éloigner, les mixer, en entrainant parfois un groupe à en faire de même, sont autant de postures issues des soudwalkings et autres balades sonores, marches écoutantes… Au fil des expériences audio-déambulantes, j’ai été amené à croiser nombres d’artistes œuvrant dans les champs artistiques de l’art-performance, de l’art-action, de la danse, du cirquen qui très souvent frottent leurs corps à l’espace public, au rythme de performances et de mises en situation souvent surprenantes et décalées, si ce n’est volontairement provocatrices. La physicalité du geste et du corps est au centre de la performance, qu’elle soit très (dé)monstrative ou au contraire minimaliste, si ce n’est quasiment invisible. Un jour, après un long PAS-Parcours Audio Sensible nocturne, autour des rives lyonnaises du Rhône et de la Saône, après une très lente marche et près de trois heures en silence (écoutant) un des organisateurs m’a dit que mes marches relevaient de la performance, se détachant des déambulations patrimoniales ou urbanistiques qu’il avait l’habitude de proposer. Sur quoi, et particulièrement ce soir là, j’étais assez d’accord. J’avais poussé les corps arpenteurs et écoutants dans des situations d’immersion collective pour le peu inhabituelles. La lenteur, le silence, la longueur, les lieux parfois surprenants, dans un esprit proche de l’artiste Max Neuhaus, avaient contribué à construire une traversée de paysages sonores à la fois propres à chaque participant, et à la fois dans une forme de geste collectif stimulant. Je garde en mémoire nombre d’images, sonores ou non, de ressentis, comme une sorte de cartographie mentale sensible. J’ai en mémoire des moments forts, tel celui d’une immense péniche qui fait un demi-tour sur le Rhône, éclairant dans la nuit le fleuve de ses feux de navigation, ses puissants moteurs diésels éclaboussant les lieux de grondements réverbérés par les murs des berges et la surface des eaux… Plus loin, des groupes de jeunes étudiants et étudiantes qui, ici et là, improvisent une soirée festive, danses, musiques et bières à l’appui. Ces scènes, ces ambiances traversées, sont d’autant plus vécues fortement que le corps entier est immergé dans son propre silence et mu dans une lenteur assumée. Il construit son récit au fil des pas et des stimuli paysagers, la dynamique de groupe tissant des ressentis parfois exacerbés. Les paysages sonores, visuels et parfois olfactifs, nous traversent autant que nous les traversons. Ils nous baignent, nos sautent aux oreilles, ne cessent de se transformer lors de gestes performatifs collectifs. J’en ai beaucoup appris en regardant comment les corps de danseurs, circassiens, artistes de rue, se mettent en scène dans l’espace public, en révélant des territoires esthétiques, poétiques, politiques et sociaux de façon décalée. Avant de penser à une potentielle œuvre sonore, il m’est nécessaire de plonger corps et oreilles, regard compris, dans l’espace public urbain, la forêt, le long du ruisseau, ce qui est d’emblée pour moi une façon d’œuvrer. La création, l’écriture corporelle, haptique, immatérielle, en tout cas dans sa concrétisation, les situations et postures, que propose un parcours d’écoute, contribuent à l’émergence d’une œuvre située, contextuelle, le corps engagé aidant. Faire corps avec les lieux, les participants, la vie multiple croisée en chemin, est ici une expression qui prend tout son sens, dont celui de l’ouïe bien entendu

PIC – Paysages, Improvisations, Concerts

Festival Sound Around, Kalinigrad 2019 – Institut Français de Saint-Pétersbourg

En chantier. Je bricole un instrumentarium numérique autant qu’éclectique, avec des bouts de logiciels de création sonore libres, des patchs Pure Data… Je bidouille des field recording (enregistrements de terrain) en live, pour recomposer des paysages sonores via des sons du cru. C’est souvent hasardeux, mais ça donne des choses jouant à la fois sur les marqueurs sonores des lieux, parfois identifiables, et des paysages décalés, frictionnels, où le réel se frotte à l’imaginaire. Je joue, improvise, tricote, sons et ambiances, sous une forme nomade, performative, à la fois concertante et déconcertante… Projet de territoire, l’immersion dans les ambiances auriculaires d’un lieu est la clé de voûte qui fera tenir les sons ensemble, et nous reliera au monde, à ses cohabitant(e)s, par le grand et le petit bout de l’oreillette.

Fiche projet IF

Paysage sonore venteux, petite chronique auriculaire automnale

Nous sommes en novembre, période automnale, où souvent les grands vents se libèrent, labourent le paysage de leurs trainées chaotiques, tempétueuses et imprévisibles.

À nuit tombée, de jour, je marche ma petite ville, balayée et secouée de rafales venteuses et fougueuses. Elles s’entendent Oh combien, imposantes, animant les espaces auriculaires, dans un paysage sonore des plus dynamiques et mouvants.

Le raclement des feuilles mortes, tourbillonnantes autour de moi, sur l’asphalte, une surface de jeu granuleuse, sonore, propice à une composition quasi musicale. Tout passe, glisse, crisse, vite, de droite à gauche, devant derrière, dessus, de près et de loin… Une spatialisation de mouvements acoustiques impressionnante, impossible à reproduire, même sur le meilleur système de diffusion acoustique, si performant fût-il.

Des arbres, des forêts environnantes, sont secoués sans ménagement, faisant entendre des chuintements, grondements, des secouées véloces, dessinant acoustiquement des espaces perçus à l’échelle de notre écoute, proches et lointains, toujours en mouvement.

Des volets et portails claquent et grincent, dans une sorte de surprenante symphonie nocturne, éolienne. Des interstices architecturaux, des passages, des tuiles, des fentes, sifflent et gémissent, ici et là, souffles d’une vie turbulente à portée d’oreille.

Les lieux traversés se percoivent tout à la fois dans une sorte de violence climatique inquiétante, et une activité trépidante, qui nous maintient en alerte, en vie, en gardant notre écoute portée sur un monde secoué de mille soubresauts.

Écoute que coûte !

Dans la traversée d’une zone nuageuse, ponctuée de turbulences et d’avaries à répétition, je reprends tant bien que mal le cours des choses.

Je le fais naturellement en replongeant l’oreille dans les rumeurs, grondements et bruissonnances du monde.

Ménager des tiers-espaces écoutants, où la parole circule entre et dans les silences habités et les mille sonorités, toujours en mouvement, reste au cœur du projet.

Aller à la rencontre de nouveaux territoires, en retrouver d’autres, avec leurs ambiances propres, anthropophoniques, biophoniques et géophoniques, autrement dit de l’humain, des animaux et des phénomènes « naturels », selon la classification de du père de la biophonie, Bernie Krause, est un besoin quasi vital.

Ces rencontres sont le fruit d’un nomadisme assumé, qui fait tenir debout le monde dans une certaine cohérence rassurante, ne serait-elle qu’auditive.

Chercher des espaces amènes, au sein d’environnements souvent cacophoniques, dissonants, stressants, est une façon de trouver, de construire, de protéger, des sortes d’oasis sonores accueillants.

Installer et faire circuler des écoutes généreuses et partagées, y compris dans les silences et les lenteurs des cheminements, convoque des gestes et des postures qui tendent à apaiser des frénésies anxiogènes.

L’écoute, les écoutes, sont envisagées comme des gestes esthétiques, artistiques, poétiques et poïétiques, écosophiques, où les sociabilités se nourrissent de la rencontre, de l’altérité, de la tolérance, autant que puisse se faire.

Les (ré)écritures sonores, entre traces et imaginaire, participent à l’émergence d’un récit collectif, à portée d’oreille, à chaque fois renouvelé, selon les espaces investis.

Ces mille et une narrations tissent une histoire à la fois teintée d’universalité, celle de l’écoute, et nourrie de ses propres singularités, celles des scènes et espaces acoustiques situés.

Ce qui embellit le désert c’est qu’il cache un puits quelque part, écrit Antoine de Saint-Exupéry, et je pense qu’il en est de même pour les territoires sonores, malgré les silences pesants, le bruit des bombes, du déluge des eaux furieuses et des montagnes qui s’éboulent.

J’ai conscience ici de répéter, de réécrire, de broder, peut-être de rêver, ces situations et ces aspirations. C’est sans doute pour m’assurer, me rassurer, de leur pertinence, de leur potentialité à bricoler des mises en situations participatives. Pour cela, je tente, envers et contre tout, de les faire vivre, de les mettre en action contextuellement sur le terrain.

J’espère que, via ces gestes, ces propositions simples, sobres, et que je souhaite surprenantes, la recherche d’une belle écoute, participant à un monde entendu de façon plus soutenable, sèmera ici et là quelques grains de bons sons.

Et si souvent je doute, j’entends résonner en moi cet adage « cent fois sur le métier remettre son ouvrage » (son écoute), comme une invitation récurrente à prêter l’oreille à la complexité du monde, de ses co-habitants, en arpenteur écoutant que je suis.

Une quête de « bien-sonnances » qu’il me faut toujours découvrir, partager et enrichir.

Et avec ta ville, comment tu t’entends ? (suite)

Et avec ta ville, comment tu t’entends ?

Desartsonnants propose un atelier autour de l’écoute du paysage sonore sur trois journées consécutives le 2, 3 et 4 janvier 2025 pendant les vacances scolaires. A destination des enfants et de leurs parents. 

Il s’agit de partir à l’écoute de son quartier, toutes oreilles grandes ouvertes.

Nous allons écouter les sons de la ville, des rues, des parcs et de tout ce qui s’entend, hommes, voitures, oiseaux, commerces…

Nous arpentons les ambiances sonores, y enregistrons ce qui sonne bien, ce qui nous agace, les sons spécifiques du quartier, ceux qui nous font reconnaitre les lieux.

Des sons enregistrés, de nos commentaires, nous en faisons une création sonore, via des logiciels audionumériques, pour redonner à entendre autrement, entre réalité et imaginaire, une ou plusieurs petites histoires du quartier à portée d’oreille.

L’atelier sonore

Premier jour : Discussion autour de la notion de paysage sonore, jeux et situations d’écoute… Marche arpentage du quartier, Choix de points d’écoute, Enregistrements audios, Première réécoute des sons

Deuxième jour : Écoute de quelques podcasts réalisés avec des enfants, des écrivains, des prisonniers… Que veut-on raconter avec les sons ? Tri, dérushage, quels sons garde t-on ? Montage mixage collectif d’une ou de plusieurs scènes sonores.

Troisième jour : Finalisation du montage Préparation d’une installation d’écoute Diffusion publique et discussion

L’art (sonore) socialement engagé

Parcours d’écoute entre chiens et loups. @Festival Back To The Trees 2023 – Bois d’Ambre à Saint-Vit (25)

En parcourant le site A.I.M.E( Association d’Individus Socialement Engagés), j’ai écouté un podcast dIsabelle Ginot, enseignante-chercheuse, codirectrice du département danse à l’université Paris VIII et praticienne Feldenkrais, traitant de l’art socialement engagé.
Sa présentation s’appuie sur un texte de Pablo Helguera, tiré d’un livre « Motifs incertains », publié par les Presses du réel.  Cet ouvrage fait un point sur les formes d’enseignements des pratiques artistiques socialement engagées, issu de cinq programmes d’étude internationaux faisant référence en la matière.
La présentation a fortement résonné avec les questions que je (me) pose de façon récurrente, en allant arpenter des territoires sonores, collectivement, et en tentant d’ouvrir des champs où l’artistique et la pédagogie sont fortement ancrés dans une pratique sociale transdisciplinaire.
Il m’a semblé bon de tenter de noter les axes forts qu’explique clairement Isabelle Ginot dans son exposé, pour à la fois essayer de me les réapproprier dans mes expériences d’écouteur public, mais également de les mettre au service de projets de territoire avec une visée sociale assumée.

Je note donc ici les axes, qui me semblent des points forts, des moteurs essentiels pour que l’art et la pédagogie travaillent de concert à changer la société pour la rendre, je cite Ginot, plus désirable.

L’art socialement engagé ne se contente pas de parler de, de raconter, de réfléchir à un sujet social. Il doit vivre et faire vivre, expérimenter, des expériences de terrain (danse, arts sonores, arts plastiques…) avec différents publics, dans des établissements (santé, carcéral), ou hors les murs.

On doit, en tant qu’intervenant, assumer sa position d’artiste engagé, ne pas ni quitter ni renier ce « statut », faire en sorte que l’art et ses savoir-faire questionnent des sujets non artistiques (écologie, féminisme, vivre ensemble, sécurité, handicap, exclusion…).

L’art doit être utile, servir à quelque chose, chercher à changer, à améliorer le monde, en proposant des situations plus désirables. L’utilitarisme fait partie intégrante du projet.

Il y a forcément une interaction sociale, non seulement parce qu’elle peut servir le projet, mais parce qu’elle est l’âme de celui-ci. Il faut faire de la relation, de l’inter-relation, des éléments clés de l’action.

Il est nécessaire de penser à une trans-pédagogie, comme quelque chose qui traverse nos gestes d’artistes transmetteurs. La pédagogie et l’art ne doivent pas être dissociés, on est à la fois artiste ET pédagogue. Dans cette approche sociale, il n’y a pas de pratique sans pédagogie. L’opposition art/pédagogie est une impasse, un débat voué à l’échec. La pédagogie est une action para-artistique.

Il nous faut chercher une forme de déqualification, ne pas cultiver l’hyper-spécialisation (compositeur, sculpteur, danseur…) en se formant à d’autres pratiques que celle de NOTRE art. On peut ainsi s’intéresser à des travaux d’enquête, de collectage, de cartographie, de poétique sensible via différents média…) Il est bon de mobiliser des savoirs issus de la géographie, de la sociologie, des sciences de la terre, ou d’autre formes, pouvant alimenter nos recherches-actions…

Les arts socialement engagés ne sont pas contraints à se limiter dans des établissements spécialisées (soin, justice, handicap…) ni vers des publics « empêchés », mais peuvent investir l’espace public ou d’autres tiers-lieux ou tiers espaces, quels qu’ils soient…

Si ces énoncés peuvent paraître pour beaucoup des évidences, j’ai ressenti le besoin de les (re)poser , parfois reformuler par écrit, sans doute en les revisitant à ma façon, sans j’espère en trahir ou déformer le sens, pour me nourrir de ces propositions, tant elles font fortement écho à mes aspirations audio-écosophiques.

Partage de points d’ouïe

Partager des points d’ouïe est un geste facile et ludique.

Vous choisissez un lieu, un banc public, une fenêtre, une terrasse de café… à un un moment donné, le matin, en soirée, de nuit.

Vous écoutez en restant immobile.

Vous commentez et enregistrez en direct, quelques minutes, librement, ce que vous entendez et vos commentaires.

Vous envoyez tout cela en format audio à desartsonnants@gmail.com

Merci par avance et bonnes écoutes !

Illustration @Troubs

Territoires d’écoute et tiers-espaces à portée d’oreille

PAS – Parcours Audio Sensible à Kaliningrad (Ru) Festival Sound Around – Institut Français de Saint-Pétersbourg 2019

J’emprunte ici la notion de Tiers-espaces à Hugues Bazin, chercheur en sciences sociales et fondateur en autres du LISRA (Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-action).

Je cite Hugues Bazin « La notion de « tiers-espace » rejoint le principe de laboratoire social sur la nécessité de penser autrement l’espace de l’expérience individuelle et politique et produire (par l’expérimentation) de nouvelles connaissances. C’est un espace qui « pousse du milieu » dans ces différentes dimensions (géographique, écologique, expérientielle, psychosociologique, politique…) mais qui reste dans l’angle mort de la connaissance. »

La notion de Tiers espaces fait également explicitement référence aux « Tiers Paysages » du paysagiste jardinier Gilles Clément. Ce concept désigne l’ensemble des espaces négligés ou inexploités par l’homme, en désemprise, qui sont néanmoins garants de la préservation d’une riche biodiversité maillant le territoire dans une forme de continuité territoriale.

Ces lieux autres, sont en règle générale des lieux physiques, dédiés ou non, parfois éphémères, parfois nomades, si ce n’est informels (espaces numériques dématérialisés).

Ray Oldenberg, anthropologue américain qui a beaucoup travaillé sur la notion de « Third Space, » à traduire littéralement par Tiers-lieu, part de l’hypothèse que, pour créer des espaces de liberté, de création, d’échange, on peut s’installer partout, dans un bar, une médiathèque, sur une place publique, un banc… J’aime beaucoup cette idée d’espaces nomades, qui peuvent naître de la simple envie de se réunir, de se rencontrer, autour d’une discussion, de gestes collectifs, d’expérimentations spontanées, hybrides, souvent surprenantes dans leur apparente simplicité…

Le principe de la résidence artistique, est un espace-temps pouvant faire tiers-espace. L’accueil dans un lieu pour s’immerger, créer ou peaufiner des projets en chantier, les frotter à l’épreuve du terrain, au regard et à l’écoute de l’autre, les partager dans des expériences collectives, participatives, est en soit une forme de tiers-espace. On s’installe là où il nous est possible d’être aidé, accompagné pour mettre l’écoute en œuvre, l’installer momentanément au fil des voyages, dans des villes, villages, des forêts, des espaces aquatiques, des montagnes…

Bien sûr, créer des espaces d’écoute est fortement dépendant, via de multiples interactions, du territoire, de l’in situ, des ambiances locales, du contexte socio-culturel, politique, climatique, mais aussi des approches plurisensorielles où la vue, le toucher, le goût, participent à indiscipliner les propositions. Et ce jusqu’à faire émerger, percevoir, entendre l’inaudible. L’inaudible n’est pas que silence, absence acoustique de sons et de bruits, c’est aussi la parole tue, étouffée, inexprimée, non formalisée ni formulée, la parole légitime, citoyenne, de tout un chacun et chacune. Il s’agit de faire remonter la parole des minorités agissantes, pour reprendre une expression d’Hugues Bazin, de légitimer des pensées et gestes hors des sphères artistiques et culturelles dédiées. On peut donc s’installet ou déambuler dans la rue, un bar, un marché, une forêt…

Se regrouper autour de la notion de paysages sonores pluriels, en solitaire, en duo, en groupe, c’est tendre des paires d’oreilles qui nous aideront à repenser des espaces acoustiques, comme des lieux où l’écoute est mise en commun, voire fait commun. Lieux où l’on puisse mieux entendre et mieux s’entendre, dans un esprit apaisé, autant que faire se peut.

Qu’entendons-nous ?

Comment le décrire, le mettre en mots, l’écrire, le dessiner ?

Comment l’expérimenter, l’arpenter, mettre nos corps en mouvement ?

Comment croiser , hybrider des expériences, des ressentis, des pratiques ?

Comment faire trace, mettre en mémoire, partager ?

Comment exprimer ses ressentis, ses bien ou mal-être, ses joies et ses souffrances ?

Comment faire remonter les propos de celles et ceux que l’on entend pas ?

Comment imaginer un autre monde, si possible meilleur, éthique, à portée d’oreille ?

Comment ces gestes et questionnements s’insèrent dans une réflexion et une action globale, touchant des formes de démocraties actives, participatives, des pédagogies émancipatrices, des propositions autour de l’aménagement (raisonné) du territoire, des formes de sobriété, d’apaisement, de ralentissement, de ce que je nomme une écosophie écoutante… ?


Et concrètement ?

La marche, l’arpentage, restent pour moi des moments, forts situés dans des environnements donnés, privilégiés pour faire l’expérience de territoires auriculaires aussi complexes que fragiles.

Les parcours en duo d’écoute par exemple, où j’invite quelqu’un à me guider dans une ville, un quartier, un village, et à causer librement de ce qu’on y entend, voit, sent, des ses humeurs du moment, des histoires locales et des imaginaires… Le tout étant enregistré de façon brute, sans aucune coupure ni retouche. Une façon de collecter des récits en marche, de mailler un territoire par une petite collection de traversées sensibles, de les remettre en écoute. https://desartsonnantsbis.com/pas-parcours-audio-sensibles-en-duo/

Les PAS – Parcours Audio Sensibles collectifs, sont une autre forme d’écoute, où le silence, la lenteur, les traversées d’espaces insolites, inhabituels, les points d’ouïe (arrêts sur son) mettent les marcheurs auditeurs en situation d’écoute active, consciente et partagée. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/les-choses-etant-ce-quest-le-son

L’inauguration (officielle) de points d’ouïe, sous forme d’une manifestation festive, un rituel tendant à rechercher les lieux de belles écoutes, d’aménité paysagères, en contre-pied avec les visions négatives de la pollution et des nuisances sonores. Une façon positive de mettre en valeur des espaces acoustiquement riches, reposants, agréables à entendre, et au final de les protéger, voire de s’en inspirer dans des projets d’urbanisme. Une rencontre avec des habitants et élus pour faire entendre ce qui sonne bien, où on s’entend bien. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/inaugurations-de-points-douie?preview=1

La création sonore et/ou multimédia convoque l’imaginaire, le fictionnel, les paysages revisités au fil des collectages et récits, comme des interprétations, des formes d’écritures territoriales nourries des différentes expériences d’écoute.

Les gestes d’écoutes croisées sont riches, avec des illustrateurs, photographes, vidéastes, danseurs, urbanistes dans le cadre de plan paysage, de lecture de paysage, sociologues, anthropologues, philosophes, acousticiens, poètes et écrivains… Ces approches hybrides peuvent s’inscrire dans le cadre de recherche-action, recherche-création, dans une visée résolument transdisciplinaire qui, dans le meilleur des cas, va faire participer tant les chercheurs, artistes, pédagogues, élus, techniciens, que les habitants. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/paysages-phono-photographiques

http://recherche-action.fr/hugues-bazin/download/espaces%20et%20territoires/2012_Tiers-espaces.pdf

A oreilles nues !

A oreilles nues ! Les choses étant ce qu’est le son i

Un PAS – Parcours Audio Sensible, façon Desartsonnant(e)s, se fait en à portée d’oreilles, sans autre extension appareillante, prothésante, protubérante…

C’est le choix d’une forme minimaliste, performative, auscultant un monde auriculaire complexe, grouillant de sons, acoustiquement fascinant.

L’imaginaire, le détournement, le décalage, la création sonore, l’installation éphémère, ne seront pas pour autant négligés, et pourront nous donner à entendre des paysages sonores (re)composés, comme il se doit dans une perspective paysagère.

C’est une façon de se connecter, ou de rester connecté aux écosystèmes sans artifices, sobrement, sans dépense énergétique, si ce n’est celle de notre corps et de notre attention, ce qui est déjà beaucoup.

C’est une façon de créer des paysages sonores sans sons rajoutés, ou de façon très minimale, en accord avec l’acoustique des lieux, prônant un équilibre non invasif, la non agression de ses milieux, du vivant…

C’est une immersion convoquant des postures d’écoute physiques, psycho-sensorielles, invitant l’arpenteur écoutant à s’adapter aux sons et aux ambiances paysagères, à y réagir, y improviser des gestes individuels et/ou collectifs non intrusifs.

C’est une façon d’expérimenter la lenteur et les silences habités, de rechercher des aménités apaisantes.

C’est une approche éc(h)osophique, éthique, une forme de récit permettant de (re)lire des espaces acoustiques fragiles, d’y prêter attention, de les faire délicatement sonner, résonner, de s’y retrouver, d’en prendre soin.

Point d’ouïe, narration sous forme de tentative d’épuisement

Assis sur un banc de pierre, tout près de chez moi.

Une petite ville provinciale.

Quartier came, tous les commerces sont fermés à cette heure.

21 heure milieu octobre

Nuit tombée.

Température douce .

Un ruisseau se fait entendre

encastré dans une faille minérale assez profonde

il se tait en traversant la place en sous-terrain

et resurgit à l’air libre quelques mètres plus loin

Il gronde depuis quelques mois sous l’effet des pluies répétitives et abondantes

de jeunes cyclistes passent en trombe

ils devisent joyeusement

un voisin claque ses volets métalliques

des voix de passantes traversent le parc tout proche

quelques voitures ronronnent

elles freinent à l’approche d’un ralentisseur marquant une zone 30

parfois claquent violemment les bas de calandre sur la chaussée

un chien au loin, solitaire

un autre, plus proche, en écho

des chouettes dans un bois voisin

un autre volet se ferme, de bois celui-ci

un tracteur agricole dont la remorque vide ferraille à tout va, déboule sans prévenir

un instant de calme, presque de silence

si ce n’est le ruisseau, intarissable

une cloche égraine joliment une sonnerie horaire

des camions ralentissent pour contourner un petit rond-point

un train klaxonne au sortir d’un tunnel

un écho collinaire s’en suit

à nouveau un oasis de calme

les vélos reviennent, crissements de pneus, chocs lors du retour au sol de leurs roues avant, après de virtuoses acrobaties sur une roue

à nouveau des voix, une famille se promène avec de jeunes enfants

la chouette réitère, à intervalles réguliers, ses hululements noctambules

il y en a sans doute plusieurs

des corneilles craillent rauque, j’aime beaucoup ce verbe enroué

un autre train ferraille, et toujours des échos

et encore le ruisseau, comme un fil bleu constant, égouttant le paysage

la température fraichit

les sons se raréfient

l’espace s’engloutit dans une tranquillité nostalgique

je ferme les écoutilles

et rentre chez moi.

Texte inspiré de « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » Georges Pérec

Grandes oreilles cherches repreneurs.euses

Les grandes oreilles cherchent une seconde vie.
Voulez vous les adopter ?
A donner avant destruction le 15/11/2024
Après deux présentations en Normandie, nous ne pouvons malheureusement plus stocker
cette œuvre et cherchons à la donner pour éviter la destruction.
L’œuvre est actuellement à la Maison du Parc des Boucles de la Seine, à Notre-Dame-de-
Bliquetuit (76940).
Les «oreilles» peuvent être transportées dans un camion-benne ou dans une camionnette
de 12m3 minimum.
écrire à : contact@mathieulion.com / instagram: @mathieumille
écrire à : contact@mathieulion.com / instagram: @mathieumille
Les grandes oreilles à la maison du parc des Boucles de la Seine (2024) et au parc de l’Ecanet (Villers-Bocage, 2022)
Hauteur approximative 2m30.
Les grandes oreilles sont faites en douglas, bois imputrescible, mais qui est devenu un peu
gris par endroit avec le temps. Un petit coup de ponçage et d’huile permet de renouveler et
prolonger la qualité esthétique des «oreilles».
Nous pouvons aider au chargement et éventuellement au transport si il se fait dans la Région Normandie.
Les grandes oreilles invitent les personnes qui les croisent à s’asseoir pour prêter attention au paysage
sonore.
En adoptant littéralement la forme de prothèses démesurées, Les grande oreilles est une installation qui propose de nous confronter à des perceptions étrangères, inhumaines : celles de la faune que l’on peut croiser au sein d’un parc public, au quotidien, parfois sans même s’en apercevoir.
L’installation sonore utilise habituellement un dispositif audio avec des micros pour donner à entendre
des sons normalement inaccessibles : les vibrations d’un milieu aquatique ; les signaux émis par les
chauves-souris ; les sons que l’on peut entendre lorsque l’on se place à la cime des arbres.
Ici, nous vous proposons de donner l’œuvre en tant que mobilier-sculpture, dans sa version « débran-
chée », sans électronique.


Les grandes oreilles à la Maison du parc
des Boucles de la Seine, 2024.
Hauteur approximative 2m30.
écrire à : contact@mathieulion.com / instagram: @mathieumille

Talbot Nicolas

E-mail:
nicolas.talbot@laposte.net

Site web:
https://www.le-doc.fr/

Drive

https://drive.google.com/file/d/1rvNI4LrjB8Wi25V6jqcF-9CBJSmFXmhE/view?usp=drive_link

Les assises du point d’ouïe, banc d’écoute

@Zoé Tabourdiot City Sonic Transcultures

Choisir un banc
Selon son emplacement,
Ce qu’on y entend,
Ce qu’on y voit,
À ’instinct
S’y installer
Ne rien faire
Laisser venir
S’immerger
Prêter attention aux sons
Ne pas chercher à trop les comprendre
Mettre l’écoute en avant
Sans la couper de la vue
Ni des autres sens
Jouir de l’instant présent
Considérer le moment comme une partition déroulée
Verticale
Horizontale
En mouvement
Multi-timbrale
Toute en nuances
Imaginer des signes transcripteurs
Imaginer des signe sonifiants
Noter les si besoin est
Des proposition à interprétations
Des pistes d’improvisations
Ne pas exclure d’être surpris
D’être étonné
D’être bousculé
D’être malmené
Expérimenter différentes séquences
A différents moments
Laisser jouer le Hasard
Prendre conscience des plans
Tout près
A mi-chemin
Lointain
Saisir les mouvements
A droite
A gauche
Ascendants
Descendants
Imaginer être happé par ces mouvements
Flotter au fil des sons
Des vents
Des échos
Considérer ces gestes comme des propositions
Non obligatoires
Pouvant être convoquées à discrétion
Juxtaposées
Superposées
Participer à un mixte capricieux.
Mettre l’écoute en arrière-plan
Ne plus avoir conscience du geste
Recommencer plus loin
Sur un autre banc
A d’autres moments
Diurnes
Nocturnes
Entre chiens et loups
Laisser la mémoire des écoutes s’installer
Les strates sensibles s’entremêler
Des séquences remonter à la surface
Constituer un herbier d’ambiances
Une cartographie sonore indécise
Flottante
Une partition à jouer et rejouer
Un paysage fantasque
Où tout peut se dissoudre
Où tout peut se (re)coller
Y puiser si besoin matières à composer
Se demander l’endroit, le moment, où on se sent bien
Ou pas
Celui ou ceux qui nous laissent de marbre
Faire de ces expériences des jeux de rôle
Les proposer à autrui
Les partager in situ
Construire, inventer ou adapter des règles communes
Ou individuelles
Échanger
Remettre en jeu
Collectivement
Ou non
Se laisser une marge d’incertitude
Mais avant tout
Prendre du plaisir
Inviter des oreilles
les nôtres et d’autres encore
complices et joueuses.

PAS – Parcours Audio Sensible – Explorer la nuit

Marcher en silence
A nuit tombée
Arpenter les rives d’un fleuve
Puis celles d’une rivière
Vers sa confluence inéluctable
Écouter
Les rumeurs de la ville
Exacerbées d’obscurité
Le nappage au noir
Éclaboussé de lumières
Et les sons s’y faufilent
S’y installent
Et s’entendent à merveille
Traversée noctambule
Une nuit transfigurée
D’auricularité en zones d’ombres
Contrastes en clair-obscurs
Des fêtes rythment nos arpentages
Sauvages ou bien sages
La nuit à portée d’oreille
Nous invitent à marcher
Dans la fraîcheur acoustique
D’une cité bavarde
Même au cœur des ténèbres
Qui savent aussi êtres bienveillantes.
Invitation à une exploration bruissonnante
Tout en nuances et contrastes
L’oreille se réjouit
Des traversées nocturnes
Où la ville murmure
Où la ville s’entend
Dans les furtivités canailles
D’une nuit bien sonnante.

Paysages auriculaires, vers une écosophie écoutable

Aujourd’hui, on parle aisément de paysages remarquables, voire fascinants, de sites spectaculaires, protégés, labellisés UNESCO, de classements, d’inventaires photographiques… Quid du paysage sonore ?

Pour avoir tendu mes oreilles et arpenté des médinas, de grandes cathédrales, des cirques montagneux surplombant une vallée, des cours intérieures urbaines, des cloitres, de grands ports maritimes, des forêts, des ruelles, suivi des torrents et des fleuves… les ambiances sonores se déploient comme des livres ouverts à nos oreilles. Des scènes auriculaires qui proposent une multitude d’ambiances et de récits entendables, pour qui sait en débusquer les richesses, en apprécier la diversité souvent dépaysante, par un simple décalage sensoriel, un simple « prêter attention », par le fait de tendre l’oreille. Accepter d’être surpris, voire bouleversé par la construction sensible d’un paysage sonore singulier, à la fois collectif et intimement personnel, au rythme de ses pas, des silences et d’une lenteur assumée, c’est entrer dans le monde de l’écoute de façon respectueuse. Une posture qui nous immerge sensoriellement sans modifier radicalement les caractéristiques paysagères, ni asservir les milieux traversés à nos envies d’une main-mise autoritaire, tendant à un tourisme vendeur et profitable. Gageons ici que les paysages auriculaires seront préservés de la surenchère touristique maltraitante envers des paysages visuels et leurs habitants, par le simple fait de leur immatérialité et d’une certaine instabilité les rendant plus difficiles à cerner et donc à appréhender. Sans compter la prédominance « naturelle » du visuel dans nos cultures européennes.

L’aménagement global du territoire, la métropolisation galopante, le développement des moyens de transport, l’extraction massive de ressources naturelles, sont autant de facteurs, parmi d’autres, qui menacent l’équilibre de nos paysages auriculaires. Il convient donc d’en repérer les richesses, d’en préserver certains, un maximum, des intrusions assourdissantes, de ménager des espaces calmes, où il fait bon entendre, et s’entendre. Au-delà du plaisir esthétique, affectif, une vision, ou plutôt une audition écologique, voire écosophique, dans ses approches éthiques, est nécessaire pour échapper au grand fracas tonitruant. Nous en revenons donc à la nécessité de prendre en compte les paysages auriculaires, en même temps que ceux visuels, en les frottant les uns aux autres comme des ambiances étroitement entrelacées. Je ne parlerais pas ici, par inexpérience, des paysages olfactifs, gustatifs, haptiques, et de tout ce qui contribue à faire sens, dans toute la polysémie du terme, dans nos cheminements et cohabitations au quotidien. Nos corps interagissants doivent être regardants, touchants, mais aussi écoutants, avec un travail à effectuer pour prendre conscience des richesses, mais aussi des fragilités, voire périls, de nos milieux de vie. Prendre conscience également du potentiel dont nous disposons physiquement et mentalement, pour ressentir plus profondément tous les stimuli qui nous font « être au monde », dans tous les sens du terme. Le paysage auriculaire nous montre souvent les paupérisations, parmi d’autres indices révélateurs et inquiétants de notre précarité environnementale. Les paysages à portée d’oreille font patrimoine, richesses, mais aussi contribuent à maintenir des cadres de vie soutenables. Les arpenter en les écoutant, corps et oreilles engagées, les repérer comme espaces de vie sociale partageables, si ce n’est confortables, sont des engagements à mon avis nécessaires autant qu’urgents.

Les projets culturels de territoire, l’éducation populaire, culturelle et artistique, l’enseignement dans son intégralité, le travail croisé entre artistes, institutions, collectivités territoriales, chercheurs et spécialistes de l’acoustique environnementale, de la bio et écoacoustique, du tourisme, du développement économique, des aménageurs architectes, urbanistes, paysagistes… sont des leviers certes compliqués à mettre en place, mais opérationnels dans leurs collaborations à moyen et long terme. A bon entendeur, salut, ou tout au moins des perspectives de préserver des milieux de vie qui ne soient pas que bruit et fureur.

Interrelations, un corps en mouvement, une écoute incarnée

Comment un corps en mouvement interagit-il avec l’écoute, en modifiant les postures, les perceptions de l’espace, de l’environnement, des ambiances, des présences… ?

Réciproquement, comment l’écoute influence-t-elle le corps en mouvement, ses gestes, ses réactions, ses allures, ses rythmes, sa sensibilité, ses capacités à se frotter au monde… ?

Seul ou à plusieurs, la construction, au prisme d’une écoute en mouvement, de nouveaux espaces sensibles, esthétiques, sociétaux, à l’aune d’expériences indisciplinées, soulève une problématique que j’ai mise en chantier et expérimentée depuis déjà longtemps. Elle demeure, plus que jamais, questionnée et retravaillée aujourd’hui. La problématisation, la ou les formulations, permettant de faire émerger une recherche fructueuse, me semblent être qu’au tout début d’un processus évolutif, en perpétuel chantier.

Au travers certaines thématiques de terrain, la présence acoustique de l’eau dans le territoire, les situations d’enfermement via une approche croisée jouant sur les trajectoires dedans/dehors, une approche écosophique de l’écoute, de ses approches pédagogiques  via l’éducation populaire, une, voire des formes de recherche-actions semblent se concrétiser au fil des marches écoutantes.
Et puis, il nous faut faire écho(s), et en jouer pour construire de nouvelles relations avec des tiers-espaces auriculaires.

Processus et rituels

PAS – Parcours Audio Sensible

Parcours en duo d’écoute

Inaugurations de points d’ouïe

Bancs d’écoute

Concerts improvisations de paysages

Partitions de PAS – Parcours Audio Sensibles

Formes mixtes

Formes contextuelles, à inventer…

Collaborations, indisciplinarité

Art, projets et action culturelle

Éducation, pédagogie, transmission

Santé

Écologie, écosophie

Recherche interdisciplinaire

Acoustique

Audionaturalisme, écoacoustique, bioacoustique

Justice

Mobilités

Tourisme

Aménagement du territoire…

Formes, traces et écritures plurielles

Création sonore (concerts, installations, radiophonie, muséographie…)

Textes, récits, publications de recherche

Images et vidéo

Formes performatives in situ

Actions collectives et participatives

Formes hybrides, mixtes, multimédia



A suivre.

Paysage(s) à portée d’oreille(s), les choses étant ce qu’est le son !

Desartsonnants est un artiste marcheur, paysagiste sonore, arpenteur écoutant.
Il travaille autour du paysage sonore, notamment via des parcours d’écoute (PAS-Parcours Audio Sensibles), des installations mobiles et concerts environnementaux…
Le projet PIC (Paysages Improvisations Concerts), les inaugurations (officielles) de points d’ouïe, les parcours sonores, font partie de sa démarche, entre esthétique, sociabilité auriculaire et écologie/écosophie.

Tout cela pour tenter de répondre à une simple question : Et avec ta ville, ton village, ta forêt, ta rivière… comment tu t’entends ?

PIC Concert de paysages (working progress)

Inaugurations de Points d’ouïe

Desartsonnants Portfolio

Desartsonnants projet artistique et culturel


Porteurs, porteuses et chercheurs, chercheuses de projets de territoires originaux, voire inouïs, si l’oreille vous en dit !

PAS – Parcours Audio Sensible en duo #18

Le 18e PAS-Parcours Audio Sensible Desartsonnants en duo d’écoute a arpenté une nouvelle fois le territoire lyonnais.

Pérégrination causante entre Saxe-Gambetta, Guillotière, Quai du Rhône, Perrache. Deux heures de promenade écoute causerie avec Pat Ri Cia, enregistrées à la volée et garanties non traitées. Retransmission sans retouches aucunes, comme il se doit pour ce genre d’exercice !

Des ambiances, sonores, visuelles, odorantes, lumineuses…

De l’écoute en marche, des ambiances, une tranche de ville, des paroles, de la matière sonore, et sans doute d’autres choses à suivre…

Pour entendre tous les PAS en duo

Comment écoutons-nous ? Le cas du paysage sonore

Ces derniers mois, le projet « Bassins versants l’oreille fluante » m’a fait longer et d’écouter moult cours d’eau, petits et grands, bouillonnants ou étales. Je les ai auscultés de près et de loin, en mouvement ou en mode point d’ouïe, statique. Je les ai enregistrés, annotés, renseignés, mis en mémoire… J’en ai tripatouillé les matières sonores liquides et les ai recomposées, rediffusées et installées ici et là, à ma façon, l’imaginaire compris.

Et au final, ce qui m’intéresse tout particulièrement aujourd’hui, c’est la façon , y compris et surtout physique, dont je les écoute, les entend, les donne à entendre… Entre finalités écoutantes et gestes situés, un chantier d’observation atour d’auricularités partagées se dessine, ou se poursuit, se creuse. Pour amorcer l’action et la réflexion, je parts de mes propres expériences, mais aussi des échanges et observations de groupes d’écoutants et écoutantes, confrontés aux terrains et sites acoustiques investigués.

Comment suis-je arrivé à l’eau, physiquement ? Quels trajets et lieux j’ai choisis ? Seul ou en groupe ? Où me suis-je arrêté, posé ? Les postures d’écoute, assis, allongés, yeux fermés, en marche… ? les temporalités, allures, rythmes et durées ? Qu’en ai-je enregistré, retenu, souligné ? Quelles sources (sonores) m’ont frappées, attentionnées ? La place de l’arpentage in situ ? Quelles ambiances j’ai appréciées, ignorées, ou détestées ? Des écoutes appareillées, à oreilles nues, mixtes ? Quels « silences » ont surgis ? Quels affects, ressentis, émotions ? Pourquoi et comment (vastes questions ) ? Des situations immersives, ou distanciées ? Quelles intentions, envies et projets à venir ? Des approches de terrain en mode recherche-action/création, de l’indiscipline ? Des traces, productions, médiations ? Des outils contextualisés à développer, des médias à mettre en place ? Des réseaux à activer, développer ? Des approches et visées pédagogiques, des supports, des outils d’apprentissages émancipateurs, de la recherche via l’éducation populaire ?

En fait, je tenter de décortiquer et d’appréhender de façon pragmatique, au moins autant, si ce n’est plus, le geste d’écoute, la posture de l’écoutant et de l’écoutante, que la chose écoutée (ici les territoires liquides, les voies et voix d’eaux), sans pour cela en ignorer leurs qualités esthétiques, environnementales, sociétales…

Le chantier est plus vaste et complexe qu’il n’y parait de prime abord, mais c’est ce qui rend ses enjeux et perspectives passionnantes, autant qu’ incertaines…

Points d’ouïe – Tiers-espaces écoutants

Créer des tiers-espaces écoutants, une amorce d’un projet de recherche-action. Je cherche des voix complices. En présence, à distance… On marche, on parle, on écoute… On s’assoit, ici et là, on écoute encore, on échange… L’enregistreur garde trace de nos propos. Des tiers-espaces auriculaires apparaissent ainsi, peu à peu. Une, deux, trois, cinq personnes, plus, lui donneront vie en installant l’écoute, le silence, le dialogue, dans différents espaces-temps habités. La matière sonore récoltée pourra être réutilisée, terreaux de mondes sonores en devenir, de tiers-espace résonnants….

On en parle…

PIC sonore – Paysage Improvisation Concert

PIC – Paysage Improvisation Concert – Juin 2019 – Cathédrale de Kalininberg (Ru) Institut Français de Saint – Pétersbourg

Je ré-ouvre un chantier d’écoute-action, le PIC – Paysage Improvisation Concert, expérimenté en 2019, à Kaliningrad, en Russie, à la demande du festival « Around the Sound », invité par l’Institut Français de Saint-Pétersbourg. J’ai pu retesté cette formule sous une une forme collective, ce printemps avec OTO, l’Ouvroir des Territoires de l’Ouïe à Montbron, entre Charente et Aquitaine.

Première phase, arpentage à oreille nue du terrain, de la ville, de des périphéries, d’espaces « naturels »…

Deuxième phase, prises de son, field recording (enregistrements de terrain), première approche du paysage sonore local.

Troisième phase, Marche écoutante collective, PAS – Parcours Audio Sensible autour des site visités et enregistrés.

Quatrième phase, improvisation publique, (dé)concertante, performative, électroacoustique, à partir des les sons et ambiances captés sur le terrain. Ceci à l’aide de différents logiciels libres, détournés de leurs fonctions initiales, c’est comme cela que je les adore, assemblés comme une boite à outils modulable, pour fabriquer du paysage sonore sans filets.

Cinquième phase, trace/mémoire audio, cartographique et géolocalisées sur internet.

Projet contextuel dont la trame est susceptible d’être adaptée en fonction des lieux et cadres d’accueil.

PS : Une fiche projet est en cours de rédaction

Points d’ouïe et vertigineuses sound-studies

La recherche documentaire, la médiation autour de pratiques culturelles, artistiques, scientifiques, celle du monde sonore par exemple, la veille informatique… sont des champs d’exploration passionnants, éminemment chronophages et quasi obsessionnels.

On y met un doigt, et la vertigineuse aventure de recherche nous happe corps et bien. On y tisse des relations inouïes, entre musique, son, environnement, architecture, psychologie, sciences sociales, cognition, technologie, langage, philosophie, géopolitique, communication, physiologie, perception, écologie, média, éducation, paysage, géographie… Le temps des encyclopédistes révolu, l’exhaustivité n’étant pas de ce monde Oh combien frénétique, les connaissances se dérobent au fil des découvertes, ce qui rend la frustration presque réjouissante, autant que vertigineuse.

On plonge dans le monde des sound studies où la chose sonore, son écoute, ses ses pratiques, approches indisciplinées, connectent des champs de recherche-action trop souvent cloisonnés. Un quête insatiable qui nous donne sans doute à écouter autre chose, entre les lignes, et au final autrement.

Points d’ouïe, révéler, faire sonner !

PAS- Parcours Audio Sensible à la Romieu (Fr) – Co-curation des Rencontre Internationales Made of Walking 2017

Dans mon projet d’écoutant, j’ai des envies récurrentes. Parmi celle-ci, figure le fait de révéler les singularités des des ambiances et espaces acoustiques, qu’ils soient urbains ou « naturels », de jouer avec, de les faire sonner, de les partager… Tout ceci en les respectant, sans les bruitaliser, avec bienveillance, et parfois-même en silence.

Parcours Conf’errances, récits, échanges, lectures, mini-installations situées, éphémères, discrètes, jeux instrumentaux, improvisations in situ, inaugurations de points d’ouïe, écritures et croisements indisciplinés…


Si ce projet vous inspire, voyons comment le faire vivre ensemble !

Sons de la rue, sons à la rue

« Paroles de mur » Deuxième groupe d’intervention – 2002

Trans-Express, Oposito, Décor sonore, Kumulus, Komplex Kapharnaum, le Théâtre de l’Unité, Délice Dada, Mécaniques vivantes, Les Cubiténistes, Ici-même, Agence Tartare, L’éléphant Vert, Stéphane Marin, Kristoff K’roll, Michel Moglia, Pierre Sauvageot,  les Grooms, Deuxième Groupe d’intervention, Metalovoice, Marie-Do Fréval


Sans doute, les habitués du macadam auront reconnu dans cette liste un brin inventaire à la Prévert, des artistes et troupes de ce que l’on nommait autrefois théâtre de rue, aujourd’hui arts de la rue et régulièrement arts en espace public.
Mais qu’ont donc en commun ces artistes, compagnies, aux styles très différents ?
Sans doute aurez-vous pensé que la chose sonore n’est pas étrangère à l’affaire, et vous avez parfaitement raison.
Paroles, musiques, créations sonores, mises en écoute, façons de faire sonner l’espace, de donner à entendre des histoires drôles, noires, intimes ou spectaculaires, les arts de la rue ont su trouver des formes de langages ad hoc, dans des lieux bien sonnants, et souvent bien sonnés.
Entre parades démesurées, interventions bruitistes post rock, fanfares déjantées, harangues foraines ou récits intimes, de proximité, beaucoup de spectacles ont réchauffé mes oreilles, de places en rues, et disons-le m’ont fait aimer plus que jamais le fait de jouer avec les lieux, hors-les murs, à l’air libre.
Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire, et à faire, autour de la création sonore en espace public, même si, il y a quelques années déjà, un numéro spécial de Rue de la Folie s’y est penché, ainsi qu’Anne Gonon dans son essai « Tout ouïe ».
Des croisements entre des formes hybrides, déambulantes ou non, à voies nues, amplifiées, spatialisées,  des réflexions sur les façons de discourir, d’écrire par ou avec les sons, sur leur force émotive sans forcément la barrière scénique, l’héritage des sons de la rue, ou à la rue, est encore à creuser.
Lorsque Clément Janequin mettait en musique les cris de Paris, que Molière déplaçait ses tréteaux, et qu’ Oposito débaroule en Transhumance sauvage, à grands sons de tonneaux métalliques  frappés et roulés et de rock fiévreux, l’espace public devient un champ d’écoute et d’expérience sonore sans pareil.
On y installe des écoutes qui se frottent directement aux espaces de la ville, de la banlieue, et même des forêts profondes, et surtout aux territoires où se jouent parfois des sociabilités complexes. Le fait d’aller au contact des habitants, dont beaucoup n’oseront jamais franchir la porte d’un théâtre, est une richesse qu’ont su développer les arts de la rue, même s’il faut toujours lutter contre les tentatives d’instrumentalisation politique, et aujourd’hui les contraintes sécuritaires de plus en plus liberticides.
Porter et partager le son hors-les-murs, quelque soit le discours et les formes, reste une aventure passionnante, même régulièrement en silence en ce qui me concerne.

Histoires de points d’ouïe mis en œuvre

Faire œuvre, ce n’est pas forcément installer une trace tangible, durable, parfois spectaculaire…


C’est aussi marcher, se poser, écouter, raconter, partager des perceptions fugaces, immatérielles, sensibles, fortement ancrées dans la mémoire du geste, du corps, de l’espace, des lieux de rencontres, de partage…

C’est construire des traces où l’imaginaire s’invite pour essaimer sobrement des histoires amènes, à la fois situées et vagabondes, intemporelles et actuelles, singulières et universelles, intimes et collectives.


Les écoutes installées, points d’ouïe et paysages auriculaires révélés, nous invitent à partager des gestes simples, éphémères, nomades, quiets, nous reliant tant aux cités mégapoles qu’aux forêts profondes.

Point d’ouïe, construire en bonne entente !

De villes en montagnes, au fil des fleuves et ruisseaux, je marche, arpente, déambule, flâne, erre… Et en tous cas j’écoute, entend, ois, perçois, selon les envies, rencontres et projets…

Et pendant ce temps-là, se fabriquent des paysages à portée d’oreille, des points d’ouïe tissant une « géosonie » aussi universelle que singulière.

Construisons en bonne entente !

@ photo « Ouvrez les feuilles, un bruissement végétal… PAS – Parcours Audio Sensible avec un CEGEP de Drummondville (Québec).
Une rencontre au Québec supervisée par le groupe URAV de l’UQTR (Université de Trois rivières), CRANE lab (France), le centre culturel GRAVE de Victoriaville.
« Art, éthique, régénération » (2016) »

Point d’ouïe, citation

« … Allez dans les forêts, allez dans les vallées ;
Faites-vous un concert de notes isolées !
Cherchez dans la nature, étalée à vos yeux,
Soit que l’hiver l’attriste ou que l’été l’égaie,
Le mot mystérieux que chaque voix bégaie.
Écoutez ce que dit la foudre dans les cieux !
Enivrez-vous de tout ! enivrez-vous, poètes,
Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,
Du voyageur de nuit dont on entend la voix ;
De ces premières fleurs dont février s’étonne ;
Des eaux, de l’air, des prés, et du bruit monotone
Que font les chariots qui passent dans les bois.
Contemplez du matin la pureté divine,
Quand la brume en flocons inonde la ravine ;
Quand le soleil, que cache à demi la forêt,
Montrant sur l’horizon sa rondeur échancrée,
Grandit comme ferait la coupole dorée
D’un palais d’orient dont on approcherait !
Enivrez-vous du soir ! à cette heure où, dans l’ombre,
Le paysage obscur, plein de formes sans nombre,
S’efface, des chemins et des fleuves rayé ;
Quand le mont, dont la tête à l’horizon s’élève,
Semble un géant couché qui regarde et qui rêve,
Sur son coude appuyé !
Si vous avez en vous, vivantes et pressées,
Un monde intérieur d’images, de pensées,
De sentiments, d’amour, d’ardente passion,
Pour féconder ce monde, échangez-le sans cesse
Avec l’autre univers visible qui vous presse !
Mêlez toute votre âme à la création !
Car, ô poètes saints, l’art est le son sublime,
Simple, divers, profond, mystérieux, intime,
Fugitif comme l’eau qu’un rien fait dévier,
Redit par un écho dans toute créature,
Que sous vos doigts puissants exhale la nature,
Cet immense clavier !


Victor Hugo, « Pan » (extrait)

Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les feuilles d’automne (1831).

Texte intégral

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Points d’ouïe et rituels festifs

Les points d’ouïes n’existent pas sans l’écoute, qui elle-même ne se fait que s’il y a des écoutants.

Des cérémonies d’écoutes, fêtes unissant le geste dans un forme rituallisée, non religieuse, païenne, à une approche symbolique transcendée.

Une cérémonie, un rite, sont des façons de rassembler des écoutants pour vivre une action singulière, pouvant être festive, collective, située, participative, revendicative.

Des mises en situations ad hoc, poétiques, des postures, scénarisées, improvisées, sont à même de dynamiser des actes artistiques, des actions culturelles, des projets de territoire.

La récurrence, la répétition, les actions itératives, les variations, contribuent à ritualiser les gestes d’écoute.

Quelques ritualisations et cérémonies auriculaires

  • Marcher lentement, en groupe, dans différents lieux, à différents moments du jour ou de la nuit
  • Écouter
  • Marcher en silence
  • Écouter
  • S’immobiliser, en silence, sur des Points d’ouïe
  • Écouter
  • S’assoir longuement sur un ou plusieurs bancs
  • Écouter
  • Inaugurer, officiellement, des Points d’ouïe
  • Écouter
  • Lire des textes de différentes natures, relatifs à l’écoute, à l’histoire des lieux, au paysage sonore, à l’écologie…
  • Écouter
  • Noter tout, ou presque, ce que l’on entend, le dire
  • Écouter
  • S’allonger une nuit, à l’aube, à tombée de nuit, dans une forêt, un parc urbain, une combe montagneuse, une grotte…
  • Écouter
  • Chanter, jouer d’un instrument, dans un espace réverbérant, jouer avec les acoustiques, faire sonner l’espace
  • Écouter
  • Écrire, performer, rejouer avec moult variations, des partitions de marches écoutantes, des micro performances in situ…
  • Écouter
  • Échanger sur les écoutes collectives, les ressentis…
  • Écouter
  • Créer des situations immersives en entourant un groupe de sons, acoustiques ou non, d’objets sonores géophoniques…
  • Écouter
  • Combiner des postures entre marche, immobilité, silence, productions sonores…
  • Écouter…

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BALADE SONORE EN PAROLES – SUR LES QUAIS DE VIVE VOIX !

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Archive sonore retrouvée.

Quais de Saône à Lyon, vers la place Valmy, un dimanche des vacances de Noël 2011, vers 19H.
Il fait nuit.
Des voitures, des hommes, des animaux et… Un promeneur-écoutant qui commente.
Car dire c’est commencer de faire vivre.

Points d’ouïe – Paysages en écoute

Points d’ouïe, approche desartsonnantes

paysage-en-c3a9coute

Un point d’ouïe est un lieu repéré, à partir duquel on écoute une parcelle d’unj paysage situé

Un point d’ouïe présente à l’écoute un site acoustique remarquable, ou tout au moins qualitatif, de par ses sources et/ou ses effets acoustiques

Un point d’ouïe se définit par une méthodologie de repérage dite sensible, en collaboration si possible avec des autochtones

Un point d’ouïe est un espace à partager, libre d’accès à toute heure et à tout moment

Un point d’ouïe peut-être en espace naturel, rural, périurbain, urbain, en site touristique, patrimonial, architectural, industriel…

Un point d’ouïe peut être officialisé, inauguré et rejoindre un inventaire via une cartographie sonore et un site dédié

Un point d’ouïe cartographié s’inscrit dans un maillage cartographique mondial, comme un constituant d’un vaste paysage sonore universel

Un point d’ouïe inauguré permet la rencontre avec les élus locaux autour de la préservation d’espaces acoustiques qualitatifs, et en valorisant des aménités paysagères, architecturales…

Un point d’ouïe peut demander à être activé, excité, pour se révéler complètement

Un point d’ouïe peut être aménagé, ou non (signalétique, consignes, assise, cadre et mobilier d’écoute…)

Un point d’ouïe est à la fois public, partagé, et offre une perception singulière et intime dans son approche sensorielle

Un point d’ouïe est à la fois très localisé, spécifique, unique, et à la fois universel dans le geste d’écoute qu’il propose, comme une grande fenêtre auriculaire, ouverte sur le monde

Un point d’ouïe est une conception esthétique (musique des lieux), artistique, mais tend aussi à valoriser un territoire en promouvant une belle écoute, dans une démarche proche de l’écologie, de l’écosophie sonore

Un point d’ouïe est un élément parmi d’autres, visant à une recherche impliquée autour des paysages et territoires sonores

Un point d’ouïe peut-être un lieu propice à des actions pédagogiques, des sensibilisations autour de l’écoute et des lectures audio-paysagère

Un point d’ouïe peut-être un lieu d’enregistrement sonore, ou un espace central autour duquel pourra se construire une carte postale sonore in situ; ou tout autre création sonore, radiophonique…

Un point d’ouïe peut s’inscrire dans un parcours d’écoute, ou un parcours sensible plus large, le ponctuer, l’animer…

Un point d’ouïe peut être le théâtre d’actions sonores et/ou musicales, performatives, improvisées, voire indisciplinaires

Un point d’ouïe, initialement abordé à oreille nue, reste ouvert à toute nouvelles technologies, notamment numériques, dans sa médiation et l’écriture sonore de paysages in situ ou out situ

Un point d’ouïe est comme un point de vue, fragile dans le temps si l’on ne prend pas garde de protéger son environnement

Un point d’ouïe peut être d’autres choses encore, auriculaires, selon le lieu et le projet dans lequel il s’inscrit

Inaugurations de sites « Points d’ouïe »

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Il existe une reconnaissance une visibilité, un repérage, un inventaire, parfois une labéllisation de sites patrimoniaux, architecturaux, voire naturels (UNESCO). De même, nous trouvons également ici ou là des points de vue repérés, des guides et des cartes, des tables d’orientation, des longue-vues permettant d’appréhender un paysage, un panorama remarquable du regard.
Quid du paysage sonore ?
Pourquoi ne pas repérer, signaler, inventorier un site point d’ouïe comme un espace entendu et reconnu comme tel ?
Pour cela, il convient d’officialiser la démarche, d’inaugurer avec des élus locaux des sites d’écoute, de leurs donner une existence concrète en temps que sites auriculaires. Il nous faut alors couper le ruban symbolique, pour ouvrir le paysage à l’écoute, une action qui, au-delà de son caractère anecdotique, singulière, se pose comme une invitation à prendre notre environnement sonore en compte, dans une approche tout à la fois esthétique, sociale et écologique. L’implication d’élus permet, en amont d’une inauguration symbolique, d’entamer une discussion autour du statut du paysage sonore, de sites à protéger, à valoriser, à penser une sensibilisation vers une écoute aiguisée, qualitative, à rechercher une qualité acoustique des lieux de vie… bref, à une approche où l’écoute est posée comme une posture sensible et écologique.
Au-delà de l’inauguration de points d’ouïe, l’inscription de sites dans une cartographie interactive, via des outils et réseaux internet, prolonge le geste en construisant un maillage d’un vaste territoire sonore mondial, entre la singularité du local et l’universalité de l’écoute partagée.

Lien : Le projet in situ : Drée premier point d’ouïe inauguré

Arte Plan du Polau

Écritures/prolongements

Le projet Points d’ouïe s’inscrit dans une série d’actions autour de la lecture et de l’écriture des paysages et territoires sonores in situ, qu’ils soient urbains, périurbains, ruraux, en sites naturels, touristiques, architecturaux, industriels, patrimoniaux….

L’enregistrement in situ, la création de cartes postales sonores, différents types de PAS – Parcours Audio Sensibles, des actions performatives et plastiques avec des plasticiens, poètes, danseurs, slameurs, des ateliers et conférences, des installations éphémères, des formes d’écriture sonore et textuelles, sont autant de possibles pouvant être convoqués ou agencés selon le contexte les spécificités du terrain,  et des projets.

Paysages sonores, collège Gérard Philippe de Saint-Priest (69)

Après avoir expérimenté dans les murs et hors-le-murs d’un collège saint-priod, des balades écoute, captations, montages, conversations… nous voici, pour clore le projet, en studio de radio.

Cette conversation radiophonique, à Radio Pluriel de Saint-Priest, qui nous a accueilli dans ses studios, fait suite à un projet de création sonore audio paysagère. Plusieurs professeur(e)s s’y sont associés.

Merci à Aurélie Martinaud, enseignante en arts plastiques, d’avoir impulsé ce projet, à l’équipe et aux professeurs du Collège Gérard Philippe, de l’avoir accueilli, aux élèves d’avoir joué le jeu, et à Radio Pluriel de nous avoir donner audience pour présenter notre travail.

Point d’ouïe, paysages auriculaires hybridés

Oyez, oyons !

Penser, construire et rendre (plus) vivable un paysage par et pour les oreilles, passe par une hybridation multiple, décloisonnée, une action indisciplinée.

Acoustique, bioacoustique, éco-acoustique, création sonore et musicale, santé, éducation, aménagement du territoire, politique et droit culturel, philosophie, sociologie, anthropologie, arts vivants, arts plastiques et performatifs, danse, géographie, fabrication de communs, écologie/écosophie, histoire, littérature et poésie, sciences de la nature… il nous faut non seulement convoquer une approche multi-sensorielle, mais plus encore, une recherche-action transdisciplinaire.

Dans un monde complexe, il est plus important que jamais de brasser, frotter, hybrider des connaissances, savoir-faire, passions, engagements, pour entendre par le grand bout de l’oreillette, et agir en (presque) toute connaissance de cause.

Point d’ouïe, marcher, écouter et… vivre ensemble

Un PAS, une marche d’écoute, ne sont pas une fin en soi, sinon ils risquent fort de rester à l’état d’une animation somme toute superficielle, même si l’expérience est agréable à vivre.
Que ces parcours d’écoute s’inscrivent dans un temps court ou au sein d’une résidence d’écriture plus conséquente, ils doivent, pour moi, contribuer à creuser quelques questionnements, selon les lieux et les contextes. Il me faut pour cela, via ces outils et écritures de terrain, alimenter une recherche autour d’une écoute écosophique, comme une bâtisseuse, fondatrice et agitatrice de paysages sonores vivants, partagés.

Parmi les problématiques, citons-en quelques unes sans chercher à les hiérarchiser, ni à les détailler ici :
L’approche esthétique d’un paysage sonore, la recherche du plaisir d’écouter ensemble, du geste sensible pour faire émerger de nouveaux territoires auriculaires, les construire et à les vivre collectivement.


La recherche d’un ralentissement, d’une décélération, d’une économie de moyens en mode mobilité douce.

Le repérage, l’inventaire, la préservation et/ou l’aménagement de zones calmes, apaisées, comme des oasis acoustiques protégés.


La mise en écoute de scènes acoustiques favorisant des postures bienveillantes, avant tout relationnelles et humanistes.


L’approche écologique, voire écosophique, montrant les richesses et les fragilités des écosystèmes.

L’urgence qu’il y a de cohabiter sereinement dans nos espaces communs, urbains ou non, avec tous leurs résidents, quels qu’ils soient.


L’obligation pressante de porter attention à nos milieux de vie, et d’en prendre soin
.

L’importance d’une approche sociétale, avec l’écoute comme une façon de mieux s’entendre, communiquer, construire collectivement…

Le fait entreprendre des réflexions, des aménagements où le sensible et les techniques, technologies, sciences, sont convoqués dans une approche indisciplinaire féconde.

Certes je le redis souvent, et j’aime à le répéter, marcher en portant notre attention, notre écoute sur le monde ambiant, nous ouvre de multiples perspectives, des champs d’action que j’espère innovants et à portée d’oreille. Cogitons et pratiquons ceci pour que nous puissions, modestement, à l’échelle de nos écoutes, de nos échanges, vivre de la façon la plus apaisée et respectueuse que possible, dans un monde aussi incertain que turbulent.

Point d’ouïe, par où commencer pour bien débuter, et inversement ?

Beaucoup ont fait l’expérience, dans un geste artistique, une expérience amoureuse, du fait que la première minute est souvent décisive ! Du coup de foudre à la sidération, ou de l’ennui à la désertion.

En tant qu’artiste par exemple, on embarque, plus ou moins, plus ou moins vite, ou pas, un public, dans notre univers, notre histoire, nos propositions… Surtout si celui-ci participe à une action en espace public, où il sera libre de quitter la « scène » quand il veut, quand il décroche, quand il s’ennuie, pour rester poli. En tant que musicien, parfois chef d’orchestre, j’ai souvent redouté le premier son, la première attaque comme on dit, ou le premier geste, le premier regard vers un orchestre. On sent très vite si le courant passe, l’attention des musiciens, l’énergie circulante entre le chef, l’orchestre et le public, une forme de communion galvanisante. Et parfois, la mayonnaise ne prend pas comme on l’aurait souhaité, ou le soufflé retombe.

Dès les premiers instants, la façon de démarrer, d’impulser, de transmettre une énergie, de mettre en marche, y compris physiquement, me questionnent, sur le fait de bien commencer, et des façons de faire pour cela.

Pour justement mettre en marche, en mouvement, une déambulation d’écoute, un PAS-Parcours Audio Sensible, en embarquant très vite un public parfois peu aguerri à ce genre d’exercice qui, dans ses phases de lenteurs silencieuses, peut désarçonner.

Je me questionne donc sur le premier instant, celui qui peut être un bon enclencheur, un vrai déclic. Alors comment mettre rapidement l’écoute en marche, en action déambulante ?

Faut-il préparer une intro bien rodée, rassurante, ou compter sur une forme d’improvisation libre ?

Mettre l’auditoire en situation, en lui racontant les origines historiques, les courants, contextes et projets du soundwalking et autres parcours d’écoute ?

Énoncer les objectifs, visées et attendus de l’expérience ?

Créer du récit, du rêve, de l’imaginaire, de l’intriguant, du titillant ?

Se mettre en condition, en situation, par des jeux et des postures d’écoute ?

Ne rien dire, ne rien expliquer, ni a priori faire, en tant que gestes préparatoire, et se jeter tête et oreilles baissées dans le parcours d’écoute, sans autres formes de préliminaires ?

Composer selon l’humeur, le ressenti du public, l’ambiance, l’instinct, le lieu ?

L’essentiel, c’est de prendre le risque de se frotter collectivement au terrain d’écoute, avec tous les aléas et risques inhérents, y compris celui de se planter ! Mais en essayant de bien commencer pour ne pas trop mal finir !

Les choses étant ce qu’est le son !

Point d’ouïe et geste d’écoute – se pauser dans les sons

Si on considère l’écoute, au delà d’un ressenti, d’un plaisir, d’une volonté de capter nos environnements sonores pour les entendre, les comprendre, on peut observer le geste en lui-même, ou plutôt certains gestes d’écoute, comme des objets singuliers d’étude. Ici nous nous arrêterons sur la pause-écoute, un arrêt sur son, une forme d’immobilisation temporaire dans ce que je nomme souvent point d’ouïe.

La nécessité de se pauser quelque part et à des instants où s’en fait ressentir le besoin, peut-être celui de se reposer, est aujourd’hui d’autant plus forte dans un monde chahuté, bousculé et bousculant.Ce qui est sans doute moins courant, c’est le fait d’organiser ces pauses autour d’écoutes collectives ou solitaires préméditées. La pause écoute peut donc être entendue comme la pause café, un instant de repos, une rupture dans une activité de marche par exemple, une détente dans une action en cours, Il s’agit de porter attention à un lieu, à ses caractéristiques, sans le polluer de nos gestes et bruits superflus, en se penchant sur un objet/lieu spécifique, à un instant T.Ce geste peut être convoqué, provoqué, stimulé dans une pure intentionnalité. Je décide qu’ici, à cet endroit, pour telle raison, je vais focaliser mon sens de l’ouïe, durant quelques minutes, ou plus. Il peut s’agir d’une forme de protocole, de dispositif, de rituel, cérémonie, comme par exemple se placer sur des points de quadrillage géographique déterminés, pour entendre, analyser un territoire auriculaire, le cartographier méthodiquement.

On pensera ici aux fameux Oto date d’Akio Suzuki, qui signale au sol, ou aménage des points d’ouïe orientés, en ville ou dans des espaces naturels, nous invitant à y pauser les pieds et tendre l’oreille dans des directions d’écoute préalablement déterminées.

On peut également être invité à se pauser, dans une écoute active, attentive, non intentionnelle, par accident. Une volée de cloches, un chanteur de rue, une explosion… nous feront nous arrêter pour profiter, comprendre, voire pour se protéger d’une situation potentiellement dangereuse, relevant d’un événement sonore survenu à l’improviste. Le point d’écoute peut ainsi naitre d’un état de surprise, de sidération, ou comme sur une volonté préméditée de tendre l’oreille, pour différentes raisons que nous aurions défini préalablement.

Dans le cas de ces choix anticipés, de multiples cas de figure les motivent. Par exemple la préparation d’un parcours d’écoute, dans une visée esthétique ou une étude d’aménagement public, fera que l’on repère et choisit des espaces acoustiques intéressants, singuliers, où la présence d’une source sonore caractéristique, si ce n’est d’un mixte des deux. Il s’agira de savoir non seulement où se pauser, combien de temps, mais aussi comment ménager, vivre et partager ces points d’ouïe. Le fera t-on assis dans une clairière, sur des bancs, debout derrière une palissade, allongés sur des transats, sur une pelouse, yeux ouverts, ou fermés, Laissera t-on dans un groupe, guidé lors d’une marche d’écoute, les participants libres de choisir leurs propres postures, leurs proposera t-on des modèles physiques, que l’on jugera plus efficients par rapport au contexte du lieu, à la source… ? Se permettra t-on d’improviser des situations et d’interagir avec les ambiances des espaces arpentés, auscultés ? Utilisera t-on des objets comme des extensions amplifiant, orientant ou colorant nos écoutes, des trompes acoustiques, des stéthoscopes, des casques et des micros d’enregistreurs comme loupes auditives… ? Décidera-t-on en amont d’un protocole assez strict, ou laisserons-nous une marge d’improvisation, ou une adaptation réactive, libre, interagissante avec les situations rencontrées, les réactions du groupe, l’humeur du moment… ? Toujours est-il que le fait de se pauser dans les sons, de s’y immobiliser n’est pas anodin. Outre le fait de choisir un espace emblématique, et de s’y installer pour un temps plus ou moins long, dans un posture dite immersive, se laissant envelopper, porter par les objets sonores environnants, est un choix qui nous met en scène comme des écoutants actifs, attentifs. Je m’arrête ici, j’immobilise mon corps pour mieux entendre, je deviens moi-même une particule (silencieuse) d’un paysage sonore global, qu’à la fois je construis par ma propre écoute. Une sorte de feedback interagissant entre corps/espaces/sources/ambiances, renforcé par une posture physique et mentale assez inhabituelle dans son engagement.

Le point d’ouïe est un acte politique, engagé, dans le sens qu’il nécessite une implication active, corporelle, éthique, qui peut être écologique, écosophique, impliqué dans des contextes d’aménagement urbain ou non. Observons maintenant attentivement un groupe de promeneurs écoutants dans une situation de point d’ouïe pausé. Il sont immobiles, silencieux, ils ne se regardent même pas. Curieux attroupement, qui questionne celui ou celle qui regarde le groupe d’écoutant agir, c’est à dire écouter. L’écoute collective sur la place publique est mise en scène et se joue du regard, des commentaires, des questions des autres. Une forme de scénographie orchestrée dans l’espace public, qui se donne à voir, en donnant au final à voir l’écoute, ou tout au moins la posture qui la met en situation, en scène, la fait exister et la rend visible. La rythmicité même de la scène, arriver doucement sur une place publique, en groupe, en silence, s’immobiliser, donne une sensation d’étrange ralentissement, jusqu’à une forme d’arrêt sur image, ou plutôt ici d’arrêt sur son, voire les deux conjointement. Certaines personnes, spectatrices, comprennent assez vite la finalité de l’action, si étrange et inhabituelle fut-elle, d’autres non. Cette pause écoutante peut paraître une sorte de rituel qui va transformer jusqu’aux ambiances sonores de l’espace dans lequel il se joue. Les personnes assistant à cette cérémonie silencieuse vont rester à l’écart, observer curieusement, se taire parfois pour ne pas perturber l’écoute, éviter ou traverser furtivement le groupe… Il est évident que le maitre de cérémonie en joue, choisissant parfois des lieux peuplés, des terrasses de cafés, des place publiques où les piétons sont nombreux. Cette mise en scène d’une écoute un instant suspendue est parfois ressentie comme une invitation à rejoindre la scène sonore, furtivement et éphémèrement installée dans l’espace public, comme une proposition à tendre collectivement l’oreille, à déployer des antennes sensibles pour aller capter collectivement le moindre son environnant. Ce genre de pause est souvent une suspension dans un mouvement de « marchécoute », un break, une cassure dans un continuum déambulant, qui vient rompre la cadence, pour focaliser, tel un point d’orgue sur une partition, l’attention sur un espace-temps offert à l’écoute. Il peut être orchestré comme une mini cérémonie dans une fête écoutante, telles des minutes de silence, non pas sur le mode du souvenir, mais pour commémorer et sceller une belle entente partagée. Les lieux choisis, comme les événements prévisibles, ou impromptus, influeront évidemment l’attention d’écoute portée par le groupe. Sous un pont réverbérant, avec des claquements de véhicules au dessus de nos têtes, et dans l’obscurité d’une nuit tombante, un parking souterrain, une forêt profonde, autant de lieux qui offrent et subliment une sensation d’immersion assez fascinante. J’ai souvenir de « concerts » de grues chantantes dans le vent, entre chiens et loups, ou de grillons et sauterelles dans une immense combe prairie, qui nous ont littéralement charmés, et fait que nous avons pratiqué de très longues pauses, initialement inattendues, improvisées, lors de parcours d’écoute. On peut ici penser à la Deep Listening, l’écoute profonde développée par Pauline Oliveros, ou aux listen de l’artiste américain Max Neuhaus. De parcours en parcours, ces pauses points d’ouïe maillent un territoire par des repères donnant une tonalité, une cohérence, une écriture géographiquement territorialisée, comme une grille de lecture sensible, via l’approche post schaférienne de paysages sonores.

Au-delà du paysage auditif, la notion d’écologie, voire d’écosophie sonore, telle que la définit Roberto Barbanti, questionne l’écoutant qui décide de pauser une oreille critique sur les milieux arpentés. Ce qui nous charme, nous agace, voire nous agresse, filtrés par toutes les sensibilités et cultures propres, toutes les lectures et interprétations subjectives, émotives, les contextes ambiants, ne manque pas d’être exacerbé lors de ces haltes écoutantes.Entre exercice de lecture de paysage, propre à des approches d’aménageurs, et expérience esthétique dans la mouvance des arts (sonores) en espace public, la pratique des PAS – Parcours Audio Sensible s’articule autour de points d’ouïe, de ces situation où l’écoutant, le groupe d’écoutants, est invité à porter une attention profonde au monde auriculaire. Les marches d’écoute s’inscrivent dans une série de pratiques artistiques, sensibles dites de soundwalking, où le corps-acteur, actif, est fortement engagé dans un processus immersif situé. Ces jeux de l’ouïe nous proposent de co-habiter dans, par et avec les sons, y compris dans une construction sociétale ponctuelle, tricotée par les silences, la lenteur, et les situations et gestes d’écoute partagés, parfois improvisés.

Nous pauser ensemble, dans une communication non verbale, silencieuse, expérimenter des propositions corporelles et mentales qui sont souvent ressenties comme inouïes, sont des gestes qui nous proposent de nous (re)connecter avec soi-même, à l’autre, au monde environnant. Espérons qu’au-delà de ces intentions, les notions de porter attention et de prendre soin, s’inviteront naturellement dans notre rapport au monde sonore, voire au monde tout court.

Texte écrit lors d’une résidence création à la Saline Royale d’Arc-et-Senans Juin 2024

Bassins versants, Méli-mêle eau

Des grenouilles amplepuisiennes, des eaux du Sobant et de la Loue (25), et des corneilles de la Saline Royale d’Arc-et-Senans.
Ça coasse, graille et ruisselle.
Top’eaulogie sonore improbable, entre Rhône et Doubs.

Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Juin 2024 – Festival Back To The Trees et résidence création Saline Royale d’Arc-et-Senans

Auricularités attentives

Je propose de faire entendre l’environnement, les écosystèmes, d’écouter et mieux comprendre par l’oreille, nos milieux de vie, leurs beautés, leurs fragilités, ressources, paupérisations, saturations…
Écouter l’eau, la forêt, la ville, ses périphéries, en marchant, faire paysage.
Installer l’écoute, la lenteur, le silence, par des marches écoutantes collectives, des rencontres, débats citoyens situés, conférences, musiques des lieux, repérages, cartographie et inaugurations de points d’ouïe…
Co-construire une écosophie sonore attentive, des pédagogies indisciplinées…

Si l’oreille vous en dit,
Gilles Malatray
Paysagiste sonore
Promeneur écoutant
Installateur d’écoutes partagées

Le site Desartsonnants
https://desartsonnantsbis.com/
Un portfolio
https://urls.fr/X00jTW

Chronique bancale franc-comtoise, qui ne manque pas de sel

Chaque jour un banc différent
Adossé à une grande berne
Dans un jardin d’eau, ou zen, ou boisé
Dans un lieu très passager, pour échanger des bonjours, voire discuter un brin
Dans une allée isolée, en solo avec les corneilles graillantes et quelques insectes tenaces
Vers la gabelle ancienne, mal-aimée
La salle des commis, aussi mal aimés en administrateurs zélés
En leurs temps
Au centre des écuries du maitre
Sous un trio de châtaigniers séculaires
Dans un espace animé, à une heure animée
Ou un espace presque silence lorsque le site s’est vidé de ces visiteurs
A tombée de nuit, abrité d’une pluie qui a pris l’habitude, depuis quelques mois, de me suivre partout, en s’égouttant sans scrupules
Une eau tenace et qui s’entend
C’est vrai qu’ici, elle, l’eau, quittait le gemme pour donner du salant
Dans une démesure architecturale entre néoclassique et post baroque
Ponctuée de bancs, beaucoup plus récents
Lieu magnétique, qui m’attire toujours, toujours depuis longtemps
Et où je reviens comme en retraite ponctuelle, ressourçante, donner du sel à mon histoire
Des passages dedans-dehors, hors les murs de l’enceinte
En route vers la Loue furieuse et la forêt de Chaux
Immensité feuillue où il ne fait pas bon perdre ses repères
Et retour en Saline, vers un banc accueillant
Et retrouver les sons de la porte monumentale claquante
Des valises qui peinent et raclent sur les allées gravillonnées
Attendre que tout s’éteigne, entre chien et loups (et Loue voisine)
A la veille d’un solstice qui nous semble trop précoce, entre deux pluies battantes
Les impressionnistes ont gavé les paysages alentours de fleurs, d’arbres et d’eau, jusqu’à saturation
Et l’Absinthe y est née, comme une verte eau tonique
Je tricote toutes ces histoires et des sons
De banc en banc
Dans un cercle où je sens rayonner milles tonicités, comme des nœuds telluriques, que l’histoire des lieux aurait renforcé
Dans une salinité mouillée d’utopies dissoutes.
Les bancs sont mes bureaux multiples, d’un moment hors-les-murs
Mes lieux d’observation, d’écoute et de mots griffonnés
Lieux de chroniques saunières soniques, épicées de sels régénérants.

Projet « Bassins Versants, l’oreille fluante »
Divers bancs de la Saline Royale d’Arc-et-Senans (25)
20 juin 2024

Loue y-es-tu ? M’entends-tu ? Je t’entends !

Entre Doubs et Jura, La Loue coule sur un peu plus de 122 Km, bouillon tumultueux ou étale.
Bassin versant du Rhône, itinéraire méditerranéen via le Doubs et la Saône.
Courant plus ou moins audible. Ces jours-ci, et depuis plusieurs mois plutôt très audible.
Autrefois nommée louve, plus impétueuse, aujourd’hui assagie ?
La Loue est impressionniste, Ornand, Courbet, rivages peintures, paysages colorés. Parfois image d’Épinal.
Une source spectaculaire, grotte débouchée en cirque, émergence hautement bouillonnante, à flanc de reculée (topologie jurassienne), un paysage karstique caractéristique.
Une Haute Loue méandreuse, encaissée dans les gorges de Noailles, des boucles sauvages.
Une Moyenne Loue en plus douce vallée, mais charriant beaucoup et parfois, maintenant, débordant de son lit.
Une Basse loue, où je suis, assagie, quoique ces jours-ci grondante et débordante, qui l’eut crue !
Moulins et paysages archétypaux, tourisme archétypal.
Fromages, vins, charcuteries, des délices avoisinants, une région de rudes douceurs.
Comme un air de pureté liquide, de sauvagerie naturelle, néanmoins l’agriculture se fait sournoisement empoisonnante, et les célèbres truites en souffrent… Et d’autres espèces et végétaux, et humains, aussi.
L’eau compose et traverse des territoires régentés, aux activités qui façonnent, contrôlent, et souvent dégradent, appauvrissent leurs propres eaux nourricières.
Sujet brûlant s’il en fut, polémique à souhait, et qui le deviendra certainement de plus en plus. Comment ménager, voire restaurer, s’il est encore possible de le faire, les écosytèmes fragiles, face à des économies agricoles performatives, puissantes, un tourisme décomplexé…
Niveau auricularité, des acoustiques variées, du glougloutement au grondement, des sites bordés d’oiseaux pépiant et d’insectes vrombissant.
Accès le plus proche à pied, un bon kilomètre en partant de la Saline Royale, mon camp de base actuel.
Comme beaucoup de cours d’eau, l’accès est souvent géographiquement difficile, pour les écouter de près. Ripisylves et écotones sauvages, embergements et aménagements divers, crues, autant de barrières entre nous et les rivières…
Remarque : j’adore l’accent franc-comtois local, qui me dépayse presque en Suisse voisine. Je ne me moque pas, ne plaisante pas, c’est un réel plaisir pour moi que d’entendre chanter les lenteurs locales, celles qui résistent à l’aplanissement d’un accent unique, modelé par les média centralisateurs.

Tout cela semble couler de source, pourtant, à bien y écouter…

Jardins contre nature ?

Venu en Franche-Comté pour écouter ausculter l’eau, les jardins tiennent une place importante dans ce parcours, en me rappelant une de mes premières études d’horticulteur paysagiste, qui au final m’ont amené vers les paysages sonores. Le plaisir multisensoriel du jardin ne m’a jamais quitté, la traversée de lieux sonifères où eau, végétaux et faune, si on leur laisse des espaces ad hoc, peuvent joliment cohabiter.


Sur le festival Back To The Trees, j’ai l’immense plaisir d’intervenir dans une causerie forestière, sur la thématiques de « jardins secrets », en compagnie du paysagiste écrivain Marco Martella, immense conteur engagé pour la cause des jardins, et aussi Marc Namblard, audionaturaliste chevronné et Marylou, une artiste sonore qui fabrique des bestioles soniques. Riches échanges publics sur nos jardins secrets, ou presque…


Le lendemain, débarquant à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, je retrouve, de façon impromptue, Gilles Clément, dont le travail sur le tiers-paysage me fascine depuis longtemps.
Cette même Saline organise chaque année un superbe festival des jardins, avec des élèves d’écoles du paysage. Les jardins thématiques en périphérie de ce lieu magiques nous font voyager dans une belle rêverie végétale, minérale…
L’immense cercle, extension de la Saline pour montrer le rond initial imaginé par Claude Nicolas Ledoux fait lui aussi la part belle aux jardins dans tous leurs états.`
Ces biotopes accueillent moult animaux qui chantent, piaillent, graillent, sifflent, stridulent… L’oreille comblée !


Et, pour finir avec un tissage d’histoires jardinières, je décide de revoir, hier soir sur ARTE, le magnifique et bouleversant film de Vittorio de Sica « Le jardin des Finzi-Contini ». Ce jardin, dernier refuge avant l’immense catastrophe fascisme italienne, est un espace-héros crépusculaire ou des fin de règnes, d’amours, de vie, se tissent avant que de disparaitre, engloutis par une machine politique d’une violence implacable. On ferait bien de revoir ce film aujourd’hui, pour réfléchir à quel point nos sociétés sont plus que jamais menacées par la montée d’extrêmes Oh combien dangereuses.


Voila comment, en quelques journées, les jardins racontent des récits croisés, des plus apaisants aux plus angoissants.

Jardins nature, jardins contre nature ?

Points d’ouïe – Épopée sonore et aquatique franc-comtoise en chantier

S’enforester l’oreille

Bassins versants, l’oreille fluante se coule encore dans des paysages liquides multiples. Une façon de les réécrire au fil de l’eau et des déambulations riveraines.
Après Lyon, le Sud-ouest, la région grenobloise, le Hainaut Belge, mes oreilles se rafraichissent, dans tous les sens du terme, en Franche-Comté.

Tout d’abord, un arrêt au Bois d’Ambre, à Saint-Vit (25), pour le superbe festival forestier Back To The trees. Une édition riche, même si occasionnellement humide et très boueuse ! Desartsonnants installe un « Goutte à goutte », de circonstance, au bord du ruisseau du Sobant, qui est cette année tellement gonflé qu’il gronde et déborde joyeusement dans les bois et chemins, les rendant parfois sportifs à emprunter. Quelques prises de sons gargouillantes et hydrophoniques au passage d’un pont pris d’assaut par les flots qui s’y cognent bruyamment. Assurément le paysage au fil de l’eau est ces temps-ci d’une verticalité pluviale aussi dynamique que récurrente, et l’oreille s’en réjouit.

Le sel de l’écoute
S’ensuit l’entame d’un séjour résidence artistique d’écriture sonore, et ans doute textuelle, à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, ce lieu que j’aime tant, et ai déjà exploré à différentes reprises, niché dans les collines et forêts franc-comtoises.
Sitôt arrivé, une rencontre surprise, inopinée, avec le paysagiste, écrivain Gilles Clément, au détour d’une allée ! Petite conversation autour des nouveaux jardins de la Saline (le cercle immense), concoctés avec des écoles de paysages et d’horticulture, et du bruit feutré de la faux traçant des allées au travers la grande pelouse centrale. Toujours un immense plaisir de rencontrer au débotté ce grand penseur d’espaces- tiers- paysages, débordant d’énergie, de créativité, et d’humanité !

Je m’assois sur un banc de bois adossé à la grande berne est, dans un espace visuel embrassant la partie du demi-cercle « historique » de cette architecture utopique. Il me faut prendre le temps de réinvestir ce lieu gigantesque, aux étranges motifs architecturaux néo-classiques, les formes de fausses concrétions salines dégoulinant des murs colossaux, entre grotte et fabrique archaïque. L’espace acoustique de la Saline est toujours magnifique, avec ses micros échos et réverbérations, dus a la disposition des bâtiments se faisant face en arc-de-cercle. L’autre extension paysagère récente, fermant le grand cercle initialement prévu par Claude-Nicolas Ledoux, me reste à découvrir au-delà du mur d’enceinte. Une semaine à venir pour me replonger avec délectation, dans et hors-les-murs, et surtout vagabonder oreilles tendues et micros en main vers et la Loue voisine. Ne doutons pas qu’elle aussi déborde littéralement d’activité fluante.

A suivre…

Poser une (nouvelle) écoute sur le monde

Une (nouvelle) écoute sur le monde ?

Se (re)connecter au monde, au vivant, au vent, à la lumière, aux sons, par le corps tout entier… Se ressourcer aux chants de la Terre.

Entendre les dialogues tissés, entrelacées, entre les éléments ambiants et les cohabitants terrestres, maritimes, aériens, nous y compris.

S’extraire de la fureur et de la vitesse, ralentir pour mieux partager.

Alerter sur les excès, les emprises délétères, les surenchères dominantes…

Porter attention, prendre soin de l’état (acoustique) des lieux, prendre conscience des paupérisations, saturations, emballements frénétiques, y résister collectivement…

Penser la ville, ses périphéries, la campagne, les sites naturels, comme des milieux sonores équilibrés, diversifiés, fragiles, à l’échelle de paysages vivables et partagés par tous. Des communs auriculaires.

Construire et préserver des havres de paix, des espaces d’écoute partagées, des cheminements apaisés, des proximités bienveillantes, rassemblantes, accueillantes…

Tenter de faire émerger des parcelles d’utopies réalisables, où il fait bon s’entendre !

Des sons, des écoutes, des gestes, des environnements…

La problématique des inter-relations entre art, création sonore et les questions environnementales, écologiques, écosophiques, sociétales me taraude plus que jamais.

Comment la création sonore s’inspire-t-elle des environnements, des ambiances, et comment ceux-ci sont-ils défendus (ou non) par des formes d’interactions créatives expérientielles ?

Comment l’évolution des matériels, média et dispositifs technologiques, influence-t-elle les processus de créations, les recherches-actions, et au final des pensées agissantes ?

Quelles sont les freins ou au contraire les catalyseurs éthiques, culturels, sociétaux que soulèvent de prime abord des gestes d’écoute, de création, d’aménagement ?

Comment pourraient évoluer ces tissages, ces métissages, pour être vraiment lisibles et efficients in situ, autant que puisse ce faire ?

Vaste chantier sans cesse requestionné au fil du temps, et aujourd’hui à l’aune de certaines urgences qui lézardent et fragilisent nos modes de vie voire nos existences mêmes.