Il me faut choisir un itinéraire, parcours marchécoutable, d’ici à là, en linéaire, en boucle, en zig-zag, au coup de cœur, ou d’oreilles.
Il me faut le choisir aux vues, si je puis dire, de ses sonorités, ambiances in situ, repérées, potentielles, supposées, rêvées…
Il me faut le choisir avec ses variantes possibles, permettant de m’échapper, d’improviser le cas échéant, d’adapter, de se/me surprendre…
Il me faut le choisir pour ses capacités à créer et à tisser des inter-connections ambiantales, même et surtout improbables. Faire un PAS de côté, l’oreille sur les chemins de travers.
Il me faut le choisir comme espace(s) à jouer, entre le voir, l’entendre, le marcher, le faire, l’imaginer…
Il me faut le choisir pour l’écrire a posteriori, le vivre, le faire vivre, par l’expérience kinesthésique, mentale, pour construire de la mémoire collective (ou non), favoriser des échanges, des retours, des questionnements, que le parcours puisse générer.
Les choix, la décision, l’écriture, le traçage/repérage, d’un parcours auriculaire inspirant, embarquant, sont des phases cruciales, comme peuvent l’être de studieuses répétitions en vue d’un représentation théâtrale. Elles invitent à une prédisposition pour un moment de plaisir en devenir.
Suite à une longue et harassante, mais passionnante et questionnante journée de préparation/repérage. PAS – Parcours Audio Sensible « Les choses étant ce qu’est le son » à Blois, pour les rencontres internationales « Inouïs paysages ». École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois.
@photo, France Le Gall « Danser l’Espace – Sous les pommiers ba «
De retour depuis un peu plus d’une semaine à Lyon.
Je me suis arraché, non sans quelques regrets je l’avoue, au cocon fécond de la roulotte sous les pommiers, havre de paix propice à l’écoute, à l’écriture, à la cogitation de parcours et gestes d’écoute.
Arraché à cette belle région auvergnate où les villages, des vallées, des sites en pics basaltiques perchés, offrent mille points d’ouïe, dont certains explorés, joués, transposés, seul ou à plusieurs, durant la résidence.
Aujourd’hui, des sons comme des images courent dans ma mémoire, surtout lorsque je travaille à organiser les traces de mon séjour, en chantier d’écriture, en sons, images et textes.
Il me faut encore laisser décanter, murir tout cela.
Quelques saillances se font jour, se précisent, se prêtent à de nouvelles interrogations.
Installer l’écoute, et par la même des points d’ouïe, titre/objectif de ma résidence, reste bien entendu un fil rouge, élément clé. Cette petite phrase qui pose la question du comment faire, en fonction du lieu, du contexte, des espaces visités, des personnes croisées, de la reconstruction a posteriori…
Selon les jours, les espaces, les choses tentées lors de PAS – Parcours Audio Sensibles en groupe, et en solo, les expériences furent riches et variées, des réflexions se creusant sur le statut des objets écoutés, la façon de les mettre en écoute, corporellement, de les tracer, de les historier…
Un regret néanmoins, que nous partageons avec mon hôte, la difficulté de rencontrer, d’échanger, de faire vraiment avec les gens du village, de recueillir leurs ressentis, écoutes, petites et grandes histoires des lieux…
La trace, ou plutôt les traces sont un maillon clé, celles qui restent en mémoire, qui servent et serviront à réécrire, à partager des histoires, autant pour ceux/celles qui les ont vécues que vers ceux/celles qui les vivront par procuration, par le récit tissé après coup; les traces sont au centre de cette résidence, comme souvent.
Les PAS-Parcours Audio Sensibles restent ainsi une expérience esthétique active, qui sous-tendent l’écoute, de laquelle émergent un ou des paysages sonores.
Dans l’inspiration de Perec, l’expérience de l’Infra-ordinaire, ici de l’Infra-auriculaire, agit comme un ensemble de stimuli nous connectant à des espaces inouïs car trop souvent in-entendus ou non-entendus dans leur triviale quotidienneté.
Inouïs aussi parce que jamais l’expérience d’écoute vécue à un instant T ne se renouvellera à l’identique.
L’expérience corporelle, physique, audio-immersive, celle du corps interfacé aux milieux traversés, lesquels nous traversent réciproquement sensoriellement, sont vécues sans autre formes de dispositifs-prothèses augmentants. Le corps se place ici comme unique récepteur/émetteur, interagissant, prenant conscience de ses proprioceptions, rayonnant, jouant, performant les espaces ambiants…
Expérience de la trace, mémorielle, physique, kinesthésique…
Mais aussi de la trace objet, au sens large,(re)construite de sons, d’images, de mots, et autres hybridations, transmédialités, transmises via des écritures plurielles, post-terrain, comme des récits à partager.
Expérience hybridante donc, entre arts sonores, environnementaux, relationnels, contextuels…
Expérience contextuelle à revivre chaque fois différemment dans de nouvelles résidences, ici où là, partout où le monde sonne à nos oreilles. Et en terme de problématiques comme de géographie, le champ est large !
L’improbabilité même d’un paysage tient sans doute du fait que ce dernier est essentiellement né d’une série de représentations, de constructions, avec tous les aléas intrinsèques, du ressenti émotif, subjectivé, aux éléments contextuels plus ou moins maitrisés.
Suite à une série de déambulations auriculaires, à des enregistrements et montages audionumériques de terrain, et pour conclure une résidence d’écritures audio-paysagères, différentes créations, s’éloignant des modèles du field recording « classique », plutôt figuratif, vont nous amener vers des représentations sinon plus abstraites, en tous cas beaucoup moins descriptives.
Ce sont là ce que je nome des paysages improbables. Improbables car revisités, triturés, voire creusant des écarts significatifs entre l’entendu in situ, le ressenti, et le pur imaginaire, et souvant en naviguant entre les frontières du vécu et du rêvé, tricotant des espaces fictionnels, frictionnels, nourris néanmoins des ambiances puisées sur le terrain.
Prendre le paysage à contre-pied, si ce n’est à contre-oreille, c’est par exemple partir d’un photo prise lors d’un point d’ouïe, sur le Pic de Brionnet, promontoire basaltique, de son église et de sa cloche, pour sonifier cette représentation visuelle. De l’image transcrite, transcodée, transmédialisée vers un son dérivé, par l’utilisation d’un logiciel de sonification, ce qui donnera un résultat relevant plus de l’abstraction que de la représentation, où le sens même, celui initial, disparaitra tout ou partie.
Voici par exemple l’image de départ
Et le résultat audible de sa sonification
Et cette autre interprétation puisant dans différentes sources, mélangeant lieux et moments, des rushs audio inutilisés dans les précédents montages de spots parlés, autour de l’idée de paysages entre fluides et flux inspirés du contexte local – rivière, sources, fontaines, cloches, mais aussi véhicules traversant le village, impression rythmologique de « temps qui passe »… Et puis encore, approche intermédiaire, un mixe de paysage sonifié via l’image d’un banc d’écoute et sa représentation audionumérique de choses entendues, mariage improbable de sons et d’images interlacées. Ces quelques exemples esthéthiques de tranformations de paysages plus ou moins dé-naturés, montrent à quel point l’expérience vécue peut être prétexte, inspiratrice et vectrice de re-créations, récits fictionnels oscillant entre traces plus ou moins identifiables et abstractions nous emmenant vers d’autres mondes connexes, inter-reliés, transmédialisés, ré-installés. De l’écoute in situ au paysage en découlant, il y a parfois tout un monde, tissé de relations de cause à effet, connections bien réelles, même si elles sont parfois quasi indécelables.
Un spot chiens, écoute acousmatique, car nous ne voyons pas les bêtes, parquées derrière une haute clôture métallique, mais qui par contre se font entendre bruyamment à notre passage.
Éléments rythmiques intéressants de la promenade, timbres rauques et puissants, tensions, nuisance sonore pour un écoutant; les chiens sont en effet très présents dans le village; quel statut donner à ces sons et à quel moment, dans quelles dispositions d’écoute, dans quelle visée ?
Une fontaine, voire deux fontaines, très différentes, avec chacune leur propre signature acoustique.
Des jeux d’auscultation où l’oreille se mouille, où l’écoute se rafraîchit, où le ludique est de la partie, stéthoscopes et longue-ouïes en immersion, dans le vrai sens du terme.
Un sympathique théâtre de verdure, plus ou moins laissé à l’abandon. Des bancs de pierre en arrondi, une scène, un mur fond de scène, un espace entre sol gravillonné et entourage boisé.
Des sons festifs qui nous parviennent du haut du village.
D’autres cadres er prétextes à des jeux d’écoutes, ludiques, vocalisés, marchés, inspirés par le lieu…
Une église désacralisée, vide de tout mobilier, ce qui renforce la réverbération type romane du bâtiment.
Ici, je vais réinstaller des improvisations sonores enregistrées la semaine précédente, d’un autre parcours, d’une autre église, sur la colline de Ronzières, surplombant celle où nous nous trouvons.
Des sons en décalages spatio-temporels, en frottements, d’une église à l’autre, transportés, audio-délocalisés, d’un moment et d’un lieu à un autre, en résonance, en discordance peut-être.
Jeux autour de perceptions décalées. Installer et faire bouger les sons, s’installer entre, chercher les postures, habiter fugacement l’espace…
Passage par une autre fontaine, avant que de profiter d’un dernier soleil couchant, et d’échanger sur nos expériences réciproques.
D’autres trames/traces sonores à mettre en récit, à historier.
Du proche au lointain, je me rapproche, il s’éloigne, son d’ici ou d’ailleurs.
Près tout près, au plus près, ce sont les battements de mon coeur, le froissement des feuilles, le craquement des brindilles.
Le bourdon de la rivière, entêtant, envahissant….effet coktail!
Petits sons émergent des sous bois, assourdissants bruits de moteurs agressent mon espace sonore. Filtrer pour mieux écouter, choisir le son, l’accompagner et le laisser repartir.
Bulle sonore construit l’espace, délimite, tisse une toile.
Questions-réponses impromptues, insolites, sons s’emmêlent et organisent le vide.
Résidence d’écriture(s) audio-paysagère(s) « Installer l’écoute – Points d’ouie » à Tourzel Ronzières, Puy de Dôme, accueillie par « »Danser l’espace – Sous les pommiers ba » , soutenue la la DRAC Auvergne Rhône-Alpes
qu’elles elles sont intangibles, fugaces, volatiles, changeantes, parfois totalement imprévisibles.
Elles s’accrochent aux reliefs, aux aspérités, aux anfractuosités,
comme les sons se jouent des typologies, des matériaux, des obstacles.
Elles caressent les paysages qu’elles contribuent à faire vivre, les noient, les submergent, les façonnent.
Elles accompagnent les jours et les nuits, drapées de plus ou moins de consistance, de présence, d’opacité ou de transparence.
Tout comme les sons, voire même avec eux, elles font sensations,
elles ambiantisent,
elles font paysages.
Tout ceci de concert, en résonance, en friction, en dissonance, en harmonie.
Digital Camera
Du gravier magmatique au bloc basaltique, de la goutte de rosée à la rivière dévalante, les effleurements, les caresses audio-luminescentes colorent le monde, l’irisent, jusqu’à le rendre insaisissable.
Complices compères, l’entendu et le vu, le son et la lumière, aujourd’hui, dans les collines auvergnates que j’habite, que j’ausculte, que je scrute, pour un temps,
sont des formes perceptives qui me font corps antenne,
Au neuvième jours de ma résidence audio-paysagère auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe », la matière sonore, visuelle, textuelle, commence à s’accumuler, à prendre corps, et surtout à progressivement faire sens.
Dans une démarche qui n’a en soi rien de très originale, j’applique ma petite méthodologie de terrain, en immersion, baigné, entouré de paysages aux vertes collines, de forêts multicolores, de rivières chantantes, de lumières automnales délicates, sans oublier les sonorités plutôt apaisées.
Et de quelques tracteurs grondants et ferraillants.
Se promener, arpenter, repérer
Écouter, donner à entendre, partager les points d’ouïe, les chemins d’écoute
Capter, cueillir, enregistrer des ambiances sonores de tous crins, écrire, photographier
Classer, trier, organiser, revisiter, construire les traces
En espérant avoir saisi un peu de l’essence paysagère, du monde sensible in situ, et de les restituer à ma façon, pour ainsi de les partager à qui veut bien entendre.
L’écoute, tout comme le paysage sonore en résultant, étant pour le moins immatériels, fluctuants, fluants, les traces comme outils d’écritures plurielles tenteront de lui donner vie, incarnation sensible, consistance, a posteriori de l’action, et espérons-le dans un certain prolongement temporel.
Traces sonores
Le vécu, l’écoute in situ
Le souvenir, la rémanence
Le capté, l’enregistré
Le montage audionumérique, l’écriture, la création, la composition
La restitution, les installations, les supports de diffusion
Traces écrites
Carnets de notes, relevés, approches descriptives, phénoménologiques…
Approches tracées, mêlant, croisant, faisant interagir différentes disciplines ou « spécialités » (arts, sciences dures et sociales, aménagement du territoire, santé, pédagogie, design, politique)
Dans le meilleur des cas, on imagine un travail réunissant, sans doute encore un brin utopique, musiciens, artistes sonores, géographes, sociologues, architectes, urbanistes, designers, plasticiens, vidéastes, danseurs, écrivains, poètes (et autres écrivants), photographes, graphistes, acousticiens, paysagistes, politiques, soignants, habitants et promeneurs du quotidien, et bien d’autres champs d’actions/performances in situ.
Faisons en sorte que tous ces acteurs puissent co-écrire, via des expériences en chantier, un paysage sonore pluriel, multiple, comme il l’est du reste intrinsèquement.
Dans cette visée, installer l’écoute est une chose pour moi importante, mais à condition de le faire dans un contexte donné, en privilégiant une approche relationnelle des plus ouvertes que possible.
Le croisement, l’hybridation, la créolisation de gestes, de savoir-faire, d’expériences, d’envies, est au cœur, toutes traces aidant, de l’écriture, et qui plus est de l’aménagement d’un territoire, avec toutes ses potentialités, ses faiblesses, et ses fragilités inérentes.
C’est dans cette optique que la construction avec et par les traces, par le ré-agencement d’objets sensibles, témoins, recueillis pour construire un processus narratif et constructif, prendra tout son sens.
Cependant, notons que sur le terrain, la tâche n’est pas si simple. Les barrières restent nombreuses, les freins multiples.
Entre contraintes financières, soucis de rentabilité à tout prix, manque de temps alloués, tendance à l’entre-soi culturel, incompréhension, plus ou moins volontaire, de la démarche, isolement et méfiance du monde rural, comme du milieu urbain, les obstacles, dont certains pas des moindres, contraignent les projets souvent dans des résultats en deçà de nos attentes et espérances.
Fort heureusement, certaines structures, institutions, lieux alternatifs, osent courir le risque de faire un pas de côté.
En espérant que cela fasse trace(s), et qui plus est trace de nouveaux chemins d’écoute, et d’actions en tous genres.
Régulièrement assis sur des bancs, mobiliers que j’utilise comme des points d’ouïe, des affuts d’écoute, des lieux d’échange, je parcours donc Tourzel Ronzières, mon lieu de résidence artistique, pour repérer ces derniers.
Le village, quelques deux cent âmes, est pourvu d’une dizaine de bancs dans le seul centre de Tourzel, ce qui est tout à fait satisfaisant, même si ces jours-ci, la saison estivale terminée et les températures fraîchissant, je suis un des rares à m’y poser.
Peu importe, c’est d’ici que je prends le pouls des lieux, que je m’immerge dans ses ambiances, que je capte les mille petits riens qui font vivre à mes oreilles le site investi, surgir ses paysages sonores du moment.
J’ai ainsi testé plusieurs assises, avant que d’en choisir une, au centre du village, en contrebas d’une fontaine, avec une belle vue sur les contreforts d’Issoire, un saule pleureur qui bruissonne joliment sous le vent, tout à côté. C’est ici que je me pose donc régulièrement, avec livres, carnets de notes et micros.
Considérant l’œuvre de Georges Pérec, si le concept d’Infra-ordinaire inspire mes écoutes et leurs narrations, sa tentative d’épuisement (d’un lieu parisien), descriptif localisé entêté dans l’utopique espoir de cerner un espace, d’en faire le tour, de se l’approprier pleinement, donne également du grain à moudre au projet d’installer l’écoute.
Lorsque dans le titre de cet article, je cite l’Infra-ordinaire, concept pérequien s’il en fut, je trouve cette approche, aux tendances minimalistes, on ne peut plus appropriée au lieu et à mes situations d’écoute, dans une ambiance où les sons sont assez ténus, nonobstant le passage parfois tonitruants de tracteurs et autres machines agricoles.
Et puisque nous en sommes à citer les acteurs et gestes inspirants, je ne saurais ignorer les « Presque rien » de Luc Ferrari, où le paysage sonore composé semble tout autant se construire que se dérober, (re)fluant sans vers d’autres espaces imaginaires.
Revenons à Tourzel et à mon banc d’écoute.
Quelques rares passants, pas et voix.
Le son de la fontaine voisine en continuum.
Des chiens qui se répondent d’un bout à l’autre du viillage.
Des véhicules qui rompent brusquement une forme de torpeur pré-hivernale.
Des oiseaux, par séquences, pigeons et passereaux.
Quelques sons discrets, des portes s’ouvrent et se referment, presque en catimini…
Des feuilles mortes raclant le sol.
Des sons de la vie de tous les jours, non ostentatoires, non spectaculaires, loin de là, mais Oh combien présents, et signifiants dirais-je même.
Un infra ordinaire auriculaire, qui ne s’impose pas, qu’il faut aller chercher, vers lequel il convient de tendre l’oreille pour en saisir les nuances.
Et des nuances, il y en a ! Surtout lorsque nous installons l’écoute, persévérante, prête à pénétrer par l’exercice de la répétition, de la lenteur, de la réitération du geste d’écoute minimaliste, dans une surprenante trivialité, bien plus excitante qu’il n’y parait de prime abord.
Ces mille et un petits sons, habituels mais sans cesse ré-agencés, repositionnés, secrètement redéployés, offrent une scène acoustique au final très dépaysante, voire exotique, dans sa façon de ne pas se dévoiler, se révéler sans efforts.
L’Infra-ordinaire demande de creuser avec une certaine abnégation, les ambiances sonores, y compris les plus ténues, pour entrer dans le flux, l’immersif, le cœur-même du village, jusqu’à y reconnaitre avant qu’ils ne se montrent, des 4X4 bringuebalants, des tracteurs pétaradants, des voix…
Il y a un monde entre les bancs de la place lyonnaise, au bas de chez moi, avec ses bars, commerces, scènes parfois festives, urbaines pour le meilleur et pour le pire, et ce village de montagne isolé, hors des grands axes, que certains trouveraient sans doute bien trop « calme ».
Installer patiemment l’écoute, même si les choses écoutées semblent totalement dénuées d’’intérêt dans leurs apparentes petitesses, est une posture qui permet au paysage d’émerger de ses propres sons, et à l’écoutant de se fondre avec délectation dans les lieux pour en jouir pleinement.
Une forme d’Arte Poverasonore, et au final un profond dépaysement, qui délaisse la grandiloquence (dé)monstrative, ostentatoire, pour ausculter, au sens premier du terme, les petites pépites auditives du quotidien.
Celles et ceux qui ont l’habitude de suivre mes audio pérégrinations savent qu’il y a, dans mes écoutes et leurs mises en récits, en sons, des récurrences, des itérations, des repères quasi incontournables, marqueurs acoustiques indéniables des lieux arpentés.
L’eau fait incontestablement partie de ces éléments rémanents qui contribuent, par ses innombrables manières de fluer, de rythmer l’espace, à composer un paysage sonore, qu’il soit urbain, villageois, ou naturel.
De rivières en torrents, de cascades en fontaines, nous nous rafraîchissons l’oreille, tout en signant des ambiances spécifiques.
Une palette sonore aux mille nuances, intensités, fluences, des coulées ou trame bleues, des points d’ouïe jalonnant l’espace…
A Tourzel Ronzières, qu’auscultent mes oreilles à ce jour, trois ou quatre fontaines/lavoirs, anciennes, de tailles imposantes, avec plusieurs bassins qui se déversent les uns dans les autres. Deux sont en activité.
Et en contrebas, le ruisseau du Gripet, qui chuinte joliment d’une eau courante serpentant entre une abondante végétation.
Tout cela rythme le village, irrigué de nombreuses sources descendant des collines pentues, ce qui ne va pas d’ailleurs sans poser problème au bâti local dont les murs sont assez malmenés par cette présence aquatique, ajouté à cela la rigueur du climat.
Pour l’oreille, de belles ambiances que l’écoutant que je suis ne peut manquer de vous narrer, et qui plus est de vous faire entendre, et voir, à ma façon.
Premier PAS – Parcours Audio Sensible public de ma résidence auvergnate « Installer l’écoute – Points d’ouïe »
Il s’agit de mettre en pratique l’intitulé de la résidence, en arpentant, oreille aux aguets, corps réceptacle sonore, et aussi bien entendu producteur, acteur, joueur, improvisateur selon les moments.
Un groupe d’écoutants de diverses pratiques, éducation, graphisme, danse, architecture, pour la plupart déjà rompus à l’exercice de la marche sensible.
Et des sentiers, prairies, une église, des sites préalablement repérés, et déjà marchés/dansés par plusieurs.
Faire corps avec les sons, expérimenter et installer l’écoute, en faire récit, trois visées principales de cet atelier.
Premières mises en oreilles, calibrage tympanesque, quelques gestes, des directions d’écoute, des visées auriculaires, et nous partons grand chemin petits sentier vers de soniques aventures.
Partir en silence, installer le silence de même que l’écoute, et nous le garderons sur une grande partie du trajet. une communauté éphémère, silencieuse, en tous cas par la parole communiquante.
Traversée d’une rivière. Sur le pont, nous essayons quelques postures d’écoute pré-testées, pour faire entendre le fil de l’eau ondoyante sous toutes ses coutures, ou presque.
Un sentier en sous-bois, vent, oiseaux, rivière en contre-bas, qui s’éloigne, passe de gauche à droite, et se rapproche selon les détours caminés; quelques motos et quads, pas vraiment les bienvenus, heureusement, ils ne monteront pas vers nous et se feront très rares au fil de la journée.
Nous investissons un beau petit pré ouvert, chacun y trouve sa place, son point d’ouïe, un positionnement de corps écoutants qui maille l’espace instinctivement mais joliment.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
Des pierres qui sonnent, percutées, nous sommes dans la régions des phonolites qui, comme le nom l’indique, sont bien sonnantes, toutes désignés à musicaliser le chemin de percussions minérales.
Un autre espace de jeu s’ouvre à nous, au dessus de la rivière qui gronde par une percée, vers un contrebas aquatique.
Sthétoscopes ou stéthophones, longue-ouïe, on gratte, effleure, tapote, vise, improvisons chacun son concert intime, au creux de l’oreille. Les gestes exploratoires sont beaux à regarder, comme une sorte de ballet lent et silencieux, dans l’esprit de la structure qui m’accueille « Danser l’espace ».
Espace danse au gré des sons, parfois dense, parfois moins, parfois peu, très aéré, fugace.
Des troués de vent, d’autres d’oiseaux, des guetteurs rapaces criards tournoient plus haut, des scènes au détour du sentier qu’il nous suffit de capter pour nourrir ce qui fait du paysage écouté, une véritable installation sonore à ciel ouvert.
Un triangle de verdure, espace idéal pour ajouter quelques sons parfaitement exogènes, urbains, venant titiller, décaler la scène acoustique. Un transport d’une ville vers cette forêt, surprise de ce facétieux chamboulement, cependant éphémère et discret, à l’échelle des oreilles écoutantes.
Une cupule sanctuaire ornée d’ex voto, dont nous respecterons le calme.
Passage de cyclistes et saluts.
Des voix chuchotantes, ou parlantes, les nôtres, qui se jouent des lieux en distillant onomatopées et bribes de phrases, mots parsemés, éclatés, impromptus.
Passage pentu, rocheux, le son de la respiration se fait plus présent.
Débouché sur un oppidum surmontant le village. Point haut. La vue s’ouvre. Une assez grande clairière herbeuse, un tilleul ancestral, majestueux, un petit cimetière dans l’enclos d’une église fortifiée.
Le cadre inspirant de nouvelles expériences à portée d’oreilles, et de corps.
Pique-nique, le lieu s’y prête à merveille, entre sustentations et échanges nourris de l’expérience de chacun.
Reprise exploratoire, le cimetière et des lectures épithaphiques improvisées.
L’église romane et sa remarquable acoustique, idéale pour des jeux vocaux et percussifs. nous n ‘y manquerons pas.
On tuile, entrechoque, joue des grincements, souffles, cris et autres productions qui s’entremêlent dans un liant architectural très réverbéré.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
On écoute aussi.
Aller-retours oreille, voix, gestes, dans un écrin sonore qui donne envie de jouer encore et en corps avec les sons les plus impromptus. Et de ce côté là, les promeneurs.euses du jour ne manquent ni de ressources, ni d’imagination.
Extérieur.
Jeux de marche, gravier, escaliers, recoins…
Devant nous, un belvédère, point de vue et d’ouïe panoramique par excellence, la vue et l’écoute à 180°.
Une ferme en contrebas, percussions métalliques de réparations agricoles.
Un tracteur au loin, dont on perçoit distinctement des cliquetis de sa herse, beaucoup plus que le moteur, qui le rendent bel objet musical.
Postures en surplomb, la vue parfois en désaccord avec les sons, parfois en concordance.
@photo France Le Gall – Danser l’Espace
Là encore, une invitation à s’attarder, se laisser happer par le soleil, généreux, les ambiances lascives.
Le descente libère la parole.
Échanges sur le statut des sons selon les écoutes, ce qui fait groupe dans cette marche, ou ailleurs, les sons, le silence interne, la marche comme écriture œuvrée, les synesthésies partagées…
De retour sur une terrasse toujours ensoleillée, quelques butins, délicats végétaux, exposés, et à nouveaux auscultés, dont en vedette, une bogue bien piquante de châtaigne…
La petite magie des sthétophones qui courent sur les surfaces les plus variés, des cheveux, et aussi à la recherches des cœur battants, littéralement.
Une dernière séance d’écoute, en intérieur.
Qu’est ce qui, dans les traces enregistrées, cueillies, fait paysage sonore, du plus figuratif, carte postale, au plus abstrait, où la matière sonore s’est diluée dans d’improbables manipulations, triturages, ou l’impression prime sur l’image ?
Et ce que l’on a recueilli du jour, comment réécrire un paysage post marché, post écouté, post vécu ?
Des dessins, graphismes, fiches, cartes mentales commentées, ou plutôt racontées.
Des textes nés in situ et lus, parmi d’autres récits.
Des questions sur le faire ou le défaire paysagers, entre expériences esthétiques, militances écologiques, et sociabilités en écoute, celles du prêter attention, du prendre soin, du mieux être.
Quittant momentanément les alentours de Tourzel-Ronzières, mon lieu de résidence et d’écoute habituel, j’emmène oreilles et micros sur un marché voisin, celui d’Issoire.
Issoire, belle petite ville tout près de Clermont-Ferrand, entourée de collines et monts volcaniques, avec une architecture utilisant les coloris des roches locales, notamment des sombres et beaux basaltes.
Ce matin, jour de marché.
Et quel marché ! Un des plus beaux de France a priori, et ce n’est pas ma longue déambulation qui me fera pas dire le contraire.
Un marché qui se tient sur un grand périmètre du centre ville.
Un marché riche en couleurs, en odeurs, et en sons.
Les marchés sont souvent pour moi de l’occasion de capter de belles scènes auriculaires, présentant une grande variété de sources, d’ambiances, d’acoustiques, au détour d’une ruelle ou d’une place.
Et ici, les ruelles sont nombreuses, assez resserrées, ponctuées de places de divers tailles.
La voix y tient naturellement le rôle principal, dans un marché espace de rencontres, de sociabilités, de retrouvailles, de discussions en tous genres, de timbres, parfois d’une pointe d’accent du cru.
Pour mettre mon oreille en mouvement, rien de telle que l’acoustique de superbe abbatiale Saint-Austremoine, à la polychromie extérieure ocre, noire et blanche, typique de la région et aux riches ornements intérieurs.
Des réverbérations magiques, magnifiant des murmures, des sons qui se promènent de travées en travées, à la fois discrets et amplifiés par la caisse de résonance du bâtiment minéral et d’imposantes proportions.
Sitôt sorti, ouverture sur un tout autre monde où tout bruissonne.
Tout bruissonne mais, dans un espace piétonnier dédié, où la voiture est absente, rien ne vient donc agresser l’oreille côté mécanique envahissante.
Une multiplicité de sons à une échelle parfaitement mesurée, où la vox humaine reste le mètre étalon et se développe dans une ambiance immersive très vivace, dynamique, tonique même, mais sans jamais être saturée. Pas d’hégémonie sonore, chaque son étant et restant à sa place en laissant de l’espace aux autres. Un paysage hi-fi aurait dit feu Murray Schafer.
Rires
sons d’étal
de verres choqués
de sacs frétillants
de cuissons mijotées
de harangues saluantes
de cadis tressautants
sonneries de cloches
haut-parleur diffusant ponctuellement la voix d’un animateur intervieweur mobile
fontaines
enfants courants
chiens se saluant
talons claquants
musiques ambiantes…
Puis un son remarquable. Une forge à soufflet sur un charriot; un jeune forgeron tout en muscles martelant, jouant de ses outils métalliques, actionnant la forge, sons d’inspire expire, de souffles un poil grinçants, de feux attisés… Tout une ambiance que l’on ne s’attend pas à trouver ici. Une scène impromptue, joliment surprenante.
Mes micros sont là; aux aguets, ils s’approchent pour capturer du mieux que possible cette ambiance, sous l’œil amusé et complice du forgeron.
Marcher et marchés, chacun différent, bien que quasiment universel, du son plein les oreilles, et quelques bonnes victuailles locales, fromages et charcuterie dans le sac.
A la deuxième journée de ma résidence auvergnate, et après une première escapade forestière, je commence à découvrir, un peu plus le maillage très serré des sentiers de randonnées, du passage d’un des chemins de Compostelle jusqu’à de multiples GR locaux.
Une aubaine !
D’ailleurs, il y a de nombreuses années que les éditions Chamina, de Chamalières, ont entamé un travail de cartographie et de guides de promenades et randonnées locales, tout à fait remarquable.
Le bon chemin, écoute que coûte !
Il ne me reste donc plus qu’à profiter, à explorer ces richesses à portée de pieds et d’oreilles, de sentes en chemins, de forêts en prairies, d’oppidums en vallons.
En cet automne naissant, encore gorgé d’eau, où les chants d’oiseaux se modifient, parfois se raréfient, profitons-en encore, où de nombreuses traces giboyeuses laissent deviner une vie nocturne animée, où les couleurs visuelles comme sonores se parent de nouveaux attraits, les chemins m’invitent à la flânerie contemplative. J’endosse une nouvelle fois mon costume de promeneur écoutant à la recherche d’immersions sensorielles, d’expériences d’un territoire que je connais assez peu, sinon pas, et où je vais pouvoir jouer les ravis audio-émerveillés.
Sentiez vous bien !Camina minet miné… Attention à la marche…
Approche . La petite liaison ferroviaire Clermont-Ferrand/Issoire me mets en appétit, sensoriellement parlant.
Collines, vallons, forêts, rivières, sucs* se succèdent sous mes yeux, avant que les oreilles n’entrent vraiment en jeu.
Le train est décidément une très belle fenêtre pour contempler les paysages alentours, fuyants, en mode rêveur.
Et l’arrivée sur site, dans le petit village de Tourzel-Ronzières tient toutes ses promesses !
Une première boucle d’environ trois kilomètres, pour se mettre en jambe et en oreille.
Parcours sur un superbe sentier en sous-bois, avec des murets et constructions de pierres sèches, des prés ouverts, d’autres parquant des ânes qui nous regardent passer, sans un seul braiment, le vent qui anime la forêt, des oiseaux, par épisodes, une rivière bouillonnante, un panoramique visuel et sonore devant une belle église romane, qui nous fait entendre les sons de la vallées, des collines environnantes…
Prendre l’air des lieux…
Premières rencontres humaines, fugaces mais sympathiques, des saluts, quelques paroles échangées, le temps qu’il fait, courir les chemins, ne pas se presser…
Des ambiances plutôt apaisées pour un premier contact tout en douceur.
Et un nid douillet comme habitat, une belle roulotte nichée dans un écrin de verdure.
Un atelier de danse comme studio atelier, dominant le terrain, un plateau intérieur-extérieur, avec son ouverture sur une terrasse caillebotis, les forêts juste en face. Un superbe lieu pour « Danser l’espace« , qui m’accueille en résidence dateliers-écritures « Installer l’écoute, Points d’ouïe », projet soutenu par la DRAC Auvergne-Rhône Alpes, le Département du Puy de Dôme, la Commune de Tourzel Ronzières et sa bibliohèque.
Ne reste plus qu’à laisser courir l’oreille, les micros, les pas, entre explorations et balades ateliers d’écoute.
* Un suc est un mini volcan; une petite (petite) montagne en forme de cône ou de dôme due aux éruptions phonolitiques, propres aux paysages volcaniques auvergnats.
De ma fenêtre de résidence, je vois des arbres, j’endends la rivière au bas, les oiseaux alentours…
Attention, cette expérience décoiffante est à déconseillée aux oreilles sensibles et aux tympans fragiles ! Il s’agit d’un événement, ou plutôt d’une suite de micros événements, aussi brefs qu’intenses, où l’écoute est placée sur des rails extrêmement dynamiques, où la vitesse est perçue comme une sorte de héros post russolien*, nous happant dans des sillons sonores vertigineux.
Le contexte, une toute petite gare, à quelques encablures de Lyon, direction Roanne, ou Mâcon. Petite gare comme beaucoup fermée, inoccupée, juste des distributeurs automatiques et autres composteurs. Petite gare où il passe de nombreux trains, TER, TGV, gros porteurs de marchandises, engins de travaux… Petite gare où néanmoins peu de trains s’arrêtent, beaucoup la traversant à vive allure. Un aspect délaissé, des quais vieillots, enherbés, peu aménagés, un passage souterrain glauque et humide, presque un lieu fantôme. Entre deux quais assez étroits, deux bancs, posés sur une petite ile étroite, enclose de sillons métalliques.
Ce jour là, j’effectue un changement de train dans cette gare, avec un arrêt d’une vingtaine de minutes avant de reprendre ma correspondance. Chose assez fréquente pour moi lorsque je rends visite à mes parents.
Ce jours là, des travaux sur les quais et le long des voies. De nombreux ouvriers, tout de jaune vêtus, s’affairent à des marquages de couleurs, sans doute en vue de quelque réhabilitations à venir. Ils s’étendent sur une assez grande distance, sur la voie en face de moi, à droite comme à gauche.
Régulièrement, quatre à cinq fois ce matin là, des guetteurs actionnent des trompes avertisseurs, cornes de brume à gaz, qui réveillent toniquement la gare. Des vagues de klaxonnent se répondent, partant à la fois vers la droite et vers la gauche, s’éloignant progressivement. L’effet de spatialisation est vraiment remarquable. Avec pour effet immédiat de faire remonter des ouvriers des voies vers les quais, et à d’autres de s’en éloigner. Peu de temps après, surgit une machine grondante qui va traverser la gare dans un grand chambarlement de ferraillement, sifflements, turbulences d’air brassé dans tous les sens… assis à quelques mètres des voies, nous sommes pris dans une puissante tourmente qui secoue puissamment notre environnement sensoriel, ballotte notre corps comme un fétu de paille dans ce déchainement acoustique tonitruant. Certains convois passe devant moi, très près en fait, quelques mètres, d’autres derrière moi, en mode acousmatique assez impressionnante, alternant les sens de l’écoute, spatialement parlant, comme une désorientation qui, les yeux fermés, nous laisse dans une forme de flottement, d’indétermination kinesthésique.
L’ensemble de la scène, en quelques minutes de temps, propose à l’oreille une véritable cohérence qui pourrait être compositionnelle, musicalement parlant. Elle évoque un geste qui serait comme une écriture dynamique parfaitement maitrisée dans le temps et dans l’espace, avec sa montée en puissance, son acmé frénétique, et son decrescendo dans un sillon d’air qui semble vouloir nous aspirer encore. On peut comprendre ici pourquoi les grosses mécaniques, dont les trains, la vitesse et parfois la violence liée ont inspiré des compositeurs, de la performance bruitiste a ceux des musiques concrètes, électro-acoustiques, acousmatiques… Il y a là quelque chose de violemment fascinant, qui nous agresse autant qu’elle nous transporte. Une griserie du chaos qui peine à se retranscrire, et qu’il faut vivre dans ces tourbillons vibratoires sauvages pour l’appréhender pleinement. De plus, la réitération de ces scènes acoustiques pour le moins remarquables, avec toutes les variations intrinsèques selon les trains, longueurs des convois, crée une belle scansion rythmique, entre tensions et détentes alternées. La résilience audio-paysagère nous fait retrouver un calme d’autant plus présent, marquant, presque imposant, qu’il laisse à nouveau la place aux voix dans le lointain, cloches, chants d’oiseaux…
Cette expérience acoustique vient s’ajouter tout d’abord à une « petite histoire des bancs d’écoute », ou des bancs d’expérimentations sensorielles. Elle s’ajoute également aussi à une compilation de scène sonores remarquables. Celles-ci, tissées par un principe narration continue, participent à faire vivre un paysage sonore d’autant plus vivant qu’il est littéralement mouvementé. Paysage en mouvement et mis en mouvement, paysage perçu et vécu dans ses multiples trames dynamiques toute à la fois concordantes et discordantes.
Luigi Russolo (1855-1947), compositeur artiste futuriste, auteur de « L’art des bruits »
Si je m’intéresse de très près à l’objet écouté, en l’occurence ici au paysage sonore, tout ou partie, d’autres axes auriculaires me questionnent.
Je considère notamment l’objet de l’écoute, dans ce qui motive les gestes et les postures de l’écoutant, impulse la ou les raisons de faire écoute.
De même, l’écoutant-agissant – dont celui que je suis – est à observer dans la mise en place de stratégies, entre autres celles de territorialisation et dé-territorialisation, selon les approches de Guattari et Deleuze.
Enfin, c’est l’écoute-même, comme objet d’étude, qui demande à être observée dans ses processus de fabrication, ses tenants et aboutissants.
C’est par ces « écoutes d’écoutes », puisant notamment dans des formes de descriptions phénoménologiques, perceptives, que commencent à se dessiner des paysages sonores tiraillés de tensions esthétiques, sociales, politico-climatiques, tout à la fois génériques et éminemment singuliers.
J’ai déjà, à plusieures reprises, parlé des bancs, ces mobiliers qui me sont chers, mais aussi des marches d’escaliers et autres murets, assises bienséantes rencontrées à l’aune d’explorations déambulatoires dans l’espace public. Ces espaces de pause, urbains ou ruraux, en forêt ou le long d’une rivière, le long d’une plage ou d’une promenade publique, sont pour moi multifonctionnels. Lieux de repos certes, de rêverie, méditation, d’écoute souvent, de travail, d’écriture, d’échange, dans une forme de co-working de plein-air, mobile et adaptable; une façon de co-habiter le monde, mon quartier, les lieux de résidences artistiques, de déplacements tous azimuts.
Je pensais hier, justement posé sur un banc, nuit tombée, aux choix de ceux-ci, que ce soit ici, dans mon quartier, ou ailleurs, dans beaucoup d’endroits forts différents. Ces choix de s’assoir ici plutôt qu’ailleurs ne sont pas innocents, liés parfois à des contraintes du moment, et parfois à des options plus stratégiques.
S’il fait très chaud, ce sera un banc à l’ombre, dans un lieu aéré, (relativement) frais… S’il fait un fort vent, ce sera un banc abrité, ou au contraire très exposé, pour profiter au maximum des caprices d’Éole. Si je cherche la rencontre, l’échange, ce sera un banc situé sur un espace très passant, avec souvent des séquences réitérées, parfois dans un lieu habituel, près de chez moi… Si je recherche l’isolement, la quiétude, ce sera dans un espace intime, en retrait. S’il fait très froid, ce pourra être dans un espace fermé, ou semi fermé, un hall de gare, une galerie marchande… Si je recherche une belle ambiance sonore, ce sera dans un espace où l’écoute est agréable, entre sources permanentes (fontaines), ponctuelles (cloches), acoustiques remarquables (passages réverbérants), présence de faune, de vie anthropophonique… S’il pleut ce sera dans un espace abrité, sous un auvent… Si je recherche un parcours déambulatoire, ce sera une suite de bancs qui guideront et ponctueront mes pas et points d’ouïe. S’il fait nuit et que je désire lire, écrire, ce sera un banc sous un lampadaire. J’adore la nuit ! Si je recherche, outre un point d’ouïe, un point de vue, un lieu agréable à regarder, ce sera devant un panorama naturel, une place d’un centre historique…
Tout ceci m’entraine donc d’avenues en ruelles, de parcs en places publiques, de sentiers en promontoires, m’en faisant voir et entendre de toutes les couleurs.
Bref, jonglant avec les aléas climatiques, et les intentions et envies du moment, je me suis défini, l’expérience aidant, toute une typologie de bancs, dont certains autour de chez moi, comme lieux expérientiels, d’autres dans des lieux connus, déjà arpentés, écoutés, d’autres encore à découvrir dans de nouveaux espaces à investir. Se constitue ainsi un véritable inventaire pour promeneur écoutant, arpenteur de tous crins, une géographie bancale, des ressources assises à fréquenter selon les cas, les besoins, les nécessités, les adaptabilités du projet en cours. Des villes me posent parfois problème, dans des choix délibérés d’aménager des espaces sans assises, pour des raisons tendancieusement sécuritaires et dans des volontés malsaines de cleaner l’espace public. Néanmoins je trouve en général toujours de quoi à satisfaire mes postes d’observation, ou tout simplement de jouissance quiète du monde environnant.