Parce que si la nuisance sonore est un fait, une réalité, une source de problème sanitaires, une gêne stressante, nos environnements ne se réduisent heureusement pas à ces constats négatifs et dépréciatifs.
Durant de nombreuses années, en collaboration avec des établissements d’enseignement, de la maternelle à l’enseignement supérieur, Desartsonnants a mené, et le fait encore, un travail autour de l’écoute (active) et des pédagogies liées aux notions de paysages sonores, dans le but d’ouvrir les oreilles, sans (trop) subir les pollutions sonores ambiantes, ou en se demandant comment y remédier, s’en protéger. De nombreux workshops avec des écoles supérieures de design, d’architecture, ont été menés (écouter et qualifier les ambiances acoustiques, contrôler, maitriser les productions sonores, travailler les sonals et identités acoustiques, le design d’ambiance, le son et le multimédia…). D’autres, avec des écoles de géographie, d’arts, de gestion de projets culturels et artistiques, conservatoires de musique, centres d’art, ont tenté de répondre à des problématiques et demandes spécifiques.
Des collaborations avec des PNR, CAUE, Collectivités locales et territoriales, réseaux éducation santé, agences d’urbanisme, ont fait se rencontrer et croiser différents territoires de recherche et pratiques. Rencontres, groupes de travail, conférences, ateliers, colloques, ont contribué à développer des réseaux actifs, interdisciplinaires et au fait de concevoir des outils de sensibilisation et d’apprentissage, susceptibles de répondre à de nombreux cas de figure (et d’oreille). Aujourd’hui, la réduction galopante des budgets permettant aux structures publiques de travailler avec des personnes extérieures , rend hélas ces interventions et collaborations de plus en plus difficiles, même si des projets d’Urbanisme Culturel tendent à ouvrir de nouvelles portes et champs d’expérimentation situés.
Impliquer les oreilles, apprendre à lire des paysages sonores en mouvement, en transition, mettre en place des pédagogies ad hoc, laisser la place à des écoutes qualitatives, prendre en compte les aménités audio-paysagères, sans rester dans l’unique champ du bruyant, ni l’ignorer non plus, restent des chantiers importants. Chantiers à mener pour lutter contre l’affadissement cacophonique du monde, maintenir des relations humaines renforcées au gré des sons, considérer le paysage sonore comme un commun à défendre, protéger, voire soigner et construire collectivement. L’écoute partagée restant la clé de voûte préalable à toute action de terrain.
Il m’est parfois difficile, pour différentes raisons, de fixer une activité dans un lieu précis, espace qui relèverait de l’immeuble (ce qui, aux vues de la loi, ne peut être déplacé), ou pire, de l’immobilité, physique et projectuelle. Les contingences matérielles, techniques, occasionnellement financières, poussent mes expériences de terrain à voyager d’un lieu à l’autre, hors-les-murs. Exemple : Prenons le paysage sonore comme axe de travail, de recherche, de création, ce qui est mon activité au jour le jour. Je pourrais décider de rester sur un lieu donné, d’en faire un inventaire acoustique, de mettre en place des approches descriptives, pragmatiques, phénoménologiques, et plus encore si affinités. Je pourrais également me construire une sorte d’observatoire, en se disant que, de toute façon, un instant d’écoute ne se renouvèlera jamais à l’identique, tel le fleuve toujours renouvelé d’Héraclite pour le baigneur qui s’y trempe. Néanmoins, il m’est plus que nécessaire de me frotter à des formes d’inconnus, même non spectaculaires, infra-ordinaires, pour reprendre une thématique chère à Pérec dans une sorte d’inventaire descriptive du quotidien. Passer d’une ville, d’une forêt, d’un village, d’un bâtiment à l’autre, s’y mesurer, les écouter, les appréhender avec une expérience de leur multiplicité, du collectage d’ambiances sans cesse renouvelées, prendre des bols d’air acoustiques hors d’un chez-soi à la longue enfermant, des gestes vitaux pour le lobe-trotter* que je suis. Au-delà des dépaysements sensoriels, géographiques, dans le sens où l’entend Jean-Christophe Bailly dans sa géographie émotive**, le nomadisme vagabond est un facteur de rencontres. Celle qui tricote des projets dans lesquels l’échange est au cœur des interactions écoutantes. Écouter ensemble, à deux, à plusieurs, faire silence parfois, discuter à d’autres moments, se sentir à la fois chez soi, accueilli, et à la fois explorateur dans des ailleurs amènes. L’écoute abat ou contribue à trouer des frontières, physiques, acoustiques ou symboliques. Elle me fait suivre et traverser des lisières, des espaces incertains, entre ville et campagne, dedans/dehors… L’écoute tend à rendre des lieux, des espaces de vie plus poreux, moins cloisonnées, enfermants. Les sons et la parole, les gens, les animaux, circulent, plus ou moins facilement, et mon oreille et mon corps d’écoutant avec eux. En marcheur, en voyageur par le train, que j’adore, le bus, je cherche à découvrir de nouveaux espaces sonores, à m’en nourrir, à les réécrire à ma façon, à les partager surtout. Si j’aime régulièrement revenir vers des ancrages familiaux, des lieux riches en souvenirs, attaches et histoires personnelles, c’est pour en repartir bien vite, ailleurs. Battre la campagne, errer dans des villes, se poser sur un banc, les oreilles grandes ouvertes, les micros curieux, le carnet de notes à portée de main, la conversation toujours appréciée, un mode de vie qui pimente mon quotidien.
Pour terminer ce texte, une petite adresse aux lecteurs, lectrices qui l’auront parcouru jusqu’ici : Je suis toujours en recherche de lieux d’accueil, d’écoute, de partenariat, d’expérimentations croisées… Si jamais… À bon entendeur et bonne entendeuse, salut !…
Depuis plusieurs années, voire décennies, quelques axes directeurs guident mes oreilles, pas et micros, en structurant des projets suivant quelques thématiques et/ou problématiques. Le paysage, ses approches esthétiques et écosophiques, nos relations avec et par les sons, l’aménagement de territoires où mieux ouïr, font partie de ces questionnements récurrents. Sur le terrain, des lignes d’action naissent et voyagent, se réécrivent au fil des lieux et des rencontres. Les PAS – parcours audio sensibles, les arpentages en duos d’écoute, nous font parcourir des espaces en immersion, et en mobilités douces. « Et avec ta ville, comment tu t’entends ? », les inaugurations de Points d’ouïe, posent la question de nos rapports aux univers sonores, urbains ou non, sans tomber le « mur du tout bruit », mais en cherchant plutôt les aménités audio-paysagères. Le projet Dedans/dehors s’intéresse aux barrières et aux porosités acoustiques, aux espaces de communication, dans des milieux plus ou moins enfermants, tels les hôpitaux, centres psychiatriques, prisons, lieux d’accueil pour personnes handicapées… « Bassins versants, l’oreille fluante » suit de l’oreille la présence acoustique de l’eau dans les territoires, de l’Océan à la fontaine en passant par les rus, mares et torrents… Des cartographies sonores pour donner à entendre un lieu, ses activités, ses acoustiques, ses paysages… Quelques signatures sonores singulières attirent mes oreilles, les cloches, les fontaines, la réverbération de certains bâtiments telles les églises, mais aussi des parkings souterrains, les échos, les accents et parler locaux, et d’autres choses auriculaires qui font paysages. Tout cela se construit longuement, traçant des chemins de traverse Desartsonnants, et cependant avec le fil conducteur d’écoutes multiples et autant que possible partagées.
Donner une conférence autour d’un sujet qui m’est cher, que je porte à bout de bras, à portée d’oreille, est un moment riche, intense, qui me permet à la fois de reformuler, d’expliquer, d’échanger. C’est une façon de faire progresser mes réflexions et actions. Mais au-delà, afin de ne pas m’adresser essentiellement à un public déjà convaincu, pour employer une expression courante, il me faut me frotter sans cesse au terrain, à des publics pas forcément habitués à franchir les portes d’une institution « savante ». Des résidences d’écritures dans des territoires multiples, urbains ou non, des actions culturelles vers des publics intergénérationnels, des projets thématiques au sein de lieux alternatifs, des gestes performatifs dans le courant des arts en espace public… Autant de terrains pour échanger, collaborer, expérimenter, avec un maximum de personnes. À chaque fois, il nous faut écrire une nouvelle histoire commune, pour les oreilles, tirant ses ressources dans le terreau sonore du lieu, de ses habitants et habitantes.
Le paysage sonore ne résonne pas, voire n’existe pas de la même façon pour toutes et tous. Représentations esthétiques, sociabilités auriculaires, espaces biophoniques, géophoniques, anthropophoniques, qualités des espaces acoustiques, silences, saturations, paupérisations… Autant de réalités, de sensorialités, d’approches superposables, hybridables, interagissantes, mouvantes… Prendre soin de son territoire et de ses habitants, humains ou non, vivants ou non, suppose d’écouter ce que le terrain a à nous dire, quitte à en faire récit en prenant garde ne pas le figer dans le temps, dans l’espace, dans une approche trop balisée, trop enfermante. Le récit reste évolutif, au fil du temps et des lieux, il montre des paysages sonores toujours en mouvement, qui ne sont pas définitivement encapsulables, même dans l’instantanée de field recordings traceurs. C’est d’ailleurs un des objectifs des dispositifs et protocoles d’observatoires phonographiques, à l’instar des observatoires photographiques, montrer l’évolution des paysages sonores au fil du temps, des activités, des aménagements, des changements climatiques… Autre constat, si l’approche audio privilégie la vue, ça ne doit pas être, comme on l’a beaucoup (trop) entendu, pour contrecarrer une soi-disant hégémonie du regard. Remplacer une prédominance par une autre est contre-productif. Au cours de mes nombreux arpentages, j’ai constaté que le fait de poser une oreille curieuse apprenait à regarder différemment, sans doute mieux, de façon plus curieuse. Le distant, le proche, le micro, le macro, la perspective, la hauteur, les plans, les transects et errances, prennent des formes surprenantes, tant à l’oreille qu’au regard. L’oreille guide l’œil autant que l’œil guide l’oreille, dans une interconnexion complice, plus que dans une rivalité qui nie notre incontournable et intrinsèque polysensorialité.
Deux formes de territoire sont pour moi envisageables. Le premier est celui que je nommerai territoire tangible, arpentable physiquement, ancré dans une réalité matérielle. C’est par lui que commence la plupart de, sinon toutes mes investigations, notamment par mes PAS – Parcours audio sensibles. Ces espaces in situ sont les lieux d’expériences physiques, sensibles, où l’oreille et le corps entier sont impliqués dans des approches immersives, situées, territorialisées. Le second est immatériel, mais non pas hors-sol, car il est la résultante de l’expérience de terrain. il est généralement inscrit dans des univers numériques, aujourd’hui pouvant être entrelacés dans un metavers complexe et nébuleux. Cartographies, récits multimédia, processus génératifs, développent de nouvelles interactivités, interconnexions, qui tissent un paysage multiple, ou des formes de virtualités résonnent et dialoguent avec les paysages tangibles, les prolongent, les racontent autrement.
Revenons au paysage sonore que j’ai précédemment qualifié de tangible, celui où je mets pieds et oreilles en mouvement, et tends les micros. Il s’envisage, au-delà des administrations, frontières et autres lisières, via une approche qui convoque une forme de biorégionalisme acoustique. Bassins versants, topologies, vallées, chaines montagneuses, climats, façonnent des ambiances et effets acoustiques, des formes d’activités, d’aménagements, de cohabitations ou de séparations, qui donnent à appréhender des espaces bien souvent inentendus, donc inouïs, au sens premier du terme. C’est plus l’écoute, la démarche et la façon d’entendre les milieux ambiants, qui font paysage, voire territoire sonore, plutôt que l’inverse, même si la variété audio-paysagère influe sensiblement les modes et postures d’écoutes. Le manque d’expertise écoutante contribue à masquer, ou ignorer, nombre de dysfonctionnements qui devraient pourtant nous inquiéter, si ce n’est nous alarmer. Cela nous ramène aux fragilités intrinsèques des espaces habités, exploités, de plus en plus malmenés par la présence et la mainmise humaine, négligeant toute modération au profit d’exploitations peu scrupuleuses des ressources locales, du développement d’un tourisme envahissant… Il y a bien des années, voire des siècles, Élisée Reclus, Henry-David Thoreau, mais aussi John Muir, Alexander von Humboldt, Murray Schafer, se faisaient lanceurs d’alertes avant l’heure, en activistes écoutants convaincus. Via l’arpentage de paysages sonores, l’artiste, tout comme le chercheur, l’aménageur, si tant est que les pratiques soient systématiquement dissociées, ne doivent pas se tenir à une approche conceptuelle, esthétique. Ils doivent, de façon concertée, autant que puisse se faire, proposer des formes d’aménagements respectueux, où poétique (art créatif), poïétique (processus créatif), praxis (le faire) et politique (chose publique) ont leur mot à dire, à qui sait l’entendre, et surtout, qui agit pour mettre en œuvre des gestes plus résonnants, raisonnés, et au final raisonnables.
Croix enregistrement quadriphonique, Projet Perséphone @Acirene (1986/1995)
Je reprends ici ma réflexion autour d’observatoires paysagers qui convoquent tout à la fois le regard et l’écoute, dans des durées permettant de mesurer l’évolution de nos territoires au fil du temps.
Dans une époque où nous vivons une dégradation accélérée de nos écosystèmes, il est nécessaire d’observer, voire de prendre des mesures urgentes, pour préserver a minima des milieux de vie vivables, co-habitables. Outre le fait de mettre à jour des aménités paysagères inspirantes, un patrimoine vivant, le principe des observatoires, non plus seulement visuels, photographiques, mais aussi auriculaires, phonographiques, se pose en termes d’interactions contemporaines.
L’oreille vient donc appuyer l’œil, et vice-versa. De même l’enregistreur audionumérique se fait complice de l’appareil photographique.
En s’appuyant sur l’expérience des OPP (Observatoires Photographiques des Paysages), et sur le travail qu’a réalisé Acirene dans les années 90, avec son projet Perséphone, plusieurs cas de figures s’offrent à nous.
Celui par exemple de s’appuyer sur les observatoires photographiques réalisés par différentes collectivités, PNR, CAUE… et de leur adjoindre un volet paysages sonores, en s’inspirant de protocoles, des temporalités, de médiation, d’archivage, déjà bien rodés.
Autre possibilité, qui semble la plus pertinente mais pas la plus simple à initier, mettre en place des missions, des commandes, où, d’emblée, l’approche visuelle et sonore sont convoquées de concert, pour offrir différentes audio-visions d’un territoire, avec ses concordantes et ses dissonantes.
Dans un premier temps, à titre d’expériences situées, je suis parti sur le fait d’appuyer un observatoire phonographique sur des observatoires photographiques déjà existants, notamment en Région Auvergne-Rhône-Alpes, mais aussi sur d’autres territoires.
Partir d’un corpus photographique, que ce soit à l’échelle d’un village, d’un PNR, d’une vallée, d’un département… nous offre des sites déjà cadrés, avec leurs logiques territoriales, administratives, géographiques, économiques, touristiques…
On s’appuiera sur des sites explorés dans des cadres photographiques pour tendre l’oreille là où le regard s’est posé.
Ce qui peut, en fonction des cadrages choisis, nous amener à repenser des points d’ouïe étroitement associés aux points de vue, en interrelation.
Le fait de nous trouver dans une multitude d’espaces, resserrés, ou de grandes étendues, des zones métropolitaines, périphériques, ou des sites ruraux, « naturels », des points culminants, des belvédères ou des vallées enserrées, nous fera adapter, voire réinventer des façons d’écouter, et bien-sûr de regarder, intrinsèquement contextuelles.
Prenons quelques exemples expérimentés au cours de mes PAS-Parcours Audio Sensibles.
Les écoutes, puis les captations sonores, pouvant donner lieux à des cartographies évolutives, dans différentes couches spatio-temporelles, seront fortement influencés par les regards antérieurs et les écoutes actuelles.
Ainsi, on sera amenés à choisir le point d’ouïe adéquat, et ses modes d’écoute, selon son proche environnement. Une écoute et des enregistrements audio en points fixes, sur un banc, à la croisée d’une rue, au bord d’une fontaine, sont souvent pratiqués Mais on peut l’envisager aussi en mode mobile, fondus entre deux points d’ouïe, en zoomant ou dézoomant, en s’approchant ou s’éloignant, en tournant autour… Ces postures d’écoute seront contraintes au fait de leur reproductabilité, pour avoir une audio-vision susceptibles de montrer l’évolution du site ou du territoire au fil du temps, des aménagements. Même si un territoire urbain peut être radicalement transformé par ses réaménagements successifs, jusqu’à en rendre difficiles, voire impossibles, l’accès récurrent à des points de vue/points d’ouïe-témoins, repérés au départ du projet.
La question de la pérennisation et de l’adaptation d’un projet photo-phonographique transversal, par définition territorial, de sa reconnaissance comme un objet d’étude au croisement d’approches artistiques, sensibles, techniciennes, patrimoniales, touristiques, reste plus que jamais d’actualité.
Plutôt que de travailler des observatoires photographiques qui ont déjà une histoire et un champ d’expériences avérés, et de développer d’autre part des observatoires phonographiques qui sont pour l’instant restés à des échelles plus ou moins embryonnaires, morcelées et isolées, il convient de les penser d’emblée comme un outil commun, qui fait résonner de concert sons et images.
Observatoire photographique des paysages de la Vallée de la chimie Le CAUE Rhône-Métropole (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement), en partenariat avec la Mission Métropole Vallée de la chimie pilote l’Observatoire photographique des paysages de la Vallée de chimie.
Il y a une, ou une multitude d’histoires du sonore. Et comme toute histoire, elles sont en perpétuel chantier. Elles s’écrivent au fil du temps, des civilisations, des territoires, des technologies, des chamboulements climatiques, politiques, des aménagements et anéantissements… Elles s’intéressent aux ambiances, aux silences, aux rituels, aux façons d’être avec les sons, de les utiliser sous les angles aussi divers que ceux de la communication, des aménagements, de spiritualité, d’esthétiques, et à l’aune de la vie quotidienne et des sociabilités auriculaires…
Certains ont écrit des histoires du ou des silences, du passé jusqu’à nos jours, esthétiques, environnementaux, sociétaux… Parmi ceux-là, John Cage, Alain Corbin, Jérôme Sueur… D’autres du bruit, ou des bruits, tels Jacques Attali, Jean-Pierre Gutton, Juliette Volcler…
D’autres ont tricoté, ou détricoté les univers sonores, l’écoute, via des expériences où sons, musiques, arts, vie quotidienne, sont brassés, malmenés, remis en question. C’est le cas notamment avec le mouvement Fluxus.
Des artistes et chercheurs, parfois les deux, en ont fait paysage, environnement, réflexion écologique, écosophique, anthropophonique, architecturale… Raymond Murray Schafer, Max Neuhaus, Bernie Krause, Alexandre Chèvremont, Roberto Barbanti, Élie Tête, Louis Dandrel, Pierre Mariétan, Hildegard Westerkamp, Kristina Kubish… parmi d’autres.
On peut arpenter physiquement, sensoriellement, des géographies sonores, des territoires auriculaires, tout proches ou aux antipodes. Des lieux qui sonnent ou dissonent. Des espaces acoustiques, naturels, aménagés, construits. Des ambiances, des effets et des formes de climats.
Des cartographies situées, globales, thématiques, participatives, entre bruits et field recordings explorent et font explorer un monde à différentes échelles de l’audible… De la carte de bruit urbaine à l’impressionnant projet participatif d’Aporee.
Le CRESSON, ACIRENE et d’autres organismes, ont étudié, et le font encore, moult paysages et ambiances sonores. Des artistes et chercheurs, déjà cités dans l’historicité sonore (Tête, Chèvremont, Krause…) ont posé les problématiques des rapports sons/espaces. D’autres, tels Luc Ferrari, ont mis en scène des territoires sonores et musicaux plus ou moins situés, entre ambiances captées et imaginaires, inspirés de lieux existants.
Un réseau très actif d’audionaturalistes, captent les sons du monde, du vivant, de la biophonie, géophonie, anthropophonie. De nouvelles approches scientifiques, autour de la bioacoustique, de l’écoacoustique, analysent et proposent des outils prospectifs autour de milieux sonores du vivant, fragiles et souvent malmenés.
Dans une écoute, ou l’étude d’une écoute qui se veut ouverte, il est difficile d’envisager les espaces sonores sans associer des temporalités intrinsèques, à plus ou moins long terme, de la « grande histoire » à l’anecdote quasi journalière, et dans leurs contextes géographiques, à différentes échelles. Traverser une friche industrielle nous questionne des sons que nous y entendons. Mais aussi ceux qui ont rythmé des aciéries, des mines, des carrières, des manufactures de tissage, avant de s’éteindre avec l’arrêt des activités…
Regarder des cartes historiées, des tableaux et autres représentations graphiques, lire des romans de Zola, Balzac, Sand, nous fait non seulement voir, mais aussi, entendre des sons d’antan, des marchés, des chantiers, des scènes de la vie quotidienne ou des événements significatifs.
Ces géo-historicités sonores, multiples, contraintes, ou tout au moins influencées par les contextes spatio-temporels, des postures physiques et mentales convoquées selon les projets, donnent à l’écoute du grain à moudre.
La notion de paysage sonore n’est pas seulement une vision esthétique, poético-sensible, loin de là.
Elle convoque et met en jeu, voire en action, un faisceau de pratiques, de problématiques, de nécessités, avant tout sociétales. Parmi ces approches, citons : – La recherche de zones apaisées, de corridors bioacoustiques, via notamment les zones calmes, les trames blanches. – Le confort et la qualité acoustique des lieux bâtis, dedans/dehors, un urbanisme qui prend en compte le sonore, en amont des projets. – La préservation de la santé publique, malmenée par un stress bruitiste grandissant et des conflits de voisinage. – L’éducation à l’écoute par des dispositifs pédagogiques à tout âge et pour tous. Sensibilisation aux ambiances, aux marqueurs sonores, aux aménités paysagères, capacité d’écouter l’autre, humain ou non, d’entendre ses milieux de vie… – Recherche art-science, art-action, où des gestes croisés développent des œuvres en interrelation avec des approches techniciennes, prospectives, scientifiques…
Ces croisements, collaborations, hybridations, ne diluent pas pour autant le paysage sonore dans un monde diffus, nébuleux, mais au contraire renforcent son existence et la place qu’il occupe, ou devrait occuper, dans une recherche écosophique globale. Transdiciplinarité, voire indisciplinarité, sont plus que jamais nécessaires pour défendre des valeurs mises à mal, dans une société de plus en plus discriminante, égocentrée, violente, belliqueuse. Écouter c’est résister, c’est construire ensemble !
C’est une question récurrente chez moi. Et plus je me la pose, moins je suis sûr d’y apporter une, ou des réponses, en tout cas des réponses satisfaisantes, a minima. Tout à l’heure encore, au bas de chez moi, sur un banc de pierre, j’ai profité de la douceur, presque chaleur, printanière, pour tendre l’oreille aux alentours. Des corneilles, des pies, un chien, quelques hommes, femmes et enfants de passage, des voitures et deux roues, pas nombreuses ce jour, un jour férié plutôt calme dans ma campagne. Rien de spectaculaire en somme, je n’y trouve pas vraiment matière à réfléchir sur le sujet, celui de l’écoute en tout cas, ni à expérimenter une posture écoutante particulière. Et pourtant. Les choses, sonores, semblent se mettre en place dans ma tête, s’agencer, peut-être contre leur gré, de façon anachronique, faire ambiance, faire paysage. Le chien répond aux oiseaux. Ou est-ce l’inverse. Ou est-ce mon interprétation, improbable, biaisée. Les gens me saluent, discrètement, ou de manière amicale, affirmée, joyeuse. Une personne me parle, de son père, de sa peinture. J’écoute, et on m’écoute. Je suis un écoutant qui ne se montre pas en tant que tel. En tout cas, je ne revendique pas cette posture auprès de ceux qui, ce soir, me croisent. Plutôt écouteur anonyme, ou tout au moins discret. Et les sons viennent à moi comme je vais, à eux, de l’oreille, immobile. Aller-retours incessants. C’est dans le cours des choses, que les sons occupent l’espace, voire contribuent à le construire, à le ressentir. Sauf que je pratique, parfois plus ou moins consciemment, une écoute que je qualifierais d’active, plus profonde, avec toutes les limites du terme. Cette posture écoutante est sans doute, modestement, un peu plus impliquée que le commun des mortels, car faisant partie de mon quotidien, de mes aspirations, de mon univers créatif. Enfin, de la façon dont je conçois le geste créatif, non comme un monde extraordinaire, ni génial, loin de là, mais comme une curiosité triviale à tendre l’oreille, ici et là, sur un banc ou dans un bar, dans une ville ou en forêt. Geste conscient, réflexe, rituel, je ne sais pas au juste ce qui motive ces actions écoutantes, ni même ce qui, ce soir, me fait écrire ces errances auriculaires. Parfois, je le sais de façon plus affirmée, parce que l’on m’invite à écouter, à faire entendre, à tracer, composer, diffuser, installer… Ce soir, je ne sais pas non plus si ces réflexions seront fugaces, sans suite, ou si elles se déploieront dans des espaces temps où l’oreille sera de nouveau sollicitée, encore et encore. À tout hasard, avant que ces questions, ces ambiances s’effacent de ma mémoire, se dissolvent dans le temps et l’espace, j’en prends note à la volée. Alors pourquoi donc poser l’oreille ici ou là, et surtout questionner ce fait qui est somme toute récurrent, parfois vital, et qui tricote des relations sociales, qui stimule des perceptions, plaisirs ou déplaisirs, qui donnent du grain à moudre à l’arpenteur écoutant que je suis ? J’ai souvenir que, depuis longtemps, des objets sonores, musicaux, des expériences, ont occupé une place importante dans ma vie. Un instituteur guitariste avec qui on chantait beaucoup. Tout jeune, une flute à bec dans une pochette surprise. Puis le clairon de mon grand-père, sans compter le saxophone dont j’ai joué des années. La voix, le plaisir de chanter, puis de faire chanter, sans mauvaises intentions, bien au contraire. Le Teppaz mono de mes parents, que j’ai rapidement accaparé, puis ma première chaine HI-FI et magnétophone à bande, acheté après des jobs d’été. Mes parents qui chantaient en duo, et mon père qui sifflait joliment. La radio, qui m’a bercé de ses histoires, et le fait encore des journées et nuits entières. Ma rencontre avec les radios libres, associatives, fin des années 70, une belle découverte ! La CB (Citizen Band) qui nous faisait communiquer parfois avec des personnes très éloignées géographiquement. Une formation autour des pédagogies musicales dites actives, toute une époque d’innovation pédagogique. La découverte des musiques électroniques, et surtout pour moi électroacoustiques, de ses sons spatialisés. L’apparition du numérique et de tous ses nouveaux champs exploratoires. Une reprise d’étude universitaire qui m’a permis de tester de nouveaux champs d’arts-action, bien que ce terme n’existait pas à l’époque. La rencontre avec une association de musiciens, architectes, urbanistes, designer, qui travaillaient début des années 80, autour du paysage et de l’écologie sonore, dans les pas de Murray Schafer. Un grand tournant et une révélation qui m’anime toujours ! Un projet conséquent « Haut-Jura terre sonore » qui a ouvert mes oreilles de plain-pied sur un territoire bien-sonnant, et fait réfléchir à une pédagogie, des pédagogies de l’écoute située. La découverte et la pratique du soundwalking, des marches écoutantes, des balades sonores, des PAS – Parcours Audio Sensibles… L’aventure des arts sonores, notamment en terres belges, où création visuelle, plastique, arts-performance, poésie sonore, installations multimédias, m’ont ouvert des réseaux et fait faire des rencontres intrinsèquement inouïes. Et encore aujourd’hui. Peut-être plus que jamais. Et sans doute beaucoup d’autres choses qui m’échappent, mais tissent une sorte de parcours d’écoute hybride, au long cours. Jusqu’à ce soir où je me retrouve sur ce banc, à écouter oiseaux, chiens, humains et voitures, en me demandant pourquoi au juste, je questionne le monde, de près ou de loin, par les oreilles. Pourquoi je signe, modestement, une écoute singulière car personnelle, pour reprendre la belle proposition de Peter Szendy. La boucle est loin d’être bouclée, même si la technique de loop est quasiment incontournable dans les musiques électroacoustiques ou acousmatiques.
Je ne suis pas forcément partisan d’un art conceptuel, hermétique, et au final réservé à des spectateurs-auditeurs avertis, voire conduisant à une sorte d’élitisme culturel bon chic bon genre. Néanmoins, il m’arrive de plus en plus de désœuvrer mes créations, dans le sens où je n’utilise aucun matériau solide, aucun dispositif technologique, et ne laisse aucune trace tangible sur le terrain. Cette volonté de dématérialiser la création sonore tient à plusieurs faits. L’idée de privilégier une approche sensorielle, mettant le corps sensible, écoutant, directement en prise avec son environnement, immergé sans aucun artifice dans un paysage sonore à fleur de peau. Le désir de réduire l’impact physique, sonore, sur les territoires arpentés, mis en écoute, de ne pas utiliser des technologies énergivores, de ne pas chambouler les fragiles équilibres acoustiques. La sobriété est ici de mise. J’installe l’écoute plutôt que les sons, recherche des postures physiques non appareillées, non « augmentées ». J’inaugure des points d’ouïe, prône la marche sensible comme une écriture haptique in situ. Le silence (habité), la lenteur, le ralentissement, sont des éléments essentiels à l’installation d’une écoute collective, engagée, partagée.
Je réfléchissais, il y a peu, a un itinéraire pédestre pour aller de chez moi au centre-ville, en empruntant des trames blanches, ou des parcours relativement protégés acoustiquement, sans être pour autant silencieux. Longer, via un parc, un ruisseau, puis emprunter un passage piétonnier, revenir en enchainant deux parcs… Certes, un peu de distance ajoutée, mais les oreilles ne s’en porteront que mieux. Sans compter le fait de savoir que ces corridors acoustiques apaisés protègent la biodiversité, via une communication sonore animale favorisée. Cela marche d’ailleurs en milieu rural comme dans l’hyper-centre de grandes métropoles. Au-delà du sensible, ou plutôt associé au sensible, ces approches acoustiques apaisées, de parcours piétonniers, même non aménagés en tant que tels, ne sont à mon avis que peu explorés dans l’aménagement du territoire et les mobilités douces. De plus, le couplage des zones de fraicheur estivales, des trames blanches et des zones calmes, ne peuvent qu’apporter un supplément de qualité de vie non négligeable.
Si les marches écoutantes sont bien sonnantes, elles ne doivent pas pour autant être trébuchantes. Bien que le fait de trébucher n’est pas forcément chuter, et que la chute n’est pas un chut. Chut est une injonction au silence, ce qui n’est pas forcément, contrairement au proverbe, une absence de parole, une posture taiseuse, qui vaut de l’or. Silence dans les rangs ! Une façon de faire taire les dissidences, ou de ne pas, sciemment, les entendre. Silence on tourne ! Pas forcément en rond, si l’oreille fait son cinéma, ou si l’on écrit un cinéma pour l’oreille. Acheter le silence, en monnaie sonnante et trébuchante, voire à prix d’or, n’est pas, en soi, un gage d’honnêteté. Quant à la marche, il faut bien franchir le pas pour qu’elle nous fasse avancer. Du pas de la porte ou pas de l’ouïe, le chemin colimaçonne lorsque le son sonne. En avant marche ! Une manière de mettre l’oreille ou pas, cadencé, ou pas. Le pas de côté peut nous éviter la marche forcée, dirigée, et nous faire découvrir des sons canailles. Son dessus dessous, il faut que la marche franchisse, gravisse ou dévale, les marches, les degrés, dans un spectre sonore et dynamique le plus large que possible. La marche-démarche ne force pas à l’arrêt, bien au contraire. Sinon, il est parfois bon de mettre la marche, et le flux sonore arpenté sur pause. Non pas pour l’arrêter, geste impossible, mais pour se poser, se reposer, pour se protéger du chaos sonore ambiant. Pose comme une posture d’écoute et point d’ouïe, et pause comme un repos auriculaire bien mérité et nécessaire. Pause pour ne pas toujours courir, surtout après les bruits qui courent.
Le site choisi est absolument superbe. Une petite route forestière, les rives d’une rivière-torrent, l’Ire, qui, comme son nom colérique l’indique, peut se montrer capricieuse et bouillonnante. Ce jour-là, elle serpente gentiment entre des rives de galets et un environnement. Joliment boisé, le temps étant, malgré les orages annoncés, très clément, voire très agréable.
Une cabane, puisque c’est un thème de ce parcours, servira de base à la très courte promenade qui tournera autour de cette architecture de petits cubes de bois regardant et écoutant la rivière à ses pieds. Cette cabane architecturée, Galli – Chevaline « Combe d’Ire » est dessinée et conçue par les architectes Jonathan Pailleux, Victor Vazquez, Xavier Loureiro, Iker Pastor Irusta.
Il y a déjà longtemps que j’envisageais de promener des oreilles autour de l’œuvre d’Henry David Thoreau, et en particulier autour de son livre « Walden ou la vie dans les bois», avec ses visées pré-écologiques bien avant l’heure, sa recherche sur une forme de décroissance autarcique, son approche naturaliste, philosophique, et éminemment poétique. Vous l’aurez compris, cet ouvrage est pour moi, avec l’essai de ce même auteur autour de la marche « Walking », un jalon très inspirant dans mes approches écoutantes. Cet écrivain philosophe, lié au mouvement transcendantalisme, dans ses formes de communion avec la nature, de Ralph Emerson Waldo, est également profondément anti esclavagisme et abolitionniste, père de la Résistance civile, naturaliste humaniste, et pour moi une référence quasi incontournable. L’occasion était là ! Une cabane, une forêt, de l’eau, un superbe paysage, le cadre idéal ! Je commençais tout naturellement à relire ce livre de chevet, et d’en extraire, avec l’aide de la technologie numérique de la recherche de mots via les docs PDF, des passages significatifs, ceux où Thoreau écrivait des gestes d’écoute, les cloches, la forêt, les animaux, les bergers et le train, nouvel arrivé. À propos de ce dernier, notre naturaliste écrivait que si on ne contrôlait pas les progrès technologiques, ceux-ci pourraient bouleverser irrémédiablement l’équilibre de nos paysages ambiants. Ces propos en avertissement, dès 1893, sonnaient déjà comme une alerte des plus pertinentes et visionnaires, qui s’avèrent hélas aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Ce collectage étant fait, il restait à mettre en pratique in situ un parcours qui alternerait silences/écoutes, lectures, jeux sonores et micro-installation sonore, autour de contes forestiers écrits préalablement avec des enfants et des écrivains dans une forêt libournaise. En préambule, je parlerai de l’écoute et de l’écologie sonore, mêlant ainsi, à quasiment un siècle d’écart, les travaux de Raymond Murray Schafer (1933-2021), père du paysage sonore et de l’écologie acoustique, initiateur du World Soundscape Project, à ceux d’Henry David Thoreau (1817 -1862). La présence aquatique, qui plus est dans l’intimité d’une combe montagnarde, est un contexte idéal pour expérimenter, à oreilles nues, quelques postures d’écoute collectives. Le flux sonore, bruit blanc parfois discret, parfois prenant, offre des points d’ouïe variés, qui colore différemment le paysage auditif, avec de belles variations en quelques mètres, au fil de méandres caillouteuses. D’ailleurs, en parlant de cailloux, c’est en voyant un jeune enfant jouer avec les galets roulés, polis par les eaux, que j’improvise un mini concert minéral, où chacun et chacune fait sonner le paysage de petites percussions crépitantes. De courtes lectures, à voix nue, ponctuées de silences habités de mille sonorités ambiantes, prêtent voix à Thoreau qui, j’imagine, aurait apprécié à sa juste valeur la beauté des lieux. Notre promenade se termine, comme très souvent, par une causerie autour de l’écoute, des paysages sonores, de ses richesses et fragilités, mais aussi des écritures sonores, paysagères, électroacoustiques, et des cartographies sonores de territoires, tant dans leurs aspects esthétiques, qu’environnementales et sociétales. Petit supplément sensible et non des moindres, le plaisir de déguster une délicieuse petite friture de lac , accompagnée d’une Mondeuse locale très goûteuse et fruitée, sans compter quelques autres mets généreusement cuisinés par mes hôtes.
Cartographier des territoires sonores, ce n’est pas seulement collecter des sons pour les mettre en ligne. C’est aussi (et surtout) des dispositifs contextuels pour :
Ausculter des espaces acoustiques en immersion
Garder trace de ces arpentages, découvrir un patrimoine sonore tissé d’acoustiques, de paroles, de mémoire, de savoir-faire…
Repérer les signaux marqueurs auditifs, susceptibles de faire entendre des signatures sonores singulières
Développer des lectures de paysages via les sonorités in situ, prendre conscience des transformations audio-paysagères au fil du temps, des saturations, paupérisations, disparitions, améliorations…
Analyser les caractéristiques sonores intrinsèques d’un territoire au fil de ses acoustiques, activités et vie anthropophonique, animale, comprendre comment fonctionne, ou dysfonctionne un espace auriculaire partagé…
Participer à une pédagogie de l’écoute
proposer des parcours d’écoute à oreille nue
Sensibiliser à une approche sensible, écologique, des paysages à portée d’oreille
Valoriser des territoires sonores fragiles, tout en les protégeant
Tisser du lien social en écoutant de concert
recueillir des matériaux sonores en vue d’écrire des histoires pour l’oreille, mêlant réel et imaginaire, et recherchant une belle écoute…
Entre février et juin 2025, durant cinq interventions avec une classe de 3e CHAAP (Classe à Horaires Aménagés Arts Plastiques) du collège Pierre Valdo de Vaulx-en-Velin, nous avons exploré les paysages sonores dans la proximité du collège. La toute proche École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon (ENSBAL) a été le principal partenaire de ce projet. La Métropole de Lyon, Mission éducation artistique et bien évidemment l’Éducation Nationale étant également de la partie. Les interventions se feront en duo avec l’enseignante artiste plasticienne Lou Nugues. L’objectif du projet étant de prendre conscience des paysages sonores ambiants, notamment par la réalisation de cartes postales sonores réalisées via des écoutes , et prises de son à proximité de l’établissement, essentiellement sur le parcours reliant le collège à l’École d’Architecture. Une première séance a été consacrée à définir ce qu’étaient les différentes formes de paysages sonore, alternant écoute et dialogues. Qu’entend t’en lorsque l’on tend l’oreille ? Existe-t-il des signatures sonores qui caractérisent notre quartier, notre ville ? Comment ressent-on le monde sonore, entre plaisir et déplaisir ? Comment améliorer les ambiances acoustiques, les rendre plus entendables, notion d’écologie sonore et de bien-être ? Comment capter des ambiances et sonorité (promenades écoute et enregistrement de terrain) ? Comment raconter des histoires pour les oreilles en s’appuyant sur les sons du territoire (montage audionumérique) ? Comment installer des sons pour les faire entendre ? Des exercices de description orale sont expérimentés, le fait de commenter en direct ce que l’on voit et entend par exemple. Des bruitages vocaux, corporels seront également inclus aux montages. Des ateliers dans lesquels marche, écoute, captation et cuisine sonore s’enchaineront. Un terrain est défini, reliant le collège à l’école d’architecture via une ruelle piétonne, plus un bout de forêt voisine. Nous arpentons, écoutons et enregistrons collectivement le passage jouxtant le collège. Les ambiances et événements sonores ne manquent pas. Groupes de promeneurs, joueurs de tennis, enfants sortant d’une école voisine, bruits de pas, portail grinçant, travaux extérieurs sur le site de l’école d’architecture… La matière sonore est là, et bien là, riche, variée, dans un environnement équilibré, échappant à l’agitation urbaine des Grands Boulevards voisins. Plus tard, nous utiliserons les studios de création sonore, de l’école d’architecture, très bien équipés et d’excellente qualité, pour commencer, une écoute collective critique. Qu’est-cet qui, dans les enregistrements de terrain effectués, ce qui fait sens, est suffisamment qualitatif, esthétiquement et techniquement pour être conservé, exploité ? Première étape de dérushage, que garde-t-on, quelle matière, séquence, utiliserons-nous prioritairement ? Nous parlerons également scénario et récits. Quelle(s) histoire(s) raconter par les sons , Comment trouver une trame narrative, un fil rouge, une dramaturgie sonore ? Nous envisagerons par ailleurs les façons de mettre en scène nos cartes postales sonore dans la « rue centrale » de l’ENSBAL. Un îlot et des postes d’écoute ? Les titres, des textes, des graphismes… ? Les quatre groupes constitués feront des choix esthétiques pour présenter, mettre en scène publiquement leur travail lors d’un rendu final, où seront présentés les différents travaux du collège (promenades sensibles, danse et architecture, matériaux recyclés, paysages sonores).
• « Sculptures et dessins. Thématique de la friche / outils de l’architecte » Élèves de 6e Collaboration avec l’artiste Claire Georgina Daudin et des architectes-ingénieurs Amandine Martin-Nafti et Romane Petit (ADE ENSAL 2020) de l’association N.U.A.G.E – New urban architect generation esthetic. • « Jane’s Walk, travail sur le patrimoine » Photographies, textes et livrets. Exposition relatant la marche créée à l’occasion du festival Jane’s Walk – Élèves de 5e Collaboration avec l’urbaniste Lucie Van Der Meulen de l‘atelier Minga, présidente du collectif Jane’s walk grand Lyon. • « Travail sur le corps et l’architecture » Maquettes, photographies et textes. Exposition présentant le travail engagé – Élèves de 4e Collaboration avec l’artiste et chorégraphe Jordi Gali du collectif Arrangement provisoire. • « Cartographie, carte postale sonore » Installation sonore – Élèves de 3e Collaboration avec l’artiste Gilles Malatray.
Durant une semaine, les projets seront exposés. Le soir du vernissage, l’’ENSBAL accueille les responsables de l’école, enseignants du collège Pierre Valdo, partenaires officiels du projet, artistes, intervenants, et surtout les élèves et des parents, frères et sœurs. Après la présentation générique du projet par les responsables des établissements partenaires, puis par les artistes ayant encadré les créations, c’est au tour des élèves d’en parler publiquement, à chaud dirais-je. Et les volontaires le font de façon spontanée, très impliquée, non sans une légitime fierté, leur travail, devant les amis, officiels, parents.
Je m’installe dans une vaste et haute cathédrale. J’y déploie mon écoute. Je m’immerge avec gourmandise dans son incroyable réverbération. J’entre en résonance avec le lieu.
Je me place au centre d’un ancien kiosque à musique, dans un parc municipal. Je perçois un panoramique auditif qui m’amène les sonorités ambiantes à portée d’oreille. Je ne produis aucun son, je les accueille, au centre de cette architecture singulière.
Inuguration d’un point d’ouïe – Jardins du Prieuré de Vausse (21) Festival Ex-VoO – CRANE-lab
J’ai eu, et ai encore, la chance de visiter de l’oreille, de nombreux lieux, très riches et très diversifiés. Villes, quartiers, parcs et jardins, forêts, bords de mer, ports, rives d’une rivière, d’un fleuve, tourbières, villages, montagnes… se sont offerts à mes oreilles curieuses. Partout, j’éprouve un réel plaisir à découvrir ces espaces dans leurs fourmillements sonores sans cesse renouvelés, près ou lointains. Je ne cherche pas à leurs donner derechef des valeurs esthétiques, ni des jugements sur des qualités potentiellement inesthétiques. Je tente de laisser venir à moi, sans trop d’a priori, et sans rien en attendre préalablement, comme le dit Peter Szendy dans son approche de l’écoute, les ambiances, les sons, les sensations, les paysages sonores ainsi fabriqués… J’ai souvent embarqué avec moi, et le fait encore, des oreilles complices. Parfois, j’essaie d’en garder trace, de différentes manières, sachant que celle-ci restera très parcellaire, subjective, volatile, fugace, incertaine, usée d’une impermanence fluante et tenace. Les espaces écoutés sont pour moi comme des jardins en friche avec, à la façon de Gilles Clément, le moins d’emprise que possible, et la possibilité aventureuse de laisser les sons déployer des écoutes aventureuses. Il me faut cultiver, sans trop de main mise et d’enclosures, des espaces d’expériences de vie, poussées dans des terreaux sonores nourriciers pour l’écoute, comme des herbes folles et sonifères, qui vont et viennent, se transforment, s’hybrident, cohabitent, vivent et meurent au fil du temps. C’est une manière de croire encore à des lendemains pour le peu incertains, et qui, vraisemblablement, ne nous conduiront pas vers des situations que nous aurions pu souhaiter. Nous sommes loin, oreille tendue, des jardins paradisiaques, mais espérons que ceux-ci nous donnent à entendre la perspective de jours meilleurs, dans la mesure du possible.
@Workshop parcours d’écoute (feu) Post diplôme Création sonore – ENSBA de Bourges
Au jour où la culture souffre des restrictions, voire de violents coups de sabres budgétaires, où les finances privilégient l’armement, l’IA, les satellites, elle doit se repenser plus solidaire, impliquée, peut-être plus modeste, plus proche du terrain et de ses habitants. Elle sera sans doute moins énergivore, plus économique, dans tous les sens du terme. La notion de sobriété culturelle, et certainement de ralentissement, plus ou moins forcés, mais aussi assumés, sont des axes qui peuvent stimuler des projets responsables. Utopie ou vœux pieux ? En tout cas, cela vaut la peine d’y réfléchir, sinon d’expérimenter des formes légères, mobiles, situées, en interaction avec les territoires. Desartsonnants, et d’autres, s’y penchent depuis pas mal d’années, et constatent aujourd’hui que ces gestes, entre notamment marche et écoute, empreints de préoccupation sociétale, sont plus que jamais d’actualité. De plus, c’est une approche écosophique qui entre de plain-pied, de pleine-oreille, avec une forme d’éthique, dans sa façon d’entendre et de faire entendre, modestement, le monde.
Écouter, c’est sortir du dedans, des enfermements, hors-les murs, c’est ouvrir des fenêtres, des espaces décloisonnés.
Écouter, c’est entrer dans les murs, y faire pénétrer les sons, et en même temps les faire sortir au grand air.
Écouter, c’est naviguer entre les dedans et les dehors, faire dialoguer les espaces par delà les obstacles, les solitudes, c’est raconter des imaginaires, faire circuler les histoires…
Écouter, c’est donner lieux aux sons, leur prêter l’oreille, dans les milieux du carcéral, de la santé, du handicap…
Penser le paysage qui se trame en vert (corridors végétaux), bleu (corridors aquatiques), noir (corridors obscurs), blanc (corridors silencieux, ou apaisés), brun (corridors des sols préservés), en maillant zones calmes et ilots de fraîcheur, est une façon coordonnée de protéger, voire d’aménager des espaces de vie plus soutenables.
Le paysage sonore, par exemple, est d’autant plus audible dans son audio-diversité, que ces trames corridors sont pensées de manière concomitante et concertée. De plus, les approches sensibles, artistiques, esthétiques, croisées avec celles scientifiques, dures ou sociales, seront d’autant plus riches qu’elles hybrideront des pratiques transdisciplinaires, voire indisciplinées.
La simple formulation du « paysage sonore » fait aujourd’hui débat, si ce n’est polémique. Dénonçant un concept flou, fourre-tout, des chercheurs et artistes, proposent d’abandonner la terminologie pour la remplacer par une autre, selon eux et elles, plus explicite. Le terme de sonosphère a été, par exemple, cité à différentes reprises. Néanmoins, le paysage sonore est bien ancré dans le langage et les pratiques, qu’elles soient esthétiques, écologiques, sociétaires, depuis les années soixante-dix. Il s’est construit sur une histoire, des acteurs, des champs de recherche et de création, de législation parfois. Le terme de sonosphère lui n’a rien de tout cela, et ne parlera qu’à quelques « spécialistes » qui contribueront, par un. savant jargon, à brouiller les cartes. C’est une façon contre-productive d’obscurcir encore le paysage, et sans doute d’affaiblir les potentialités activistes pour la défense d’une écoute et d’une qualité sonore touchant une large frange de la population. Certes, le paysage sonore embrase différents champs, artistiques, écologiques, sociaux, occasionnellement commerciaux, mais il convient de le replacer ici dans une approche environnementale et paysagère. Pour cela, il faut lui donner une définition, un cadre, acceptant sa polysémie et quelque part son indisciplinarité. Aborder le paysage sonore par l’écoute me semble être une approche intéressante. Qu’écoutons-nous, quand, pourquoi, avec qui, comment ? Comment en gardons-nous trace, entre postures écoutantes et points d’ouïe ? Se saisir d’un paysage par l’oreille implique une prise de conscience, notre environnement n’est pas que visuel, il est aussi sonore. Comme tout paysage ou milieu de vie, il est fragile, parfois fortement dégradé, difficile à vivre. Il nous faut dépasser l’idée d’un ou de paysages sonores abstraits, conceptuels, pour non seulement écrire des récits, mais également engager des actions de terrain, préserver ou aménager des espaces qualitatifs, urbains ou non. Abandonner la terminologie de paysage sonore non seulement ne fera pas avancer les choses, mais créera des zones d’incertitudes, de flou, entretenues par une minorité intellectuelle qui aura encore plus de mal à faire reconnaitre ses actions, si méritoires soient-elles. Le bruit, la notion de paysage sonore, via des approches sensibles, qualitatives, nous offrent des perspectives, des opportunités à développer des outils, pour sensibiliser à l’écoute de nos lieux de vie, de travail, de loisir. Pour cela, il faut user d’une terminologie claire et facile à expliquer dans ses approches pédagogiques audio-paysagères. Ne vendons pas le paysage sonore avant de l’avoir écouté !
Marcheur écoutant, j’essaie d’envisager le geste de mettre un pied devant l’autre de façon ouverte, indisciplinée, préservant une part d’incertitude féconde. Les marcheurs et marcheuses, chercheurs et chercheuses, artistes de tout bord ont en effet, et parfois moi le premier, tendance à cadrer une forme de marche, une esthétique, une fonctionnalité, servant de balises à leurs objectifs. Marche esthétique, artistique, touristique, sportive, militante, contestataire, en hommage, en résistance… toutes les marches sont dans la nature, mais en ville aussi. Marches solitaires, collectives, festives, silencieuses, les traversées paysagères, de jour comme de nuit, prennent de multiples formes, des plus discrètes aux plus tapageuses. L’expérience d’une rencontre internationale que j’ai eu le plaisir de co-curaté, « Made of walking », à la Romieu, dans le Gers, pour laquelle près d’une centaine de marcheurs et marcheuses de tout crin se sont retrouvés, venant de pays très différents, m’a fait vivre de riches moments partagés. Les expériences in situ, échanges, pratiques artistiques, politiques, écologiques… ont contribué à me faire vivre, concrètement, physiquement, des façons de marcher d’une incroyable multiplicité, plasticité, et souvent d’une belle porosité, voire indisciplinarité, dans leurs approches et visées. Pour autant, il n’est pas question de s’auto-proclamer spécialiste multitâche et omniscient, mais plutôt d’ouvrir des portes à des pratiques croisées qui puissent faire de la marche une problématique à une recherche-action de terrain. Certes, l’écoute reste pour moi le moteur, le liant, le fil rouge de mes déambulations. Cependant, la marche a pris au fil du temps une certaine épaisseur, polyvalence, et m’offre aujourd’hui plus de chemins de traverse venant contrarier les lignes droites bien balisées. La marche autorisant des chemins de traverse, erratiques, où se perdre fait partie du jeu, où l’improviste et l’improvisation sont assumées, voire conviées, où l’hybridation de pratiques décloisonnées, pimentant l’aventure, nous fait oser de joyeuses incertitudes.
Le hors-champ au cinéma, ou hors-scène au théâtre, est par définition ce qui sort du cadre. Cadre scénique, cadre filmique, des personnages ou événements sonores, par exemple, se perçoivent tout en n’étant pas dans le champ visuel. On les entend souvent, voix en coulisse, ambiances et bruits divers, musiques, sans les voir, après qu’ils aient quitté notre cadre de perception visuel, ou parce qu’ils s’en tiennent, volontairement ou non, éloignés. Effet d’espace, effet de style, on ne voit pas tout ce que l’on entend. Il existe un espace élargi, qui donne lieu à des images mentales, à des représentations et interprétations du non visible. Le monde du sonore, de la création audio, de l’écoute, est ponctué de hors-champs, maitrisés, conceptuels, ou non. L’invisible s’invite à l’oreille, et amène une couche perceptive, un niveau d’information supplémentaire. L’oreille y est logiquement très sollicitée. Greeneway, Ackerman, Tarkovski, Lynch, dans le monde cinématographique, entre voix off, ambiances et suggestions sonores, font du hors-champ un procédé narratif où le sonore joue un rôle prépondérant. Mais les situations de hors-champ ne sont pas propres au seul cinéma, ou à la scène théâtrale. La mise en écoute d’environnements sonores, d’espaces acoustique, le concept du paysage sonore comme un espace de représentation et d’écriture pour et par l’oreille, nous permettent de vivre de nombreuses situations de hors-champs auditifs. J’en présenterai ici quelques-unes, relatives à mes propres expériences d’écoutant.
Des forêts et des oiseaux En forêt, la majorité des oiseaux sont invisibles, mais bien présents à l’écoute. Les ornithologues, bio et éco-acousticiens se fient donc de préférence à leur oreille, et à des dispositifs d’enregistrements numériques pour tenter de les identifier, dénombrer, et faire des états des lieux concernant leur présence, absence, migrations, sur des territoires donnés. Ces hors-champs audio naturalistes, au-delà des approches scientifiques, sont aussi des espaces d’écoute sensibles pour s’immerger dans les espaces acoustiques forestiers, avec la magie des chants d’oiseaux, notamment lors des chorus Dawn, que l’on pourrait traduire par chants de l’aube ou réveil des oiseaux. Moment magique et impressionnant pour qui s’aventure en forêt à l’heure bleue, juste avant le lever du jour, et qui vit une expérience immersive où, à défaut de voir les oiseaux, entend ce grand chœur avien qui réjouit l’oreille d’un immense hors-champ matinal. L’espace est peuplé d’un immense concert du matin, où les oiseaux sont majoritairement invisibles, mais ponctue les lieux d’un incroyable pointillisme quasi musical.
Un banc, une ville, une nuit C’est une expérience montoise, une cité wallonne, lors du festival, City Sonic, où je m’installe, à nuit tombée, sur un banc public dominant la ville. La Grand-Place en contrebas à gauche, un square au pied de la petite colline où je suis installé, le grand beffroi carillonnant ponctuellement à l’arrière, autant de sonorités qui me parviennent dans une superbe spatialisation, dans l’obscurité de la ville. J’adore ce point d’ouïe panoramique, surtout les vendredis et samedis en soirée, là où les étudiants sont en goguettes, où les cris, les rires et les chants éclaboussent le centre de Mons. Ici aussi, dans cette petite ruelle peu passante, la majorité des sons ne se manifestent qu’à l’écoute, et d’autant plus présents que l’obscurité est installée. Une ville assez bouillonnante en écoute se dessine à l’oreille, sur un banc d’écoute où je reviens régulièrement, de soir en soir, d’année en année..
Un concert acousmatique, cinéma pour l’oreille Début des années 80, je découvre la musique électroacoustique, ses dispositifs multicanaux, et la spatialisation des sons qui se promènent de haut-parleur en haut-parleur. L’espace musical est, dit-on, acousmatique, on n’en voit pas les sources. Écoutez, il n’y a rien à voir ! Le principe de ces musiques étant d’êtres des tissées de « sons fixés », selon l’appellation de Michel Chion, où l’approche concrète de Pierre Schaeffer, n’implique pas la présence de musiciens interprètes, hormis les cas de musiques mixtes, fait que les sources sonores ne sont pas visibles. Les auditeurs étant souvent plongés dans l’obscurité pour renforcer l’immersion. On pourrait dire ici que la mise en situation d’une écoute immersive, généralement sans image, est un bain sonore de hors-champs total, celui que Chion définit comme un « cinéma pour l’oreille ». Le fait que l’écoute s’affranchisse de la vue, du geste musical interprété sur scène, est propice à la fabrication d’images mentales, d’impressions et de ressentis intimes et intérieurs, qui nous place dans un paysage sensoriel mouvant, fugace. Nous sommes hors du champ d’une réalité musicale avec une scène frontale et relativement figée ou « calibrée » au niveau des positionnements des sources sonores. Bien sûr, d’autres dispositifs spatio-temporels existent, et parfois depuis longtemps, où sont aménagés pour diffuser et installer des œuvres spécifiques, autour des auditeurs, avec tous les hors-champs scéniques et hors scéniques possibles.
Le lointain tout près de chez moi Un muret, tout contre la maison que j’occupe, me sert d’assise écoutante, surtout en fin de soirée, et de préférence aux « beaux jours ». La route voisine est assez peu circulante les week-ends, et laisse l’espace sonore se déployer au loin, l’oreille pouvant étendre, étirer son écoute jusqu’aux collines avoisinantes. C’est ainsi que les chants de rapaces en chasse, des trains ferraillant au loin, des voix d’enfants au bout d’un parc, tissent l’espace de sonorités invisibles, et pourtant parfaitement identifiables et localisables. On peut suivre de l’oreille, des trajectoires sonores, se représenter mentalement les topologies locales, les reliefs, situer le mouvement d’un train quittant la gare, ou y faisant escale, la cloche en haut de la ville. Là encore, le regard n’est pas le sens premier, voire est parfaitement inopérant pour entendre et se représenter la géographie acoustique des lieux. Les bribes sonores voyageant au fil des réverbérations paysagères, parfois des échos collinaires font du hors-champ un catalyseur d’écoutes situées, d’ambiances constituant des marqueurs et signatures d’identités sonores locales. Celle qui nous fait de l’oreille se sentir un peu chez nous.
Des porosités dedans/dehors, privé/public Je me promènerai ici dans les dédales lyonnais bien connus que sont les traboules. Escaliers, passages couverts et cours intérieures me feront « débarouler » les pentes de la Croix-Rousse, ou traverser en zigzaguant le quartier historique du Vieux Lyon. Les lieux points d’ouïe qui m’intéressent ici, comme des hors-champs auditifs remarquables, sont les cours intérieures, voire des cours à ciel ouvert, mais encastrées dans une série de sas architecturaux, les coupant de la frénésie urbaine toute proche. Pourtant, malgré le côté oasis acoustique avéré, ces cours ne sont pas, tant s’en faut, muettes. En été, aux heures chaudes, en fin de soirée, de nombreuses fenêtres s’ouvrent sur ces puits sonores. On y entend, sans la voir, la vie, s’échappant par bribes sonores des habitants et habitantes. Sons de cuisine, de radios ou télés, de voix, de fêtes… Le privé, l’intime, s’échappent et s’entendent dans des espaces publics, ou semi-privatifs, en ouvrant le dedans sur le dehors, et vis versa. Cette situation d’écoute que l’on pourrait qualifier d’acousmatique – écouter sans voir est magnifiée, si je puis dire, de hors-champs qui animent les espaces d’un dynamisme où la vie déboule à ciel ouvert. Situation qui impulse des parcours d’écoute aussi riches que variés. Des sonorités sont amplifiées, enrichies, par les réverbérations d’espaces architecturaux, minéraux et très circonscrits, qui ravissent les oreilles écoutantes.
Des hors-champs à profusion, des signatures sonores Dans cette approche exploratoire de hors-champs écoutables, entendables, on s’aperçoit que l’entendu invisible est monnaie courante dans les environnements traversés, arpentés. À tel point qu’ils contribuent à entendre de véritables signatures sonores, des marqueurs acoustiques, des points d’ouïe remarquables. L’oreille se saisit de l’invisible pour construire des paysages sonores inouïs, en tout cas pour celles et ceux quoi ne leur prêtent pas l’oreille. Une certaine forme de sons/silences s’écoute en l’absence d’images, ou sans en voir l’origine des sources, ce qui peut parfois générer quelques inquiétudes, sinon peurs, dans l’exubérance sonore d’une forêt profonde, ou par un petit cliquetis perçu de nuit dans une ruelle étroite et sombre. Néanmoins, les hors-champs restent à la fois une singularité auditive tout à fait excitante, et une expérience esthétique et sociale qui réjouissent notre écoute tout en nous renseignant sur les écosystèmes sonores dans lesquels nous vivons.
Silence on écoute Silence on marche Silence pour s’entendre entre les sons Silences pour ressentir les espaces Silences pour être dans l’ambiance Silence pour se poser dans l’acoustique Silence pour rythmer l’écoute Silence pour s’immerger en douceur Silence pour traverser la ville et ailleurs Silence pour souder un groupe écoutant Silences pour jouir des paysages sonores Silence pour construire des paysages sonores Silence pour apaiser l’espace Silence pour ralentir le temps Silences pour expérimenter les silences Silence pour donner lieu(x) aux sons.
Des gestes Arpenter, mesurer, se mesurer aux territoires sensibles et à l’altérité co-écoutante Entendre, s’entendre, mieux s’entendre Débattre, échanger, partager Résister, déchiffrer, défricher Co-construire un monde écoutable et entendable
Un projet La marche écoutante, le PAS – Parcours Audio Sensibles, sont des espaces-temps propices à ouvrir l’oreille sur des territoires en mouvement, à créer des zones de dialogues, de réflexions, d’expérimentations collectives, autour de problématiques auriculaires qui font communs.
Des approches (non exhaustives) La forêt, la présence de l’eau dans le territoire, la ville, la nuit, la montagne, les sites et acoustiques remarquables, la pollution sonore, les aménités paysagères, l’écologie acoustique, l’écoute active, la lecture de paysages sonores, les pédagogies écoutantes actives et leurs outils, l’écoute dans l’éducation populaire, les pédagogies émancipatrices, l’écoute et les droits culturels, l’aménagement du territoire au prisme de l’écoute, la gestion du bruit, les inventaires et cartographies sonores, les approches transdisciplinaires et indisciplinées, les tiers-lieux et tiers-espaces comme espaces d’écoutes et de production, les communs auriculaires, les outils législatifs et sensibles, le paysage comme espace de création sonore et musicale, les espaces de résistance et de contestation entre silences et tumultes, les oasis sonores apaisants aménagés et protégés, les points d’ouïe-arrêts sur son, les postures d’écoute physiques et mentales, la construction et représentation de territoires sonores, le sonore entre physicalité et immatérialité, l’architecture sonore et le son comme espace architecturé, l’écoute le ralentissement et la lenteur, les fabriques écoutantes contextuelles et in situ, l’expérimentation sonore collective, le plaisir et la joie d’entendre, paupérisations disparitions et saturations de paysages fragiles…
PAS – Parcours Audio Sensible à Kalinigrad (Ru)- Festival Sound Around »
Lorsque que l’on dit « faire silence », dans le verbe faire, il y a l’idée d’une construction, d’une fabrication tangible, acoustique, non ou peu bruyante, en marge, en écho, en superposition, en alternance… à l’écoute elle-même. On fabrique ainsi littéralement du, ou des silences, couplés aux gestes d’écoute. Parfois, comme par une forme sémantique marquant une distanciation, on observe le silence, plus une façon de l’entretenir, de le pratiquer, que d’en cerner les contours spatio-temporels, d’en analyser les qualités, la profondeur, les raisons d’être. Refusant de répondre, plongé dans un mutisme assumé, on garde le silence, ne révélant rien de ce qui peut nous être demandé. On garde le silence dans un état persistant, résistant, comme on garderait le lit, envers et contre tout. `Lorsqu’on se tait, ne révèle pas certaines choses, pour différentes raisons, les pires et les meilleures, on passe sous silence. Passer sous silence, comme on passerait sous les radars, serait-elle une forme de furtivité . Ne pas se faire entendre pour gagner en liberté d’agir, et non pas se taire en étant muselé. Ne pas mot dire et ne pas maudire. De même lorsque l’on fait non pas silence, mais lorsque l’on fait du bruit, au risque ou dans la volonté de bousculer des espaces en imposant parfois des ambiances, des sons, plus ou moins agréables, voire des nuisances. Faire du bruit pour se signaler, pour manifester, pour résister, pour provoquer, ne pas se faire piétiner, aller à contre-courant d’un silence résigné, si ce n’est exigé. Mais d’un autre côté, la marche silencieuse, ou blanche, dans un silence de résistance non violente, pacifique, est aussi une forme de silence en mémoire, ou en opposition. On peut également faire, en dehors du silence, de la musique. On peut la jouer, l’interpréter, la performer, l’improviser, la composer. Bref peuplé ou couvrir un silence qui véhicule et fait entendre trop de vides, de non entendus, de non festif. Toujours dans une idée de construire sciemment quelque chose d’entendable. Toutes ces actions volontaires, impliquent des gestes qui vont construire, en solitaire ou à plusieurs, des scènes, des paysages, où les sons et les silences es sont étroitement mêlés, l’un parfois laissant, plus ou moins, la place à l’autre, le mettant en exergue, ou l’estompant, l’interrompant, s’y superposant. Dans l’idée de faire silence, il y a bien de multiples raisons, objectifs, attendus, mises en situation… Silence on tourne ! Dit-on sur un plateau de cinéma, voire dans un studio d’enregistrement « On air ». Il y a là une injonction à se taire, à ne pas faire de bruit parasite, pour ne pas polluer une prise de vue, ou de sons, et avoir à la refaire le cas échéant. Ne pas déranger, notamment via des émissions sonores intrusives, inopinées et perturbatrices. Silence dans les rangs, est un « commandement », scolaire ou militaire, comme une demande d’attention, de respect, si ce n’est de soumission à une forme de discipline collective contraignante. L’instituteur, le professeur, demandent le silence, le font respecter, pour que leurs paroles ne soient pas noyées dans le chahut, l’indiscipline incontrôlable. Pour que leur parole soit entendue. On revient par les marges sur une idée de silence obéissant, via un effort collectif, imposé pour le bien de tous. Le chef d’orchestre aussi, en levant sa baguette, demande le silence à ses musiciens, et implicitement aux auditeurs, pour que la musique puisse s’interpréter et s’entendre dans de « bonnes » conditions. Wagner, à une époque où on parlait, parfois fort, dans les représentations musicales, à l’opéra, construit une architecture spécifique, où le public, plongé dans l’obscurité, ne doit pas troubler le spectacle en devisant, riant, invectivant. Il faut faire silence pour apprécier l’œuvre. Aujourd’hui, cette mise en situation silencieuse prévaut. Dans une salle de spectacle, tousser fort, longtemps, ouvrir l’emballage plastique d’un bonbon, chuchoter, sont de « mauvaises actions » qui nous valent des regards courroucés alentours, et nous couvrent d’opprobre, alors que nos voisins n’osent pas bouger d’un millimètre si leur siège à la mauvaise idée de grincer. Jour une partition tacet sans risquer la fausse note ! On est loin de l’ambiance taverne, où les bruits environnants font partie de l’ambiance. Le silence peut devenir une chape de plomb qui dissuadera certains spectateurs de pénétrer dans un antre aux pratiques ritualisées, avec tous ses codes et interdits, dont le silence. L’animateur qui emmènera de jeunes ados, peu rompus à l’exercice d’écoute en silence ,en fera parfois les frais… Le silence monacal, celui propre aux lieux de prière, à la méditation, à la concentration spirituelle transcendantale, ménagera des espaces où on ne se croise physiquement que peu, ou pas, où l’on ne se parle pas, sinon dans des espaces-temps rigoureusement délimités. Là où les vœux de silence imposent des règles strictes et parfois difficiles à vivre, à suivre, dans des co-habitations qui effacent ou amoindrissent les communications orales, donc des espaces de sociabilité, d’humanité. Un silence de l’intimité personnelle, de l’introspection, mais aussi de l’éloignement de l’autre, ou de tiers éléments potentiellement perturbateurs. Le bruit détourne notre attention du « droit chemin », justification pour ménager, installer le silence. Mais on a occasionnellement, dans nos vies trépidantes, de formes de retraites silencieuses, dé-saturantes. La minute de silence elle, marque un hommage cérémonial, un rituel en mémoire de, le souvenir de « héros » morts pour, ou d’un défunt dont on se souvient collectivement. En architecture, à défaut de rechercher un « silence parfait », on isole les logements, à la fois des proches voisinages internes et de leurs bruits intrinsèques, et des sources bruyantes extérieures dans des sites urbains ou périurbains. Mais on cloisonne ainsi le dedans du dehors, jusqu’à un enfermement autistique, qui met à mal une vie sociale qui ne tend plus l’oreille vers l’extérieur, et laisse fermées ses fenêtres sur la vie de l’espace public. Un espace public qui ne s’entend plus, avec lequel on ne s’entend plus, une oreille sclérosée et des lieux acoustiquement paupérisés… La solitude, par exemple celle du berger en pâturage, du gardien de phare, de refuges, contraint des « veilleurs » et surveillants à des silences plus ou moins forcés mais néanmoins assumés parfois comme de belles qualités de vie, des Ce peut être là une façon de s’extraire de la fureur du monde. Néanmoins, le silence, où tout au moins le calme des uns n’est pas celui des autres. Blier fils fait dire à Blier père dans le film « Buffet froid « Parce que tu trouves ça calme ? Y commencent à me taper sur le système ces oiseaux !… » A chacun ses aspirations à un apaisement auriculaire. Qui n’a jamais entendu dire qu’un urbain se retrouve brusquement dans une campagne silencieuse, de nuit, était empêché de trouver le sommeil par… manque de « bruit ». Être en rupture avec le bruit en se frottant au silence demande parfois une adaptation, une accoutumance. Il y a les taiseux, les taiseuses, celles et ceux qui préfèrent ne rien dire, mais écouter le monde. Le silence révèle des beautés comme fait naitre des angoisses. Lorsqu’il est de plomb, il s’impose comme une chape recouvrant les sons de la vie, les échanges, l’humanité même, fusse temporairement, avant qu’on vienne le briser, pour dire enfin, se faire entendre et ré-entendre le monde. Une expérience surprenante, août1999, on peut assister à une éclipse totale du soleil, chose rare. Fin de matinée, l’obscurité se fait et tous les oiseaux se taisent, de même que toute la vie s’apaise pour contempler ce phénomène. Un silence étrange, magique, couplé à une obscurité inhabituelle, rapide, qui sera rompu par la réapparition du jour. Les habitants, nous ,les animaux, font silence face à un événement aussi beau que perturbant. Un silence qui peut faire écho à celui installé dans les rues par la covid, et la disparition des sons de l’école, du marché, des bars, que j’ai personnellement mal vécu, malgré l’apaisement acoustique des grandes villes. Heureusement, il restait les oiseaux, les cloches, et les tintamarres de 20 heures à nos fenêtres. Dans le milieu des audio-naturalistes, des ornithologues, on fait silence pour ne pas faire fuir la faune, l’écouter, voir l’enregistrer, sans qu’elle ne se dérobe à nos oreilles et micros, sans que notre présence fasse taire ce que l’on veut entendre.. Rachel Carson, dans son livre « Le printemps silencieux » montre comment le fait de ne pas ou plus entendre certaines choses du vivant, nous met devant le terrible constat d’une bio diversité moribonde, et de notre propre disparition questionnée, voire probable. Silence de mort… Souvent, les randonneurs marchent en silence, façon d’être en immersion avec les forêts et montagnes traversées, et parfois de ne pas s’essouffler dans des passages à fortes dénivelées. Quant à savoir si le silence est vraiment d’or et la parole d’argent, on peut penser que, selon les circonstances et les contextes, le postulat peut varier, voire s’inverser, ou ne pas être d’actualité. Bref, des raisons et façons de faire silence, des motivations, des contextes, il y en a pléthore, sans aller jusqu’au silence de mort, qui serait un aboutissement sur lequel nous n’avons personnellement plus prise.… Faire silence est une manière d’être au monde, de l’entendre comme faire sonner, mais sans faire (trop) de bruit.
Repérer, inventorier, valoriser, raconter, faire entendre…
Des points d’ouïe et sites acoustiques remarquables Des marqueurs sonores singuliers, des ambiances auriculaires Une culture locale et des événements La mémoire et le patrimoine du terroir Des histoire(s), récits et fictions Des parcours sonores, des façons de déambuler dans les sons
Un territoire et des paysages à portée d’oreille !
Une forme de tourisme culturel audio-paysagère en mode doux.
Un projet de territoire, éc(h)ologique, pédagogique, ludique, collaboratif, participatif. Et avec ta ville, ta campagne, ton village… Comment tu t’entends.
Desartsonnants se tient à votre écoute pour tout projet autour des territoires sonores. Les choses étant ce qu’est le son !
Une forêt au printemps Le long d’une rivière, à la même époque Le réveil des oiseaux, juste avant le jour levant Une ville de nuit Une église, à l’intérieur Un belvédère, un surplomb Un parking souterrain, au plus profond Un cimetière Une gare Les cris de marmottes guetteuses Une cour intérieure Un tunnel Un marché Une rue ou place publique avec des chanteurs de rues Une combe jurassienne Une plage, un jour tempétueux Des clarines de troupeaux en alpage Une galerie commerciale Une salle de sports Un bagad ou une fanfare qui passe La pluie sur un toit de tôle, ou d’autres matières L’orage en montagne Le vent qui fait chanter, claquer Une vente à la criée Un torrent au détour d’un sentier Une terrasse de bar, de restaurant, des voix festives Des volets qui claquent au vent, d’autres qui se ferment et roulent à nuit tombante Des pas de danse sur un parquet Des cloches carillonnantes Des séracs qui s’écroulent Des sons disparus aussi Et tant de choses encore, qui surgissent et s’évanouissent ici et là.
1909, Edmond Blanguernon, poète et inspecteur académique en Marne, expérimente les premières « Classes promenades ». Des explorations thématiques, marchées, bimensuelles, soigneusement préparées, à destination du public scolaire. Elles seront intégrées aux programmes pédagogiques vers 1920, reprisent par Freinet (classes-ateliers), et inspirent aujourd’hui « l’école dehors », ainsi que des recherches de Thierry Paquot sur les enfants « chercheurs d’ors » et la « ville récréative ». Je les découvre tardivement, et me sens parfaitement en phase avec ces marches apprenantes, ludiques, où tendre l’oreille tendre (référence à l’essai éponyme d’Anne Bustaret) est plus que jamais pour moi une priorité. Priorité non seulement à destination des enfants, mais priorité pour tout le monde. À l’heure où le monde est de plus en plus complexe, emballé, interconnecté, où l’urbanité fractionne et cloisonne, souvent violemment, les espaces publics, où les enfants, et parfois les « grands », perdent peu à peu le contact avec le monde extérieur, il est urgent de jeter sur nos milieux de vie, une oreille, un regard, de (ré)apprendre des façons de jouer, de toucher, de gouter, de se déplacer, de faire collectif… Les PAS – Parcours Audio Sensibles s’inscrivent dans ces approches tout à la fois esthétiques, pédagogiques, et plus largement sociétales. Ils ne changeront pas le monde, mais cherchent, modestement, à trouver et à préserver des espaces d’écoutes et d’échanges partagés, sur le terrain-même.
Promenades écoutantes avec des scolaire de la CALI (Communauté d’Aglomération du Libournais) PREAC L’Art de grandir – Fictions de la forêt
@Événement CRANE-Lab – Inauguration d’un point d’ouïe – Prieuré de Vausse Chätel Girard (21) – Festival Ex-VoO 2016
Choisir un lieu s’y poser s’y reposer s’y installer y installer l’écoute collective attentive rêveuse simple surprenante à oreille nue profiter de la richesse sonore ambiante en jouir s’immerger dans les sons apprécier les espaces acoustiques multiples les mouvements sonores complexes accueillir les aléas les événements impromptus et d’autres surprises auditives renouveler l’expérience d’écoute installée sur différents lieux tracer un parcours le suivre fabriquer des points d’ouïe de concert faire de l’expérimentation sonore un chantier d’écoute à ciel ouvert avoir une écoute critique partagée sensible vers de curieuses auricularités.
Le vent dans les arbres, un soir d’hiver glacial Nos pas déambulant sur des trottoirs sans fin Les conversations brouillées dans des bars animés et anonymes Des mouettes qui ne cessent de rire dans une ville dépaysante Des bribes de conversations morcelées, qui tricotent un patchwork incompréhensible Les résonances d’églises, aux ambiances sombres feutrées Le ronronnement d’une ventilation, cliquetante et tenace Des verres qui s’entrechoquent en fêtes fugitives La voix d’un ami disparu, qui malgré tout nous rattache au monde La cloche qui tinte dans un salut nocturne et mélancolique La pluie subite qui nous fouette et nous glace le corps Un cimetière où les sons de la ville pénètrent respectueusement La rivière impétueuse, gonflée des pluies d’automne Un musicien de rue qui fait d’une placette un lieu intime de concert éphémère Les premiers oiseaux frileux qui hésitent à sortir de l’hiver Le grondement des travaux qui défont et refont sans cesse la ville Le presque silence d’une nuit campagnarde La fontaine qui crache à flots continus son humidité tonique Un tramway ferraillant à la cloche menaçante Une fanfare de rue qui soudain vient tout enjouer Les rideaux de fer de commerces qui s’ouvrent sur une nouvelle journée La musique ténue, qui s’échappe d’une fenêtre ouverte La bouilloire sifflante du matin, un brin agaçante L’orage qui gronde au loin comme de sourds présages Les rires d’enfants déboulant de l’école Une forêt nocturne envoûtante et inquiétante La radio qui rythme nos nuits d’un flux obscur et nébuleux La nuit qui tombe et ses chouettes hululantes La rumeur de la ville, étendue à nos pieds Les échos d’un train dont le klaxon secoue les collines La solitude comme un doux chant mélancolique La vie qui passe, bon an mal an, à portée d’oreille Les sons qui nous font entendre que l’on reste, envers est contre tout, bien vivant.
Cimetière de Saint-Martin – Brest – PAS – Parcours Audio Sensible Festival Longueur d’Ondes 2025
Parfois, nous (re)prenons conscience de notre environnement, de notre propre corps écoutant, via des perceptions sensibles, ignorées par leur omniprésence-même. Chercher ses lunettes avant de nous apercevoir que nous les avons sur le nez, ne plus entendre la ventilation de son bureau tant elle envahit les lieux, à longueur de journée, en sont quelques exemples du quotidien. Il y a quelques jours, lors d’un échange suivant un PAS – Parcours Audio Sensible brestois, dans le cadre du festival de création radiophonique « Longueur d’Ondes », cet état de perception révélée, ou de non perception, a été évoqué, comme très souvent dans ce genre d’expérience. Le fait de marcher lentement, en groupe, en silence, de se laisser traverser, porter, immerger, par les ambiances sonores, ramène le paysage auditif à la surface, avec le plaisir de le ressentir de tout notre corps, d’avoir « les oreilles qui poussent », m’a dit une participante. C’est à la fois une jouissance physique, mentale, et une prise de conscience de choses enfouies sous leurs répétions, leurs quotidiennetés. Il s’agit parfois d’une forme de retrouvailles avec nos lieux de vie, qui nous révèlent les plaisirs, et parfois déplaisirs, liés aux espaces auriculaires traversés. C’est là qu’apparait, que s’incarne, le paysage sonore, propre à chacun et chacune, en émergeant d’une invisibilité, ici d’une inaudibilité, qui nous les cache, et que nous retrouvons, ou découvrons, non sans plaisir.
Photo : Quartier Saint-Martin, lieu de notre exploration auditive. Un passage surprenant dans le cimetière, un sas acoustique, oasis sonore, au cœur d’un quartier bien vivant. Un panoramique sur la ville portuaire, et les rumeurs apaisées environnantes.
Hier, c’était juste une rencontre avec des étudiants et étudiantes en musicologie. Une sympathique retrouvaille avec la ville de Saint-Étienne, que j’avoue, j’aime beaucoup. Quelques séquences urbaines des plus ordinaires, des travaux, un bar, un campus universitaire, des rues et des places, des passants et passantes… Et une plus insolite, une voiture, dont les essuie-glaces peinent à dégivrer le pare-brise en crissant péniblement, un oiseau bavard, juste au-dessus, dans un arbre décharné, saluant à syrinx déployé le soleil timide, et une improbable musique synthétique qui surgit on ne sait d’où. Étrange et surprenant agencement sonore impromptu. C’était une série de moments, d’échanges, d’expériences de prise de son, de plaisir d’écouter ensemble, qui rendent la vie plus belle à entendre. C’était une séquence qui me conforte de prêter, encore et encore, simplement, l’oreille sur des tranches de vie, aussi anodines qu’imprévisibles, triviales que conviviales. Et demain, ailleurs, avec d’autres personnes, je tends à arpenter de nouveaux territoires sonores partagés. Les prochains seraont tour à tour bressands et brestois.
En tout début d’année, au sortir des fêtes, j’ai été invité par l’ami Kamel, activiste culturel chambérien, que j’avais déjà croisée dans les établissements pénitentiaires d’Aiton et de Chambéry. Invité à tendre oreilles et micros à la fois sur le quartier du Biollay à Chambéry, mais aussi dans le Café associatif et culturel qui s’y niche. Le quartier est un exemple typique des cités dites de Grands ensembles, avec plus de 6000 habitants, en habitat collectif, essentiellement des logements sociaux, et avec une grande mixité. Bref, une des nombreuses cités construites entre les années 50/60, que l’on retrouve dans la plupart des métropoles. Celle-ci est d’ailleurs classée au Patrimoine du XXe siècle. D’immenses barres, dont certaines sinueuses, sont implantées dans des nids de verdure, longées par une petite rivière quasi champêtre, dressent un décor, à la fois brutaliste, le béton roi de l’architecture de masse, et où la promenade entre arbres et pelouses est assez sympathique.
Au creux de cet ensemble architectural imposant, dans un petit enclos de verdure, se tient le Café Biollay, ancien bar associatif des jeux de boules locaux, qui existent encore et sont pratiqués aux beaux jours. Ce café joue évidemment son rôle de bar associatif, offrant à tout un chacun et chacune un lieu de rencontre, autour d’un café ou de sodas à prix modéré, mais propose aussi un espace culturel en chantier, où l’image et le son sont au cœur du projet.
C’est d’ici que je tendrai l’oreille, dedans-dehors. La première demi-journée sera en partie consacrée à une visite-repérage, avec un photographe qui prépare une résidence artistique dans le quartier. En ce début d’année, les espaces publics restent assez déserts, mais la promenade offre des points de vue et d’ouïe assez diversifiés. Nous y croisons des structures d’accueil social, socio-culturel, l’unique bar Kebab boulangerie du quartier, le centre commercial, et devisons avec quelques habitué.es du Biollay. J’en profite pour glaner, ici et là, quelques ambiances sonores du cru.
Rentré au café, je vais y croiser beaucoup d’habitués, figures locales, qui fréquentent pour la plupart régulièrement le lieu depuis déjà longtemps. Beaucoup d’hommes qui viennent se retrouver et deviser devant un café, mais aussi quelques femmes, qui commencent à investir progressivement le lieu. Des accents d’ici où là, des langues, parfois difficiles à comprendre. Une diversité culturelle qui saute à l’oreille ! Je m’assois sur une table, discrètement. Toutes les personnes qui rentrent viennent me serrer la main avec un bonjour sympathique et leurs meilleurs vœux, nous sommes le 02 janvier. Quelques discussions informelles, Kamel me présente rapidement. Nous ne ne voulons pas brusquer les choses, plutôt s’immerger en douceur dans ce lieu où je sens d’emblée une belle humanité sans chichi, un lieu où les gens aiment à se retrouver et discuter du quotidien, de la politique, et des tas de choses de la vie. Acoustiquement. C’est un lieu vivant, et on s’y sent très vite bien.
Le deuxième jour, avec l’aide de Leila, je ferai plus ample connaissance avec les habitués. Nous leurs proposons de nous dire, à micros ouverts, ce qu’ils viennent chercher ici, aiment, leurs ressentis avec les lieux, les personnes. Certains refusent gentiment, timidement, mais viendront par la suite participer à une causerie collective, lors d’une pause clopes à l’extérieur. D’autres sont joyeusement intarissables. Le lieu est pour eux un refuge des plus importants, un espace essentiel pour la vie du quartier, surtout que les commerces ont massivement fermés ces dernières années. Cet espace est un îlot de résistance sociale, où habitants, acteurs culturels, chauffeurs de bus du terminus voisin, se retrouvent. L’installation d’un barbecue dans le parc du café, qui pourrait paraître un geste anodin, est en fait un véritable événement. Aux beaux jours, pouvoir se faire à manger de façon autonome, n’est pas une moindre chose. C’est un vrai lien social qui se tisse et se consolide autour de brochettes partagées.
Autre moment hautement social, le couscous du vendredi, que j’ai eu le grand plaisir de déguster sur place. Pour quelques euros, une immense assiette de couscous végétarien maison, cuisiné sur place, avec des légumes bios locaux, rassemble chaleureusement les habitués dans une belle ambiance festive.
Le père d’un enfant autiste réussit, à sa plus grande joie, à faire dire quelques mots à son fils, pour qu’il entende sa voix. Moment fort.
Je capte au mieux ces ambiances, en essayant d’interférer le moins que possible sur la vie du lieu, mais en toute transparence. Ces ambiances me confortent que ce genre de tiers-espaces ouverts, où chacun est légitime de parler, avec néanmoins un respect que l’éthique du lieu impose naturellement, demeure, dans une société que la solitude et les difficultés sociales gangrènent, un havre d’humanité. Un lieu agora, de rires, des tranches de vies, avec les difficultés et les joies mêlées, animé par une sympathique et truculente serveuse Alexandra . Un espace modeste, cependant clé de voûte sociale du quartier, reliant le dedans au dehors, et réciproquement, que l’on devrait trouver beaucoup plus régulièrement, en milieu urbain comme rural.
Ce sont ces moments d’écoute, d’échange, de partage, qui font que les sons que je tricoterai au retour de cette expérience, sont plus pour moi qu’une trace sonore, mais le souvenir bien ancré d’une belle immersion, où l’écoute prend toute sa place, humaine, attentionnée et respectueuse.
En écoute
Merci au Café Biollay, à Kamel, Leila, Alexandra, à la cuisinière du sublime couscous, et à toutes les belles personnes que j’y ai croisées.
Ateliers Paysage sonore, Café du Biollay – Chambéry – Janvier 2025
Comment peut-on, sans autre artifice ni dispositif que notre regard et notre écoute, interne, celle qui lit les repères sonores d’un tableau, d’une photographie, comme on déchiffrerait une partition musicale qui chanterait dans notre tête, entendre une représentation picturale « iconosonique » ? L’idée peut paraitre étrange, et pourtant, j’ai envie de vous en proposer l’expérience. Regarder attentivement pour mieux entendre, quitte à imaginer une scène auriculaire où l’imagination reconstituerait des ambiances indécises, ou sujettes à variations, interprétations… Je me frotte ici à une approche relevant du pur paysage sonore, celle de la représentation, voire d’une forme de re-construction sensible à l’aune d’une interprétation qui assume ses possibles dérives narratives et fictionnelles..
Pour cette première approche, cette confrontation d’un point de vue/point d’ouïe, j’ai choisi une œuvre archétype, emblématique d’une peinture naturaliste de l’École de Barbizon, le fameux « Angélus » de Jean-François Millet, célébrissime toile du Musée d’Orsay.
Le tableau est d’une composition simple, rigoureuse, presque austère, sans doute due à la vision d’une spiritualité intérieure qui ne se veut pas, loin de là, démonstrative. Tout juste un geste du quotidien, dans toute sa sobriété pastorale. Au premier plan, un couple, tête penchée vers le sol, mains jointes, fait la prière de l’angélus de midi. Juste derrière eux, une fourche plantée dans le sol et une brouette avec un sac de pommes de terre, précise l’action de ces deux protagonistes, des agriculteurs et agricultices en cueuillette. Au loin, au fond d’une plaine déserte, un clocher, celui de de l’église de Saint-Paul de Chailly-en-Bières exactement, non loin de Paris. Le titre évoque d’emblée un fait sonore. C’est parce que le clocher sonne l’Angélus, celui de midi, que le couple suspend sa besogne pour prier. La sonnerie de l’Angélus est, dans l’univers symbolique campanaire et religieux, clairement codifiée, donc facile à identifier. Tros tintements sur une cloche, assez lents, quelques secondes de silence, puis nouveaux tintements, silence, tintements. Neuf coups d’une cloche unique donc, suivis d’une volée, d’une à plusieurs cloches selon l’équipement du clocher.
Le clocher, faisant souvent office d’ « horloge publique » scandant la journée est ici assez éloigné géographiquement, ce qui laisse présupposer que selon le vent dominant, on perçoit plus ou moins ses sonneries, voire pas du tout. La taille du clocher semblant modeste à cette distance, nous fait imaginer que les coups teintés et la volée ne doivent pas être trop imposants, on est loin de la magnificence de Notre-Dame ou de la cathédrale de Strasbourg, plus à une échelle acoustique plus intime, recueillie, moins ostentatoire. Côté ambiance, la longue plaine assez déserte , peu, voire pas boisée, ne semble pas favorable à accueillir foule d’oiseaux chanteurs. Peut être quelques rapaces chasseurs plus haut dans le ciel. L’époque du tableau (1857/1859) nous dit que l’environnement acoustique n’était certainement pas perturbé ni par les automobiles, ni par les avions… La pollution sonore n’affectait pas encore ces parties reculée de la campagne. Ce qui fait que les émergences acoustiques, hormis périodes très venteuses ou orageuses, devaient se percevoir dans les moindre détails. Ici en l’occurrence, la ou les cloches du village. Après renseignement, à l’époque du tableau, le clocher gothique abritait un seul bourdon fêlé, celui que qu’entendait le couple, remplacé aujourd’hui par trois cloches plus modestes ((Lucie-Gabrielle, Lucienne-Marcelle, et Solange). Si on retourne à leur position aujourd’hui, on n’entend donc plus la même chose, si tant est qu’un lotissement où des routes adjacentes ne masquent le son des cloches.
Autre invité de marque après que se soit tu l’Angélus, le silence. Même si on peut imaginer des prières chuchotées, à voix basse, il me semble que c’est plutôt dans un recueillement silencieux, méditatif, que se déroule l’action. Silence des personnages, et du paysage lorsqu’a cessé de sonner l’Angélus. Une forme de sérénité intérieure et extérieure loin de la folle agitation urbaine de nos cités contemporaines.
Mais imaginons la scène un peu avant. Nos deux protagonistes sont à la cueillette de pommes de terres. On entend le son de La fourche qui creuse le sol. Sans doute celui des plans que l’on secoue pour en faire tomber la terre, des légumes roulant sur le sol, puis jetés dans le sac sur la brouette. Imaginons le bruit de la roue de brouette qui peut-être grince, pour faire image sonore d’Épinal, et s’éloignera vers le village, ou la ferme voisine, la cueillette du jour achevée.
Il y a, dans la palette colorée, à la fois riche en nuances et sans grande rutilance, la même sobriété harmonieuse que celle sonore que l’on pourrait entendre, avec des traines campanaires, qu’aux vues la distance de l’église, on doit percevoir sans grand éclat, tout en douceur. Le son, la lumière, tissés en délicates nuances, ne distordent pas, mais sonnent et résonnent de concert.
Entre la trivialité, la simplicité du monde agricole, que Millet admirait, et la spiritualité religieuse de la cloche sonnante, qui relie le ciel et la terre dans une sorte d’arc acoustique, le son campanaire est, à la fois discret et moteur de l’action, au final un des héros de ce tableau.
J’ai conscience que, à l’instar du tableau de Millet, lequel représente sans doute une version quelque peu idéalisée d’une vie campagnarde rythmée au fil des travaux et des Angélus, mon écoute de cette scène picturale est sans doute proche de la carte postale sonore, au trait forcé. L’exercice mêlant clichés pittoresques et tentative de modélisation sonore et acoustique, conduit à un résultat qui n’évitera pas le stéréotype. Cet écueil étant assumé, l’exercice reste pour moi une expérience ludique, qui tend à mettre en lien regard et écoute via un média pictural, sans autre prétention.
C’est d’ailleurs après avoir écrit ces quelques lignes que je découvre la phrase de Millet concernant son œuvre « En regardant cette peinture, j’aimerais que le spectateur entende sonner les cloches. ». Il n’aurait pu dire plus juste. En tous cas, ce désir a trouvé chez moi un écho qui a résonné fortement dans mon approche, à tel point que j’ai été content de commettre, en toute subjectivité, cette analyse où l’œil écoute, et où sans doute l’oreille regarde.
Au plus profond de mes souvenirs, ce fut l’eau d’un puits, dans la cour de la ferme de ma grand-mère, dans lequel plongeait bruyamment le seau dégoulinant. Avant qu’elle n’arrive, courante, à l’évier. Celle du ruisseau gargouillant tout près. Et celle d’un autre ruisseau, qui longe aujourd’hui le parc public attenant à ma maison. Ce ce furent aussi les cascades et les torrents alpins, qui se dévoilent brusquement, au détour d’un sentier. Ceux pyrénéens gonflés des orages véloces. L’eau dormante d’un lac au bout d’une vaste prairie, cernée de cols arides où enneigés. L’écume paisible d’un port où dorment en tanguant doucement, les bateaux grinçants. Le lavoir public où plus personne ne vient battre le linge. Les gouttes d’un ru dévalant le village pentu d’un village montagnard portugais, sous le soleil plombant. La mare ou s’égosillent les grenouilles noctambules, au grand dam des campeurs voisins. Une longue promenade nocturne et silencieuse, suivant Saône et Rhône, rythmée de jeunesses festives et de péniches aux ronronnements profonds. La Loire, aussi majestueuse que silencieuse. La Loire encore, écumante et grondante, à une autre saison. Une averse soudaine, un déluge mur d’eau, qui me surprend et me laisse rincé sur les pentes abruptes de Tananarive. Une pluie ruisselante qui fait sonner tout ce qu’elle touche en percussions subtiles Les éclaboussures d’une immense roue à aubes, tournant en grinçant sous le courant d’un bief. Les plics et les plocs de gouttelettes s’échappant de fragiles stalactites, dans une belle réverbération souterraine. Les vagues furieuses balayant une plage nordique, avant de se briser sauvagement sur les rochers remparts. Le bruit blanc d’une fontaine qui envahit l’espace minéral d’une place encastrée dans la vieille ville. A noter que les fontaines ont chacune leur signature acoustique, et teintent le paysage jusqu’à le rendre unique. Les glissements aquatiques de nageurs s’entraînant dans une piscine couverte. Les terribles images et sons d’inondations meurtrières, balayant soudainement des villes entières. La sensation de vide, de désolation, lorsque la rivière se tarit en plein cœur de l’été
La présence ou l’absence aquatique marque fortement le paysage, quand elle ne le construit pas. Elles s’entend, ou non, kaléidoscope de moult éléments liquides, parfois furieux et dévastateurs, parfois discrets et minimalistes, si ce n’est absents et desséchants. Elle est tout à la fois fascinante, apaisante, source de rêveries, et redoutable dans son imprévisibilité. Elle abreuve le territoire et ses habitants, engloutit, irrigue, dévaste, charrie plaisirs comme angoisses, entre puissance et fragilité. Je mesure à quel point l’eau habite et nourrit, quasiment de jour en jour, mes paysages sonores, éminemment liquides.
Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » 2024/2025
Le pragmatisme, terme issu de la praxis grecque, autrement dit l’action, celle qui est effectuée dans le but d’obtenir un résultat pratique, et non seulement une pensée ou un concept métaphysique, met l’expérience au centre du projet. L’expérience, entre autre celle de nos vies au quotidien, est le point de départ qui nous permet d’améliorer, même très modestement nos vies, nos rapports avec l’environnement, au sens large du terme, et en bref au monde. Dans le champ artistique, John Dewey démystifie la position de l’artiste dominant, qui contribue à placer l’œuvre sur un socle élitiste, réservée à celles et ceux qui en comprennent les codes pour l’apprécier. Il remet l’esthétique dans une approche du quotidien, où le geste, si simple soit-il, est lui-même digne d’être admiré comme une action esthétique. Une esthétique accessible à toutes et tous, pour qui sait regarder, écouter, et se laisser embarquer par le plaisir de l’expérience au quotidien, si modeste soit-elle. Dewey s’appuie sur l’observation de gestes techniques, impressionnants ou intimes, qui sculptent son admiration comme des objets esthétiques.
Je le cite : « Afin de comprendre l’esthétique dans ses formes ultimes et reconnues, on doit commencer à la chercher dans la matière brute de l’expérience, dans les événements et les scènes qui captent l’attention auditive et visuelle de l’homme, suscitent son intérêt et lui procurent du plaisir lorsqu’il observe et écoute, tels les spectacles qui fascinent les foules : la voiture de pompiers passant à toute allure, les machines creusant d’énormes trous dans la terre, la silhouette d’un homme, aussi minuscule qu’une mouche, escaladant la flèche du clocher, les hommes perchés dans les airs sur des poutrelles, lançant et rattrapant des tiges de métal incandescent. Les sources de l’art dans l’expérience humaine seront connues de celui qui perçoit comment la grâce alerte du joueur de ballon gagne la foule des spectateurs, qui remarque le plaisir que ressent la ménagère en s’occupant de ses plantes, la concentration dont fait preuve son mari en entretenant le carré de gazon devant la maison, l’enthousiasme avec lequel l’homme assis près du feu tisonne le bois qui brûle dans l’âtre et regarde les flammes qui s’élancent et les morceaux de charbon qui se désagrègent. » John Dewey « L’art comme expérience »
Il est intéressant de constater dans ce texte, que l’image sonore du camion de pompier rejoint la célèbre question du compositeur John Cage « « Lequel est le plus musical d’un camion qui passe devant une usine ou d’un camion qui passe devant une école de musique ? ». Belle réflexion sur le statut des son, la façon de le percevoir, de le ressentir, comme un objet esthétique, musical, ou comme un son pouvant être dérangeant. Encore faut-il se donner la peine d’écouter, de questionner un son trivial, a priori sans intérêt, et pourtant…
L’écoute est un geste quotidien, où la fonctionalité du geste, entendre la parole de l’autre, repérer les dangers potentiels aux alentours, savoir que le plat mijoté est bientôt à point, côtoie, se superpose parfois au plaisir de jouir des sons, des acoustiques, des ambiances et de moult scènes auriculaires surprenantes. L’expérience de l’écoute n’est pas l’apanage d’artistes, d’acousticiens patentés, de chercheurs émérites, il est à la portée de chacun chacune. Le paysage sonore se construit et se joui à portée d’oreille, sans pour autant être un éminent spécialiste. Il suffit pour le comprendre, de parler à un berger, un guide de haute montagne, un cuisinier, et mille autres métiers convoquant une oreille active, artisane. Force est de constater que leurs arts de faire, de créer, d’avoir une écoute où l’esthétique est bien présente, dépend autant de savoirs, d’expérience, que du plaisir de tendre l’oreille. Tendre l’oreille sur un territoire, seul ou en groupe, est une expérience pragmatique. C’est une action de terrain dont les buts sont souvent pluriels et superposés. Par exemple, participer à une lecture de paysage sonore dans un projet d’aménagement, initier de jeunes étudiants à la dimension sonore d’un paysage, au delà de la nuisance, capter des ambiances pour transformer en création sonores, relève tout à la fois d’objectifs ayant une utilité affichée, comme de la jouissance pure d’écouter le monde, voire de le réécrire par les sons. En cela, et dans une approche incluant l’éducation populaire comme les recherches actions, la pédagogie de l’écoute, via un apprentissage par l’expérimentation chère à Dewey, développe des actions de terrain qui tend à éviter les suprématie de l’apprenant, de l’éminent sachant. Dans une marche écoutante, chaque participant est légitime à se poser comme un auditeur aguerri, engagé, sensible, partageant collectivement ses propres expériences et savoir-faire. L’écoute a une dimension intrinsèquement altruiste. Partir à la rencontre des lieux via l’oreille implique de partir à la rencontre de l’autre, de sa mémoire, de ses savoirs, de ses envies d’échanger, de faire ensemble, sans grande théorisation métaphysique, juste en arpentant des lieux oreilles ouvertes. Il nous faut accepter d’être surpris par des scènes étonnantes, bouleversantes, comme par la trivialité de ce que Perec appelle l’infra-ordinaire, et d’en faire une expériences pédagogique à portée d’oreille. La pédagogie c’est par exemple le fait d’arpenter collectivement un paysage de l’oreille, d’en discuter, de fabriquer des outils contextuels, des fiches de lecture, d’analyse, de proposer des actions artistiques qui nous plonge au cœur des problématiques écoutantes, entre plaisir et l’action pragmatique. L’art étant une entrée, un levier comme un autre, dixit Dewey. L’approche pragmatique de l’écoute nous amène naturellement à repenser notre égocentrisme, notamment dans des considérations éthiques environnementales. Constater l’état d’une forêt, d’une rivière, les fragilités, pollutions, disparitions, par l’expérience de l’écoute, nous met face à des problèmes qu’on ne peut plus continuer à ignorer ou à minimiser, n’en déplaise à certains. Si le plaisir d’écouter au quotidien doit perdurer, voire s’enrichir au fil des expériences, le fait de pointer des catastrophes en cours, y compris au travers de signes apparemment anodins, d’avoir une volonté de pratiquer et de partager une pédagogie active, accessible, de considérer le paysage au travers des approches éthiques, écosophiques, est plus que jamais nécessaire. L’artiste écoutant est, pour moi, un acteur de tout premier ordre, surtout s’il s’associe, ou est associé, à des techniciens, aménageurs, décideurs…
Pour conclure, je reviens à Dewey dont la pensée et les recherches, vous l’aurez compris, innervent cette réflexion et expérience de mise en pratique pragmatique et esthétique du paysage sonore. « Lorsque les objets artistiques sont séparés à la fois de leurs conditions d’origine et de leur mode de fonctionnement dans l’expérience, un mur se construit autour d’eux, qui rend presque opaque leur signification générale. » John Dewey
L’écoute ne construit pas que des paysages sonores immatériels, si ce n’est dans leur propagation vibratoire, plus ou moins abstraits et hors-sol. Elle écrit corporellement, physiquement, des tracés, des cheminements audibles, des situations haptiques, collectives, des terrains de jeu auriculaire à lire, relire, jouer, rejouer, expérimenter, improviser, via des formes de partitions d’écoute… Elle trace des cartes sensibles, mentales, y place des points d’écoute, des ambiances, des données acoustiques, cartographie des guides de points d’ouïe remarquables, tisse un réseau sonique dans différents territoires, petits ou grands. Elle offre des matières sonores à écouter, enregistrer, travailler, composer, installer, diffuser… Elle pose la problématique de l’aménagement du territoire en prenant en compte le sonore de façon plus large que les seules situations de nuisance et de pollution. Elle s’inscrit dans des propositions de mobilités douces et de formes de ralentissements, d’espaces apaisés, de zones calmes, de trames blanches. Elle est source de réflexions, d’études, de recherche, de textes philosophiques, techniques, poétiques, scientifiques, artistiques, hybrides… Elle favorise les espaces de rencontres, de partage, de concertation, de pédagogie in situ. Elle développe des technologies embarquées, des dispositifs mobiles, des scénographies contextuelles, des récits en marche, des médiations spécifiques via la toile et ses multiples réseaux. Elle participe à des croisements transdisciplinaires, voire indisciplinaires, relationnels, ouverts et décloisonnants. Elle pose la question de la santé, du bien-être, du soutenable, et des actions à mettre en place pour de meilleures sociabilités auriculaires, mais pas seulement. Elle invite artistes, aménageurs, enseignants et chercheurs, élus et techniciens, habitants et visiteurs, à se retrouver pour et par le plaisir de l’écoute.
Entre un ancrage Beaujolais vert, avec l’Atelier-Tiers-Lieu d’Amplepuis, et notamment une approche des « Nourritures terrestres côté cuisine », des explorations liés aux arts numériques, des réseaux à tisser… La mise en chantier d’une cartographie sonore amplepuisienne. Un nomadisme conduisant Desartsonnants dés le mois de janvier à Chambéry, auscultation collective du quartier Biollay, puis au Festival Longueur d’Ondes à Brest pour de belles rencontres. La poursuite du projet Bassins Versants l’oreille fluante, avec le bidouillage d’un instrumentarium audionumérique pour installer ou improviser des paysages sonores aquatiques, ou autres… Un récit en parcours d’écoute, un festival de cabanes savoyard, un bout de forêt, avec lectures de Thoreau et de son approche pré-écologique du monde par les oreilles. Autre histoire vagabonde, entre promenades écoutes, danse et arpentages géographiques à Épinal. Une nouvelle audio-excursion belge, au fil des ans, Desartsonnants ne s’en lasse pas. Et d’autres chantiers sous l’oreille. L’année 2025 se profile, plus incertaine que jamais…
@ Transcultures – PAS – Parcours Audio Sensible à Mons (Be) Festival City Sonic
Comme le paysage sonore n’existe pas sans l’écoutant, sans l’écoute de l’écoutant, sans le corps écoutant, sans la pensée sensible, volatile, versatile, multiple de l’écoutant, il faut donc le fabriquer de toute pièce. Il est nécessaire de le reconstruire dans chaque lieu et moment, et ne jamais prendre pour acquise une idée de paysage sonore comme une représentation figée de type carte postale. C’est une chose qui a cheminée longtemps dans ma tête, mon corps, pour s’incarner progressivement au fil des expériences situées. Ce n’était pas du tout une évidence lorsque j’ai commencé à tendre l’oreille et a arpenter des territoires au gré de leurs textures sonores. Je constate aujourd’hui que beaucoup ne se reconnaissent pas dans cette approche, voire refusent de reconnaître l’expression, si ce n’est l’existence des paysages sonores, en tous cas dans une pensée post schaférienne.. Mais cette petite chronique n’est ni le lieu ni le sujet d’un débat polémique. La question que me pousse à repenser, par l’action de terrain, les moyens, outils, processus, dispositifs, propres à faire émerger des espaces sonores singuliers, au sein de territoires de plus en plus fragiles et tourmentés, est plutôt le sujet de cet article. Au début est l’oreille, et donc l’écoute. S’il faut commencer par une approche simple, posons d’emblée l’écoute comme une clé de voûte, qui fait tenir debout à la fois la cohérence physique et sensible d’un paysage sonore, mais également les éléments d’analyses critiques et les créations qui en découlent potentiellement. Qui dit écoute dit organe, sens, mode d’appréhension sensible du monde, inclue dans un corps qui est lu-même un réceptacle vibratoire complexe, multisensoriel, réactif aux tressaillements et aux ébranlements du monde. Nous somme plongés dans une vie organique, sociale, émotive, qui secoue notre corps dans son intégrité, et notre perception auditive est en alerte, entre tensions et détentes, adoptant pour faire face à des situations multiples quantités de postures psychomotriciennes. Entre la protection, la fuite, la scrutation, l’auscultation, nous réagissons et interagissons différemment selon les contextes. Ainsi, mettre un corps en mouvement pour traverser des ambiances sonores, s’en approcher, s’en éloigner, les mixer, en entrainant parfois un groupe à en faire de même, sont autant de postures issues des soudwalkings et autres balades sonores, marches écoutantes… Au fil des expériences audio-déambulantes, j’ai été amené à croiser nombres d’artistes œuvrant dans les champs artistiques de l’art-performance, de l’art-action, de la danse, du cirquen qui très souvent frottent leurs corps à l’espace public, au rythme de performances et de mises en situation souvent surprenantes et décalées, si ce n’est volontairement provocatrices. La physicalité du geste et du corps est au centre de la performance, qu’elle soit très (dé)monstrative ou au contraire minimaliste, si ce n’est quasiment invisible. Un jour, après un long PAS-Parcours Audio Sensible nocturne, autour des rives lyonnaises du Rhône et de la Saône, après une très lente marche et près de trois heures en silence (écoutant) un des organisateurs m’a dit que mes marches relevaient de la performance, se détachant des déambulations patrimoniales ou urbanistiques qu’il avait l’habitude de proposer. Sur quoi, et particulièrement ce soir là, j’étais assez d’accord. J’avais poussé les corps arpenteurs et écoutants dans des situations d’immersion collective pour le peu inhabituelles. La lenteur, le silence, la longueur, les lieux parfois surprenants, dans un esprit proche de l’artiste Max Neuhaus, avaient contribué à construire une traversée de paysages sonores à la fois propres à chaque participant, et à la fois dans une forme de geste collectif stimulant. Je garde en mémoire nombre d’images, sonores ou non, de ressentis, comme une sorte de cartographie mentale sensible. J’ai en mémoire des moments forts, tel celui d’une immense péniche qui fait un demi-tour sur le Rhône, éclairant dans la nuit le fleuve de ses feux de navigation, ses puissants moteurs diésels éclaboussant les lieux de grondements réverbérés par les murs des berges et la surface des eaux… Plus loin, des groupes de jeunes étudiants et étudiantes qui, ici et là, improvisent une soirée festive, danses, musiques et bières à l’appui. Ces scènes, ces ambiances traversées, sont d’autant plus vécues fortement que le corps entier est immergé dans son propre silence et mu dans une lenteur assumée. Il construit son récit au fil des pas et des stimuli paysagers, la dynamique de groupe tissant des ressentis parfois exacerbés. Les paysages sonores, visuels et parfois olfactifs, nous traversent autant que nous les traversons. Ils nous baignent, nos sautent aux oreilles, ne cessent de se transformer lors de gestes performatifs collectifs. J’en ai beaucoup appris en regardant comment les corps de danseurs, circassiens, artistes de rue, se mettent en scène dans l’espace public, en révélant des territoires esthétiques, poétiques, politiques et sociaux de façon décalée. Avant de penser à une potentielle œuvre sonore, il m’est nécessaire de plonger corps et oreilles, regard compris, dans l’espace public urbain, la forêt, le long du ruisseau, ce qui est d’emblée pour moi une façon d’œuvrer. La création, l’écriture corporelle, haptique, immatérielle, en tout cas dans sa concrétisation, les situations et postures, que propose un parcours d’écoute, contribuent à l’émergence d’une œuvre située, contextuelle, le corps engagé aidant. Faire corps avec les lieux, les participants, la vie multiple croisée en chemin, est ici une expression qui prend tout son sens, dont celui de l’ouïe bien entendu
Festival Sound Around, Kalinigrad 2019 – Institut Français de Saint-Pétersbourg
En chantier. Je bricole un instrumentarium numérique autant qu’éclectique, avec des bouts de logiciels de création sonore libres, des patchs Pure Data… Je bidouille des field recording (enregistrements de terrain) en live, pour recomposer des paysages sonores via des sons du cru. C’est souvent hasardeux, mais ça donne des choses jouant à la fois sur les marqueurs sonores des lieux, parfois identifiables, et des paysages décalés, frictionnels, où le réel se frotte à l’imaginaire. Je joue, improvise, tricote, sons et ambiances, sous une forme nomade, performative, à la fois concertante et déconcertante… Projet de territoire, l’immersion dans les ambiances auriculaires d’un lieu est la clé de voûte qui fera tenir les sons ensemble, et nous reliera au monde, à ses cohabitant(e)s, par le grand et le petit bout de l’oreillette.
Nous sommes en novembre, période automnale, où souvent les grands vents se libèrent, labourent le paysage de leurs trainées chaotiques, tempétueuses et imprévisibles.
À nuit tombée, de jour, je marche ma petite ville, balayée et secouée de rafales venteuses et fougueuses. Elles s’entendent Oh combien, imposantes, animant les espaces auriculaires, dans un paysage sonore des plus dynamiques et mouvants.
Le raclement des feuilles mortes, tourbillonnantes autour de moi, sur l’asphalte, une surface de jeu granuleuse, sonore, propice à une composition quasi musicale. Tout passe, glisse, crisse, vite, de droite à gauche, devant derrière, dessus, de près et de loin… Une spatialisation de mouvements acoustiques impressionnante, impossible à reproduire, même sur le meilleur système de diffusion acoustique, si performant fût-il.
Des arbres, des forêts environnantes, sont secoués sans ménagement, faisant entendre des chuintements, grondements, des secouées véloces, dessinant acoustiquement des espaces perçus à l’échelle de notre écoute, proches et lointains, toujours en mouvement.
Des volets et portails claquent et grincent, dans une sorte de surprenante symphonie nocturne, éolienne. Des interstices architecturaux, des passages, des tuiles, des fentes, sifflent et gémissent, ici et là, souffles d’une vie turbulente à portée d’oreille.
Les lieux traversés se percoivent tout à la fois dans une sorte de violence climatique inquiétante, et une activité trépidante, qui nous maintient en alerte, en vie, en gardant notre écoute portée sur un monde secoué de mille soubresauts.
Dans la traversée d’une zone nuageuse, ponctuée de turbulences et d’avaries à répétition, je reprends tant bien que mal le cours des choses.
Je le fais naturellement en replongeant l’oreille dans les rumeurs, grondements et bruissonnances du monde.
Ménager des tiers-espaces écoutants, où la parole circule entre et dans les silences habités et les mille sonorités, toujours en mouvement, reste au cœur du projet.
Aller à la rencontre de nouveaux territoires, en retrouver d’autres, avec leurs ambiances propres, anthropophoniques, biophoniques et géophoniques, autrement dit de l’humain, des animaux et des phénomènes « naturels », selon la classification de du père de la biophonie, Bernie Krause, est un besoin quasi vital.
Ces rencontres sont le fruit d’un nomadisme assumé, qui fait tenir debout le monde dans une certaine cohérence rassurante, ne serait-elle qu’auditive.
Chercher des espaces amènes, au sein d’environnements souvent cacophoniques, dissonants, stressants, est une façon de trouver, de construire, de protéger, des sortes d’oasis sonores accueillants.
Installer et faire circuler des écoutes généreuses et partagées, y compris dans les silences et les lenteurs des cheminements, convoque des gestes et des postures qui tendent à apaiser des frénésies anxiogènes.
L’écoute, les écoutes, sont envisagées comme des gestes esthétiques, artistiques, poétiques et poïétiques, écosophiques, où les sociabilités se nourrissent de la rencontre, de l’altérité, de la tolérance, autant que puisse se faire.
Les (ré)écritures sonores, entre traces et imaginaire, participent à l’émergence d’un récit collectif, à portée d’oreille, à chaque fois renouvelé, selon les espaces investis.
Ces mille et une narrations tissent une histoire à la fois teintée d’universalité, celle de l’écoute, et nourrie de ses propres singularités, celles des scènes et espaces acoustiques situés.
Ce qui embellit le désert c’est qu’il cache un puits quelque part, écrit Antoine de Saint-Exupéry, et je pense qu’il en est de même pour les territoires sonores, malgré les silences pesants, le bruit des bombes, du déluge des eaux furieuses et des montagnes qui s’éboulent.
J’ai conscience ici de répéter, de réécrire, de broder, peut-être de rêver, ces situations et ces aspirations. C’est sans doute pour m’assurer, me rassurer, de leur pertinence, de leur potentialité à bricoler des mises en situations participatives. Pour cela, je tente, envers et contre tout, de les faire vivre, de les mettre en action contextuellement sur le terrain.
J’espère que, via ces gestes, ces propositions simples, sobres, et que je souhaite surprenantes, la recherche d’une belle écoute, participant à un monde entendu de façon plus soutenable, sèmera ici et là quelques grains de bons sons.
Et si souvent je doute, j’entends résonner en moi cet adage « cent fois sur le métier remettre son ouvrage » (son écoute), comme une invitation récurrente à prêter l’oreille à la complexité du monde, de ses co-habitants, en arpenteur écoutant que je suis.
Une quête de « bien-sonnances » qu’il me faut toujours découvrir, partager et enrichir.
Desartsonnants propose un atelier autour de l’écoute du paysage sonore sur trois journées consécutives le 2, 3 et 4 janvier 2025 pendant les vacances scolaires. A destination des enfants et de leurs parents.
Il s’agit de partir à l’écoute de son quartier, toutes oreilles grandes ouvertes.
Nous allons écouter les sons de la ville, des rues, des parcs et de tout ce qui s’entend, hommes, voitures, oiseaux, commerces…
Nous arpentons les ambiances sonores, y enregistrons ce qui sonne bien, ce qui nous agace, les sons spécifiques du quartier, ceux qui nous font reconnaitre les lieux.
Des sons enregistrés, de nos commentaires, nous en faisons une création sonore, via des logiciels audionumériques, pour redonner à entendre autrement, entre réalité et imaginaire, une ou plusieurs petites histoires du quartier à portée d’oreille.
L’atelier sonore
Premier jour : Discussion autour de la notion de paysage sonore, jeux et situations d’écoute… Marche arpentage du quartier, Choix de points d’écoute, Enregistrements audios, Première réécoute des sons
Deuxième jour : Écoute de quelques podcasts réalisés avec des enfants, des écrivains, des prisonniers… Que veut-on raconter avec les sons ? Tri, dérushage, quels sons garde t-on ? Montage mixage collectif d’une ou de plusieurs scènes sonores.
Troisième jour : Finalisation du montage Préparation d’une installation d’écoute Diffusion publique et discussion
Parcours d’écoute entre chiens et loups. @Festival Back To The Trees 2023 – Bois d’Ambre à Saint-Vit (25)
En parcourant le site A.I.M.E( Association d’Individus Socialement Engagés), j’ai écouté un podcast d’Isabelle Ginot, enseignante-chercheuse, codirectrice du département danse à l’université Paris VIII et praticienne Feldenkrais, traitant de l’art socialement engagé. Sa présentation s’appuie sur un texte de Pablo Helguera, tiré d’un livre « Motifs incertains », publié par les Presses du réel. Cet ouvrage fait un point sur les formes d’enseignements des pratiques artistiques socialement engagées, issu de cinq programmes d’étude internationaux faisant référence en la matière. La présentation a fortement résonné avec les questions que je (me) pose de façon récurrente, en allant arpenter des territoires sonores, collectivement, et en tentant d’ouvrir des champs où l’artistique et la pédagogie sont fortement ancrés dans une pratique sociale transdisciplinaire. Il m’a semblé bon de tenter de noter les axes forts qu’explique clairement Isabelle Ginot dans son exposé, pour à la fois essayer de me les réapproprier dans mes expériences d’écouteur public, mais également de les mettre au service de projets de territoire avec une visée sociale assumée.
Je note donc ici les axes, qui me semblent des points forts, des moteurs essentiels pour que l’art et la pédagogie travaillent de concert à changer la société pour la rendre, je cite Ginot, plus désirable.
L’art socialement engagé ne se contente pas de parler de, de raconter, de réfléchir à un sujet social. Il doit vivre et faire vivre, expérimenter, des expériences de terrain (danse, arts sonores, arts plastiques…) avec différents publics, dans des établissements (santé, carcéral), ou hors les murs.
On doit, en tant qu’intervenant, assumer sa position d’artiste engagé, ne pas ni quitter ni renier ce « statut », faire en sorte que l’art et ses savoir-faire questionnent des sujets non artistiques (écologie, féminisme, vivre ensemble, sécurité, handicap, exclusion…).
L’art doit être utile, servir à quelque chose, chercher à changer, à améliorer le monde, en proposant des situations plus désirables. L’utilitarisme fait partie intégrante du projet.
Il y a forcément une interaction sociale, non seulement parce qu’elle peut servir le projet, mais parce qu’elle est l’âme de celui-ci. Il faut faire de la relation, de l’inter-relation, des éléments clés de l’action.
Il est nécessaire de penser à une trans-pédagogie, comme quelque chose qui traverse nos gestes d’artistes transmetteurs. La pédagogie et l’art ne doivent pas être dissociés, on est à la fois artiste ET pédagogue. Dans cette approche sociale, il n’y a pas de pratique sans pédagogie. L’opposition art/pédagogie est une impasse, un débat voué à l’échec. La pédagogie est une action para-artistique.
Il nous faut chercher une forme de déqualification, ne pas cultiver l’hyper-spécialisation (compositeur, sculpteur, danseur…) en se formant à d’autres pratiques que celle de NOTRE art. On peut ainsi s’intéresser à des travaux d’enquête, de collectage, de cartographie, de poétique sensible via différents média…) Il est bon de mobiliser des savoirs issus de la géographie, de la sociologie, des sciences de la terre, ou d’autre formes, pouvant alimenter nos recherches-actions…
Les arts socialement engagés ne sont pas contraints à se limiter dans des établissements spécialisées (soin, justice, handicap…) ni vers des publics « empêchés », mais peuvent investir l’espace public ou d’autres tiers-lieux ou tiers espaces, quels qu’ils soient…
Si ces énoncés peuvent paraître pour beaucoup des évidences, j’ai ressenti le besoin de les (re)poser , parfois reformuler par écrit, sans doute en les revisitant à ma façon, sans j’espère en trahir ou déformer le sens, pour me nourrir de ces propositions, tant elles font fortement écho à mes aspirations audio-écosophiques.
PAS – Parcours Audio Sensible à Kaliningrad (Ru) Festival Sound Around – Institut Français de Saint-Pétersbourg 2019
J’emprunte ici la notion de Tiers-espaces à Hugues Bazin, chercheur en sciences sociales et fondateur en autres du LISRA (Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-action).
Je cite Hugues Bazin « La notion de « tiers-espace » rejoint le principe de laboratoire social sur la nécessité de penser autrement l’espace de l’expérience individuelle et politique et produire (par l’expérimentation) de nouvelles connaissances. C’est un espace qui « pousse du milieu » dans ces différentes dimensions (géographique, écologique, expérientielle, psychosociologique, politique…) mais qui reste dans l’angle mort de la connaissance. »
La notion de Tiers espaces fait également explicitement référence aux « Tiers Paysages » du paysagiste jardinier Gilles Clément. Ce concept désigne l’ensemble des espaces négligés ou inexploités par l’homme, en désemprise, qui sont néanmoins garants de la préservation d’une riche biodiversité maillant le territoire dans une forme de continuité territoriale.
Ces lieux autres, sont en règle générale des lieux physiques, dédiés ou non, parfois éphémères, parfois nomades, si ce n’est informels (espaces numériques dématérialisés).
Ray Oldenberg, anthropologue américain qui a beaucoup travaillé sur la notion de « Third Space, » à traduire littéralement par Tiers-lieu, part de l’hypothèse que, pour créer des espaces de liberté, de création, d’échange, on peut s’installer partout, dans un bar, une médiathèque, sur une place publique, un banc… J’aime beaucoup cette idée d’espaces nomades, qui peuvent naître de la simple envie de se réunir, de se rencontrer, autour d’une discussion, de gestes collectifs, d’expérimentations spontanées, hybrides, souvent surprenantes dans leur apparente simplicité…
Le principe de la résidence artistique, est un espace-temps pouvant faire tiers-espace. L’accueil dans un lieu pour s’immerger, créer ou peaufiner des projets en chantier, les frotter à l’épreuve du terrain, au regard et à l’écoute de l’autre, les partager dans des expériences collectives, participatives, est en soit une forme de tiers-espace. On s’installe là où il nous est possible d’être aidé, accompagné pour mettre l’écoute en œuvre, l’installer momentanément au fil des voyages, dans des villes, villages, des forêts, des espaces aquatiques, des montagnes…
Bien sûr, créer des espaces d’écoute est fortement dépendant, via de multiples interactions, du territoire, de l’in situ, des ambiances locales, du contexte socio-culturel, politique, climatique, mais aussi des approches plurisensorielles où la vue, le toucher, le goût, participent à indiscipliner les propositions. Et ce jusqu’à faire émerger, percevoir, entendre l’inaudible. L’inaudible n’est pas que silence, absence acoustique de sons et de bruits, c’est aussi la parole tue, étouffée, inexprimée, non formalisée ni formulée, la parole légitime, citoyenne, de tout un chacun et chacune. Il s’agit de faire remonter la parole des minorités agissantes, pour reprendre une expression d’Hugues Bazin, de légitimer des pensées et gestes hors des sphères artistiques et culturelles dédiées. On peut donc s’installet ou déambuler dans la rue, un bar, un marché, une forêt…
Se regrouper autour de la notion de paysages sonores pluriels, en solitaire, en duo, en groupe, c’est tendre des paires d’oreilles qui nous aideront à repenser des espaces acoustiques, comme des lieux où l’écoute est mise en commun, voire fait commun. Lieux où l’on puisse mieux entendre et mieux s’entendre, dans un esprit apaisé, autant que faire se peut.
Qu’entendons-nous ?
Comment le décrire, le mettre en mots, l’écrire, le dessiner ?
Comment l’expérimenter, l’arpenter, mettre nos corps en mouvement ?
Comment croiser , hybrider des expériences, des ressentis, des pratiques ?
Comment faire trace, mettre en mémoire, partager ?
Comment exprimer ses ressentis, ses bien ou mal-être, ses joies et ses souffrances ?
Comment faire remonter les propos de celles et ceux que l’on entend pas ?
Comment imaginer un autre monde, si possible meilleur, éthique, à portée d’oreille ?
Comment ces gestes et questionnements s’insèrent dans une réflexion et une action globale, touchant des formes de démocraties actives, participatives, des pédagogies émancipatrices, des propositions autour de l’aménagement (raisonné) du territoire, des formes de sobriété, d’apaisement, de ralentissement, de ce que je nomme une écosophie écoutante… ?
Et concrètement ?
La marche, l’arpentage, restent pour moi des moments, forts situés dans des environnements donnés, privilégiés pour faire l’expérience de territoires auriculaires aussi complexes que fragiles.
Les parcours en duo d’écoute par exemple, où j’invite quelqu’un à me guider dans une ville, un quartier, un village, et à causer librement de ce qu’on y entend, voit, sent, des ses humeurs du moment, des histoires locales et des imaginaires… Le tout étant enregistré de façon brute, sans aucune coupure ni retouche. Une façon de collecter des récits en marche, de mailler un territoire par une petite collection de traversées sensibles, de les remettre en écoute. https://desartsonnantsbis.com/pas-parcours-audio-sensibles-en-duo/
Les PAS – Parcours Audio Sensibles collectifs, sont une autre forme d’écoute, où le silence, la lenteur, les traversées d’espaces insolites, inhabituels, les points d’ouïe (arrêts sur son) mettent les marcheurs auditeurs en situation d’écoute active, consciente et partagée. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/les-choses-etant-ce-quest-le-son
L’inauguration (officielle) de points d’ouïe, sous forme d’une manifestation festive, un rituel tendant à rechercher les lieux de belles écoutes, d’aménité paysagères, en contre-pied avec les visions négatives de la pollution et des nuisances sonores. Une façon positive de mettre en valeur des espaces acoustiquement riches, reposants, agréables à entendre, et au final de les protéger, voire de s’en inspirer dans des projets d’urbanisme. Une rencontre avec des habitants et élus pour faire entendre ce qui sonne bien, où on s’entend bien. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/inaugurations-de-points-douie?preview=1
La création sonore et/ou multimédia convoque l’imaginaire, le fictionnel, les paysages revisités au fil des collectages et récits, comme des interprétations, des formes d’écritures territoriales nourries des différentes expériences d’écoute.
Les gestes d’écoutes croisées sont riches, avec des illustrateurs, photographes, vidéastes, danseurs, urbanistes dans le cadre de plan paysage, de lecture de paysage, sociologues, anthropologues, philosophes, acousticiens, poètes et écrivains… Ces approches hybrides peuvent s’inscrire dans le cadre de recherche-action, recherche-création, dans une visée résolument transdisciplinaire qui, dans le meilleur des cas, va faire participer tant les chercheurs, artistes, pédagogues, élus, techniciens, que les habitants. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/paysages-phono-photographiques
A oreilles nues ! Les choses étant ce qu’est le son i
Un PAS – Parcours Audio Sensible, façon Desartsonnant(e)s, se fait en à portée d’oreilles, sans autre extension appareillante, prothésante, protubérante…
C’est le choix d’une forme minimaliste, performative, auscultant un monde auriculaire complexe, grouillant de sons, acoustiquement fascinant.
L’imaginaire, le détournement, le décalage, la création sonore, l’installation éphémère, ne seront pas pour autant négligés, et pourront nous donner à entendre des paysages sonores (re)composés, comme il se doit dans une perspective paysagère.
C’est une façon de se connecter, ou de rester connecté aux écosystèmes sans artifices, sobrement, sans dépense énergétique, si ce n’est celle de notre corps et de notre attention, ce qui est déjà beaucoup.
C’est une façon de créer des paysages sonores sans sons rajoutés, ou de façon très minimale, en accord avec l’acoustique des lieux, prônant un équilibre non invasif, la non agression de ses milieux, du vivant…
C’est une immersion convoquant des postures d’écoute physiques, psycho-sensorielles, invitant l’arpenteur écoutant à s’adapter aux sons et aux ambiances paysagères, à y réagir, y improviser des gestes individuels et/ou collectifs non intrusifs.
C’est une façon d’expérimenter la lenteur et les silences habités, de rechercher des aménités apaisantes.
C’est une approche éc(h)osophique, éthique, une forme de récit permettant de (re)lire des espaces acoustiques fragiles, d’y prêter attention, de les faire délicatement sonner, résonner, de s’y retrouver, d’en prendre soin.
Choisir un banc Selon son emplacement, Ce qu’on y entend, Ce qu’on y voit, À ’instinct S’y installer Ne rien faire Laisser venir S’immerger Prêter attention aux sons Ne pas chercher à trop les comprendre Mettre l’écoute en avant Sans la couper de la vue Ni des autres sens Jouir de l’instant présent Considérer le moment comme une partition déroulée Verticale Horizontale En mouvement Multi-timbrale Toute en nuances Imaginer des signes transcripteurs Imaginer des signe sonifiants Noter les si besoin est Des proposition à interprétations Des pistes d’improvisations Ne pas exclure d’être surpris D’être étonné D’être bousculé D’être malmené Expérimenter différentes séquences A différents moments Laisser jouer le Hasard Prendre conscience des plans Tout près A mi-chemin Lointain Saisir les mouvements A droite A gauche Ascendants Descendants Imaginer être happé par ces mouvements Flotter au fil des sons Des vents Des échos Considérer ces gestes comme des propositions Non obligatoires Pouvant être convoquées à discrétion Juxtaposées Superposées Participer à un mixte capricieux. Mettre l’écoute en arrière-plan Ne plus avoir conscience du geste Recommencer plus loin Sur un autre banc A d’autres moments Diurnes Nocturnes Entre chiens et loups Laisser la mémoire des écoutes s’installer Les strates sensibles s’entremêler Des séquences remonter à la surface Constituer un herbier d’ambiances Une cartographie sonore indécise Flottante Une partition à jouer et rejouer Un paysage fantasque Où tout peut se dissoudre Où tout peut se (re)coller Y puiser si besoin matières à composer Se demander l’endroit, le moment, où on se sent bien Ou pas Celui ou ceux qui nous laissent de marbre Faire de ces expériences des jeux de rôle Les proposer à autrui Les partager in situ Construire, inventer ou adapter des règles communes Ou individuelles Échanger Remettre en jeu Collectivement Ou non Se laisser une marge d’incertitude Mais avant tout Prendre du plaisir Inviter des oreilles les nôtres et d’autres encore complices et joueuses.
Marcher en silence A nuit tombée Arpenter les rives d’un fleuve Puis celles d’une rivière Vers sa confluence inéluctable Écouter Les rumeurs de la ville Exacerbées d’obscurité Le nappage au noir Éclaboussé de lumières Et les sons s’y faufilent S’y installent Et s’entendent à merveille Traversée noctambule Une nuit transfigurée D’auricularité en zones d’ombres Contrastes en clair-obscurs Des fêtes rythment nos arpentages Sauvages ou bien sages La nuit à portée d’oreille Nous invitent à marcher Dans la fraîcheur acoustique D’une cité bavarde Même au cœur des ténèbres Qui savent aussi êtres bienveillantes. Invitation à une exploration bruissonnante Tout en nuances et contrastes L’oreille se réjouit Des traversées nocturnes Où la ville murmure Où la ville s’entend Dans les furtivités canailles D’une nuit bien sonnante.