
S’installer ailleurs, ici, c’est refaire la géographie de ses déplacements, de ses regards, de ses rencontres, et aussi de ses écoutes.
Se mettre en lieu, se familiariser avec les rues, les collines, les arbres, les cloches, les ruisseaux, une posture que connaissent bien ceux qui viennent d’emménager dans un nouveau lieu, ou qui ont la bougeotte, le nomadisme dans le sang.
Dans ces périodes dépaysantes, nos sens lancent des tentacules pour palper le territoire, chercher les aspérités où s’accrocher, les aménités rassurantes, des ancrages sensoriels.
Il nous faut connaitre de nouvelles voix, de nouveaux visages, de nouvelles affinités.
On peut jouer le touriste béat, aimant à se surprendre au fil de nouveaux bancs, d’où observer, entendre, rencontrer.
Se poser dans l’espace nouvellement habité demande une volonté d’accueillir pour être accueilli, de s’acoquiner avec les volées campanaires, les oiseaux dans le parc, le marché qui s’installe, les passants riverains… Avec les nouveaux points de vue, les nouveaux points d’ouïe. Une ouverture nécessaire pour bien vivre de nouvelles aventures sensorielles
Les rythmes des lieux sont chaque fois singuliers, au fil des heures et des jours, des saisons capricieuses.
Ici, le tracteur agricole déboule dans un ferraillement dantesque, mais exit le camion poubelle au lever du jour, pas de risques de grèves d’éboueurs non plus, les habitants gèrent eux-même leurs déchets, tant bien que mal.
Ici, la nuit est presque silence, apaisée, tout au moins au sortir de l’hiver. Après, nous verrons et entendrons.
Ici, une petite rivière chante tout près, si la pluie veut bien lui donner de la voix. Son bief détourné n’alimente plus aucunes usines, elles se sont tues au fil des ans, jusqu’à disparaitre corps et bien du paysage. Les métiers à tisser sont partis loin, laissant la ville plus silencieuse, peut-être même un peu trop.
La trépidance n’est pas de mise, tout semble avoir baissé de plusieurs tons, des décibels assagis.
Le rythme général semble ralentir en même temps que les vacarmes se font rares, jusqu’à prendre le temps de se saluer dans la rue.
En quelques pas, veaux, vaches moutons porcs, chèvres et poulets meuglent, bêlent, caquètent, concerto campagnard sur fond de collines herbeuses. Le verts des prairies va s’échouer contre les forêts de Douglas qui peuplent les hauteurs.
Au loin, un train gronde en scandant l’espace d’itérations claquantes.
D’une ville ou d’un village à l’autre, chacune et chacun son histoire, que les sonorités du cru contribuent à écrire.
Tout se met en place, puzzle de sons qui s’assemblent pour construire un théâtre sonore ambiant qui peu à peu, nous deviendra familier.
Chercher à dire ce qui était mieux avant, ailleurs, où ce qui a notre préférence ici n’a guère de sens, les géographies sensibles étant ce qu’est le son. Mieux vaut bâtir son propre paysage sonore sur la curiosité de découvrir de nouvelles scènes auriculaires, des sources d’écritures renouvelées, d’expériences situées, qui vont venir rafraichir nos petites habitudes.
Petit à petit, la géographie d’une bourgade sonnante se fera plus précise, les ambiances deviendront signatures, repères, peut-être jusqu’à s’effacer de nos radars sensibles, lorsque l’imprégnation les aura gommer du quotidien, les rendant alors inaudibles, comme un décor trop entendu.
Néanmoins, faire l’exercice du dépaysement auriculaire est toujours un jeu plaisant, pour ne pas trop vite entrer dans une indifférence où les oreilles ne s’étonnent plus de rien.