
Trous, brèches, gravats fissures, coques vides, facades, ossatures, lézardes, poutres, moellons, poussière, béton, rambardes…
La ville chantier se chante et se déchante, en bruissements organiques.
Craquements, sifflements, heurts, fracas, grondements, raclements, gémissements, stridences, échos, roulements, martèlements…
La ville en chantier n’en finit pas de gronder, sans oublier de rire, entre démolitions et résurrections, phénix malgré elle, de pierre, de verre, de briques et de broc.
Chantiers permanents, certains faisant fi du passé, tables rases radicales, ou perspectives ménageant des poches de souvenirs, des rémanences incertaines, des ouvertures à venir, traversées hasardeuses, brèches intemporelles…
Des délaissés, dents creuses, friches, terrains vagues, recoins presque sauvages, enclos à l’abandon, ruines, quasi non lieux, un panel hétéroclite d’agencements pour marcheur impudent…
La ville interstitielle déplace sans arrêt ses lisières, quitte à s’étonner sans cesse, contraint ses ambitions, ses impatiences chroniques, hésite à reconquérir des espaces encore trop entre-deux.
Étalements voraces, érections urbaniques, la ville louvoie entre verticalité et horizontalité, parfois toutes deux s’imposant, agressivement invasives.

La ville palimpseste, stratifiée, se réécrit sans cesse en couches de bitume, de pierre, de terre et de verdure, lorsque celle-ci survit encore à l’ogresque appétit minéral.
La ville comme paysage sonore n’échappe pas aux chantiers, ceux-là mêmes qui vont la faire vivre, même spasmodiquement, en tous cas perdurer.
Quand tout les chantiers se taisent, les ruines s’imposent alors, sans complexe, avec le silence allant de paire.
Un grand pan de désolation.
La ville ici, n’est pas silence mais chantier.
Elle est sertie, dans un écrin de combes et de forêts dont les contours se font indécis au fil des périphéries repoussées.
Elle est aussi une cité minée, fissurée, malmenée dans son centre, par un cours d’eau souterrain, et sans doute par l’audace inconsciente de bâtisseurs bravant les marécages ancestraux.
Ici, des pieux souterrains, remèdes à l’instabilité, cherchant la roche mère pour asseoir la cité sans qu’elle ne penche et tangue trop, ne craquèle dangereusement.
Ici des chantiers salvateurs luttant sans répit contre l’impermanence intrinsèque des choses. Y compris celles qu’on pourrait croire indestructibles.
Ici les bravades, architectures édifiantes, défiant l’érosion du temps et des eaux sournoisement complices.
Et tout cela s’entend comme un écho, tout à la fois proche et lointain, une résonance surannée d’un manifeste d’architecture sonore post Russolo.
Et tout cela se regarde comme le film qui déroulerait le chronos d’une ville fragile et néanmoins résiliante.
Résidences artistique « Écoute voir Le Locle, Ponts d’ouïe, Point de vue » avec Jeanne Schmid, à LuXor Factory – Le Locle – octobre 2018