C’est dans le cadre de rencontres autour de la thématique « Paysages en mouvement, lignes de fuite, lignes de vie » au Centre culturel du château de Goutelas, que Desartsonnants promène ses oreilles, ainsi que celles d’autres écoutants, dans la belle région du Forez. Entre plaine et monts, tout près de Saint-Étienne, le Forez, et plus spécifiquement le lieu où nous étions, a vu naître, sous la plume d’Honoré d’Urfé, le très célèbre roman fleuve l’Astrée. Cette fresque littéraire de presque 5400 pages, roman pastoral où bergers et bergères nouent et dénouent des aventures galantes, où il est question de politique guerrière et d’œuvres d’art, et où la nature très présente, a guidé nos PAS sur les sentiers de l’Astrée. L’œuvre est quasiment irracontable, aussi méandreuse que le Lignon et ses rives capricieuses.
L’Astrée débute ainsi « « Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez, qui en sa petitesse contient ce qu’il y a de plus rare au reste des Gaules… Plusieurs ruisseaux en divers lieux vont baignant la plaine de leurs claires ondes, mais l’un des plus beaux est Lignon, qui vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source, va serpentant par cette plaine depuis les hautes montagnes de Cervières et de Chalmazel jusqu’à Feurs où Loire le recevant, et lui faisant perdre son nom propre, l’emporte pour tribut à l’Océan. », plantant d’emblée le décor bucolique qui accueillera néanmoins moult perfidies et intrigues. Ses chemins balisés nous emmèneront jusque dans l’un des territoires d’Arcadie, pas moins ! Pour finir de planter le décor, Céladon, le nom du berger héros de l’Astrée signifie « Chant du ruisseau » en Grec, et le Lignon, ruisseau astréen par excellence, sonne superbement bien, mais je vous en reparle très vite.
Pour revenir aux propos du colloque évoqué ci-avant, plusieurs thématiques ont été soulevées, défendues, décortiquées et discutées, par une phalange érudite de juristes, architectes et paysagistes, historiens, politiciens et autres chercheurs en sciences dures ou sociales.
J’avais donc, dans ce cadre, proposé de sortir hors-les-murs pour parcourir, ressentir, lire à haute oreille, deux tranches de territoires sur lesquels nous nous trouvions. Le premier, en nocturne, étant les proche des abords du Château de Goutelas, dans son parc boisé, ses sentiers sylvestres. Le second était une portion des chemins d’Astrée, là où, entre, autre se noya Céladon, l’amoureux dépité, qui fut du reste sauvé des eaux par des nymphes, permettant à l’œuvre de rebondir encore. Le parcours s’effectue en bordure du Lignon, boucle autour du château Renaissance de La Bâtie d’Urfé, de jour cette fois-ci.
Un premier repérage hivernal, dans de beaux paysages enneigés m’avait d’emblée permis de découvrir ces beaux sites et d’en mesurer tout le potentiel sensible, et il est énorme.
Juste avant le début des rencontres, un autre repérage s’imposa, pour se remettre les parcours en jambes, les ambiances en oreilles, et trancher entre différentes variantes de parcours. Après ma première visite hivernale, le changement de décor est cette fois assez radical, en ces premiers jours d’automne. Les couleurs et lumières sont très différentes, hésitant entre le vert perdurant et l’ocre naissant, néanmoins toujours aussi belles, changeantes. Les sonorités elles, sont plus actives, notamment avec les oiseaux qui profitent d’une agréable douceur post estivale. Le château de Goutelas est beaucoup plus animé que lors de mon premier passage, entre promeneurs et participants aux rencontres. Néanmoins j’avais beaucoup apprécié l’atmosphère hivernale, un brin ouatée, dans ses apaisantes lumières neigeuses et ses vivifiantes fraîcheurs.
J’effectue donc deux repérages en solitaire dans les bois du parc, de jour et de nuit, et un autre près du Lignon, accompagné d’une personne très engagée dans la vie du centre culturel de Goutelas, très activement militante dirais-je même. Nous sommes accompagnés par sa pétulante petite chienne, qui jouit tout autant que nous des beautés de ces paysages foréziens, voire qui semble elle-même nous guider sur les chemins du Lignon qu’elle connait visiblement par cœur.
Première sortie publique en nocturne. La fraîcheur automnale se fait nettement sentir. Après une petite histoire du paysage sonore, du paléolithique à nos jours, pas moins, en mentionnant quelques jalons de musiciens « environnementalistes », de mouvements écologiques auriculaires, de nouvelles pratiques croisées entre esthétiques et aménagement du territoire, tourisme culturel et patrimoine sonore, nous nous enfonçons dans la nuit.
Une chouette hulotte nous salue de ses cris, vigile discrète nous surveillant de l’épaisseur des frondaisons. Ses appels marquent la nuit de repères spatio-temporels qui nous invitent à la pérégrination. L’obscurité se fait vite presque totale, la lune ne se levant que très tardivement à cette époque. Nos sens n’en sont que plus en alerte. Le son de nos pas, parfois hésitants, foulant feuilles mortes et branchages, rythme notre avancée de mille craquements et froissements amplifiés par la nuit.
A l’embranchement de chemins élargissant le paysage vers des collines devinées, au loin, je sonnerai de la trompe pour exciter les échos du Forez, perturbation temporaire qui fera taire, momentanément, les oiseaux nocturnes.
Quelques lumières du Chambon-sur-Lignon pénètrent timidement la forêt, et quelques sons urbains, lointains et très étouffés. Soudain, alors que je jouais à égrener de subtils tintements d’une boule chinoise, la cloche anime le paysage, par une sorte de magie de l’instant, de l’imprévu, d’un contrepoint-réponse arrivant à point nommé. Onze coups dans une atmosphère nocturne, qui se répéteront quelques minutes plus tard. Plus loin, sur un élargissement de la sente, se sera la voix d’Écho, désespérée de l’ignorance Narcissique, qui se mourra d’amour jusqu’à se fondre dans la forêt, réduite à une seule voix fragile et solitaire, condamnée à répéter toujours les derrniers sons qu’elle entend. Une micro installation sonore éphémère qui je trouve, sonne très poétiquement dans les arcanes de la nuit.
Au retour, nous ausculterons des matières et végétaux pour terminer ce parcours en toute intimité, avec la chose sonore.
Deuxième PAS vers 10 heures du matin, alors qu’un soleil timide, mais qui se montrera de plus en plus généreux, tente de percer les nuages insistants.
Nous somme devant l’emblématique château de la Bâtie d’Urée, qui sera en quelque sorte le pivot de notre marche, point de départ et d’arrivée d’une boucle, pastorale à souhait. Le Lignon, et un de ses biefs alimentant le château, seront notre fil conducteur, de bosquets en prairies, de rives enchâssées en plages de galets.
L’atmosphère de cette déambulation, matinale, sera donc très différente de celle de la veille au soir, autres ouvertures – fermetures paysagères, autres lumières, odeurs, sons, ressentis… J’effectue une présentation, préambule, mise en oreille, toujours autour des thématiques du paysage-environnement sonore, axes qui guideront encore nos pas.
Le fil rouge sonore sera bien cette fois-ci une, ou plutôt des ambiances aquatiques, déroulant sous nos oreilles rafraichies tout un vocabulaire émaillé de glouglouttis, clapotements, chuintements, et autres bruissonnements du Lignon.
Cette rivière capricieuse, nous mène dans de multiples détours, chemins facétieux, de rives en bosquets, nous faisant suivre parfois des bras morts, dont certains seront revivifiés au fil des saisons et des pluies. Tantôt nous entendons le Lignon tout proche, tantôt, au fil d’un détour, nous le perdons d’ouïe, en même temps que de vue, puis il se rapproche à nouveau, en fondue sonore progressive, ou très vite, sans prévenir.
A chaque rencontres, le Lignon se révèlera si différent ! La richesse de ce parcours tient sans doute beaucoup à ces thèmes et variations au fil des ondes.
Un pont enjambant la rivière se fait instrument de percussion. En effet, en le martelant, tapotant, grattant, l’oreille collée à ses rambardes métalliques, nous déclenchons une série de sons étranges, fugaces, rapides, aux couleurs d’un synthétiseur surprenant. Une improvisation collective nait spontanément de cette étrangeté acoustique. Un grand merci aux deux jeunes architectes, dont leur belle cabane en renouée du japon voisine avec ce pont, de m’avoir signalé cette particularité auriculaire !
Plus loin encore, nous trouvons le « Tombeau du poète », site astréen, une stèle et un monticule de terre recouvert de lierre, entourés d’arbres, et de bancs. Nous nous y asseyons et, magie du moment, les images et les sons mêlés peignent une scène romantique à souhait. Des corbeaux coassent en volant d’arbre en arbre, des coups de fusils d’une battue de chasseurs animent le paysage au lointain, face à ce tombeau que nombre de peintres auraient pu coucher sur la toile, nous somme plongés en plein cœur d’un Freischütz Forézien, d’un promenade romantique, introspective, que Goethe lui-même n’aurait pas dénié vivre.
Bifurquant pour revenir ver le château de départ, nous longeons le bief qui nous apparait tout à coup fort silencieux, laissant la place aux oiseaux que le soleil, réchauffant progressivement les lieux, poussent à chanter un brin plus vélocement. La dernière prairie nous fait passer de la pénombre des bosquets à la lumière vive d’espaces ouverts, où l’écoute même se déploie vers des horizons plus lointains. Horizons marqués d’ailleurs ce jour là de trainées sonores vrombissantes, un rallye automobile nous apprend t-on. Pour autant, ces rumeurs motorisées, dans leur éloignement, en contrepoint aux coups de feu des chasseurs, n’envahissent pas la scène acoustique. Elles lui conférent même en toile de fond, écoutées avec un certain recul, une posture « musicale », plutôt intéressante, esthétiquement parlant. Au cours du parcours, il y aura bien entendu eu une micro installation sonore éphémère, et une auscultation des objets environnants, sortes de marques de fabrique des PAS Desartsonnants.
Ainsi s’achève in situ, de belles et riches journées du colloque « Paysage, lignes de fuite, lignes de vie »
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