PAS Bordelais, géographie sensible et relationnelle

PAS – parcours Audio Sensibles à Bordeaux,  géographie sensible et relationnelle

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Porte Cailhau

Cadre des Parcours Audio Sensibles bordelais
Le Centre d’animation Saint Pierre de la ville de Bordeaux, et François Vaillant,  m’invitent, dans le cadre de la Semaine du son 2017, à emmener quatre PAS, dont un en nocturne, après repérage fructueux bien que météorologiquement bousculé.

Géographie, ville, population
Ville monument dans son centre, de belles bâtisses, une structuration de places en places, petites, moyennes, grandes, commerçantes, minérales, intimes, monumentales… Des bassins de vie populaires, ou non, mixtes, commerçants, touristiques…
Un réseau de rues très serrées voire très étroites, un brin labyrinthiques, où l’on prend plaisir à se perdre.
La Garonne comme un large ruban liquide sinueux, à la fois structurant et sécant.
Une première impression, en nocturne, lors d’une déambulation erratique pour prendre le pouls de la cité, et une sensation de rapidement bien se sentir entre ces murs séculaires, traversés de grands éclats d’une population étudiante en mode festif.
Différentes ambiances selon les quartiers traversés, plus ou moins de mixité, ce qui se ressent, ou plutôt s’entend très nettement à l’oreille-même.
Avis très subjectifs, cela va de soi.

Météo et avis de tempête(s)
Un facteur « temps qu’il fait » non négligeable durant mon séjour.
Écoute le bruit de la pluie et du vent, injonction ou circonstance incontournable ?…
Arrivée sous une pluie tonique, avis de tempête et alerte orange pour le premier jour dédié au repérage, tempête qui effectivement nous bouscule un brin. Climat océanique affirmé, avec bourrasques violentes, coups de tonnerre, pluie virulente, puis grêlons, on se réfugie dans un bar, avant que le soleil ne revienne. Jusqu’à un nouveau cycle…
Du vent qui nous pousse dans le dos, tourbillonnant sous la haute flèche Saint-Michel, nos oreilles captent les grondements capricieux d’un Éole impétueux qui tourbillonnent rageurs, en sifflant.
La nuit, une vraie tempête, alerte rouge, les poubelles traversent les rues, un échafaudage s’effondre et un élagage sauvage des arbres urbains jonche le sol, au petit matin, d’un tapis de branches rendant les parcours piétons acrobatiques.
Néanmoins, les quatre PAS programmés cette journée auront échappé aux extrêmes de la météo,, et se feront sans encombre.
Cette fin de semaine à la météo capricieuse et changeante donne paradoxalement une grande tonicité aux marches, jusqu’aux lumières au gré d’un ciel très vite changeant, qui participe à ce finalement joyeux déchainement sensoriel.
Sans parler des gouttes de pluie, écoulements de caniveaux, qui rythment joliment les parcours en mode liquide.

Marqueurs, ambiances, acoustiques
N’étant que rarement venu à Bordeaux, j’imaginais que l’accent du sud-ouest chanterait comme il le fait à Toulouse.
Et bien non. Le Sud Ouest ne transparaît que très peu dans ces intonations girondines, tout au moins urbaines.
Je limite ici mon approche aux seuls quartiers que j’ai arpenté, entre Saint-Jean et Saint Michel, donc en cœur de ville historique.
Le tram sillonnant les grands axes tisse une trame-trace caractéristique, mais néanmoins avec des signaux et ambiances sonores assez similaires à d’autres villes, Lyon par exemple.
La réverbération des étroites ruelles et places minérales met en avant les voix, avec assez peu d’envahissement mécanique, si ce n’est sur les quais ou dans quelques grands axes.
Une succession de très nombreux effets de coupures où, de portes en ruelles, on passe sans transition d’une scène sonore, d’une acoustique à l’autre, bien que parfois d’heureux fondus et mixages se créent au fil des détours pédestres.
Dommage qu’en cette époque hivernale, aucune fontaine, petite ou grosse, ne soit en eau.
Il me semble a priori que dans cette parcelle de ville, je m’entends assez bien avec les lieux. Les différentes marches de repérages ou de guidage public confirmeront ma première impression. Bordeaux, en tout cas le territoire investi, sonne très agréablement à mes oreilles.

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Flèche Saint-Michel

Surprises et anachronismes
Des choses inopinées, ou décalées rythment les parcours, comme souvent pour qui sait les débusquer
Un passage historique, porte cailhau, diffuse, au bas d’un étroit escalier en colimaçon, une ambiance sonore électroacoustique étrange. Impossible de savoir si c’est de la Musac, une installation sonore maladroite et mal mixée, entre ambiances zen, cloches, pas, musiques, voix… En tous cas, ces arrêts écoutes au pied de l’escalier avec cette ambiance des plus bizarre, parfois franchement kitchissime, mixée avec les sons de la place et des quais proche, est un passage incontournable qui questionne nombre de promeneurs écoutants. Certains pensent que j’ai moi-même installé préalablement ces sons pour les PAS. Dieu merci non ! Cependant, ils rajoutent une touche au final des plus surprenantes, qui anime le lieu et nous donne l’occasion d’une posture d’écoute franchement inhabituelle – 10 à 15 personnes très serrées au pied d’un étroit escalier, la tête levée vers un haut-parleur diffusant une improbable « chose sonore ».
Autre point d’ouïe singulière, une plateforme circulaire au bas de la très haute flèche Saint-Michel, surplombant la place éponyme, ouverte de tous cotés, me rappelle vraiment  un kiosque à musique urbain. Endroit idéal pour mener une écoute à 360°, tester des longues – ouïes, voire ausculter les pierres de l’édifice. Un terrain de jeu bien venté mais vivifiant.
Autre étrangeté, l’église Saint-Pierre où nous profitons de sa magnifique acoustique, des voix, des chants, des portes étouffées, des talons résonnants, des chuchotements…. Toute la magie de ces lieux réverbérants, en tout cas pour nos trois premières passages. Au quatrième, l’ambiance sonore es saturée d’un ronflement tenace et envahissant, type soufflerie de climatisation, du à de nombreux chauffages soufflants sur pied qui ont été installés. Atmosphère à la fois frustrante au regard des écoutes précédentes, mais néanmoins surprenante.

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En route les oreilles !

Postures partagées
Ces quatre Parcours furent, une fois de plus, l’occasion de tester différentes postures d’écoute, sans consignes verbales préalables, juste en proposant physiquement une  façon d’entendre collectivement  les choses. Chaque promenade engendra, en fonction des aléas sonores des propositions où la posture physique nous plaçait dans des états psychoacoustiques influant sensiblement les ressentis de chacun.
Exemples:
Une église nous regroupe, debout, sous un buffet d’orgue, les oreilles pointées vers le chœur
Une très belle cour intérieur servant de cadre à une installation sonore éphémère voit notre groupe déambuler de haut-parleur en haut-parleur, ou bien fermer les yeux au centre, ou bien encore marcher en duo, l’un guidant, l’autre fermant les yeux, écoute en aveugle dans une acoustique et une scène sonore un brin remaniées.
Un regard de caniveau grillagé, ou centre d’une ruelle pavée, fait que nous auscultons à l’aide de longue-ouïe, les glouglouttis post pluie, sous le regard amusé ou étonné, des passants qui contournent ces écoutants appareillés de stéthoscopes hybrides, prolongés de pavillons acoustiques. Une rue très étroite, des plus étroite que je n’ai jamais croisée jusque-là, son patronyme de « Rue de la vache » indiquant non sans humour qu’on ne pouvait y faire avancer qu’un seul animal de front, nous propose une belle fenêtre d’écoute, dans une perspective très resserrée, très encadrante.
Lors d’un passage, une voix incroyablement timbrée, très présente, dont nous discernons les moindres mots, intonations, nous parvient sans que nous en voyons la source, écoute acousmatique (sans voire l’origine des sons), ni même que nous puissions en situer précisément la localisation. Nous nous arrêtons, longue file alignée dans cette rue de la vache, et écoutons, un brin voyeurs-auditeurs, amusés par cette belle plage sonore. Remise en marche, au débouché de la ruelle, nous voyons l’incarnation de cette puissante voix. Un homme est assis sous un parvis de porte en train de téléphoner, et pas du tout là où nous l’imaginions, la plupart l’ayant cru posté à une fenêtre en étage. Piège de l’acoustique et autres trompe-ouïes.
Autres postures, où les passants nous épient toujours curieusement du coin de l’œil, nous sommes assis sur un très long banc, dos au fleuve, à la route et aux trams, donc dos aux sons prédominants. Un peu plus loin, alignés contre un mur de pierre, notre regard posé juste à hauteur des pieds des passants, à quelques centimètres de nous, en contre-bas d’un arrêt de tram. La vue et le sons sont orchestrés comme de petites et fugaces mises en scène très filmiques, étranges contrepoints de mouvements et de sonorités perçus dans une macro et insolite contre-plongée. Mais là, il faut le vivre pour vraiment saisir le décalage sensoriel de cette scène très sensiblement urbanique.

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Rue de la vache

Écoute et géographie relationnelle
Enfin, une chose de plus importante pour moi, au-delà de la marche, de l’écoute-même, ce sont les relations entre les promeneurs écoutants, au départ, durant et après le PAS, voire les relations, éphémères et parfois plus fortes que ne pourrait le penser, entres le groupe d’écoutants et les passants extérieurs. Ces derniers «étant a priori non concernés par l’action, et pourtant…
Considérons de prime abord cette relation éphémère et sauvage, entre groupes de promeneurs et passants non avertis.  Ils nous observent curieusement, subrepticement, du coin de l’œil, comme de l’oreille. Au fil des PAS, on comprend et analyse des interactions assez significatives, qui influent le comportement d’un groupe comme de l’autre. Les passants, non au fait de l’action, riverains, commerçants, touristes, regardent, commentent, sourient, froncent les yeux, dubitatifs, se questionnent, parfois questionnent directement, parfois nous évitent ou contournent, et parfois osent s’infiltrer activement dans l’écoute, en général très ponctuellement, jusqu’à utiliser des objets d’écoute, stéthoscopes… Sans s’en douter, ils interagissent de fait sur les actes et postures des écoutants, qui se sentent ainsi placés sur une scène où peut se jouer, et se joue un théâtre d’écoute. De cette position, celle d’être mis en scène dans l’espace public, ils pourront, pour certains en jouir, sans doute en s’observant via l’observateur, effet miroir involontaire de l’action en train de scénographier l’écoute. Il arrive même  que certains puissent sur-jouer quelque peu leur rôle d’écoutant public, tant qu’à faire de s’affirmer comme tel, et peut-être tenter de désamorcer l’anachronisme apparent que pourrait induire leur posture en partie improvisée dans la scène publique.
Il me reste de ce côté là de nombreuses observations et analyses à mener, pour affiner une approche des jeux croisés entre écoutants participants, observateurs non avertis et espaces sonores, architectural, social… Une façon pour moi intéressante de lire la ville tout en la pratiquant.
Sans doute faudrait-il faire appel à un œil-oreille extérieur. A suivre
D’autre part, les relations entre écoutants eux-même se mettent en branle dès le premier bonjour, la présentation du projet qui nous unira, nous réunira, l’espace d’une marche collective. Cette présentation est aussi une mise en condition, l’instant décisif où doit d’emblée se souder le groupe, où l’écoutant doit, dans le meilleurs des cas, être embarqué ipso facto dans une aventure partagée, responsable à son niveau de la partition collective qu’il aura à jouer pour ne pas amoindrir, voire entraver les partages auriculaires.
La symbiose du groupe via l’écoute se joue dès les premiers instants.
Il faut que le futur promeneur écoutant comprenne, sache d’emblée dans quel voyage il est embarqué, avec tous les aléas qu’il comporte intrinsèquement..
Petite histoire des soundwalks, écologie et paysages sonores entre esthétisme et territoire social, posture et silence… il s’agit bien de souder un groupe via une synergie d’écoute au départ racontée.
En marchant, coups d’œil et sourires complices, propositions de gestes collectifs, passages d’objets d’une personne à l’autre, toujours en silence, guidages deux à deux en aveugle, écoutes dos à dos, sur un banc, oreille collée à… des corps qui communiquent, se parlent en silence, sont en relation, y compris statiquement, en silence, communication non verbale, énergie collective partagée et amplifiée par la caisse de résonance du groupe… Tout se joue de concert, ou presque.
Au retour, libération de la parole, partage de ressentis, les points forts, ou faibles, les histoires de chacun, d’autres expériences confrontées, les plaisirs, ou déplaisirs, questions et suggestions… Chacun s’enrichit de l’expérience vécue, de l’autre.
Au centre d’animation Saint-Pierre de Bordeaux, la Semaine du son se termine par un fort sympathique moment d’échange autour d’un verre, où des promeneurs de différentes balades, dont certain(e)s que j’ai le plaisir de rencontrer physiquement après des échanges via les réseaux sociaux, questionnent, débattent et témoignent autour de l’expérience vécue au cours des PAS, ou d’expériences similaires.
Au-delà du geste, de la construction ou production de parcours, l’écoute s’appuie, se conforte sur du relationnel, et vis et versa.

Pour en finir avec ce chapitre bordelais, un très grand merci à François Vaillant pour l’organisation sans faille de cet événement, une mention spéciale pour la chaleur de l’accueil par toute l’équipe du Centre, ainsi qu’ à Guzel pour sa sympathique et spontanée aide sur le repérage, sa complicité dans les expérimentations urbaines et sonnantes, et ses prises de sons et d’images.

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