
Un workshop en deux épisodes.
Première étape, nous faisons un repérage, arpentage de la ville en deux parties, de rives en marché et de cœur historique en friche industrielles.
Devisant sur l’histoire de cette cité textile, où filatures et tissages ont contribué à dessiner une architecture singulière, cités ouvrières de petites maisons ou bâtiments signés d’architectes renommés, nous arpentons la ville en quête de lieux bien-sonnants.
Le deuxième jour de repérage s’effectuera sous une bonne couche de neige, donnant à cette ville Alsacienne une atmosphère ouatée, quasi engourdie de silence, sorte de carte postale d’un Noël tardif.
Quelques mois plus tard, je reviens à Mulhouse pour emmener visiter de l’oreille deux groupes.
Le premier soir, un festival mixant sérigraphie et musique fait que je retrouve une dizaine de collègues activistes sonores, un petit monde et réseaux tissés de sons.
En une journée, nous marcherons six heures la ville.
Trois premières heures dans sa proche périphérie.
Des cités ouvrières qui se réveillent doucement, le bord d’une rivière bruissonnante, des friches industrielles endormies… et surtout, un lieu incroyable, comme je n’en avais encore jamais ni vu, ni entendu. Sous une dalle d’un très grand marché, un long et ténébreux tunnel traverse de part en part en souterrain, sur une assez longue distance, le quartier.
Ce passage assez incroyable est coupé en deux, une partie assez étroite étant le passage de la rivière, l’autre, beaucoup plus large, étant vraisemblablement un régulateur de crues, évitant que le cours d’eau enterré ne dévaste le quartier s’il venait à déborder violemment.
Un éclairage diffus provient de grilles régulièrement espacées au plafond, donnant sur le marché, à ce jour en pleine activité.
Il faut se garder de rester sous ces grilles car, dans certains secteurs, des marchands déversent régulièrement des sceaux d’eaux, cascades ponctuelles s’écrasant bruyamment au sol.
Ce immense tunnel est très réverbérant, et donne à chaque son une forte présence, accentué par la demie obscurité ambiante.
Au départ de ce long boyau, des canalisations nous font entendre toute une série de sons aquatiques d’une grande variété, renforçant la magie auriculaire des lieux.
Des voix étouffées, tels des murmures incompréhensibles, nous parviennent via les grilles donnant sur le marché.
Visuellement, certaines de ces ouvertures nous donnent à voir des contreplongées surréalistes de marcheurs sur nos têtes. Une visions digne d’un Tarkowski au meilleure de sa forme.
Ni les mots ni les sons enregistrés me semblent assez forts, assez parlants, pour rendre cette ambiance où sons et lumières nous ravissent. Il faut absolument vivre l’expérience si vous visitez Mulhouse !
Nous crions, chantons, sonnons de la trompe, accompagnons nos pas de notes d’harmonica, prenant un grand plaisir à faire sonner et résonner les lieux, comme à en écouter ses murmures.
Au loin se dessine une fenêtre verte, très lumineuse, marquant la sortie de ce passage dans un bel écrin de verdure, ce jour très ensoleillé.
Nous débouchons sur un passage en contrebas, herbeux et arboré, où les oiseaux nous saluent au sortir de notre déambulation souterraine. Le contraste du tunnel sombre et du plein-air lumineux, le changement radical de température et d’ambiances acoustiques est saisissant. Nous passons sans transition du monde mystérieux des ténèbres au soleil resplendissant, scénario digne d’un film fantastique.
Nous longerons par la suite la petite rivière de l’Ill, bordée de grands murs joliment ornés de graphes, et ponctuée de petites chutes d’eau bouillonnantes, puis de grands parcs périurbains que vient doucement animer le passage d’un train, avant que de retrouver les grandes cités textiles. Beaucoup sont abandonnées, ou en voie de réhabilitation, l’une d’entre elle transformée en friche artistique. C’est dans cette dernière que s’achèvera la première traversée auriculaire Mulhousienne.
L’après-midi, nous nous attaquerons au centre historique.
De toutes autres ambiances.
Au départ, une grande place centrale, cœur de ville emblématique aux belles architectures traditionnelles, qui est ce jour peuplée de terrasses accueillant un foule devisant tranquillement sous le soleil.
Nous pénétrons dans le grand temple, ancienne église imposante, pour profiter un instant de son acoustique sereine, et mettre nos oreilles en condition, en état de marche oserais-je dire. Un duo de chanteuses y répète, le parcours débute musicalement, ce qui est très agréable aux oreilles.
A la sortie, un manège d’enfants et une fontaine conversent joyeusement, offrant au promeneurs écoutants que nous sommes l’occasion d’un intéressant mixage en fondue enchainée.
Je répète sans cesse que mes PAS sont des longues séances de composition en marche, où l’un des principaux intérêts est de se considérer comme une sorte d’orchestrateur de paysages sonores, mixant au gré de nos rencontres les sons de la ville, ou d’ailleurs.
Dés la place quittée dans un bel effet de coupure propre aux centres urbains, la rumeur de la ville s’atténue rapidement, pour focaliser notre écoute sur des émergences moins nombreuses, plus facilement localisables et reconnaissables dans leurs sources. La présence humaine, notamment par la voix reste prédominante.
La traversée d’un parc urbain nous offre une halte sous une sorte de scène de concert en béton, invitation de s’assoir et d’écouter le parc, et au loin, les cloches du temples et son imposant bourdon animer la cité d’une belle carillonnade.
De nombreuses acoustiques jalonneront notre parcours, dont une assez exceptionnelle.
Il s’agit d’un très long bâtiment arrondi, se refermant sur lui-même. Dans l’enceinte, un jardin est traversé par une allée centrale qui coupe l’espace bâti de part en part. Au centre de ce large rond, un gros point est peint au sol. Il marque incontestablement le centre de l’ensemble et pour moi, un point d’ouïe incontournable, un sweet-spot, comme dirait nos collègues anglophones, à ne pas rater.
Soupçonnant, au vue de la configuration des lieux, la possible présence d’échos, je sorts ma trompe test, celle qui me permets souvent de faire sonner des lieux, et d’en révéler des effets acoustiques.
Mon instinct ne m’a pas trompé. Les sons rebondissent de façades en façades, dans une série d’échos facétieux dont nous jouons joyeusement, sous le regard intrigué et amusé des passants.
Plus loin, ce sera la porte ouverte d’une très ancienne chapelle qui nous invitera à venir tendre l’oreille. Un orchestre à plectres y répète, jouant dans une magnifique acoustique qui nous révèle les moindre détails musicaux. Cette séquence fait écho avec la répétition dans le grand temple, au départ du PAS, une sorte de boucle impromptue mais qui au finale structure logiquement notre déambulation.
La nuit tombe doucement, et nos pas nous ramèneront progressivement vers la place centrale, repus de sons, fourbus de ces longues marches, mais néanmoins heureux de ces déambulations qui nous auront mis la cité à portée d’oreilles.
TRACES
Des images
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Une vidéo
Des sons