Point d’ouïe et geste d’écoute – se pauser dans les sons

Si on considère l’écoute, au delà d’un ressenti, d’un plaisir, d’une volonté de capter nos environnements sonores pour les entendre, les comprendre, on peut observer le geste en lui-même, ou plutôt certains gestes d’écoute, comme des objets singuliers d’étude. Ici nous nous arrêterons sur la pause-écoute, un arrêt sur son, une forme d’immobilisation temporaire dans ce que je nomme souvent point d’ouïe.

La nécessité de se pauser quelque part et à des instants où s’en fait ressentir le besoin, peut-être celui de se reposer, est aujourd’hui d’autant plus forte dans un monde chahuté, bousculé et bousculant.Ce qui est sans doute moins courant, c’est le fait d’organiser ces pauses autour d’écoutes collectives ou solitaires préméditées. La pause écoute peut donc être entendue comme la pause café, un instant de repos, une rupture dans une activité de marche par exemple, une détente dans une action en cours, Il s’agit de porter attention à un lieu, à ses caractéristiques, sans le polluer de nos gestes et bruits superflus, en se penchant sur un objet/lieu spécifique, à un instant T.Ce geste peut être convoqué, provoqué, stimulé dans une pure intentionnalité. Je décide qu’ici, à cet endroit, pour telle raison, je vais focaliser mon sens de l’ouïe, durant quelques minutes, ou plus. Il peut s’agir d’une forme de protocole, de dispositif, de rituel, cérémonie, comme par exemple se placer sur des points de quadrillage géographique déterminés, pour entendre, analyser un territoire auriculaire, le cartographier méthodiquement.

On pensera ici aux fameux Oto date d’Akio Suzuki, qui signale au sol, ou aménage des points d’ouïe orientés, en ville ou dans des espaces naturels, nous invitant à y pauser les pieds et tendre l’oreille dans des directions d’écoute préalablement déterminées.

On peut également être invité à se pauser, dans une écoute active, attentive, non intentionnelle, par accident. Une volée de cloches, un chanteur de rue, une explosion… nous feront nous arrêter pour profiter, comprendre, voire pour se protéger d’une situation potentiellement dangereuse, relevant d’un événement sonore survenu à l’improviste. Le point d’écoute peut ainsi naitre d’un état de surprise, de sidération, ou comme sur une volonté préméditée de tendre l’oreille, pour différentes raisons que nous aurions défini préalablement.

Dans le cas de ces choix anticipés, de multiples cas de figure les motivent. Par exemple la préparation d’un parcours d’écoute, dans une visée esthétique ou une étude d’aménagement public, fera que l’on repère et choisit des espaces acoustiques intéressants, singuliers, où la présence d’une source sonore caractéristique, si ce n’est d’un mixte des deux. Il s’agira de savoir non seulement où se pauser, combien de temps, mais aussi comment ménager, vivre et partager ces points d’ouïe. Le fera t-on assis dans une clairière, sur des bancs, debout derrière une palissade, allongés sur des transats, sur une pelouse, yeux ouverts, ou fermés, Laissera t-on dans un groupe, guidé lors d’une marche d’écoute, les participants libres de choisir leurs propres postures, leurs proposera t-on des modèles physiques, que l’on jugera plus efficients par rapport au contexte du lieu, à la source… ? Se permettra t-on d’improviser des situations et d’interagir avec les ambiances des espaces arpentés, auscultés ? Utilisera t-on des objets comme des extensions amplifiant, orientant ou colorant nos écoutes, des trompes acoustiques, des stéthoscopes, des casques et des micros d’enregistreurs comme loupes auditives… ? Décidera-t-on en amont d’un protocole assez strict, ou laisserons-nous une marge d’improvisation, ou une adaptation réactive, libre, interagissante avec les situations rencontrées, les réactions du groupe, l’humeur du moment… ? Toujours est-il que le fait de se pauser dans les sons, de s’y immobiliser n’est pas anodin. Outre le fait de choisir un espace emblématique, et de s’y installer pour un temps plus ou moins long, dans un posture dite immersive, se laissant envelopper, porter par les objets sonores environnants, est un choix qui nous met en scène comme des écoutants actifs, attentifs. Je m’arrête ici, j’immobilise mon corps pour mieux entendre, je deviens moi-même une particule (silencieuse) d’un paysage sonore global, qu’à la fois je construis par ma propre écoute. Une sorte de feedback interagissant entre corps/espaces/sources/ambiances, renforcé par une posture physique et mentale assez inhabituelle dans son engagement.

Le point d’ouïe est un acte politique, engagé, dans le sens qu’il nécessite une implication active, corporelle, éthique, qui peut être écologique, écosophique, impliqué dans des contextes d’aménagement urbain ou non. Observons maintenant attentivement un groupe de promeneurs écoutants dans une situation de point d’ouïe pausé. Il sont immobiles, silencieux, ils ne se regardent même pas. Curieux attroupement, qui questionne celui ou celle qui regarde le groupe d’écoutant agir, c’est à dire écouter. L’écoute collective sur la place publique est mise en scène et se joue du regard, des commentaires, des questions des autres. Une forme de scénographie orchestrée dans l’espace public, qui se donne à voir, en donnant au final à voir l’écoute, ou tout au moins la posture qui la met en situation, en scène, la fait exister et la rend visible. La rythmicité même de la scène, arriver doucement sur une place publique, en groupe, en silence, s’immobiliser, donne une sensation d’étrange ralentissement, jusqu’à une forme d’arrêt sur image, ou plutôt ici d’arrêt sur son, voire les deux conjointement. Certaines personnes, spectatrices, comprennent assez vite la finalité de l’action, si étrange et inhabituelle fut-elle, d’autres non. Cette pause écoutante peut paraître une sorte de rituel qui va transformer jusqu’aux ambiances sonores de l’espace dans lequel il se joue. Les personnes assistant à cette cérémonie silencieuse vont rester à l’écart, observer curieusement, se taire parfois pour ne pas perturber l’écoute, éviter ou traverser furtivement le groupe… Il est évident que le maitre de cérémonie en joue, choisissant parfois des lieux peuplés, des terrasses de cafés, des place publiques où les piétons sont nombreux. Cette mise en scène d’une écoute un instant suspendue est parfois ressentie comme une invitation à rejoindre la scène sonore, furtivement et éphémèrement installée dans l’espace public, comme une proposition à tendre collectivement l’oreille, à déployer des antennes sensibles pour aller capter collectivement le moindre son environnant. Ce genre de pause est souvent une suspension dans un mouvement de « marchécoute », un break, une cassure dans un continuum déambulant, qui vient rompre la cadence, pour focaliser, tel un point d’orgue sur une partition, l’attention sur un espace-temps offert à l’écoute. Il peut être orchestré comme une mini cérémonie dans une fête écoutante, telles des minutes de silence, non pas sur le mode du souvenir, mais pour commémorer et sceller une belle entente partagée. Les lieux choisis, comme les événements prévisibles, ou impromptus, influeront évidemment l’attention d’écoute portée par le groupe. Sous un pont réverbérant, avec des claquements de véhicules au dessus de nos têtes, et dans l’obscurité d’une nuit tombante, un parking souterrain, une forêt profonde, autant de lieux qui offrent et subliment une sensation d’immersion assez fascinante. J’ai souvenir de « concerts » de grues chantantes dans le vent, entre chiens et loups, ou de grillons et sauterelles dans une immense combe prairie, qui nous ont littéralement charmés, et fait que nous avons pratiqué de très longues pauses, initialement inattendues, improvisées, lors de parcours d’écoute. On peut ici penser à la Deep Listening, l’écoute profonde développée par Pauline Oliveros, ou aux listen de l’artiste américain Max Neuhaus. De parcours en parcours, ces pauses points d’ouïe maillent un territoire par des repères donnant une tonalité, une cohérence, une écriture géographiquement territorialisée, comme une grille de lecture sensible, via l’approche post schaférienne de paysages sonores.

Au-delà du paysage auditif, la notion d’écologie, voire d’écosophie sonore, telle que la définit Roberto Barbanti, questionne l’écoutant qui décide de pauser une oreille critique sur les milieux arpentés. Ce qui nous charme, nous agace, voire nous agresse, filtrés par toutes les sensibilités et cultures propres, toutes les lectures et interprétations subjectives, émotives, les contextes ambiants, ne manque pas d’être exacerbé lors de ces haltes écoutantes.Entre exercice de lecture de paysage, propre à des approches d’aménageurs, et expérience esthétique dans la mouvance des arts (sonores) en espace public, la pratique des PAS – Parcours Audio Sensible s’articule autour de points d’ouïe, de ces situation où l’écoutant, le groupe d’écoutants, est invité à porter une attention profonde au monde auriculaire. Les marches d’écoute s’inscrivent dans une série de pratiques artistiques, sensibles dites de soundwalking, où le corps-acteur, actif, est fortement engagé dans un processus immersif situé. Ces jeux de l’ouïe nous proposent de co-habiter dans, par et avec les sons, y compris dans une construction sociétale ponctuelle, tricotée par les silences, la lenteur, et les situations et gestes d’écoute partagés, parfois improvisés.

Nous pauser ensemble, dans une communication non verbale, silencieuse, expérimenter des propositions corporelles et mentales qui sont souvent ressenties comme inouïes, sont des gestes qui nous proposent de nous (re)connecter avec soi-même, à l’autre, au monde environnant. Espérons qu’au-delà de ces intentions, les notions de porter attention et de prendre soin, s’inviteront naturellement dans notre rapport au monde sonore, voire au monde tout court.

Texte écrit lors d’une résidence création à la Saline Royale d’Arc-et-Senans Juin 2024

Bassins versants, Méli-mêle eau

Des grenouilles amplepuisiennes, des eaux du Sobant et de la Loue (25), et des corneilles de la Saline Royale d’Arc-et-Senans.
Ça coasse, graille et ruisselle.
Top’eaulogie sonore improbable, entre Rhône et Doubs.

Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Juin 2024 – Festival Back To The Trees et résidence création Saline Royale d’Arc-et-Senans

Auricularités attentives

Je propose de faire entendre l’environnement, les écosystèmes, d’écouter et mieux comprendre par l’oreille, nos milieux de vie, leurs beautés, leurs fragilités, ressources, paupérisations, saturations…
Écouter l’eau, la forêt, la ville, ses périphéries, en marchant, faire paysage.
Installer l’écoute, la lenteur, le silence, par des marches écoutantes collectives, des rencontres, débats citoyens situés, conférences, musiques des lieux, repérages, cartographie et inaugurations de points d’ouïe…
Co-construire une écosophie sonore attentive, des pédagogies indisciplinées…

Si l’oreille vous en dit,
Gilles Malatray
Paysagiste sonore
Promeneur écoutant
Installateur d’écoutes partagées

Le site Desartsonnants
https://desartsonnantsbis.com/
Un portfolio
https://urls.fr/X00jTW

Chronique bancale franc-comtoise, qui ne manque pas de sel

Chaque jour un banc différent
Adossé à une grande berne
Dans un jardin d’eau, ou zen, ou boisé
Dans un lieu très passager, pour échanger des bonjours, voire discuter un brin
Dans une allée isolée, en solo avec les corneilles graillantes et quelques insectes tenaces
Vers la gabelle ancienne, mal-aimée
La salle des commis, aussi mal aimés en administrateurs zélés
En leurs temps
Au centre des écuries du maitre
Sous un trio de châtaigniers séculaires
Dans un espace animé, à une heure animée
Ou un espace presque silence lorsque le site s’est vidé de ces visiteurs
A tombée de nuit, abrité d’une pluie qui a pris l’habitude, depuis quelques mois, de me suivre partout, en s’égouttant sans scrupules
Une eau tenace et qui s’entend
C’est vrai qu’ici, elle, l’eau, quittait le gemme pour donner du salant
Dans une démesure architecturale entre néoclassique et post baroque
Ponctuée de bancs, beaucoup plus récents
Lieu magnétique, qui m’attire toujours, toujours depuis longtemps
Et où je reviens comme en retraite ponctuelle, ressourçante, donner du sel à mon histoire
Des passages dedans-dehors, hors les murs de l’enceinte
En route vers la Loue furieuse et la forêt de Chaux
Immensité feuillue où il ne fait pas bon perdre ses repères
Et retour en Saline, vers un banc accueillant
Et retrouver les sons de la porte monumentale claquante
Des valises qui peinent et raclent sur les allées gravillonnées
Attendre que tout s’éteigne, entre chien et loups (et Loue voisine)
A la veille d’un solstice qui nous semble trop précoce, entre deux pluies battantes
Les impressionnistes ont gavé les paysages alentours de fleurs, d’arbres et d’eau, jusqu’à saturation
Et l’Absinthe y est née, comme une verte eau tonique
Je tricote toutes ces histoires et des sons
De banc en banc
Dans un cercle où je sens rayonner milles tonicités, comme des nœuds telluriques, que l’histoire des lieux aurait renforcé
Dans une salinité mouillée d’utopies dissoutes.
Les bancs sont mes bureaux multiples, d’un moment hors-les-murs
Mes lieux d’observation, d’écoute et de mots griffonnés
Lieux de chroniques saunières soniques, épicées de sels régénérants.

Projet « Bassins Versants, l’oreille fluante »
Divers bancs de la Saline Royale d’Arc-et-Senans (25)
20 juin 2024

Loue y-es-tu ? M’entends-tu ? Je t’entends !

Entre Doubs et Jura, La Loue coule sur un peu plus de 122 Km, bouillon tumultueux ou étale.
Bassin versant du Rhône, itinéraire méditerranéen via le Doubs et la Saône.
Courant plus ou moins audible. Ces jours-ci, et depuis plusieurs mois plutôt très audible.
Autrefois nommée louve, plus impétueuse, aujourd’hui assagie ?
La Loue est impressionniste, Ornand, Courbet, rivages peintures, paysages colorés. Parfois image d’Épinal.
Une source spectaculaire, grotte débouchée en cirque, émergence hautement bouillonnante, à flanc de reculée (topologie jurassienne), un paysage karstique caractéristique.
Une Haute Loue méandreuse, encaissée dans les gorges de Noailles, des boucles sauvages.
Une Moyenne Loue en plus douce vallée, mais charriant beaucoup et parfois, maintenant, débordant de son lit.
Une Basse loue, où je suis, assagie, quoique ces jours-ci grondante et débordante, qui l’eut crue !
Moulins et paysages archétypaux, tourisme archétypal.
Fromages, vins, charcuteries, des délices avoisinants, une région de rudes douceurs.
Comme un air de pureté liquide, de sauvagerie naturelle, néanmoins l’agriculture se fait sournoisement empoisonnante, et les célèbres truites en souffrent… Et d’autres espèces et végétaux, et humains, aussi.
L’eau compose et traverse des territoires régentés, aux activités qui façonnent, contrôlent, et souvent dégradent, appauvrissent leurs propres eaux nourricières.
Sujet brûlant s’il en fut, polémique à souhait, et qui le deviendra certainement de plus en plus. Comment ménager, voire restaurer, s’il est encore possible de le faire, les écosytèmes fragiles, face à des économies agricoles performatives, puissantes, un tourisme décomplexé…
Niveau auricularité, des acoustiques variées, du glougloutement au grondement, des sites bordés d’oiseaux pépiant et d’insectes vrombissant.
Accès le plus proche à pied, un bon kilomètre en partant de la Saline Royale, mon camp de base actuel.
Comme beaucoup de cours d’eau, l’accès est souvent géographiquement difficile, pour les écouter de près. Ripisylves et écotones sauvages, embergements et aménagements divers, crues, autant de barrières entre nous et les rivières…
Remarque : j’adore l’accent franc-comtois local, qui me dépayse presque en Suisse voisine. Je ne me moque pas, ne plaisante pas, c’est un réel plaisir pour moi que d’entendre chanter les lenteurs locales, celles qui résistent à l’aplanissement d’un accent unique, modelé par les média centralisateurs.

Tout cela semble couler de source, pourtant, à bien y écouter…

Jardins contre nature ?

Venu en Franche-Comté pour écouter ausculter l’eau, les jardins tiennent une place importante dans ce parcours, en me rappelant une de mes premières études d’horticulteur paysagiste, qui au final m’ont amené vers les paysages sonores. Le plaisir multisensoriel du jardin ne m’a jamais quitté, la traversée de lieux sonifères où eau, végétaux et faune, si on leur laisse des espaces ad hoc, peuvent joliment cohabiter.


Sur le festival Back To The Trees, j’ai l’immense plaisir d’intervenir dans une causerie forestière, sur la thématiques de « jardins secrets », en compagnie du paysagiste écrivain Marco Martella, immense conteur engagé pour la cause des jardins, et aussi Marc Namblard, audionaturaliste chevronné et Marylou, une artiste sonore qui fabrique des bestioles soniques. Riches échanges publics sur nos jardins secrets, ou presque…


Le lendemain, débarquant à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, je retrouve, de façon impromptue, Gilles Clément, dont le travail sur le tiers-paysage me fascine depuis longtemps.
Cette même Saline organise chaque année un superbe festival des jardins, avec des élèves d’écoles du paysage. Les jardins thématiques en périphérie de ce lieu magiques nous font voyager dans une belle rêverie végétale, minérale…
L’immense cercle, extension de la Saline pour montrer le rond initial imaginé par Claude Nicolas Ledoux fait lui aussi la part belle aux jardins dans tous leurs états.`
Ces biotopes accueillent moult animaux qui chantent, piaillent, graillent, sifflent, stridulent… L’oreille comblée !


Et, pour finir avec un tissage d’histoires jardinières, je décide de revoir, hier soir sur ARTE, le magnifique et bouleversant film de Vittorio de Sica « Le jardin des Finzi-Contini ». Ce jardin, dernier refuge avant l’immense catastrophe fascisme italienne, est un espace-héros crépusculaire ou des fin de règnes, d’amours, de vie, se tissent avant que de disparaitre, engloutis par une machine politique d’une violence implacable. On ferait bien de revoir ce film aujourd’hui, pour réfléchir à quel point nos sociétés sont plus que jamais menacées par la montée d’extrêmes Oh combien dangereuses.


Voila comment, en quelques journées, les jardins racontent des récits croisés, des plus apaisants aux plus angoissants.

Jardins nature, jardins contre nature ?

Points d’ouïe – Épopée sonore et aquatique franc-comtoise en chantier

S’enforester l’oreille

Bassins versants, l’oreille fluante se coule encore dans des paysages liquides multiples. Une façon de les réécrire au fil de l’eau et des déambulations riveraines.
Après Lyon, le Sud-ouest, la région grenobloise, le Hainaut Belge, mes oreilles se rafraichissent, dans tous les sens du terme, en Franche-Comté.

Tout d’abord, un arrêt au Bois d’Ambre, à Saint-Vit (25), pour le superbe festival forestier Back To The trees. Une édition riche, même si occasionnellement humide et très boueuse ! Desartsonnants installe un « Goutte à goutte », de circonstance, au bord du ruisseau du Sobant, qui est cette année tellement gonflé qu’il gronde et déborde joyeusement dans les bois et chemins, les rendant parfois sportifs à emprunter. Quelques prises de sons gargouillantes et hydrophoniques au passage d’un pont pris d’assaut par les flots qui s’y cognent bruyamment. Assurément le paysage au fil de l’eau est ces temps-ci d’une verticalité pluviale aussi dynamique que récurrente, et l’oreille s’en réjouit.

Le sel de l’écoute
S’ensuit l’entame d’un séjour résidence artistique d’écriture sonore, et ans doute textuelle, à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, ce lieu que j’aime tant, et ai déjà exploré à différentes reprises, niché dans les collines et forêts franc-comtoises.
Sitôt arrivé, une rencontre surprise, inopinée, avec le paysagiste, écrivain Gilles Clément, au détour d’une allée ! Petite conversation autour des nouveaux jardins de la Saline (le cercle immense), concoctés avec des écoles de paysages et d’horticulture, et du bruit feutré de la faux traçant des allées au travers la grande pelouse centrale. Toujours un immense plaisir de rencontrer au débotté ce grand penseur d’espaces- tiers- paysages, débordant d’énergie, de créativité, et d’humanité !

Je m’assois sur un banc de bois adossé à la grande berne est, dans un espace visuel embrassant la partie du demi-cercle « historique » de cette architecture utopique. Il me faut prendre le temps de réinvestir ce lieu gigantesque, aux étranges motifs architecturaux néo-classiques, les formes de fausses concrétions salines dégoulinant des murs colossaux, entre grotte et fabrique archaïque. L’espace acoustique de la Saline est toujours magnifique, avec ses micros échos et réverbérations, dus a la disposition des bâtiments se faisant face en arc-de-cercle. L’autre extension paysagère récente, fermant le grand cercle initialement prévu par Claude-Nicolas Ledoux, me reste à découvrir au-delà du mur d’enceinte. Une semaine à venir pour me replonger avec délectation, dans et hors-les-murs, et surtout vagabonder oreilles tendues et micros en main vers et la Loue voisine. Ne doutons pas qu’elle aussi déborde littéralement d’activité fluante.

A suivre…

Poser une (nouvelle) écoute sur le monde

Une (nouvelle) écoute sur le monde ?

Se (re)connecter au monde, au vivant, au vent, à la lumière, aux sons, par le corps tout entier… Se ressourcer aux chants de la Terre.

Entendre les dialogues tissés, entrelacées, entre les éléments ambiants et les cohabitants terrestres, maritimes, aériens, nous y compris.

S’extraire de la fureur et de la vitesse, ralentir pour mieux partager.

Alerter sur les excès, les emprises délétères, les surenchères dominantes…

Porter attention, prendre soin de l’état (acoustique) des lieux, prendre conscience des paupérisations, saturations, emballements frénétiques, y résister collectivement…

Penser la ville, ses périphéries, la campagne, les sites naturels, comme des milieux sonores équilibrés, diversifiés, fragiles, à l’échelle de paysages vivables et partagés par tous. Des communs auriculaires.

Construire et préserver des havres de paix, des espaces d’écoute partagées, des cheminements apaisés, des proximités bienveillantes, rassemblantes, accueillantes…

Tenter de faire émerger des parcelles d’utopies réalisables, où il fait bon s’entendre !

Des sons, des écoutes, des gestes, des environnements…

La problématique des inter-relations entre art, création sonore et les questions environnementales, écologiques, écosophiques, sociétales me taraude plus que jamais.

Comment la création sonore s’inspire-t-elle des environnements, des ambiances, et comment ceux-ci sont-ils défendus (ou non) par des formes d’interactions créatives expérientielles ?

Comment l’évolution des matériels, média et dispositifs technologiques, influence-t-elle les processus de créations, les recherches-actions, et au final des pensées agissantes ?

Quelles sont les freins ou au contraire les catalyseurs éthiques, culturels, sociétaux que soulèvent de prime abord des gestes d’écoute, de création, d’aménagement ?

Comment pourraient évoluer ces tissages, ces métissages, pour être vraiment lisibles et efficients in situ, autant que puisse ce faire ?

Vaste chantier sans cesse requestionné au fil du temps, et aujourd’hui à l’aune de certaines urgences qui lézardent et fragilisent nos modes de vie voire nos existences mêmes.