OCCUPATION POÉTIQUE
Durant un mois environ, un jour ou deux par semaine, nous (Le collectif Abi/Abo) nous installons, un seul artiste, parfois eux, trois ou quatre, sur une place de Givors, face à un lycée. Place dent creuse, délaissé urbain en attente de requalification, entourée d’immeubles, avec des vestiges carrelés d’un ancien immeuble, qui nous sert de « salon » en plein air. Canapés et fauteuils, étrange pèche, lecture et écritures au sol, roses et mausolées, tissages de fil de laine, écoute, dialogues. Les lycéens, des adultes, même des policiers, viennent nous voir. Ils sont tout d’abord intrigués de cette étrange occupation, puis nous parlent de leur quartier, de ses agréments et désagréments, ils font naturellement salon avec nous… En somme, tout ce que l’on recherche dans cette occupation poétique de l’espace public ! Nous parlons, écrivons, photographions, enregistrons… Matière urbaine à (re)composer, traces tranches de ville sensibles, lectures et écritures croisées de territoires en constante mutation… Et sans doute, modestement, un brin de décalage poétique, visiblement apprécié, dans ce monde violent, incertain et inquiet
Des sons
Des images

Un texte
Presque rien…
J’ai appris, progressivement, à aimer des lieux où il ne se passe pas grand choses. Presque rien disait Luc Ferrari. Des lieux anodins, calmes, sans histoires ostensibles, sans aspérités remarquables, sans prises pour, a priori, les saisir quelque part.
Et pourtant, les choses qui se passent dans ces lieux, que l’on pourrait qualifier de banales, voire triviales, qu’elles soient infimes, intimes, ou brusquement saillantes, trouvent tout naturellement leur place dans la généreuse discrétion de ces espaces, échappant aux regards (et aux écoutes) trop pressés de (les) comprendre.
Un train qui déboule sans prévenir, coups de cornes réverbérées sur les collines environnantes, rythmes ferraillés, une déferlante de lycéens aux rires contagieux, un merle qui résiste aux premiers frimas de ses trilles vigoureuses, les crissements de pas, pressés ou indolents, des voix lointaines, brouillonnes dans leur halo réverbérant, des émergences de bribes sonores des fenêtres d’un immeuble, ou d’une voiture dance floor … Autant de pièces d’un puzzle qui, patiemment rassemblées par les sens en alerte, rendent plus tangible le territoire, si anodin soit-il.
Cet assemblage d’images, de sons, de lumières, d’odeurs, le tout nimbé d’un brouillard tenace et un brin visqueux le jour où j’écris ce texte in situ, va bien au-delà de la simple construction d’un paysage intime, en voie de matérialisation. Il nous conduit en fait, progressivement à ressentir une véritable affinité, peut-être une forme d’empathie avec les lieux.
Il suffit parfois de se poser, longuement, ou de déambuler, ou bien encore d’alterner mouvement et stati-cité, et de laisser le temps faire son œuvre immersive. Un plongeon en douceur, ou non, au cœur des lieux et de ses micros événements.
L’expérience aidant, on parvient de plus en plus aisément à entrer dans ces états perceptifs, parfois quasi exacerbés, où les lieux nous parlent alors à livre ouvert.
La difficulté se posera vraiment à partir du moment où l’on voudra partager ces instants privilégiés. Il nous faudra alors inventer des gestes, trouver des mots, des rythmes, des images… pour emmener avec nous des tierces personnes dans des voyages sensoriels, en arpentant des terrains qui ne se livrent pas sans efforts, tant s’en faut.
Mais l’artiste n’est-il pas là pour, tout simplement, donner à voir, et dans mon cas à entendre, les choses autrement.
Texte écrit le 12 Novembre 2015, vers 12 heures, face au lycée Danièle Casanova de Givors (69), dans le cadre des ateliers « Chemins de traverse », avec le collectif Abi/Abo, en partenariat avec le Grand Parc de Miribel Jonage.
Géolocalisation sonore
radio aporee ::: maps – Givors, Rue casanova
A reblogué ceci sur ABI / ABO ________________________et a ajouté:
Le regard de Gilles Malatray, aka Desartsonnants, sur cette expérience d’occupation poétique des places.