PARTITIONS EN MARCHE ET MARCHES – TERRITOIRES PARTITIONNÉES

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS — Parcours Audio Sensibles. Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? 

On pourrait se demander, en exergue à cette réflexion, quels sont les rapports, entre sons, territoires et kinesthésie, entre soundwalk, balade sonore, et autres PAS – Parcours Audio Sensibles.

Quels liens unissent ces différentes pratiques et comment, in fine, se rapprochent-elles d’une partition sonore, voire musicale ? Enfin, la question serait de comprendre comment certaines pratiques enseignent et transmettent à des promeneurs-écoutants, ré-interprètes potentiels, tout à la fois des actions, via un système de consignes, inscrivant les signes d’une forte corporalité dans les territoires arpentés.

Sons, territoires, entre écologie et esthétisme

Pour ce qui est des rapports sons/territoires, un paysage sonore se dessine via l’écoute, en fonction des sources auriculaires, de leurs localisations, mouvements, des échelles sonores dynamiques, spectres timbraux, de leur densité… La topologie, les reliefs, la végétation, la nature des sols, les aménagements, contraindront également tant la propagation des sources, des effets sonores associés, que des postures d’écoute soumises aux contingences territoriales. Entre échos et réverbérations, points d’ouïe panoramiques et espaces enserrés, l’écoutant sera confronté à une multitude d’espaces acoustiques, d’autant plus qu’il pratiquera des écoutes en déambulation. Les soundwalks joueront sur la mise en scène, l’écriture d’une succession d’ambiances, tel un mixage sonore paysager en mouvement, propre au promeneur auditeur.

Nous pouvons, pour creuser le sujet, nous rapporter aux travaux du musicien nord-canadien Raymond Murray Schafer, notamment à son ouvrage emblématique The Soundscape, The Tuning of the World. Cette notion d’accordage du monde, sous-titre de l’ouvrage, pose d’emblée le postulat d’une écoute musicale, esthétique, voire d’un geste d’écoute mêlant une conscience écologique, à la recherche esthétique d’aménités paysagères.

La conscience écologique nous fait alors comprendre la fragilité de nos paysages sonores, ballottés entre la saturation chaotique des milieux urbains et la paupérisation des espaces naturels où la biodiversité souffre de multiples disparitions, que l’oreille saisit et analyse du reste mieux que le regard.
 

Le fait d’arpenter le terrain, toutes oreilles ouvertes, prend quant à lui sa source dans la pratique des soundwalks, que l’artiste new-yorkais Max Neuhaus a érigés en œuvres d’art, actions performatives, collectives, relationnelles autant que perceptuelles. Nous avons ici affaire à la construction d’une « œuvre de concert » en marchant et écoutant, dans les pas de John Cage – qu’admirait beaucoup Max Neuhaus. L’artiste avait d’ailleurs commencé à partitionner ses soundwalks comme des marches reproductibles. Nous y reviendrons ultérieurement.
 

De l’écriture à la relecture, de l’interprétation à l’improvisation, comment jouer et rejouer en mouvement la « musique des lieux » ?

À travers ces questions, les notions de jeu in situ, de traces et de consignes, tendent à montrer des formes d’écritures audio-kinesthésiques in situ ou ex-situ, singulières, partitions marchées pour promeneurs écoutants interprètes, voire ré-interprètes.

Écrire et lire, voire re-lire le paysage sonore comme une partition musicale

Penser et parcourir des cadres espaces-temps peut être une dé-marche proche de la psychogéographie debordienne. Comment revisiter des villes, quartiers, espaces péri-urbains, en décalant les modes d’appréhension, les temporalités, les grilles de lecture, en défaisant les codes fonctionnels (et politiques) urbains ? L’écoute nous offre ici, associée à la marche, une approche singulière, qu’elle soit individuelle ou collective. Privilégier un sens, dans des parcours sensibles, nous met à la fois dans un déséquilibre pouvant être ressenti comme très déstabilisant, en même temps que cette posture peut nous apporter de nouvelles jouissances quasiment inouïes. Le sentiment de, modestement, refaire la ville à sa façon, à l’oreille.

C’est également, dans une vision post-Debord, une partition politique, tracée notamment sur une conscience écologique, sans doute un brin anthropocènique, voire sur celle de participer, avec des aménageurs par exemple, à un partitionnage de la ville, dans ses travaux et aménagements incessants.

La notion de partition, « Action de partager ce qui forme un tout ou un ensemble ; résultat de cette action, partie d’un ensemble organisé… Division (d’un territoire, d’un pays) en plusieurs États indépendants… »1apparaît alors logiquement, comme un tracé à l’échelle du terrain, et une proposition d’écoute mouvante, tel un magnétophone à la fois traceur et liseur.

Ville à re-composer

Dans l’espace urbain notamment, il nous est permis de jouer. Jouer, dans un sens musical, des rythmes et dynamiques acoustiques, de construire des superpositions, de mettre en place des transitions, des effets dynamiques, des fondues d’ambiances, des coupures, des mouvements/arrêts — points d’ouïe… Bref, nous devenons une sorte de chef d’orchestre imprimant in situ une expérience kinesthésique sensible, dans l’écriture d’un parcours aux limites du rejoué (post repérage) et de l’improvisé, selon les événements-stimuli que nous rencontrerons.

La rue, la place, l’escalier tracent des lignes qui, vues de dessus, font apparaître les formes d’un parcours jalonné au gré des sons, et qu’il est possible de rejouer à l’envi, en se jouant des aléas du moment.

Nous sommes sur des lignes-mouvements, façon Kandinsky, partition graphique, esthétique, physique, dynamique, sonore et kinesthésique. Le corps traceur et mémoire(s) est en jeu d’éc(h)o-interprétation des milieux, dans des marches sensibles et symbiotiques, où le promeneur se fond dans le paysage qu’il écrit en « marchécoutant ». L’écoutant devient lui-même paysage sonore, comme une sorte de réceptacle synecdotique.

Les traces et rendus comme partitions à re-parcourir

Repérage, plan-guides, signalétiques, cartes sensibles, textes descriptifs, autant d’objets-partitions qui permettent de fixer des parcours — avec leurs marges de manœuvre, d’incertitude, leurs chemins de traverse et les libertés que l’on peut prendre. Physiquement, guidées ou non, les traces nous tissent un jeu de pistes sonores pour jouer, rejouer, ou déjouer, différents espaces à l’oreille.

La notion de déjouer est ici assez intéressante. Mot à mot, qui déjoue ne joue pas, ne joue plus, ou joue autrement. On trouve ici la possibilité de contrarier, de mettre à jour une histoire jouée d’avance. Une forme d’improvisation où les tracés se perdent face à une intuition stimulante.

La musique (des lieux) à la carte n’est jamais totalement acquise, ni parfaitement maîtrisée. Mais l’est-elle plus dans des processus d’écritures de musiques dites contemporaines ? Rien n’est moins sûr selon les œuvres.

Continuant sur des rapprochements textuels, sémantiques, le mot déchiffré, par hiatus interposé, ou coquille, peut glisser rapidement vers défriché. On déchiffre une partition, y compris sonore, en même temps qu’on la défriche, qu’on l’apprivoise en éclaircissant ses zones touffues, en traçant un itinéraire de lecture plus clair. De la page carte au territoire partition, je m’avancerais à dire qu’il n’y a qu’un pas. Plus ou moins grand selon les cas.

La carte-partition nous fait effectuer des allers-retours entre le terrain arpenté et la page pouvant être écrite, déchiffrée, interprétée comme une partition/action.

L’écriture captation traces

Le field recording (enregistrement in situ/de terrain, ou sonographie) sera également une forme de trace organisée, parfois composée, pour re-vivre ex-situ un parcours sonore, en sons fixés, selon la définition de Michel Chion.

Cette pratique, liée parfois à des secteurs spécifiques dont l’audionaturalisme, lui-même intrinsèquement lié à l’écologie sonore et à la bioacoustique, est un exemple très pratiqué aujourd’hui, sous de nombreuses formes et esthétiques.

Les plus « purs » enregistrements bruts, non ou peu retouchés, traces du « réel », dans les limites acceptables du terme, sont une sorte de constat, état des lieux, à l’instant T et dans un espace donné. 

Le field recording peut ainsi être une mémoire, une fixation de parcours d’écoute, ce dernier étant de fait un geste qui ne laisse pas d’œuvre matérielle, tangible et a minima pérenne.

Néanmoins, à défaut de re-présentation fidèle, cette trace, capture sonore, pourra faire œuvre également. Plus ou moins retravaillé (montage, mixage, effets sonores), le field recording prendra ses distances avec le terrain pour devenir à son tour création sonore, prenant le pas, si j’ose dire, sur le geste original.

Pour moi, il s’agit souvent de deux œuvres différentes, certes assez fortement liées par l’écoute, le lieu, mais néanmoins autonomes d’une certaine façon.

La première est l’action performative de la marche d’écoute in situ, en générale collective.

La seconde est le résultat d’une captation donnée comme création sonore, pouvant être scénographiée par des dispositifs d’écoute, installations audio-plastiques, applications géolocalisées…

À noter d’ailleurs que dans le cas d’applications géolocalisées, l’auditeur marcheur équipé d’un smartphone, retrouvera généralement le principe d’une petite icône marcheuse parcourant une carte GMS, le guidant vers des points d’ouïe. La carte application se fait là interactive, comme une forme de partition serious game à lire en cheminant.
 

La vidéo fournira également un média particulièrement intéressant pour rendre compte des actions, paysages, ambiances, parcours, avec une approche « naturelle », sans sources ni colorant sonore ajouté, respectant les sons environnementaux, silences compris.

Quelques vidéos de PAS – Parcours Audio Sensible Desartsonnants

Les partitions — consignes de soundwalks

À l’instar de Max Neuhaus (les Listen), ou de happenings façon Fluxux, voire des partitions graphiques des chorégraphies de Cunningham, des partitions-consignes proposent de jouer ou rejouer des marches d’écoute.

Il existe d’ores et déjà un répertoire, en cours de recensement (Neuhaus, Westerkamp, Corringham, Plastic Acid Orchestra, Cluett, Patterson, Kogusi…).

Gilles Malatray, aka Desartsonnants, construit petit à petit, un répertoire personnel de partitions PAS – Parcours Audio Sensibles, à jouer en solitaire ou en groupe, guidé ou en autonomie.

Liens partitions de PAS

Aujourd’hui les technologies mobiles, embarquées, les réalités virtuelles et autres serious games nous font imaginer de nouveaux dispositifs ludiques, pouvant étendre sensiblement les modes opératoires de la partition papier, vers de nouvelles interactions marcheur/écouteur-territoire.
 

Les relations du marcheur écouteur aux territoires arpentés ont sans doute encore de nombreuses pistes de cartographies hybrides, d’écritures kinesthésiques à développer, entre expériences sensibles et dispositifs embarqués, explorations in situ et traces re-composées.

Article paru dans « L’autre Musique Partition »

PAS – Parcours Audio Sensible au Parc de La Villette à Paris

À La Villette, on tranche l’écoute !

 

38101195432_180027628b_o_d

©photo Frédéric Mathevet – l’Autre Musique

C’est sur l’invitation de chercheurs de Paris 1 Sorbonne, Notamment Frédéric Mathevet et Célio Paillard, dans le cadre d’un  séminaire autour du thème « Partitions »* et accueilli par le CDMC (Centre de Documentation de la Musique Contemporaine) que s’est déroulée ce nouveau PAS Parisien.
Le LAM, structure organisatrice, Laboratoire l’Autre Musique est associé à l’ACTE, UMR 8218 Paris1 Panthéon_Sorbonne/CNRS, équipe Musique et Arts Sonores effectue des recherches/actions; ouvertes à la participation de nombreux artistes et chercheurs, autour de thématiques musico/sonores. Parmi celles-ci, se construisent des des axes de réflexion tels que le corps/corporalité, le rapport social, la circonstance, le bruit, la technologie… Des publications électroniques sont ainsi accessibles à tous pour prendre connaissance de ces foisonnantes recherches interdisciplinaires.
Le CDMC quant à lui, qui nous accueille, est situé entre la Cité de la musique et la toute nouvelle Philharmonie, et à quelques encablures du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de paris, tout près de la Fontaine aux lions et de la Grande Halle de La Villette, donc dans un espace haut en sonore.
La journée de travail portait sur les partitions, objets de conservation, d’interprétation(s), de (re)lectures multiples et variées. Des partitions graphiques aux jardins en passant par l’architecture et le Parcours sonore, il n’y a qu’un, ou que quelques pas, que nous avons allègrement franchi. Des enregistrements sonores de ces débats seront prochainement en ligne.
J’ai donc été invité à présenter mon travail sous deux aspects, une présentation orale des PAS – Parcours Audio Sensibles, de leurs généalogies, objectifs, formes esthétiques… Et une déambulation in situ, démonstration physique et sensible qui vaut bien de longs discours, d’autant plus que le site s’y prête à merveille.
Comme à mon habitude, même si ce n’est pas ma première exploration auriculaire à la Villette, j’ai effectué un traditionnel repérage préalable, mise en oreilles et en jambes, façon de voir les chantiers en cours, les atmosphères de saison, et de me ré-immerger dans le tissu sonore local.

38101195512_5430a60ea1_o_d

©photo Frédéric Mathevet – l’Autre Musique

Le repérage fut tout à fait concluant même si, comme d’habitude, le PAS public ne le suivra pas dans son intégralité, qui peut le plus peut le moins, par manque de temps. La température et l’ensoleillement en ce début d’automne sont très agréables, ce qui ne gâche rien à la balade, bien au contraire.
Le jour dit, je dispose d’une heure et demi de présentation et parcours, devant un public de d’intervenants et de participants, logiquement déjà très impliqués dans les choses sonores et musicales.
L’imposante Fontaine aux lions, formant une sorte de grand rond-point piétonnier, lieu de casse-croûte et de discussion aux margelles fort appréciées, sculpture rafraîchissant l’espace acoustique par sa pétulance aquatique nous attire inévitablement, pour constater l’effet de masque. En acoustique, un effet de masque est un son continu qui cache presque tous les autres. La fontaine en est un exemple flagrant, lorsque que l’on se tient très près de ses jeux d’eau, toute la circulation alentour, la vie animée d’un espace public semblent tendues presque muets, à quelques émergences près.
Nous éloignant lentement de la fontaine, les sons du parc réapparaissent progressivement, dans un fondu croissant, un fade in diraient les spécialistes des studios électro-acoustiques.
Tournant le dos à la fontaine, nous nous dirigeons lentement sous l’immense auvent de la Grande Halle, vestige conservé des anciens abattoirs installés en ces lieux. Nous jouons alors avec l’effet de fondue en sortie, ou Fade out, qui fait disparaître peu à peu le drone aquatique pour laisser ré-émerger les sons ambiants du parc, voix et rumeurs urbaines entremêlées. Longeant les bâtiments de la Grande Halle, nous écoutons à l’intérieur des essais de sons annonçant un concert à venir, en percevant visuellement quelques mouvements internes, sans trop les distinguer. Nouveau mouvement en direction du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, nouvelles trajectoires dans la partition sonore de La violette, que nous sommes en train d’écrire in situ. Nous nous arrêtons sous le auvent de l’entrée principale, en jouant, comme à l’entrée de la Grande Halle, sur les notions de lisières, de frontières, et à la fois de porosités sonores intérieur/extérieur.
La veille, jour du repérage, des sons instrumentaux, virtuoses, entre gammes et traits techniques, exercices et décorticage d’un passage ardu, partition déchiffrée, travaillée, rabâchée à l’envi, s’échappaient des minuscules fenêtres du conservatoire. Aujourd’hui, vendredi après-midi, aucun musicien ne daigne se faire entendre, le week-end arrivant, beaucoup ont sans doute quitter le navire. C’est toujours la surprise du décalage entre repérage et geste public, où ce qui était n’est plus, ou fort différemment, et où ce qui n’était pas s’est installé depuis, sans vergogne.
Même sans un seul musicien audible, le fait de s’aligner de part et d’autre de l’entrée, d’écouter les flux de personnes passer entre nous, nous regardant d’ailleurs curieusement, d’entendre les portes battantes entremêler le dedans du dehors, par séquences aléatoires, de regarder la dense circulation du proche boulevard sans pour autant que celle-ci envahisse notre espace d’écoute, n’est pas sans intérêt, loin de là. Nous nous offrons un petit concert insolite, que seul notre groupe perçoit, à l’entrée d’un grand temple de la Musique, la Grande…
Nous empruntons maintenant une allée bordée de vastes pelouses et sous-bois, où de nombreux groupes de promeneurs profitent de l’été indien, égrenant ci-et là cris, rires et bribes de voix qui anime l’espace à 360°.
J’en profite pour faire sonner de ma trompe,les échos et réverbérations, et s’envoler en même temps des masses de pigeons, dans un froissements d’ailes et un flot de roucoulements.

38101195302_dfc861be90_o_d

©photo Frédéric Mathevet – l’Autre Musique

Commence alors la partie plus intime, et sans doute la plus surprenante, de ce PAS. Nous nous engageons dans une petite sente qui descend directement au cœur du jardin des bambous, dans lequel se trouve le Cylindre sonore, cette magnifique installation sonore de Bernhard Leitner, que nous ne pouvions pas manquer de visiter, surtout qu’elle n’est pas, au final, pas si connue qu’elle le mérite. Pour ceux qui ne connaitraient pas, Le cylindre sonore est une sorte d’amphithéâtre circulaire, niché dans un espace en creux, à l’intérieur du jardin des bambous. Il est construit de huit plaques de béton arrondies, alvéolées, contenant chacune un haut-parleur. Ces plaques diffusent une composition électroacoustique, dont les sons se confondent parfois avec ceux de l’environnement du parc. Ils entourent le public en jouant des mouvements sonores véloces, en contrepoint avec les sonorités de l’espace alentour. La porosité acoustique de cette grande installation avec son milieu crée un bel effet immersif. Pour ma part, je connais cette œuvre depuis longtemps, et ne manque jamais d’y passer un moment lors de mes déplacements à La Villette. Notons que Bernhard Leitner mène, depuis le début des années 70, un remarquable travail autour des rapports sons/espace/architecture/postures d’écoute (voir le lien ci-avant).

 

38101195392_0b2ced67eb_o_d

©photo Frédéric Mathevet – l’Autre Musique

Mais autour du cylindre, la musique des lieux est elle aussi bien présente. Enfermés dans une fosse plantée de bambous, la plupart des sons nous parviennent en mode acousmatique. Nous les entendons en effet sans en voir les sources, ce qui rajoute un véritable intérêt à ce paysage sonore perçu au maxima par les oreilles. Par exemple, une voix (africaine?) lance de belles mélopées non loin de nous, sans que nous sachions précisément la situer. Nous empruntons une étroite passerelle métallique, zigzaguant au milieu d’une bambouseraie sauvage, que nos pas font sonner. Brusquement, des rollers, ou skates, nous passent juste en dessus de la tête, sur une passerelle surélevée enjambant la fosse dans laquelle nous déambulons, effet de surprise assuré!.
Débouchant sur une sorte de clairière, toujours enchâssée entre murs de béton et végétaux, des sons de voix et de djembés se mêlent à d’autres ambiances, auxquelles je rajoute une éphémère installation sonore personnelle. Ici aussi, ces acousmaties sont saisissantes, tout cela à quelques encablures de la Philharmonie.
Remontant « en surface », nous traversons une grande pelouse qui nous ramène vers la Cité de la musique. Profitant de cette belle journée ensoleillé les, de nombreux groupes se prélassent, jouent au ballon, dans un pointillisme de sons disséminés sur cette aire, qui tranche assez radicalement, de par son ouverture acoustique et visuelle, avec la scène d’écoute précédente, très intimement circonscrite.
Lorsque soudain, bouquet sonore final, retentit, venant du bâtiment de la Philharmonie toute proche, une puissante sirène d’alarme, très rythmique, dont les motifs sonores ne cessent de se répéter, façon minimalisme américain survitaminé. Cette sonnerie d’alarme fait violemment sonner l’espace, le rudoyant même dans sa répétitivité, son insistance tonitruante, et sa durée. Ce leitmotiv n’en finit pas de bousculer l’acoustique des lieux, quelques minutes avant plutôt sereine. Les sons incisifs nous font remarquer de beaux échos contre la façade d’un théâtre, qui se modifieront selon nos déplacements. Tout semble calculé pour nous accueillir, de façon très tonique, en fin de PAS.
Sauf que nous nous retrouvons, avec beaucoup d’autres, refoulés au-delà d’un périmètre de sécurité, contenus par des sentinelles vigipirates, tous les bâtiments ayant été évacués, ou étant en voie de l’été. Alerte à la bombe oblige. Après une bonne attente, l’alerte ayant été levée, nous réintégrons notre salle pour clore ce parcours d’une façon tout à fait imprévue. Néanmoins, le petit parcours effectué dans le parc de La Villette aura tenu toutes ses promesses, voire plus encore, en nous offrant un vaste panel de sons, d’acoustiques, d’ambiances. Un PAS, entre les lieux repérés et les improvisations liées à d’heureux accidents sonores, reste, et restera sans doute toujours, une expérience unique, à vivre en groupe, et entre les deux oreilles.

38101195202_00074c0c88_o_d

©photo Frédéric Mathevet – l’Autre Musique

Enregistrer