« Nous n’avons pas de culture du silence. Les jeunes Romains apprenaient à rester silencieux de diverses manières selon leurs interlocuteurs. Le silence était alors une forme particulière de relation aux autres. Je suis favorable au développement du silence comme ethos culturel. »
Michel Foucault.
Silences des forêts des cathédrales des montagnes des nuits des promeneurs même relatifs chercher la quiétude Tacet
La nuit porte conseil. Alors écoutons-la ! Le marcheur y cale son rythme, en résonance à ceux de l’obscurité naissante. Allure généralement apaisée. Les couches sonores s’espacent, se font moins denses, s’aèrent, laissant de l’air libre entres les sonorités moins saturées, ou saturantes, moins amalgamées. L’oreille respire un peu plus, au fil des heures avancées. Les sons gagnent en lisibilité. On en identifie d’autant mieux les sources, les espaces où elles s’ébrouent, les mouvements, les timbres et couleurs… La nuit, tous les sons ne sont pas gris, bien au contraire. Ils gagnent en contraste, en netteté, ils s’affirment comme des particules bruissantes et singulières. De même les couleurs. Moins étales. Plus en ambiances ponctuées, contrastées. Parfois trop présentes en luminosité, qui viennent aplatir les contrastes et finesses noctambules. Comme pour les sons, il nous faut souvent choisir les chemins écartés des grandes flaques lumineuses, des grandes nappes sonores. Et lutter sans cesse contre leurs envahissements. Éteindre, assourdir, regagner des espaces non saturés. Aller vers l’intime, sortir des grands axes, des chemins rebattus, oser le trivial excentré, les lieux qu’ignore le troupeau de touristes programmés. La nuit est un terrain d’aventure sensorielle, parfois exacerbée, une zone d’écoute et de regard privilégiée, un espace immersif renforcé, pour qui sait en traverser les plages encore à demi sauvages. J’aime à profiter des ténèbres naissantes, des ombres portées, des chuchotements dans les parcs publics, des voitures endormies, ou se faisant rares, du ronronnement de la cité, avec ses émergences d’autant plus marquées de stridences fracturantes. Il nous faut parfois apprivoiser la nuit, ou plutôt passer outre nos craintes nocturnes et autres peurs du noir, pour en faire notre amie, notre confidente, notre terrain de jeu. Elle nous le rend bien, au cœur de la cité, comme de la forêt profonde. Marcher et écouter la nuit demande de la retenue, un respect des espaces traversés, une posture furtive, un corps qui se glisse dans les lieux surprenants, nappés d’ombres et de sonorités diffuses. J’ai souvent éclaboussé la nuit de cris et de rires, de fanfares cuivrées… Car elle est aussi une invitation à la fête, aux résurgences dionysiaques, étudiantesques… Aujourd’hui j’ai plus envie de lui fredonner de douces mélodies, à bouche fermée, de lui susurrer des secrets intimes, de me fondre dans son cocon ouaté. Même si je pends plaisir à croiser, à l’improviste, un groupe festif, enjoué, dans une explosion jubilatoire et quelque part joliment perturbatrice, jusqu’au calme retrouvé. La nuit est terre de contraste. Je la marche en tant que tel. Et j’invite à partager ces moments où sons, ombres et lumières, se jouent de nos sens titillées, comme nous jouons des dépaysements noctambules.
Photos d’une exploration nocturne lyonnaisedes quais du Rhône
Voyez-vous, si je puis dire, nous rêvions de l’entendre. Et puis un jour… Dites moi mais, quel est donc ce bruit ? Lequel ? Celui qu’on entend, là, qui envahit l’espace, tout en restant furtif ? Est-ce que je sais moi, ce n’est pas celui que nous voulions écouter ? Je ne sais pas, à force de l’attendre, je ne l’ai plus dans l’oreille. Si tant est que je l’eusses déjà eu. Alors comment le reconnaitrons-nous, comment savoir si c’est bien lui ? Aucune idée ! Mais est-ce si important de le reconnaitre, de s’assurer que c’est bien celui dont nous rêvions. En effet pourquoi s’attacher à ce souffle plutôt qu’à ce choc, à ce tintement plutôt qu’à ce vrombissement, à ce cri plutôt qu’à ce murmure… ou bien en espérer la naissance d’un autre ? Surtout qu’ils n’arrêtent pas de bouger, de changer, de se cacher, de s’entremêler, ces foutus sons. Difficile en effet de trouver celui qui nous conviendrait, et peut-être celui qui qui nous ferait défaut, qui serait tout nouveau, à proprement parler inouï. Mais tout n’est-il pas inouï dans le monde plein des sens ? In ouïe ou hors ouïe, intra ou extra auriculaire, c’est la mémoire qui nous joue des tours de sons. Crois tu ? Elle nous fait crôôôââârre dans la mare, glisse en dos, et sa muse gueule en entrée. Et si ce son tinte à mare, l’écoute s’égoutte à goutte, sans qu’on en chasse rien. Glissement calembourdien. Tout ça pour les cris d’un mémoire dit sonnant, qui ne nous dit rien au final, en preste eau. Flux et reflux, sons passons. Alors, difficile de rêver de l’entendre, lui ou un autre, ça frise la phonie douce. L’utopie serait-elle ultra sonique, sons de nulle part, ou de partout, uchronie-usonie ? Qu’en sais-je, écoutant de malheur, qui creuse un puits sans son. Alors puiser dans sa même ouïr et chercher le bruit qui s’est tu, il, nous, vous, mais qu’on ne connait toujours pas. Beaucoup de bruit pour rien ? Qu’en savons-nous, peut-être sommes-nous devenus sourds de trop entendre, de trop attendre, pavillons en berne et coutilles noyées. Mais le bruit continue de courir, même si la rue meurt. Cours-y vite il va s’éteindre ! Silence, on détourne ! L’ingé son, et l’autre pas. Acoustiquement parlant, nous voilà guère avancés ! Heureusement, il y a des non-dits pour combler les lacunes et imaginer l’histoire, entre les silences taiseux. Mais histoire y a t-il s’il nous manque des sons ? Et puis, même si on les trouvait tous, ou simplement celui ou ceux que l’on recherche, ce qui est fort improbable, nous raconteraient-ils quelque chose ? Histoires sons paroles, où le muet trouvera sa voie, au grand dam du mime, qui se taira encore plus. Le son fait son cinéma, pour l’oreille. Et tout cela sans avoir résolu l’e problème, si un son qui manque à l’appel, ce dernier de fait reste sans réponse. Laissons les sons là où ils sont, c’est à dire partout. Croyez-vous ? Ne serait-il pas judicieux d’en chasser quelques uns, d’enchâsser quelques autres, sacro-sons de bruits collages. Mais comment faire le tri, savoir reconnaitre le son sauveur, celui, encore plus improbable, qui ferait paysage, histoire ou symphonie, même fantastique, voire pathétique. C’est une histoire sons dessus dessous, des accords imparfaits, des arts sonnés, des à croches arpégées, ou du bruit de son, tout simplement. Il y aurait de la friture sur la ligne, de la bruiture sur l’écoute, on est jamais à la bruie de rien. Du verbe bruire, bruira bien qui bruira le dernier. Clap de fin, silence ! Mais aussitôt, rompons le silence et revenons à nos sons, à nos mous sons qui pluivent ou pleuvent, en plics et en plocs. En gouttes qui font déborder la vase, y’en à mare ! Et pluie voilà, un jour… Rien ne se passa, en tout cas comme prévu, le silence resta quiet et ne bruissa point. Alors, que se mettre sous l’oreille si le silence demeure, sans requiem aucun. Cela ne dura pas. Et même s’empira tant et si bien, que l’oreille expira, ou bien faillit le faire, le cochléaire furieux, la mastoïdienne rageuse. Les sons dégelèrent en tempête pantagruélique, autant que véhémente. Même la muse Écho n’arrivait plus à répéter les quelques bribes qu’on lui avait laissées. Un monde chaotique et brouhahatique, où l’histoire perdait toute intelligibilité. Mais avait-elle, dans ses bruissement incessants, déjà eu un sens ? Question carolienne s’il en fut. Qu’en savons-nous au final, nous fiant à nos oreilles aussi curieuses qu’imparfaitement brouillonnes ? En quoi nous reconnaissons-nous dans ce paysage acoustique qui n’en finit pas de se dissoudre en ondes a priori désaccordées, pour se reconstruire, tant bien que mal, en discours discordants, mais qui parfois chantent malgré tout. Si la cadence est parfaite, au mieux que cela puisse se faire, on avance de concert. Si elle est rompue, maudits musicologues, on ne sait plus où donner de l’oreille, au risque de bruitaliser le monde. Alors la pause est bienvenue, quitte à soupirer, entre deux sons bruits sonnants. A trop entendre, l’hyperacousie nous guette, où chaque murmure devient hurlement, chaque bruissement cataclysme, à en perdre le sens de toute nuance, à s’en péter les tympans, parfois bien trop frêles pour la fureur du monde. Écoutons malgré tout, nous disons-nous, contre vents et marées, et même dans le vent démarré, car au matin des musiciens, et d’autres écoutants impatients, l’oiseau chante encore au monde qui s’éveille. Et il y aura bien encore, quelques sons que nous rêverions d’entendre beaux.
Problématique : l’écoute et la construction de paysages sonores partagés
Thématiques : paysages sonores, esthétiques, sociabilités et écologie écoutante
Lieux et espaces : de préférence hors-les-murs, partout où le monde bruisse
Publics et partenariats : artistes, enseignants, chercheurs, aménageurs, décideurs, et toute oreille de bonne volonté
Processus et dispositifs : la marché écoutante, l’arpentage et le corps performatif, l’installation de situations d’écoute et de micros sonorités éphémères, les postures, cérémonies et rites d’écoute(s).
Modes opératoires : actions in situ, contextualisées, collectives et participatives, trans, inter et indisciplinaires
@Pascal Lainé – Festival L’arpenteur – Scènes obliques 2022 –
Traces et partages : parcours d’écoute, cartographies, récits polyphoniques, créations sonores et multimedia, enseignement, médiation et ateliers, conception d’outils pédagogiques
Remarques : pratiquer un ralentissement sensible, prendre le temps de faire ensemble, privilégier la sobriété dans la mobilité, les dispositifs et matériels non énergivores, rechercher les échanges pour co-construire avec de nombreux acteurs de terrain…
Se poser par ici, ou se poser par là Jeter un œil furtif, ou un regard insistant Une oreille discrète, ou une oreille scrutante Savourer les mouvements, les arrêts, les hésitations Le ballet du vivant qui danse sans le savoir Écouter des bribes, ou bien plus longuement Les gens furtifs, originaux Bavards ou taiseux Marginaux, anonymes Pressés, nonchalants Élégants, négligés Semblants et faux-semblants Ceux qui vous sourient, ceux qui vous saluent Ceux qui vous ignorent, ceux qui vous toisent Ceux qui vous bousculent Et tous ceux que vous ne voyez pas, et réciproquement Se sentir vivant, ou se sentir moins seul Tout simplement être tout près Assis sur un banc de pierre, de bois ou de béton Dans ou devant une gare, une église, un parc Dans la fraicheur d’un matin précoce Dans la chaleur d’un midi torride A nuit tombante, à nuit tombée Aux premières ondées automnales Dans les frimas engourdissants Dans des espaces incertains Y trouver des habitudes, des ancrages Y faire des rencontres récurrentes S’inscrire dans le quotidien, ou presque Comme usager rompu aux lieux Écoutant regardant insatiable Un beau jour pour se sentir bien là Un beau jour pour se sentir ailleurs Un beau jour entre-deux erratique Rester immobile et que tout tourne Les sons les gens et les odeurs Et les lumières qui bougent Et les les ombres fuyantes On est point fixe, axe dans un chaos branlant Un banc des villes, un banc des champs Autour desquels tout s’agite Autour desquels danse le paysage hésitant Ralentir la marche est nécessaire Pour se poser sans s’abimer Juste dans nos écoutes regardantes A la croisée imprévisible de tourbillons fantasques Où danserait l’inconscience du monde. Se poser par ici, se poser par ailleurs Dans le groove chaloupement du monde.
Rencontres internationales « Made of Walking » Listening to the Ground – La Romieu 2017 – Co-commissariat Geert Wermer (Be), Gilles Malatray (Fr) , Isabelle Clermont (Ca Québec))
Houte-si-Plout , écoute s’il pleut, est un hameau belge de la commune de Heuré, Wallonie, de la province de Liège, avec un moulin à eau réputé.
C’est aussi un ru du département de l’Essonne, sur les communes d’Évry et de Ris-Orangis, en France Un lieu-dit du département du Lot, sur la commune de Gourdon, en France. Une Rivière du Canada…
Houte-si-Plout est également, chez nos voisins wallons, une expression ironique et un brin vacharde, qui signifie « va te faire voir ailleurs, je n’ai rien à faire de ce que tu dis ».
Mais prenons là ici au pied de la lettre. Écoutons la pluie qui s’égoutte et s’écoute joliment, tout en rafraichissant la terre comme nos oreilles.
A l’heure où les canicules se succèdent, plus fortes les unes que les autres, où la forêt flambe, accueillons et fêtons l’eau tombée du ciel, quand elle n’est pas diluvienne, avec joie et bonne humeur ! Et tendons l’oreille vers ses glougloutis vivifiants !