PAS – Parcours Audio Sensible à Belleville (Paris)

Belleville, un quartier de Paris à l’oreille

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C’est un PAS un peu spécifique que celui-là,puisqu’il s’agit d’enregistrer une émission radiophonique autour des PAS Desartsonnants, justement ! Ce PAS répond donc à l’invitation de Clément Lebrun, dans le cade de l’émission « Le cri du Patchwork », sur les ondes de France-Musique.
A départ, choix on ne peu plus délicat, il m’a fallu choisir un lieu, un quartier parisien, pour effectuer un parcours d’écoute, et Dieu sait si la capitale regorge de ressources auriculaires, d’espaces intéressants acoustiquement pour y balader oreilles et micros, tout en expliquant la démarche, le pourquoi du comment, les manières de faire, les revendications et autres militances… !
Après de nombreuses hésitations, j’ai finalement opté pour les hauts de Belleville, quartier parisien historiquement emblématique, avec ses vues surplombantes, ses visions/auditions panoramiques de la ville, ses fourmillements… Pour autant, rien n’est encore joué, il s’agit maintenant de repérer un ou plusieurs cheminements, dans le foisonnement de topologies sonores. Je décide alors de demander main et oreille forte pour effectuer une journée de repérage avec des écoutants de bonne volonté, alors que beaucoup de choses, dans ce quartier qui me fascine, m’échappent encore. Un appel à une balade écoute participative est donc lancé via les réseaux sociaux. Je reçois rapidement de sympathiques réponses de compositeurs, chorégraphes, dont certains habitent ou ont habité les lieux, tous étant intéressés pour jeter ensemble une oreille, voire deux, sur l’espace sonore des hauts de Belleville. Vers 10H, la rencontre commence autour d’un café, histoire de faire connaissance, de parler de nos projets et travaux respectifs. Olivier, compositeur et chercheur, et Sabine, chorégraphe exerçant dans l’espace public, tous deux aguerris à la chose sonore, à l’espace public, à la marche, m’accompagnent dans un premier tronçon de parcours, où ils me guident vers de nouveaux territoires d’explorations sensoriels.

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Le fait (somme toute assez habituel chez Desartsonnants) de partir de l’intérieur de l’église place Jourdain constitue une façon de se préparer sereinement l’oreille, avant que de nous diriger vers le parc des Buttes-Chaumont. Du métro Jourdain, un rapide decrescendo s’opère, en pénétrant dans de petites rues plus abritées de la cohue motorisée. Des voix, colorées, timbrées, de multiples langues et intonations… Une entrée du parc des Buttes-Chaumont, une fois pénétrés dans l’enclos joliment paysager, s’ajoute une nouvelle couche-filtre d’apaisement, voix et sonorités de proximité en profitent pour émerger un peu plus, se tailler une place plus tranquillement présente.
Scène surprenante, des groupes pratiquent le Taïchi à l’épée et à l’éventail dans un recoin du parc, dans une musique de différents claquements et cliquetis rythmiques.
Les oiseaux sont encore en éveil dans cette automne quasi estivale.
Le parcours est aussi riche que paisible à cet endroit, je le garde en mémoire.
Retour vers la place Jourdain avec un effet inversement proportionnel dans son accumulation progressive de sonorités urbaines.
Sabine nous quitte, pour partir vers d’autres travaux. Nous envisageons de garder contact autour de la marche, de l’écoute, du paysage sonore, ici ou là.
Pause.
Un nouvel arrivant se joint à notre groupe, Dan, compositeur acousmate. Nouveaux dialogues, prise de contact de visu, après les réseaux sociaux, échanges, longue conversation autour de nos pratiques, un autre petit cercle d’écoutants se reforme.
Un nouveau départ, cette fois-ci vers la rue de Belleville, à l’opposé de ce matin, qui débute par une séquence plus dense acoustiquement. Nous nous dirigeons maintenant vers le parc de Belleville, très différent, à tous points de vue, et d’ouïe, de celui des Buttes-Chaumont. Nous retrouvons, par la pénétration dans le parc, la même sensation d’apaisement, une sorte d’oasis sonore urbain. Des lieux à respecter, à défendre, à sauvegarder, à développer, à installer… Messieurs les aménageurs s’il vous plait !

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Autour du parc, c’est (pour moi) un dédale de petites rues pentues, pittoresques, d’escaliers, échoppes, petits bistrots (encore) populaires ou grandes brasseries qui  dénotent d’une gentrification progressive et indéniable de ce Belleville initialement plus encanaillé. Une galerie d’art au centre de la rue des cascades. Surprenant ! Et qui plus est qui présente une installation sonore et plastique. Causerie avec le galériste. Nous poursuivons l’escapade jusqu’au quartier du Télégraphe, point culminant de Paris, et donc de notre balade. Place des Fêtes, une étrange ambiance tant visuelle qu’auriculaire, voire même sociale – un entre-deux entre différents univers urbains, qui ne manque pas de charme au découvreur que je suis. Fin du repérage, avec le retour sur ce qui est notre noyau d’attraction, le tonitruant métro Jourdain.
Je suis repu de marche, de sons, d’odeurs, d’urbanités, mais très heureux de cette journée tissées au fil des pas, des rencontres, des discussions, de tout ce que j’aime en fait.
Entre ces deux circuits, côté Buttes-Chaumont ou côté Belleville, mon cœur, et mon oreille balancent, rien ne me semblant faire pencher mon choix vers l’un ou l’autre, si ce n’est vers un mixage des deux. La nuit étant sensée porter conseil, j’attendrai demain, j’écouterai sur l’instant, et l’oreille choisira son versant.
Jour J, en amont du PAS, une sympathique discussion avec Clément Lebrun, instigateur du « Cri du Patchwork », émission musicale et sonore fourmillante, très ouverte sur moult pratiques, expériences, esthétiques, sur les ondes de France Musique.
Là encore, nous discutons de choses et d’autres, surtout sono-musicales, d’expériences, de connaissances communes, de projets, et bien sûr de la trame de l’émission que nous allons bientôt enregistrer.
Comme prévu, après avoir rejoint l’équipe d’enregistrement, nous commençons à l’intérieur de l’église, où le premier aléa sonore ne tarde pas à venir contrarier nos plans.
Une dame passe un bruyant aspirateur dans le chœur de l’église. Le vrombissement de son engin avaleur de poussière aspire également toute les micro sonorités réverbérantes de l’architecture. Néanmoins, sérendipité oblige, le réalisateur et le preneur de son décident de capturer cette ambiance pour une future émission, tout n’est pas perdu !
D’ailleurs, la dame à l’aspirateur nous concède très gentiment un instant-espace de silence (celui de son engin), qui nous permet de débuter comme prévu l’émission. Les portes – sas de l’église franchies vers l’extérieur, nous passons sans transition d’un cocon feutré, filtrant la bruyante urbanité, à un flot de décibels qui nous bouscule sans ménagement – effet saisissant !
De belles voix attirent mon écoute vers la droite. Nous nous engouffrons donc à leur poursuite, dans une ruelle longeant l’église. Le choix s’est donc opéré tout naturellement à l’oreille, et il nous guidera ainsi, de sonorités en sonorités, vers les Buttes-Chaumont.
Toujours cet effet apaisant de decrescendo.
Des travaux perturbent joliment notre marche, se jouant des réverbérations minérales alentour.
Une entrée de garage, vers une cour intérieure, nous permet, via un portail donnant sur la rue, de nous construire un cadre de vue et d’écoute, avec en fond, un doux ronronnement de ventilation, venant se superposer , colorer, comme un filtre acoustique, l’ambiance sonore. Situation d’écoute à la fois cadrée et décalée que j’affectionne beaucoup.
Nous alternons marche et Points d’ouïe – arrêts sur sons, ponctués de dialogues sur ce qui se passe entre nos deux oreilles, la façon désartsonnante de le faire vivre, de l’expliquer, ou non, de réagir aux événements, de tenter d’embarquer les futurs auditeurs dans nos PAS, tout en pointant les aménités comme les dysfonctionnements paysagers, écologie sonore oblige.
Une nouvelle belle séquence où, par les portes de différentes petites échoppes ouvertes sur la rue, il fait très beau, de multiples voix aux consonances africaines s’échappent vers l’extérieur – nous somme sur des lisières,  dans un paysage sonore dedans/dehors, privé/public.
Nous arrivons à l’entrée du parc des Buttes-Chaumont où, nouvelle scène imprévue, se déroule un concours de pétanque. Des chocs métalliques rythmiques, roulements, tintements, claquements des boules, voix animées, tout y est ! Le preneur de son, s’étant positionné à l’intérieur même du jeu, voit un cochonnet arriver malencontreusement dans ses pieds. S’ensuit une vive mais sympathique discussion pour savoir si notre technicien, impliqué malgré lui dans la causerie boulistique, a ou non perturbé le cours du jeu, empêchant le cochonnet de « casser ». Pour la petite histoire, il s’avérera au final que non. C’est une heureuse séquence dont il faut savoir profiter au débotté, un de ces plaisirs de l’instant saisi sur le vif, un charme d’une balade où l’improvisation est de rigueur pour garder la surprise intacte et la poésie des lieux vivifiante.
A l’intérieur du parc, plus de taïchi aujourd’hui, mais un calme retrouvé, des joggeurs faisant crisser les graviers et haletant en rythme, des oiseaux, toujours,  des voix spatialisées autour d’une buvette dominant Paris, une belle scène acoustique tout en finesse et en équilibre, un espace idéal pour mettre un terme à ce PAS, riche expérience d’écoute partagée bellevilloise. Cela me donne plus que jamais l’envie de refaire ce genre de repérages collectifs et balades en groupe, explorant de nouveaux quartiers parisiens, ou d’ailleurs. En quelques journées conjointes, mes PAS m’ont fait découvrir de petites villes nichées au cœur de bocages Mayennais puis, sans transition, l’espace plutôt hyper urbain des hauts de Belleville Parisiens.
Toute la richesse de ces expériences auriculaires, géophysiques et humaines dans un temps très resserré.
Mon oreille a finalement la chance de ne jamais s’ennuyer et, par extension, le promeneur écoutant que je suis.
Reste maintenant à attendre de découvrir, sur les ondes de France-Musique, le résultat enregistré de notre périple audio-piétonnier, et qui sera je pense, une autre nouvelle vision/audition, une réécriture radiophonique donnant à entendre quelque chose d’encore bien différents des expériences in situ.  Mais c’est là me semble t-il, que réside la magie des Points d’ouïe, Des Parcours Audio Sensibles, de leurs écritures multiples, et des ressentis, aussi partagés que personnels.

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