
Séminaire « Questionner le lieu du son »



Un nouveau PAS – Parcours Audio Sensible, a été effectué sur le campus Pierre et Marie Curie de Jussieu Sorbonne, dessus dessous, dedans dehors, avec quelques passages assez undergrounds, que n’aurait pas dénié Max Neuhaus dans ses Listens.
Ce parcours d’écoute, a été effectué, dans le cadre des 9e Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement Sonore, organisées par le Cidb BruitParis.
Il s’est déroulé, entre chien et loup, de 19 heures à 20 heures, sur le site-même du campus universitaire.
C’est d’ailleurs un moment que Desartsonnants apprécie tout particulièrement, pour la qualité des lumières changeantes, la bascule entre nuit et jour, l’estompage sonore progressif, et l’ambiance souvent poétique d’une fin de journée.
Ce soir là, après une journée particulièrement humide, la température est très frisquette pour l’époque, le fond de l’air vraiment frais, ce qui n’a pas empêché un groupe de promeneurs écoutants de marcher lentement, silencieusement, pour aller traquer les ambiances sonores des plus triviales aux plus surprenantes.
Le parcours avait été repéré la veille au soir, alors que le temps était déjà très pluvieux, et avait donc pris en compte un cheminement en grande partie abrité, tracé de passages couverts en parkings souterrains, proposant une porosité dedans-dehors, avec laquelle nous pourrions jongler, selon les conditions météorologiques lors de notre déambulation. Et ce choix se révéla judicieux, tant pour échapper un brin à la fraîcheur humide, que pour découvrir une collection de réverbérations, de coupures acoustiques, de filtrages et de mixages sonores, des plus surprenants et intéressants.
Après un très rapide aperçu oral des origines et pratiques du soundwalking, nous nous mettons donc en marche pour environ une heure de promenade écoutante.
En ce début de soirée, les étudiants jusque-là assez nombreux sur le site, se font plus rares. Néanmoins, le site reste animé de pas, conversations, rires et chuchotements, tant féminins que masculins. Ce qui, en ce début de promenade, nous plonge dans une ambiance assez vivace, avec un équilibre très agréable, entre espaces calmes, et poches sonores plus animées.
Un passage en passerelle surplombe la bibliothèque universitaire. Nous pouvons voir des étudiants, en contrebas, lire et écrire, se déplacer pour aller chercher tel ouvrage. Il est alors aisé d’imaginer l’atmosphère très calme de la BU, tout en la regardant vivre en silence, sans rien en entendre, impression curieuse. Nous percevons les sons de surface, derrière nous, d’ailleurs très discrets, tout en voyant un autre univers sonore, dans un mixage que chacun peut se faire à son gré. Un décalage dedans-dehors, dessus dessous, qui ne manque pas, en cette nuit tombante, d’une certaine poésie. Espace apaisé où l’imaginaire a toute sa place.
Nous retrouverons une scène semblable, bientôt, quoiqu’assez différente, un peu plus avant dans notre déambulation. Cette fois-ci, nous longeons des salles où se pratiquent du yoga, des arts martiaux, de la danse, de la musculation… Nous observons les usagers derrière de grandes vitres qui ne laissent s’échapper aucun sons. Une nouvelle séquence à la fois muette et pourtant très évocatrice quand aux ambiances sonores que l’on imagine se dérouler à l’intérieur. Nous finirons par pousser une porte pour pénétrer dans un couloir menant à ces salles. De là, nous parviennent, très filtrées et atténuées, des bribes de musiques, avec en superposition le passage des usagers, leurs voix, leurs pas, leurs regards étonnées de nous voir ici, statiques, silencieux… Entre deux mondes, une fois encore dedans-dehors, un effet de sas mixant des ambiances de façon surprenante. Des lieux que le promeneur écoutant guide affectionne et ne manque pas d’explorer, surtout en groupe.

Sur une autre passerelle, très calme, très résonante, je dispose quatre petites enceintes autonomes, en une mini installation au carré pour jouer d’un espace immersif modifié. Deux HP diffusent de faux chants d’oiseaux qui se répondent, un autre des sons de cloches transformés par des manipulations audionumériques, et un quatrième des voix ténues dans un espace réverbérant qui se confond avec celui, « réel » où nous nous trouvons. Le tout discourant de façon plus ou moins aléatoire selon des boucles asynchrones. Au fil de la mise en place progressive des enceintes, l’ambiance est modifiée par de nouvelles couches sonores ajoutées, qui ne couvriront cependant jamais l’empreinte acoustique de l’espace, jouant plutôt en contrepoint à créer un décalage pour le moins inhabituel. La désinstallation se fait progressivement, dans un decrescendo qui nous ramènera à la situation auriculaire initiale, une forme de résilience auditive où chaque son « naturel », in situ, reprend progressivement sa place à l’écoute.
Un passage devant une cour entourée de hauts bâtiments en U, nous fait entendre mille micros sons, voix et pas, portes grinçantes, dans un halo assez lointain, de quoi à nous faire apprécier les choses ténues, délicates, loin du brouhaha ambiant de la ville pourtant toute proche.
Nous entamerons maintenant la partie souterraine, underground, de notre PAS, en empruntant un réseau assez labyrinthique de couloirs desservant des parkings souterrains et autres locaux techniques. Changement d’ambiance assez radical, tant au niveaux des lumières, artificielles, que des sonorités.
La réverbération est ici accentuée, accompagnée d’un quasi silence qui pourrait paraître pesant. Néanmoins, apparait une signature sonore caractéristique de ce genre de lieux, le chant, non pas des sirènes, mais des ventilations et autres climatisations. Elles sont nombreuses, de tailles différentes, toutes assez singulières, déployant une gamme de souffles, tintinnabulis, cliquètements au final assez riches, presque musicaux oserais-je dire. Le jeu ici est de mixer par la marche et l’écoute par le passage de l’une à l’autre, de s’arrêter entre deux rangées, de se faire une petite composition live d’instruments à vent bien soufflants.
Une seule voiture viendra animer notre exploration des parkings, excitant ainsi une belle réverbération bétonnée.
J’en jouerai moi aussi en poussant quelques notes de chant diphonique, que l’acoustique favorise en les amplifiant, colorant, à tel point qu’on ne sait plus vraiment d’où vient le son. On retrouve ici l’acoustique fusionnelle des églises romanes, propice à révéler les effets immersifs, les situations de communion du chant grégorien, qui lui-même joue sur le développement de notes harmoniques semblant flotter dans l’espace.
Retour au niveau campus, pour une dernière traversée, nous conduisant vers la sortie, sur la place très animée jouxtant l’université. Les voix étudiantes quittant les lieux, le flux de voitures, la ville reprend ses droits à l’oreille, voire ses travers parfois un brin intempestifs.
Néanmoins, nous pouvons tester l’effet de masquage en nous approchant tout près d’une fontaine, dont les bruits blancs, chuintants, les glougloutis, vont gommer une partie des bruits motorisés. Nous jouons à mettre nos oreilles en éventail, en élargissant et focalisant, voire inversant leurs pavillons de nos mains placées en conques derrières nos « longue-ouïes » encore toutes imprégnées de notre traversée sonore nocturne.
Malgré la fraicheur de l’air, quelques courageux.euses resteront pour discuter des ressentis, essentiellement autour de l’occupation des espaces et de la vie sociale perçues en déambulant dans un campus, à l’heure où il se vide progressivement.
Comme souvent, je comparerai cette expérience collective, écoutante, avec d’autres, en particulier dans de nombreux campus explorés de l’oreille, lors de rencontres, workshops, colloques, actions culturelles.
La présence étudiante confère à ces espaces de vie une sorte d’identité commune palpable, surtout du fait que, de nombreux campus ont été construits ou réaménagés durant les années 70, avec des architectures bétons, de grandes rues piétonnes, des auvents couverts, des places intérieures, tout ce qui favorise et génère des espaces acoustiques très réverbérants.
Néanmoins, leurs tailles, leurs implantations géographiques, les proportions bétonnées et végétalisées, les activités, font que ces espaces restent des lieux toujours très intéressants, acoustiquement et socialement, à arpenter, seul durant les repérages, et plus encore de concert lors des PAS.

Campus Pierre et Marie Curie Jussieu Sorbonne , le 27 septembre 2022, Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement Sonore
PS : La traversée souterraine du campus m’a rappelé, avec tristesse et émotion, celle des sous-sols de la BU à Paris 8 Saint-Denis, guidée par Antoine Freychet, trop tôt disparu après avoir mené des travaux musicologiques remarquables, autour de l’écologie sonore, du soundwalking. Une dédicace hélas posthume !

Cette promenade est un projet qui nous trottait dans la tête depuis déjà un certain temps, quand nous avons décidé de passer à l’action. C’est donc pour nous une première.
Nous, c’est Natacha Paquignon, danseuse et chorégraphe, Patrick Mathon, trecker urbain amateur de paysages, d’histoires, de lyonnaiseries et de chocolat, et Gilles Malatray, alias Desartsonnants, alias moi-même, promeneur metteur en écoute. Un geste artistique accueilli pour l’occasion au sein de la programmation hors-le-murs du festival Chaos-Danse.
Après un repérage copieusement arrosé, où nous avons sélectionné quelques lieux qui nous semblaient intéressants à explorer, à écouter, à danser, à raconter, nous avons guidé à trois un groupe de personnes entre chiens et loups.
Le lieu choisi était le campus universitaire de la Doua, Lyon 1, tout au moins une partie tant celui-ci est étendu (100 hectares, plu de 22 000 étudiants, 1500 chercheurs, l’un des plus vaste de France…). Un lieux dédié aux sciences de toutes natures.
Ce lieu est d’ailleurs en voie de modernisation et est actuellement le théâtre de nombreux et imposants travaux. Il nous offre de ce fait un merveilleux champs de déambulation, entre architectures et parcs, passages divers et variés…
Nous seront tour à tour guide, écoutant, danseur, raconteur, invitant le public à participer à nos expérimentations sensorielles et postures d’écoute.
Tout d’abord, une petite séance « d’échauffement » collectif, ouverture à l’espace, mise en condition. On prend conscience de son corps, de l’autre, du paysage environnant, du regard, de l’écoute et du toucher, de son ancrage au sol, de ses déplacements, tout en douceur, avant que de partir déambuler sur le campus.
Première halte au pied d’une sculpture-monument en pointe élancée vers le ciel. Un objet qui attire le regard vers le haut, décale nos perspectives. Une danse qui invite à regarder plus haut, à la contre-plongée comme point de fuite. Une dédicace de ce parcours à notre ami et artiste marcheur international, Geert Wermeire.

© Patrick Mathon
Nous longeons une voie verte de tram, et, geste enfantin, mettons nos pas dans des rails que néanmoins nous n’hésiterons pas à quitter bientôt pour prendre des chemins de traverse.

© Patrick Mathon
Signe symbolique au détour d’un trottoir, un panneau penché nous indique une route à suivre, il vibre longuement lorsqu’on le touche, une petite danse pour le remercier.

© Patrick Mathon
Nous empruntons la rue de l’émetteur. Un nouveau signal pour le groupes de récepteurs que nous sommes.
Une série de bancs, prétexte à une écoute collective assise, dos à dos, pour ressentir les vibrations ambiantes, les vibrations de l’autre, de l’espace également… Des galets percutés et frottés contre les assises de pierres ponctuent l’espace de rythmes, une nouvelle danse se profile, venant solliciter le le corps par des frôlements, de légers contacts tactiles qui nous fait ressentir la « physi-qualité » du groupe.

© Patrick Mathon
Une clairière, face à la Maison de l’émetteur, nous offre un décor pour une scène où nous deviendrons nous-même antennes, où la danse se fera tournée vers le ciel, sur fond de signaux électromagnétiques, spatiaux, galactiques, installés pour l’occasion à même la pelouse.
Une petite histoire patrimoniale contée in situ.
http://leradiofil.com/LADOUA.htm

© Patrick Mathon
Peu après, une petite voie verte, un alignement de peupliers, de végétaux et autres matériaux nous ferons ausculter de micros sonorités, et utiliser quelques longues-ouïes desartsonnantes, toujours en mouvement.

© Patrick Mathon

© Patrick Mathon

© Patrick Mathon
Longeant des terrains de sport, nous gravirons ensuite quelques marches, après avoir partagé rituellement du chocolat, pour emprunter un court chemin en hauteur, séparant le campus d’un périphérique bourdonnant à notre oreille droite. Instant panoramique. Nous somme sur la grande digue protégeant Villeurbanne d’éventuelles crues du Rhône.
Replongeant au cœur du campus, et retrouvant de nouveaux espaces acoustiquement plus apaisés, une série de dalles piétonnières nous pousse à improviser quelques pas de danse collective. Sentir le sol sous ces pieds, jouer avec l’espace, une forme de marelle non linéaire, des jeux de croisements et d’évitement, des immobilités parfois, et un jeu très apprécié. Un lampadaire se transforme en instrument de percussions, donnant des tempi, avant que de se taire subitement pour marquer la fin de la séquence, immobilité.

© Patrick Mathon
Sur le chemin du retour, une autre clairière parsemée de gros blocs granitiques sciés, autre proposition d’ écoute, de mouvements, de postures.
Plus loin, un jardin collectif avec une spirale accueillant des plantes aromatiques, elles-même attirant et accueillant des insectes pollinisateurs et autre micro faune locale. Une pause, assis sur une spire de pierres sèches, rappel de notre propre ADN en ce haut-lieu de recherche scientifique, mais aussi de notre colimaçon cochléaire, un des sièges de l’écoute lové au creux de notre oreille interne. Toujours de la danse et des sortes de massages stimulant une énergie tout en rotation dans nos bras.

La nuit tombe doucement, le ciel vire au bleu de plus en plus soutenu, avant l’obscurité trouée d’une belle installation lumineuse multicolore vers la clairières aux granits que nous avons quitté depuis peu. Une moto passe vrombissante, coupure tonique de cet espace entre douceur et accidents sonores impromptus. Un moment entre chiens et loups aux atmosphères changeantes que j’apprécie beaucoup.

Une dame promenant son chien nous aborde, visiblement intriguée par nos expériences sans doute bizarres vues d’un observateur non averti. Lui ayant expliqué notre dé-marche, elle nous trouve sympathiques, accueillants, avec une douce folie bienveillante qu’elle ne regrette de ne pas pouvoir partager, vu son emploi du temps. Sympathique rencontre emplie d’empathie. L’espace public c’est aussi cela !
Retour à notre point de départ, au Toï Toï le Zinc. Des images, des sons et des idées plein la tête, avec l’envie de poursuivre et de développer ailleurs, et sans doute autrement, ce genre de parcours somme toute très hétérotopique, au sens foucaldien du terme.