Chronique bancale franc-comtoise, qui ne manque pas de sel

Chaque jour un banc différent
Adossé à une grande berne
Dans un jardin d’eau, ou zen, ou boisé
Dans un lieu très passager, pour échanger des bonjours, voire discuter un brin
Dans une allée isolée, en solo avec les corneilles graillantes et quelques insectes tenaces
Vers la gabelle ancienne, mal-aimée
La salle des commis, aussi mal aimés en administrateurs zélés
En leurs temps
Au centre des écuries du maitre
Sous un trio de châtaigniers séculaires
Dans un espace animé, à une heure animée
Ou un espace presque silence lorsque le site s’est vidé de ces visiteurs
A tombée de nuit, abrité d’une pluie qui a pris l’habitude, depuis quelques mois, de me suivre partout, en s’égouttant sans scrupules
Une eau tenace et qui s’entend
C’est vrai qu’ici, elle, l’eau, quittait le gemme pour donner du salant
Dans une démesure architecturale entre néoclassique et post baroque
Ponctuée de bancs, beaucoup plus récents
Lieu magnétique, qui m’attire toujours, toujours depuis longtemps
Et où je reviens comme en retraite ponctuelle, ressourçante, donner du sel à mon histoire
Des passages dedans-dehors, hors les murs de l’enceinte
En route vers la Loue furieuse et la forêt de Chaux
Immensité feuillue où il ne fait pas bon perdre ses repères
Et retour en Saline, vers un banc accueillant
Et retrouver les sons de la porte monumentale claquante
Des valises qui peinent et raclent sur les allées gravillonnées
Attendre que tout s’éteigne, entre chien et loups (et Loue voisine)
A la veille d’un solstice qui nous semble trop précoce, entre deux pluies battantes
Les impressionnistes ont gavé les paysages alentours de fleurs, d’arbres et d’eau, jusqu’à saturation
Et l’Absinthe y est née, comme une verte eau tonique
Je tricote toutes ces histoires et des sons
De banc en banc
Dans un cercle où je sens rayonner milles tonicités, comme des nœuds telluriques, que l’histoire des lieux aurait renforcé
Dans une salinité mouillée d’utopies dissoutes.
Les bancs sont mes bureaux multiples, d’un moment hors-les-murs
Mes lieux d’observation, d’écoute et de mots griffonnés
Lieux de chroniques saunières soniques, épicées de sels régénérants.

Projet « Bassins Versants, l’oreille fluante »
Divers bancs de la Saline Royale d’Arc-et-Senans (25)
20 juin 2024

Se poser, écoutant dans la danse

Se poser par ici, ou se poser par là
Jeter un œil furtif, ou un regard insistant
Une oreille discrète, ou une oreille scrutante
Savourer les mouvements, les arrêts, les hésitations
Le ballet du vivant qui danse sans le savoir
Écouter des bribes, ou bien plus longuement
Les gens furtifs, originaux
Bavards ou taiseux
Marginaux, anonymes
Pressés, nonchalants
Élégants, négligés
Semblants et faux-semblants
Ceux qui vous sourient, ceux qui vous saluent
Ceux qui vous ignorent, ceux qui vous toisent
Ceux qui vous bousculent
Et tous ceux que vous ne voyez pas, et réciproquement
Se sentir vivant, ou se sentir moins seul
Tout simplement être tout près
Assis sur un banc de pierre, de bois ou de béton
Dans ou devant une gare, une église, un parc
Dans la fraicheur d’un matin précoce
Dans la chaleur d’un midi torride
A nuit tombante, à nuit tombée
Aux premières ondées automnales
Dans les frimas engourdissants
Dans des espaces incertains
Y trouver des habitudes, des ancrages
Y faire des rencontres récurrentes
S’inscrire dans le quotidien, ou presque
Comme usager rompu aux lieux
Écoutant regardant insatiable
Un beau jour pour se sentir bien là
Un beau jour pour se sentir ailleurs
Un beau jour entre-deux erratique
Rester immobile et que tout tourne
Les sons les gens et les odeurs
Et les lumières qui bougent
Et les les ombres fuyantes
On est point fixe, axe dans un chaos branlant
Un banc des villes, un banc des champs
Autour desquels tout s’agite
Autour desquels danse le paysage hésitant
Ralentir la marche est nécessaire
Pour se poser sans s’abimer
Juste dans nos écoutes regardantes
A la croisée imprévisible de tourbillons fantasques
Où danserait l’inconscience du monde.
Se poser par ici, se poser par ailleurs
Dans le groove chaloupement du monde.

Rencontres internationales « Made of Walking » Listening to the Ground – La Romieu 2017 – Co-commissariat Geert Wermer (Be), Gilles Malatray (Fr) , Isabelle Clermont (Ca Québec))

Nouvel expérience aux bancs d’écoute, s’ancrer dans l’habitat

Ce soir je me suis à nouveau assis sur un banc, longuement.
Les températures plus clémentes incitent à la reprise de ces postures posées.
Geste récurent, presque obsessionnel, presque rituel.
Un banc que j’ai déjà pratiqué ces derniers temps, dans la petite ville où j’habite désormais.
Un bout d’ilot de bois sur une grande place minérale, coincé discrètement entre la mairie et le monument aux morts.
C’est une place très calme, traversée de temps à autre par des personnes semblant pressées dont certaines me saluent.
C’est un banc confortable.
Je m’y sens bien.
Ce soir, j’ai donc renoué avec une de mes vieilles habitudes.
Je suis resté longuement assis, tout d’abord en lisant, puis en rêvassant, à cet instant de bascule, entre chiens et loups, à nuit tombante, moment que j’aime tout particulièrement.
C’est une façon pour moi, d’entrer en communication, presque en communion, avec des lieux qui sont aujourd’hui, mon nouveau cadre de vie.
Les cloches de la place voisine font partie du décor.
Elles viennent se cogner contre les murs adjacents, dans d’étranges échos.
Le banc où je suis assis, fait partie du décor.
Les gens qui me jettent un regard curieux, semblent penser que je fais également partie du décor.
Je pense que je répéterai ce geste bancal au fil du temps qui passe, point d’ancrage.
Il est certain que ce banc me servira de nouveau. jusqu’à ce que mon oreille s’obstine à me faire prendre conscience que je fais partie intégrante du paysage que je me construis progressivement.
Les sons deviendront petit à petit des repères, comme des amarres acoustiques, des marqueurs auxquels je me raccrocherai, en quête de stabilité.
Entre chiens et loups, alors que le printemps adoucit les ambiances, je me sens bien sur ce banc, comme dans beaucoup de villes où j’ai expérimenté ces mobiliers amènes.
Je me réserve le temps de découvrir et d’essayer beaucoup d’autres bancs, pour leurs capacités de prendre le soleil, ou à se mettre à l’ombre, où pour rencontrer le passant, ébaucher la conversation, ou la poursuivre, à l’improviste.
Les bancs sont mes amis, et j’espère que la réciproque est vraie.
Ce soir je suis assis, regardant les lumières s’estomper, les bleus devenir pourpres, puis noirs, les rumeurs s’apaiser, le jour basculer dans la nuit. Quelques lattes de bois sous mes fesses, orienteront mon regard, de même que mon écoute, et sans doute mes rêveries.
Les aménageurs devraient penser de façon plus réfléchie au nombre de bancs qu’ils installent dans l’espace public, et à leurs emplacements stratégiques pour renforcer la capacité d’une cité à se faire accueillante. Ne pas les transformer en mobiliers repoussoirs, excluants, inhumains.
Le banc est pour moi un bureau potentiel et temporaire, un espace de vie récurrent, et au fil des rencontres, un lieu d’échanges privilégiés.
C’est d’ici que je vois et aime profiter de ce printemps naissant, entendre les oiseaux reprendre leurs polyphonies bavardes, les insectes vrombir, et les bourgeons semblant s’ouvrir dans un léger bruissement.
Sur ce banc à la fois bien ancré dans le sol, et naviguant dans les courants stratosphériques de la rêverie, espaces de conjonctions sociales, où l’ici et l’ailleurs, l’aujourd’hui, l’hier et le demain se confondent.
Bref un lieu de douce méditation.
La nuit se fait plus présente, obscure..
Les oiseaux persistent à signer l’espace de leurs territoires piaillant, et ont la gentillesse de m’y accepter, et même de m’y inviter.
C’est une chronique auriculaire parmi tant d’autres, où ce soir-là les sons m’apaisent..
Et c’est là que je m’aperçois que, dans beaucoup de lieux où j’ai trainé mes oreilles, il y a des histoires de banc, bien ancrées dans ma mémoire, comme repères spatio-temporels aussi structurants qu’inspirants.
Je pourrais vous en décrire tellement, y compris dans leurs ambiances sonores.
Quand on change d’habitat, on change d’habitudes, on change de pratiques, on change de bancs, on change d’écoutes.
Les points d’ouïe bancs-dits, sont autant d’espace de rêves que d’espaces d’expériences bien réelles, d’autant plus qu’elles imprègnent à tout jamais la mémoire, jusque dans ses moindres sons..
J’ai dans l’oreille tant d’expériences de vie partagées, de confessions intimes, dont je n’écrirai jamais le moindre mot, car trop personnelles.
Une collection d’ambiances et d’histoires situées, dans des espaces-temps très contextualisés.
Adopter un ou plusieurs bancs, c’est quelque part s’installer, s’ancrer un peu plus dans lieu, qui plus est si celui-ci est notre nouvel habitat.

.

Les bancs d’ouïe des grands chemins, et des petites placettes intimes…

J’ai déjà, à plusieures reprises, parlé des bancs, ces mobiliers qui me sont chers, mais aussi des marches d’escaliers et autres murets, assises bienséantes rencontrées à l’aune d’explorations déambulatoires dans l’espace public.
Ces espaces de pause, urbains ou ruraux, en forêt ou le long d’une rivière, le long d’une plage ou d’une promenade publique, sont pour moi multifonctionnels.
Lieux de repos certes, de rêverie, méditation, d’écoute souvent, de travail, d’écriture, d’échange, dans une forme de co-working de plein-air, mobile et adaptable; une façon de co-habiter le monde, mon quartier, les lieux de résidences artistiques, de déplacements tous azimuts.

Je pensais hier, justement posé sur un banc, nuit tombée, aux choix de ceux-ci, que ce soit ici, dans mon quartier, ou ailleurs, dans beaucoup d’endroits forts différents.
Ces choix de s’assoir ici plutôt qu’ailleurs ne sont pas innocents, liés parfois à des contraintes du moment, et parfois à des options plus stratégiques.

S’il fait très chaud, ce sera un banc à l’ombre, dans un lieu aéré, (relativement) frais…
S’il fait un fort vent, ce sera un banc abrité, ou au contraire très exposé, pour profiter au maximum des caprices d’Éole.
Si je cherche la rencontre, l’échange, ce sera un banc situé sur un espace très passant, avec souvent des séquences réitérées, parfois dans un lieu habituel, près de chez moi…
Si je recherche l’isolement, la quiétude, ce sera dans un espace intime, en retrait.
S’il fait très froid, ce pourra être dans un espace fermé, ou semi fermé, un hall de gare, une galerie marchande…
Si je recherche une belle ambiance sonore, ce sera dans un espace où l’écoute est agréable, entre sources permanentes (fontaines), ponctuelles (cloches), acoustiques remarquables (passages réverbérants), présence de faune, de vie anthropophonique…
S’il pleut ce sera dans un espace abrité, sous un auvent…
Si je recherche un parcours déambulatoire, ce sera une suite de bancs qui guideront et ponctueront mes pas et points d’ouïe.
S’il fait nuit et que je désire lire, écrire, ce sera un banc sous un lampadaire. J’adore la nuit !
Si je recherche, outre un point d’ouïe, un point de vue, un lieu agréable à regarder, ce sera devant un panorama naturel, une place d’un centre historique…

Tout ceci m’entraine donc d’avenues en ruelles, de parcs en places publiques, de sentiers en promontoires, m’en faisant voir et entendre de toutes les couleurs.

Bref, jonglant avec les aléas climatiques, et les intentions et envies du moment, je me suis défini, l’expérience aidant, toute une typologie de bancs, dont certains autour de chez moi, comme lieux expérientiels, d’autres dans des lieux connus, déjà arpentés, écoutés, d’autres encore à découvrir dans de nouveaux espaces à investir. Se constitue ainsi un véritable inventaire pour promeneur écoutant, arpenteur de tous crins, une géographie bancale, des ressources assises à fréquenter selon les cas, les besoins, les nécessités, les adaptabilités du projet en cours.
Des villes me posent parfois problème, dans des choix délibérés d’aménager des espaces sans assises, pour des raisons tendancieusement sécuritaires et dans des volontés malsaines de cleaner l’espace public.
Néanmoins je trouve en général toujours de quoi à satisfaire mes postes d’observation, ou tout simplement de jouissance quiète du monde environnant.