Loue y-es-tu ? M’entends-tu ? Je t’entends !

Entre Doubs et Jura, La Loue coule sur un peu plus de 122 Km, bouillon tumultueux ou étale.
Bassin versant du Rhône, itinéraire méditerranéen via le Doubs et la Saône.
Courant plus ou moins audible. Ces jours-ci, et depuis plusieurs mois plutôt très audible.
Autrefois nommée louve, plus impétueuse, aujourd’hui assagie ?
La Loue est impressionniste, Ornand, Courbet, rivages peintures, paysages colorés. Parfois image d’Épinal.
Une source spectaculaire, grotte débouchée en cirque, émergence hautement bouillonnante, à flanc de reculée (topologie jurassienne), un paysage karstique caractéristique.
Une Haute Loue méandreuse, encaissée dans les gorges de Noailles, des boucles sauvages.
Une Moyenne Loue en plus douce vallée, mais charriant beaucoup et parfois, maintenant, débordant de son lit.
Une Basse loue, où je suis, assagie, quoique ces jours-ci grondante et débordante, qui l’eut crue !
Moulins et paysages archétypaux, tourisme archétypal.
Fromages, vins, charcuteries, des délices avoisinants, une région de rudes douceurs.
Comme un air de pureté liquide, de sauvagerie naturelle, néanmoins l’agriculture se fait sournoisement empoisonnante, et les célèbres truites en souffrent… Et d’autres espèces et végétaux, et humains, aussi.
L’eau compose et traverse des territoires régentés, aux activités qui façonnent, contrôlent, et souvent dégradent, appauvrissent leurs propres eaux nourricières.
Sujet brûlant s’il en fut, polémique à souhait, et qui le deviendra certainement de plus en plus. Comment ménager, voire restaurer, s’il est encore possible de le faire, les écosytèmes fragiles, face à des économies agricoles performatives, puissantes, un tourisme décomplexé…
Niveau auricularité, des acoustiques variées, du glougloutement au grondement, des sites bordés d’oiseaux pépiant et d’insectes vrombissant.
Accès le plus proche à pied, un bon kilomètre en partant de la Saline Royale, mon camp de base actuel.
Comme beaucoup de cours d’eau, l’accès est souvent géographiquement difficile, pour les écouter de près. Ripisylves et écotones sauvages, embergements et aménagements divers, crues, autant de barrières entre nous et les rivières…
Remarque : j’adore l’accent franc-comtois local, qui me dépayse presque en Suisse voisine. Je ne me moque pas, ne plaisante pas, c’est un réel plaisir pour moi que d’entendre chanter les lenteurs locales, celles qui résistent à l’aplanissement d’un accent unique, modelé par les média centralisateurs.

Tout cela semble couler de source, pourtant, à bien y écouter…

Jardins contre nature ?

Venu en Franche-Comté pour écouter ausculter l’eau, les jardins tiennent une place importante dans ce parcours, en me rappelant une de mes premières études d’horticulteur paysagiste, qui au final m’ont amené vers les paysages sonores. Le plaisir multisensoriel du jardin ne m’a jamais quitté, la traversée de lieux sonifères où eau, végétaux et faune, si on leur laisse des espaces ad hoc, peuvent joliment cohabiter.


Sur le festival Back To The Trees, j’ai l’immense plaisir d’intervenir dans une causerie forestière, sur la thématiques de « jardins secrets », en compagnie du paysagiste écrivain Marco Martella, immense conteur engagé pour la cause des jardins, et aussi Marc Namblard, audionaturaliste chevronné et Marylou, une artiste sonore qui fabrique des bestioles soniques. Riches échanges publics sur nos jardins secrets, ou presque…


Le lendemain, débarquant à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, je retrouve, de façon impromptue, Gilles Clément, dont le travail sur le tiers-paysage me fascine depuis longtemps.
Cette même Saline organise chaque année un superbe festival des jardins, avec des élèves d’écoles du paysage. Les jardins thématiques en périphérie de ce lieu magiques nous font voyager dans une belle rêverie végétale, minérale…
L’immense cercle, extension de la Saline pour montrer le rond initial imaginé par Claude Nicolas Ledoux fait lui aussi la part belle aux jardins dans tous leurs états.`
Ces biotopes accueillent moult animaux qui chantent, piaillent, graillent, sifflent, stridulent… L’oreille comblée !


Et, pour finir avec un tissage d’histoires jardinières, je décide de revoir, hier soir sur ARTE, le magnifique et bouleversant film de Vittorio de Sica « Le jardin des Finzi-Contini ». Ce jardin, dernier refuge avant l’immense catastrophe fascisme italienne, est un espace-héros crépusculaire ou des fin de règnes, d’amours, de vie, se tissent avant que de disparaitre, engloutis par une machine politique d’une violence implacable. On ferait bien de revoir ce film aujourd’hui, pour réfléchir à quel point nos sociétés sont plus que jamais menacées par la montée d’extrêmes Oh combien dangereuses.


Voila comment, en quelques journées, les jardins racontent des récits croisés, des plus apaisants aux plus angoissants.

Jardins nature, jardins contre nature ?