Lorsque j’ai démarré le projet « Bassins versants l’oreille fluante », le champs lexical tout droit venu des terres aquatiques m’a sauté à l’oreille.
Je me suis senti submergé de joie, et aussi de travail. J’ai pensé et agi en amont et en aval, tout en dérivant parfois. J’ai été abordé, parfois accosté. J’ai tenté de ne pas trop avoir la tête sous l’eau, d’émerger, de. ne pas avoir trop de flottement dans les idées. J’ai du trouver des points d’ancrages solides. Je suis parti parfois à la dérive. Je me suis fait embarquer dans de drôles d’histoires. Et j’ai débarqué sans trop comprendre. J’ai tenté d’avoir des projets au long cours. Je me suis calé sur le bon canal. Je me suis battu contre vents et marées. J’ai pêché des informations ici et là. Dans des situations difficiles, j’ai été repêché. J’ai fait escale dans des lieux en vogue. Je suis arrivé à bon port, ou pas. J’ai tenté de ne pas me noyer dans les informations. Pour l’instant, peu de choses sont tombées à l’eau. J’ai évité bien des écueils, et me suis échoué sur d’autres. J’ai navigué en père peinard. J’ai ouvert la réunion par un brise-glace. J’ai tout liquidé, et largué les amarres. J’ai connu des figures de proues. J’ai été à fond de câle. Je suis resté sur le quai. J’ai tourné à sec, puis ai jeté l’ancre. J’ai mis les voiles, ou ai pris le large. J’ai souvent été sur le pont. Je me suis fait mener en bateau. J’ai et le vent en poupe. J’ai fait avec les moyens du bord. J’ai choisi un bon navigateurs internet. J’ai été au creux de la vague, dans une mauvaise passe. Je suis resté au milieu du gué. J’ai veillé au grain, pour ne pas être un marin d’eau douce, plutôt un vieux loup de mer. Mon site a été piraté. J’ai eu de grosses avaries. J’ai navigué entre deux eaux, parfois en eaux troubles Je suis resté à flot, écoute au goute à goutte. J’ai mis le cap sur de nouvelles terres. J’ai évoté de faire trop de vague, pourtant, ce n’est pas la mer à boire. J’ai agi à contre-courant, navigué en eaux troubles. C’est la goutte qui à fait déborder le (la) vase. J’ai viré de bord. Je suis passé au large. J’ai navigué à vue, et à l’ouïe. J’ai eu une démarche chaloupée. J’ai été toutes voiles dehors. J’ai été inondé de bonheur, et de doutes. Et vogue le navire. J’ai fait des rencontres où la parole a coulé à flots. Connu de belles personnes intarissables La vie n’est pas un long fleuve tranquille Je dit bon vent à toutes et à tous !
Projet « Bassins versants, l’oreille fluante » Mai 2024 Grenoble
« Tout est rythme. Comprendre la beauté, c’est parvenir à faire coïncider son rythme propre avec celui de la nature. Chaque chose, chaque être a une indication particulière. Il porte en lui son chant. Il faut être en accord avec lui jusqu’à se confondre ». JMG Le Clezio
Lorsque l’on décide d’installer une écoute en point d’ouïe, c’est à dire comme on placerait une caméra sur une scène paysagère en plan fixe, on va aborder l’écoute non pas en imposant notre rythme, notre cadence, notre allure, vitesse de déambulation, mais en laissant aux lieux le soin de nous révéler leurs propres rythmicités.
Notre corps n’aura de prises sur le paysage en écoute que celles, statiques, de nos oreilles tendues.
Nous ne composerons pas en marchant, en mixant des fragments audio-paysagers pour les assembler dans une histoire en mouvement, impulsée et écrite par nos élans corporels, mais laisseront s’agencer les sons au gré de leur apparitions/disparitions, de leurs propres mouvements, dans l’espace/temps scruté.
Des passants, des coups de vents, des voitures, chants d’oiseaux… feront que la scène sonore s’offrira à 360°, comme un improbable scénario construit sur une trame où les aléas acoustiques, les reliences et interactions auriculaires ne demanderont plus qu’à être entendues en l’état. Ou presque.
Le choix du lieu, du moment, de la-posture physique, et même du degré d’attention portée, influenceront incontestablement notre perception, et donc la façon d’entendre les sources qui se dérouleront à nos oreilles, leurs degrés de présence, d’intensité, la précision de leurs contours acoustiques…
Des rythmes se feront alors entendre, donnant aux lieux des caractères dynamiques singulières, dans leurs répétitions, superpositions, densités, enchainements…
Une place passante, en centre ville, à midi, un jour de printemps ensoleillé, ne fera pas entendre ni les mêmes sources sonores, ni les mêmes rythmes qu’une forêts en hiver, ou une plage maritime un jour de tempête.
Se poster comme une sentinelle écoutante, laissant venir à elle les sonorités environnementales, sans chercher à en modifier le cours, est une façon de sentir le, ou les rythmes des choses qui se présentent à nos oreilles guetteuses.
Rythmes ponctuels, une sortie de cour d’école, une manifestation de rue, une sirène d’alarme, ou rythmes flux, des voitures, un vent fort, rythmes alternés, des groupes successifs de passants qui déambulent en discutant, autant de cellules rythmiques fragmentaires, qui donneront dans leur ensemble, une signature dynamique au lieu. Concert de villes ou de forêts, de déserts ou de d’océans…
Rythmes apaisés, trépidants, effrénés, atmosphères calmes, festives, autant de formes de tempi qui animeront l’espace, en même temps que la perception auditive d’un point d’ouïe donné à entendre à un certain moment.
Ces rythmes participeront eux-mêmes à la construction, à la caractérisation de paysages sonores, de même qu’à leurs ressentis, de la douceur à des formes de violences physiques, que nous pourrons éprouver, voire qui nous éprouveront dans l’exercice de l’écoute.
Là où l’expérience d’écoute rythmique devient plus intéressante, c’est lorsque nous multiplions les points d’ouïe, en les écoutant à différentes heures du jour et de la nuit, à différentes saisons…
Des scènes sonores caractéristiques à la fois récurrentes et singulières se dessinent.
Des topologies rythmiques, intrinsèques à certains lieux, un port de pêche, un chantier d’extraction minière, une rue piétonne commerçante, une médina africaine, font entendre des rythmicités qui les qualifient, et nous les font reconnaître, une fois que nous avons pris le temps de les entendre dans leur spécificités.
Certes des accidents, des imprévus, peuvent venir faire des breaks, cassures et césures acoustiques, accidents imprévisibles, advenant régulièrement pour chahuter des rythmes « du quotidien », les faire sortir de leurs habitus auditifs, ou perçus en tous cas comme tels. Une grève générale, une tempête, un conflit, autant d’ »accidents » qui perturbent parfois violemment les rythmes, ceux-là même qui pourtant nous semblaient presque immuables, inscrits dans la durée. Ces cassures secouent notre confort d’écoute, qui doit alors trouver de nouveaux repères, et d’autre fois quitter une scène d’écoute devenue trop « agitée », ou in-sécurisée.
Parfois, par des formes de résilience, les rythmes « naturels » des lieux, perçus comme des repères plus sécurisants, reprennent, plus ou moins rapidement, à l’identique ou avec de nouvelles variantes, des formes audio-paysagères stables, ou moins incertaines.
L’habitude de tendre l’oreille dans de multiples lieux donne à cette dernière une acuité à se reconnaître dans des ambiances rythmiques déjà plus ou moins éprouvées, tout en gardant la possibilité d’être surprisse, étonnée, ravie ou dérangée, si ce n’est malmenée. Dans des typologies de géographies acoustiques repérables, qui offriraient des sortes de modèles rythmiques quasi universaux, l’écoute de points d’ouïe peut toujours nous désarçonner, ou apporter son lot de dépaysements, tels la première fois que l’on se pose dans une grande ville africaine, ou dans une forêt équatoriale. Il nous faut apprendre à apprivoiser de nouveaux rythmes, de nouvelles couleurs sonores, parfois au prix d’expériences plus ou moins confortables.
Les tempi de scènes d’écoute sont sans cesse fluctuants, au fil des jours et des nuits, offrant une infinité de variations, notamment rythmiques, à l’écoutant qui fait l’effort de prêter aux lieux une oreille attentive, et quelque part aux aguets.
Le monde devient un vaste chantier rythmique à l’écoute, et cette dernière se construit sur des rythmes complexes, pour fabriquer des sortes d’architectures sonores où on peut se trouver des repères vivables et entendables, rythmiquement soutenables.
La notion de point d’ouïe, d’observatoire sonore, ou d’« écoutoir » ponctuel, ou dans une durée plus pérenne, parfois itinérant, nomades, est donc, dans une approche rythmique, un processus d’écoute parmi d’autres. Certes, il opère via modalités variables, et milles variations possibles qui permettent de poser des expériences d’écoute significatives.
Entendre, et par-delà, tenter de comprendre les tempi du monde, y compris sur des micros scènes auriculaires, quitte à ralentir pour mieux le faire, à prendre le temps de s’arrêter suffisamment sur un point d’ouïe, permet des lectures et écritures acoustiques qui nous font nous sentir impliqués dans l’immense polyrythmie, parfois déconcertante, du monde à portée d’écoute.
En annexe, ébauche de corpus sémantique en chantier « tempi et écoute(s) »